Table des matières

Une médaille particulière

Une médaille a deux faces
M'a-t-on dit
Lorsque j'ai immigré ici
«Tu ne connais rien de ton pays
Parce que tu y étais enfouie
Et ce que t'en as vu
N'était pas la vraie réalité
Ici on voit l'autre côté de la médaille!»

Depuis dix ans que je vis ici
Et que je vois l'autre côté de la médaille
On m'a encore dit
«Tu ne connais rien de ton pays
Parce que t'en étais sortie
Et que la vraie réalité
Ne se vit pas dans la mémoire».

J'ai alors essayé
De regarder les deux côtés
De ma médaille
Au même moment
Pour enfin liquider mon tourment
Pour pouvoir croire enfin à une explication
Qu'importe à qui elle donne raison.

J'ai alors interrogé, parlé avec
De récents immigrés
Moi avec ma vie cultivée
Eux avec leur vécu vérifié
Ce que j'en ai retiré
Est encore plus mêlé
Je n'arrive pas à me libérer
De mes pensées.

Il faudrait bien dire
Avec des larmes mêlées de rires
Qu'une médaille a deux faces
Oui, mais
De quel côté que je me place???

Linh Phan

Introduction

Le document que vous tenez entre vos mains est le fruit d'une réflexion partagée par Linh Phan, Isa Iasenza, Frantz Raphaël et Gilles Therrien depuis le mois de janvier 1982. À l'origine, le sujet de ces échanges s'adressait au phénomène de l'analphabétisme chez les personnes dites «immigrantes» et de la relation de ce phénomène avec l'adaptation à la société québécoise.

Ce document s'adresse prioritairement aux québécois et québécoises de vieille souche et à toutes les personnes qui se trouvent de par leurs fonctions ou leur engagement personnel en relation d'aide et d'amitié auprès des personnes dites «immigrantes».

Nous croyons que ces dernières reconnaîtront, sinon dans toutes les nuances, des situations authentiques de leur vécu. Nous demeurons conscients que ces échanges ne sont que le pâle reflet d'une réalité dont les multiples facettes échappent à nos facultés de compréhension. Néanmoins, vous serez à même de constater toute la richesse qu'il y a à confronter des points de vue culturels différents, riches de traditions séculaires.

Vous trouverez dans ce document l'objet de nos préoccupations de même que le cheminement que nous avons été appelés à faire.

Ainsi, nous sommes d'abord partis du vécu de nouveaux résidents en terre québécoise. Nous nous sommes demandés si l'éducation était un outil utile à l'adaptation et s'il respectait la culture d'origine. Finalement, nous nous sommes demandés comment faciliter l'accès à l'éducation permanente à ceux et celles qui sont peu ou pas scolarisés à leur arrivée au Québec.

I. Vécu des nouveaux résidents

1.1.
Dans un premier temps, nous nous sommes attachés, à partir des expériences vécues, à comprendre ce que vivent les personnes nouvellement arrivées au Québec. Le québécois d'origine apprendra alors ce que tout immigrant sait au fond de son cœur et de son âme soit que la personne qui réclame la résidence permanente n'a pas choisi de quitter son pays, qu'elle n'a que dans très peu de cas choisi le pays d'arrivée et qu'elle n'a, même lorsqu'elle est parrainée, qu'une connaissance superficielle du pays d'arrivée (surtout pour le cas de réfugiés).

Tout comme l'arbre que l'on transplante, l'émigrant voit ses racines douloureusement coupées. La transplantation dans un sol nouveau même si elle permet la survie de l'arbre n'en contrarie pas moins la croissance. Seul un climat vicié et étouffant obligera des personnes S quitter leur sol natal. À l'arrivée, l'air y sera meilleur mais le sol nouveau sera dur.

La communauté d'accueil ne doit donc pas se bercer de l'illusion qu'elle a été choisie, «préférée». Elle se doit d'être sensible au fait que le nouvel arrivant a quitté son pays pour des raisons soit économiques, politiques ou bien plus souvent qu'autrement pour des raisons de ces deux ordres combinés ensemble.

1.2.
Est-il possible de vivre toute sa vie à Montréal sans parler le français ou l'anglais? La réponse à cette question est, vous vous en douter, oui! On peut vivre dans sa langue d'origine mais les rapports sociaux et économiques se situent alors dans l'interdépendance des personnes partageant la même culture.

L'aspect primordial confrontant tout nouvel arrivant demeure avant tout la survie économique, puis la revalorisation de son Identité culturelle et ce, bien avant le désir de s'adapter à un système de valeurs étrangères.

Aussi, l'adulte immigrant cherchera-t-il à retrouver en premier lieu des gens de son origine ethnique pour mieux comprendre ce nouveau pays et retrouver son confort psychologique. Les communautés culturelles longuement établies ici foisonnent en ressources de toutes sortes. Les plus récentes profitent-elles aussi du droit fondamental d'association' pour mettre sur pied des organismes d'entraide et de soutien économique et culturel.

De plus, nous pouvons constater qu'il y a ici de très nombreux réseaux que certains qualifient de sous-cultures, qui permettent à des personnes partageant les us et coutumes du pays d'origine de satisfaire leurs besoins tant économiques que culturels et ce, indépendamment des réseaux plus larges de la communauté d'accueil.

On peut donc travailler dans sa langue d'origine soit en étant au service des compatriotes d'origines ou bien à l'emploi d'entreprises embauchant, souvent exploitant, la main-d'œuvre immigrante. On peut participer à des activités de loisirs auxquelles s'adonnent de nombreuses associations et organismes ethniques. On peut se prévaloir des services gouvernementaux grâce à des compatriotes obligeants ou, plus souvent qu'autrement, par le biais des enfants qui sont intégrés au réseau scolaire. Ce dernier exemple n'est pas sans engendrer des conflits ou des difficultés comme bien on se l'imagine.

Il est donc possible de survivre ici sans maîtriser la langue seconde, la langue et les valeurs que véhiculent la majorité.

1.3.
Si nous creusons davantage cette notion de sous-culture, c'est pour mieux comprendre nos nouveaux compatriotes et de ces connaissances combler les fossés de nos préjugés. De ces sous-groupes culturels, on peut dire qu'ils se façonnent en terre nouvelle selon le modèle du pays d'origine. Ceci signifie que les factions politiques et culturelles de même que les classes sociales se retrouvent transposées ici.

On ne s'étonnera pas alors de constater que les personnes réfugiées ici craignent de se compromettre publiquement en exprimant leur vision politique. En effet, leur attachement à leur pays d'origine, à ceux qu'ils peuvent avoir laissés là-bas, fait en sorte qu'ils craignent de manifester une opinion critique à l'égard d'un gouvernement totalitaire qui pourrait user de représaillers à leur égard. Or, comme tout finit par se savoir, afficher une opposition peut signifier l'impossibilité de retourner; soit pour des vacances, soit pour un séjour plus long et, si on y a des parents, cela peut signifier pour eux l'impossibilité de circuler librement.

Avant de clore ce volet du vécu du nouvel arrivant, soulignons que les problèmes que l'on a fui viennent parfois hanter l'immigrant jusqu'à son pays de refuge. Ainsi, les conflits entre nations et idéologies se retrouvent eux aussi transplantés ici heureusement dans un nouveau contexte qui les rend moins virulent mais tout de même angoissant. À titre d'exemple, citons le conflit iranien qui a eu des répercussions entre étudiants de diverses factions à l'université Concordia au mois de février dernier.

Il est important pour tout éducateur de la communauté d'accueil intervenant spécifiquement auprès des immigrants de comprendre ces réalités. De comprendre aussi que toute figure d'autorité, que tout fonctionnaire ou représentant gouvernemental est souvent perçu comme une personne ayant un droit de vie ou de mort. On ne nous comprend pas, on nous fait pourtant signe que oui par crainte d'être déporté, et par ignorance des droits et libertés qui sont tout de même limités dans tous les pays. Ne sachant pas où se situent ces limites, la prudence invite au mutisme.

Une démarche favorisant l'accès des personnes immigrantes à l'éducation est donc une noble entreprise dont l'objectif véritable est de libérer la parole.

II- Besoins éducatifs des communautés culturelles

2.1.
Au printemps 1981, le gouvernement du Québec a présenté un plan d'action «Autant de façons d'être Québécois» pour permettre aux minorités culturelles de profiter des ressources existantes autant que les québécois francophones. Un an plus tard, dans un contexte précis d'alphabétisation d'un projet multi-ethnique, il semble faire consensus de dire: «Les besoins éducatifs des nouveaux arrivants sont immenses mais les moyens pour les rejoindre sont limités...» Point de réflexion important, aussi, allons-nous nous arrêter un peu sur certaines interrogations qui nous serviraient de balises pour une nouvelle approche pédagogique.

Les besoins éducatifs des minorités culturelles sont-ils essentiellement et énormément différents de ceux de la majorité de la population québécoise francophone? Notre impression en tout premier lieu c'est non. En effet, si l'on prend pour acquis que cette majorité québécoise francophone est formée par la classe ouvrière des milieux urbains et ce qu'on pourrait appeler la paysannerie des milieux ruraux, sans prendre en considération le pourcentage de plus en plus élevé des personnes âgées, il faudrait au Québec plus de formateurs et d'éducateurs pour faciliter tant aux immigrants qu'aux québécois la possibilité de se trouver du travail, de s'instruire, de se faire soigner, d'assurer sa sécurité, de se loger, de se déplacer, de connaître la loi, d'administrer son argent, de se renseigner et de se protéger, d'être femme au Québec, de vivre en famille. Les besoins éducatifs sont les mêmes, répétons-nous, autant pour le québécois que pour l'immigrant autant pour le savant mondialement reconnu que pour le déficient profond. Ce qui fait la différence ce sont les moyens utilisée, les méthodes d'approche pour arriver au but. Il y en a qui apprennent seuls et vite, d'autres qui ont besoin d'organisations spécialisées comme des centres communautaires, des projets multi-ethniques...et, enfin, ceux pour qui il faut commencer par du «un pour un» - «un pour deux ou trois etc.»

Nous pensons, d'une part, que notre option «l'alphabétisation des Adultes» ne nous marginalise pas tenant compte des besoins éducatifs de la population québécoise en général, d'autre part, l'alphabétisation des minorités culturelles nous oblige des considérations d'approche en tant que groupes ethniques culturellement différents par rapport à la société québécoise.

Quels sont donc les besoins spécifiques des minorités culturelles dans la communauté québécoise?

Nous en citons trois:

La Communication
Le besoins d'échanger, d'exprimer ses perceptions et sensations, de savoir si on est aimé ou pas et de pouvoir dire si on aime ou pas.
Le besoins de communiquer pour manger, pour vivre ou faire vivre ses proches.
Le besoin de communiquer pour devenir membre à part entière de la société et de pouvoir faire le choix qui nous préoccupe.

Le choix de la langue
Au Québec, on vit en français. S'adapter S la vie québécoise, c'est d'être ou devenir avant tout francophone. Aussi, dans notre contexte particulier, multi-ethnique, nous nous sommes posés la question suivante: «L'éducation, la formation des étrangers immigrants peuvent-elles se faire dans une langue autre que le français?» À ce sujet, Linh va nous entretenir plus longuement mais disons simplement qu'au Québec, on ne vit pas qu'en français.

L'identification des groupes culturels
Que pourrions-nous donner de mieux en faisant du Québec un oasis où l'homme quelque soit son origine, son opinion sa couleur etc. peut s'identifier avec ses semblables suivant son passé, ses coutumes, où la loi fondamentale est la symbiose, l'acceptation de soi et de tout ce qui peut être différent de soi. Si les québécois travaillent pour, nous sommes bien à la bonne place là où il faut commencer avec les supposément marginaux, les moins nantis.

Et, pour terminer, nous introduisons une dimension qui sera discutée probablement ailleurs. Nous nous sommes à nous demander si notre approche répond aux besoins éducatifs des «immigrants de passage» c'est-à-dire ceux-là qui vivent au Québec présentement avec l'idée d'un retour à l'aima mater à plus ou moins longue échéance.

2.2.
Au tout début du projet, nous avons été amené à considérer la personne «immigrante» dans sa situation globale non pas comme un être «fragmenté» en quête de services disparates mais bien en fonction de son contexte social et culturel. La question de fond de nos rencontres devint alors: «Pourquoi apprendre à lire?».

Vous verrez tantôt, grâce à un texte de Linh Phan, quelle pensée dirige nos actions et pourquoi nous en sommes venus à formuler les objectifs du projet dans une perspective d'intégration sociale de la manière suivante:

a) Généraux
1- Favoriser l'autonomie de la personne
2- Offrir un outil pour favoriser la promotion sociale de la personne
3- Favoriser l'intégration sociale par l'apprentissage de l'écriture et de la lecture.

b) Spécifiques
1- Sensibiliser le milieu à la présence de l'analphabétisme dans notre société
2- Identifier les besoins des personnes provenant des minorités culturelles
3- Sensibiliser la population aux besoins spécifiques (adaptation, langue seconde, isolement etc.) des minorités dans l'apprentissage à lire et à écrire.

2.3.
L'apprentissage du code normatif de la langue française pose un problème particulier à la personne immigrante puisqu'il s'agit pour elle d'une langue seconde qui véhicule des valeurs distinctes des siennes. Comme nous l'avons vu précédemment l'immigrant peut vivre à l'intérieur d'un sous-groupe culturel mais de ce fait il rejette la vie d'ici. Il a le loisir de le faire mais il compromet, ou du moins limite, ses chances de participer et de profiter des ressources communes. Si l'immigrant se replie sur lui-même, c'est qu'il a l'espoir de retourner chez lui; de participer au renversement d'un gouvernement qui l'a obligé à fuir ou, plus simplement, que la situation changera éventuellement rendant le retour possible.

Certains immigrants, sachant qu'il n'y a plus de retour possible pour eux, acceptent ou se résignent a vivre à l'étranger. D'autres choisissent alors de s'adapter.

Nous nous sommes interrogés sur la faillite apparente d'un cours de français dans un COFI ou l'on a enregistré un taux d'échec de 70% dans le cas d'un groupe de laotiens. Cette situation nous a beaucoup troublés car elle met en cause toute intervention de formation. En guise d'explication, nous soumettons que le fait de se trouver embrigadés dans des cours dès leur arrivée en sol canadien ne permet pas aux nouveaux arrivants d'exercer un jugement critique. Sans lien avec l'environnement, ils vivent dans une sorte de laboratoire où ils craignent d'exprimer leurs besoins.

Un second facteur ne favorisant pas le succès pourrait être le fait de dispenser des prestations qui fait en sorte qu'un certain nombre d'étudiants ne s'intéresse à rien d'autre que le gain financier. C'est une situation très familière à tout éducateur ayant œuvré au sein d'un service d'éducation des adultes.

2.4.
Sur une note plus positive, nous en avons tiré notre profit de cette expérience. Ainsi, nous avons été amenés à postuler que les besoins éducatifs des membres des communautés culturelles doivent être sentis par les individus eux-mêmes. La motivation de participer à un système de valeurs distinctes doit être là sans quoi toute entreprise éducative en langue seconde serait vouée à l'échec. C'est ainsi que ceux qui ont le plus profité des cours des COFI sont ceux qui finalement voulaient s'adapter, se faire une place dans un pays qui doit être le leur.

Les besoins éducatifs des personnes immigrantes sont nombreux et très distincts. Il suffit, par exemple, de penser aux professionnels arrivant ici pour comprendre que leurs antécédents accélérera leur processus d'intégration. Cependant, le projet multi-ethnique de Saint-Léonard s'adresse prioritairement aux immigrants adultes en quête d'une formation de base. Cette formation par la langue et les mathématiques favorisera l'adaptation et pourra ouvrir la porte à la formation dite «permanente».

2.5.
Une évaluation sommaire des besoins éducatifs nous révèle les clientèles potentielles suivantes:

Communauté haïtienne:
compte pour 5% de la population de Saint-Léonard, c'est celle qui s'est manifestée le plus clairement au Centre de formation Antoine-de-Saint-Exupéry où elle comptait 38 inscriptions sur un total de 86. Il y avait 20 haïtiens et 18 haïtiennes majoritairement entre 18 et 35 ans et comptaient moins de 6 années de scolarité. Par contre, nous savons que ces groupes n'ont pas rejoint les haïtiens analphabètes tant dans le créole que le français. De plus, nous savons qu'un nombre croissant de personnes âgées vivent dans l'univers clos du logis où ils gardent leurs petits-enfants avec seul espoir de retourner mourir en Haïti. Les haïtiens attachent beaucoup d'importance à l'éducation et la valorisent.

Communauté sud-est asiatique:
nous traitons ensemble ce qui est différent soit la communauté laotienne et cambodgienne. René Houde, stagiaire de Linh Phan en service social, a procédé S une cueillette de besoins auprès de ces communautés. On compte une trentaine de familles du sud-est asiatique à Saint-Léonard et environ cent autres familles dans la région immédiate.

Le résultat de cette cueillette a démontré que l'éducation était au sommet des listes des priorités de ces personnes. Il a procédé à un premier dépistage et ce travail sera précieux à l'avenir. Tout comme le réfugié économique haïtien, le réfugié laotien ou cambodgien est souvent originaire des régions agricoles de son pays et possède très rudimentairement les outils de lecture et d'écriture de sa propre langue. Un seul étudiant cambodgien a fréquenté le Centre de formation cette année.

Communauté italienne:
compte pour 35% de la population de Saint-Léonard, 18 personnes s'étaient inscrites aux cours du Centre de formation Antoine-de-Saint-Exupéry. De ce nombre, 9 étaient des hommes et 7 des femmes, 15 personnes sur 18 avaient moins de 6 années de scolarité.

La communauté italienne compte elle aussi un grand nombre de personnes âgées unilingues vivant presqu'exclusivement dans le foyer de leurs enfants. Lors de l'inscription d'ouvriers de la construction aux cours des normes de sécurité de l'Office de la construction du Québec, on a dépisté 200 travailleurs sur 2000, majoritairement italophones, ne sachant ni lire, ni écrire le français d'une manière fonctionnelle.

Là où il y a regroupement des trois communautés culturelles, c'est dans le fait que les femmes n'ont pas eu un accès égal à l'homme à la scolarisation. Il s'agit d'un phénomène tout à fait cohérent avec toutes les études statistiques faites à ce jour démontrant inlassablement qu'il y a plus de femmes illettrées que d'hommes illettrés et que la majorité de ces personnes se retrouvent dans les couches sociales économiquement défavorisées et ce, peu importe le groupe culturel ou le pays d'appartenance.

Le besoin éducatif prioritaire pour tout nouvel arrivant demeure l'acquisition de la langue parlée par la majorité . Puis viennent successivement l'apprentissage de la lecture et l'écriture. Les besoins ultérieurs dépendent du bagage culturel de la personne et de ses ambitions personnelles.

En accord avec tous les intervenants en alphabétisation ou formation de base auprès des immigrants, nous reconnaissons qu'il y a des besoins spécifiques à la clientèle qui ne trouveront pas satisfaction dans le cadre d'une formation scolarisante. Ces besoins touchent à la compréhension du milieu environnant, à ce bagage minimal de connaissances nécessaires pour évoluer à l'aise dans une société prenant pour acquis que tous ses membres savent lire et écrire le français.

III- Une approche multi-ethnique en alphabétisation

3.1. Multi-ethnicité:
Une approche multi-ethnique est basée sur la croyance fondamentale qu'il est possible d'établir une communication, un vécu commun et des besoins communs entre les personnes d'origines ethniques et culturelles différentes.

Ces apprivoisements réciproques se font sur une base égalitaire et sont bénéfiques pour les uns et les autres. Ils représentent aussi un enrichissement collectif pour la société dans laquelle on est. En effet, nous croyons qu'un projet multi-ethnique représente mieux la société multiculturelle dans laquelle nous sommes.

3.2. Alphabétisation en français:
Nous croyons que la langue est un outil de communication mais aussi un outil d'intégration. Il est donc essentiel pour la personne vivant dans le contexte de la société québécoise de vivre pleinement son quotidien dans cette société dans la langue d'usage de cette société. Ceci dans l'objectif de favoriser la prise en charge de la personne, de ses besoins et de ses ressources, ce qui aboutit à son plein épanouissement (citoyen à part entière, se sentir en harmonie avec son environnement, ne pas se sentir vivre dans une sous-culture marginalisée...) et l'enrichissement de son milieu, par voie de conséquence.

Il va sans dire que des étapes préliminaires restent à considérer pour assurer la transition entre leur vécu dans une langue à celui vécu dans une autre langue et pour faciliter la réceptivité de la personne condition indispensable à son apprentissage. La personne doit être prête psychologiquement, doit vouloir s'intégrer.

3.3. Respect de la culture d'origine:
Cette appropriation de la langue d'usage de la société se fait dans le respect de la culture de la langue d'origine, conditions sans laquelle le projet aboutira à un échec. Ce respect de la culture d'origine se manifeste concrètement que ce soit dans l'élaboration du projet (collaboration avec les communautés culturelles, intervenant(e)s, ami(e)s de ces communautés même) ou dans la réalisation du projet (contenu des cours et des messages).

3.4. L'accueil ou l'ouverture vers d'autres:
Sans vouloir aller trop en profondeur dans la question de sensibiliser la société d'accueil à la présence des minorités culturelles de façon à ce que le processus d'intégration soit un processus réciproque, nous nous voulons ouverts et chaleureux dans l'accueil de façon à respecter le rythme de chaque personne dans sa démarche d'apprentissage et d'intégration.

3.5. Démarche andragogique:
Nous suivons les objectifs de la formation de base tels que stipulés par la Commission Jean. Notre approche se veut personnalisée, souple, adaptée, favorisant l'autonomie de la personne.

3.6. Approche communautaire:
Nous visons a ce que le projet une fois initié par les intervenantes soit pris en main par le milieu et reste autonome par rapport aux organismes qui l'ont supporté au départ. Nous nous maintenons ouverts sur le milieu et collaborons avec les intervenants du milieu. La prise en main du projet par le milieu suppose une structure permettant l'implication bénévole.

3.7. Ouverture particulière a une clientèle dite «marginalisée»
Nous faisons un effort particulier pour rejoindre une population «difficile à rejoindre», marginale.

  • réfugiés économico-politiques
  • femmes
  • analphabètes dans sa langue d'origine
  • personnes peu scolarisées dans sa langue d'origine mais qui sait lire ou écrire
  • personne ne se sentant pas encore prête à faire la démarche d'apprentissage et d'intégration et qui aurait besoin d'un coup de pouce (conscientisation à son besoin d'apprentissage)

En guise de note de la fin, nous sommes nous-mêmes des apprenants continus et nous souhaitons améliorer notre approche au fur et à mesure. Le projet se doit d'évoluer d'une manière souple et ouverte.

IV- Premiers éléments d'une solution

Le projet ALPHA. MULTI-ETHNIQUE comporte deux volets:

4.1. Le comité multi-ethnique
réunit des personnes qui se sentent solidaires des personnes immigrantes qui ont des besoins éducatifs. Ce comité facilite les échanges et la compréhension entre les communautés culturelles et les services éducatifs de la Commission scolaire Jérôme-Le Royer.

  • Ce comité permet d'identifier les besoins spécifiques des membres des diverses communautés culturelles et de sensibiliser le milieu scolaire à ces particularités.
  • Ce comité identifie les ressources éducatives disponibles et les fait connaître aux personnes immigrantes.
  • Ce comité définit un modèle d'intervention approprié et influence les formateurs qui y participeront en déterminant, entre autre, le contenu.
  • Ce comité participe à la sensibilisation du milieu de même qu'au recrutement des apprenants.

4.2. Activités
En septembre, il y aura trois modules:

  • pour la communauté italienne
  • pour la communauté haïtienne
  • pour la communauté du sud-est asiatique

Chacun de ses modules sera animé par un formateur qui aura pour mandat:

  • D'accueillir personnellement chacune des personnes en demande de service dans sa langue d'origine. Le formateur verra à identifier les besoins éducatifs de ces personnes selon les acquis de chacun il réfèrera à la ressource appropriée.
  • Si l'apprenant(e) ne parle pas français, il pourra le(la) référer à un groupe de langue seconde. Ou bien, et c'est la solution que nous privilégions, nous constituerons des groupes de formation sur mesure avec l'aide du ministère de l'Immigration.
  • Si l'apprenant(e) a besoin de formation générale ou professionnelle, il(elle) sera référé(e) à un conseiller en orientation.
  • Si l'apprenant(e) souhaite apprendre à lire et écrire dans sa langue d'origine nous la référerons à une ressource communautaire.
  • Si l'apprenant(e) souhaite apprendre à lire et à écrire en français, le formateur procédera à l'évaluation des habiletés. Si la personne possède déjà des habiletés de base qui la rendent autonome dans ses apprentissages, elle sera référée à des groupes ALPHA de Centres de formation.
  • Si l'apprenant(e) parle le français mais ne le lit pas ou du moins très peu, le formateur l'invitera à joindre son groupe. C'est alors que le formateur développera ce que Aloyse Freitag appelle «une lecture et une écriture de survie». Avec l'apprenant-e), il identifiera les besoins urgents ou ce manque de connaissances fait obstacle dans la vie de tous les jours. D'une manière concomitante, il développera avec le groupe une lecture de l'environnement dans lequel nous vivons tous; les thèmes touchés pourraient être:
    - Le travail
    - L'éducation
    - La santé
    - La sécurité sociale
    - Le logement
    - Le transport
    - L'argent
    - La consommation
    - Être femme au Québec
    - La vie de famille

Nous souhaitons que ces modules soient suffisamment souples pour permettre à de nouveaux arrivants de s'y joindre en tout temps.

En guise de conclusion, nous osons croire que ces premiers pas se font dans la bonne direction. Le modèle sera dynamique et demeure perfectible dans le temps. Il a cependant besoin pour survivre de l'appui des différentes communautés ethniques concernées de même que de l'appui des différents intervenants du milieu de Saint-Léonard et des environs immédiats.