Note aux lecteurs(trices) : Dans le but d'alléger la lecture, le masculin est utilisé de manière neutre dans ce texte. Cependant, pour tenir compte de la réalité, nous avons préféré le terme "enseignante" lorsque nous désignons les personnes enseignant en alphabétisation.
Les outils andragogiques sur l'enseignement de la lecture sont encore rares au Québec. Le Guide de formation sur mesure en alphabétisation (MEQ, 1996) vise l'instrumentation de l'adulte et le développement de son processus d'apprentissage dans le cadre d'une formation intégrée et sur mesure; le choix des approches est laissé à l'initiative des enseignantes. Vous avez donc développé des stratégies d'enseignement à partir de votre expérience, de votre formation, de votre connaissance de la problématique de l'alphabétisation au Québec. Plusieurs d'entre vous déployez des trésors d'ingéniosité pour capter l'intérêt des adultes, présenter des situations intéressantes de lecture, bref susciter le goût de la lecture.
Mais les défis sont nombreux et de taille. En général, les adultes inscrits en alphabétisation lisent peu en dehors des cours, semblent passifs dans les situations d'apprentissage, décodent péniblement les textes sans les comprendre. Pour eux, la lecture est souvent synonyme de difficulté, d'ennui, de passage obligé vers les études, de passeport vers la "normalité". Par ailleurs, les cours d'alphabétisation offerts dans la région de Montréal rejoignent en majorité des personnes allophones, ce qui complexifie les interventions et demande d'adapter davantage l'enseignement. Enfin, les journées de perfectionnement à l'éducation des adultes sont rares, sinon inexistantes: les occasions d'échange entre le personnel enseignant diminuent d'autant. Alors, comment améliorer ses pratiques d'enseignement de la lecture? Comment adapter l'enseignement lorsque les approches et le matériel de lecture sont généralement conçus pour les enfants? Comment tenir compte de la diversité culturelle? Comment choisir des activités cohérentes avec sa conception de l'enseignement? Quand les adultes en formation préfèrent un enseignement traditionnel, basé sur ce qu'ils conçoivent du rôle de l'école, comment les gagner à d'autres approches?
C'est en partie pour répondre à ces questions que la Table de concertation en alphabétisation de Montréal a produit le présent document sur l'enseignement et l'apprentissage de la lecture en alphabétisation. Notons que nous parlons dans ce module des adultes qui lisent peu ou avec difficulté, que ce soit en français ou dans une autre langue; nous n'abordons pas la situation des adultes allophones qui sont déjà lecteurs dans leur langue maternelle. Le but de ce module est de contribuer à améliorer l'enseignement de la lecture, à diversifier les pratiques en classe et ultimement, à participer au progrès et à la réussite des adultes inscrits en alphabétisation.
Ce document s'adresse en priorité au personnel enseignant, dans une perspective d'autoperfectionnement. Il vous permettra notamment de faire le point sur les éléments suivants :
Parallèlement à ce processus de réflexion, nous vous soumettons une approche de l'enseignement de la lecture en alphabétisation qui s'inscrit dans une perspective de développement culturel et social et qui s'appuie sur les principes suivants :
Le document comporte trois sections :
Réfléchir sur la lecture
Enseigner à lire de façon stratégique
Favoriser des situations de lecture signifiantes et fonctionnelles
La première présente quelques réflexions générales sur la lecture, son enseignement et son apprentissage, puis décrit l'approche que nous proposons. Nous définissons ce qu'est lire et apprendre à lire, nous décrivons certaines caractéristiques des adultes inscrits en alphabétisation, puis nous précisons certains aspects qui touchent l'enseignement de la lecture en alphabétisation. La deuxième section présente les façons de développer un comportement stratégique face à la lecture chez les adultes en formation. Nous y définissons la nature et la fonction des stratégies, puis nous expliquons des moyens d'intégrer les stratégies de lecture à l'enseignement. Enfin, la dernière section commente les étapes conduisant à la mise en place de situations signifiantes et fonctionnelles de lecture en classe : préciser les intentions de lecture, rechercher des textes authentiques, se mettre en situation de lecture, adapter les activités de lecture et enfin, exploiter ces activités.
Bien que le comportement stratégique d'un lecteur se développe au contact répété de situations de lecture signifiantes, nous avons jugé bon de distinguer ces deux aspects. L'enseignement d'un comportement stratégique en lecture est, à notre avis, une des conditions essentielles pour assurer les progrès des adultes inscrits en alphabétisation. Comme cette approche de l'enseignement est relativement nouvelle, nous avons choisi d'en faire le sujet central d'une section du document, la deuxième. Par ail leurs, signalons que la pratique évaluative, si elle n'a pas fait l'objet d'un traitement distinct, est implicite dans l'ensemble du document.
Chaque section du module est découpée en subdivisions. Au début de chacune, nous vous proposons des "Pistes de réflexion" pour vous aider à faire le bilan de votre pratique et, le cas échéant, vous auto-évaluer. Naturellement, ces pistes servent à nourrir le processus d'auto-perfectionnement; il ne s'agit aucunement de vous juger et de distinguer les "bons profs" des "mauvais". Vous pouvez utiliser individuellement ces "Pistes de réflexion" ou encore les soumettre à votre équipe de travail pour fins d'échange et de discussions. De plus, chaque subdivision fournit des "Suggestions de travail" qui illustrent l'approche par des activités à faire en classe. Si chaque activité est associée à un aspect du module, rien ne vous empêche de l'utiliser à d'autres étapes de votre enseignement. En fait, ces suggestions sont des sources d'inspiration qu'il s'agira d'adapter aux intérêts et aux caractéristiques des adultes de votre classe.
Comme vous pourrez le constater, nous ne traitons pas, dans ce module, d'activités liées à la grammaire, l'orthographe ou la syntaxe. Bien que les activités de ce genre occupent une place importante dans l'enseignement du français, elles réfèrent davantage à des compétences en écriture. Si on fait systématiquement ces activités à la suite des lectures, celles-ci risquent de devenir des prétextes à des enseignements sur la langue, plutôt que des exploitations axées sur la satisfaction d'une intention et la recherche de sens. C'est pourquoi nous avons davantage misé, pour améliorer la compétence en lecture, sur les situations signifiantes et l'utilisation de stratégies efficaces.
Le document peut paraître volumineux au premier abord, considérant que c'est un outil d'auto perfectionnement. Cependant, il a été conçu de manière à pouvoir être utilisé de façon sélective. Ainsi, vous pouvez lire uniquement une section que vous voulez approfondir, individuellement ou en équipe, et revenir plus tard à la lecture des autres parties du module. Par ailleurs, afin d'alléger la lecture, nous avons évité la surcharge des références théoriques dans le texte. Nous avons cependant mis en évidence de nombreuses citations qui sont autant de clins d'œil et d'invitations à de futures lectures. Vous trouverez à la fin du document une liste des ouvrages consultés pour la rédaction de ce module.
Bref, ce document est un outil de perfectionnement parmi d'autres: il n'apporte pas toutes les réponses et ne constitue pas un livre de recettes à appliquer mécaniquement. Il aborde notamment des notions qui auraient demandé un traitement bien plus approfondi. Cependant, dans une perspective de formation continue, nous espérons qu'il stimulera la curiosité, donnera un souffle nouveau à la pratique de l'enseignement de la lecture en alphabétisation, favorisera des débats d'équipe ou d'autres lectures sur le sujet. Comme toute bonne lectrice, c'est à partir de vos intérêts, de vos intentions de lecture, de vos connaissances et de vos expériences, que vous allez traiter l'information de ce document et en tirer, nous l'espérons, le meilleur parti possible. Bonne lecture, pour vous et pour ces adultes avec qui vous travaillez!
D'une voix d'abord incertaine, il annone les deux syllabes, séparément : «ma-man.»
Et, tout à coup:
—Maman!
Ce cri de joie célèbre l'aboutissement du plus gigantesque voyage intellectuel qui se puisse concevoir, une sorte de premier pas sur la lune, le passage de l'arbitraire graphique le plus total à la signification la plus chargée d'émotion! Des petits ponts, des boucles, des ronds. ..et... maman![...] une transmutation magique, infiniment plus parlante que la plus fidèle des photographies, rien que des petits ronds, pourtant, des petits ponts... mais qui ont soudain —à jamais!— cessé d'être eux-mêmes, de n'être rien, pour être cette présence, cette voix, ce parfum, cette main, ce giron, cette infinité de détails, ce tout [...] si absolument étranger à ce qui est tracé là, sur les rails de la page, entre les quatre murs de la classe...
La pierre philosophale. Ni plus ni moins.
Il a découvert la pierre philosophale.
Pennac, 1992, p. 42.
Les contextes sociaux dans lesquels s'exercent les activités de lecture et d'écriture dépendent des diverses sociétés et ont évolué avec le temps. Comme d'autres activités culturelles, les façons de lire et d'écrire se transmettent de génération en génération. Elles sont réorganisées et réinventées par chaque nouvelle génération. Il nous faut donc adopter un point de vue relativiste et situé dans une perspective historique.
Barton, 1990, p. 176.
Qu'est-ce que lire? Question à la fois simple et complexe. Question que nous ne prenons plus guère le temps de nous poser comme enseignantes, entraînées par le tourbillon incessant de notre travail quotidien. Pourtant, les réponses, implicites ou explicites, que nous donnons à cette question correspondent à notre conception de la lecture et orientent, par conséquent, notre enseignement et nos choix andragogiques. C'est pourquoi nous vous soumettons ici quelques réflexions qui décrivent tour à tour un aspect de l'acte de lire. Ces aspects sont interdépendants et forment un ensemble cohérent. Pour chacun d'eux, nous mettons en évidence certaines caractéristiques liées à l'apprentissage de la lecture.
La lecture est d'abord et avant tout une recherche, une construction, une élaboration de sens. C'est un moyen de réaliser un projet, de répondre à des questions, de passer un moment agréable, d'enrichir nos connaissances. Lire constitue donc un projet lié à une signification, à une intention particulière. La liste de mots qui suivent: "Nathalie", "mange", "voyage", "le", "du", "docteur", "chante", n'est pas une lecture dans la mesure où elle ne permet aucune reconstruction valable de sens. Décoder un texte écrit en espagnol n'apporte rien à quelqu'un qui ne connaît pas cette langue. Pour lire, le lecteur ne déchiffre pas toutes les syllabes ni tous les mots du texte. Sa perception visuelle l'amène à reconnaître des mots et des groupes de mots globalement; il se sert alors des formes graphiques (les lettres, les sons, les syllabes) comme des indices, des points d'appui pour nourrir sa compréhension (Giasson, 1994). Le sens guide toujours la lecture: il s'élabore, se précise et se transforme en fonction notamment des intentions du lecteur et de ses connaissances antérieures. Chaque mot écrit fait partie d'un ensemble et trouve sa signification particulière en fonction du contexte, de la syntaxe et de l'organisation du texte. Le mot " bateau" n'a pas le même sens si on lit : "J'ai manqué le bateau", que si on lit : Le bateau a coulé en mer avec tous ses passagers".
Apprendre à lire, c'est apprendre peu à peu à considérer l'écrit comme une source potentielle de signification. C'est apprendre à porter toujours plus d'attention au sens du texte qu'aux formes graphiques du code. Apprendre à lire, c'est apprendre à chercher des réponses à ses questions, c'est être à la recherche d'un résultat. Si nous savons lire aujourd'hui, c'est en partie parce que nous avons appris à chercher du sens dans nos lectures et que nous avons trouvé nos propres raisons de lire.
En lisant, le lecteur ne reçoit pas de façon passive une information révélée entièrement et uniformément par un texte. Au contraire, le lecteur est très actif dans le processus de lecture; il interprète l'information et la comprend à la lumière de ses connaissances antérieures (Tardif et Gaouette, 1986d). Tout texte n'est donc pas compris de la même manière par tous les lecteurs, puisque chaque individu réagit à l'information transmise selon son bagage cognitif et l'état de ses connaissances, de son vocabulaire, de sa compréhension du monde, etc. Les connaissances antérieures jouent donc un rôle de premier plan dans la compétence du lecteur (Brown, 1980). Un texte complexe sur les mathématiques peut être compris par un expert et indéchiffrable pour un novice. Aussi, il est utile d'avoir quelques notions de hockey et de savoir comment on désigne familièrement les personnes originaires du Lac Saint-Jean pour comprendre la manchette suivante: «Encore une victoire de la Sainte Flanelle; le Bleuet a le vent dans les voiles». Le traitement de l'information suppose pour le lecteur un travail cognitif intense, une anticipation et une vérification du sens en utilisant ses connaissances et les indices graphiques du texte; il trouve le sens implicite du texte, complète les informations manquantes, relie les informations entre elles. C'est par la qualité et le dynamisme de ce traitement de l'information que le lecteur retire quelque chose de sa lecture (Tardif, 1992).
Devenir lecteur, c'est apprendre à faire le lien entre ses connaissances antérieures et les informations que contient le texte pour en tirer une signification. Cela suppose un état de présence active du lecteur, l'activation de ses connaissances antérieures, la mise en branle d'un ensemble de processus cognitifs qui serviront à traiter les informations du texte.
L'écrit est un mode d'expression et de communication, au même titre que la communication orale. Cependant, bien qu'il utilise les mêmes mots de la langue, les mêmes règles générales de syntaxe, le monde de l'écrit n'est pas une transposition de l'oral. Il répond à une série de conventions qui lui sont propres. À l'oral, les phrases ne sont pas toujours complètes, les mots se déforment à l'usage; on s'appuie sur des mimiques, des gestes, une intonation pour rendre le message plus explicite à l'interlocuteur. Les personnes se voient ou s'entendent; elles peuvent réagir l'une à l'autre puisque la situation de communication est immédiate. Le langage écrit n'utilise pas de supports visuels ou auditifs; la syntaxe se doit d'être plus précise, la pensée plus claire, les descriptions plus détaillées. La communication est à sens unique puisque le lecteur ne peut dialoguer avec l'auteur; l'écrit est en ce sens décontextualisé. Puis, comme on le dit souvent : «Les paroles s'envolent, les écrits restent...». L'écrit permet la conservation et la transmission du savoir, des connaissances et des expériences au-delà du temps présent. L'écrit permet aussi de sortir de l'immédiateté et d'organiser le quotidien (liste de choses à faire, mémos...), de structurer le temps (agenda, calendrier...), d'élargir le cercle de ses connaissances (par la correspondance). À l'aide de l'écrit, on prend davantage de recul face au temps présent, on peut analyser, faire des généralisations, créer et utiliser des concepts.
On apprend à lire en se familiarisant avec la structure et les formes de langage propres à l'écrit, en s'appropriant un autre mode d'expression et de communication. Apprendre à lire, c'est graduellement sortir de la tradition orale, de l'immédiateté, de la convivialité pour pénétrer dans un univers plus organisé, plus conceptuel et plus abstrait.
Lire est un tout cohérent et organisé; ce n'est pas une addition d'habiletés distinctes que l'on peut enseigner de façon isolée et hiérarchique. Toutes les habiletés (décoder le son "on", connaître les signes de ponctuation, savoir que le survol est une stratégie de lecture, etc.) doivent être en interaction simultanée entre elles pour constituer l'acte de lire. Lorsqu'on lit, on exerce une compétence dans sa globalité; la compétence se manifeste, entre autres, dans le résultat de la lecture. Grâce à une lecture, on a pu faire cuire un gâteau, assembler une table de modèle IKÉA, connaître les résultats d'un match de hockey, passer trois heures de transport plus agréable, réaliser une recherche. Comme toutes les compétences, la lecture devient de plus en plus efficace en la mettant en pratique, comme c'est le cas, par exemple, pour le ski, la photographie, la bicyclette.
La reconnaissance de la lecture comme compétence se traduit dans les recherches récentes sur l'analphabétisme. Depuis quelques années, on mesure directement les capacités de lecture des adultes au moyen de documents authentiques que l'on trouve au travail ou dans la vie de tous les jours. Dans une enquête internationale, à laquelle le Canada a participé, la littéracie désigne un vaste éventail de capacités permettant «...d'utiliser des imprimés et des écrits nécessaires pour fonctionner dans la société, atteindre ses objectif s, parfaire ses connaissances et accroître son potentiel.» (OCDE et Statistique Canada, 1995, p. 16.) Ce type d'enquête a permis de constater que la fréquence et la variété des pratiques de lecture à la maison, au travail et dans les loisirs pouvaient grandement améliorer les capacités de lecture des personnes.
On apprend donc à lire parce qu'on lit. Plus on exerce ses habiletés dans diverses situations, avec des textes de contenus et de formats variés, plus on développe sa compétence de lecteur. On apprend davantage à conduire une auto sur la route qu'en prenant uniquement des cours de conduite. Notre compétence en lecture s'explique peut-être davantage par tous les documents que nous avons lus que par les enseignements reçus à l'école.
Plusieurs facteurs influencent la compréhension en lecture: le niveau de lisibilité du texte, le sujet traité, la motivation et les intérêts du lecteur, son niveau de connaissances par rapport au sujet, son intention de lecture, etc. On peut regrouper ces facteurs selon trois dimensions étroitement liées : le lecteur, le texte et le contexte (Giasson, 1990).
Le lecteur utilise les connaissances sur le monde et sur la langue qu'il a développées tout au long de sa vie pour gérer sa compréhension en lecture. Des recherches ont démontré que les connaissances antérieures du lecteur sont déterminantes pour la compréhension en lecture (Brown, 1980). Par exemple, on a fait lire un texte sur le baseball à des lecteurs faibles et avancés; certains connaissaient bien le sujet, d'autres, non. La compréhension du texte a été beaucoup plus grande chez ceux qui connaissaient le sujet, même s'ils étaient plus faibles en lecture. La compréhension est aussi influencée par les sentiments du lecteur et ses expériences par rapport au sujet traité. Par exemple, la lecture d'un texte sur la vie de famille ne sera pas interprétée de la même manière par une personne qui connaît une vie familiale perturbée que par celle qui a une vie familiale heureuse. Les goûts et les intérêts du lecteur influencent aussi sa lecture. On retient beaucoup mieux ce qui nous semble intéressant, utile et pertinent. Ces intérêts et ces préoccupations évoluent : par conséquent, nos goûts pour la lecture changent.
Le lecteur est placé en situation d'interaction avec un texte. Son degré de compréhension dépendra entre autres du sujet du texte, du degré de lisibilité, du vocabulaire et des concepts utilisés, de la syntaxe et de l'organisation du contenu. Pour comprendre un texte, il faut que son contenu nous sort en grande partie familier. S'il traite d'un sujet complètement inconnu, il sera difficile à comprendre, même si nous sommes de bonnes lectrices. Pour sa part, un texte qui ne nous apprend rien de nouveau n'offre aucun intérêt.
La lecture est aussi influencée par un contexte. Le contexte comprend les conditions psychologiques, physiques, matérielles et sociales dans lesquelles se trouve le lecteur lorsqu'il entre en contact avec le texte. Le contexte psychologique désigne l'intention du lecteur, sa motivation à lire. L'intention de lecture oriente beaucoup ce qu'on retient d'un texte. Par exemple, on a fait lire à deux groupes de personnes la description d'une maison en demandant à un groupe de se considérer comme des acheteurs éventuels, à l'autre comme des cambrioleurs. Les informations retenues par chacun des groupes furent sensiblement différentes en fonction de leur intention de lecture. La lecture est aussi influencée par l'environnement physique (l'atmosphère, la température, la qualité de reproduction du texte...) et par le contexte social (l'attitude positive ou négative des personnes présentes, l'aide reçue ou non pendant la lecture...). La lecture s'inscrit aussi dans un contexte social plus large; c'est ce que nous décrivons au point suivant.
On apprend donc à lire en créant chaque fois une interaction dynamique et positive entre un lecteur, un texte et un contexte. La qualité de la compréhension et de la rétention du lecteur est le fruit de cette interaction. Si un des maillons de la chaîne est plus faible (pas d'intention de lecture, un texte trop difficile, un sujet trop complexe ou inintéressant, un lecteur peu motivé, une atmosphère perturbée), le résultat de la lecture en sera affecté.
Les pratiques de la lecture diffèrent selon les époques, les pays, les classes sociales. Dans le Québec des années trente, les pratiques de lecture étaient davantage réservées à certaines professions libérales, aux activités liées à la vie religieuse ou scolaire. Les livres et les journaux étaient moins nombreux et moins disponibles; les feuillets publicitaires n'étaient pas chose courante, de nombreux emplois ne requéraient pas ou peu de compétence en lecture. Les pratiques de lecture se sont diversifiées et complexifiées depuis. L'écrit est maintenant omniprésent (sur les affiches, dans les stations de métro, dans les kiosques de revues et de journaux, par le courrier, au travail, sur Internet). Le niveau de scolarisation de la population est en général plus élevé et les exigences en matière de qualification de la main-d'œuvre sont de plus en plus grandes.
Si les pratiques de lecture varient selon les époques, elles varient aussi selon les classes sociales d'une même société. La lecture est une activité importante et nécessaire pour ceux qui sont plus scolarisés, qui s'en servent dans leur travail et qui, chaque jour, en constatent l'utilité. Dans certains milieux, la lecture est aussi une habitude bien ancrée : on achète des livres aux enfants dès leur plus jeune âge, on leur lit des histoires, on s'abonne à la bibliothèque. Dans d'autres, la lecture n'est pas une activité aussi diversifiée et valorisée. La communication orale, les contacts directs et conviviaux sont davantage privilégiés. Dans les milieux populaires, la lecture est souvent considérée comme une activité réservée à des fins utilitaires ou pour les besoins du travail : circulaires, formulaires de demande d'emploi ou d'aide sociale, bons de commande (Wagner, 1984). En général, les personnes issues de ces milieux connaissent davantage de périodes de chômage et d'assistance sociale que celles qui viennent de milieux plus favorisés; le fait d'être moins actifs dans la société diminue les occasions et les motivations à lire (Foucambert et Chenouf, 1989). Il est aussi plus difficile de s'évader dans la lecture d'un roman lorsqu'il n'y a plus rien à manger à la maison ou qu'il faut prendre soin de trois jeunes enfants...
Les pratiques de lecture varient aussi selon les pays en fonction de plusieurs éléments. Elles deviennent plus diversifiées et plus étendues avec l'augmentation du taux de scolarisation de la population, le développement de l'industrialisation et de l'infrastructure de communication, des conditions politiques favorables à la démocratie, la disponibilité et la quantité du matériel écrit, etc. Les résultats de l'Enquête internationale sur la littéracie (OCDE et Statistique Canada, 1995), illustrent les différences de capacités et d'habitudes de lecture en fonction des conditions historiques de chaque pays.
L'apprentissage de la lecture est donc influencé par le contexte familial et social. On apprend à lire par imitation, en observant des personnes de notre entourage se passionner pour la lecture, lire régulièrement les journaux, utiliser l'écrit à des fins diverses. On apprend à lire plus facilement lorsque cette pratique est valorisée et encouragée dans l'entourage familial. Enfin, on lit plus régulièrement lorsqu'on est sollicité socialement pour le faire, au travail, dans les loisirs, dans les groupes de la communauté.
En résumé, ces différentes façons de décrire l'acte de lire nous rappellent ce qu'est la lecture :
Ces réflexions nous amènent à revoir la façon dont nous favorisons l'apprentissage de la lecture en classe avec les adultes en formation. Est-ce que nous mettons en place des activités signifiantes de lecture, motivées par des intentions réelles? Est-ce que nous tenons compte des connaissances antérieures des adultes en formation dans le choix des textes? Est-ce que nous leur fournissons les outils nécessaires pour qu'ils puissent traiter efficacement l'information? Est-ce que nous discutons avec eux des fonctions et de l'utilité même de la lecture?
Par ailleurs, ces réflexions nous amènent peut-être à relativiser notre rôle dans le développement de la compétence en lecture. En effet, le temps passé en classe n'est pas le seul facteur de réussite de l'apprentissage de la lecture, bien qu'il constitue le cœur de notre intervention. D'autres facteurs facilitent l'apprentissage et l'utilisation de la lecture : des pratiques variées et régulières en dehors d'un cadre scolaire, l'exemple d'un milieu social qui utilise régulièrement l'écrit, des conditions (le fait d'avoir un emploi, de participer à des activités sociales) qui favorisent une pratique plus régulière. Tout en ayant peu de prise sur ces variables, nous devons en tenir compte pour maximiser les chances de succès et pour favoriser le transfert des apprentissages.
Des recherches en éducation reconnaissent que rengagement et la réussite dépendent fortement de l'attitude des apprenants envers la matière à apprendre. On sait par expérience que les adultes inscrits en alphabétisation ont souvent une vision négative ou utilitariste de la lecture. Il est donc important d'aborder les finalités de la lecture pour contrer les idées préconçues des adultes en formation et accroître leur engagement et leur motivation. On peut le faire en initiant une discussion sur les fonctions de la lecture avec les adultes du groupe. Ce débat permettra de connaître leurs perceptions à l'égard de la lecture et de les aider à déterminer leurs propres motifs de lecture. Cette activité peut être faite lors des premières rencontres avec le groupe; elle peut aussi servir de déclencheur lorsque les adultes hésitent à participer à des situations de lecture signifiantes. La discussion est un moyen de leur rappeler la finalité de leur apprentissage et de les convaincre que c'est par l'utilité des lectures faites en classe qu'ils favoriseront le transfert de nouvelles connaissances dans leur vie.
Durant une période de remue-méninges, posez les questions suivantes:
Inscrivez au tableau les interventions telles qu'elles sont formulées, par exemple : "aider mon enfant à l'école", "remplir des bons de commande au travail", "voter", "me servir des feuillets publicitaires", etc. Donnez ensuite des exemples tirés de votre propre expérience : "préparer mon cours", "être au courant des dernières nouvelles", "me désennuyer"... À la fin de la période de remue-méninges, demandez aux adultes de se placer en équipes et de répartir les activités de lecture selon les fonctions suivantes :
Discutez ensuite des résultats obtenus par les équipes de travail. Demandez aux adultes s'il y a d'autres moyens qui permettent d'atteindre les mêmes objectifs. On peut, par exemple, s'informer à l'aide d'émissions de télévision, on peut se détendre en écoutant un disque, en allant voir un film, en faisant du sport, on peut apprendre à exécuter des recettes en regardant faire quelqu'un. Les adultes peuvent d'abord constater qu'ils réussissent déjà beaucoup de choses sans nécessairement passer par la lecture. Faites valoir cependant que la lecture demeure un outil supplémentaire et précieux qui leur permettra de répondre à des questions, qui leur assurera une plus grande autonomie par rapport aux autres, une plus grande prise sur leur milieu de vie. Illustrez votre propos par des exemples concrets, si possible à partir de leurs témoignages :
Demandez aux adultes de donner des exemples où la lecture est, ou serait, utile dans leur vie. Gardez en tête les projets de lecture qu'ils ont exprimés pour les mettre en valeur à d'autres moments ou pour initier les prochaines activités de lecture.
On lit pas bon bon, on est plus une famille commère que d'autre chose. On envoyé tout l'temps des jokes [...]. Pour nous autres, c'était pas vraiment comique (la lecture). Faut tu soyes concentré, là. Tu t'imagines juste tes lignes, tes mots [...]. Nous autres, lire, c'est pas vraiment intéressant.
G., inscrite depuis un an dans un cours d'alphabétisation; voir Roy, 1995, p. 27.
Ce qui caractérise les illettrés et les non-lecteurs, même s'ils sont déjà ou encore alphabétisés, c'est qu'ils se trouvent exclus [.. .]de toutes les raisons de participer à des réseaux de communication écrite: la précarité et la dépendance des situations de vie n'autorisent aucune distanciation, l'impuissance réduit le sentiment de pouvoir à une adaptation résignée et non à des pratiques transformatrices [...]. Travailler à la lecture, c'est ébranler ce statut de non-lecteur afin de permettre des stratégies d'utilisation de l'écrit car l'obstacle ne réside pas dans une absence de techniques mais dans l'absence de raisons de se doter de ces techniques.
Foucambert et Chenouf, 1989, p. 51.
Pour beaucoup d'illettrés, la lecture-écriture est un ensemble qui assure une distinction sociale et culturelle; il y a ceux qui savent et aiment lire, qui ont du temps pour cela, qui font sentir leur supériorité, et les autres, dans lesquels ils se retrouvent: ils ne seront jamais du bon côté de cette
distinction.
Besse, 1995, p. 86.
Dans la société, on trouve une multitude de lecteurs, qui diffèrent selon l'âge, le sexe, la nationalité, la scolarité, la situation sociale, les intérêts, etc. Des adultes s'approprient des textes très complexes parce qu'ils ont acquis des connaissances historiques, philosophiques qui leur permettent de le faire. Plusieurs personnes lisent assidûment les journaux, mais ne lisent jamais de livres. D'autres lisent uniquement des plans, des lettres et des bons de commande dans le cadre de leur emploi. Plusieurs adultes lisent régulièrement des romans mais répugnent à lire des essais ou des textes d'information. Certains savent un peu lire, mais ne le font que s'ils y sont obligés. D'autres ne savent presque pas lire et cherchent à le cacher; certains se débrouillent toutefois pour aller chercher l'information dont ils ont besoin auprès de personnes de leur entourage. Parmi tous ces comportements, qu'est-ce qui définit un bon lecteur? Qu'attendons-nous des adultes inscrits en alphabétisation en terme de comportement de lecteur?
Dans cette partie, nous décrivons les personnes inscrites en alphabétisation d'une façon globale, qui tient compte de leurs forces comme de leurs difficultés. Il ne s'agit pas d'un portrait universel. Les personnes en formation sont différentes entre elles, à cause de l'âge, de la nationalité, de la scolarité, de leurs expériences professionnelles, de leur estime de soi, etc. Cependant, nous tentons de mettre en lumière certaines caractéristiques qui peuvent leur être communes et qui nous aideront à intervenir au plan de l'apprentissage de la lecture.
Cette compréhension nuancée et plurielle des comportements de lecteur nous permet de reconsidérer les personnes inscrites en alphabétisation sous un autre angle : sont-elles véritablement "analphabètes"? Le préfixe "an", qui marque le privatif, indique littéralement l'exclusion du code alphabétique, donc de la langue écrite. Pourtant, les adultes avec qui nous travaillons, qu'ils soient immigrants ou nés ici, sont confrontés quotidiennement à divers écrits. Ils ont une conception de la lecture tirée de leur histoire personnelle, de leur expérience scolaire, des pratiques de leur milieu familial et social. Ils adoptent des comportements par rapport à la lecture : ils feuillettent le journal, regardent le télé-horaire ou les pancartes sur la route, se font lire des documents officiels par un lecteur plus efficace de leur entourage, oublient certaines lettres de l'école jusqu'à ce qu'on les contacte par téléphone... Considérer ces personnes en dehors de l'écrit renforce une impression d'exclusion que plusieurs ressentent déjà à l'égard du monde de la lecture et des lecteurs. Au contraire, les voir intégrées à un réseau social dans lequel les écrits circulent, considérer qu'elles possèdent déjà des compétences nous permet de les voir de façon plus globale et plus constructive (Wagner 1984; Besse, 1995). C'est pourquoi nous évitons l'expression "personnes analphabètes" pour choisir plutôt "adultes inscrits en alphabétisation" ou "adultes en formation".
Les personnes inscrites en alphabétisation sont issues de milieux défavorisés économiquement (Hautecoeur, 1986; Roy, 1995; Wagner, 1984). Elles connaissent une multitude de problèmes liés à la pauvreté : chômage et aide sociale, insécurité financière, maladie, sous-scolarisation, etc. Plusieurs occupent des emplois peu spécialisés qui nécessitent un recours très limité à l'écrit. Des personnes de leur entourage ont aussi de la difficulté à lire (enfants, frères ou sœurs, parents...). Les pratiques de lecture étant vécues à l'intérieur d'un réseau, les adultes peuvent, au besoin, faire appel aux services d'un lecteur plus averti. Ce réseau peut en ce sens jouer un rôle contradictoire dans l'apprentissage de la lecture; d'un côté, il rend la personne débutante plus fonctionnelle socialement. De l'autre, il la cantonne dans un rôle de dépendance où l'apprentissage de la lecture n'est plus vraiment nécessaire.
Une des dimensions particulières de l'alphabétisation à Montréal, c'est son caractère pluriethnique. Les personnes allophones y constituent plus des deux tiers des personnes inscrites en alphabétisation : elles viennent de plusieurs pays (dont Haïti, le Salvador, le Vietnam, l'Italie...). La majorité d'entre elles sont nées ailleurs qu'au Québec (Charest et Roy, 1994). Leur expérience scolaire dans leur pays d'origine est très diversifiée, allant d'une fréquentation très épisodique, sinon nulle, à quelques années d'études primaires (nous partons, bien sûr, des personnes peu scolarisées et non de celles qui sont déjà lectrices dans leur propre langue). De par leur culture différente, ces adultes ont d'autres connaissances, d'autres valeurs, d'autres expériences et conceptions de l'apprentissage et de la lecture, ce qui a des conséquences sur leur démarche de formation.
Peu de recherches se sont intéressées à l'alphabétisation dans une langue seconde. Pourtant, cela constitue un défi bien particulier, notamment parce que l'apprentissage du code écrit ne se fait pas dans la langue maternelle, premier outil culturel d'identification, d'expression et de communication. De plus, les langues n'utilisent pas forcément le même alphabet, ne se lisent pas toutes de gauche à droite, n'ont pas les mômes règles de construction syntaxique. Plusieurs personnes allophones vivent ainsi une certaine confusion entre leur langue maternelle, qu'elles parlent quotidiennement, mais qu'elles ne lisent pas ou très peu, et le français. Elles ont peu d'occasions de parler français en dehors des cours, et encore moins de le lire ou de l'écrire. Plusieurs personnes vivent à l'intérieur du cercle étroit de leur communauté; elles parviennent à vivre, à consommer et à travailler dans des milieux où elles s'expriment surtout dans leur langue maternelle. Par ailleurs, de par un contact trop restreint avec des francophones, plusieurs personnes ont développé au fil des ans une "interlangue", soit une forme de communication personnelle et aléatoire qui emprunte à la fois au français et à la langue maternelle. Tous ces facteurs contribuent à rendre plus difficile l'apprentissage d'un comportement de lecteur dans une langue qui n'est pas encore devenue —si elle le devient un jour— un outil d'expression et de communication (Charest et Roy, 1994).
Plusieurs personnes inscrites en alphabétisation ont une perception négative d'elles-mêmes; elles se sentent inférieures, à l'écart des autres. Elles éprouvent de la gêne ou de la honte devant leurs difficultés et ont certaines craintes ou blocages devant l'apprentissage, en raison de la peur d'un nouvel échec. Toutefois, certaines personnes ne reconnaissent pas leurs difficultés; elles sont par exemple persuadées de leur compétence dans des domaines où elles ne possèdent que des connaissances rudimentaires. Certaines affirment être capables de lire, même si elles ont peine à se servir de l'information d'un texte, à en résumer le contenu. Toutes ces attitudes ont souvent un point en commun : préserver son estime de soi et se protéger contre le jugement d'autrui. Elles témoignent à leur façon d'un manque de confiance devant l'apprentissage et de conceptions erronées de la lecture.
Cependant, d'autres personnes ont une meilleure image d'elles-mêmes. Elles disent avoir trouvé des moyens de fonctionner correctement dans leur vie sans avoir recours à la lecture. C'est le cas notamment de personnes plus âgées ou issues de sociétés plus rurales, qui ont pu effectivement travailler, élever une famille et se débrouiller sans avoir besoin de lire. Ces personnes sont souvent moins affectées au niveau affectif, car elles ont pu profiter de sources d'épanouissement et de réalisation sociale.
En général, les adultes inscrits en alphabétisation ont la perception qu'ils n'ont pas ou peu de contrôle sur leur apprentissage. En raison de leurs échecs successifs, en lecture notamment, ils ont développé peu à peu un sentiment d'impuissance, une sorte de conviction intime de leur propre incompétence. Leur expérience d'apprentissage les a amenés à attribuer leurs difficultés de lecture à des causes externes (un professeur incompétent ou peu disponible, la malchance, trop d'élèves dans la classe...) ou à des causes immuables sur lesquelles ils n'ont pas de contrôle (un manque d'intelligence ou d'habileté, la maladie...). Ces conceptions se trouvent renforcées à chaque nouvel échec, qui à son tour entraîne une perte de motivation à apprendre («Je le savais que j'étais pas capable»). Même s'ils affirment vouloir apprendre à lire, les adultes sont souvent persuadés qu'ils ne pourront réussir («J'ai toujours été faible à l'école; le français ça a jamais été mon fort») et qu'il n'y a rien à faire pour modifier cette situation. Selon Archambault et Chouinard (1996), c'est ce qui explique, entre autres, leur passivité devant les tâches, leur faible niveau d'engagement, leur attitude négative à l'égard de l'effort ou des stratégies d'apprentissage pour améliorer leur performance («Qu'est-ce que ça donne, je ne serai pas capable quand même»). Pourtant, ces adultes ont développé plusieurs stratégies alternatives pour se débrouiller dans la vie, travailler, s'organiser; celles-ci sont encore peu connues et les adultes eux-mêmes ne les mettent pas toujours à profit pour l'apprentissage de la lecture (Besse, 1995).
Les personnes inscrites en alphabétisation n'ont pas toutes les mêmes comportements de lecture : certains lisent mieux et plus régulièrement que d'autres. Cependant, on peut dire sans se tromper que la plupart de ces adultes lisent peu. Une partie de leurs comportements de lecture est associée au travail, à des fins utilitaires ou perçue comme une obligation (consulter les feuillets publicitaires, remplir une demande d'emploi). Plusieurs personnes n'ont pas l'habitude de passer par l'écrit pour se renseigner, parfaire leurs connaissances; elles préfèrent demander de l'aide, discuter, écouter la télévision. Cela n'empêche pas d'autres de feuilleter le journal chaque matin, de lire des revues, des romans et d'en tirer le meilleur parti possible.
Les personnes inscrites en alphabétisation ont développé certaines manières de traiter l'écrit. Plusieurs trouvent les moyens de se débrouiller pour sélectionner l'information écrite dont ils ont besoin. Par contre, d'autres choisissent une attitude d'évitement : chaque situation de lecture suscite une réaction de recul : «Je ne peux pas, je ne suis pas capable, je ne comprends rien, c'est trop compliqué pour moi». D'autres personnes utilisent peu de stratégies lorsqu'elles lisent. Elles décodent le texte, syllabe par syllabe, péniblement, en perdant de vue le sens du texte. Quelques-unes se servent du contexte et devinent approximativement le sens, mais sans prendre appui sur le code pour vérifier leurs hypothèses. Les personnes sont souvent peu actives dans te processus de lecture : elles laissent le texte les informer, sans se servir de leurs connaissances antérieures, sans se questionner sur ce qu'elles lisent. Le texte semble les diriger, et non le contraire. Nous reviendrons plus en détail sur ces comportements dans la deuxième section du document, en décrivant notamment les stratégies de lecture utilisées par les adultes.
Plusieurs personnes qui suivent des cours d'alphabétisation ont développé durant leur vie un rapport négatif ou ambivalent avec la lecture. Même si elles affirment vouloir lire, elles associent l'écrit à quelque chose d'extérieur à leur monde, qui ne les concerne pas, ne les interpelle pas; une activité sérieuse, intellectuelle, qui isole de la vie et de la convivialité (Roy, 1995). Selon ces personnes, la lecture est limitée à un apprentissage scolaire; dans la vie, elle ne sert pas à grand chose, sauf pour des besoins utilitaires (Wagner, 1984). Par ailleurs, les personnes peuvent avoir une vision circulaire de la lecture qui les ramène inévitablement à l'école : «Lire pour améliorer mon français, pour réussir les cours, pour passer au secondaire». Lire est aussi considéré comme un ensemble de règles prescrites qu'il faut suivre littéralement à la lettre : lire, c'est déchiffrer chaque lettre de chaque mot; c'est passer chaque ligne, de gauche à droite, sans omettre un seul mot; c'est répondre à des questions... que d'autres posent. Bon nombre des adultes éprouvent une espèce de vénération pour l'institution scolaire et ses modèles, voulant souvent reproduire ce qu'ils ont vécu à l'école, même si cela les a déjà conduits à un échec. Ces personnes préféreront les activités scolaires traditionnelles, comme des dictées ou compléter un questionnaire plutôt que des activités de lecture véritables.
En résumé, on constate que le portrait des personnes inscrites en alphabétisation met en lumière plusieurs caractéristiques, aux niveaux social et affectif, au niveau des perceptions de l'écrit et de celui des comportements de lecteur. Souvent, la lunette par laquelle on observe les adultes est réductrice à leurs difficultés de lecture ou d'apprentissage. Il nous semble beaucoup plus approprié de considérer les personnes dans leur entité, avec la somme de leurs expériences de vie, leurs forces comme leurs faiblesses, avec leur culture, leur langage, leurs valeurs. Comme enseignante, il n'est pas toujours facile de conserver cette perspective globale; cela nous aidera pourtant à contrer les préjugés et les méconnaissances culturelles que nous éprouvons parfois à l'égard des adultes en formation.
Le regard (global ou réducteur, négatif ou positif) que nous posons sur ces adultes a un effet direct sur notre façon d'intervenir avec eux. Si notre image est négative, les adultes peuvent se sentir jugés ou méprisés, ce qui risque d'affaiblir leur engagement et leur persévérance dans l'apprentissage. Au contraire, lorsque nous les percevons d'une manière globale et positive, que nous respectons leur démarche de formation en leur fournissant un soutien direct et adapté, ils sont plus encouragés et stimulés. L'approche que nous proposons s'intéresse aux personnes dans leur globalité, et consiste tout autant à transformer leurs perceptions, leur rapport à l'écrit, qu'à les aider à acquérir les mécanismes et les stratégies nécessaires à la lecture. Nous reviendrons sur cette approche dans la partie suivante.
Il est très utile de savoir quelles attitudes et perceptions sont rattachées à la lecture chez les adultes de votre groupe, de façon à en tenir compte dans vos interventions. L'activité suivante présente une façon de cerner ces attitudes et perceptions relatives à la lecture.
Comme élément déclencheur, vous aurez apporté en classe un bon nombre d'écrits de toutes sortes, de formats et de sujets divers: encyclopédies, bandes dessinées, contes pour enfants, revues, best sellers, livres écrits dans d'autres langues, journaux, formulaires divers, etc. Donnez une période libre afin que les personnes réagissent spontanément aux écrits. Observez les différentes réactions verbales ou non verbales des adultes: certains s'intéresseront aux écrits dans leur langue maternelle, d'autres n'oseront pas feuilleter les livres plus imposants, quelques-uns se désintéresseront carrément de l'activité, n'y voyant pas d'utilité.
Servez-vous des réactions que vous avez observées pour relancer le débat : «Qu'est-ce qui vous intéressait dans ce livre? Pourquoi n'avez-vous pas regardé ces deux livres-ci? Pour quelles raisons ne vous êtes-vous pas du tout approché de la table?» Faites parler les gens sur leurs expériences de lecteur, laissez les émotions s'exprimer librement. Plusieurs d'entre eux ont des histoires à raconter qui témoignent de leur sentiment d'inconfort face à la lecture.
Par la suite, inscrivez sur une feuille ou au tableau les qualificatifs qui ont été associés à la lecture : "c'est ennuyant", "c'est utile", "c'est nécessaire", "c'est agréable", "c'est difficile". Travaillez en sous-groupe sur chacun des aspects identifiés en complétant les phrases: "Lire, c'est ennuyant quand...", "Lire, c'est utile quand..."
Lorsque les groupes apporteront les résultats de leur travail, faites valoir vos goûts, vos intérêts pour la lecture, vos propres réactions de lectrice : «Moi aussi, je trouve que c'est ennuyant de lire quand ça ne m'apporte rien de neuf, quand c'est sur un sujet qui ne m'intéresse pas, quand le document écrit n'est pas beau visuellement». Servez-vous des livres que vous avez apportés pour illustrer ce que vous dites. Profitez-en pour démystifier les pratiques; il ne s'agit pas nécessairement d'être tous capables de lire un jour des "briques" pour qu'on se considère bons lecteurs. Il faut cependant qu'on soit capable de comprendre ce qu'on lit et qu'on puisse identifier les écrits qui nous intéressent. De cette façon, les adultes peuvent constater que la lecture n'est pas toujours utile, nécessaire ou agréable, mais qu'elle peut le devenir si elle répond à certaines conditions et à certains besoins du lecteur. C'est donc à eux de préciser les types de lecture qui les intéressent et dont ils ont besoin. Faites valoir dans ce cas l'intérêt de privilégier en classe des situations de lecture qui leur paraissent le plus souvent agréables ou utiles pour leur vie.
L'objectif ultime de la formation en alphabétisation, c'est de permettre aux adultes de devenir plus autonomes et plus efficaces dans leur vie quotidienne, dans leur travail, dans leurs loisirs et ce, par l'apprentissage, entre autres, de la lecture (MEQ, 1996). Pour que les activités en classe soient utiles, il faut qu'elles s'appuient sur les pratiques de lecture existantes en dehors de la classe. Il est donc intéressant d'interroger les adultes sur leurs pratiques actuelles de lecture.
Pour cela, proposez aux adultes de faire une enquête sur leurs habitudes de lecture. En début d'apprentissage, cette enquête pourra vous servir aussi d'étape d'évaluation pour mieux connaître leur comportement de lecteurs. Pendant deux semaines, les adultes doivent noter tout ce qu'ils lisent en dehors des cours ainsi que la durée approximative de leurs lectures (par exemple, les sports dans le journal, 10 minutes; les feuillets publicitaires, 15 minutes; les devoirs de mon enfant, une demi-heure...). La langue des écrits n'a pas vraiment d'importance à cette étape : l'essentiel, c'est de lire. Durant l'enquête, encouragez-les à lire et à noter tous leurs agissements en rapport avec les écrits («J'ai reçu une lettre et je l'ai fait lire par ma sœur»).
Faites ensuite un tableau de compilation des données et discutez des résultats obtenus avec le groupe. Vous pouvez distinguer les activités de lecture selon plusieurs aspects : les activités des hommes ou des femmes, le type de matériel lu (romans, journaux, feuillets d'information...), les fonctions de la lecture (se renseigner, se divertir, apprendre des techniques...). Demandez aux adultes les raisons, les motifs qui ont présidé à leurs activités de lecture : était-ce par intérêt personnel, pour les exigences du travail, pour la consommation, les besoins de leur enfant? Faites parler les adultes sur leurs pratiques de lecture: quand, pourquoi et comment lisent-ils? Mettez en valeur ces pratiques,si minimes soient-elles. Constatez les différences ou les similitudes entre les habitudes de chacun, selon l'âge, la nationalité... Cette activité permettra aux adultes de se percevoir davantage comme lecteur plutôt que comme "analphabète". Expliquez qu'une pratique variée et étendue aidera sûrement à développer leur compétence et que c'est pourquoi vous les faites souvent lire en classe avec du matériel authentique.
Par ailleurs, l'enquête sur les habitudes de lecture peut être ouverte à des personnes qui ne suivent pas les cours d'alphabétisation : des amis, des parents, des enfants, d'autres enseignantes. Participez aussi à l'enquête et interrogez votre conjoint, des amis. De plus, élaborez, en collaboration avec les adultes de votre classe, des questions à poser aux personnes consultées :
La compilation des questionnaires peut se faire avec les adultes du groupe. Discutez ensuite des résultats obtenus, montrez que certaines personnes ne lisent pas davantage qu'eux. Montrez aussi que la lecture est possible à tout âge (enfants, adultes, personnes plus âgées...), qu'elle prend différentes formes et qu'elle répond à plusieurs objectifs. Ces enquêtes permettent de placer la lecture dans un contexte d'utilisation fonctionnelle et non dans un cadre scolaire.
De plus:
Parmi les facteurs qui relèvent de l'enseignant, la conception de ce qu'est la lecture représente l'un de ceux qui influencent le plus sa façon d'enseigner. L'enseignant peut être plus ou moins habile dans le processus complexe de décision, mais le point de départ de ses décisions se trouve dans sa conception de la lecture. Par ricochet, la conception endossée par l'enseignant déteindra sur celle des élèves.
Giasson, 1994, p. 31.
L'attitude la plus répandue lors des débats concernant l'enseignement de la lecture consiste à centrer la réflexion sur la question des "méthodes de lecture". Cela revient, plus ou moins implicitement, à renvoyer la responsabilité des difficultés de l'enfant aux insuffisances des méthodes de lecture utilisées. Cette façon très "technique" de poser le problème nous semble extrêmement réductionniste. En effet, limiter le problème des difficultés de l'enfant à la nature de l'input à lui présenter (plus ou moins phonétique ou sémantique) et/ou à la façon de lui présenter (plus ou moins arbitraire ou fonctionnelle) ne permet en rien d'expliquer ce qui constitue le fait massif en la matière, à savoir que le plus gros du contingent des enfants qui peinent dans l'apprentissage de la lecture provient des milieux défavorisés...
[...] Ce qui nous conduite prendre pour position de principe que ce n'est pas la méthode de lecture au sens strict qui fait problème aux enfants de milieu défavorisé mais, plus généralement, ce que ces enfants vivent dans la classe et hors de la classe lors de cet apprentissage [...]
En d'autres termes, il est impératif non seulement de mettre en relation la réflexion sur les méthodes et celle sur le milieu social des élèves, mais il faut de surcroît inverser la priorité et placer au point de départ de cette réflexion le milieu de l'enfant et non pas la méthode... À un problème social nous proposons donc une réponse d'ordre social.
Fijalkow, 1990, p 346, 347.
Enseigner à lire à un adulte inscrit en alphabétisation est un acte important qui favorise l'apprentissage et l'utilisation de la lecture dans la vie quotidienne. Cependant, comme nous l'avons déjà souligné, d'autres facteurs interviennent aussi dans la maîtrise de cet apprentissage. Mentionnons entre autres la disponibilité de l'adulte, ses caractéristiques propres, ses expériences scolaires antérieures, les pratiques culturelles de son milieu, son intégration sociale en terme de travail, de loisirs, etc. Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, les adultes inscrits en alphabétisation ont vécu des expériences qui nuisent à leur apprentissage de la lecture. Notre rôle consiste à tenter de modifier ces perceptions et à soutenir activement les adultes pour qu'ils puissent sortir du cercle vicieux d'échec et d'incompétence dans lequel ils se trouvent souvent enfermés.
Nous présentons dans cette partie un rappel des différents modèles de l'enseignement de la lecture, puis nous expliquons en quoi nos conceptions de la lecture, des adultes et de l'apprentissage influencent notre enseignement. Nous traitons ensuite des particularités de cet enseignement, pour enfin préciser notre approche.
Depuis des années, les façons d'enseigner la lecture ont été à l'origine de plusieurs débats mettant à contribution des linguistes, des pédagogues, des psychologues, des didacticiens et des sociologues. Les méthodes de lecture ont été maintes fois changées, critiquées, décriées sur la place publique. Pendant des années, on a surtout distingué les modèles d'enseignement de la lecture en fonction de la direction choisie pour l'apprentissage.
À un extrême, les approches syllabiques ou phonétiques proposent un enseignement de la lecture qui va "du plus petit au plus grand". On débute donc par l'enseignement séquentiel des plus petites unités de la langue, non signifiantes (les lettres, les sons, les syllabes) pour arriver à la lecture de mots, de phrases et accéder peu à peu à une lecture véritable, c'est-à-dire porteuse de sens. La lecture devient donc une finalité après avoir passé à travers une série d'étapes de pré-lecture. Ces modèles sont associés à une conception de l'enseignement plus directive et traditionnelle. Dans ce modèle, l'enseignant agit principalement à titre de transmetteur de connaissances; la place de l'élève et son rôle dans la construction des connaissances sont moins considérés. Ces approches ne sont plus préconisées actuellement, bien qu'elles teintent encore plusieurs pratiques d'enseignement.
De l'autre côté, les approches globales, analytiques ou naturelles proposent plutôt un enseignement de la lecture qui va "du plus grand vers le plus petit", en privilégiant dès le début la recherche de sens. La lecture est reconnue comme un acte de communication qui s'appuie sur l'oral, le complète et le prolonge. Ces approches suggèrent de placer l'élève directement en situation de lecture signifiante, par la lecture de courts textes, de phrases, pour ensuite décomposer les constituantes de la phrase et aller au besoin vers le décodage des mots. À l'inverse des modèles traditionnels, ces approches s'inscrivent dans un modèle d'enseignement axé entièrement sur l'apprenant. On accorde une grande place à l'apprentissage autonome de l'élève, à ses découvertes, à sa construction personnelle des connaissances. Le rôle de l'enseignant se réduit ici à accompagner l'élève dans son apprentissage.
Cette opposition plutôt antinomique entre les méthodes de lecture centrées sur le sens et celles axées sur le code paraît aujourd'hui moins pertinente. Malgré leur modèle en apparence opposé, ces deux conceptions de l'enseignement de la lecture ont un point en commun : elles laissent l'élève devenir autonome dans sa lecture (en répétant des exercices ou en multipliant les situations de lecture signifiantes) sans lui apporter d'aide explicite sur les moyens de le faire (Giasson, 1990). De plus en plus, les approches de l'enseignement délaissent ces modèles et s'orientent vers des modèles interactifs. Dans le contexte d'un enseignement interactif, l'enseignant joue un rôle essentiel pour soutenir activement l'élève dans la construction de ses connaissances. Son aide est adaptée au besoin de l'élève : elle sera plus soutenue au début et s'estompera progressivement en fonction de la maîtrise graduelle de la personne en formation ( Archambault et Chouinard, 1996; CECM, 1991).
Par ailleurs, les travaux menés en psychologie cognitive se sont davantage intéressés à la problématique générale de la compréhension en lecture et au développement des processus cognitifs menant au savoir-lire. L'apprentissage est défini comme un processus actif par lequel l'individu acquiert des connaissances qui s'ajoutent et s'intègrent au réseau des ses connaissances antérieures. Apprendre est un processus continuel et dynamique de construction et d'élaboration des connaissances, qui se fait au contact de l'environnement social grâce au soutien des pairs, de la famille, des amis et des agents d'éducation scolaire. La lecture est dans ce sens reconnue comme une activité cognitive de traitement de l'information (Tardif, 1992; Giasson, 1990). Selon ces études, l'élève apprend à lire en utilisant activement ses connaissances sur lui-même, sur le monde et sur la langue, comme il le fait pour la plupart des apprentissages.
Enfin, d'autres études d'origine plus sociologique ou anthropologique ont touché particulièrement aux dimensions sociales et culturelles inhérentes à l'alphabétisation et à l'appropriation de l'écrit (Besse, 1995; Lahire,1995; Hautecoeur, 1986). Il ne suffit pas d'apprendre à lire, encore faut-il avoir les conditions pour que cette compétence soit utile et sollicitée socialement. La plupart des études sur l'échec scolaire et sur celui en lecture montrent que les milieux défavorisés connaissent en proportion davantage de situations d'échec. La culture d'un milieu, ses valeurs, son langage, déterminent ainsi en grande partie sa manière de penser et d'interagir avec les autres et avec l'environnement. Pour ces chercheurs, la lecture est considérée dans une optique large qui déborde le temps prescrit d'apprentissage; on s'intéresse alors à l'appropriation de l'écrit, c'est-à-dire à l'étude des conditions sociales, historiques, culturelles, qui façonnent et déterminent l'utilisation de l'écrit (Besse, 1995). Ces conceptions sociales de la lecture et de l'alphabétisation n'ont pas donné lieu à la définition d'une approche, mais on tente de les intégrer à l'ensemble d'une démarche de formation, particulièrement dans les milieux populaires (Fijalkow, 1990).
Enfin, rappelons que, dans la pratique, les modèles de l'enseignement de la lecture, décrits ici de façon très schématique, ne se présentent pas à l'état pur. On trouve en alphabétisation comme ailleurs un mélange parfois éclectique de méthodes et d'approches qui s'inspirent de courants divers, sinon contradictoires.
Que nous le voulions ou non, nos conceptions de l'enseignement de la lecture influencent notre façon d'enseigner aux adultes et par conséquent, les attitudes de ceux-ci envers la lecture. Cette influence sur les adultes est peut-être plus grande du fait que ceux-ci ont moins de modèles de lecteurs assidus dans leur entourage, qu'ils associent encore la lecture à une pratique scolaire, que cet apprentissage leur rappelle des expériences antérieures difficiles. Lorsque nous lisons devant les adultes, que nous parlons de nos lectures, que nous montrons ce que nous avons appris par nos lectures, nous faisons la démonstration de la finalité de la lecture. Quand les adultes se trouvent devant des activités signifiantes de lecture, ils découvrent peu à peu l'intérêt de lire pour eux-mêmes: ils font la découverte de la lecture. Lorsqu'ils se font guider dans la maîtrise de stratégies efficaces de lecture, ils acquièrent graduellement un sentiment de contrôle sur leur apprentissage.
Par contre, si nous plaçons les adultes devant des textes peu intéressants et qu'ils n'ont pas choisis, on leur laisse entendre que la lecture est un acte commandé de l'extérieur, ce qui encourage leur passivité. Si les textes proposés servent uniquement de prétexte à des enseignements grammaticaux ou lexicaux («Maintenant que nous avons lu ce texte sur la santé, nous allons encercler les adjectifs qualificatifs»), nous donnons aux adultes l'impression que la lecture ne sert pas à répondre à des questions, mais qu'elle est un support pour l'acquisition de notions scolaires. Quand on met les adultes en situation répétée de lecture collective à voix haute, ils en déduisent que la lecture est davantage une activité de décodage qu'une activité personnelle de compréhension.
Toutes ces considérations nous amènent à revoir nos interventions en classe en fonction de l'impact qu'elles créent sur les conceptions des adultes avec qui nous travaillons. Si nous sommes plus au clair sur notre conception de l'enseignement, nous pourrons davantage faire preuve de cohérence dans notre approche, le choix de nos activités et de notre matériel. Nous seront aussi plus capables de défendre et d'expliquer aux adultes nos choix andragogiques.
Deux caractéristiques particulières sont associées à l'enseignement de la lecture en alphabétisation. Premièrement, nous travaillons avec des adultes. Des personnes à part entière, pas seulement des lecteurs en difficulté. Des hommes et des femmes qui ont déjà des comportements face à la lecture, qui ont une idée de ses fonctions sociales et de son utilité. Des gens qui viennent d'ici et d'ailleurs et qui côtoient depuis longtemps des documents écrits, que ce soit à titre de parents, de travailleurs, de citoyens ou de consommateurs. Des gens qui élèvent des enfants et qui confrontent leur conception et leur expérience de l'école avec ce que vivent leurs enfants. Des adultes qui espèrent souvent que leurs enfants ne vivront pas les mêmes difficultés qu'eux par rapport à l'apprentissage.
Ces personnes ont appris, au cours de leur expérience de vie et de travail, à développer des moyens de communiquer, de vivre, de s'organiser, de se faire comprendre. Cependant, plusieurs d'entre elles ont aussi bâti des croyances, à partir de leur expérience d'apprentissage, qui peuvent leur être nuisibles, notamment par rapport à la lecture. On ne peut donc employer mécaniquement des approches qui s'appliquent à des enfants lorsque nous enseignons en alphabétisation; nous devons au contraire nous appuyer sur l'expérience des adultes pour nourrir et adapter notre enseignement. Ce principe est d'ailleurs reconnu dans les pratiques de l'éducation des adultes et particulièrement en l'alphabétisation (MEQ, 1996).
Deuxièmement, nous travaillons avec des personnes qui sont réputées avoir des difficultés de lecture. Quelles sont les causes ou les raisons de ces difficultés? Depuis plusieurs années, de nombreux chercheurs et spécialistes tentent d'expliquer les causes des difficultés dans l'apprentissage de la lecture. En fonction de la nature des causes identifiées, on élabore une stratégie d'intervention correctrice. Par exemple, si on identifie le milieu social comme principal responsable des difficultés, on misera sur des stratégies de compensation des déficits culturels, des activités de stimulation précoce auprès des familles et des jeunes enfants. Si on pense que les difficultés de lecture originent surtout des carences biophysiques de la personne, on proposera une rééducation individuelle axée sur un modèle d'intervention plus médical. Ceux qui ciblent l'école comme principal responsable des difficultés de lecture chercheront alors à améliorer la pédagogie, à changer de méthode, etc. Par ailleurs, les adultes ont leurs propres idées sur les causes de leurs difficultés. Par exemple, la plupart d'entre eux ont acquis, comme nous l'avons vu dans la partie précédente, un sentiment d'impuissance et la conviction qu'ils avaient très peu de contrôle sur leur apprentissage, puisque leur échec était dû à des circonstances externes ou incontrôlables. Ces croyances influencent négativement la façon dont ils se voient comme apprenants et, par conséquent, diminuent leur motivation à s'engager pleinement dans une démarche de formation.
Bien souvent cependant, ces modèles explicatifs des difficultés de lecture sont fondés sur l'analyse d'une seule cause et minimisent les aspects révélés par d'autres modèles explicatifs, ce qui nuit à une approche globale du problème (Fijalkow, 1986). Pourtant, les facteurs qui expliquent les difficultés de lecture sont multiples et souvent interreliés. Ils originent à la fois du milieu social et du milieu familial, des méthodes pédagogiques et de l'organisation scolaire, des caractéristiques individuelles des personnes. Le problème de l'analphabétisme est complexe : il ne peut s'expliquer par une seule cause. Par exemple, le milieu social n'explique pas à lui seul les difficultés de lecture, puisque plusieurs personnes des milieux populaires lisent et écrivent de façon régulière. Les méthodes d'enseignement de la lecture ne peuvent non plus être mises seules en cause, puisque la plupart d'entre nous avons réussi à lire en dépit de méthodes très traditionnelles. À ce titre, le choix de la méthode, si bonne sort-elle, ne peut résoudre complètement toutes les difficultés de lecture. C'est pourquoi il importe d'aborder l'enseignement avec modestie, dans une perspective aussi large que possible, afin de tenir compte de tous les facteurs qui ont pu provoquer les difficultés de lecture des adultes.
Par ailleurs et trop souvent, les approches proposées aux personnes en difficulté de lecture, que ce soit des enfants ou des adultes, sont réductrices et consistent à répéter les modèles déjà expérimentés (Chamberland, 1989). On revient aux approches plus traditionnelles qui préconisent une segmentation très découpée des apprentissages de façon à en faciliter la rétention. Ce faisant, la lecture perd souvent sa finalité propre au profit d'exercices répétitifs et peu significatifs. En alphabétisation, cette approche, bien que sécurisante pour les enseignantes et souvent demandée par les adultes, n'apporte pas vraiment tous les effets escomptés. Les adultes lisent peu, ne développent pas de stratégies essentielles à tout comportement de lecteur et ne trouvent pas les raisons profondes, intrinsèques, qui les inciteraient à lire. Ils demeurent donc passifs devant l'apprentissage de la lecture et en font une activité limitée à la période de classe.
Parce qu'il (l'enfant) est en difficulté, on lui propose une "diète pédagogique" où la signification est absente. Cette diète contraint l'enfant à ne privilégier qu'une seule entrée (ici l'entrée grapho-phonétique) et la source de ses difficultés est particulièrement liée au fait qu'il ne privilégie qu'une entrée. Ce type d'intervention ne résout aucun problème; il ne fait que maquiller la difficulté pour la rendre plus acceptable: l'enfant décode mais ne comprend pas. (Tardif et Gaouette, 1986b, p. 44)
Notre approche cherche à transformer le rapport de l'adulte inscrit en alphabétisation avec la lecture, de façon à ce que celui-ci se l'approprie, qu'il l'utilise plus efficacement et plus régulièrement dans sa vie, selon ses besoins, ses préoccupations, ses intérêts et cela, en vue d'un épanouissement personnel et collectif. Ce but concorde avec la plupart des finalités attribuées à l'alphabétisation (MEQ, 1996). Le transfert des apprentissages n'est pas seulement le point d'arrivée du processus, mais une condition de réussite d'un enseignement adapté. Tel que nous l'avons indiqué dans la présentation du document, l'approche que nous proposons s'inscrit dans une perspective de développement culturel et social et s'appuie sur les principes suivants :
Notre approche de la lecture s'inscrit dans un modèle interactif, ce qui donne à l'enseignante un rôle de soutien actif et adapté à la démarche de l'adulte qui apprend. À notre avis, l'enseignement de la lecture ne serait pas concluant si on se contente de transmettre de façon programmée des connaissances sans tenir compte de l'adulte, des processus qu'il utilise, de son expérience de vie, de ses caractéristiques culturelles. À l'inverse, un modèle d'enseignement complètement non direct if ne nous semble pas non plus approprié; y enseignement ne peut se résumer à accompagner discrètement les tâtonnements de l'adulte et à le laisser trouver seul les connaissances et les stratégies qui feraient de lui un bon lecteur. Nous proposons donc de partir de ce que les personnes sont en tant qu'adultes et en tant que lecteurs, de l'état de leurs connaissances, de leurs attitudes, de leurs perceptions et de leurs comportements réels face à la lecture, pour proposer un enseignement véritablement adapté à leur situation.
Par ailleurs, un modèle d'enseignement interactif convie l'enseignant à jouer un rôle direct de soutien au processus d'apprentissage de l'adulte. C'est pourquoi nous suggérons de montrer explicitement aux adultes des stratégies efficaces de lecture et de les aider à utiliser ces stratégies de façon autonome et appropriée. Trop souvent on se contente d'expliquer ce qu'il faut faire sans montrer explicitement comment le faire. L'essentiel ici n'est pas d'identifier une liste de stratégies à leur enseigner dans un ordre déterminé à l'avance. Cela reviendrait dans les faits à réinstaller un modèle traditionnel où l'enseignant est le principal transmetteur de connaissances. Il s'agit plutôt d'aider les adultes en formation à développer un comportement stratégique lorsqu'ils lisent. Le but c'est de rendre l'adulte plus conscient à la fois de son rôle lorsqu'il lit, mais aussi des stratégies qu'il utilise pour comprendre et de lui faire connaître un éventail d'autres stratégies qui pourraient lui être utiles. Nous abordons plus en détail les stratégies de lecture dans la deuxième section du présent module.
Il n'y a qu'une façon de développer un comportement stratégique en lecture, c'est d'être placé fréquemment en situation de lecture véritable. C'est pourquoi nous insistons pour mettre les adultes en formation devant des textes signifiants dès le début et tout au long de leur apprentissage. Cela doit occuper la majeure partie du temps consacré à la lecture en classe. C'est par la régularité et la variété de situations de lectures faites en classe, avec des documents qui existent "dans la vraie vie", que les adultes adopteront progressivement un comportement de lecteur à l'extérieur de la classe. C'est en exerçant ce comportement, même hésitant, même en partie inefficace, qu'il sera possible d'améliorer sa compétence et de garder à l'esprit la finalité de la lecture, soit une recherche de sens et la satisfaction d'un projet. Seule une pratique régulière d'activités réelles de lecture peut contribuer à diminuer les conceptions trop scolaires et limitées des adultes en formation sur la lecture. C'est dans ce contexte que l'enseignement d'un comportement plus réfléchi et plus stratégique est approprié, puisqu'il vient se greffer à de véritables comportements de lecteur devant un texte authentique. C'est ce que nous expliquons dans la troisième section du document.
Enfin, il importe de toujours considérer la dimension sociale et culturelle dans l'apprentissage et renseignement de la lecture. Les personnes avec qui nous travaillons ont des caractéristiques communes par rapport à l'écrit; elles ont aussi en commun, bien souvent, le fait d'être issues des mêmes milieux sociaux. La lecture doit être vue comme un outil d'expression et de communication, comme un moyen d'avoir plus d'emprise sur sa vie, sur son quartier, sur ses problèmes. Pour cela, il faut sortir un peu du cadre scolaire, élargir sa vision de l'enseignement pour tenir compte davantage de la réalité des adultes avec qui nous travaillons, les aider à nommer leurs besoins personnels et collectifs et à les réaliser à travers des projets de lecture signifiants.
Notre approche de l'enseignement de la lecture dans un contexte d'alphabétisation est à la fois nouvelle et ancienne. Elle s'appuie sur des principes largement reconnus en alphabétisation : importance du transfert des apprentissages, affirmation de l'analphabétisme comme problème social, reconnaissance de l'expérience de vie des adultes, mise en valeur des situations d'apprentissage signifiantes à partir des préoccupations des adultes. Elle est peut-être plus novatrice lorsqu'elle propose une mise en place de situations signifiantes de lecture avec des textes authentiques dès le début des apprentissages, lorsqu'elle accorde une place de choix à l'enseignement de stratégies et d'un comportement stratégique en lecture et lorsque qu'elle s'appuie sur une perspective sociale et culturelle qui élargit le cadre d'apprentissage.
Sans prétendre aux solutions miracles ou magiques, nous croyons que cette façon d'envisager l'enseignement de la lecture en alphabétisation offre de meilleures chances de contribuer au succès de la démarche de formation des adultes. Vous choisirez d'intégrer ce qui vous apparaît le plus significatif pour votre pratique, en fonction de vos valeurs, de vos conceptions de l'apprentissage et de l'enseignement de la lecture. En définitive, il s'agit d'être au clair avec sa conception de l'enseignement, de façon à être cohérente dans ses choix et à pouvoir expliquer son approche auprès des adultes en formation.
Il est très utile de présenter clairement aux adultes sa conception de l'apprentissage et de l'enseignement de la lecture, afin de les engager pleinement dans la démarche et de les rendre conscients des conceptions qui sous-tendent et qui guident vos choix andragogiques. Lors des premières rencontres avec le groupe, organisez une discussion à partir des questions suivantes :
Laissez d'abord les adultes s'exprimer librement, sans vous interposer pour confirmer ou infirmer leurs commentaires. Certains se diront très bons lecteurs, alors que d'autres affirmeront leur incompétence en ce domaine. Suscitez le débat entre les adultes en mettant en évidence leurs positions contradictoires ou différentes. À la suite de la discussion, annoncez plus formellement votre conception de l'apprentissage de la lecture et le rôle que vous pouvez jouer en tant qu'enseignante pour les aider à développer cette habileté. Faites valoir ce qui suit :
Une discussion de ce genre ne clôt pas le débat sur les différentes conceptions de l'apprentissage et de l'enseignement de la lecture; elle permet par contre de rendre plus explicite votre façon d'enseigner. Vous aurez à revenir plusieurs fois en cours d'année sur votre conception pour l'expliquer davantage, car les adultes inscrits en alphabétisation désirent souvent reproduire un modèle scolaire traditionnel, c'est-à-dire qui correspond à une certaine conception de l'école : des cahiers, des exercices, des textes avec des questionnaires, des lectures collectives à voix haute. Lorsqu'on vous demandera, par exemple, pourquoi travailler avec le journal plutôt qu'avec des cahiers, vous devrez revenir sur le but de votre enseignement: qu'ils deviennent des lecteurs plus autonomes, qui comprennent encore mieux ce qu'ils lisent, qui soient capables de se dépanner lorsqu'ils ne comprennent pas. Dans la vie, ils auront à utiliser le matériel écrit disponible et non un matériel simplifié. Ils doivent donc apprendre à s'en servir dès maintenant, à le démystifier, à s'y familiariser.
De plus :
Le lecteur, et plus particulièrement le lecteur en difficulté, doit être conscient de ses stratégies, de leur efficacité. Déplus, il doit gérer, être le responsable conscient de ses stratégies, c'est-à-dire déterminer quand, comment les appliquer et il doit s'auto-évaluer dans cette démarche de gestion de ses propres stratégies de lecture.
Tardif et Gaouette, 1986b, p. 45.
Pendant de nombreuses années, autant avec les enfants qu'avec les adultes, l'enseignement des connaissances et des savoirs théoriques a été privilégié au détriment de l'enseignement des savoirs-fa ire, des stratégies et des moyens permettant d'accomplir des tâches ou d'acquérir des habiletés. En alphabétisation, cela s'est traduit, entre autres, par une tendance à placer les adultes devant des activités de lecture sans prendre le temps d'expliquer comment lire. C'est un peu comme si on montrait aux adultes le sommet d'une montagne et qu'on les encourageait à grimper en répétant: «Montez, vous êtes capables! Vous verrez comme c'est beau en haut!», sans jamais les accompagner, sans leur montrer les chemins les plus courts pour arriver au sommet, les façons de franchir les obstacles, l'utilité d'apporter une gourde, de se servir d'un bâton de marche, en fait, tous les moyens leur permettant d'atteindre le sommet le plus vite possible. L'exemple est bien choisi, car ces adultes voient souvent l'apprentissage de la lecture comme "une montagne". Comment pouvons-nous les guider dans la maîtrise de la lecture? Comment les aider à être plus actifs et confiants face à leur possibilité de succès dans cet apprentissage?
De plus en plus, on reconnaît en éducation l'importance de l'enseignement des stratégies, que ce sort en lecture ou dans d'autres champs de connaissances ou d'habiletés. Les recherches en psychologie cognitive menées depuis les deux dernières décennies se sont particulièrement intéressées aux stratégies d'apprentissage. Elles ont démontré l'influence positive de l'enseignement des stratégies sur la performance, particulièrement auprès des élèves en difficulté. Ces travaux ont mis en lumière le rôle capital des connaissances liées aux stratégies dans la résolution de problèmes et l'exécution de tâches. Ces connaissances sont celles de l'action; leur utilisation détermine en grande partie la qualité du processus d'apprentissage. La variété, la pertinence et la richesse du répertoire de stratégies utilisées sont des conditions essentielles pour réussir à exercer une compétence telle que savoir-lire.
Dans la première partie de cette section, nous décrivons la nature et les fonctions des stratégies en rapport avec la lecture. Nous définissons d'abord ce qu'est une stratégie, puis nous décrivons deux types de stratégies, soit les stratégies spécifiques à la lecture et les stratégies métacognitives. Nous donnons ensuite une liste de stratégies utiles à montrer dans le contexte de renseignement de la lecture en alphabétisation. Enfin, nous décrivons les adultes inscrits en alphabétisation sous l'angle de leur utilisation des stratégies lorsqu'ils lisent.
Selon Tardif (1992, p.23), «Une stratégie est conçue comme la planification et la coordination d'un ensemble d'opérations en vue d'atteindre efficacement un objectif.» On définit aussi les stratégies d'apprentissage comme «...des pensées et des actions utilisées par l'élève alors qu'il apprend.» (Archambault et Chouinard, 1996, p. 84). Une stratégie est donc un moyen intentionnel que l'on choisit afin d'accomplir une tâche. Par ailleurs, les stratégies ne doivent en aucun cas devenir le but de la lecture; ce ne sont que des moyens au service d'une lecture plus dynamique, mieux comprise, plus rapide. Les stratégies de lecture désignent donc tous les moyens délibérés qu'utilise un lecteur pour comprendre sa lecture et gérer sa compréhension. Les mots "délibéré", "conscient", "intentionnel" sont essentiels à la définition d'une stratégie. Certaines stratégies spécifiques seront efficaces dans un contexte, mais pas dans d'autres. Si l'adulte travaille le survol d'un texte sans savoir pourquoi il le fait, ce n'est pas une stratégie, encore moins un comportement stratégique de lecteur. D'où l'importance de montrer les stratégies en contexte de lecture lorsque le besoin s'en fait sentir et de toujours expliquer aux adultes en formation pourquoi, comment et quand les utiliser.
Il existe une variété de stratégies liées à chaque domaine de connaissances ou d'habiletés. Elles ne sont pas utilisées isolément mais interagissent les unes avec les autres. Par exemple, pour résoudre une addition simple (4+8), on peut utiliser plusieurs stratégies : compter sur ses doigts, partir du plus petit chiffre et additionner l'autre, faire l'inverse, ramener d'abord le nombre le plus élevé à 10 et ajouter le reste ((8+2)+2). Une rédaction demande en général des stratégies d'élaboration en quatre étapes: faire un plan, rédiger un brouillon, le réviser en fonction du plan initial, puis apporter les corrections finales d'orthographe et de syntaxe. On utilise des stratégies à des fins diverses : faire une multiplication à deux chiffres, mémoriser le nom des provinces du Canada, apprendre les tables de multiplication, préparer un examen, etc. Les stratégies ne s'appliquent pas qu'à des domaines de connaissances scolaires: nous utilisons aussi des stratégies pour nous rendre à un endroit peu familier, pour apprendre à conduire une automobile, pour confectionner une robe, etc. Nous utilisons aussi des stratégies à tout âge : par exemple, c'est en essayant différentes stratégies que les enfants parviennent à faire des boucles ou à nager.
Toutes les stratégies ne sont pas aussi efficaces ou économiques, même si elles peuvent conduire au même résultat. Par exemple, un adulte qui compte encore sur ses doigts pour résoudre une opération mathématique peut arriver à la bonne réponse, mais il lui faut plus de temps qu'un autre qui visualise mentalement l'opération. Certaines personnes choisissent un long itinéraire pour se rendre à leur travail simplement parce qu'il leur est plus familier qu'un autre. En lecture, il n'est pas efficace de prendre le dictionnaire à chaque mot inconnu. Pour juger de la valeur d'une stratégie, il faut tenir compte du temps, de l'investissement cognitif qu'elle demande et de son efficacité. Notre rôle comme enseignante consiste à montrer explicitement les stratégies les plus efficaces et les plus économiques tout en précisant leur contexte d'utilisation. La stratégie sera efficace si elle aide à résoudre la difficulté; elle sera économique si elle est rapide et perturbe le moins possible l'action.
Des recherches prouvent que l'acquisition et l'utilisation de stratégies d'apprentissage adéquates sont des facteurs essentiels pour arriver à la maîtrise d'une habileté, à l'intégration de nouveaux savoirs. De façon générique, on peut dire que les stratégies d'apprentissage ont des fonctions multiples et importantes qui permettent les comportements suivants:
L'utilisation délibérée et consciente de stratégies dans l'apprentissage d'une habileté ou d'un savoir exige nécessairement de l'attention, de la concentration et de l'effort. Une fois que l'apprentissage est maîtrisé, les stratégies deviennent une composante d'un comportement plus automatisé; il n'est plus nécessaire d'y penser. Giasson (1990, p. 32) explique ainsi la différence entre une habileté et une stratégie : «Une habileté consiste à savoir comment faire, alors qu'une stratégie consiste non seulement à savoir comment faire, mais également quoi, pourquoi et quand le faire.»
Par exemple, les bons lecteurs ne sont généralement plus conscients de toutes les stratégies qu'ils utilisent lorsqu'ils lisent. On dit alors qu'ils sont habiles en lecture. Sans s'en apercevoir, ils survolent le texte, créent des images mentales, soulignent une phrase lorsque c'est nécessaire, relisent un passage incompris, déduisent le sens d'un mot nouveau à partir du contexte. Mais lorsque survient une nouvelle difficulté, ils reviennent momentanément à un comportement moins automatisé, plus stratégique. Par exemple, si nous devons lire un texte écrit dans une autre langue ou au contenu particulièrement difficile, nous porterons une attention accrue au sens, nous nous donnerons des moyens pour faciliter la lecture (lire dans un endroit calme, utiliser un marqueur pour souligner les passages difficiles, consulter le dictionnaire...). Dans ce sens, nous insistons sur le fait de guider les adultes dans l'utilisation des stratégies jusqu'à ce qu'elles fassent partie intégrante de leur comportement de lecteur.
En résumé, on pourrait décrire ainsi le comportement stratégique d'une personne lorsqu'elle exécute une tâche :
Il y a une multitude de stratégies qui ont trait à l'apprentissage de la lecture. Nous en distinguerons deux types : "Les stratégies spécifiques à la lecture" et "Les stratégies métacognitives".
Les stratégies spécifiques à la lecture désignent des actions ou des comportements utiles à certains moments de notre activité. Ces stratégies sont directement applicables lors de la lecture. Quant aux stratégies métacognitives, elles regroupent des stratégies plus générales de gestion de l'ensemble du processus d'apprentissage, ce que plusieurs auteurs appellent aussi des stratégies d'autorégulation, de gestion, de contrôle ou encore de métacognition (Archambault et Chouinard, 1996; Brown, 1980). Ces deux types de stratégies sont étroitement imbriqués et interviennent simultanément dans l'activité de lecture. En effet, chaque stratégie spécifique à la lecture n'est utile au lecteur qu'à la condition qu'il sache quand, comment et pourquoi l'utiliser dans un contexte réel de lecture. Il y a donc nécessairement une part d'autorégulation inhérente à l'utilisation de chaque stratégie spécifique. C'est pourquoi nous parions de développer chez l'adulte un comportement stratégique, c'est-à-dire un état de présence cognitive, d'attention et de concentration face à la tâche, une capacité de résoudre les problèmes de compréhension qui se posent à lui en choisissant les stratégies les plus appropriées à la situation.
L'objet des stratégies spécifiques à la lecture est la compréhension des mots, des phrases et du texte dans son ensemble. Chacun de ces groupes (stratégies liées aux mots, aux phrases ou à l'ensemble du texte) comporte des stratégies allant des plus élémentaires aux plus complexes. Toutes sont en interaction constante dans le processus de la lecture. Elles se diversifient et se complexifient graduellement avec le niveau d'habileté du lecteur. Peu à peu, les stratégies les plus simples s'automatisent et font place à l'utilisation de stratégies plus complexes. Certaines sont plus efficaces que d'autres, en fonction du type de texte, de l'intention de lecture, du genre de difficultés que le lecteur rencontre en lisant. Nous décrivons ici quelques stratégies spécifiques à la lecture; on remarquera que le travail de construction du lecteur est toujours orienté vers le sens dès le début de l'apprentissage. Bien qu'elles soient présentées de façon séquentielle, c'est leur interaction simultanée qui produit un effet d'efficacité.
Les stratégies de compréhension des mots sont aussi appelées "micro-stratégies", "micro-processus" (Giasson, 1990) ou encore stratégies d'identification de mots ou de liens entre les mots d'une même phrase (Gagné et Martin, 1988). Le lecteur apprend peu à peu, par exemple, à utiliser davantage l'entrée idéographique, soit la lecture globale de mots, en vue d'en reconnaître un nombre de plus en plus grand déjà connus à l'oral; il s'entraîne à les photographier plutôt qu'à les décomposer en syllabes. Le lecteur apprend à reconnaître les mots outils (jamais, et, mais, toujours, oui, non, pour, avec...) et les termes qu'il peut rencontrer souvent dans les textes. Graduellement, il augmente son capital de mots connus à l'écrit et apprend à les reconnaître de plus en plus rapidement.
Dans le cas des mots connus à l'oral mais nouveaux à l'écrit, le lecteur anticipe leur sens en fonction du contexte direct (les mots qui suivent ou qui précèdent dans la phrase) et en utilisant sa connaissance de la syntaxe de la langue, qui est semblable à l'écrit et à l'oral. Le lecteur peut anticiper le mot "gazon" lorsqu'il lit : «Ce soir, j'ai tondu le...» en se fiant au contexte et parce qu'il sait qu'après un article on trouve en général un nom. Il se servira des indices grapho-phonétiques (las syllabes, les sons) comme moyen de se dépanner s'il n'a pas réussi à trouver le sens du mot ou pour vérifier son hypothèse initiale. Par exemple, si les premières lettres du mot précédent sont "par...", le lecteur devra rejeter le mot "gazon" et essayer "parterre".
De la même façon, le contexte immédiat sert aussi à déduire le sens des mots inconnus à l'oral. S'il est écrit : «Le brontosaure est un des derniers et des plus gros dinosaures à être apparus sur terre», le lecteur trouvera la définition de "brontosaure" à l'aide des autres mots de la phrase. Ce procédé d'anticipation et de compréhension des mots inconnus à l'aide du contexte s'étendra par la suite à d'autres phrases ou à d'autres parties du texte. Par le fait même, le lecteur enrichit son vocabulaire et ses connaissances, et par conséquent sa capacité de communiquer, oralement ou par écrit.
Par ailleurs, d'autres stratégies spécifiques à la lecture font référence aux liens entre les phrases. Giasson (1990) les désigne comme des "processus d'intégration"; d'autres partent de stratégies en rapport aux liens entre les phrases, entre les paragraphes ou entre les parties du texte. Le lecteur développe sa capacité de faire des inférences, entre autres, en comprenant la fonction des mots de substitution comme les pronoms («Jean et Chantai sont sortis. Ils reviendront pour le souper»), le rôle des connecteurs («Je voulais aller me baigner, mais il faisait trop froid»). Graduellement, le lecteur apprend aussi à inférer à partir de son expérience, de ses connaissances antérieures pour créer des liens entre les phrases. Par exemple, lorsqu'il lit: «Les gens sortent lentement de l'église en suivant le cercueil», le lecteur déduit que quelqu'un est décédé, même si ce n'est pas indiqué comme tel dans le texte. Le lecteur peut aussi deviner approximativement l'âge de Ginette à partir de la phrase suivante : «Ginette attend son fils avec impatience. Il viendra demain la voir au centre d' accueil.»
Enfin, d'autres stratégies spécifiques touchent l'ensemble de la compréhension du texte. Peu à peu, le lecteur augmente sa rapidité, ce qui facilite sa compréhension. Il apprend aussi à modifier sa façon de lire en fonction de son intention. Par exemple, il découvre comment repérer rapidement l'information qu'il cherche dans le "télé-horaire" pour connaître le contenu d'une émission. S'il veut se faire une idée du contenu d'un article, il lira d'abord le sommaire présenté au début. Le lecteur est davantage capable de se servir des indices de mise en page du texte (titre et sous-titres, illustrations, résumé) pour anticiper le contenu de sa lecture. Il saura sélectionner et regrouper des renseignements extraits de plusieurs parties d'un texte pour reconstituer l'information qu'il cherche. Le lecteur arrivera à résumer un texte et par conséquent à faire un tri entre les informations secondaires et principales. Il réussira aussi à reconnaître la structure générale du texte, qu'il soit narratif, informatif, poétique. De plus, il pourra distinguer les opinions des faits et porter un jugement sur le contenu et la structure des textes. Ces dernières stratégies sont aussi désignées comme des "macro-processus" ou des "processus d'élaboration" (Giasson, 1990).
Enfin, d'autres stratégies plus générales contribuent à l'augmentation de l'efficacité du lecteur. Ainsi, ce dernier sait comment chercher l'information ou les produits de lecture qui l'intéressent. Il sait choisir un écrit en fonction de ses intentions de lecture et utilise de façon appropriée les librairies, les bibliothèques, les étalages de revues. Le lecteur développe sa compétence afin de trouver des textes qui lui fourniront les réponses qu'il cherche; il connaît des auteurs, des collections, des journaux et des revues. Par ailleurs, le lecteur peut se permettre de ne pas aimer sa lecture et de l'abandonner lorsque cela ne lui convient pas. Bref, le lecteur apprend à diriger ses lectures en fonction de ses besoins, de ses intérêts et de sa compétence.
Selon Tardif (1992, p. 47), «... les stratégies métacognitives se réfèrent à la connaissance et au contrôle effectif des stratégies et des composantes affectives qu'implique la réalisation de tâches, peu importe le type de tâches.» Archambault et Chouinard (1996), en s'inspirant de Brown, Bransford, Ferrara et Campione (1983), définissent la métacognition en contexte scolaire comme la conscience qu'a l'élève de ses processus cognitifs alors qu'il apprend (les connaissances métacognitives) et l'utilisation de cette conscience afin de contrôler ses processus d'apprentissage (l'autorégulation). Deux mots de ces définitions caractérisent les stratégies métacognitives ou le concept de métacognition : la connaissance et le contrôle.
Les connaissances métacognitives se construisent en interaction avec l'environnement. Elles subissent l'influence des expériences positives ou négatives antérieures; elles peuvent être de l'ordre des croyances, des perceptions, des attentes. Si les connaissances métacognitives sont erronées ou partielles, elles peuvent contribuer à réduire la performance, diminuer la motivation et finalement être une source d'échec. Ces connaissances joueront donc un rôle capital dans le processus d'apprentissage des adultes inscrits en alphabétisation. Quant au contrôle, il désigne la capacité de planifier et de gérer l'ensemble du processus d'apprentissage. Ces moyens comprennent des actions de planification, d'estimation, de contrôle, de vérification ainsi que d'évaluation des processus cognitifs (Brown, 1980).
On subdivise habituellement les connaissances métacognitives en trois volets: les connaissances sur la personne, sur les tâches et sur les stratégies. Ainsi, en lecture, les connaissances métacognitives sur la personne désignent la conscience de ses propres ressources comme lecteur, de ses processus cognitifs, de ses intérêts, de sa motivation à lire. Comment l'adulte inscrit en alphabétisation se perçoit-il comme apprenant : de façon positive ou négative? À quelles causes attribue-t-il ses difficultés en lecture : des causes internes ou externes? Des causes incontrôlables ou qu'il peut modifier par son action? Les connaissances métacognitives sur la tâche font notamment référence à la conscience qu'a la personne des exigences et des difficultés que pose un texte, et sa perception concernant sa capacité de le lire. Pour ce qui est des connaissances métacognitives sur les stratégies, elles désignent la connaissance de l'adulte quant aux stratégies et aux moyens dont il dispose pour lire, de leurs fonctions et de leurs limites. Par exemple, l'adulte en formation connaît-il toutes les stratégies efficaces pour résoudre un problème de compréhension de lecture? Sait-il pourquoi, comment et quand utiliser les stratégies lorsqu'il lit? Quelle est sa conception de la valeur et de l'utilité des stratégies?
Les connaissances que l'adulte inscrit en alphabétisation a construites sur lui-même, sur les tâches et sur les stratégies influencent sa façon de lire et par conséquent, sa capacité d'utiliser des moyens plus généraux de contrôle et de régulation de son action lorsqu'il lit. C'est là le deuxième volet des stratégies métacognitives. Les stratégies associées au contrôle sur lui-même impliquent des actions de questionnement, d'évaluation, en somme des actions de régulation. Cela veut dire notamment qu'au cours d'une activité de lecture, la personne est active et concentrée, qu'elle planifie supervise, se rajuste au besoin et qu'elle évalue l'ensemble de son activité Elle reconnaît l'intérêt d'utiliser de bonnes stratégies pour améliorer sa performance et ses connaissances. Elle expérimente et modifie ses stratégies en fonction de la compréhension et des problèmes rencontrés lors de la lecture. Tous ces éléments des stratégies métacognitives renvoient à la prise en charge, à l'autonomie, à la gestion de sa compréhension et à la résolution de problème.
Ainsi, le lecteur emploie des stratégies métacognitives pour gérer et contrôler sa compréhension. Il apprend à reconnaître ses méprises, à en évaluer l'importance et à trouver les moyens d'y remédier. Par conséquent, le lecteur sait quand et comment utiliser les stratégies spécifiques à la lecture en fonction de sa compréhension. Il adopte un processus de résolution de problème et se permet l'expérimentation et Teneur. S'il lit : «J'ai mangé des sommes» au lieu de "pommes", le lecteur réalisera que la phrase n'a pas de sens et il s'attardera au décodage du dernier mot pour rajuster son hypothèse. S'il lit : «Le tabac cause des dommages irrémédiables à la santé», il pourra décider que même s'il ne comprend pas le sens du mot "irrémédiables", cela ne l'empêche pas de comprendre le sens général de la phrase : il continuera donc sa lecture. S'il se trouve entravé dans sa compréhension, il ira peut-être consulter le dictionnaire, il relira une phrase ou une partie du texte, il demandera de l'aide au besoin, reviendra à un survol du texte, soulignera les passages les plus difficiles.
Par ailleurs, le lecteur apprend aussi à analyser sa compréhension en rapport avec le contenu et l'organisation du texte. S'il ne comprend pas, ce n'est pas nécessairement de sa faute; le texte peut être confus ou mal écrit, il peut aussi mal répondre à son intention de lecture. Lorsque le lecteur apprend à détecter les confusions et les inconsistances d'un texte, il apprend aussi à avoir de plus en plus de contrôle sur sa lecture et sur son apprentissage en général. Il est d'autant plus important de porter à l'attention des adultes ce type d'objectivation en rapport avec le texte quand on sait qu'ils ont tendance à s'attribuer entièrement leur manque de compétence en lecture et à ne pas être critiques devant les textes.
En résumé, la métacognition fait référence à l'ensemble des connaissances que le lecteur entretient sur son propre processus cognitif et sur sa capacité de contrôler l'action. La richesse des stratégies métacognitives a des conséquences sur la motivation de la personne, la façon dont elle se sent capable d'entreprendre et de réussir une activité de lecture. Plus la personne gère activement sa lecture, plus sa performance est élevée, plus sa compréhension est profonde et sa réussite, significative. Lorsqu'elle se sent en contrôle sur elle-même et sur ses processus cognitifs, elle a davantage de chance d'être motivée à réussir, ce qui se manifeste, entre autres, par son engagement, sa participation et sa persistance dans la tâche.
Certaines stratégies métacognitives favorisent le contrôle des aspects affectifs liés à l'apprentissage et améliorent la qualité de l'engagement, de la participation et de la persistance de la personne dans la tâche. Ainsi, l'adulte garde en tête son intention de lecture et se remémore les stratégies déjà vues en classe. Il se pose des questions sur le texte. Il considère et évalue la difficulté de la tâche et tente de se donner des conditions favorables à la réussite : du calme, un endroit particulier pour lire, des outils d'aide à la portée de la main. Ces moyens augmentent le sentiment de contrôle de l'adulte, ce qui lui donne de l'assurance et lui permet de persister dans son projet. Bien qu'essentiels, les aspects émotifs liés à l'apprentissage sont délicats et difficiles à traiter. C'est en constatant les résultats encourageants liés à l'utilisation répétée de stratégies efficaces que l'adulte éprouvera peu à peu une plus grande confiance face à l'apprentissage et un plus grand contrôle sur la lecture et sur lui-même lorsqu'il lit.
Bref, tenant compte des stratégies spécifiques à la lecture et des stratégies métacognitives que nous avons définies, nous pourrions décrire ainsi le comportement stratégique d'un bon lecteur (Archambault et Chouinard, 1996; Castonguay et Dulude, 1981):
Voici une liste de stratégies spécifiques à la lecture et de stratégies métacognitives, présentée sous forme de tableau. Cette liste n'est nullement exhaustive, mais elle comprend des stratégies importantes qui pourraient être montrées dans un contexte d'alphabétisation. La plupart d'entre elles ont la réputation de favoriser une meilleure compréhension en lecture (Brown, 1980; Gagné et Martin, 1988; Giasson, 1990 et 1994; Pressley, 1990). Le tableau permet aussi de distinguer les stratégies spécifiques à la lecture et les stratégies métacognitives, même si dans toute stratégie il y a une part de contrôle et de métacognition. Ainsi, détecter sa perte de compréhension et planifier comment y remédier est une stratégie métacognitive; mais les stratégies qu'on prendra pour résoudre le problème sont des stratégies spécifiques (relire un passage mal compris, utiliser le dictionnaire, demander de l'aide).
Vous remarquerez que la plupart, sinon toutes de ces stratégies, font partie de votre comportement automatisé de lectrice; faites-en l'expérience attentive lors de vos prochaines lectures. Vous verrez comment ces stratégies — et bien d'autres— caractérisent votre compétence en lecture. C'est cela que nous voulons porter à l'attention des adultes de façon claire et explicite pour les aider à élargir leur répertoire de stratégies et les rendre plus autonomes dans leur utilisation. Bien que cette présentation soit un peu artificielle, nous indiquons les stratégies selon qu'elles interviennent généralement avant, pendant ou après la lecture.
Tableau stratégies utiles à la lectureStratégies spécifiques | Stratégies métacognitives |
Avant la lecture | |
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Pendant la lecture | |
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Après la lecture | |
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Dans la première section du document, nous avons brossé un portrait global des personnes inscrites en alphabétisation en tenant compte des dimensions affectives, sociales, de leur comportement et de leurs conceptions en rapport avec la lecture. Nous précisons ici de façon plus détaillée les caractéristiques de ces personnes en rapport avec les stratégies spécifiques et métacognitives de lecture qu'elles utilisent, ainsi que les variables affectives qui ont une influence sur leur apprentissage.
Bien souvent, on remarque que ces adultes utilisent un nombre très restreint de stratégies de lecture qui ne varient pas en fonction du type de texte ou de leur intention de lecture. Leur comportement est souvent rigide et automatisé alors qu'il devrait être plus contrôlé et plus stratégique. Ils n'ont pas l'habitude, par exemple, de survoler un texte, de tenter d'en prédire le contenu à partir de certains indices lorsque c'est pertinent de le faire. Ils n'ont pas de recul face au texte, ils sont au contraire "collés dessus". Leur lecture est linéaire, c'est-à-dire qu'elle s'effectue souvent du premier mot au dernier, ligne après ligne, de façon mécanique. De plus, les stratégies qu'ils utilisent sont souvent inefficaces ou inappropriées aux circonstances (Archambault et Chouinard, 1996). Ces dernières demeurent souvent limitées au décodage de chacun des mots ou à une anticipation approximative, sans utiliser adéquatement le sens et la syntaxe du texte. Le niveau général de compréhension est inégal, en raison notamment d'un rythme trop lent et d'une attention trop grande au décodage au détriment du sens. Les adultes ont par exemple de la difficulté à retenir l'idée principale et à laisser de côté les détails. Lorsqu'on leur demande de parier de ce qu'ils viennent de lire, plusieurs sont embarrassés.
En ce qui concerne les stratégies métacognitives, on constate que plusieurs adultes inscrits en alphabétisation sont relativement peu autonomes pour gérer leur lecture. Au plan des connaissances métacognitives, ils évaluent mal la complexité de la lecture qu'ils doivent entreprendre et le temps requis pour la faire. Ils ont de la difficulté à planifier l'ensemble des actions nécessaires à l'exécution de la lecture; ils n'évaluent pas les moyens qu'ils prennent et ne se réajustent pas en cours de route (Tardif et Gaouette, 1986b). Durant la lecture, ils adoptent peu une forme de dialogue interne qui pourrait les aidera maintenir leur attention et à planifier leurs actions. Ils ne détectent pas nécessairement leur perte de compréhension, puisqu'ils accordent une attention inégale au sens de leur lecture. Par exemple, certains adultes peuvent lire : «L'éducation des enfants est importée» (au lieu de "importante") sans détecter l'incohérence de la phrase. Ils sont démunis devant leurs difficultés et n'adoptent pas un processus de résolution de problème, ce qui les amène à se décourager rapidement ou à compter uniquement sur une aide extérieure. En ce sens, les adultes travaillent souvent dans l'incertitude, car ils n'ont pas appris à gérer eux-mêmes leurs problèmes de compréhension. Par ailleurs, les stratégies utilisées diffèrent aussi en fonction du contexte culturel des adultes. Ainsi, dans certaines cultures, leur expérience scolaire les a amenés à privilégier davantage des stratégies comme apprendre par cœur, réciter, plutôt que d'adopter des stratégies qui visent la compréhension (Chouinard, 1994).
En général, ces adultes font peu confiance aux stratégies pour les aider lorsqu'ils lisent. Comme nous l'avons vu dans la première section du module, ils ont peu confiance dans leur capacité de réussir la lecture et d'avoir du contrôle sur leur apprentissage. Ils ne voient donc pas l'intérêt de relire un passage ou de reprendre une portion de texte qu'ils n'ont pas comprise («Qu'est-ce que ça donne, je ne comprendrai pas plus»). Ils ne considèrent pas l'erreur comme une condition normale de l'apprentissage, mais comme une preuve supplémentaire de leur propre incompétence. Les adultes sont par ailleurs peu présents pendant leur lecture : ils s'en remettent à un comportement automatisé et leur niveau d'attention est faible.
Bien souvent, ces attitudes devant la lecture sont interprétées comme un manque de motivation, un signe de peu d'intérêt, voire de paresse intellectuelle. Cependant, la motivation n'est pas un concept figé qui dépend essentiellement de l'effort ou de la volonté intrinsèque de chaque individu. La motivation est au contraire la résultante de plusieurs facteurs, dont l'utilisation appropriée des stratégies cognitives et métacognitives. Elle est à la fois cause et conséquence de la performance en lecture. Comme nous l'avons souligné précédemment, l'engagement de l'adulte inscrit en alphabétisation dépend en grande partie des croyances qu'il entretient sur lui-même, sur les tâches, sur les stratégies, de même que sur ses chances de réussite. Il est plus facile d'être motivé lorsqu'on sent qu'on peut réussir ce qu'on entreprend, que l'on contrôle ses processus cognitifs et sa démarche d'apprentissage et qu'on croit à la valeur des stratégies qu'on utilise. Le contraire est aussi vrai. Si les adultes croient qu'ils ont peu de contrôle sur leur apprentissage et sur leurs processus cognitifs, que la réussite dépend essentiellement d'aptitudes innées et que les stratégies sont peu utiles, ils risquent d'être moins motivés, plus passifs et moins persévérants dans leur apprentissage (Chouinard, 1992).
La façon de lire des adultes inscrits en alphabétisation dépend en grande partie de leurs expériences scolaires antérieures. Celles-ci ont été pénibles pour bon nombre d'entre eux et les ont amenés progressivement à perdre confiance en leur possibilité d'apprendre, à porter plus d'attention à l'évaluation qu'à la compréhension. Par conséquent, toute tâche de lecture les replace encore face à l'éventualité d'être jugés sur de piètres résultats. La faible estime de soi générée par les échecs successifs a des effets négatifs sur leur motivation à apprendre et sur leur perception du rôle de l'effort dans l'apprentissage. En effet, les efforts de ces adultes ont presque
toujours résulté en une faible performance, due principalement à l'absence de l'utilisation de stratégies appropriées. Par conséquent, les adultes privilégient souvent les activités les plus faciles pour protéger leur estime de soi et ne pas se retrouver en situation flagrante d'incompétence.
En résumé, l'utilisation de stratégies efficaces joue un rôle essentiel sur l'apprentissage et la performance dans l'exécution de tâches, notamment en lecture. La richesse et la variété des stratégies spécifiques et des stratégies métacognitives utilisées avant, pendant et après la lecture permettent au lecteur de se centrer sur le sens, de contrôler sa lecture, de détecter ses pertes de compréhension et de prendre des moyens pour y remédier. On remarque que les adultes inscrits en alphabétisation ont tendance à adopter un comportement automatisé et peu stratégique lorsqu'ils lisent. Les stratégies qu'ils utilisent sont limitées et souvent inefficaces en regard de leur intention de lecture et du type de texte. Des recherches indiquent par ailleurs que l'habileté à gérer ses conduites de lecteur et les aspects affectifs liés à la lecture différencie en général les bons lecteurs des lecteurs débutants ou en difficulté (Tardif, 1992).
Si nous n'aidons pas les adultes à se percevoir autrement face à la lecture, à comprendre le rôle et l'importance des stratégies pour améliorer leur lecture, ils buteront constamment sur les mêmes échecs, resteront passifs, s'investiront peu dans les tâches et continueront de se décourager et d'accroître leur sentiment d'incompétence. La motivation est quelque chose qui s'acquiert et qui peut se modifier au contact de situations de réussite dans lesquelles l'adulte apprend à attribuer ses succès à un plus grand contrôle sur lui-même et sur la tâche. C'est pourquoi il est si important de faire connaître des stratégies spécifiques et métacognitives aux adultes en alphabétisation, de façon à accroître leur sentiment de contrôle sur leur apprentissage, leur sentiment de compétence et par conséquent, leur motivation à apprendre.
Pour commencer à intégrer des stratégies de lecture à votre enseignement en classe, nous vous suggérons une première phase d'évaluation auprès des adultes de votre groupe, ce qui vous permettra de connaître la perception qu'ils ont d'eux-mêmes et les stratégies qu'ils utilisent pour lire. Cette observation en contexte de lecture vous servira d'une part, à être plus attentive aux comportements des adultes lorsqu'ils lisent et, d'autre part, à mieux choisir les stratégies qui pourraient être les plus utiles à montrer en classe.
Pour favoriser une évaluation continue des stratégies utilisées par les adultes, vous pouvez élaborer une grille d'observation à l'aide de laquelle vous consignerez régulièrement des données sur leurs comportements durant les situations de lecture. Vous pouvez utiliser la grille de deux manières. Premièrement, vous pouvez vous centrer sur l'observation d'une seule stratégie dans un contexte où elle est utile, pour tous les adultes de la classe (survoler le texte, résumer l'information du texte, se servir adéquatement du contexte pour saisir un mot, comprendre les étapes de réalisation de la lecture...). Cela vous permet de constater la pertinence de la stratégie, de vérifier l'intérêt de la montrer en classe et d'identifier ceux qui pourraient vous aider à la présenter. Deuxièmement, vous pouvez vous intéresser particulièrement à un ou deux adultes à chaque situation de lecture et observer l'ensemble de leur comportement de lecteur. Ces éléments d'observation seront ensuite consignés dans le fichier de chaque adulte, de façon à ce que vous puissiez suivre les progrès, en parier avec eux lors des entretiens individuels ou lors de prochaines lectures.
Pour élaborer votre grille d'observation, tenez compte à la fois des stratégies métacognitives et des stratégies spécifiques à la lecture lors de votre observation, puisque ces deux types de stratégies sont étroitement liés. À l'aide de la liste de celles déjà énumérées, vous pourriez observer les stratégies métacognitives qui suivent :
Vous pourrez aussi évaluer l'utilisation de stratégies spécifiques en contexte de lecture véritable en vous servant des éléments suivants :
De plus, vous pourriez compléter vos observations sur les stratégies en recueillant les perceptions des adultes quant à l'apprentissage, leur possibilité de réussite, les causes de leur difficultés de lecture. Cette discussion sera précieuse pour préparer votre enseignement des stratégies et identifier les adultes les plus fortement ancrés dans leur sentiment d'incompétence et qui seront réticents à l'idée de modifier leur comportement de lecteur. Vous pouvez initier le débat à partir des éléments suivants:
Lors de cette discussion, faites valoir l'importance des stratégies pour augmenter notre performance, obtenir une meilleure compréhension et avoir un meilleur contrôle sur notre lecture. Annoncez que vous allez les aider à développer un comportement stratégique, c'est-à-dire une manière de lire en se posant des questions, en étant attentif à son intention de lecture, en étant soucieux de sa compréhension. La prochaine section illustre les façons de développer un comportement stratégique chez les adultes débutants en lecture et précise comment intégrer les stratégies à cet enseignement.
Tant et aussi longtemps que l'enseignant ne fait qu'expliquer à ses élèves le système des relations grapho-phonétiques en lecture et que discuter des entrées sémantique et syntaxique, et de leurs interactions avec le contexte et les connaissances antérieures, il se comporte exactement comme à l'université dans la formation des enseignants; il présente d'une façon exclusivement déclarative les connaissances qu'il veut amener les élèves à intégrer. Il devra guider directement et activement leurs comportements de lecteurs s'il désire qu'ils puissent agir avec ces connaissances.
Tardif, 1992, p. 50.
Il est curieux de constater que deux approches aussi différentes l'une de l'autre que "apprendre à lire par des cahiers d'exercices" et "apprendre à lire en lisant" pèchent toutes deux par le même excès, celui de tenir pour acquis que le lecteur deviendra automatiquement autonome par la seule répétition de la tâche de lecture. Comme le disent si bien Herber et Nelson-Herber (1987) : «On ne peut s'attendre à ce que les élèves deviennent des lecteurs autonomes de façon autonome». Au contraire, il faut leur monter comment devenir autonome.
Giasson, 1990, p. 34.
Malgré l'engouement récent pour l'enseignement des stratégies, cette pratique reste encore assez rare, en classe d'alphabétisation ou ailleurs. On comprend encore mal ce que sont les stratégies, leur fonction et leur utilité, comment les enseigner, par où commencer. Ceux qui tentent l'expérience ont tendance à enseigner les stratégies de façon isolée et hors contexte. D'autres s'attendent plutôt à ce que les stratégies s'acquièrent spontanément grâce à des pratiques répétées de lecture.
Il est vrai que la transposition de ces nouvelles connaissances dans sa pratique andragogique suppose une forme d'autoperfectionnement, exige de revoir certaines notions sur l'apprentissage et la motivation. Intégrer ces nouvelles connaissances suppose aussi de réajuster notre pratique, nos conceptions sur l'apprentissage, l'enseignement, les adultes en formation et notre propre rôle à leur égard. Le matériel didactique qui traite de l'enseignement des stratégies n'est pas encore très disponible, encore moins à l'éducation des adultes; on doit se référer à des documents plus généraux et plus théoriques. Tout cela demande du temps, ce que nous n'avons pas toujours comme enseignante.
Dans cette partie, nous tentons de clarifier les façons d'intégrer les stratégies à l'enseignement de la lecture en classe. Nous avons utilisé des écrits récents, au Québec et aux États-Unis, qui ont précisé un protocole d'enseignement des stratégies et les conditions d'efficacité de cet enseignement (Chouinard, 1996; Giasson, 1994; Pressley, 1990; Tardif, 1992). Nous décrirons d'abord les conditions d'efficacité de renseignement d'un comportement stratégique, puis une façon de planifier cet enseignement en classe d'alphabétisation.
L'enseignement des stratégies est bien autre chose que de montrer des trucs et des recettes. Il s'agit plutôt de développer des comportements stratégiques, c'est-à-dire d'encourager les adultes à être présents, actifs et dynamiques pendant la lecture, de les aider à être plus conscients des stratégies qu'ils utilisent ou qu'ils pourraient utiliser, puis de les soutenir dans la gestion de leurs problèmes de compréhension. C'est pourquoi nous insistons davantage sur les expressions ''enseigner à lire de façon stratégique'' et "se comporter en lecteur stratégique", plutôt que de parler d'enseignement des stratégies de lecture.
Voici cinq critères d'efficacité qui vous guideront pour développer un comportement stratégique chez les adultes et intégrer cet aspect à votre enseignement de la lecture :
Une stratégie est un moyen intentionnel d'arriver à un but; il est par conséquent inapproprié de faire travailler des stratégies en dehors d'un contexte réel de lecture où le besoin s'en fait sentir. Les adultes risquent alors d'inverser le processus : ils vont lire pour appliquer la stratégie au lieu d'utiliser celle-ci en vue de mieux lire. Prenez toujours un texte et une intention de lecture où il est utile et approprié d'utiliser la stratégie. Par exemple, il est utile de mettre en pratique le survol avec un texte plus long qui comprend des illustrations, des sous-titres, un résumé. On peut aussi montrer à se servir du contexte pour comprendre le sens de mots nouveaux lorsque nous lisons un texte qui traite d'un sujet familier, mais qui comporte une série de mots nouveaux. La troisième section devrait vous fournir une illustration de situations signifiantes de lecture à partir desquelles sont proposées des pistes pour développer chez les adultes un comportement stratégique aux différentes étapes de la lecture.
L'enseignement des stratégies doit donc être vu comme une part indissociable des situations signifiantes de lecture mises en place en classe. L'enseignement d'une stratégie spécifique doit s'intégrer naturellement à la période de mise en situation, à la lecture comme telle, au moment du retour sur la lecture, sans pour cela devenir plus important que le texte lui-même et notre intention de lecture. Il faut toujours garder à l'esprit que la stratégie est un moyen d'arriver au sens: c'est donc ainsi qu'il faut la présenter. Par exemple : «Nous allons lire un texte sur le développement de l'enfant, comme vous m'aviez indiqué votre intérêt là-dessus la semaine dernière. Pour nous aider à mieux comprendre le sens du texte, je vais vous montrer un moyen qu'utilisent couramment les bons lecteurs». La stratégie, sans occuper toute la place, permet à l'adulte inscrit en alphabétisation d'avoir plus de contrôle sur sa lecture, d'être plus actif et donc plus motivé pendant sa lecture.
Nommez clairement la stratégie que vous voulez montrer dans un langage simple et accessible. Par exemple, si vous voulez que les adultes se servent davantage du contexte pour déduire le sens de mots inconnus, vous pouvez la désigner comme "se servir des mots du texte pour comprendre un mot inconnu". Le plus important est de conserver le même terme ou la même expression lorsque vous parlez de cette stratégie, de façon à aider les adultes à s'y référer fréquemment, à s'en servir éventuellement de façon autonome. N'oubliez pas que vos explications doivent les aider à faire une meilleure lecture et non pas compliquer la lecture elle-même.
Vos explications en classe seront donc aussi simples et claires que possible; elles comporteront toujours les aspects suivants :
Ainsi, vous favorisez la participation des adultes et vous les placez davantage dans une perspective de contrôle et d'autonomie face à la stratégie. N'oubliez pas que ce que vous visez, c'est de rendre les adultes capables d'utiliser un jour cette stratégie de façon autonome et de l'intégrer à leur comportement de lecteur.
Pour faciliter le rappel et le recours à la stratégie lors d'autres activités de lecture, élaborez, en collaboration avec les adultes lorsque c'est possible, un protocole écrit qui définit le rôle, le but de la stratégie et qui précise les étapes de son exécution. Vous pouvez remettre ce protocole écrit à chaque adulte ou l'afficher en classe. Les protocoles écrits doivent être simples, faciles à retrouver et à consulter par chacun. Vous trouverez, dans les suggestions de travail présentées à la fin de cette partie, deux exemples de protocoles écrits.
Expliquez aux adultes en quoi lire stratégiquement les aidera à devenir de meilleurs lecteurs. Pour cela, il faut que vous-même ayez la conviction que ce que vous leur montrez aura un effet sur leur performance. Choisissez donc toujours des stratégies avec lesquelles vous vous sentez à l'aise et dont vous êtes convaincue de l'efficacité. Valorisez la stratégie que vous montrez, par exemple en disant qu'elle est utilisée fréquemment par les bons lecteurs. Des études montrent que l'enseignement des stratégies est d'autant plus efficace si on aide les apprenants à évaluer l'efficacité de celles utilisées. Par exemple, faites une activité de lecture sans utiliser la stratégie, puis reprenez-la en l'utilisant; faites noter les changements survenus entre les deux expériences. Il est d'autant plus important de faire la démonstration de l'efficacité des stratégies, compte tenu que les adultes inscrits en alphabétisation leur accordent peu d'importance et sont souvent convaincus que leurs difficultés de lecture sont dues à des causes incontrôlables ou extérieures à eux-mêmes.
De façon générale, encouragez tout comportement stratégique adopté spontanément par les adultes : porter attention à la tâche en fonction de l'intention de lecture, détecter ses problèmes de compréhension, demander de l'aide lorsque c'est justifié, s'aider du contexte pour comprendre, etc. Mettez en valeur ces comportements et montrez en quoi ils aident les adultes à se sentir plus confiants et à avoir plus de contrôle sur leurs activités de lecture. Rediscutez souvent avec eux des raisons qui font que l'on réussit ou pas et démontrez le rôle positif des stratégies sur la performance. Ce que vous transmettez aux adultes en leur montrant qu'ils sont capables de réaliser les tâches, à la condition de s'y consacrer et d'appliquer des stratégies appropriées, est essentiel. Cette attitude a un effet direct et bénéfique, tant sur leur perception d'eux-mêmes, leur motivation que sur leur engagement dans la tâche.
En même temps, faites aussi valoir que les stratégies ne sont pas des trucs infaillibles, ni des recettes à appliquer mécaniquement. Il n'y a pas en soi de bonnes ou de mauvaises stratégies; une stratégie est utile en autant qu'elle est appliquée au bon moment, au bon endroit et de la bonne façon. Il faut savoir que ça ne marche pas toujours et qu'il faut mettre les stratégies en pratique plusieurs fois avant de les maîtriser. Insistez sur l'importance d'être un lecteur stratégique, c'est-à-dire un lecteur centré sur le sens, qui se questionne et qui planifie sa tâche, plutôt qu'un expert en trucs et en recettes.
Prenez votre temps dans le processus d'enseignement des stratégies. Vous savez par expérience que les adultes inscrits en alphabétisation adoptent souvent un comportement rigide et automatisé en lecture. De plus, il sont peu convaincus de l'efficacité d'utiliser de nouvelles stratégies pour améliorer leur comportement de lecteur. Les aidera se comporter en lecteur stratégique n'est pas magique : leur compréhension ne deviendra pas totale du jour au lendemain. Toutes ces raisons militent pour un enseignement approfondi de chaque stratégie, un enseignement qui permet l'expérimentation et l'erreur. Des recherches ont d'ailleurs prouvé qu'un enseignement superficiel d'un trop grand nombre de stratégies ne vaut pas un enseignement exhaustif de quelques stratégies bien choisies (Pressley, 1990). Il est nécessaire de constater une certaine intégration et maîtrise de la stratégie chez les adultes avant de passer à l'enseignement d'une autre.
Même si les stratégies seront utilisées en interaction pendant la lecture, il est préférable de les montrer une par une. Les adultes doivent aussi être mis au courant que s'approprier une stratégie demande beaucoup de temps, d'effort, de répétition, que cela ne marchera pas à tout coup, avec tous les textes. Sinon, ils se décourageront dès le premier essai. Le temps que vous prendrez à expliquer et à faire travailler une stratégie en contexte de lecture permettra aux adultes en formation de se familiariser avec elle, d'y penser, de s'appliquer et de constater graduellement leurs progrès lorsqu'ils lisent. Pour les aider dans cette démarche d'appropriation, faites-leur noter les progrès dans l'utilisation et la maîtrise de la stratégie, sur une feuille de route personnelle par exemple.
Enfin, au-delà des périodes plus formelles où vous montrez une stratégie, encouragez les adultes à avoir recours aux stratégies qu'ils connaissent et qui peuvent leur être utiles à toutes les étapes des activités de lecture. Rappelez les protocoles écrits sur des stratégies déjà vues et incitez les adultes à les consulter. De façon plus générale, encouragez-les constamment à expérimenter, à se poser des questions sur leurs lectures. Par exemple, lors d'une mise en situation, demandez-leur pourquoi il est utile de se poser des questions sur le contenu d'un texte; invitez-les à s'en poser eux-mêmes avant de commencer leur lecture. Demandez-leur ce qu'ils font lorsqu'ils n'ont pas compris une partie du texte. Faites-leur verbaliser comment ils ont trouvé leurs réponses à partir du texte, les processus qu'ils ont pris pour réussir. En ce sens, vous mettez en valeur un comportement adapté à chaque situation et non un comportement automatisé, un comportement actif de quelqu'un qui a prise sur sa lecture et sur sa compréhension.
Vous avez peut-être le goût de commencer à intégrer l'enseignement des stratégies de lecture, mais vous ne savez pas par où commencer. Nous ne vous proposons pas une liste de stratégies à enseigner : la liste pourrait être très longue, différente selon votre expérience, les difficultés des adultes et leur niveau de lecture. Mais surtout, cette façon de faire inviterait à une application mécanique et hors contexte. Voici plutôt quelques conseils qui peuvent vous aider à planifier l'enseignement explicite des stratégies de lecture en classe. Soyez d'abord stratégique avec vous-même! Si cette approche est nouvelle, permettez-vous une phase de planification générale, discutez-en avec d'autres collègues, approfondissez vos connaissances. Il ne sert à rien d'aller trop vite pour vous approprier ces nouvelles connaissances. Laissez-vous le temps, sinon vous ne viendrez pas à bout des réticences des adultes de votre groupe et vous risquez d'abandonner après trois semaines d'expérimentations hâtives.
Nous vous suggérons une démarche de planification d'enseignement des stratégies en quatre temps :
Tout d'abord, prenez le temps d'observer de façon plus précise les adultes avec qui vous travaillez, en tenant compte des stratégies spécifiques et des stratégies métacognitives qu'ils utilisent de façon autonome lors de leurs activités de lecture (voir la suggestion de travail à la page 66). Cette phase d'observation et d'évaluation vous aidera grandement, d'une part, à vérifier votre propre compréhension des stratégies et du rôle qu'elles jouent dans la maîtrise de la lecture et, d'autre part, à déterminer les stratégies les plus efficaces que vous aimeriez aborder en classe.
Prenez le temps nécessaire pour compléter cette étape d'observation. Consignez vos observations à l'aide d'une grille que vous pourriez élaborer en fonction, par exemple, de la liste de stratégies que nous avons exposée dans la partie précédente. De plus, lors des entretiens de suivi ou en classe, complétez ces observations en faisant verbaliser les adultes sur les moyens qu'ils prennent pour résoudre leurs difficultés de compréhension, sur les conditions extérieures qu'ils se donnent lors de leurs lectures à la maison, sur les causes de leurs difficultés de lecture.
Après la phase d'évaluation, vous aurez en main tous les éléments pour choisir les stratégies les plus utiles à votre groupe. S'il est composé de très débutants en lecture, il est peut-être plus utile de leur montrer à utiliser le survol que d'apprendre à déduire des informations à partir du contenu du texte. Si par ailleurs, les adultes de votre groupe semblent réticents à l'idée d'adopter de nouvelles stratégies, vous commencerez peut-être par les aider à identifier ce qu'ils font déjà pour comprendre leur lecture et vous mettrez en évidence les meilleures stratégies.
Au commencement, il n'est pas nécessaire de vous donner une liste trop longue de stratégies, car votre enseignement se modifiera et s'adaptera graduellement en fonction des adultes et de leur façon d'intégrer les stratégies à leur lecture. Il suffit au début de choisir une ou deux stratégies qui vous semblent les plus importantes pour améliorer leur compréhension, et de les montrer à la faveur des situations signifiantes et fonctionnelles de lecture (ce que nous examinerons davantage à la troisième section). Faites votre choix en fonction des caractéristiques des adultes de votre groupe, de vos connaissances et de votre compétence, en tenant compte à la fois des stratégies spécifiques à la lecture et des stratégies métacognitives, de celles applicables avant, pendant ou après la lecture.
Enfin, quelle que soit la stratégie que vous allez choisir, vous la montrerez dans le même esprit : les aidera être stratégiques, à se poser des questions, à être attentifs au sens du texte, à détecter leur perte de compréhension, à trouver des moyens de comprendre et de poursuivre leur lecture en fonction de leur intention.
Accordez-vous le temps d'une bonne préparation avant de présenter la stratégie aux adultes de votre groupe, si vous voulez être aussi claire que possible. Préparez d'avance une forme de protocole écrit dans lequel vous décrivez la stratégie, son rôle, la façon de l'appliquer, les gestes à poser, etc. Prenez le temps de corriger ce protocole, de le montrer à d'autres enseignantes, de le simplifier et de le clarifier. Par ailleurs, ce travail préparatoire ne vous empêchera pas, le temps venu, de refaire le protocole écrit en collaboration avec les adultes, si vous le jugez approprié. Soyez convaincue de la valeur de la stratégie; redevenez consciente de la manière dont vous l'utilisez durant vos lectures. Pensez à la façon dont vous voulez présenter le modelage devant les adultes. Allez chercher des explications supplémentaires chez certains auteurs (Giasson, 1990; 1994; Pressley, 1990). Planifiez minutieusement la présentation de la stratégie en classe en tenant compte des conditions d'efficacité décrites précédemment. Choisissez la situation de lecture la plus favorable pour illustrer l'intérêt de la stratégie.
L'apprentissage d'une nouvelle stratégie demande du temps, de l'effort, de la concentration. Ne laissez surtout pas les adultes de votre classe seuls devant cet apprentissage. Le rôle que vous avez à jouer est très important pour les aider à devenir autonomes. Il faut guider activement les adultes dans la maîtrise de la stratégie, en leur offrant un soutien important au début et qui diminuera graduellement en rapport avec leur plus grande maîtrise (voir la figure à la page 79). On peut décrire en général trois phases dans l'enseignement des stratégies (CECM, 1991) :
La première phase de l'enseignement d'une stratégie consiste en un modelage, c'est-à-dire que vous montrez concrètement comment vous procédez lorsque vous utilisez la stratégie. C'est à cette occasion que vous précisez son rôle et indiquez son utilité. Durant le modelage, les adultes observent votre démarche, écoutent et interagissent en fonction de vos explications. Des recherches démontrent que la personne qui voit la stratégie exécutée devant elle avec explications a beaucoup plus de chance de la réutiliser (Chouinard, 1992). Vous montrez donc à votre groupe comment utiliser concrètement la stratégie. Il s'agit de rendre transparents les processus cognitif s qui sont alors mis en branle; pour ce faire, vous dites tout haut comment, quand et pourquoi vous procédez lorsque vous avez à utiliser la stratégie. Vous agissez et réfléchissez à voix haute, en faisant part du dialogue interne auquel vous vous livrez lors de l'exécution de la stratégie. La phase de modelage est importante : on peut la répéter aussi souvent qu'il est nécessaire et y revenir au besoin.
La deuxième phase est celle de la pratique guidée. Cette phase a lieu lors des activités de lecture. À l'aide de la procédure écrite de la stratégie et du rappel de sa fonction avec les adultes, vous les invitez à employer la stratégie en s'inspirant des gestes et du langage interne que vous avez utilisés pendant le modelage. Vous guidez la pratique en questionnant les adultes, en observant leur comportement durant leur lecture, en répondant aux demandes d'aide, en corrigeant les processus individuels. Vous reviendrez sur son utilisation lors du bilan de lecture. Là encore, les interventions de pratique guidée seront poursuivies jusqu'au moment où les adultes parviendront à une certaine maîtrise de la stratégie.
La troisième phase désigne en fait le résultat ultime que vous visez par votre enseignement, c'est-à-dire une utilisation autonome et appropriée de la stratégie en contexte réel de lecture. Cette phase intervient au moment où vous jugez que la stratégie est suffisamment intégrée par les adultes en formation et qu'elle fait partie intégrante de leur comportement de lecteur. Ils doivent alors choisir d'utiliser la stratégie lorsqu'ils lisent, s'ils en éprouvent le besoin. Les moments d'objectivation lors du bilan de la lecture vous permettront de discuter avec les adultes sur les raisons qui les ont amenés à privilégier telle ou telle stratégie. La période de pratique autonome constitue en fait l'étape de suivi et d'évaluation, c'est-à-dire que vous observez si les deux, trois ou quatre stratégies que vous avez montrées en cours d'année sont intégrées, à quels moments elles sont utilisées, et à quelles fins.
Figure – Du modelage à la pratique autonome
Notre rôle comme enseignante est essentiel dans le développement d'un comportement stratégique en lecture. Cela demande une transformation de notre rôle à l'égard des adultes afin de leur montrer clairement les bons moyens pour arriver à lire. Nous devons les convaincre de l'intérêt d'employer les mêmes stratégies que celles qu'utilisent les bons lecteurs. Nous devons les encourager et les guider dans la maîtrise des stratégies et non les laisser seuls aux prises avec ce nouvel apprentissage. De plus, nous devons créer un climat favorable lors des situations de lecture, mettre les adultes en formation devant des défis raisonnables, leur montrer qu'ils peuvent contrôler davantage leur lecture, les inciter à se poser des questions, à expérimenter, quitte à faire des erreurs. Bref, on peut résumer ainsi les fonctions d'une enseignante qui veut développer un comportement stratégique chez les lecteurs en formation :
Après une première phase d'évaluation des comportements de lecteur des adultes de votre groupe, vous jugez que le survol serait une stratégie très appropriée à leur enseigner : elle leur permettrait de ne pas commencer leur lecture de façon mécanique, collés au texte, sans se poser de questions sur le contenu. Comme les personnes de votre groupe sont à un niveau relativement peu avancé en lecture, vous pensez que le survol leur donnera aussi l'occasion de démystifier des écrits authentiques plus longs, qui leur paraissent souvent hors de portée, et de se donner confiance dans leur lecture.
Vous vous êtes préparée minutieusement avant de présenter le survol en classe. Vous avez choisi d'expliquer cette stratégie avec un texte de quatre pages qui traite d'un sujet connu (par exemple, la carrière d'un gardien de but de hockey comme Patrick Roy) et qui comporte plusieurs photos avec vignettes, des sous-titres, des encadrés de citations, un résumé. Cet écrit est donc tout à fait approprié à l'utilisation de la stratégie de survol. À la suite d'une lecture attentive du texte, vous préparez quelques questions qui vont vous servir à mettre votre groupe en situation. Lors de la mise en situation, invitez les adultes en formation à mentionner, entre autres, ce qu'ils connaissent de la vie et la carrière de ce sportif (s'il est marié ou pas, le nombre d'enfants qu'il a, son équipe actuelle de hockey, combien il a gagné de coupes Stanley, ses autres trophées...) et transcrivez ces éléments au tableau. Par la suite, vous distribuez le texte en précisant son contenu : «Cet article, paru dans la revue Actualité, au moment où Patrick Roy a quitté le Canadien, présente la vie personnelle de cette vedette et ce tournant dans sa carrière.» Vous précisez aussi l'intention de lecture : «Comme vous êtes très intéressés au hockey, cet article vous permettra d'en connaître davantage sur un des meilleurs gardiens de but de la ligue Nationale.»
Plusieurs adultes auront sans doute des réactions de recul ou de découragement en constatant que le texte a quatre pages. À ce moment, annoncez, d'une part, l'aide que vous leur fournirez pendant la lecture («Je vais vous lire le début du texte, puis on continuera individuellement. Nous arrêterons après chaque section pour vérifier si on a compris.») et, d'autre part, que vous allez leur montrer une stratégie très utile en lecture : le survol. Lors de la présentation de la stratégie, sollicitez la participation des adultes, demandez-leur de réagir à vos propos en les complétant, et mettez en valeur les comportements de ceux qui disent utiliser le survol dans leurs lectures.
Vous dites pourquoi cette stratégie est utile aux bons lecteurs (pour avoir une idée du contenu du texte, pour me donner le goût de lire (par les photos, les citations en extraits) ou pour me permettre d'avoir une idée du contenu... sans le lire totalement).
Vous expliquez aussi aux adultes quand c'est utile de faire un survol (quand le texte est long, qu'il y a des indices comme des photos ou des sous-titres pour me guider, quand j'ai moins de temps devant moi...).
Pour expliquer comment faire le survol d'un texte, dites aux adultes que vous allez exécuter devant eux la stratégie pour leur montrer comment faire (c'est le moment du modelage). Prenez alors le texte et dites tout haut les réflexions qui vous animent intérieurement en le survolant. Par exemple, vous lisez le titre et vous dites à quoi cela vous fait penser, à quel genre de lecture vous vous attendez. Vous faites de même pour les photos, les vignettes en bas de chacune d'elles, les sous-titres, les citations, le résumé. Faites pan des anticipations possibles à la suite du survol du texte et demandez aussi leurs commentaires (par exemple : «Je pense que Patrick Roy a été très déçu de quitter le Canadien; il pense gagner la coupe Stanley avec sa nouvelle équipe; on dirait qu'il ne voit pas souvent sa famille, etc.»). Écrivez ces idées au tableau.
Faites attention à ce que la procédure d'explication du survol soit relativement courte (cinq à dix minutes au maximum) et qu'elle n'escamote pas le but même de la lecture, qui est de mieux connaître la vie et la carrière du gardien de but. Commencez la lecture du texte à haute voix, comme vous l'aviez annoncé, en demandant aux adultes d'être attentifs aux anticipations faites lors du survol. Puis, laissez-les lire silencieusement le texte, en se servant des indices du survol pour orienter et guider leur recherche de sens. Arrêtez après chaque partie pour vérifier la compréhension, soulignez les anticipations qui se sont révélées justes. Lors du bilan de la lecture, demandez aux adultes si le fait d'avoir suivi la procédure de survol avec vous les a aidés à comprendre le texte. Affichez ou remettez-leur alors le protocole écrit que vous avez préparé sur le survol et relisez-le avec eux (voir l'encadré).
Par la suite, à l'occasion d'une autre activité de lecture, préparez la pratique guidée du survol. Lors de la mise en situation, rappelez la stratégie de survol, questionnez les adultes du groupe sur son utilité et annoncez-leur que vous allez les aider à survoler le texte avant leur lecture. Vous pouvez les placer en équipes pour la lecture ou séparer la classe en deux : une partie de la classe applique le survol, alors que l'autre commence tout de suite sa lecture. Suivez la même procédure que celle montrée ci-dessus. Lors du bilan de la lecture, faites ressortir l'effet positif d'avoir utilisé le survol pour se mettre dans le sujet, se donner une idée générale du contenu et faire des hypothèses sur le sens. Invitez un adulte que vous jugez à l'aise d'expliquer aux autres comment il a procédé pour faire le survol. Refaites un modelage en utilisant un autre texte si vous jugez que les adultes ont eu beaucoup de difficulté à utiliser le survol. Continuez par la suite à favoriser plusieurs pratiques guidées de la stratégie lorsque le besoin se fera sentir et encouragez les adultes lorsqu'ils utilisent spontanément une forme de survol lors de leur lecture.
Comme on peut le constater, l'enseignement d'une stratégie spécifique à la lecture fait nécessairement appel à des éléments de stratégies métacognitives (réfléchir, se poser des questions, anticiper le sens, vérifier ses hypothèses...). Toutes ces interventions contribuent à favoriser un comportement stratégique pendant la lecture.
Exemple de protocole écrit : le survol
Pourquoi?
Faire un survol du texte avant la lecture m'aide à avoir une idée du contenu du texte, de sa complexité, de sa longueur. Cela me permet de me placer dans le sujet, de m'apporter des idées sur le contenu et de me donner envie de lire. De plus, le survol me permet aussi d'avoir une idée du texte sans le lire au complet parce que je n'ai pas le temps, je n'en ai pas envie ou je le trouve trop long. Le survol me procure plus de pouvoir sur ma lecture.
Quand?
Si le texte est un peu long, qu'il comporte des photos, des illustrations, des sous-titres, un résumé, c'est utile de faire un survol avant de lire.
Comment?
Je lis le titre, je regarde les photos, je lis les légendes en bas des photos.
Je lis le résumé, les sous-titres.
Chaque fois, je me demande de quoi le texte parle.
Je me demande aussi ce que je sais sur ce sujet.
Je pense à ce que le texte va dire, je fais des hypothèses.
Ces petites lectures me donnent des idées sur le texte, des questions auxquelles j'essaierai de répondre en lisant.
Pendant la lecture, je vérifie mes idées sur le texte; je peux aussi revoir une photo, relire un sous-titre.
Après ma lecture, je peux confirmer les idées que je me faisais pendant mon survol; certaines seront justes, d'autres seront fausses. La lecture du texte complète et précise les informations que j'avais trouvées au moment du survol.
Les stratégies métacognitives sont moins faciles à illustrer ou à enseigner que les stratégies spécifiques à la lecture, puisqu'elles désignent des processus mentaux de réflexion et de questionnement sur son propre processus d'apprentissage. Néanmoins, il est très utile de préciser certaines stratégies métacognitives avec les adultes inscrits en alphabétisation. L'une des plus importantes est de pouvoir détecter ses pertes de compréhension. En effet, il faut absolument être capable de savoir que nous ne comprenons pas pour trouver des moyens de remédier à cette perte de sens. Cette attitude est au cœur d'un comportement stratégique de lecteur. Comme le dit Brown (1980), il est important de savoir :
Souvent, la compréhension est faible ou inégale chez les adultes inscrits en alphabétisation. Comme ils s'en remettent à un comportement automatisé et peu stratégique, ils peuvent affirmer comprendre alors qu'ils ne sont pas capables de résumer ce qu'ils lisent ou de répondre à une question simple sur une idée principale du texte. Il devient alors essentiel de leur fournir des moyens pour détecter leur perte de compréhension.
Vous voulez donc aider les adultes de votre groupe à porter attention au sens et à être conscients lorsqu'ils ne comprennent pas. À l'occasion de la lecture d'un feuillet du CLSC qui décrit les services offerts, annoncez aux adultes que vous avez préparé, pour chaque paragraphe, une question importante à laquelle ils devraient être capables de répondre après avoir lu le texte. Avant la lecture du premier paragraphe, faites connaître votre question: vous mettez ainsi les adultes plus conscients de ce qu'ils cherchent. Après la lecture du paragraphe, demandez à chaque adulte de penser à sa réponse, puis recueillez-la. Demandez-leur comment ils ont procédé pour trouver leur réponse, sur quels indices du texte ils se sont basés. Faites la même chose pour chacun des paragraphes.
Lors du bilan de la lecture, expliquez-leur que vous avez pris ce moyen (leur donner une question sur chaque paragraphe) pour les aider à savoir quand on comprend et quand on ne comprend pas. Dites que les bons lecteurs sont ceux qui sont capables de savoir quand ils ne comprennent pas et qui trouvent alors des solutions pour les aider. Faites valoir que la lecture est une activité utile en autant qu'on comprenne, que c'est exactement la même chose que lorsque quelqu'un nous parle. Par exemple, si une personne nous parle dans une langue que nous ne comprenons pas, à quoi nous sert de faire semblant de comprendre? C'est du temps perdu; c'est la même chose en lecture. Demandez aux adultes de préciser ce qu'on peut faire lorsque l'on ne comprend pas :
Valorisez toutes ces stratégies en montrant comment elles augmentent notre performance et nous permettent de trouver des solutions à nos problèmes. Montrez que si on ne réalise pas qu'on n'a pas compris, on ne peut pas utiliser ces moyens. Expliquez qu'il est toujours préférable de prendre des moyens pour mieux comprendre plutôt que de saisir à moitié. N'oubliez pas que les adultes inscrits en alphabétisation, pour préserver leur estime de soi, préfèrent dire qu'ils ont compris plutôt que de mettre en évidence ce qu'ils considèrent comme un échec. Vous devrez donc les encourager constamment au fait que c'est en identifiant ce qu'on ne comprend pas qu'on devient graduellement meilleur lecteur. En ce sens, valorisez les moments où les adultes en formation détectent leur perte de compréhension.
Faites alors un modelage de votre gestion de la compréhension. Prenez un autre texte, relativement facile et compréhensible, et lisez-le à voix haute. Arrêtez après le premier paragraphe, demandez-vous: «De quoi parlait-on? Est-ce que j'ai compris?» Continuez votre lecture, faites semblant de ne pas comprendre (une phrase trop longue, un mot trop difficile); arrêtez-vous, tentez de relire la dernière phrase, de la redire dans vos mots. Vous pouvez aussi, comme vous souhaitez que les adultes fassent, demander de l'aide à quelqu'un de la classe, vérifier le sens d'un mot en utilisant le contexte. Commentez le texte par quelques réflexions personnelles qui font le lien avec vos connaissances («Ça, je le savais déjà. Tiens, c'est bizarre, je pensais le contraire.») À la fin du texte, demandez-vous ce que vous avez appris de neuf, quel était le message important, résumez le texte dans vos mots. Bref, montrez-leur un comportement qui se questionne régulièrement sur le sens et qui se donne des moyens pour comprendre.
En classe, revenez souvent sur cette attitude de lecteur centrée sur la compréhension; refaites le modelage en introduction à quelques lectures, demandez aux adultes de faire part des moyens qu'ils prennent pour mieux comprendre. Puis, planifiez plusieurs pratiques guidées où vous inviterez les adultes à imiter votre modelage en adoptant le même processus de questionnement interne lorsqu'ils lisent. Discutez des bienfaits de ce questionnement lors des bilans de lecture. En fait, il faut parvenir à ce que les adultes soient davantage conscients que la compréhension est au cœur de la lecture. Cette centration sur le sens, si elle n'apporte pas de résultats dès la première fois, aura sûrement des effets bénéfiques avec le temps. Soyez persévérante. Soulignez les progrès; montrez-leur comment ce questionnement et cette attention leur confèrent du pouvoir lorsqu'ils lisent.
Exemple de protocole écrit : Détecter ses pertes de compréhension
Pourquoi?
Parce que je sais que c'est essentiel à ma lecture.
Parce qu'après que je sais ce que je ne comprends pas, je pourrai prendre des moyens pour m'aider.
Parce que cela ne donne rien de lire si je ne comprends pas.
Quand?
Toujours! Mais surtout quand le texte est plus difficile, ou quand je pense que je comprends toujours tout du premier coup...
Comment?
En lisant, je me demande : Est-ce que je comprends? Qu'est-ce que le texte dit d'important? Est-ce que je peux le redire dans mes mots?
Je me rappelle pourquoi je lis le texte.
Je me demande : Est-ce que ce que je lis a du sens? Est-ce que l'information que je cherche se trouve dans ce paragraphe?
Je m'arrête pour réfléchir, pour résumer mentalement ce que je viens de lire.
Lire, c'est avoir choisi de chercher quelque chose; amputée de cette intention, la lecture n'existe pas. Puisque lire, c'est trouver l'information qu'on choisit, la lecture est par nature flexible, multiforme, toujours adaptée à la recherche. Il n'y a pas de degré de lecture, des lectures qui soient meilleures que d'autres; savoir lire, c'est adapter sa quête à son projet.
Foucambert, 1980, p. 36.
Une intention est à la base, consciemment ou inconsciemment, de chacune de nos lectures. Nous lisons les indications routières pour atteindre la destination choisie, des catalogues pour acheter des produits qui nous intéressent, un article de journal parce que le titre nous a intriguées, un roman pour nous évader du quotidien. L'intention permet au lecteur de guider sa lecture, de sélectionner les informations pertinentes et de déterminer quelles connaissances antérieures lui seront utiles. Chaque lecture prend naissance dans un projet. À quelles questions veut-on répondre? Qu'est-ce qu'on désire confirmer ou infirmer? Qu'est-ce qu'on souhaite connaître? Qu'est-ce qu'on cherche à réaliser? Cette étape de questionnement préliminaire est à la base de toute lecture véritable.
Bien souvent, les adultes faibles lecteurs n'ont pas d'intentions de lecture précises, puisqu'ils ont développé d'autres moyens de se distraire, de s'informer, de s'organiser. Pour eux, la lecture est souvent un moyen trop pénible ou trop long pour arriver à leurs fins. Ils sont par ailleurs habitués à ce qu'on leur propose un texte en classe sans qu'ils soient impliqués dans le processus de décision. Un de nos objectifs d'enseignement est de faire naître des intentions de lecture plausibles, réelles, à partir des intérêts des adultes, de leurs préoccupations, de leurs questions, de leur vie. Ces intérêts ne se manifesteront pas nécessairement comme des intentions de lecture : il faut les traduire en ce sens.
La classe d'alphabétisation doit devenir un lieu qui introduit autant que possible des intentions de lecture réelles, c'est-à-dire lire pour s'informer, pour se divertir, pour agir. Nous expliquons dans cette partie comment tenir compte des intentions de lecture des adultes inscrits en alphabétisation, ainsi que le défi que cela pose dans le travail quotidien d'enseignement.
Demander aux adultes de faire une liste de ce qu'ils veulent lire n'apporte pas toujours de réponses claires. Par contre, les discussions informelles (à la fin du cours, à la pause) ainsi que les entretiens individuels avec les adultes du groupe d'alphabétisation nous renseignent beaucoup sur des sujets éventuels de lecture. Si les adultes discutent de leurs difficultés financières, pourquoi ne pas proposer, par exemple, une lecture portant sur un projet de cuisine collective dans le quartier? Pourquoi ne pas faire connaître des ressources comme le Chic Resto-pop, qui offre des repas à prix modiques aux personnes dans le besoin? Si les adultes du groupe échangent des propos sur l'éducation de leurs enfants, pourquoi ne pas présenter un feuillet d'information sur les services offerts par la maison de famille ou par le CLSC du quartier?
Les thèmes de lecture n'auront pas toujours de lien avec les conditions de vie des personnes. D'autres sujets seront aussi abordés. Par exemple, les adultes plus âgés se plaisent à raconter leurs souvenirs; cet intérêt peut se traduire par la lecture de textes informatif s sur la vie quotidienne au Québec dans les années '40, sur les coutumes et les fêtes dans d'autres pays, sur la vie des conteurs d'autrefois... Les plus jeunes se passionnent-ils pour les films d'action? Vous pouvez leur proposer de chercher des informations sur les cascadeurs, de lire des notes biographiques sur leurs acteurs préférés, une histoire d'espionnage ou une nouvelle policière. Si les intentions de lecture peuvent être de l'ordre du divertissement ou de l'information, elles peuvent aussi être mues par une action. Pour préparer un buffet pour la fête de Noël, on choisira des recettes, on lira des feuillets publicitaires pour dresser la liste des produits à acheter. On pourra aussi lire en vue de planifier la visite d'une personne-ressource en classe.
Lorsque vous proposerez la lecture d'un texte, vous référerez aux débats, aux prises de position déjà entendues dans le groupe, aux questions soulevées. Par exemple : «Vous vous rappelez jeudi passé, nous avons eu une discussion sur le suicide; je vous propose de lire une lettre ouverte d'un homme qui explique assez bien pourquoi il est en faveur du suicide assisté et qui nous apporte des arguments nouveaux sur le sujet» ou encore: «Hacina nous a déjà mentionné la difficulté d'élever seule des adolescents; je vous suggère justement de lire un document fait par le CLSC pour aider des parents pour qui se posent les mêmes problèmes.»
Tenir compte des intentions de lecture est un défi exigeant pour l'enseignante : il faut s'adapter, être constamment à l'écoute des adultes du groupe, être à l'affût des intérêts de chacun. Il semble plus facile à première vue de s'appuyer sur des textes photocopiés que nous avons déjà sous la main et qui traitent de divers sujets. Cependant, le désir et l'intérêt de chaque adulte pour sa lecture conditionnent l'émergence d'un véritable comportement de lecteur; si les adultes découvrent des raisons personnelles de lire, ils deviennent plus actifs, car ils veulent connaître, ils veulent réaliser un projet qui leur tient à cœur. Cette démarche permet de les associer plus étroitement à leur propre projet de formation en leur rappelant constamment la finalité de la lecture. De là l'importance de partir des intentions de lecture des adultes. Le défi de l'enseignante, c'est de traduire des discussions informelles en intentions plausibles de lecture, de faire naître des idées, des projets qui peuvent être utiles, intéressants et qui donnent une meilleure prise sur la vie des adultes de la classe.
Partir des questions et des intérêts des adultes est aussi un exercice exigeant car il faut tenir compte des goûts de chacun, qui ne sont pas forcément les mêmes. En ce sens, il faut trouver les dénominateurs communs, les sujets susceptibles de rallier la majorité. Par exemple, à la suite d'une discussion sur les maladies mentales, vous pouvez poser des questions de façon à cerner les intérêts communs et à créer un consensus: «Qu'est-ce que vous aimeriez savoir là-dessus? Y-a-t-il une maladie qui vous intrigue davantage? Voulez-vous connaître les méthodes de guérison?», etc.
Par ailleurs, il faut rendre explicite ce travail avec les adultes et les amener à collaborer à cette recherche d'intérêts. Faites valoir que ce n'est pas à vous de décider ce qu'ils doivent lire. S'ils n'ont pas de questions ou de motivation à lire, ils pourront difficilement devenir des lecteurs assidus et autonomes. Il en va donc de leur intérêt de participer à cette recherche d'intention, de proposer des sujets, de soulever des questions. Ces débats sur leur participation incitent les adultes en formation à manifester un comportement de lecteur plus stratégique puisqu'ils lisent pour répondre à des besoins qui leur sont propres, ce qui les ramène à la finalité de la lecture.
Dans le fonctionnement quotidien de la classe, il ne sera sans doute pas toujours possible de partir d'une intention clairement formulée et à la source des intérêts des adultes. Dans ce cas, il faut choisir des intentions qui nous semblent les plus plausibles et les plus intéressantes d'après la connaissance du groupe. Il n'est pas utile d'introduire un texte sur le hockey si votre groupe est composé majoritairement de femmes allophones qui ne suivent pas ce sport. Par contre, présenter un texte qui décrit des camps familiaux à une période où on planifie les vacances est sans doute plus pertinent si votre groupe est formé majoritairement de jeunes parents.
Bref, les intentions de lecture des adultes inscrits en alphabétisation sont à la base de toute activité de lecture que l'on veut signifiante et fonctionnelle à présenter en classe. Ces intentions orientent la recherche de textes de même que la manière de les lire. Notre rôle comme enseignante est de faire naître des intentions de lecture à partir des questions et des intérêts des adultes de la classe et de les faire participer pleinement à cette démarche.
Les discussions sur l'actualité offrent une source inépuisable de projets de lecture. Par exemple, vous proposez au groupe de débattre des événements d'actualité au début de chaque cours. À tour de rôle, un adulte du groupe est chargé de commenter deux ou trois nouvelles qu'il juge intéressantes, qu'elles traitent de sports, de culture, d'économie, de politique, etc. Les personnes peuvent se référer aux nouvelles entendues à la radio, à la télévision, discutées dans la famille ou relevées dans les titres et les articles des quotidiens.
Ces courtes discussions peuvent être utiles sous plusieurs aspects. Premièrement, elles offrent une occasion d'intégrer le journal en classe et d'en faire un outil de travail. Deuxièmement, elles peuvent aider les adultes inscrits en alphabétisation à élargir leurs connaissances générales, à se créer un univers plus compréhensible des faits qui sont souvent présentés isolés de leur contexte. C'est l'occasion de préciser des organigrammes politiques, de donner le sens de certaines abréviations, de situer géographiquement des pays, de faire des liens avec d'autres nouvelles présentées précédemment. Cette compréhension plus étendue facilitera peu à peu la lecture et permettra de poser un œil plus critique sur les articles de journaux. Enfin, ces discussions peuvent aussi susciter des questions qui mèneront à une prochaine lecture.
Par exemple, si les adultes du groupe débattent de la fermeture prochaine de trois hôpitaux à Montréal, ils peuvent se demander quelles seront les conséquences de ces fermetures, ce que veut dire un système universel gratuit de santé, quel sera le futur rôle des CLSC. Ils pourront répondre à ces questions par la lecture d'un feuillet sur les services du CLSC ou d'un article de revue. L'explosion d'une bombe à Londres entraînera peut-être un intérêt pour comprendre l'origine du conflit entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. Le suicide d'un jeune peut amener le groupe à vouloir connaître le travail de prévention du suicide, à se questionner sur la mort, à avoir une opinion sur le suicide assisté. En fait, il faut nourrir et encourager constamment la curiosité dans le groupe, favoriser des périodes d'échange, permettre que, à partir d'une question, on en formule une autre.
Il n'est pas toujours facile d'aller chercher les intérêts des adultes par rapport à la lecture. Pour rendre la tâche plus facile, nous pouvons élaborer un questionnaire qui porte sur leurs centres d'intérêts, leurs loisirs, leurs pratiques sportives ou culturelles, à partir duquel il sera possible de proposer de futures lectures. Le questionnaire peut être construit en tenant compte des sujets suivants :
Cet inventaire d'intérêts permet aux adultes de constater ce qu'ils savent et ce qu'ils font, même s'ils lisent peu. C'est en partant de ces intérêts que nous multiplions les possibilités de faire des lectures signifiantes et d'augmenter la motivation à lire. Nous pouvons aussi découvrir un peu mieux lés connaissances antérieures des adultes qui peuvent alimenter des lectures. Par exemple, vous pouvez utiliser la passion d'un adulte pour le soccer, afin qu'il présente un article sur ce sport ou qu'il puisse répondre à certaines questions qui ne trouvent pas de réponses dans le texte.
Il y a plus d'une conduite de lecture et la construction du sens ne se fait pas toujours de la même façon. En fait, non seulement les objets à lire sont différents par leur format, leur poids, leur consistance, leurs couleurs, leur mise en pages, mais aussi et surtout par leur fonction et leur fonctionnement: un dictionnaire ne s'utilise pas comme une flore, ni comme un atlas, et un roman ne se lit pas comme un journal ou une bande dessinée [...] Tout cela entraîne une diversification des conduites de lecture et donc il ne peut y avoir de maîtrise en matière de lecture sans capacité à adapter ses conduites en fonction des objets à lire.
Charmeux, 1987, p. 89.
La syntaxe écrite, l'organisation du texte en paragraphes, la manière d'indiquer les dialogues, la ponctuation, les illustrations sont autant d'indicateurs qui orientent le lecteur et avec lesquels il se familiarise peu à peu dans la mesure où il est confronté avec des textes signifiants.
Castonguay et Dulude, 1981, p. 20.
Un texte riche est évocateur. Il rend l'information "visuelle", imagée, presque tangible pour le lecteur. À cette fin, il fournit des exemples, des détails, des précisions, des illustrations, des schémas, des tableaux, etc., qui éclairent davantage le lecteur sur chacun des aspects traités. [...] Traditionnellement, on écarte les textes qui ont ces qualités parce qu'on les juge trop chargés pour les élèves en difficulté ou chez les débutants. L'intention est louable mais l'effet problématique.
En effet, à la limite, les textes dépouillés sont trop denses et ne peuvent ainsi que mystifier ou irriter le lecteur peu compétent sur ces sujets, ou ils ne comportent que des généralités banales qui ne peuvent que l'ennuyer. (...] Mieux vaut, en définitive, des textes riches et éventuellement plus longs que des textes courts mais ennuyants ou mystifiants, si on veut faire éprouver l'utilité de savoir lire, quitte à soutenir la lecture par des moyens appropriés tels que la lecture par l'enseignant d'une partie du texte, le résumé de sections qui ne seront pas lues, etc.
Chamberland, 1989, p. 78.
Les intentions de lecture des adultes inscrits en alphabétisation vont nourrir et guider la recherche de textes à proposer en classe. La variété des textes manipulés, observés et lus en classe incitera le lecteur débutant à développer des attitudes différentes afin de répondre à ses besoins. Peu à peu, avec une pratique de plus en plus diversifiée, l'adulte inscrit en alphabétisation apprend à démystifier les écrits. Il découvre qu'il peut aller chercher ce qui fait son affaire et que personne ne l'oblige à lire tous les textes d'un bout à l'autre. Il réussit donc à contrôler sa lecture, ce qui le motive et le rend plus confiant dans sa capacité à lire. Par ailleurs, les stratégies utilisées en lecture, dont nous avons parlé à la deuxième section, sont variables en fonction notamment des intentions du lecteur, de ses connaissances antérieures, du type de texte qu'il doit lire. L'enseignement doit s'inscrire dans cette perspective et proposer des textes qui demandent l'utilisation de stratégies différentes.
Dans cette partie, nous présentons les raisons qui nous incitent à privilégier l'utilisation des textes authentiques en classe d'alphabétisation et nous expliquons comment les sélectionner. Enfin, nous donnons une idée de la variété des textes qui peuvent être utilisés en classe.
Apprendre à lire, c'est apprendre entre autres à modifier sa lecture en fonction du type de textes et de son intention de lecture. Les adultes qui débutent en lecture doivent pouvoir chercher, sélectionner, adapter leur lecture en fonction notamment de leurs intentions. Comment le feront-ils s'ils ne sont pas en contact avec des écrits véritables, mais avec un matériel épuré, simplifié, créé pour eux? Nous devons montrer aux adultes débutants en lecture l'intérêt de faire un survol, de chercher dans les textes des indices pour orienter leur lecture et les aider à saisir le sens. Comment le feront-ils si les textes proposés en classe ont tous la même mise en page, la même grosseur de caractères, pas de sous-titres ou d'illustrations? Un texte remâché et aseptisé perd les indices qui peuvent donner une idée de son contenu; il n'invite pas les lecteurs à adopter un comportement de questionnement et d'anticipation par rapport au contenu.
C'est pourquoi nous suggérons d'utiliser un maximum de textes authentiques pour les situations de lecture en classe. Il faut sortir du cadre et du matériel scolaire; toutes les recherches sur l'analphabétisme ou la littéracie utilisent du matériel authentique pour apprécier les compétences des adultes à l'écrit (OCDE et Statistique Canada, 1995). La classe doit devenir une sorte de laboratoire vivant où les adultes se familiarisent directement avec les écrits qui circulent autour d'eux. C'est la meilleure façon de faciliter le transfert des apprentissages.
Un texte authentique est un document écrit tel qu'on le trouve dans la vie de tous les jours. Évitez à chaque fois que c'est possible les photocopies de textes authentiques car cela diminue la qualité graphique et ça change le format. En effet, lire quatre petites annonces sur une feuille photocopiée "8,5 x 11" ne demande pas le môme comportement que de consulter le cahier des annonces classées d'un journal. Dans ce cas, lire les petites annonces fait partie intégrante du comportement d'un lecteur de journal.
Si possible, il faut lire les textes avant de les proposer aux adultes, pour en voir l'intérêt et planifier la façon de les présenter. Il ne faut pas oublier que le niveau et l'organisation des connaissances antérieures sont essentiels pour déterminer la compréhension en lecture : si les connaissances des adultes de la classe sont incomplètes ou erronées, leur compréhension en sera affectée. Aussi, il importe de présenter aux adultes des textes intéressants qui offrent des défis raisonnables, mais non insurmontables. Lorsque le texte vous semble trop difficile, vous avez plusieurs choix avant de décider de le simplifier. En effet, vous pouvez par exemple utiliser la stratégie du survol, fournir aux adultes une aide plus soutenue en lisant à voix haute certaines parties du texte, en arrêtant la lecture après chaque extrait pour vérifier la compréhension.
Par ailleurs, si vous décidez quand même de résumer un texte authentique, signez votre texte et indiquez vos sources. Conservez aussi des indices graphiques : un titre en caractère gras, des sous-titres pour résumer les différentes parties du texte, une illustration. Présentez aussi la version originale aux adultes du groupe : certains voudront peut-être la lire. Cela leur permettra aussi de comparer les deux versions, de constater le travail de simplification, de voir comment vous avez procédé, de vérifier ce que vous avez retenu pour résumer l'information.
Voici le genre de questions qu'il est utile de se poser lorsqu'on choisit un texte :
Par ailleurs, la recherche de textes peut très bien se faire en collaboration avec les adultes de la classe, ce qui les engage dans leur propre démarche de formation. Bien souvent, les adultes s'habituent à voir arriver, préparé à leur intention, un texte choisi par l'enseignante, qu'il leur suffit de lire, ce qui renforce une attitude passive. Au contraire, les adultes peuvent chercher des documents sur un sujet (à la bibliothèque du quartier, au CLSC, dans les groupes communautaires, à l'école...), découper des articles de journaux qui les intéressent, apporter des documents qu'ils reçoivent par la poste, des textes qu'ils doivent lire au travail. Ce faisant, les adultes deviennent plus attentifs au matériel écrit qui circule autour d'eux; ils apprennent ainsi à faire des choix, à sélectionner des textes à partir d'indices (le titre, le sujet, les illustrations, la grosseur des caractères).
En fonction de la difficulté du texte choisi, du sujet, du niveau des connaissances antérieures des adultes de la classe, vous aller préparer la mise en situation, proposer une façon de lire, déterminer, si c'est le cas, l'enseignement d'une stratégie appropriée. Certains textes invitent à faire un survol, d'autres peuvent bien illustrer comment utiliser le contexte pour trouver le sens des mots nouveaux, d'autres encore peuvent mettre en évidence la pertinence de faire un résumé de chaque paragraphe, de créer des images mentales, etc.
On utilisera en classe des textes authentiques qui traitent de différents sujets, qui ont des objectifs soit de détente, de plaisir, d'information ou d'incitation à une action. Variez votre planification avec des documents plus techniques (cartes routières, formulaires, prospectus d'alimentation), des lectures de textes d'opinion ou d'information plus générale (l'astronomie, les développements technologiques...) et des lectures de fiction. N'oubliez pas aussi de proposer des textes qui donnent un aperçu de la vie du quartier, de l'école, de la ville, des lectures qui permettent aux adultes d'avoir une plus grande prise sur la réalité. Lorsque vous utilisez le journal, assurez-vous que le matériel est actuel : les annonces publicitaires de la semaine, les films qui sont encore à l'affiche ou disponibles sur vidéocassettes, des articles sur l'actualité. Enfin, prenez garde aux textes qui visent l'acquisition implicite de conduites moralement acceptables : des textes pour savoir comment mieux manger, comment arrêter de fumer, pourquoi éviter la dépendance aux médicaments... Les adultes inscrits en alphabétisation n'ont pas nécessairement le goût que la lecture soit un moyen détourné de leur "apprendre à vivre"; ils veulent être respectés dans ce qu'ils sont, dans leurs intérêts, leurs questionnements, leurs besoins d'information et de détente.
Liste de documents écrits authentiques :
livres pratiques (recettes, menuiserie, jardinage...);
livres pour adultes faibles lecteurs (collection Lecture simple et facile de La Littérature de l'oreille, collection Tournepage, les nouvelles et récits publiés par les commissions scolaires);
"horaire-télé";
prospectus publicitaires;
revues, quotidiens, journaux de quartier;
bandes dessinées;
nouvelles ou romans (pour adultes ou pour adolescents);
textes écrits par des adultes inscrits en alphabétisation;
extraits de romans qui ont servi de canevas pour le cinéma ou la télévision (Les filles de Caleb, Frankenstein, Cyrano de Bergerac...);
documentation gouvernementale de toutes sortes;
articles informatifs dans des revues ou des livres pour jeunes;
résumés de films avec photos (on en trouve dans des revues de cinéma ou des journaux);
photo-romans;
documentation écrite des groupes communautaires du quartier (une association de consommateurs, un groupe d'aide aux personnes ex-psychiatrisées, un comptoir de soupe populaire);
feuillets d'information du CLSC;
matériel imprimé de l'école primaire ou secondaire (le bulletin, les lettres aux parents, le cahier des règlements de l'école...);
cartes et atlas géographiques;
livres pour enfants (pour les pratiques de lecture avec les enfants à la maison);
matériel disponible par Internet (les sites sur des vedettes, sur l'actualité, des groupes de discussion sur le racisme...).
En résumé, nous proposons de choisir en priorité des écrits authentiques de sujets et de formats variés pour préparer les activités de lecture en classe. Ce faisant, les adultes en formation se familiariseront davantage avec le matériel écrit qui circule autour d'eux, ils y seront plus attentifs, ce qui favorisera le transfert d'un véritable comportement de lecteur en dehors de la classe. La recherche de textes se fera à partir de critères préalablement établis et, si possible, en collaboration avec les adultes.
Plusieurs exploitations de lecture peuvent être faites à partir du journal en classe, que ce soit La Presse, Le Journal de Montréal, le journal L'Itinéraire (journal écrit et distribué par des personnes sans-abri de la région de Montréal) ou d'autres journaux de quartiers. Comme nous l'avons mentionné précédemment, le journal peut être un outil permettant de discuter de l'actualité. Vous laissez par exemple une période pour que chaque adulte feuillette un journal du jour et choisisse deux nouvelles qui lui paraissent intéressantes. Comme les autres, vous pouvez aussi présenter votre choix de nouvelles. Il est possible pour tous les adultes, même les moins avancés, de choisir des nouvelles à partir des photos, des grands titres et de pouvoir compléter l'information écrite avec d'autres sources (discussions, nouvelles de la radio et de la télévision). On peut alors leur montrer, par exemple, l'utilité des stratégies de survol, d'anticipation du contenu à partir d'indices. À la fin de la période de lecture silencieuse, chacun explique ses choix devant le groupe, ce qui génère une discussion qui vous renseignera sur les intérêts des personnes et leur niveau de connaissances générales.
On peut aussi choisir de suivre régulièrement la chronique, l'éditorial ou les commentaires d'un journaliste (par exemple, la chronique de Pierre Nadeau sur l'émission Enjeux de Radio-Canada, celle de Charles Tisseyre sur l'émission Découvertes, les billets de Maurice Richard sur le sport, certains commentaires de Pierre Foglia, ou même les caricatures de Serge Chapleau...). Le groupe s'habitue alors à un style journalistique, le texte devient plus personnalisé car il est associé à un nom, à un visage. On veut savoir ce que le journaliste pense d'un événement, on apprend par le fait même à formuler sa propre opinion. Cela peut nous amener par la suite à écrire une lettre au journal pour exprimer un désaccord ou à lire une lettre dans le courrier des lecteurs.
Par ailleurs, le journal aussi peut être utilisé en vue d'objectifs plus fonctionnels. Si quelqu'un doit trouver un logement, par exemple, on peut mettre le groupe à contribution pendant une certaine période, avec raccord de cette personne. Elle précise alors ses critères de choix (le prix, la date de disponibilité, le nombre de pièces, le quartier...). Les personnes travaillent en équipe pour sélectionner les annonces classées qui pourraient être utiles (ce sera peut-être l'occasion pour expliquer ou rappeler des stratégies liées au repérage sélectif d'information). Vous suivez le projet dans sa réalisation concrète et vous invitez la personne à faire part au groupe du résultat de ses démarches de recherche.
Les journaux de quartier sont aussi une source très intéressante de renseignements. Ils sont souvent gratuits et livrés à domicile; les adultes les connaissent et les feuillettent à l'occasion. La lecture des articles de ces journaux permet de mieux connaître les ressources communautaires ou de loisirs, les bazars de vêtements usagés, les activités sociales, les problèmes particuliers du quartier (la délinquance, la circulation automobile trop dense, les odeurs et les bruits causés par la proximité des restaurants...). Cette vie à l'échelle locale offre de l'intérêt, car les adultes connaissent bien leur milieu de vie immédiat, les rues et les commerces de leur quartier, les sujets mentionnés les touchent directement. La participation sociale est souvent plus directe : il y a une assemblée de quartier sur un règlement de la ville, une activité offerte au sous-sol de l'église, etc.
En collaboration avec d'autres enseignantes, constituez une banque de documents authentiques. On y retrouvera des textes de nature et de format variés. À cette fin, servez-vous de la liste présentée plus haut, en excluant toutefois le matériel qui se périme trop vite (les quotidiens, les prospectus ou les revues hebdomadaires, par exemple). Demandez aux enseignants de vous apporter du matériel écrit dont ils ne se servent plus à la maison. Mettez aussi les adultes de votre groupe à contribution pour aller chercher des feuillets d'information au CLSC, au Complexe Desjardins (pour certaines publications gouvernementales gratuites), dans les organismes communautaires, etc.
Avec l'aide des adultes, faites un tri de documents, enlevez ce qui est inintéressant ou désuet, distinguez les divers types de matériel écrit. Par exemple, dans le cas des romans, on peut joindre une feuille d'appréciation à l'endos; les adultes qui les ont lus peuvent y inscrire brièvement leurs commentaires. Gardez dans la boite un nombre suffisant de documents tout en évitant une surcharge (d'autres peuvent être placés dans un centre de documentation). Conservez le caractère un peu informel du projet: ne procédez pas à la constitution d'une mini-bibliothèque qui deviendrait vite trop dure à gérer.
Le matériel ainsi ramassé sera, si possible, accessible, facile à consulter tant pour les adultes inscrits au centre que pour le personnel enseignant. Il pourra alimenter ceux-ci dans la recherche de textes; il servira aussi dans les classes durant les périodes de lecture personnelle (voir page 125) et enfin, permettra des emprunts éventuels des adultes en dehors du cours. On prendra soin de renouveler assez régulièrement le stock de livres et de revues pour maintenir l'intérêt de tous.
De plus :
Ainsi, la recherche démontre qu'il est pertinent d'utiliser la mise en situation d'apprentissage. Il est rentable d'activer, en les réorganisant, les connaissances antérieures des élèves et de leur présenter l'information dont ils ont besoin pour donner un sens et comprendre l'organisation du contexte d'apprentissage. Cependant, une mise en situation sera efficace en autant qu'elle est en lien direct avec le contenu d'apprentissage et les tâches qui l'accompagnent. Elle devra aussi porter sur des éléments précis et éviter les généralités ainsi que les détails secondaires. Le succès d'une mise en situation réussie réside donc dans la cohérence qui existe entre les objectifs poursuivis, l'activation et l'organisation des connaissances et la démarche pédagogique proposée aux élèves.
Chouinard, 1991, p. 4.
La mise en situation désigne la période qui précède immédiatement la lecture comme telle. Bien que ce soit une étape importante reconnue de la démarche d'enseignement depuis une vingtaine d'années au Québec, on doute parfois de son efficacité. Des recherches ont en effet démontré qu'une mise en situation trop générale ou mal préparée n'avait pas d'effet pour augmenter la compréhension en lecture (Giasson, 1990). La mise en situation doit être dynamique, donner le goût de lire et surtout, bien préparer les adultes inscrits en alphabétisation à comprendre leur lecture. La mise en situation est une étape qui doit être planifiée en cohérence avec les autres étapes du projet de lecture; elle sera préparée en fonction du sujet du texte (un thème familier ou inaccoutumé, un thème d'information ou de fiction), des connaissances antérieures des lecteurs de la classe, du type de texte (une circulaire, une nouvelle, un feuillet documentaire, un ou plusieurs textes) et du type de lecture proposé par la suite (une lecture individuelle, une lecture en petits groupes).
Même s'il y plusieurs façons de préparer une mise en situation, nous vous suggérons de toujours l'aborder selon deux aspects principaux: les connaissances antérieures des lecteurs et l'organisation du contexte de la lecture.
Comme nous l'avons vu précédemment, les connaissances antérieures des lecteurs jouent un rôle de premier plan pour la compréhension en lecture. Leur nature et leur organisation dans un schéma cognitif cohérent déterminent en grande partie la qualité de l'apprentissage. Ces connaissances se bâtissent graduellement au contact des expériences personnelles de chacun, en interaction avec l'environnement physique et social. Elles peuvent être de l'ordre des croyances, des valeurs et des préjugés; elles peuvent aussi être incomplètes ou erronées. Ainsi, un enfant québécois de 4 ans croit en général que le Père Noël existe; cela fait partie de son système de croyances, de ce qu'on lui a raconté depuis qu'il est tout petit. Cette idée sera peu à peu éliminée de son réseau de connaissances actives avec l'âge et au contact des autres enfants et de la réalité (voir ses parents qui achètent les cadeaux de Noël, par exemple). Néanmoins, plusieurs idées erronées font encore partie intégrante de nos connaissances d'adultes, à des degrés divers : mentionnons simplement les préjugés sur les personnes atteintes du sida, les préjugés raciaux, les idées préconçues sur l'alimentation, la santé, l'astrologie, etc. Qu'elles soient justes ou erronées, les connaissances antérieures ont un effet de primauté sur les nouvelles connaissances (Tardif, 1992). Une personne aura tendance, par exemple, à affirmer qu'on peut contracter le sida par simple contact physique avec une personne atteinte, même si elle vient de lire une information contradictoire. C'est à partir de ces conceptions, connaissances et préjugés que nous abordons et comprenons les textes.
Les connaissances antérieures sont aussi influencées par le contexte culturel propre à chaque communauté. Il est plus facile, par exemple, pour une personne originaire du Québec de comprendre un texte qui décrit la fabrication du sirop d'érable, ou des activités sportives hivernales parce que ces réalités font partie d'un bagage de connaissances propres à la culture québécoise. On peut imaginer alors comment il est difficile de se faire une image mentale des règles qui régissent le hockey pour une personne vietnamienne nouvellement arrivée au Québec qui n'a jamais chaussé de patins ou qui ne connaît aucunement le hockey. Par ailleurs, il importe de se rappeler que chaque individu dispose d'un ensemble d'acquis particuliers à sa culture pour aborder les connaissances (Chouinard, 1994). Par exemple, les façons de situer les rôles sociaux des hommes et des femmes, l'éducation des enfants ou la mort pourront être perçues différemment par des personnes originaires du Salvador, de Haïti, du Vietnam ou du Québec.
Nous devons donc absolument tenir compte des connaissances antérieures des adultes de la classe pour préparer la mise en situation. C'est d'autant plus important quand on sait par expérience que les adultes inscrits en alphabétisation ont peu tendance à activer eux-mêmes leurs connaissances et à les mettre à profit pour comprendre leur lecture. Pour chaque mise en situation de lecture, nous devons donc nous poser certaines questions :
La préparation de chaque mise en situation se fera en fonction du niveau et de l'organisation des connaissances antérieures spécifiques des adultes de la classe (Giasson, 1990).
Les interventions de stimulation des connaissances antérieures doivent éviter d'être trop générales, car elles ne permettront pas une meilleure lecture du texte. Par exemple, il n'est peut-être pas suffisant ou approprié de demander aux adultes de témoigner de leurs expériences personnelles sur la peur pour introduire la lecture d'une nouvelle fantastique où il est question de la peur. Il faut plutôt lier directement les connaissances antérieures avec le sujet même du texte, c'est-à-dire le contenu et la structure, le déroulement, les idées principales, le vocabulaire utilisé, etc. Pour cela, on peut, par exemple, préparer une liste de questions en rapport avec le contenu du texte, proposer un exercice de "vrai ou faux", soumettre un schéma d'organisation des connaissances (Tardif et Gaouette, 1986c), etc. Vous pouvez aussi demander aux adultes de la classe de nommer les mots susceptibles d'être présents dans le texte, en fonction du sujet traité, en ajoutant certains termes présents dans le texte. Vous pouvez ensuite les écrire au tableau, les répéter devant le groupe en insistant sur le fait de les voir globalement plutôt qu'en décodant chaque syllabe, faire des liens entre les mots, les aider à poser des hypothèses sur la signification des mots nouveaux pour ensuite les inciter à en trouver le sens en fonction du contexte.
Par ailleurs, les adultes en formation peuvent réagir directement face au sujet : cela leur rappelle des expériences pénibles, ou encore ils ont une idée bien arrêtée sur la question qu'ils n'ont pas l'intention de modifier et qui les rend moins disponibles à leur lecture. Il faut être à l'écoute de ces réactions émotives, les laisser s'exprimer et trouver des moyens de les diminuer de façon à permettre plus de réceptivité face au contenu du texte.
Enfin, il importe de revenir fréquemment avec les adultes sur les fonctions mêmes de la mise en situation par rapport à la lecture :
Ces questions invitent les adultes à adopter un comportement plus stratégique, dans le sens où ils font la découverte de l'importance d'activer leurs connaissances et de se questionner pour comprendre leur lecture et être plus actifs. Vous pouvez de même les inciter à se poser des questions lorsqu'ils se trouvent devant un texte en dehors de la classe et à se placer eux-mêmes en situation de lecture.
Lors de la mise en situation, il est important de préciser tous les éléments d'organisation et de planification de la lecture avec les adultes en formation de façon à augmenter leur sentiment de contrôle par rapport à l'activité. Cette information sera présentée clairement en classe à partir des aspects suivants:
Le rappel de l'intention de lecture permettra aux adultes d'être plus présents au sens de leur lecture, et les invitera à la recherche particulière de réponses. C'est aussi l'occasion de faire le lien avec les tâches qui résulteront de la lecture puisqu'elles sont étroitement liées à l'intention de départ. Par exemple : «N'oubliez pas qu'on lit ce texte pour se faire une opinion sur la peine de mort» ou encore ceci: «On lit ces dépliants touristiques pour préparer notre prochain voyage à Québec et préciser notre itinéraire». La tâche qui suivra la lecture peut être encore plus spécifique. Par exemple : «Voici les cinq questions auxquelles nous voulons répondre après avoir lu le texte; pour cela, nous aurons donc à trouver et regrouper des informations qui se trouvent dans plusieurs passages». Cette procédure de rappel de l'intention et d'annonce de la tâche est souvent inversée : les adultes débutants en lecture sont habitués à lire un texte sans trop savoir ce qu'ils cherchent. Les questions concernant le texte leur sont inconnues et agissent à titre de contrôle extérieur de leur compréhension. Au contraire, lorsqu'ils commencent à lire, les adultes doivent être au courant de ce qu'ils cherchent et de ce qu'ils feront à la suite de leur lecture.
Lorsque vous introduisez le texte à lire, précisez sa provenance, le nom de l'auteur, comment ou pourquoi il a été écrit («Nous lirons un article de madame X, paru dans le journal La Presse de lundi, qui critique les mesures annoncées par le budget du gouvernement fédéral»). La présentation du texte doit donner une idée du contenu, sans toutefois tout révéler, afin de maintenir l'intérêt pour la lecture. Si vous dites : «Vous allez voir que cet auteur a une opinion bien arrêtée sur la peine de mort et que ça donne à réfléchir», vous fournissez une entrée en matière qui donne le ton du texte tout en évitant de dévoiler la position de l'auteur. Vous pouvez aussi lire le premier paragraphe ou une partie du texte car cela peut servir à susciter l'intérêt pour la lecture.
Par ailleurs, expliquez la structure du texte de façon à ce que les adultes sachent plus clairement à quoi s'attendre, par exemple : «Ce feuillet présente les activités offertes par la maison de jeunes; pour chacune d'elles, on indique le contenu de l'activité, le moment où elle est proposée, de même que le nom de l'animateur responsable», ou encore : «Cet article de journal décrit d'abord les problèmes causés par la circulation des voitures dans le quartier, puis vous expose les solutions mises de l'avant par un groupe de citoyens.»
Par ailleurs, vous devez aussi expliquer clairement aux adultes la nature ainsi que la difficulté de l'activité de lecture, puis l'aide que vous allez leur apporter en conséquence. Par exemple, vous pourrez dire aux adultes : «Le texte que nous allons lire est un peu long; par contre il a des titres et des sous-titres, des photos, ce qui va nous aider. De plus, nous allons appliquer la stratégie de repérage rapide que je vous ai montrée la semaine passée pour nous aider à trouver ce qu'on cherche. Nous allons lire individuellement et je vais vous aider à appliquer la stratégie...» La mise en situation est l'occasion privilégiée d'expliquer ou de rappeler les stratégies que vous voulez mettre en évidence pendant la lecture. Ces précisions aident les adultes à se faire une idée de l'activité qui les attend, ce qui les rend plus confiants; elles permettent aussi d'habituer les adultes à considérer l'ensemble de la tâche, à porter un jugement sur la difficulté de la lecture, ce qui développe l'utilisation de stratégies métacognitives.
De façon générale, et lorsque c'est utile, habituez les adultes à faire un survol du texte. Regardez ensemble le titre, les sous-titres s'il y a lieu, les illustrations. Quel est le titre du texte? Est-ce qu'il offre une idée du contenu? Quels indices nous donnent les illustrations, le résumé? Vous pouvez aussi anticiper le contenu en tenant compte du genre de texte. Par exemple, si les adultes se préparent à lire une nouvelle de science-fiction, à quoi doivent-ils s'attendre : une histoire vraisemblable ou invraisemblable, qui se déroule dans le temps présent ou dans le futur?
Ces explications aident les adultes à se situer face à l'activité. Laissez-les réagir et s'estimer par rapport à la situation de lecture. Encouragez-les à verbaliser leurs craintes ou leurs réticences («C'est trop dur; je n'arriverai pas à lire tout ça; je ne comprends jamais quand c'est trop long»), car c'est en tenant compte de ces réactions que vous allez pouvoir les rassurer sur leur capacité de mener à bien la lecture. Si certains se sentent découragés, se déclarent incapables ou se montrent nerveux, donnez-leur un meilleur soutien, mettez-les en équipe avec un adulte plus avancé en lecture, passez plus de temps avec eux pour qu'ils se familiarisent davantage avec le texte, lisez le début, arrêtez la lecture après chaque paragraphe pour vérifier la compréhension, prolongez la mise en situation jusqu'à trouver le point d'équilibre et de relative confiance qui permettra la lecture.
Bref, la mise en situation est un élément essentiel pour préparer les adultes à la lecture et les rendre actifs dans le processus de recherche de sens. Chaque mise en situation sera planifiée en tenant compte de deux aspects, soit les connaissances antérieures des adultes de la classe et la présentation du contexte de l'activité de lecture.
La mise en situation doit susciter l'activation des connaissances antérieures en lien direct avec le contenu du texte. Elle est l'occasion de présenter clairement le contexte de la lecture en terme de déroulement, de niveau de difficulté du texte, de l'aide apportée. C'est aussi un moment privilégié pour montrer ou rappeler des stratégies utiles à la lecture; c'est aussi l'occasion de développer un comportement plus stratégique chez les adultes en les amenant à se distancier du texte, en les aidant à se poser des questions sur leur lecture, en faisant avec eux un survol du texte et en les aidant à anticiper le contenu.
Vous avez eu une discussion très animée sur la violence conjugale, à partir d'un fait divers particulièrement triste étalé en première page du journal. Lors du débat, les personnes se sentaient dépassées devant les solutions à apporter à un tel problème. Cela soulevait aussi plusieurs opinions différentes sur les rôles sociaux respectifs des hommes et des femmes dans la société et dans la famille, en fonction notamment des origines culturelles des adultes de la classe. Pour poursuivre le débat sur le consensus exprimé en classe («La violence est inacceptable; il faut régler ce problème»), vous avez lu un article d'information intéressant sur les maisons d'hébergement qui accueillent les personnes victimes de violence familiale. Le sujet est relativement familier car il traite d'un sujet qui touche directement ou indirectement les adultes de la classe. Les connaissances de plusieurs adultes vous semblent assez justes, mais vous savez que certains favorisent la soumission de la femme et des enfants à l'autorité du mari. Vous allez donc porter une attention particulière à leurs attitudes et à leurs conceptions pour éviter que cela nuise à la lecture.
L'article est tiré d'une revue; il est assez accessible, car il utilise des exemples concrets de cas de femmes violentées et décrit le fonctionnement des centres. Il y a aussi des illustrations, des sous-titres et un encart explicatif, ce qui facilite la lecture. Vous préparez donc une mise en situation en fonction d'une lecture individuelle. Vous avez décidé de lire à voix haute le début du texte, car il est présente des exemples frappants. Enfin, vous avez repéré dans le texte une dizaine de mots ou d'expressions qui risquent de nuire à la compréhension du texte et que vous voulez porter à l'attention des adultes.
En classe, vous rappelez le débat que vous avez eu sur le thème de la violence conjugale; vous pouvez peut-être vous servir d'une série d'articles parus dans les dernières semaines et qui illustrent le problème. Vous annoncez les titres et invitez les adultes à parcourir les articles. Vous laissez les adultes s'exprimer sur le thème, puis vous annoncez le texte à lire : «Durant la discussion que nous avons eue en classe sur ce sujet, nous étions en général d'accord sur le fait qu'il faut régler les problèmes de violence mais nous ne savions pas comment c'était possible de le faire. Je vous propose de lire un article qui présente le travail positif des maisons d'hébergement à l'égard des femmes et des enfants victimes de violence.»
Présentez la structure du texte : «L'article montre d'abord cinq cas de familles victimes de violence. Dans l'autre partie du texte, la journaliste décrit concrètement le rôle des centres d'hébergement et ce qu'ils font pour venir en aide aux familles victimes de violence, à partir de l'exemple d'un centre situé à Montréal.» Ensuite, distribuez l'article aux adultes, en précisant le nom de la revue d'où il est tiré, la date de parution et le nom de l'auteur. Dans la mesure du possible, ayez un, sinon plusieurs exemplaires de la revue, plutôt que des photocopies de l'article en question. Annoncez ensuite la difficulté de la lecture : «C'est un article de trois pages, mais qui comporte plusieurs photos, des sous-titres, ce qui devrait faciliter notre lecture. Même si le sujet n'est pas difficile à comprendre, il y a quelques mots qui sont nouveaux et donc plus compliqués à lire; je vous les présenterai tantôt. Je vais vous lire le début de l'article, puis on va continuer individuellement et arrêter après chaque paragraphe pour vérifier si on comprend bien».
Lisez le titre ensemble. Faites le survol du texte, une stratégie que vous avez déjà montrée. Questionnez les adultes sur le contenu du texte :
Demandez aux adultes quels mots ils peuvent rencontrer lors de cette lecture et écrivez-les au tableau : "maison", "hébergement", "hommes", "femmes", "enfants", "violence", "mariage", etc. Ajoutez les mots que vous avez trouvés difficiles à lire par leur complexité graphique ou parce qu'ils sont peu utilisés dans le vocabulaire courant des adultes : "thérapie", "psychologue", "suicidaire", "hérédité", "soumission"... Invitez-les à regarder ces mots plus globalement et à y porter attention lors de leur lecture. Demandez-leur une interprétation de la signification de ces mots. Vous reviendrez sur ces hypothèses lors du retour sur la lecture.
Précisez la lecture en lien avec l'intention exprimée auparavant, soit savoir ce qu'on peut faire pour régler le problème de la violence conjugale. Demandez-leur ce qu'ils aimeraient savoir après avoir lu cet article. Déterminez avec eux une série de questions tout en vous assurant que le texte peut répondre à plusieurs d'entre elles. Inscrivez ces questions au tableau pour pouvoir y revenir en cours de lecture et lors du bilan. Les réponses à ces questions font partie intégrante de la lecture et sont annoncées comme telles («Nous essaierons de répondre à ces questions en lisant le texte.»)
Puis, lisez le début du texte et demandez-leur de continuer leur lecture silencieusement. Faites des arrêts en cours d'activité pour vérifier la compréhension, répondre à certaines questions, recentrer l'attention sur la lecture. À ceux qui ont fini de lire avant les autres, vous pourrez proposer la lecture des articles de journaux que vous avez découpés.
De plus :
Pour apprendre à lire, l'enfant (ou l'adulte) doit être placé dans des situations qui réunissent les conditions d'une lecture véritable et dans lesquelles il exerce une activité de lecture véritable pour lui. Apprendre à lire, c'est lire; on n'apprend que parce qu'on lit. En d'autres termes, dès la première fois, si la situation est une situation de lecture, ce que l'enfant (ou l'adulte ) exerce, c'est un comportement de lecteur, au niveau d'une réponse qu'il est capable de donner et qui évoluera, et qui n'arrêtera pas d'évoluer tant qu'il lira.
Foucambert, 1976, p. 35.
Après la vérification des intentions de lecture, la recherche de textes appropriés et la période de mise en situation, vient le moment consacré à la lecture comme telle en classe. Les événements de lecture de la vie courante se présentent sous plusieurs formes et dans des contextes différents. On lit une carte routière dans une auto, on discute d'un article de journal lors d'une pause au travail, on lit à quelqu'un des extraits d'une lettre d'un parent et parfois, on lit en solitaire un roman ou une revue. La lecture peut être intime et personnelle, comme insérée dans une dynamique sociale de communication. Il faut que les pratiques en classe reflètent cette diversité et ressemblent aux pratiques de lecture faites en dehors de la classe.
Pour que les adultes inscrits en alphabétisation deviennent lecteurs, il faut leur fournir des occasions régulières de se trouver devant un texte authentique et signifiant qu'ils ont des raisons de lire. Les situations de lecture doivent les placer dans un rôle actif sur le plan cognitif et viser une plus grande autonomie possible à l'égard de l'enseignant. Les activités de lecture doivent aussi permettre l'interaction entre les adultes de façon à ce qu'ils puissent s'aider mutuellement et se parler de leurs lectures.
Dans cette partie, nous indiquons les critères qui nous aident à planifier et à organiser les activités de lecture, puis nous présentons certains modèles d'organisation de la lecture en classe.
Les activités de lecture doivent varier en forme et en appui et éviter de se présenter toujours d'une façon uniforme. Rien n'est plus démoralisant que de répéter toujours le même modèle, par exemple de lire à voix haute à tour de rôle, chacun suivant sur son texte. En cohérence avec les étapes précédentes de planification du projet de lecture, l'organisation de l'activité de lecture en classe se fera en fonction, entre autres, des critères suivants :
En regard de tous ces critères, vous planifierez le type de lecture et jugerez de l'aide à apporter aux adultes lors de cette activité. La lecture peut être totalement guidée par vous (vous lisez entièrement le texte à voix haute) ou complètement autonome (chaque adulte lit silencieusement un texte de son choix). Entre ces deux pôles, plusieurs variantes d'aide de votre part sont possibles : lire à voix haute le début ou certaines sections du texte, faire des arrêts fréquents pour vérifier la compréhension, soutenir activement une pratique guidée d'une stratégie, etc. Par ailleurs, vous allez aussi considérer les moments favorables au support que peuvent se donner les adultes entre eux, par exemple lors d'une lecture de carte routière en petits groupes.
Par ailleurs, les activités de lecture peuvent donner lieu à la lecture d'un texte identique ou porter sur un choix entre plusieurs textes; ceux-ci peuvent cependant traiter d'un même sujet. Par exemple, vous voulez identifier les conséquences de la cigarette sur la santé. Les adultes peuvent faire un choix entre un dépliant du CLSC sur le sujet, un article de revue sur la cigarette et le cancer, un texte informatif tiré d'un livre de sciences humaines au primaire, un article de journal sur les compagnies de tabac et la publicité, des cartons de cigarettes avec des messages sur la santé ou un court article que vous avez rédigé sur la question... Les adultes font leur choix en fonction de leurs intérêts, de la longueur du texte, de son format. Les questions et les intentions de lecture sont communes, mais la recherche des réponses se fait à partir de textes différents. Les adultes constatent qu'il y a plusieurs écrits qu'on peut consulter pour avoir des réponses, qu'ils ne contiennent pas tous la même information, qu'un texte court n'est pas nécessairement plus facile à lire qu'un autre plus long.
Nous vous suggérons quatre modèles d'organisation de la lecture en classe, à partir desquels vous pouvez créer vos propres variantes :
Comme le dit si bien Pennac (1992, p. 81 ) : «Et si, au lieu d'exiger la lecture, le professeur décidait soudain de partager son propre bonheur de lire?». Bien souvent, les personnes faibles lectrices n'entrevoient pas la lecture associée au plaisir, à la détente, à l'imaginaire. On peut aisément comprendre pourquoi quand leur niveau de lecture se limite au décodage de textes plus ou moins intéressants. Un des moyens pour rendre la lecture agréable est de lire à voix haute des textes aux adultes. Pennac (1992) relate à ce sujet une expérience étonnante tentée auprès d'adolescents en situation d'échec scolaire qui n'aimaient ni l'école, ni la lecture. L'auteur s'est mis à leur lire régulièrement un roman, ce qui a suscité peu à peu chez les jeunes un intérêt puis un engouement, tant pour le roman lui-même que pour l'auteur et la lecture en général. Nous reviendrons plus en détail sur cette activité dans la suggestion de travail proposée à la fin de cette partie.
Par ailleurs, vous pouvez aussi choisir de lire à voix haute certains passages d'un texte plus long, le début d'une nouvelle, et dont le reste sera lu silencieusement par les adultes en formation. Cette courte période de lecture à voix haute permet de recentrer l'attention des adultes sur le sens du texte, d'aider à créer des images mentales, d'augmenter la compréhension.
Ce type de lecture est souvent employé dans les groupes d'alphabétisation : chaque adulte se concentre sur son texte pendant une certaine période, après quoi on passe à un bilan de la lecture et à des tâches scolaires à partir du texte. Les textes de fiction, de poésie et de narration sont davantage indiqués pour une lecture de ce type. Cependant, la lecture individuelle a le désavantage de ne pas respecter le rythme de chacun, ce qui peut créer une pression pour les adultes qui sont plus lents. Il faut donc trouver des activités à faire pour ceux et celles qui auront terminé leur lecture et éviter une atmosphère perturbée par la "pression de finir le dernier". Une des façons de contourner ce problème est d'offrir à lire plusieurs textes sur le même sujet. Les lecteurs plus rapides peuvent lire un autre texte en attendant que les autres terminent leur première lecture.
La lecture individuelle vous donne aussi l'occasion de prévoir une pratique guidée par rapport à une stratégie que vous avez déjà montrée. Lors de la lecture, vous faites le tour des adultes, vous les aidez à utiliser la stratégie, à chercher des solutions à leurs problèmes de compréhension («Qu'est-ce que vous ne comprenez pas? Si vous relisiez cette phrase, est-ce que ça vous aiderait? Pouvez-vous sauter le mot difficile et continuer votre lecture?», etc.)
Nous suggérons en général de faire une lecture silencieuse, et non une lecture à voix haute. Cette activité suppose en effet des capacités de lecteurs accomplis, car il faut respecter un rythme, adopter une intonation appropriée, respecter les silences, les formes de dialogues. C'est pourquoi nous la suggérons dans le cas où c'est vous qui faites la lecture. Il en est tout autrement pour des adultes qui sont faibles lecteurs. Pour eux, la lecture à voix haute, souvent faite à tour de rôle en classe, rappelle une des seules façons de lire qu'ils ont apprise durant leur expérience scolaire. Cela renforce la conception que la lecture est une activité axée sur le décodage et contrôlée de l'extérieur par l'enseignant. On cherche alors à "lire" correctement tous les mots, quitte à y mettre tant d'énergie qu'on en perd le sens! De plus, comme leur rythme est lent, les adultes ressentent souvent une pression qui leur fait perdre leurs moyens devant les autres. Celui qui lit peine sur chaque mot et les autres s'ennuient.
La lecture à voix haute peut cependant être utilisée si la situation le justifie. Ce sera le cas, par exemple, si on a reçu une lettre d'un ancien participant au cours, si on lit un passage d'un texte pour expliquer sa position, si on s'exerce à lire une pièce de théâtre qu'on jouera bientôt. La lecture à voix haute a alors une utilité, une portée de communication. On veillera cependant à favoriser chez les autres —ceux qui ne lisent pas à voix haute— un comportement d'écoute et non celui de "suivre mot à mot" dans le texte!
Certaines activités de lecture sont propices au travail d'équipe. Les adultes sont groupés en équipes de deux ou trois et travaillent ensemble la lecture d'un texte en fonction d'une intention commune et d'une tâche à faire. On peut favoriser ce genre de travail quand l'intention de lecture est plus tournée vers l'action ou vers la recherche précise de renseignements. Par exemple: préparer une liste d'épicerie à partir de feuillets publicitaires, préparer un débat, trouver des annonces classées... Encore là, on peut travailler avec un même texte pour tout le monde ou en proposer quelques-uns au choix. Les personnes apprennent à se questionner, à échanger des informations, à discuter de leurs lectures, à s'aider dans les difficultés. On diminue alors le travail de l'enseignante comme seule intervenante capable d'aider le processus de lecture.
La lecture peut aussi être au cœur d'un projet collectif plus large qui anime le groupe. Par exemple : préparer un voyage de fin d'année à Québec, recevoir un groupe d'alphabétisation d'un autre centre, organiser une fête pour Noël, mettre en scène une pièce de théâtre. La lecture, comme l'écriture ou certaines activités de calcul, devient alors une composante intégrée d'un projet concret, un des moyens pour le voir naître. Dans ces situations, la lecture n'est pas silencieuse, mais se fait dans une atmosphère
animée. Des équipes peuvent travailler sur des aspects différents du projet. Par exemple, dans le cas où on planifie un voyage à Québec, une équipe prépare le trajet à partir des cartes routières, une autre travaille avec les dépliants touristiques pour choisir deux ou trois endroits à visiter, une autre équipe lit un article de journal sur la composition du cabinet des ministres de façon à préparer la visite du Parlement... De la même façon, si on monte une pièce de théâtre qu'on jouera bientôt, un groupe lira des articles sur la préparation des comédiens, un autre répétera le texte de la pièce ou lira le compte-rendu d'une autre pièce de théâtre. La nature et l'utilité du projet pour les adultes de la classe seront déterminants pour initier les lectures signifiantes.
Les activités de groupe sont très favorisées dans les modèles d'enseignement coopératif. Ces activités encouragent l'écoute, la solidarité, l'entraide, plutôt que la compétition individuelle. Dans une structure coopérative, les adultes en formation sont préoccupés de la performance du groupe et de l'effort de chacun vers un but commun; celui qui est plus faible peut alors participer à un projet qu'il n'aurait pu réaliser seul. Des recherches sur l'apprentissage coopératif ont montré les effets positifs de cette méthode sur l'apprentissage et sur la motivation, particulièrement dans les groupes pluriethniques (Chouinard, 1994). Cette méthode aide, entre autres, à réduire les tensions ethniques, favorise le développement de compétences sociales comme le dialogue, la capacité de demander de l'aide et le respect mutuel. Les activités de lecture en groupe doivent donc être favorisées dans les classes d'alphabétisation, compte tenu que nous travaillons souvent avec des groupes hétérogènes en terme de capacité de lecture et de communautés ethniques.
La période de lecture personnelle est une période déterminée dans le temps pendant laquelle les adultes lisent un texte de leur choix sans être interrompus. Vous pouvez planifier dans la gestion de votre enseignement une courte période de lecture personnelle (de 7 à 15 minutes) qui se répétera de façon régulière durant la semaine. C'est une bonne façon d'inciter les adultes à développer des habitudes de lecture. Chaque adulte est placé devant son choix de lecture; il dort donc s'occuper d'être attentif, de penser à son intention de lecture. Naturellement, vous lirez aussi pendant cette période. Chaque lecture est bonne en soi, que ce sort celle, plus distraite, du journal ou la lecture absorbée d'un roman.
Réservez un moment précis de la journée qui sera plus propice pour cette période de lecture. Planifiez de telle sorte que ce moment ne vienne pas comme un temps mort entre deux activités, ce qui aurait comme conséquence d'en priver les personnes moins avancées. Demandez un climat propice de calme. De temps à autre, revenez sur ces périodes de lecture de façon à ce que les adultes échangent sur leurs lectures et présentent des articles ou des livres qu'ils ont appréciés. Vous pourrez vous servir de la boîte de documents écrits que vous avez constituée auparavant (voir les suggestions de travail).
Bref, les activités de lecture signifiantes et fonctionnelles doivent être présentées de façon régulière aux adultes inscrits en alphabétisation. C'est par la variété des textes authentiques lus et manipulés en classe que les adultes acquièrent un comportement de lecteur de plus en plus autonome et transféreront cette compétence à des activités de lecture en dehors de la classe. La façon d'organiser les activités en classe variera aussi, en fonction notamment du sujet du texte, de sa difficulté, du niveau d'habileté des lecteurs, de leurs connaissances antérieures, etc. Le soutien que vous apporterez aux activités de lecture sera souple et déterminé par les critères précédents.
Si vous aimez lire à voix haute, n'hésitez pas à faire cette activité en classe. Assurez-vous toutefois de persister jusqu'au bout du projet afin de permettre de dépasser les premiers moments de résistance des adultes. En effet, ils peuvent être réticents à ce qu'on prenne du temps scolaire pour leur lire une nouvelle ou un passage d'un roman. Ils ne veulent surtout pas être traités comme des enfants: c'est eux qui doivent apprendre à lire, pas nous! On peut montrer à ces adultes que leur lire des textes leur permettra d'arriver à la finalité de la lecture, c'est-à-dire, d'entrer dans l'univers imaginaire d'un auteur, de créer des images, des personnages dans leur tête. Vous pourrez comparer cette situation à un voyage dans un endroit inconnu : il est alors agréable de faire un tour guidé, ce qui permet par la suite d'être plus confiant et de nous aventurer seul à la découverte de la ville...
Optez pour un texte que vous avez déjà lu et que vous aimez, ce qui vous permet d'en rendre encore mieux toute la saveur. Votre choix peut s'arrêter sur un texte d'un adulte de la classe ou d'un autre centre, ce qui met en valeur leur imaginaire et leur créativité. Prenez un texte qui pourra intéresser les adultes de votre groupe. Évitez les textes dont les adultes connaissent déjà l'histoire, cela risque de diminuer leur intérêt. Assurez-vous au départ de sélectionner un texte qu'il vous sera possible de lire jusqu'au bout, et non un roman de 300 pages. Une nouvelle peut constituer un bon choix de départ pour un projet de lecture d'une semaine, à raison de trois lectures de dix minutes.
Consacrez à cette lecture une période fixe du cours et répétez-la à chaque rencontre ou à toutes les deux rencontres, de façon à conserver l'intérêt. Lisez pendant un court laps de temps (5 à 10 minutes), toujours le même, et ne le dépassez pas. Avec l'aide des adultes, faites un rappel du contexte et de l'histoire avant de reprendre la lecture. Durant la lecture, demandez le silence et l'attention des personnes; ne leur demandez pas de suivre le texte, mais seulement d'écouter. Invitez-les à "voir le film des événements dans leur tête"; la capacité de s'imaginer mentalement le contexte pourrait leur être profitable lors de leurs prochaines lectures. Choisissez, si possible, un moment propice pour suspendre la lecture, de façon à provoquer l'envie de connaître la suite. Après votre lecture, ne demandez-pas de compte rendu ou de répondre à des "questions de compréhension". Conservez le caractère gratuit de cette activité. Tout au plus, invitez-les à exprimer leurs réactions et leurs émotions. Ont-ils aimé ce passage? Quels personnages préfèrent-t-ils? Comment imaginent-ils le personnage principal? Quelle sera la suite?
Variez cette activité en réservant aux adultes la lecture de la fin de l'histoire. Par exemple, vous lisez trois fois durant la semaine, puis vous leur demandez de terminer l'histoire à la maison durant la fin de semaine. Faites ensemble des prédictions sur la fin de l'histoire. Le cours suivant, discutez de vos hypothèses et de la façon dont ils se sont pris pour lire à la maison (le soir, la fin de semaine? avec l'aide du conjoint? dans l'autobus avant d'arriver au cours?...). Cette lecture personnelle est grandement facilitée par le fait que les adultes ont une idée du contexte, des personnages et de l'histoire.
Le processus d'objectivation est une activité d'apprentissage tout aussi importante que la pratique régulière des textes. Sans lui, l'entraînement à lire n'est plus qu'un moyen sauvage, aléatoire d'apprentissage dont on ne peut contrôler l'économie et l'efficacité. C'est en articulant de façon systématique des séances d'objectivation aux expériences de lecture que l'école va pouvoir justement mieux contrôler la qualité des apprentissages, beaucoup plus notamment, que par les traditionnels questionnaires dits "de compréhension" qui persistent toujours dans les manuels actuellement en usage.
Chamberland, 1989, p. 113-114.
Les périodes d'objectivation qui suivent la lecture sont très importantes : elles permettent de recueillir les fruits de l'intervention andragogique. L'objectivation est en effet un moment privilégié d'évaluation de la part de l'enseignante et d'autoévaluation de la part des adultes inscrits en alphabétisation. C'est l'occasion de réfléchir sur le contenu du texte, d'approfondir des connaissances, de travailler davantage certains aspects de la compréhension, de revenir sur la manière de lire. C'est l'aboutissement d'une démarche que l'on veut de plus en plus réfléchie, stratégique sur notre comportement de lecteur. À quoi voulait-on répondre? Est-ce que le texte a fourni des réponses? Qu'est-ce qu'on a appris de nouveau après la lecture du texte? Par ailleurs, la lecture des textes peut donner lieu à des tâches qui la prolongent en réutilisant les informations du texte qui s'y trouvent. Trop souvent cependant, les tâches proposées à la suite d'une lecture sont éloignées des raisons qui nous incitaient au départ à lire le texte. Il est donc important de proposer aux adultes, lorsque c'est pertinent de le faire, des tâches signifiantes qui complètent l'intention de lecture et qui s'inscrivent en cohérence avec l'ensemble de l'activité de lecture.
Dans cette partie, nous préciserons d'abord les buts du bilan de lecture fait en classe. Nous expliquons ensuite l'importance de la pertinence des tâches qui suivent la lecture.
Chaque moment de lecture faite en classe, à l'exception peut-être de certains moments de lecture personnelle, devrait être suivi d'un bilan de lecture. Ce bilan sert deux objectifs principaux. D'une part, il permet défaire le point sur le contenu du texte, de vérifier la compréhension des adultes du groupe en lien direct avec l'intention de lecture. D'autre part, il permet de porter un jugement sur la manière de lire, c'est-à-dire sur les stratégies et les moyens utilisés lors de la lecture. Mais toujours, ce bilan doit être préparé en cohérence avec les motifs qui nous incitaient à lire.
Le retour sur le contenu du texte doit se faire en fonction de l'intention que nous avions au départ : à quelles questions voulait-on répondre en lisant ce texte? Est-ce qu'il a fourni ces réponses? Il y a plusieurs moyens d'évaluer la compréhension d'un texte : susciter dans ses mots un rappel de l'histoire,
dégager les idées essentielles, poser des questions sur le texte. Les questions, à l'oral comme à l'écrit, demeurent un des moyens privilégiés en enseignement pour vérifier la compréhension après une lecture. Cependant, les questions traditionnelles posées en classe à la suite d'une lecture se limitent souvent à un rappel littéral du contenu du texte ou s'attardent à des éléments secondaires. Les adultes, si on leur propose ce genre de questions, dans le cadre d'un modèle répétitif et peu significatif, finissent par inverser le sens du projet de lecture : ils lisent pour répondre à des questions subséquentes et non parce qu'ils se posaient eux-mêmes des questions... Rien n'est plus loin d'une lecture fonctionnelle que les questions qui insistent sur des détails au détriment des éléments importants qui guidaient notre intention de lecture. Il faut éviter une forme scolaire de questions qui incite seulement à chercher "la bonne réponse dans le texte", sans jugement, sans regroupements d'informations ou sans interprétation des faits (Chamberland, 1989). Les questions doivent être, si possible, connues des adultes avant leur lecture; ils peuvent ainsi y attacher une importance particulière et guider davantage leur lecture.
Pour être utiles, les questions que nous posons aux adultes doivent être pertinentes, c'est-à-dire qu'elles puissent les faire réfléchir, qu'elles portent sur des éléments du texte qui sont en rapport étroit avec l'intention de lecture. Si un texte est une source d'information, il est utile d'en rappeler les principaux points qui touchaient notre intention de lecture. Par exemple, si un article porte sur un accident d'avion, il est pertinent de demander : «Combien y a-t-il eu de morts? Quelle est la cause de l'accident? Où cela s'est-il passé?» La lecture de textes informatifs est aussi l'occasion de comparer les connaissances nouvelles et antérieures («Qu'est-ce qu'on a appris de neuf? Qu'est-ce qui nous étonne à la suite de cette lecture?»). Par contre, on ne suscitera pas ce type de réactions après la lecture d'un texte de fiction; on demandera plutôt aux adultes de raconter l'histoire, d'exprimer les émotions ressenties à la lecture, de parler des personnages, de citer les images et les mots évocateurs. On pourra même relire des passages appréciés pour mettre en valeur la musicalité du texte. Enfin, si nous avons lu un texte pour agir (faire une recette, recevoir une personne-ressource en classe), c'est le produit même de la lecture qui devient l'évaluation: la recette est-elle réussie? Est-ce que la lecture nous a aidés à préparer notre rencontre avec la personne ressource?
Cette période de questionnement en classe doit se faire en lien direct avec le contenu du texte. On peut demander aux adultes d'expliquer ce qui leur a permis de trouver leur réponse: «Comment avez- vous trouvé cette réponse? Qu'est-ce qui vous permet de dire ça?» Invitez les adultes à revenir au texte, à relire certains passages, à tenir compte d'une information qui peut nuancer ou même contredire leur réponse. Aidez-les à faire des liens entre les informations tirées du texte, montrez-leur par exemple le rôle des connecteurs (mais, cependant, par contre...), le rôle de substitution des pronoms, en vue de mieux comprendre le sens de l'écrit. Vous pourrez aussi mettre en évidence le fait que certaines réponses se trouvent à un endroit précis du texte, que d'autres exigent d'établir des liens entre plusieurs éléments et qu'enfin, des réponses ne sont pas écrites textuellement, mais sont déduites du texte à partir de nos connaissances.
Enfin, le retour sur la compréhension du texte doit aussi être l'occasion de porter un jugement sur le texte lui-même. Si nous ne comprenons pas, il est aussi possible que ce soit en raison d'un texte incohérent, incomplet ou mal écrit. De plus, certains textes ne répondent pas totalement aux questions qu'on se pose. Cette prise de conscience permet aux adultes en formation de réaliser qu'ils ne sont pas seuls responsables de leurs difficultés : le texte, de même que les conditions dans lesquelles ils l'ont lu, peuvent aussi influencer leur compréhension. Cette discussion redonne un sentiment plus grand de contrôle aux adultes en formation; elle leur permet de porter un regard critique sur les textes et d'en apprécier les difficultés et la qualité.
Le bilan de la lecture est aussi le moment privilégié pour réfléchir sur notre comportement de lecteur et évaluer notre manière de lire. Cette réflexion s'effectue en parallèle constant avec le retour sur le contenu, puisque la manière de lire et l'emploi des bonnes stratégies sont des moyens d'arriver au sens du texte. C'est l'occasion de revenir par exemple sur des stratégies déjà vues en classe ou que vous avez fait valoir pour la mise en situation : le survol, l'utilisation du contexte pour comprendre, la reconnaissance globale des mots connus à l'oral, etc. Vous pourrez ainsi rappeler les stratégies en revenant sur les protocoles écrits affichés au mur et vous solliciterez les réactions des adultes pour dire comment ils ont procédé pour utiliser ces stratégies.
Plus généralement, vous allez utiliser le bilan de la lecture pour faire réfléchir sur les composantes principales d'un comportement stratégique en lecture, ce qui revient à mettre en valeur des stratégies métacognitives. Les adultes échangent sur les moyens qu'ils ont pris quand ils ne comprenaient pas un mot, une phrase. On s'intéresse alors au processus de la lecture : «Qu'est-ce qui vous a permis de comprendre ce mot? Quels moyens vous êtes-vous donnés pour comprendre le paragraphe?». Questionnez les adultes pour savoir s'ils étaient concentrés pendant leur lecture, s'ils ont gardé en tête leur intention, s'ils se sont demandé régulièrement s'ils comprenaient ce qu'ils lisaient (voir l'activité présentée à la page 84 sur les façons de détecter ses pertes de compréhension). Demandez aux adultes si les stratégies qu'ils ont utilisées les ont aidés à lire. Faites- leur noter leur progrès, sur une feuille de route personnelle, par exemple. N'oubliez pas que les adultes sont réticents au fait de changer leur comportement de lecteur, qu'ils ont un sentiment d'échec fortement ancré; vous devez être convaincante et les amener à constater les changements positifs qui s'opèrent graduellement lorsqu'ils sont plus stratégiques.
Les tâches de lecture désignent les activités faites en classe qui prennent appui sur le texte. Elles se distinguent du bilan de lecture; elles peuvent s'étaler dans le temps, elles nécessitent une bonne compréhension de base du texte, ce qui est effectué en partie lors du bilan. En alphabétisation comme à d'autres niveaux d'enseignement, les tâches qui suivent la lecture sont souvent négligées ou trop éloignées des raisons qui nous incitaient au départ à lire le texte. Elle servent, entre autres, bien souvent de prétextes à l'étude de notions de grammaire. En voici un exemple : «Nous avons lu un texte pour comprendre la position des Autochtones sur les projets hydroélectriques du Labrador. Nous allons maintenant encercler tous les adjectifs possessifs.» Ces exercices dénaturent le projet de lecture, en faussent le sens. La lecture devient ainsi un projet qui sert surtout de support à l'apprentissage de notions de la langue écrite.
Loin de nous l'idée de proscrire les activités de grammaire et d'étude de la langue. Nous vous suggérons cependant d'en faire une période de travail distincte de l'activité de lecture. Par exemple, le lendemain d'une lecture signifiante, vous pouvez dire : «Aujourd'hui, nous allons faire des exercices sur notre habileté à associer les prénoms avec leur réfèrent. Nous utiliserons, pour faire cet exercice, le texte que nous avons lu hier sur la chasse au Québec.» Cette approche aide les adultes à distinguer clairement les activités de lecture centrées sur le texte et la compréhension, des exercices qui ont pour but de leur faire acquérir certaines notions relatives à la langue écrite.
Tous les textes ne donnent pas lieu à une tâche de lecture. Pour qu'une tâche soit signifiante, il faut en général qu'elle soit liée à l'intention première de lecture. Chaque tâche proposée dort être analysée en fonction du type de texte, du contenu, des caractéristiques des adultes. De plus, les tâches doivent, si possible, être connues des adultes dès le début du projet de lecture («Nous lirons ces formulaires pour préparer notre liste de produits à acheter pour la fête de Noël», ou encore: «Après la lecture de cette nouvelle, nous allons imaginer une autre fin à l'histoire.»). Les tâches peuvent être présentées sous forme de jeu, être faites en équipes. Voici des exemples de tâches signifiantes qui permettent d'exploiter le texte qui vient d'être lu;
En bref, le bilan de lecture est un moment très important, tant pour vérifier la compréhension du texte en fonction de notre intention de lecture initiale, que pour évaluer notre comportement de lecteur et les stratégies utilisées pendant l'activité. C'est une période d'objectivation qui permet aux adultes de réfléchir sur leur lecture et de constater leurs lacunes et leurs progrès. Par ailleurs, nous proposons de réaliser des tâches de lecture signifiantes qui prennent appui sur le texte en le complétant. Ces tâches peuvent être connues des adultes avant leur lecture, de façon à les orienter et à éveiller leur attention sur les aspects du texte en rapport avec l'intention et les tâches.
Vous avez décidé avec votre groupe de préparer une soirée de cuisine collective. Ce projet se déroulera sur une période d'un mois et donnera lieu à plusieurs lectures signifiantes et à des tâches qui en permettront la réalisation. Premièrement, vous avez proposé la lecture d'un texte d'information écrit par un centre de femmes et portant sur le fonctionnement d'un projet de cuisine collective. Cette lecture a donné lieu à un premier bilan de lecture centré principalement sur la compréhension du fonctionnement d'un projet de cuisine collective; les adultes sont motivés car cette compréhension est nécessaire pour assurer le succès de leur projet. En grand groupe, vous avez donc dégagé les principales étapes nécessaires à la réalisation du projet, ce qui constitue une première tâche signifiante de lecture.
Lors d'une autre période consacrée à la lecture en classe, vous avez proposé de partager le groupe en équipes pour faire le choix des recettes qui seront réalisées lors de la soirée. Mettez à la disposition des équipes cinq livres de recettes faciles à lire et agrémentées de photos. Faites part clairement aux adultes du contexte de l'activité et des tâches à accomplir :
Profitez de la mise en situation pour mettre en évidence des stratégies utiles à la lecture (utilisation de la table des matières, repérage des informations de base telles que le temps d'exécution, la liste des ingrédients...) et dégagez avec eux une manière de procéder par étapes dans leur travail (par exemple, de trouver d'abord la soupe, puis le plat principal, puis le dessert). De cette façon, vous les aidez à développer des stratégies métacognitives en lien avec la planification et le contrôle du déroulement de leur projet de lecture.
Ensuite, les personnes travaillent en équipes à partir de ces directives. Elles doivent discuter, faire des choix, calculer des quantités si la recette est initialement prévue pour six personnes. Vous apportez une aide parmi les groupes lorsque le besoin se fait sentir. À la fin de la période de lecture, chaque équipe fera valoir ses choix devant les autres; on comparera les listes d'ingrédients, les coûts et le temps d'exécution pour arrêter le choix final des recettes à réaliser. Après, consacrez un moment au bilan de la période de lecture pour discuter de la façon dont ils ont procédé pour faire leurs choix, des stratégies qu'ils ont utilisées dans leur lecture, la clarté des directives du travail, de la difficulté des textes, etc.
Les recettes choisies par le groupe seront ensuite reproduites et distribuées respectivement à trois équipes qui seront chargées de faire la commande d'épicerie nécessaire pour la réalisation de chaque recette (soupe, plat principal, dessert) et d'apporter le matériel nécessaire (plats et ustensiles, savon à vaisselle...). Enfin, aura lieu le moment du projet de cuisine collective, où les trois équipes seront responsables de l'exécution des recettes.
À la fin du projet, il y aura aussi un bilan plus global où vous mettrez en perspective les étapes de lecture qui ont précédé, les habiletés que les personnes ont mises en œuvre à chaque étape du projet. Comme on peut le constater, les tâches générées par ce projet sont signifiantes, dans la mesure où elles s'appuient sur le contenu même des textes, enrichissent la compréhension et sont utiles à la réalisation du projet. Enfin, ces tâches peuvent être réinvesties dans la vie des personnes (choisir des recettes économiques, préparer simultanément l'exécution de plusieurs plats, etc.).
Mais la question de l'écrit dans notre société pourrait bien amener l'institution scolaire à redéfinir de manière plus fondamentale sa propre intervention, et les modèles régissant cette dernière, pour l'acquisition de l'écrit. Ne s'agit-il pas en définitive, d'ouvrir l'écrit, de le "déscolariser", pour que toujours plus de citoyens s'y sentent à l'aise, le vivent comme un bien qui leur est propre, c'est-à-dire où règne autre chose que l'interdit de la norme, d'une norme?
Besse, 1995, p. 94.
Les propositions sur l'enseignement de la lecture qui vous sont soumises dans ce module d'autoperfectionnement ont de nombreuses ramifications avec l'écriture et le calcul. Pour toutes les dimensions de l'alphabétisation, il est en effet utile d'aider les adultes à adopter des stratégies d'apprentissage efficaces, à mieux contrôler leur démarche d'apprentissage, à adopter un processus de résolution de problèmes devant les difficultés. Par ailleurs, le fait de proposer d'inscrire l'enseignement dans un cadre qui déborde de l'école pour englober des dimensions culturelles et sociales nous semble inspirant pour l'ensemble d'une pratique d'alphabétisation.
Cependant, les réflexions de ce module, et les suggestions de travail qui en découlent, constituent une amorce. Elles ne répondent pas à toutes les questions, elles ne règlent pas tous les problèmes. Il reste notamment à créer le matériel d'animation et d'évaluation, à planifier l'enseignement, à chercher des textes... Tout reste à faire! Mais il s'agit d'expérimenter par petites doses, de se faire confiance, et de ne pas rejeter du revers de la main tout ce qu'on avait privilégié auparavant. Instaurer de nouvelles pratiques demande du temps et de la persévérance, aux adultes en formation comme aux enseignantes. Notre approche risque de susciter des réticences de la part des adultes qui veulent un modèle scolaire, qui tiennent aux exercices, aux cahiers, aux questionnaires de compréhension. Il n'est pas facile de quitter un modèle plus traditionnel qui semble satisfaire les adultes. Par contre, la difficulté persistante des adultes de s'approprier la lecture nous invite à chercher d'autres avenues.
Le plus important c'est d'être cohérente avec son approche de la lecture et de l'enseignement, d'être à l'aise avec les activités proposées aux adultes, pour pouvoir les expliquer, les défendre au besoin, démontrer leur utilité. Il faut laisser le temps "faire son œuvre" face à ces pratiques récentes. Lorsqu'on instaure de nouvelles activités, il faut être patiente, persévérer et les maintenir au-delà des premières réticences des adultes. C'est avec le temps qu'on mesurera les progrès générés, par exemple, par l'enseignement explicite des stratégies, par l'utilisation des journaux de quartiers, par les périodes régulières de lecture autonome ou par les lectures que vous ferez à voix haute en classe. Il ne faut pas espérer de miracle dès le premier jour, mais continuer à lire, à expérimenter, à faire part aux adultes de vos conceptions sur l'enseignement et l'apprentissage et de vos choix andragogiques. Il faut surtout continuer d'être à l'écoute des adultes, savoir ce qu'ils font en dehors des cours, ce qu'ils sont appelés à lire dans leur vie. C'est à partir de leurs questions et de leurs intérêts qu'on pourra planifier l'enseignement d'une lecture qui n'est plus scolaire, mais qui s'épanouit en classe pour prendre racine chez eux...
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Recherche et rédaction
Sylvie Roy
Personnes-ressources pour la rédaction
Martine Boucher
Martine Dupont
Danielle Jean
Hélène Tremblay
Délégué de la Table de concertation en alphabétisation de Montréal et collaborateur à la rédaction
Roch Chouinard
Coordination
Renée Normandin
Révision linguistique
Marie-Paule Vaillancourt
Conception graphique et mise en page
Johanne Carbonneau
Production de la Table de concertation en alphabétisation de Montréal. Montréal, 1996.
Ce projet a été réalisé dans le cadre du programme des Initiatives fédérales provinciales conjointes en matière d'alphabétisation.