Autrement dit, le groupe m'a mandatée pour faire une petite recherche, rendue possible par une subvention du Secrétariat d'État. Il s'agissait d'offrir aux adultes du groupe que j'aille passer quelques heures avec eux, chez eux, le magnétophone ouvert, le tout en échange d'une compensation de 50$ pour leur peine.
Disons tout de suite que ce n'est pas tout le monde qui a été volontaire. Ce n'est pas évident en partant d'ouvrir sa porte à quelqu'un qu'on voit comme son professeur, même en échange d'une compensation dont on a bien besoin par les temps qui courent! Cela suppose de la confiance, et de prendre le risque de se montrer sous un autre jour, celui de la maison. J'ai proposé l'activité à une vingtaine de personnes qui étaient là la journée où je suis venue l'expliquer. Une dizaine s'est portée volontaire. Dans les faits j'ai rencontré 8 personnes: Denise, Michel, Michel, Pâquerette, Jacques, Francine, Raynald et Lise. Le temps a manqué pour en faire plus.
Les rencontres ont été agréables, je pense, de part et d'autres. Je crois que c'était bon pour les personnes d'avoir l'occasion de parler du fond du cœur et de discuter de ce qu'elles vivaient. Pour ma part, à chaque rencontre j'ai appris quelque chose d'important.
Lors de cette rencontre, dont je devais transcrire certains éléments, je devais être à l'affût d'intuitions, d'explications qui pourraient nous aider à améliorer notre compréhension de la culture du groupe, et des besoins particuliers des personnes en matière de lecture, d'écriture et de calcul. On a abordé des questions comme la recherche d'un logement, la vie de tous les jours, les tâches ménagères, le premier du mois, la manière de dépenser l'argent, la vie religieuse, les enfants et l'école, le travail, et ainsi de suite. On a discuté de la manière dont ça allait pour apprendre au groupe. Et, à cause d'une autre recherche que je fais en même temps, j'ai demandé à chaque personne de me conter une fois où elle avait été aidée à passer à travers une situation et une fois où elle avait aidé quelqu'un à passer à travers une situation.
Vous retrouverez des éléments de tout ça dans mon rapport, que je vous propose maintenant. Le but de ce rapport n'est pas de raconter en long et en large ce que vit une personne qui a de la misère à lire, à écrire et à compter, et que nous savons déjà. Le but est d'apporter, à partir de ce que les gens ont dit, un certain nombre d'éclairages nouveaux qui pourraient nous influencer dans notre façon d'intervenir et de nous orienter comme groupe. Je vais donc présenter ça sous forme d'actions possibles, que vous pourriez cocher une fois celle-ci réalisée. Ces propositions d'actions sont suivies d'un commentaire et sont souvent illustrées d'extraits des entrevues.
J'espère que ce petit document sera utile au groupe, et qu'il saura conduire la recherche vers l'action.
Je dois dire toutefois que ces rencontres ont en soi été une forme d'action et que quand bien même il n'y aurait d'autre résultat que ces longues heures d'échanges et de confidences, ce serait déjà pas mal du tout.
Voilà,
Vivian
3 juillet 1992
[Voir l'image pleine grandeur]
Organiser la cuisine collective
Priorité numéro un. C'est la clé des maths, des fractions, de la lecture de base, de l'évaluation de la durée, de la prévision budgétaire. Bref, tout le monde est unanime à la désirer et c'est probablement la base concrète qui nous manque et qui rendra possible de nombreux apprentissages tout en contribuant à une meilleure situation économique surtout en fin de mois (j'ai vu des garde-manger vides). Seulement pour que ça fonctionne, il faut préparer soigneusement les objectifs d'apprentissage et y revenir pendant les cours, i.e. coordonner la partie cuisine et la partie plus proprement classe. Par exemple, il serait possible de faire la planification et toutes les maths qui vont avec le jeudi, et la cuisine le vendredi, avec un groupe le matin et un groupe l'après-midi. Plusieurs personnes ne font pas l'épicerie elles-mêmes de peur de se tromper dans les calculs ou les achats. Le fait d'aller acheter par petites équipes sans le conjoint est sûrement un geste d'autonomie, qui permettrait par ailleurs d'introduire la calculatrice dans la planification des menus.
Voici quelques objectifs d'apprentissage qui peuvent être rejoints:
Ça j'aurais peut-être un peu de misère. Ben moi y a une chose que je ferais. Mettons que je faiserais une recette, le gâteau serait pour 6 personnes. Je prendrais en premier comment je ferais ma première recette. Après ça je calculerais comment que ça ferait pour plusieurs personnes. Mettons que ça prend 3 tasses de farine. Mettons qu'on est 12, on parle pour parler, on est 12 personnes, pis le gâteau, c'est 6 portions. Je sais que ça va n-en prendre 6 autres, mais je sais que... Je vas m'essayer ma première recette pour pas la manquer. Après ça je ferais l'autre. Après ça, si mettons plus tard par après, que la personne:
Heille, le gâteau que t'as fait l'autre jour, on a ben aimé ça.
Si j'ai encore 12 personnes, là je sais que j'aurais pas à faire un premier gâteau, pis un deuxième gâteau. Je sais que les quantités que je vas mettre dedans, ça va être pour 12 personnes, comprends-tu?
Trouver une caisse enregistreuse et entraîner les gens du groupe a l'utiliser
Plusieurs personnes ont rencontré l'obstacle de la caisse, du «cash», dans leur vie de travail. C'est ce qui les a empêchées souvent d'avoir de l'avancement, voire de conserver ou de demander un poste. Le fait d'apprendre dans des conditions non stressantes à tenir une caisse, à remettre le change, à augmenter une cadence, donnerait à plusieurs une confiance qui leur manque. Peut-être une entente pourrait-elle être prise avec le petit marché à la Ruche, soit pour pouvoir utiliser la caisse (?), soit pour pouvoir y faire travailler des membres d'Alphabeille une fois leur entraînement fait.
De telles activités pourraient faire partie d'un atelier de maths, les uns ayant à constituer une liste d'achats à partir de circulaires et de catalogues (en calculant le total prévu, les taxes, les réductions etc.), les autres ayant à les «passer au cash».
Ça ça serait peut-être un objet, que on comprendrait ben. Moi je sais ben que ça m'aiderait beaucoup. La caisse, oui.
Je suis pogné, là. Moi en tant que tel, un gars qui m'engagerait, faudrait que j'y dirais. C'est parce que là, c'est moi qui mangerait la claque. J'y dirais:
C'est ben de valeur. Moi je suis un gars de 14 ans de métier. Tu m'engages. Correct. Moi je veux être rien que cordonnier.
Mais là c'est certain qu'i voudrait me donner les responsabilités. Mais moi si je dis que je veux pas en prendre, m'as baisser de salaire officiellement.
Moi là, quand c'était la mienne, je l'opérais comme je voulais. Je savais j'étais qui, je savais c'était qui qui était là, c'est moi, c'était moi. Celui-là des autres, c'est celui-là des autres. C'est pas pareil. Lui i va me dire fais-ci, fais-ça, c'est de même. Moi je fais de ce façon-là.
Faire une liste des opérations de papiers qui interviennent dans un commerce
(en fait tout ce qui vient autour des tâches manuelles dans une job) et faire des unités d'apprentissage papier par papier
Par exemple un restaurant, ou un magasin d'articles de sport, l'idée étant que pour plusieurs ce ne sont pas les tâches manuelles mais les opérations paperassières qui posent problème:
Idéalement, avec la collaboration du groupe, il y aurait moyen de simuler un commerce
(exemple, monter une fausse épicerie à partir d'emballages que le monde nous garderait).
Ça faisait trois quatre jours que je le voyais, pis i me regardait tout le temps. Je lui ai dit:
- T'as-tu quelque chose à me dire?
I disait non. Tout d'un coup, i était assis dans un coin, i regardait ses feuilles, là, puis i était piteux, i était triste. J'ai dit:
- Qu'est-ce que t'as?
Sur le coup i a pleuré. J'ai demandé:
- Pourquoi tu pleures?
- I dit, je suis pas capable de remplir ces feuilles-là.
Là je me suis assis à côté de lui, pis, là je montre ça. J'ai dit:
- C'est ça, le lavabo, c'est ça, tu laves ça, tu sais.
Lui i comprenait pas ça. À force d'y montrer lettre par lettre, disons, a,b,c,d,e, c'est de même qu'i l'a appris. Moi j'ai dit:
- Si tu veux te donner une affaire, mets-toi les lettres, disons lavabo, mets un a sur lavabo, le bain, tu mets un b, le plancher, tout ça, de même.
I a fait ça pis ça a donné un bon coup de main.
Chez Normandin, l'inventaire était facile à faire (fallait cocher), mais pour une livraison, il était pas capable, fallait écrire les mots. Il allait voir son beau-frère pour qu'il le fasse; il pense qu'aurait pu apprendre à le faire, mais personne ne lui montrait; en ce moment il serait capable mais y aurait des fautes et il donnerait pas ça à un patron, mais à un gars de même, oui.
Tout les écrits que moi j'ai dans mon travail, ok, c'est écrit surtout en chiffres. [] Je faisais des tickets avec les prix, je séparais en deux, une moitié à lui, une moitié à moi. Si i me demandait un reçu, si c'était un gars du gouvernement, [], je le virais à l'envers, je pognais l'étampe, floc. Je signais mon nom en haut.
Travailler les annonces classées et faire l'apprentissage de la lecture de base
Notamment dans la section logement à louer.
Même à la base, les annonces classées sont utilisées, mais les personnes ne savent pas s'en servir. Il y aurait moyen d'étudier la classification des annonces classées, tout en apprenant l'ordre alphabétique, et de faire un relevé en groupe des mots qu'on trouve à la section logement pour apprendre peu à peu à les décoder. Je ferais cela par exemple en février pour que par la suite les personnes qui déménagent puissent utiliser ça dans leur recherche de logement. Ensuite, c'est à greffer à la connaissance de la ville, de ses quartiers et de ses rues.
Ce serait particulièrement approprié au groupe de base qui a plus de difficulté à suivre une phrase toute faite mais qui peut repérer des mots connus dans une masse inconnue.
Et ça c'est immédiatement utile dans la vraie vie.
Oui. Pour moi, pour moi que j'ai besoin d'aide parce que, pour me trouver un, comme me trouver un loyer, là, [je suis pas capable ] comment la femme me donne l'adresse au téléphone, je suis pas capable d'écrire l'adresse. Comment j'écrirais, je sais pas où me rendre, l'adresse. Parce que je sais pas même est où. C'est ça mon problème. C'est un gros problème pour moi, ça. Ça me bâdre beaucoup dans ma vie, ça.
Lire le journal au moins une fois par semaine en classe
C'est le Journal de Québec qui est parcouru en général. J'en ferais une activité de vérification hebdomadaire des apprentissages et de leur évolution. Cela implique d'apprendre peu à peu comment est fait un journal, quels sont ses repères, ses ressources (ex. cinéma, télé, horoscope, météo) et d'agrandir son terrain. Vérification faite, je ne trouve pas le Journal de Québec si facile à lire que ça. Y aurait-il moyen d'aller à ce Journal les sensibiliser à des choix de titres faciles à lire (exemple avec des syllabes simples)? D'autre part pour les personnes qui s'y retrouvent bien, je suggère de leur faire découvrir le Soleil, voire le Devoir ou la Presse, question d'augmenter la culture générale.
Publier une feuille avec les manchettes de la semaine en langage très simple
Dans cet esprit si on confiait aux uns la lâches d'écrire une liste hebdomadaire des grands événements de l'actualité à partir des journaux et des téléjournaux dans un français très facile et compréhensible, on aurait alors à la fois un exercice d'écriture et de lecture, et d'information générale. Je crois que cela serait très bon pour le groupe et rendrait justice aux efforts de certaines personnes pour comprendre ce qui se passe autour d'elles
Entraîner à l'usage d'une calculatrice pour les emplettes
(épicerie, achats)
Une partie de réserves autour du fait de faire soi-même son épicerie gravite autour de la peur de péter son budget et d'avoir l'air fou à la caisse.
Deux méthodes peuvent être utilisées pendant l'épicerie pour éviter cela: l'usage d'une calculatrice ou encore d'une méthode par chiffres arrondis.
Certains pensent qu'ils auraient l'air fou avec une calculatrice et qu'ils passeraient pour des ignorants. Il s'agirait de plaider qu'au contraire c'est une pratique de personnes éduquées qui ne jettent pas l'argent par les fenêtres.
Il y aurait moyen de s'entraîner à cela dans le groupe (voir cuisine collective), mais je recommande aussi qu'on trouve le moyen de procurer à chacun une calculatrice solaire simple et qu'on explique comment s'en servir.
Monter une unité d'apprentissage sur les heures et l'évaluation de la durée
Cela ne touche pas tout le monde, mais il y a des personnes dans le groupe pour qui ce n'est pas là et pour qui ce serait fort utile (même si elles se débrouillent quand même bien), mais à la condition l'apprentissage soit très très décortiqué.
Misère avec l'heure, les demi-heures, les quarts, les secondes, les miaules
Elle a beau de me le montrer, pis c'était écrit blanc sur le tableau. Je comprends pas. A dit:
- Si tu pars de chez-vous, pis tu commences à une heure et demie, faut que tu sois rendue icite pour une heure et demie...
Ben moi,je sais que je vas m'en aller vers, mettons, une heure et dix, pis une heure et vingt-cinq à peu près, je vas être arrivée. Moi je me dis, je me fie à l'heure. Les secondes, les minutes, quarante-cinq minutes, ces affaires-là, je les sais. Elle a beau les montrer, mais on dirait c'est peut-être pas assez encore, me montrer ça, là, c'est pas assez, les secondes, les minutes, là... Comme là i est deux heures, tu sais, je sais qu'i est deux heures, deux heures et dix, mais c'est que si que l'aiguille a s'en va icite, là, a a pus d'affaire là, là, je le sais pas. Mais et quart, et vingt, moins vingt-cinq, ça je suis correcte.
Si mettons qu'i est même pas encore et cinq, ben là je vas dire:
- I est quasiment et cinq, tu sais, i manque pas beaucoup, mais...
Mais elle a beau te le montrer, mais c'est dur. Je l'ai pas appris on dirait, que ça cette affaire-là, c'est comme je l'aurais jamais vu, depuis le temps que j'ai été à l'école, c'est bizarre, hein?
Mais je les compte pas mais je sais en moi-même. Mais faut pas que je m'arrête. Si je m'arrête, je me dis:
- Ça y est, je vas arriver en retard.
Mais quand je pars, je pars. Je me dis à moi-même:
- J'ai pas grand temps.
As-tu une idée par contre, pour prendre ça autrement, de combien de temps ça ta prend, bon, pour aller à l'école, par exemple, si je te le demande comme ça. T'as-tu une façon de me le dire?
Ben si je pars à et dix, j'arrive là à peu près à et vingt, et vingt-cinq. Mais je te dirai pas que je suis arrivée après et vingt, bon avant et vingt, c'est tout de suite et vingt, tu sais, c'est pas... Cinq minutes avant, cinq minutes après.
Tu vas à peu près d'une chose à l'autre. Ta t'arrêtes pas aux petits détails. Et puis si je te demanderais par exemple combien de temps ça te prend pour aller chez Héritage à partir d'ici, as-tu une idée, combien de temps ça te prendrait?
Héritage? Ça prend, quoi... Mon dieu seigneur, c'est à peu près quasiment la même affaire. À peu près parce que tu vois, une heure et dix, mettons mets une heure et quart, pis à deux heures moins dix, je me rends chez Héritage. Mais après ça quand que je sais que là je m'en vas faire quelque chose à l'épicerie, là je me dis:
- Là, i est trois heures et cinq, bon ben faut que je m'en aille. Parce que à trois heures et demie a finit, elle.
Ok. Alors avec ta façon de travailler le temps, es-tu en retard des fois ou tout est correct
Non, j'arrive pas en retard.
Ok. Si quelqu'un te donne un rendez-vous, tu vas être capable de...
Je suis toujours à l'heure. Oui.
Donc ça revient à dire que ta calculatrice elle marche!
Oui. Ah oui! Ça marche, ça, c'est certain. Mais un affaire, t'as un problème, c'est que, si t'as envie de séparer, de une tasse, une demi-tasse, un tiers, je suis pas là.
Ok. Quand tu fais la cuisine, comment tu fonctionne? Est-ce que tu peux prendre une recette pis la faire?
Oui. Mais i faut que j'ais une tasse qui marque exact parce que la tasse a marche pus, tu sais, ça a été changé hein? Bon ben là, moi j'ai ma tasse, pis de temps en temps je dis à André, c'est quoi ça, une demi-tasse, une tasse. Une tasse ça je le sais. Une demie, un quart. Un quart je le sais pas. Là i me dit:
- C'est là.
C'est correct. Pour faire, si je suis tout seule par exemple, je te garantis que je fais pas de gâteau.
Ah non?
Non parce qu'i sont pas mangeables.
Qu'est-ce qui fait que ça sa mange pas?
D'après moi, soit que j'ai mis trop de farine pis i est pas bon.
Expliquer aux gens du groupe la notion de plateau d'apprentissage et de déclic
J'ai donné cette explication à plusieurs personnes à qui ça a semblé faire beaucoup de bien en permettant de nommer des choses qu'elles ressentent.
Déclics et plateaux
Qu'est-ce qui me décourage, c'est parce que je suis trop lent. Normalement ce serait supposé sortir. Mais moi, je suis pas encore rendu là. C'est ça qui... ffu!
[pause]
T'as dû apprendre à aller à bicyclette quand t'étais petit? Te rappelles-tu qu'est-ce que c'était avant que ça roule?
Ouais. Mais je vas te dire une affaire: je me souviendrai tout le temps quand mon père m'a montré à tenir sur un bicycle. C'était pas drôle. Je faisais un coup par en avant, pis je breakais par en arrière. J'allais pas loin. Je tombais.
C'est la différence qu'y a avant que tu saches, pis à partir du moment que tu l'as su, là, comment ce que tu pédalais bien après, tu vois-tu qu'est-ce que je veux dire, là? Lire, c'est pareil, là. Tu vas faire des efforts pendant un an, peut-être pendant deux ans, je sais pas, ça dépend de chacun. Mais il va venir un moment où ça va décliquer. La minute que ça va décliquer, ça va aller très vite.
Ça là, qu'est-ce c'est que tu me dis là, là, le moment-là, ben j'y ai déjà goûté, mais juste sur le bord. Ça, ça m'a écœuré ben raide. Pourquoi? Ben ça m'est arrivé je pense c'est deux fois. I venait pis i partait. Ok? Mais je l'ai pogné une fois, juste sur le bord. Ça hostie, c'est fameux. Mais... non.
Prends ton temps, là, pis sois relax. Ça ça va venir. Si tu fais les efforts qu'i faut, là, à un moment donné ça va cliquer dans ta tête sur une affaire, ça va cliquer sur une autre, pis là tu vas avoir comme des morceaux qui vont venir clairs, là, pais pas longtemps après, ça va venir vraiment. Linda, là, quand elle est arrivée au groupe, elle est arrivée l'an dernier, ok? Donc, ça fait pas longtemps. Elle savait pas lire. Je sais pas si elle vous a conté ça, là.
Oui.
Pis tout d'un coup, là, elle ça faisait des années comme, je veux dire, comme tous les adultes qui arrivent là, là, que c'était le black total, là. Tout d'un coup, oup!, ça a décliqué, y a quelque chose, c'est un peu un mystère, hein, on sait pas toujours c'est quoi exactement qui déclenche. Chez toi, ça va être une affaire, chez un autre, ça va être une autre. La minute que ça a déclenché, là, après ça ça déboulait. Elle dit qu'elle rentrait chez elle, pis elle lisait chez eux, a faisait des exercices, elle en mangeait, tu sais, elle avait le goût. Mais, le temps qu'elle pogne le goût...
Qu'est-ce que elle elle a parlé,là, je l'ai pas encore pogné. La journée que je vas le pogner, c'est la journée que je vas faire qu'est-ce que elle elle a fait. Parce que si, là, comme je t'ai dit, je l'ai déjà goûté, mais juste sus le bord, juste pour m'écœurer, mais pas assez. Parce que s i je l'aurais pogné, pis sécure, là, comme on appelle, j'aurais fait en plein comme elle. Je pense que c'est la journée que je vas acheter le plus de magazines possible!
Qu'est-ce que tu fais comme lecture dans ta vie ordinaire?
Dans ma vie ordinaire j'en fais pas parce que c'est pas intéressant. Pour que ça devienne intéressant i va falloir que j'apprenne à lire pis à écrire. Bon. Ben i faut partir d'un départ. Ok? La journée que, comme je t'ai dit, la journée que je vas le savoir, c'est la journée que je...
Ta vas avoir du fun alors!
M'as regarder toutes les annonces de Bell, pis...[rires]
Avoir un suivi individuel des personnes dans le groupe de base
Tant que le déclic du décodage n'est pas fait
Les personnes du groupe de base vivent leur apprentissage très difficilement. C'est souvent associé à des difficultés personnelles très grandes avant d'arriver au groupe, ou encore très loin dans l'enfance, au moment où l'adaptation à l'école aurait dû se faire. L'expérience d'échec, d'être pas bon est très grande. C'est pourquoi je crois que ces personnes devraient recevoir une attention spéciale du groupe au moins jusqu'à ce que le déclic du décodage se soit fait, i.e. tant que la personne n'a pas appris à apprendre. Une rencontre individuelle par trimestre n'est pas suffisante, d'autant plus que les marches sont très petites à ce niveau et que de petits obstacles paraissent très grands. Je trouve que les rencontres que j'ai eues à ce niveau ont été particulièrement instructives et qu'elles ont permis de situer des pratiques déjà existantes des personnes sur lesquelles nous pourrions amarrer la suite. Autrement dit, il est absolument essentiel de démarrer les apprentissages sur du déjà familier, quitte à agrandir la marge de manœuvre ensuite. Je crois aussi que comme groupe nous devrions aller chercher tout ce que nous pouvons de formation didactique (sur la manière d'enseigner à ce niveau) pour compléter ce que nous faisons déjà.
Des fois je lisais, pis des fois ça avait pas de sens. Soit que je lisais trop vite pis que je me rappelais pus c'était quoi que je venais de lire. Mais y a des fois qu'y avait des mots qui m'apparaissaient que c'était ça, pis c'était d'autre chose. Mais pour moi, l'histoire venait changée pour moi, c'était pas comme c'était écrit. Ça fait que j'étais moins attiré à la lecture.
Mais moi ce qui me fait avancer vite, je vas te le dire, à l'écriture. C'est que moi j'y ai été avant. Mais vu que j'étais pas terrible, je m'apercevais que je poignais pas. Mais y a des affaires que j'ai gardées. Fait que quand que on a nos cours, toutes les affaires que j'ai appris pis que j'ai accrochées pis qui ont resté, i dégèlent toutes. Fait que là j'embarque vite. Comprends-tu qu'est-ce que je veux dire? Fait quand a me dit, on, ah, ça j'ai gardé ça. Ok? Ainsi de suite. Ou ben, pendant l'année que j'ai été icite, là, toutes les affaires que j'ai prises ailleurs i ont toutes dégelé par en arrière, sans le vouloir. C'est ça qui m'a aidé.
Tu es-tu en train de me dire que les premiers mois que tu vas avoir faits à Alphabeille, i vont t'avoir servi entre autres à dégeler ce que tu savais mais qui avait gelé?
C'est qu'est-ce que j'ai appris ailleurs pis que je me trouvais pas bon, je trouvais pas que ça avançait, que j'ai gardé, là , un peu, pas tout, vu que elle a m'apprenait, les affaires que j'avais appris ont toutes dégelé. Ah, c'est vrai, ça je sais tout, regarde donc ça, tiens, ça ça va avec ça, tiens. Ah oui!
Ah c'est bon! Tu te rends compte que tu savais des choses mais à une autre époque tu te trouvais pas bon donc tu les gardais pas. C'est ça?
C'est ça, c'est ça. Mais je les avais gardées pareil, là, tu sais, là, mais là, elle, vu qu'a me fait le cours, là, tu sais, tu dégèles, ah oui, ah oui, ah, c'est ça, oui c'est vrai. Ben oui, c'était de même que elle elle m'a montré ça, ben oui!
S'organiser pour que tout le monde ait pris au moins une fois chaque parcours principal d'autobus pendant l'année
La plupart n'ont pas d'auto. Par ailleurs leurs déplacements sont en général limités dans la ville. Derrière tout ça, la peur de l'inconnu. Ce n'est pas tout le monde qui prend l'autobus, et quand on le prend, c'est souvent des trajets fort limités. Il y a trois objectif s à poursuivre il me semble:
Elle est perdue dans la ville. Le secteur qu'elle connaît le mieux, c'est Duberger-Les Saules, le trajet du 84, une partie du trajet du 80. That's it. Alors pour aller visiter, elle appelle sa mère et y va avec elle en auto. Je lui montre une carte d'autobus, et je situe le quartier, les numéros d'autobus. De même je lui montre les agrandissements du centre-ville (en après-midi quand on prendra le 3, elle reconnaîtra très bien le cercle devant le Parlement sans aucune mention ou intervention de ma part). Je lui montre la rivière qui coule près de chez elle. C'est à trois minutes à pied, elle n'avait aucune idée que la rivière coulait là.
On a pris le 84, correspondu avec le 80, dont elle connaît le trajet jusqu'à un motel qu'elle connaît. On est descendues devant le Centre Durocher. Elle m'a expliqué que cela gênait encore plus d'avoir besoin d'explications sur la ville que de jaser en détail comme on l'avait fait chez elle le matin (plus tard je lui ai suggéré de se mettre dans la peau de quelqu'un qui arrive d'une autre ville qui se fait expliquer). Au Centre des femmes, on a été accueillies très bien. Elle a laissé son nom et son numéro de téléphone. On a regardé ensuite le genre de logements à louer qu'il y avait dans les rues. C'est trop sur le trottoir à son goût. Rendues devant chez nous, je l'ai invitée à monter une minute. J'étais gênée parce que c'était en désordre. Elle a été étonnée par la quantité de livres. Ensuite on a marché vers la bibliothèque, a demandé où était le lieu chez Lippens dont tout le monde parle au groupe. Je l'ai amenée voir, et là j'ai eu une bonne idée: elle avait regretté le matin ne pas savoir comment aller sur les Plaines, j'avais montré le chemin sur la carte, alors j'ai suggéré qu'on prenne le 3 et qu'on fasse le tour aller-retour vers le Vieux Québec, histoire qu'elle repère. Elle connaissait jusqu'au 30-60 en haut de la Couronne. Plus haut, elle n'était jamais allée seule ou en bus, seulement en auto avec des amis. Alors je lui ai montré la sortie pour Place d'Youville, le Parlement (c'est là qu'elle a reconnu le cercle), la sortie pour les Plaines, celle du Château Frontenac, etc. Elle avait peur de prendre trop de mon temps. J'ai dit que ça me faisait plaisir et que j'apprenais en faisant ça.
- Oui, elle a rétorqué, t'apprends à être guide.
Monter un guide d'autobus a partir de Vanier, par ligne et par centres d'intérêts
À cet effet, un guide, un plan avec des horaires, des repérages (entres autres des autobus qui passent à Vanier et de leurs arrêts), une orientation sommaire des principaux points d'intérêt de la ville, pourrait être utiles, et conduire à l'utilisation des horaires et plans de la CTCUQ.
Organiser des rallyes pédestres ou par autobus
Pour rendre tous ces exercices de déplacements et d'orientation plus intéressants, je crois que la préparation de rallyes est tout à fait indiqué. Par les entrevues je peux voir que la phase de préparation permet de généraliser des acquis pour certaines personnes. D'autre part pour m'être déplacée en autobus avec une des personnes, cela permettrait d'apprivoiser la ville et la lecture rapide des informations (on ne peut arrêter l'autobus). À cet effet je suggère entre autres d'organiser des rallyes sur une ligne d'autobus, i.e. sur un parcours circulaire (aller-retour) avec arrêt en un point, où il s'agirait d'observer et de noter des renseignements le long du parcours. Je me demande s'il ne serait pas possible d'obtenir la collaboration de la CTCUQ pour ça (dans le genre passes gratuites, voire même petit contrat), car il me semble qu'une fois le boulot fait, ça pourrait servir d'outil d'apprivoisement pour d'autres aussi. Des rallyes par quartier (ex. centre-ville, St-Sauveur, St-Jean Baptiste, Vieux Port, Vieux-Québec) seraient aussi indiqués. Tout comme des rallyes thématiques (ex. les statues de Québec, l'architecture, les églises, etc.). Dans le fond, en travaillant bien, on aurait même de quoi produire un petit livre.
Je ne saurais trop insister sur l'importance capitale de contribuer à élargir les horizons des membres du groupe. Plusieurs ne sont jamais allés seuls en Haute-Ville, etc. et rêvent sans trop y croire de pouvoir le faire. Il y a beaucoup de plaisirs gratuits à retirer de cette ville en autant qu'on l'apprivoise et il y a encore beaucoup à faire en ce sens.
C'est rare que je demande une information. Quand j'ai pas d'information, je reste icite, je sors pas.
Offrir un service de gestion budgétaire
Certaines personnes du groupe qui habitent seules sont particulièrement démunies sur le plan financier, surtout si elles ont développé des dépendances (alcool, cigarettes) coûteuses qui les amènent à contracter des dettes, à faire échanger leurs chèques par des personnes dont on ne peut pas toujours être sûr que le change est remis exactement. Certaines ne savent absolument pas compter et il n'est pas évident qu'elles y réussissent dans un avenir prochain. Par ailleurs le CLSC n'offre pas de service de gestion budgétaire. Le groupe peut-il vérifier dans quelle mesure il pourrait offrir ce service, ou encore trouver des bénévoles pour le faire? Pourrait-il aussi offrir de changer les chèques du monde. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais ce que je sais, c'est que 600$ d'un coup dans les mains de quelqu'un qui ne sait pas compter, ça file à toute allure. Est-ce qu'une collaboration avec la caisse serait possible pour ça? D'une façon générale la fin de mois est pénible, que pourrions-nous imaginer pour aider à ce qu'il se crée des habitudes d'en garder un peu pour ce moment?
Il m'a offert sa dernière cuillerée de café instant. Il ne lui restait plus pour nourriture que un pain au frigo, un pain au congélateur, une demi-douzaine d'œufs, un pot de beurre de peanuts. À six jours du chèque. Plus un sou en poche. Ça c'est régulier d'après ce qu'il me dit, pour la dernière semaine d u mois.
Il ne va pas à la caisse. Son chèque lui est échangé avec reçu pour le loyer de sa proprio. Il manquait cent dollars au change la dernière fois après recomptage par son voisin. Ouvert à l'idée que le groupe fasse l'échange des chèques et développe des outils pour administrer le budget. Quand il reçoit son chèque, après loyer et change, attend le lendemain (le jour même y a trop de monde) pour faire une épicerie de 4 vingt ou un cent. Rembourse ses dettes à sa mère, au magasin qui lui vend son tabac. Découvre avec surprise qu'il lui en coûte probablement autour de 80$ par mois en tabac (un paquet de tabac à rouler par 3 jours environ). Suggestion lui est faite de garder ses paquets vides dans le prochain mois pour savoir combien il en consomme. Ce qui veut dire que deux jours après le chèque, il ne lui reste probablement plus qu'environ 150-175$ pour finir le mois.
Organiser une caisse d'économie
L'aide sociale ne rend pas facile d'économiser, d'autant plus que les gens sont persuadés qu'ils n'ont pas le droit de le faire. Pourtant ce serait une manière pour le monde de se donner de la marge de manœuvre. Ce n'est pas une habitude facile à prendre. Est-ce que Desjardins ne pourrait pas nous aider à trouver une solution? Y aurait-il une façon d'en mettre de côté au début du mois de telle façon que ça rapporte?
Une piste: visionner la série Desjardins ensemble, avoir ensuite une discussion, peut-être avoir un invité des caisses
Autre piste: consulter l'ACEF de Québec
Cent piastres dans mes mains, ça brûle tout de suite.
Organiser un service de conseillance
J'ai acquis la certitude que certaines difficultés d'apprentissage des adultes du groupe sont directement reliées à des événements traumatisants vécus dans l'enfance (accidents, maladies, violence). Je crois comprendre que le fait de pouvoir faire le lien, de nommer les fantômes et de leur permettre de s'évanouir peut libérer des forces d'apprentissage non disponibles jusque là et faciliter des progrès. En fait je crois que c'est là que se situent nos meilleures chances d'efficacité avec les adultes parce qu'alors les personnes retrouvent leur intelligence intacte et peuvent ni plus ni moins rattraper le temps perdu. Alors que dans le cas de personnes dont je dirais que la difficulté est liée à une intelligence simple (i.e. pas intellectuelle), il n'est pas évident que nous réussissions là où la personne a bûché toute sa vie, à moins d'avoir tout à coup une recette d'enseignement fantastique. Dans ce deuxième cas, il me semble qu'il faut se poser des questions: rendons-nous service à la personne en la maintenant dans une voie qui n'est pas adaptée à elle et n'aurions-nous pas avantage à chercher comment la brancher sur une fonction sociale intéressante et utile mais qui tienne compte de ce qu'elle est? Dans le premier cas, quel genre d'écoute pouvons-nous offrir à la personne, dans quel contexte? Des fois je me dis que notre société devrait pouvoir remettre une partie de sa dette envers ces personnes en leur fournissant la même qualité de services psychologiques que des gens fortunés peuvent se permettre. Comment pourrions-nous faire avancer cette idée? Devrions-nous aller chercher des professionnels? Laissons-nous fonctionner l'entraide? Pourrions-nous former des gens du groupe dans les domaine de la psychologie et des relations interpersonnelles? Pourrions-nous réaliser cet objectif que chaque personne trouve la possibilité d'être écoutée une heure par semaine?
Pour moi je me sens démunie, je me sens... J'aimerais ça me sentir importante aux yeux du monde, Pour moi je me sens pas importante, je me sens ratée aux yeux du monde.
Si je suis négative de même c'est parce que j'ai jamais rien réussi dans ma vie. J'ai tout le temps eu plutôt des échecs. Je me suis tout le temps fait dire:
- Tu sais rien faire.
- Tu sais pas rien faire.
- Tu sais pas compter.
- Tu sais pas lire.
Ça i me l'envoyaient souvent dans la face.
Depuis que je suis au monde que je me sens retiré.
Organiser une rencontre des adultes ayant des enfants d'âge scolaire ou préscolaire sur le support aux enfants dans leur alphabétisation et leur scolarisation.
Dans la plupart des maisons visitées, il y a très peu d'écrits qui semblent visibles et disponibles. Il est connu maintenant que la culture écrite des parents influence le processus d'alphabétisation et de scolarisation des enfants. Ce qui vient naturellement aux parents très scolarisés n'est pas nécessairement évident pour des adultes qui vivent en dehors de l'écrit. Il y aurait moyen d'en parler avec les adultes parents du groupe et de proposer des trucs: lettres sur le frigo pour les tout-petits, importance des livres pour les enfants, collecte de livres usagés à leur intention, importance de raconter des histoires, de s'asseoir avec les enfants pour feuilleter des livres, développement de la gauche et de la droite, du raisonnement logique, importance de parler à ses enfants, de les imiter, et pour les plus vieux, réflexion sur le suivi scolaire, sur les obstacle posés par l'école, sur le solutions possibles.
La Petite arrive
La Petite: Allô.
La Formatrice: Salut!
La Mère:T'as connais?
La Petite: Oui.
La Mère: Ben oui, hein?
La Formatrice: Bonjour, ça va bien?
La Petite: Oui.
La Formatrice: Ton école est finie?
La Petite: Quoi?
La Formatrice: Je pense qu'elle est repartie.
La Petite: Quoi?
La Mère: Ton école est finie?
La Petite: Oui.
La Mère: As-tu apporté ton sac d'école?
La Petite: Oui.
La Mère: Ok.
La Petite: Je double.
La Mère: Hein? Tu doubles?
La Petite: Oui,
La Mère: Je le savais. A double. Parce qu'elle a beaucoup de la misère avec, c'est le français. La Formatrice: Son français?
La Mère: Oui. Elle aurait pu monter mais j'ai dit: «Non. Si vous la montez, ça va peut-être pas lui donner une chance.» Fait qu'elle est mieux de reprendre encore sa deuxième pis, ça va l'aider plus. Elle va travailler plus fort, par exemple.
La Formatrice: Elle est prête à le faire, par exemple, c'est ça?
La Mère: Oui, oui. Parce que là, i sont rendus, là, dans les... Eux-autres sont rendus à quatre chiffres. C'est là qu'elle a de la misère. I travaillent beaucoup avec ça mais elle a ben de la misère. Fait que c'est pour ça que, les maths, là, c'est pour ça qu'elle a de la misère à passer. Pis là j'ai dit: «Ma petite fille, tu faiseras pas ta première communion. Parce qu'i la font en troisième année. Fait que là j'ai dit, va falloir que tu forces encore un autre coup. Mais que tu tombes dans la deuxième, faut que tu travailles fort.»
Repérer et brancher sur une ressource les personnes du groupe qui ont un problème de solitude
Certaines situations dépassent nos compétences, mais il y a des personnes qui souffrent terriblement de solitude. Je crois qu'en mettant en œuvre les autres moyens discutés ici, on peut aider beaucoup, mais il serait bien que nous connaissions aussi quelles ressources sont disponibles (lieux de rencontre, parrainages possibles, etc.) pour répondre aux besoins de ces personnes.
Organiser une vidéothèque
La plupart possèdent et utilisent un vidéo, encore que ce n'est pas évident que la technique est assimilée. Les bandes vidéo ne sont pas nécessairement ni classées, ni même étiquetées. Par ailleurs, il pourrait être pas mal intéressant que les gens du groupe s'offrent le service d'enregistrer des émissions ou des films avec possibilité de se passer les bandes. Ce serait l'occasion de s'initier à la tenue d'un fichier (Hypercard idéal pour ça), d'apprendre le fonctionnement du magnétoscope, d'examiner des horaires télé, de discuter de choix de films, d'avoir un vidéothécaire, bref des faire plusieurs apprentissages autour de ce centre d'intérêt. Le groupe pourrait aussi investir dans une petite réserve de bandes vierges disponibles pour des occasions données. On a déjà la série de Graffiti, y a eu des cours d'alpha sur le câble, je crois, bref de toute façon, nous avons de l'ordre à mettre là-dedans.
Ce serait intéressant de voir comment elle pourrait se débrouiller avec un appareil neuf à partir des feuilles d'instruction (montage, fonctionnement, garanties); on pourrait organiser des ateliers là-dessus au groupe (p. ex. magnétoscope), i.e. quand on reçoit un appareil neuf, à partir du déballage jusqu'à l'entretien.
Exercer la lecture rapide
(En autobus, à la télé, sur ordinateur)
Pour plusieurs qui commencent à déchiffrer, il y a des situations où ça va trop vite. Exemple: les noms des rues dans un autobus. Ça pourrait s'exercer et rendre service à plusieurs, d'autant plus qu'une certaine vitesse de croisière est la clé pour comprendre ce qu'on lit et que c'est ce qui gène plusieurs personnes. Il y a des techniques de lecture rapide, et je crois bien qu'avec l'ordinateur, on pourrait même monter des exercices intéressants, ou encore en récupérer des déjà faits.
Fractionner les unités d'apprentissage
C'est une remarque générale: quand c'est trop difficile, c'est que nos unités d'apprentissage sont trop grandes, i.e. la marche est trop haute. Nous devons apprendre à fractionner les notions à faire passer en conséquence. Bien souvent nous prenons pour acquis qu'une chose est sue alors qu'elle ne l'est pas. Cela veut dire qu'il faut toujours toujours vérifier et prendre le temps de grimper les marches une après l'autre. En même temps je crois qu'il faut expliquer aux personnes pourquoi nous faisons les choses de telle façon ou de telle autre parce que souvent elles ont des idées toutes faites sur le chemin à suivre (par exemple qu'il faut apprendre les lettres une après l'autre) et qu'il vaut la peine que nous expliquions le chemin que nous suivons quand nous les déroutons.
Répéter et procéder lentement
J'ai entendu ce commentaire plus d'une fois. Un problème des personnes de groupe, c'est que l'école de leur enfance a été trop vite pour eux. Plusieurs ont besoin qu'on répète plusieurs fois et qu'on aille doucement. Ça ne veut pas dire de ne pas demander d'effort ou de donner ça trop facile parce qu'alors ça devient ennuyant. Ça veut dire de tenir compte que ce n'est pas tout le monde qui est à l'aise avec le rythme trépidant de notre société et qu'il peut être plus productif d'adopter un rythme plus lent, plus posé, comme dans la fable du lièvre et de la tortue. C'est du travail de tortue que nous faisons, et ça ne veut pas dire que nous n'arriverons pas avant le lièvre à la ligne d'arrivée.
Ça rentrait pas. Quand ça rentre pas, c'est dur pour la tête.
Elle nous l'a très bien expliqué. Mais on dirait, là, que c'est un blocage, je le sais pas. C'est pas parce que tu veux que, en tout cas y a des fois que j'ai vu, avoir assez mal à la tête, là.
Je suis meilleur à l'écrit. Elle va me le dire, là. Ça j'aime ça. De toute façon, moi je suis un gars qui est lent. C'est pour ça là-bas c'est pas vite, pis j'aime ben ça. Moi pousse-moi pas dans le cul, parce que c'est pas rien de bon. Quand c'est trop vite, c'est pas rien de bon. Quand elle répète mille fois, je vas être ben content, parce que je suis pas un gars qui est vite.
Partir des objets et des opérations habituelles de la vie courante
C'est la différence entre un poisson dans l'eau et un poisson hors de l'eau. Ça a l'air de rien, mais dans tous les cas, je suis arrivée à situer un certain nombre de pratiques d'écriture et de calcul déjà existantes dans la vie de la personne, et un point de blocage. Il me semble qu'il faut partir de là, et travailler peu à peu le blocage (ex. une façon de décompter son chèque d'aide sociale, le repérage d'appartements à louer, l'écriture de renseignements utiles quand on appelle pour un appartement, le calcul du temps quand on fait une recette); comme ça le train va s'amarrer direct sur la vie. Quand on aborde un sujet neuf, pourquoi ne pas demander à quelqu'un d'amener un objet de lecture qui a rapport à ça de chez, elle? Ceci dit, on est déjà un peu sur la voie car plusieurs personnes m'ont conté des choses qu'elles faisaient maintenant qu'elles ne faisaient pas avant: laisser un message, lire dans le journal, mettre des papiers au mur, signer un chèque, etc.
Organiser une fois de temps en temps un cours chez quelqu'un
Dans le même esprit, le fait d'être chez quelqu'un fait toute la différence. Les rapports ne sont pas les mêmes, l'inspiration n'est pas la même. Y a quelque chose qui ne s'explique pas mais qui se lit du lieu où est la personne. Alors ce serait génial de pouvoir transposer l'école à la maison une fois de temps en temps, autour d'un sujet qui s'y prêterait bien.
Encourager la recherche active d'une job en même temps que les personnes suivent des cours
Y a des personnes qui sont inquiètes du temps que ça va leur prendre pour passer au travers et qui aimeraient bien se retrouver sur le marché du travail, que ce soit dans un commerce, dans la couture, dans un bureau. Il faut garder ça vivant et refuser de jouer le rôle de parking, encourager les gens à se trouver de l'ouvrage, quitte à inventer des cours du soir. On pourrait aider les personnes à faire leur cv, à faire des listes d'emplois possibles et des listes d'employeurs, à envoyer des lettres d'offre de service, voire à se partir en affaire. L'école n'est pas une fin en soi et nous devrions nous en rappeler au moins une fois par jour. Nous travaillons avec des adultes qui ont le droit à leur dignité et à une place rémunérée dans la société.
Là je retourne aux études, parce que moi, je tiens pas à rester sur le B.S. De toute façon, j'ai déjà travaillé, j'ai déjà été apte au travail, tout ça, fait que, mais que je soye plus autonome, tout ça, là, j'aimerais mieux aller sur ma branche. Parce que même là, si je voudrais, je serais capable de retourner où j'ai travaillé.
Je vas être franche avec toi. Je suis pas intéressée à passer ma vie sur le bien-être sociale. Je veux avoir une job aussi. Je veux avoir un bon salaire. Être indépendante de moi-même. À un moment donné tu veux toujours avoir une certaine indépendance. Moi je suis une personne qui aime les belles choses. Je peux pas me les donner. J'ai pas le moyen de le faire. Je suis une personne, j'aime être très bien habillée, ben pas exceptionnellement, mais je suis une personne qui est fière de sa personne, je suis fière de moi-même. Mais y a des fois que je vais au centre d'achats pis y a ben des fois que je vois des choses pis je peux pas les acheter parce que j'ai pas les moyens de le faire. Y a ben des fois que ça coûte pas cher, des fois c'est une affaire qui coûte rien que 30$, mais je l'ai pas le 30$. Tu sais, à un moment donné, je veux pas toujours être sur le bien-être social. J'ai mon orgueil aussi. Moi ça me dérangerait pas le matin de me lever à 5 heures, pis commencer à 8 heures. Aller travailler. Parce que je sais que je vas avoir le cœur de le faire. Parce que je sais que mettons que je suis payée aux 15 jours, que au bout de 15 jours, la paie que je vas avoir c'est moi qui vas l'avoir gagnée.
Je vas te dire de quoi j'ai peur. J'ai pas peur d'attendre. Ce que j'ai peur, je vas te le dire. C'est que je suis rendu à trente ans. Pis pour travailler, là, c'est ben de valeur, mais c'est comme d'autre chose, niaise pas trop, je te parle si tu veux avoir de quoi de bon. M'as te dire une affaire, rendu à quarante ans, t'es []. C'est très dur, i te regardent de travers. À 18 ans t'es pas dur à placer. Tout le monde. Trente ans c'est pas pire. Mais à quarante pis quarante-cinq, je te promets pas que tu vas trouver. Moi j'irais à l'école à la journée longue, ça me dérangerait pas. Ce que je surveille d'un autre œil, c'est que là j'ai trente ans. J'ai appliqué icite à la Ville, à la ville de Québec comme main d'œuvre. Mais à quarante ans, là... C'est pour ça que moi, ça, là, je veux pas perdre de temps.
Faire faire à chaque personne son réseau social
Tout le monde sans exception a au moins un petit réseau, familial ou d'amis, même ceux et celles qui se disent seuls. Ça peut aider à voir clair de le mettre sur papier tout en étant un bon exercice d'écriture. Je crois aussi qu'il y aurait là matière à une autre petite recherche: vérifier quel est le degré de savoir-lire parmi les personnes énumérées, et qui sont les poteaux et les dépendants. Ce petit réseau peut devenir la base d'un carnet d'adresse, ou d'envoi de cartes de souhaits et autres correspondances.
Dans l'après-midi où j'ai été là, elle m'a montré les tourtières qu'elle faisait, m'a fait faire le tour de son logement, on a ensuite fait le boulot d'histoires d'aide, puis une entrevue ambulante, jusqu'à visionner une partie de l'émission les détecteurs de mensonge à laquelle elle est allée. Elle a écrit en se vérifiant avec moi une carte pour son fils, s'est préparée à partir pour la messe qu'elle servait à quatre heures. On a marché sous la pluie jusqu'à l'église, où on a revu Jacques Tanguay, et quelques personnes reliées au groupe (Myrtle, son mari, Marthe, Margot et Cécile). Pendant la messe elle suivait avec son Prions en Église. Après elle m'a amenée voir l'exposition sur la Bible dans une salle attenante, et surtout, une édition ancienne qui l'avait beaucoup impressionnée.
En passant, en me rendant chez elle, j'ai rencontré Jeanne d'Arc, André et Denise sur leur balcon, et Francis et Kathie avec leur petite fille, dans un parc. Bref, impression communautaire. Impression aussi que Alphabeille est en train de devenir un tricotage parmi le monde de Vanier. Intéressant.
Fixer avec chacun un objectif de nouveau comportement en dehors des cours
Dans l'idée de faire le lien groupe-maison, il pourrait être intéressant que chaque personne se fixe un objectif mensuel d'intégration d'un nouveau comportement de lecture, d'écriture ou de calcul à la maison. Il pourrait être intéressant de partir des blocages, ou encore des souhaits exprimés par la personne. Cet objectif pourrait être vérifié régulièrement et remplacé par un autre une fois atteint. Le fait que la personne se fixe elle-même un but, le plus réaliste possible, peut être une façon pour elle de prendre en charge encore plus sa formation.
Je le sais. On dirait que ça s'en vient. Je le sais pas ce qui se passe des fois. La minute que j'arrive chez nous, je sais pus rien.
Dans sa vie de tous les jours, il écrit des messages (ex. Nicole t'a appelé ce matin, la rappeler); il ne faisait pas ça avant, c'est la première fois qu'il fait ça.
Alors qu'en pensons-nous? Est-ce que ça sonne juste? Qu'est-ce que nous en retiendrons? Avec quoi sommes-nous le plus d'accord? Avec quoi sommes-nous le moins d'accord? Vers où cela nous conduit-il? Et maintenant chacune, chacun dans nos tâches, que voulons-nous nous donner comme priorités?
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