Négocier le virage technologique : actes du colloque sur la télématique tenu à montréal en février 1983

Une coédition:

Institut canadien d'éducation des adultes Centrale de l'enseignement du Québec

COORDINATION:

Lina Trudel, Louise Toupin, Guy Brouillette

SECRÉTARIAT:

Éliette Beaulieu

MAQUETTE:

Lise Nantel

PHOTO-COMPOSITION :

Centrale de l'enseignement du Québec

IMPRESSION:

L'Eclaireur, Beauceville

Dépôt légal: Bibliothèque nationale du Québec, Montréal, troisième trimestre 1983.

Une coédition CEQ-ICEA

On peut se procurer d'autres exemplaires auprès de

Centrale de l'enseignement du Québec

Centre de documentation, 2336, chemin Ste-Foy, Ste-Foy, G1V 4E5 Tél.: (418) 658-5711

Institut canadien d'éducation des adultes 506 est, Ste-Catherine, suite 800, Montréal H2L 2C7, Tél.: (514) 842-2766

Au niveau de l'impact sur le travail, deux autres dossiers ont été remis aux participantes et participants: LES PUCES QUI PIQUENT NOS JOBS, Comité de la condition féminine (CSN) et LES ÉCRANS CATHODIQUES, CSFP (FTQ). Vous pouvez vous les procurer directement soit à la CSN ou à la FTQ.

TABLE DES MATIÈRES

1. LE RAPPORT DU COLLOQUE

Avant propos

Ouverture du colloque : pour des choix démocratiques

Panel-débat: «Peut-on avoir voix au chapitre dans ce progrès qu'on nous impose?»

De la continuité dans le changement, au changement dans la continuité

Bureautique: le tique qui rend nerveux

Le ministère des Communications du Québec et la télématique

On nous fiche, ne nous en Fichons pas!

Les technopaysans et les puces

Synthèse des pistes de revendications et d'action des ateliers

ÉDUCATION

Informatique et Tiers monde

2- LES DOSSIERS

Négocions le virage technologique

L'ordinateur à I'école: un choix de société

Télématique et mass-médias: les noces d'argent

Vidéotron: l'empire de la câblodistribution au Québec

La télématique affecte-t-elle nos droits et libertés?

Faut-il des robots industriels au Québec?

COMPTE-RENDU DE LA RENCONTRE AVEC MM. GÉRARD MÉTAYER ET ARMAND MATTELARD

ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE des documents en français sur l'Impact de la micro-électronique

Notes

1. LE RAPPORT DU COLLOQUE

Avant propos

En plein climat de répression, marqué par rien de moins que la suspension des droits de la personne pour les enseignantes et enseignants en grève, au-delà de 600 personnes se sont réunies, les 18 et 19 février 1983, pour discuter de la télématique et de ses impacts sur la population. Six cents personnes, venant d'à peu près toutes les régions du Québec, c'est-à-dire, des enseignantes et enseignants, des fonctionnaires, des travailleuses et des travailleurs des communications, des militantes et des militants des médias communautaires, des groupes populaires et des groupes de femmes, etc.

À l'évidence, ce colloque correspondait à un besoin: besoin de connaître ce qu'est la télématique, ce qu'en sont ses usages, ses conséquences, et d'en débattre autrement qu'en termes magiques et mystificateurs. Pour la première fois, ce domaine hautement sophistiqué sortait des officines des experts, vendeurs et politiciens de tout acabit où, jusqu'ici, il était soigneusement cantonné.

Pendant une journée, dossiers de sensibilisation à l'appui, les participantes et participants ont tenté, dans 15 ateliers superbondés, de cerner les enjeux que posent les nouvelles technologies au niveau de l'éducation, de la vie privée, des médias et du travail.

Un brassage d'idées donc, comme on n'en avait jamais vu depuis longtemps; les participantes et participants étant décidés, au terme de ce colloque, à relancer le débat dans leurs divers milieux et souhaitant la tenue de colloques de ce genre dans toutes les régions du Québec.

Écho dans les médias: Radio-Canada, radio et télévision? Rien! Télé-Métropole? Rien! La radio privée? Absente! Le Soleil? Absent! À notre connaissance, La Presse et Le Devoir en ont parlé brièvement.

Moins de deux semaines plus tard, Le Devoir publie, à l'occasion de l'Année des communications, un cahier spécial sur les communications. Des impacts sociaux des nouvelles technologies? Aucune trace! Des conséquences déjà visibles sur l'emploi? Pas un mot! Des menaces à notre vie privée? Motus et bouche cousue! Des influences capitales sur l'éducation et le recyclage? Nulle piste, si ce n'est la liste des départements de communication des universités québécoises qui forment les « communicateurs ». Sur Télidon, l'information de l'avenir, et son accès pour le moins prohibitif, malgré le fait que ce soit le gouvernement fédéral qui le promeut? Motte!

Pourtant, tous ces points d'inquiétude avaient été soulevés lors de ce colloque populaire sur la télématique; on avait même tenté de cerner des pistes de revendications et d'actions possibles en ces matières...

Qu'est-ce à dire? Que l'information, autre que celle que véhicule le discours dominant à la Jean-Jacques ServanSchreiber *, le discours du pouvoir, ne passe pas, ne perce pas. Comment, en effet, interpréter autrement le silence profond des médias sur le colloque et le bouillonnement d'idées qui en est surgi?

Et c'est ici que l'on revient au problème plus général de l'inaccessibilité des médias de masse à ceux qui tiennent un discours « autre ». Encore une fois, le strict droit du public à une information diversifiée n'est pas respecté. Ce que cela signifie en bout de ligne, c'est un appauvrissement de «la démocratie », un recul de plus en plus inquiétant pour les diverses forces progressistes dans leurs tentatives d'avoir voix au chapitre dans cette société.

Ce recul, le Groupe de travail sur les communications de l'ICEA, initiateur de ce colloque, l'a maintes fois constaté et prouvé dans le passé. Le colloque « La parole, ça se prend », organisé à l'automne 1979 avec des travailleuses et des travailleurs des communications, avait bien cerné cette information partiale provenant des médias officiels, leur inaccessibilité et la question de leur contrôle et de leur propriété. Depuis, la situation ne semble pas s'être améliorée.

L'idée d'organiser un colloque sur les enjeux sociaux de la télématique, en collaboration avec des organismes populaires et syndicaux, s'inscrivait dans cette même logique: sensibiliser la population au phénomène, sortir le débat des mains des experts et vendeurs, cerner les enjeux et avancer des pistes d'actions.

Pourquoi la télématique? Parce qu'avec cette nouvelle « révolution », l'information prend une toute autre dimension: elle touche non plus seulement ce que nous pouvons lire dans les journaux, écouter à la radio et regarder à la télévision, mais tous les domaines de notre vie. Elle touche tout en même temps, partout à la fois: non seulement notre travail au bureau, à l'usine ou à domicile, mais tout ce qui compose la trame de notre vie quotidienne: les loisirs, la culture, la santé, la justice, l'éducation, etc. L'information codée par les ordinateurs en est la base.

Cette révolution télématique provoquera des bouleversements sans nombre dans toute l'organisation sociale. Pourtant, jusqu'à maintenant, ni les politiciens, ni les experts, ni les médias (même s'ils en sont informés, ajouterions-nous après cette expérience de colloque), ni encore moins les vendeurs, ne s'attardent un tant soit peu aux conséquences qu'elle comportera. Cela est plus qu'inquiétant...

Et pourtant, ces conséquences, ces retombées sont de taille; elles méritent tout au moins un débat impliquant toute la population puisque c'est toute la population qui sera touchée et qui en sera affectée.

C'est donc pour créer ce lieu de débat que le Colloque populaire sur la télématique a été organisé. À cet effet, l'ICEA, en collaboration avec des membres d'organismes syndicaux et populaires et avec des chercheurs, a fait produire à cette occasion cinq dossiers qui ont servi de canevas de discussion aux 15 ateliers: l'un sur l'ordinateur à l'école, un deuxième sur la télématique et les mass-médias, un troisième sur l'influence de la télématique sur la vie privée et un quatrième sur l'informatisation du travail; enfin, un dernier document tentait de cerner les enjeux globaux du phénomène télématique.

C'est pour rendre compte de la richesse des débats véhiculés lors de ce colloque que nous produisons cette publication. Et aussi, pour permettre à davantage de gens d'en prendre connaissance et de continuer le débat.

Les lectrices et lecteurs y trouveront un aperçu des moments qui ont jalonné le colloque. Tout d'abord, le panel d'ouverture autour de la question suivante: « Peut-on avoir voix au chapitre dans ce progrès qu'on nous impose? ». On pourra lire, à ce sujet, les interventions des cinq personnes invitées: l'expérience française en matière de télématique (Gérard Métayer), le fichage des personnes au Québec et les enjeux au niveau des droits et libertés (Jocelyne Lamoureux), l'impact de la microélectronique pour les femmes dans le secteur des services (Suzanne Bélanger), les luttes des travailleuses et travailleurs nord-américains dans les usines (D'Arcy Martin) et un exposé d'un représentant du ministère des Communications du Québec sur le phénomène télématique.*

En plus de la publication des cinq dossiers qui ont servi de canevas de discussion aux ateliers, on trouvera le rapport-synthèse des recommandations du colloque. Enfin, on pourra prendre connaissance du texte de la conférence prononcée par Armand Mattelart, invité par l'ICEA pour l'occasion, sur l'impact de l'arrivée des ordinateurs dans le Tiers monde.

En terminant, s'il est un fait majeur à retenir du premier colloque populaire sur la télématique, c'est le suivant: les multiples applications connues et inconnues de la micro-électronique changeront la face de cette société dans laquelle nous vivons. Et, à cet égard, notre pouvoir réside, non pas dans notre faculté individuelle à nous « adapter » à ces changements décidés par d'autres, mais dans notre capacité collective à les maîtriser, et à faire en sorte que ce progrès qu'on nous impose encore une fois soit aussi le nôtre.

Nous refusons de nous voir cataloguer bêtement comme des « retardataires » parce que nous osons poser des questions sur ces nouvelles technologies. Nous ne sommes pas, répétons-le « contre le progrès ». Nous voulons simplement que ce progrès technologique soit aussi un progrès social.

En ce sens, les tenants de ce discours salvateur sur l'humanité (qui sont, en l'occurrence rien de moins que des multinationales « sans attache » comme IBM, Northern Telecom, Marconi) doivent être soumis à ce tribunal populaire qu'est le débat démocratique.

Si le colloque populaire sur la télématique a pu réussir à outiller en ce sens les groupes constitués et des couches de plus en plus larges de la population, il aura atteint un de ses buts, l'autre étape du débat étant maintenant celle-ci: comment, pratiquement, chacune et chacun dans nos milieux, dans nos régions, dans nos quartiers, pouvonsnous prendre en main et se réapproprier, selon nos intérêts et nos besoins, ce progrès technologique?

Un débat plus large s'impose donc à partir de maintenant; nous avons l'obligation de l'imposer, où que nous soyons, et cela, même s'il est à contre-courant et du Pouvoir, et des médias qui, jusqu'à maintenant, confortent le Pouvoir en ce domaine.

Ouverture du colloque : pour des choix démocratiques

par Guy Bourgeault, président de l'ICEA

Avant d'ouvrir le premier colloque populaire sur la télématique et en vous y souhaitant la bienvenue à titre de président de l'Institut canadien d'éducation des adultes, je tiens à saluer de façon toute spéciale celles et ceux parmi vous qui mènent présentement sur le front de l'éducation, pour le maintien et le développement des services éducatifs que s'est donnés le Québec et de leur qualité, une lutte d'une particulière importance et dont la gravité est devenue ces derniers jours à la fois davantage perçue par l'ensemble de la population et plus exigeante pour les enseignantes et enseignants. Les enjeux de cette lutte intéressent l'ICEA à plus d'un titre: c'est la survie même de l'éducation des adultes, de ses services, de ses possibilités en vue du développement des individus et des groupes comme de l'ensemble de la collectivité, qui est en cause; c'est aussi et plus radicalement peut-être la démocratisation de l'éducation des adultes et de l'éducation tout court qui est directement touchée par les récents décrets du gouvernement québécois et ses lois spéciales, et gravement compromise.

Ouvrant maintenant avec fierté le premier colloque populaire sur la télématique, organisé par l'ICEA, je voudrais en rappeler d'abord brièvement les objectifs, présenter ensuite la thématique générale du colloque et souligner quelques-uns des grands enjeux de nos échanges et débats d'aujourd'hui et de demain, signaler enfin quelques-unes des collaborations qui ont rendu possible la tenue de ce colloque.

OBJECTIFS

Les choix technologiques que gouvernements et entreprises sont en train d'adopter en douce et à la vapeur vont bouleverser nos vies entières - au travail, à l'école, à la maison. Avant de négocier le « virage technologique » qu'on insiste pour nous présenter comme fatal et dont on fait miroiter sous nos yeux les promesses, ces choix doivent être largement débattus. C'est pour créer un lieu de débat et de réflexion, un lieu de concertation aussi pour l'action, que l'ICEA, en collaboration avec divers organismes, a convié travailleuses et travailleurs syndiqués et non syndiqués, membres des groupes populaires, des groupes de femmes... la population en général à ce premier colloque populaire - gouvernements et entreprises ayant en cette matière sur nous trois années d'avance! - sur les enjeux sociaux de la télématique.

Des objectifs, donc de deux ordres:

sensibilisation, réflexion et débat, d'une part, que favoriseront le panel-débat de ce soir et les ateliers de demain; organisation, concertation et équipement en vue de l'action dans nos divers milieux, d'autre part, ce que les travaux en ateliers et les dossiers viendront soutenir en fournissant des outils.

L'ICEA, pour sa part, qui a voulu avec d'autres lancer le débat entend poursuivre son travail d'étude, de concertation, de vigilance et d'action sur ce front comme sur les autres (éducation, communication, culture) pour que les choix soient démocratiques et pour que les personnes et les groupes puissent, étant mieux outillés, maîtriser les technologies nouvelles et leurs possibilités au lieu de s'y soumettre comme à la fatalité de l'éruption volcanique et de s'y adapter en en subissant les contrecoups de ce qui ne ferait le profit que de quelques-uns.

ENJEUX

Les enjeux majeurs sont donc ici directement liés à la démocratisation de la télématique et de son utilisation (ou de ses utilisations). Il importe, en effet, d'assurer un large accès à la télématique et à ses banques de données, par exemple, si l'on veut que les possibilités ouvertes par les nouvelles technologies servent l'ensemble de la collectivité, personnes et groupes, et non quelques privilégiés seulement. Il importe, plus radicalement peut-être, que soit assuré aussi un contrôle démocratique de l'information qui sera mise en banque. Il importe, finalement et en somme, que nous puissions nous approprier collectivement les outils de la télématique.

Laissant à d'autres de montrer ce soir comment l'avènement et le développement de la télématique marquent déjà et marqueront plus profondément encore nos vies au travail, à la maison, dans diverses sphères de la vie collective, je voudrais brièvement appliquer ces propos généraux au monde de l'éducation. Comme on le note dans le document de problématique générale NEGOCIONS LE « VIRAGE TECHNOLOGIQUE », « la transformation des emplois et le développement de nouvelles disciplines provoqueront des mutations tout aussi majeures dans le système d'enseignement. Les adultes, actuellement en emploi, devront ou bien se recycler pour apprendre à travailler avec de nouvelles machines, ou carrément apprendre un nouveau métier ». Or, le réseau public d'éducation des adultes, comme on le signale dans le document de travail sur L'ÉDUCATION ET LA NOUVELLE TECHNOLOGIE, n'est pas du tout prêt à faire face à ces demandes nouvelles. En outre, ce sont les travailleuses et les travailleurs les moins qualifiés qui risquent de se voir refuser en pratique l'accès aux programmes de recyclage avancés, ce qui aura pour effet d'accroître l'inégalité des chances souvent dénoncée dans le monde de l'éducation.

En cette année internationale des communications, dans le cadre de laquelle se situe ce colloque (et dans le cadre de laquelle le ministère des Communications du Québec a accordé une contribution financière à sa réalisation), des enjeux de semblable nature ne peuvent pas ne pas être au moins évoqués dans le monde des communications. La télématique y servira-t-elle une plus large information et une information d'une meilleure qualité, une plus réelle diversification ou un plus juste équilibre dans ses sources comme dans ses contrôles, au service d'un plus grand nombre de personnes, de groupes et de collectivités? ou favorisera-t-elle le développement des concentrations et des partialités dont seuls les privilégiés, individus et groupes, peuvent tirer et tirent effectivement parti?

Les enjeux, en tous ces domaines, sont à la fois éthiques et politiques. Nous sommes toutes et tous concernés, de gré ou de force, à l'heure des choix qui sont possibles. Et peut-être faut-il que nous nous rappelions ici cet adage de la sagesse populaire affirmant qu'on n'est jamais bien servi que par soi-même, ce qui fut traduit il y a une dizaine d'années par le slogan « Ne comptons que sur nos propres moyens ». Compte tenu de l'avance prise par les gouvernements et par l'entreprise, compte tenu de leur accord et de leur concertation pour nous inviter à nous soumettre à l'inévitable plutôt qu'à participer à des choix, je me permettrais de rappeler l'importance et l'urgence de nos travaux dans le cadre de ce premier colloque populaire sur la télématique - dont le titre même dit à sa façon à la fois l'urgence et l'orientation dans le sens d'une volonté commune et résolue de démocratisation des choix.

COLLABORATIONS

Il me reste à signaler en terminant certaines contributions à la préparation de ce colloque. Sans chercher à vous en dresser ici une liste exhaustive et en vous renvoyant à certains renseignements à cet égard fournis en couverture ou à l'intérieur des dossiers remis aux participants, je veux signaler la collaboration spéciale des organismes suivants: CEQ, FTQ, CSN, FNEEQ, SPGQ, Ligue des droits et libertés, Services à la collectivité de l'UQAM, l'OFQJ. Je veux aussi remercier tout particulièrement de leur collaboration, au nom de l'ICEA, des personnes qui ont travaillé à la préparation des dossiers du présent colloque: Christiane Fabiani, Claude Martin, Jean-Guy Lacroix, Anne Filion, Carole Laflamme, Robert Pilon, Gaétan Nadeau, Charles Halary - toutes personnes dont les contributions sont précisées dans la documentation du colloque; en ajoutant à cette liste le nom de Gaétan Tremblay, qui a collaboré à la réalisation du dossier NÉGOCIONS LE « VIRAGE TECHNOLOGIQUE ». À toutes et à tous, de notre part à toutes et à tous, merci.

Je signale enfin la participation à notre colloque de deux invités spéciaux: Gérard Métayer et Armand Mattelart, dont la présence a été rendue possible grâce à la collaboration de l'OFQJ.

Télématique, informatique, robotique et bureautique...: les enjeux de ce monde, pour reprendre l'expression ou le titre du livre de Gérard Métayer, de nos futurs en tique, nous renvoient à l'importance des choix démocratiques. C'est à les préparer que nous travaillerons ce soir et demain. Je nous souhaite bonne chance dans nos travaux!

Panel-débat: «Peut-on avoir voix au chapitre dans ce progrès qu'on nous impose?»

Communications des participantes et participants

De la continuité dans le changement, au changement dans la continuité

DOUZE ANNÉES DE POLITIQUE DES COMMUNICATIONS EN FRANCE

par Gérard Métayer

Au début de l'année 1971, un conseiller technique au cabinet * de Jacques Chaban-Delmas, alors premier ministre, recevait une petite équipe de chercheurs venue lui présenter un rapport d'étude sur LES PROCÉDÉS DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE: PRÉVISION TECHNOLOGIQUE ET ÉCONOMIE COMPAREE. Cette étude, s'appuyant sur l'observation des évolutions en cours en Amérique du Nord et au Japon, recommandait au gouvernement français de prendre des initiatives dans deux secteurs-clés de développement: les magnétoscopes à cassettes, et les réseaux de télévision par câble.

Ces recommandations s'inscrivaient tout naturellement dans le projet de « nouvelle société », qui cherchait à tirer la leçon de mai 1968, encore tout proche, et proposait de mettre les nouvelles techniques de communications au service de l'expérimentation sociale et d'un retour à la « démocratie directe »: c'était l'époque où les groupes de « vidéo sauvage » commençaient à foisonner, où l'on découvrait les « canaux communautaires » des réseaux de télédistribution nordaméricains, où toute une littérature prônait la démocratisation de la télévision et le libre accès du public aux médias électroniques.1

Douze ans plus tard, le gouvernement français tente de retarder l'invasion des magnétoscopes à cassettes d'origine étrangère (et surtout japonaise) par des mesures protectionnistes faute de pouvoir lui opposer une production nationale. Il tente en même temps de rattraper le retard accumulé dans le développement de la télévision par câble, en lançant un ambitieux programme de réseaux à fibres optiques. Mais l'argumentation de ces mesures ne s'appuie plus sur des préoccupations liées à la communication sociale: elle repose en premier lieu sur des considérations de politique industrielle.

Ces considérations n'avaient à vrai dire jamais été absentes: la politique des communications des années soixante-dix fut tout aussi soumise à l'impératif industriel que celle des années quatre-vingt. Mais cet impératif industriel a changé, dans la continuité des changements qui se sont opérés dans les empires industriels.

Au début des années soixante-dix, deux empires se partageaient le marché des communications en France: au groupe Thomson revenait la télévision, à la CGE (Compagnie générale d'électricité), le téléphone. Cette répartition avait été si bien respectée que la France était un des rares pays (sinon le seul) à s'offrir le luxe d'un double réseau de transmissions hertziennes - un pour la télévision, construit par Thomson, et un autre, distinct, pour le téléphone, construit bien entendu par la CGE.

Ce pacte de non-agression implicite entre les deux groupes industriels explique en partie leur peu d'intérêt pour les marchés qu'ouvraient vidéocassettes et télévision par câble: le développement des premières revenait naturellement à Thomson, mais ce groupe, mal à l'aise sur les marchés « grand public », préféra miser sur les équipements professionnels requis pour les réseaux de télévision nationale (la 3e chaîne, et plus tard le satellite de diffusion directe), et se contenta de négocier des accords de distribution avec des fabricants de magnétoscopes japonais. Quant à la télévision par câble, sa technologie hybride risquait d'en faire une pomme de discorde entre les deux groupes qui s'abstinrent, pour ne pas remettre en cause leur confortable partage de marchés, d'exercer de trop fortes pressions vers un marché dont l'ouverture impliquait par ailleurs une intervention législative du gouvernement: la multiplication des canaux disponibles s'accordait mal au monopole d'État sur la télédiffusion, qui limitait à trois chaînes les programmes offerts au public.

Or, par crainte de perdre leur contrôle sur la télévision, les gouvernements successifs ont toujours refusé la remise en cause de ce monopole d'État: on comprend aisément dans ces conditions que des techniques de communication présentées comme des moyens d'ouvrir l'accès au petit écran (magnétoscopes « grand public », ou télévision par câble) n'aient pas reçu l'appui enthousiaste des pouvoirs publics:

  • Les magnétoscopes à cassettes, considérés comme des biens d'équipement ménager au même titre que les congélateurs ou les lavevaisselle, seront comme ceux-ci laissés aux lois du marché: aux industriels français de décider s'il leur convenait d'y prendre place. Mais, contrairement aux congélateurs et aux lave-vaisselle, gourmands d'électricité, dont la promotion commerciale fut en partie prise en charge par une société nationale - EDF - soucieuse d'accroître la consommation énergétique des ménages pour justifier son programme électronucléaire, les magnétoscopes à cassettes ne s'inscrivent dans aucun plan de développement industriel. Tout au plus, vaguement consciente de l'apparition possible d'un nouveau marché de consommation - celui des programmes vidéo - l'ORTF s'associa-t-elle au plus gros éditeur français, Hachette, pour créer la société Vidéogramme de France, qui serait chargée de commercialiser des programmes enregistrés sur cassettes - dans l'espoir bientôt déçu d'écouler ainsi les vieux stocks d'émissions de l'Office de télévision nationale.
  • La télévision par câble, dont le développement impliquait par contre nécessairement l'intervention, au moins législative, des pouvoirs publics, fit l'objet de tous leurs soins - non pour aider, mais au contraire pour freiner son extension qui risquait de se réaliser « spontanément » sous la pression des associations d'usagers, des collectivités locales, et d'industriels attentistes, mais attentifs (outre Thomson et CGE, qui mirent en place des filiales spécialisées, pour le cas où..., les groupes étrangers déjà présents sur le marché européen, comme Philips et Siemens s'intéressèrent de très près à l'évolution française). Une Société française de télédistribution (SFT) fut donc créée, avec la mission explicite de mettre en route quelques expériences - dont celle de Grenoble, qui resta pendant plusieurs années la « vitrine » nationale en matière de télévision par câble - et l'objectif implicite d'éviter tout débordement au-delà de ces dangereux foyers de subversion qu'allaient à coup sûr constituer les canaux expérimentaux de télévision locale... L'objectif fut parfaitement atteint, puisque actuellement les réseaux d'antenne collective qui desservent plus du quart des foyers français ne leur distribuent que les trois chaînes nationales, sauf dans les zones frontalières où l'importation des télévisions limitrophes (allemande, belge ou luxembourgeoise) n'a pu être évitée.

Des gouvernements crispés sur leur monopole de diffusion des programmes télévisuels, des industriels confortablement installés dans les rentes de situation, attribuées sous forme de commandes publiques, qui leur évitaient toute velléité d'affronter les marchés concurrentiels: la France du début des années soixante-dix n'était pas un terrain favorable au développement des nouvelles techniques de communication, même si le mythe de la « nouvelle société » les mettait en avant pour corriger les effets néfastes de la « société de consommation » et reconstituer un « tissu social » mité par l'urbanisme automobile...

A partir de 1974, l'arrivée de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée va changer la situation: après avoir pendant de longues années, en tant que ministre des Finances, refusé les crédits nécessaires au développement du téléphone français, le nouveau président de la République affiche parmi les objectifs de son septennat le rattrappage du retard français en matière d'équipement téléphonique. Effectivement, le parc téléphonique français sera multiplié par 2,5 entre 1974 et 1981, année où il dépassera les 20 millions de lignes et placera la France dans la moyenne des pays européens pour sa densité téléphonique (nombre de lignes pour 100 habitants).

Pour y parvenir, les pouvoirs publics accepteront un effort financier équivalent à celui que mobilisera, sur la même période, le programme électronucléaire: pendant les années soixante-dix, la part des télécommunications dans l'investissement national passe de 2 % à 5 %, et la Direction générale des télécommunications talonne Électricité de France pour le titre de premier investisseur français. Contrairement à EDF, dont la politique d'expansion forcenée se solde depuis le début des années quatre-vingt par des déficits croissants (4 milliards de F en 1981, 8 milliards de F en 1982...), la DGT enregistre des excédents budgétaires (près de 5 milliards de F en 1982) qui devraient lui permettre la poursuite de ses investissements (27 milliards de F en 1983) et de l'équipement du parc téléphonique français (25 millions de lignes en 1984, soit une densité téléphonique équivalente à celle du Canada... quinze ans plus tôt!).

Pourtant, ces investissements considérables, réalisés en partie par l'appel aux capitaux privés et étrangers (la dette des PTT atteint 80 milliards de F, dont la moitié en devises étrangères) n'ont sans doute pas profité autant qu'il aurait été possible à l'industrie française des télécommunications. Jusqu'en 1974, le programme d'investissement a servi le développement d'un système français de commutation électronique dite « temporelle », en avance sur la concurrence internationale. Mis au point au Centre national d'études des télécommunications, ce système était industrialisé par la CGE, dont le patron s'attira le ressentiment du futur président de la République pendant la campagne électorale de 1974. Après son élection, on changea donc de cap pour concentrer les commandes sur des systèmes électromécaniques, technologiquement dépassés mais fabriqués par des concurrents étrangers de la CGE, Éricson et ITT. Des usines furent créées afin de faire face à ce nouveau programme, coûteux en redevances aux firmes américaines et suédoises détentrices des brevets - malgré le rachat en 1976, de leurs filiales françaises par Thomson, qui ne parvint jamais à rentabiliser les nouvelles usines.

En effet, tandis que leur production croissait rapidement, les exportations déclinaient, les clients éventuels préférant s'adresser aux sociétés-mères. En 1978, sous la pression de Thomson qui perdait de plus en plus d'argent, nouvelle volte-face: les commandes porteront désormais principalement sur des systèmes électroniques temporels, dont la fabrication se partage dès lors entre la CGE et Thomson.

Ces tribulations industrielles n'ont hélas pas eu seulement des conséquences financières: les « coups d'accordéon » des programmes de production ont directement atteint les salariés, d'autant plus que le passage de la technologie électromécanique à la technologie électronique divise par trois ou quatre les effectifs requis: supportable si elle s'était étalée sur plusieurs années, la « montée en régime » de la production électronique intervint brutalement après quatre années de reconversion - et donc d'embauché - vers l'électromécanique. Au moment même où la DGT investissait massivement dans l'extension du parc téléphonique français, l'industrie française des télécommunications licenciait massivement son personnel (25 000 pertes d'emplois entre 1978 et 1982...).

Ce développement du téléphone, sans précédent en France, répond manifestement à une demande sociale et corrige dans une certaine mesure les méfaits du développement, 20 ans auparavant, de l'automobile: il rompt l'isolement des campagnes désertées, des banlieues-dortoirs, ou de tous ceux qui ne peuvent aisément se déplacer. Mais cette fonction sociale s'efface, pour justifier la poursuite du programme des télécommunications, derrière des objectifs économiques qui semblent plus « réalistes » aux technocrates chargés d'élaborer la politique industrielle française, comme ceux du groupe de travail réuni, à la fin 1979, autour du PDG de l'Agence France-Presse. 2

« Considérant que la télématique constitue une des chances de la France, il préconise une attitude plus volontariste et en même temps plus lucide qui, s'appuyant sur les acquis d'un réseau téléphonique moderne et partout accessible, s'oriente résolument vers la télématique à usage professionnel, d'abord, puis très rapidement vers des produits nouveaux de grande diffusion. C'est à ce prix seulement que les télécommunications pourront être réellement un des moteurs essentiels de l'économie française en cette fin de siècle. »

Car le pari téléphonique gagné par la DGT au début des années quatre-vingt était accompagné d'un autre pari, dont il est encore trop tôt pour savoir s'il est déjà perdu: celui de la télématique, néologisme lancé dès 1978 par les auteurs du rapport sur L'INFORMATISATION DE LA SOCIETE. Pour les technocrates français, la télématique est en effet d'abord un pari industriel. Après avoir, de plan calcul en plan calcul, perdu toutes les occasions de reconstituer en France une industrie informatique capable de rivaliser avec ses concurrents anglo-saxons et japonais, nos technocrates misent sur cette technique hybride pour reconstituer une filière électronique nationale, depuis les composants jusqu'aux produits « grand public », en passant par les biens d'équipement industriel.

Le raisonnement de ces polytechniciens est d'une simplicité propre à séduire les politiciens les plus bornés - à défaut de s'adapter à la complexité des réalités socio-économiques:

  • pour développer une filière électronique à partir de sa base - l'industrie des composants - il faut disposer d'un marché qui excède largement les dimensions nationales pour les équipements professionnels comme la grande informatique;
  • les marchés de l'électronique « grand public » (magnétoscopes, jeux vidéo, micro-informatique individuelle,...) sont déjà occupés par l'industrie américaine et japonaise;
  • le seul marché qui reste protégé des « envahisseurs » étrangers tout en offrant une taille suffisante pour supporter le développement d'une filière nationale est celui des télécommunications;
  • il faut donc occuper ce marché en lançant des produits et services nouveaux intégrant des composants micro-électroniques et des logiciels adaptés: ce sera le rôle de la télématique.

Un point reste obscur dans ce raisonnement:

pour qu'il y ait marché, il ne suffit pas d'une offre - il faut avoir une demande. Or, la demande de produits et services télématiques ne se manifeste pas spontanément chez des usagers qui viennent tout juste de découvrir... le téléphone (les trois quarts des ménages en disposent aujourd'hui, contre un quart seulement dix ans plus tôt). Mais ce point est, pour nos technocrates, tout à fait secondaire: l'exemple d'EDF et de son programme électronucléaire a suffisamment montré qu'il n'est pas trop malaisé d'amener les Français à consommer des biens et des services dont ils n'auraient pas ressenti le besoin, si les besoins de l'industrie ne les avaient convaincus de leur utilité. Et puisque EDF est parvenue, malgré leur impopularité, à faire accepter ses centrales nucléaires, pourquoi la DGT ne parviendrait-elle pas à faire admettre ses centraux télématiques, beaucoup moins redoutés par l'opinion. Pour imposer son choix technique, la DGT allait donc tout naturellement adopter la méthode éprouvée par EDF:

« Née d'un mariage, celui de l'informatique et des télécommunications, cette technique a provoqué un divorce, celui de la DGT et de l'ensemble des élus, des parlementaires, de la presse régionale, en raison du refus de l'administration d'informer sur des projets qui remettent en cause des équilibres économiques, sociaux et politiques. Devant communiquer avec un large public: usagers, élus, personnel, elle s'est souvent réfugiée derrière la technique pour éviter de répondre aux questions. »3

En fait, cette première tentative de « forcer la main » aux partenaires économiques et sociaux du projet télématique allait échouer sur des obstacles non pas politiques, mais industriels et financiers: le « télécopieur grand public » dont la DGT envisageait de doter gratuitement les abonnés au téléphone - en se payant sur le trafic induit - ne put jamais être fabriqué dans les délais et au prix imposé; le « terminal annuaire électronique » que la DGT voulait substituer, toujours gratuitement, à l'annuaire en papier, ne put être commandé dans les quantités prévues (4 millions dès 1980), faute d'un accord du ministre des Finances. Le pari télématique paraissait donc manqué avant même que le changement de majorité ne vienne, en 1981, remettre en cause la politique et les structures de la DGT.

AUTRES HOMMES, MÊME POLITIQUE

Pendant près d'un quart de siècle, la France avait été gouvernée par des partis conservateurs. « L'état de grâce » qui suivit l'élection présidentielle du 10 mai allait être prolongé par l'avènement, en juin 1981, du gouvernement socialiste. Quelle attitude adopterait-il vis-à-vis des programmes décidés par l'ancien gouvernement, en particulier quant à la télématique? Quelques jours avant sa nomination comme directeur général des Télécommunications par le nouveau gouvernement, Jacques Dondoux présentait à des syndicalistes sa position relativement à l'orientation future du programme télématique:

« II appartient au pouvoir politique de ménager cette confrontation, puis de trancher suivant la réponse des Français aux innovations technologiques... Il est nécessaire que les techniciens et les industriels aient une attitude neutre, et par le canal de leur technique n'impose pas grâce à la puissance de la corporation à laquelle ils appartiennent leur choix aux Français. »

Cette déclaration, comme celles de plusieurs autres responsables politiques ou techniques à la même époque - sur le programme électronucléaire, sur le contrôle démocratique de la technologie, sur la participation des citoyens, des travailleurs, et des usagers aux orientations de la politique industrielle, - laissait prévoir un changement fondamental. L'introduction des nouvelles technologies, les plans d'industrialisation répondraient-ils désormais à l'expression d'une demande sociale, résulteraient-ils d'une large concertation avec tous les partenaires concernés? Cesseraient-ils, enfin, de répondre exclusivement à des objectifs économiques et industriels, pour satisfaire prioritairement des besoins sociaux?

Après les discours, il fallut bien prendre des décisions: certains programmes étaient en route (électronucléaire, télématique) , d'autres en projet, comment le changement se manifesterait-il à leur égard?

Après un délai de réflexion, le « gel » provisoire de quelques projets, quelques débats parlementaires hâtivement conduits et la consultation des élus locaux directement impliqués, la réponse est désormais claire: les programmes engagés seront poursuivis, à quelques modifications près et avec le souci de persuader l'opinion de leur bien fondé. 4

Quant aux nouveaux projets, ils continueront de naître dans le secret des cabinets ministériels et des états-majors industriels, entre technocrates que ne différencient même plus leur statut « privé » ou « public » depuis la nationalisation des grands groupes comme CGE ou Thomson... Le ministre des PTT l'expliquait en ces termes, lors de l'inauguration du service télématique TELETEL: « définir notre politique de façon démocratique ne freinera pas les expériences déjà lancées. Les enjeux sont en effet trop importants, et tout d'abord l'enjeu industriel ».

Car cet enjeu industriel reste l'objectif principal que vise le gouvernement socialiste, dont la conviction productiviste est aussi forte que celle de ses prédécesseurs: ce qui compte est moins de satisfaire une demande sociale actuelle que de mettre en place les moyens de créer une nouvelle demande, afin de poursuivre l'accumulation du capital industriel menacé par la crise et la stagnation de la consommation... Cette logique, dont le caractère « socialiste » n'apparaît pas évident, fut pourtant défendue par le président Mitterrand lui-même lors du «sommet de Versailles » en juin 1982: 5

« Les politiques dites d'austérité freinent le progrès technologique en décourageant les investissements à long terme créateurs d'une nouvelle demande, alors qu'il nous faut répondre à la révolution technologique en encourageant les investissements industriels privés et publics. C'est une mobilisation sans précédent du capital vers l'industrie et la recherche que nous devrons réaliser... »

L'organisation matérielle de ce sommet de Versailles, véritable vitrine internationale pour les produits et services nouveaux de la télématique française, était une illustration concrète de l'hymne au « progrès technologique » élaboré par les rédacteurs du rapport TECHNOLOGIE, EMPLOI ET CROISSANCE que présenta le chef de l'État français. Mais plus encore que le contenu de cette vitrine, la composition des équipes qui, dans « l'arrière-boutique », avaient préparé le discours et l'étalage, est significative de la profonde continuité des politiques de développement industriel en France, avant et après le 10 mai.

C'est à l'actuel responsable du « service du développement commercial et de la promotion » à la DGT, Hervé Nora, pour qui l'ancien directeur général des Télécommunications avait créé en 1980 le « Service de la télématique », qu'a été confié le montage de la « vitrine » de Versailles; quant à l'équipe chargé de l'élaboration du rapport - et par la suite saisie de tous les dossiers relatifs à la politique industrielle des communications - elle est animée par J.M. Lorenzi, proche du conseiller économique du président, Jacques Attali, et auteur d'une excellente étude critique sur l'incapacité du précédent gouvernement à maîtriser la « filière électronique ». 6

Apparemment, la volonté de démarquer le nouveau programme télématique de l'ancien est réelle: les 300 000 terminaux annuaires commandés avant le changement de majorité ne seront pas installés d'office chez les abonnés d'un seul département, mais offerts sur la base du volontariat: « il ne serait pas sain, et même il serait maladroit de pousser les usagers du téléphone à consommer un nouveau produit, le vidéotex, en usant de la contrainte » déclare le ministre des P et T.

Pourtant, le Conseil des ministres du 3 novembre 1982 décide d'un programme tout aussi volontariste que l'était l'installation d'un terminal annuaire dans chaque foyer: « Le développement immédiat, programmé et ordonné du câblage des foyers. Un programme qui peut être comparé, toutes proportions gardées, au processus d'électrification des dernières décennies. L'objectif est que, d'ici une vingtaine d'années, la plupart des foyers français soient raccordés par une prise et un câble unique à un vaste réseau en fibres optiques qui véhiculera des images et des sons ».7

Réclamé depuis 12 ans par tous ceux qui déplorent la situation anachronique des communications sociales en France, et l'impossibilité technique d'y avoir accès à des réseaux locaux modernes (messagerie, radio, télévision), ce programme de mise en place d'une infrastructure collective de communication ne supporte pas les mêmes critiques que l'ouverture artificielle du marché de nouveaux produits et services télématiques. Mais les raisons invoquées pour le justifier laissent craindre qu'une fois de plus, la considération des besoins actuels et réels ne passe au second plan, derrière les impératifs industriels:

« L'équipement en téléphone étant réalisé, il faut trouver des « relais » pour assurer un plan de charge régulier à l'industrie et lui permettre de prendre position sur les nouvelles techniques. » 8

Or, le constat des carences patentes du système de communication national à l'égard des niveaux régionaux ou locaux (manifestées notamment par le foisonnement et la difficile réglementation des radios locales) ne semble nullement être à la base du programme de câblage. Ce dernier est plutôt présenté comme complémentaire d'un autre programme, hérité du précédent gouvernement, et conduisant au renforcement du niveau national: le satellite de télédiffusion directe.

Ce projet de satellite, qui devrait aboutir avant 1985, est poussé depuis fort longtemps en avant par l'industrie des équipements et des programmes de télévision en quête de nouveaux débouchés: dès 1970, une étude du syndicat professionnel de la radiotélévision (le SCART) évaluait le coût des antennes de réception individuelles par satellite, et le marché correspondant en France. S'il ne présente en effet aucun intérêt pour corriger les déséquilibres entre une communication locale ou régionale, concernant des groupes d'intérêts communs, réduite à des moyens techniques d'une autre époque (le petit journal, la salle de réunion) et une télédiffusion nationale, visant une audience atomisée et passive, le satellite de diffusion directe satisfait pleinement l'intérêt des producteurs d'équipement et de programmes...

Et comme les téléspectateurs ne disposeront pas encore, pour leur grande majorité, des antennes requises pour capter les émissions du premier satellite de télédiffusion directe, les réseaux de câbles ou de fibres optiques pourront pallier ce sous-équipement initial en acheminant les émissions reçues par antennes collectives vers les premiers « bénéficiaires » de cette nouvelle source de programmes, afin d'en ouvrir le marché... Car ce que vise à terme le plan de câblage, c'est un autre projet industriel: un « plan national pour l'expansion des industries de programmes » dont le Conseil des ministres du 3 novembre 1982 décrit ainsi la portée: « le développement des réseaux de communication n'aura de sens que s'il s'accompagne d'un effort vigoureux en faveur du développement des industries culturelles françaises susceptibles d'offrir à l'ensemble des utilisateurs des programmes répondant à leurs besoins ».

On retrouve ainsi, sur de nouveaux supports, une démarche identique à celle du gouvernement précédent qui ne voyait dans le domaine des communications qu'un nouveau secteur de développement industriel (la télématique et sa quincaillerie: terminaux annuaires, télécopieurs,...) et un nouveau marché de produits et services de consommation (les programmes vidéotex). Cette démarche comporte en simplifiant de façon à peine caricaturale, trois étapes successives:

  • identification d'un secteur de développement industriel potentiel (les nouveaux réseaux par fibre optique ou satellites) associé à un marché porteur (la consommation de programmes audiovisuels) ;
  • lancement d'un plan de développement industriel (équipement en nouveaux réseaux, expansion des industries de programmes);
  • élaboration d'une stratégie de marketing pour canaliser la « demande sociale » dans la filière de l' «offre industrielle ».

C'est à cette troisième étape que semble être déjà parvenu le gouvernement français, si l'on en croit les études engagées par le ministère des Communications sur le développement des industries de la création et de la production audiovisuelles. Toutefois, ces études n'ont pas seulement pour cible la société française: aucun plan de développement industriel ne peut être crédible s'il ne vise l'exportation, même si la conquête des marchés extérieurs oblige à renoncer aux généreuses considérations concernant la lutte contre les déséquilibres Nord-Sud ou les menaces des nouvelles technologies sur l'intégrité cultuelle des peuples...

De même que le marché intérieur français des produits et services nouveaux de la télématique était, pour l'ancien gouvernement, le tremplin qui permettrait à notre industrie de prendre sa part du marché mondial de l'électronique, le marché intérieur français reste pour le nouveau gouvernement le tremplin vers le marché mondial des fibres optiques, des satellites et des programmes audiovisuels, telle est en tous cas une interprétation possible d'initiatives comme la création à Paris d'un Centre international des Communications, dans la perspective de la future exposition universelle de 1989.

Le danger d'un dérapage technocratique de ces initiatives est clairement évoqué dans un rapport au ministre de la Recherche et de l'Industrie, rédigé à la fin de l'année 1982 par Armand Mattelart:

« Nul ne peut ignorer que l'impératif de reconquête du marché intérieur par les technologies de communication peut entrer en contradiction avec la nécessité de prendre en compte la « demande sociale », la nécessité de faire participer sur le territoire national les intéressés aux choix technologiques. De façon parallèle, nul ne peut ignorer que l'impératif de conquête des marchés extérieurs par les technologies de communication produites par les firmes françaises peut entrer en contradiction avec la nécessité de trouver de nouvelles formes de coopération et d'association entre le Nord et le Sud. » 9

Cette préoccupation de reconquête du marché intérieur, et de conquête des marchés extérieurs est certes préférable à l'acceptation d'une colonisation économique déjà trop avancée et à la perte de tout rayonnement culturel - encore ne doit-elle pas conduire à sacrifier la communication sociale à la consommation industrielle, ni à substituer un nouvel impérialisme technologique aux anciens empires coloniaux. Or, sans le correctif d'une expression forte de la demande sociale, le souci d'efficacité des technocrates qui orientent notre politique des communications risque de les conduire à l'imitation de modèles hégémoniques dont les performances économiques dissimulent mal les désastres culturels et sociaux.

Comment cette demande sociale s'exprime-t-elle? Pour le nouveau gouvernement, principalement à travers la représentation élective - parlement, assemblées régionales et départementales, municipalités. De fait, les élus locaux sont désormais associés à la mise en place des nouveaux équipements, puisque l'annuaire électronique et bientôt le câble seront installés à la demande des collectivités locales - dont la DGT attend le volontariat et le prosélytisme: aux élus locaux de convaincre les populations concernées du bien-fondé de leur choix... Mais devant ces choix technologiques, les élus locaux se sentent mal préparés, incompétents: face aux techniciens de la DGT - comme face à ceux d'ÉDF - comment dialoguer, négocier si l'on ne dispose pas d'une expertise suffisante. En outre, comment éviter que cette concertation n'intervienne qu'en « bout de chaîne », quand tous les systèmes sont déjà définis, fabriqués, « prêts à l'emploi », c'est-à-dire quand la seule décision possible ne concerne plus l'orientation des services, mais l'acceptation ou le refus d'une technique immuable?

Or, les expériences conduites en matière de services nouveaux, en France comme dans les autres pays, démontrent amplement que les services prévus par les concepteurs des systèmes sont rarement ceux qui répondent le mieux aux besoins de leurs usagers. A Vélizy, par exemple, où s'est déroulée la première expérimentation « en vraie grandeur » des services vidéotex, une des utilisations les plus prisées s'est révélée, à la surprise générale, être la « messagerie électronique » (communication entre les usagers par l'intermédiaire du réseau télématique), plutôt que les multiples consultations de banques de données proposées.

Les associations d'usagers sont aussi démunies face à l'offre technique que les élus locaux: faute d'avoir accès aux projets en cours de préparation et de disposer des moyens d'études sociales, techniques et économiques pour les évaluer, elles ne peuvent s'intéresser qu'aux produits et services effectivement proposés sur le marché - et cette intervention tardive ne permet plus de corriger, par exemple, des projets inadaptés à la demande.

Certes, il est possible d'envisager leur consultation dès la phase d'élaboration des projets, et telle semble être une des missions imparties aux responsables du marketing des nouveaux produits et services - mais le terme même de « marketing » délimite la portée d'une telle concertation, qui concerne plus les méthodes de mise en marché de ces produits et services que l'exploration d'une demande sociale à satisfaire.

La seule intervention susceptible d'infléchir réellement l'orientation des programmes de développement industriel semble en définitive être celle des syndicats, dont la présence au sein même du système de production permet une information « en phase » avec le déroulement de ces programmes. De ce point de vue, la législation nouvelle introduite par le gouvernement socialiste pour assurer l'information et l'intervention des syndicats sur les problèmes technologiques dans leurs entreprises, marque un progrès indéniable sur la situation antérieure. Pourtant, elle ne saurait suffire à garantir une meilleure adéquation des options industrielles à la demande sociale: les organisations syndicales ont d'abord comme rôle de préserver l'emploi et les conditions de travail de leurs adhérents, et la plupart s'y cantonnent.

L'acharnement mis par certains syndicats français, comme la CGT, à défendre des secteurs industriels comme l'armement ou le nucléaire pour y préserver l'emploi montre la difficulté de dépasser les intérêts corporatistes pour considérer les besoins sociaux dans leur globalité:

« Il est difficile de définir a priori des besoins sociaux. Mais l'important est de ne pas se retrouver dans une situation où Von fabrique n'importe quoi sous prétexte de gagner la bataille de l'emploi. »10

Un syndicat au moins a tenté ce périlleux examen des orientations technologiques, dans la double perspective des besoins sociaux et de l'impact sur l'emploi: la CFDT. Après avoir été le critique informé et constructif du programme électronucléaire pendant les années soixante-dix la CFDT s'est attaquée au seuil des années quatre-vingt au programme d'informatisation de la société. Son intervention lors du colloque « Informatique et société » en 1979, fut suivie d'un travail d'approfondissement important dans les fédérations concernées en premier chef (PTT, Métallurgie, Information, Audio-visuel et Action culturelle), ainsi qu'à l'Union confédérale des cadres (UCC). L'UCC publia dès 1980 un dossier sur les « techniques et politiques de la communication » d'où produit ci-dessous est extrait. *

Il livre certaines « pistes » qui restent à explorer pour soumettre la politique des communications à la demande sociale plutôt qu'à l'impératif industriel. Encore faudrait-il que cette demande sociale soit étudiée préalablement, sans précipitation et avec les moyens requis, à la définition des plans de développement technologique: ces plans ne devraient être que les instruments d'une politique visant la satisfaction de besoins qui ne s'expriment pas seulement en termes de consommation de produits et services, et dont l'identification n'exige pas seulement un patient effort de recherche, mais surtout la maîtrise des citoyens sur leur environnement technologique. Cette expression nouvelle des exigences de la démocratie laisse ouvertes les questions posées par l'auteur du rapport déjà cité sur TECHNOLOGIE, CULTURE ET COMMUNICATION:

« Notre société sera-t-elle capable de mettre en place les agencements de communication qui renversent le sens habituel des décisions en permettant qu'elles soient prises par ceux qu'elles concernent? Autrement dit, serons-nous en mesure déposer a tous les niveaux les questions de la démocratie d'expression, de communication et de décision, et de lier cette question aux techniques nouvelles de communication? » 11


ALTERNATIVES

Ouvrir de nouveaux marchés de consommation...

...ou répondre aux besoins de communication?

VIDÉOTEX ET VIDÉODISQUE

  • marché de plusieurs millions d'équipements individuels
  • marché des données et des programmes concentré entre quelques grands fournisseurs

VALORISATION DES RESSOURCES LOCALES

  • équipement des bibliothèques municipales, et autres services locaux en équipements d'accès aux banques de données et aux vidéothèques
  • élargissement du rôle des agents culturels locaux (bibliothécaires, animateurs, enseignants...) et création d'emplois locaux
  • multiplication des sources locales d'information et de production audiovisuelle

SATELLITE DE DIFFUSION DIRECTE

  • marché de plusieurs millions d'équipements individuels (antennes de réception et adaptateurs)
  • marché des programmes commerciaux et publicitaires (la 4e chaîne)
  • concentration de leur production

RÉSEAU DE RADIOS LOCALES

  • équipement de quartiers urbains, ou de communes rurales en émetteurs locaux
  • revalorisation du journalisme local et création d'emplois professionnels locaux
  • accès des usagers au média radiophonique

TÉLÉCOPIE INDIVIDUELLE

  • marché de plusieurs millions d'équipements individuels
  • suppression progressive du service postal, et dégradation du service rendu

COURRIER ÉLECTRONIQUE

  • équipement des bureaux de poste en systèmes de télécopie à haute performance
  • élargissement des fonctions des facteurs (polyvalence) et création d'emplois en zone rurale

ANNUAIRE ÉLECTRONIQUE

  • marché de plusieurs millions d'équipements individuels
  • suppression progressive des renseignements téléphoniques, et dressage des usagers à l'emploi des terminaux

STANDARDS D'INFORMATION

  • équipement de centres locaux d'information téléphonique, avec terminaux reliés à des banques de données régionales, nationales, voire internationales
  • élargissement des tâches et revalorisation des fonctions des opératrices, avec création d'emploi, éventuellement à temps partiel, largement décentralisées

Ces quelques exemples illustrent l'opposition entre:

  • d'une part, un projet télématique orienté vers l'ouverture d'un marché de consommation de masse de produits et services informationnels, le développement d'une industrie de production et de distribution internationale de ces produits et services;
  • d'autre part, l'application des nouvelles techniques de communication à l'amélioration de services publics ou à la satisfaction de besoins sociaux:
    • dans un cas, celui des projets actuels, on vise la multiplication des équipements individuels, la suppression des intermédiaires humains entre les systèmes techniques et leurs usagersconsommateurs, la concentration des sources d'information face à une masse atomisée et « appareillée »,
    • dans l'autre cas, on favorise l'appropriation collective des nouvelles techniques, l'interposition de médiateurs humains entre les systèmes techniques et leurs usagers, l'organisation de ces usagers en groupes d'intérêts communs, tout à la fois destinataires et sources d'information...

Gérard Métayer, Cadres CFDT, no 299

RÉFÉRENCES

Henri Pigeat, Laurent Virol, DU TÉLÉPHONE À LATÉLÉMATIQUE, Documentation française, 1981.

Simon Nora, Alain Mine, L'INFORMATISATION DE LA SOCIÉTÉ, Documentation française, 1978.

Jacques Pomonti, Gérard Métayer, LA COMMUNICATION: BESOIN SOCIAL OU MARCHÉ?, Documentation française, 1980.

Lewis H. Lapham, « La culture générale victime de la révolution des communications », LA PRESSE, Montréal, 24 septembre 1980.

UNIVERS SANS DISTANCES est le titre du rapport publié dès 1971 par le gouvernement canadien, à la suite des travaux conduits par la « Télécommission » qu'il avait nommée en 1969 - dix ans avant que le chef de l'État français ne confie une mission analogue à Simon Nora.

Paul Lafargue, LE DROIT À LA PARESSE, Petite collection Maspero, réédition 1976, pp. 145 et 134.

Bureautique: le tique qui rend nerveux

par Suzanne Bélanger

Depuis quelques mois, notre univers quotidien est constamment envahi par la microtechnologie. La publicité vante les mérites de la nouvelle-secrétaire-modèle, c'est-à-dire le terminal à écran cathodique ou la machine à traitement de textes qui travaille rapidement, ne se fatigue jamais, ne prend pas de congés-maladie ou maternité et ne va pas en grève. Elle n'a qu'un défaut: elle ne peut pas préparer de café à son patron! La réclame des banques ou des caisses nous incite à effectuer nos transactions aux guichets automatiques qui remplacent allègrement les caissières dans de nombreux points de service. Les employeurs, dans les assurances, par exemple, disent qu'aujourd'hui, à un coût inférieur au salaire d'une secrétaire supplémentaire, une machine à traitement de textes peut réduire le prix de revient d'une lettre à une fraction de ce qu'il est et augmenter la productivité de plus de 250 %. Les gouvernements, à leur tour, parlent de créations d'emplois liés à l'informatique et subventionnent fortement la PME pour qu'elle se mette au pas du « progrès ».

La réalité est-elle aussi merveilleuse pour les travailleuses? Voient-elles le « progrès » du même oeil?

Nous tenterons de cerner quelques aspects de cette réalité, dans le secteur tertiaire - le secteur des services - fortement touché par la nouvelle technologie.

Au Québec, la catégorie d'emplois appelée « travail administratif » est occupée à 74 % par des femmes, selon Statistique Canada 1982, et 35,6 % de la main-d'oeuvre féminine travaille dans un bureau. On comprend facilement que les pertes d'emploi liées à l'introduction massive de la nouvelle technologie touchent d'abord les ghettos d'emplois féminins (compagnies d'assurances, caisses et banques, bureaux, compagnies aériennes et ferroviaires, communications téléphoniques). Dans les bureaux et les banques une baisse d'emplois d'environ 30 % est prévue d'ici quelques années. Ce sont les qualifications les plus créatrices d'emplois dans le passé qui se trouvent aujourd'hui les plus menacées.

Nous verrons d'abord l'impact sur le volume de l'emploi, puis sur la qualité du travail. Il est difficile d'obtenir des chiffres précis sur le nombre exact de mises à pied découlant de l'informatisation. De multiples raisons sont alors invoquées, comme la «fusion de deux bureaux ou entreprises, la baisse du chiffre d'affaires ». Ailleurs, les méthodes sont plus subtiles: on ne congédie pas, mais on ne remplace pas les travailleuses qui partent.

Bell Canada comptait 13 000 téléphonistes en 1969, 7 400 en 1978 et un peu moins de 7 000 maintenant.

Au journal LA PRESSE, l'informatisation du service des Annonces classées (à peu près en même temps que la fusion MONTRÉAL-MATIN et LA PRESSE!) a amené 21 mises à pied sur 70 travailleuses et travailleurs. De ce nombre, seulement sept furent relocalisés dans d'autres emplois.

Dans une Caisse d'économie, on a introduit des « machines » sans avertissement préalable, un lundi matin, et du même coup, on congédia sept employées sur huit. La raison invoquée officiellement par les employeurs était la « baisse de clients ».

Pensons aussi aux caisses à lecteur optique dans les grands magasins. Leur fonctionnement fascinant et complexe a certainement fait disparaître plusieurs emplois dans les services d'inventaire et de comptabilité.

Dans le secteur des transports, les experts travaillent à mettre au point un système commun de renseignements et réservations pour Via Rail et Air Canada. D'ici quelques années, des guichets-émetteurs de billets feront sans peine le travail à la place des agentes et agents de réservations.

Aux Postes canadiennes, l'introduction du courrier électronique supprimera, d'ici 1985, 14 000 des 65 000 emplois actuels.

Dans les Affaires sociales, on peut prévoir que les emplois de bureau seront abaissés de 33 %, les emplois de cuisine de 20 % et les emplois de techniciennes de laboratoire de 90 %. Les bibliothèques seront aussi fortement touchées. Au total, 12 000 emplois sont menacés.

Les journaux parlent souvent de « création d'emplois » avec l'apparition de la micro-électronique. Quand on regarde les offres d'emplois dans les quotidiens on trouve effectivement des possibilités de travail en informatique, mais dans des postes hautement spécialisés non accessibles actuellement aux femmes qui perdent leur travail. Le nombre d'emplois créés est minime en comparaison de ceux qui disparaissent et qui sont en général peu spécialisés. De même, à long terme, les prévisions font état d'une diminution de la demande pour les emplois très spécialisés. Le CN vient de congédier 200 analystes-programmeurs! Il est évident, par ailleurs, qu'on aura toujours besoin de personnel pour dessiner les appareils, les fabriquer et les réparer. Là encore, les possibilités d'emplois créés sont réduites car au Canada on a tendance à acheter les machines à l'extérieur du pays plutôt qu'à les fabriquer ici.

Voyons maintenant l'impact de la microélectronique sur la qualité du travail. Il est évident que pour une certaine catégorie d'emplois ou de travaux, le traitement de textes par exemple, le système terminal-ordinateur effectue une série de tâches répétitives et monotones à souhait, tout en permettant d'alléger ainsi le travail et de le varier quand c'est possible. Pendant que la machine exécute la commande, l'utilisatrice peut bouger un peu, faire autre chose.

Comme on le sait déjà, l'utilisation des nouveaux appareils permet à l'entreprise de réorganiser le travail pour le rendre productif au maximum, en augmentant la vitesse de production. Donc, trop souvent, l'augmentation de la production veut dire programmation spéciale... pas de l'appareil, mais bien de l'utilisatrice. On la contrôle, comme une machine. Elle devient un outil que la machine peut surveiller en comptabilisant son nombre de frappes à l'heure, ses erreurs, son temps d'exécution pour chacune des tâches. Les exemples sont nombreux.

Dans une institution financière bien connue, la compétence des perforatrices est fonction de la vitesse de frappe. La bonne moyenne est de 15 000 par heure. Il faut aller de plus en plus vite, car la sécurité d'emploi ou la promotion en dépendent. Les filles nous disent qu'elles préfèrent rester à la maison et prendre une journée de maladie à leurs frais quand elles ne sont pas en forme, plutôt que de risquer de baisser leur moyenne de rendement.

Dans une compagnie de transports ferroviaires, les agents de réservation sont soumis à une double et constante surveillance. On pratique l'écoute électronique, en même temps que s'inscrivent continuellement sur l'écran du surveillant tous les faits et gestes des agents... au travail, en attente d'un appel, « débranchés ». Impossible de prendre quelques minutes de repos sans que le surveillant soit au courant. « Sitôt qu'on se « débranche » pour arrêter, une lumière rouge clignote sur le téléphone de notre surveillant », disent les agents.

Dans une compagnie de communications téléphoniques, les téléphonistes ne contrôlent plus la vitesse avec laquelle les appels rentrent car sitôt qu'elles terminent avec un client, un autre appel leur est automatiquement acheminé avec un délai qui ne dépasse jamais cinq secondes. On leur demande de ne pas prendre plus de 30 secondes pour donner le renseignement demandé. À cette vitesse, elles exécutent en moyenne de 650 à 700 appels par jour.

Pas de place pour l'imagination dans le travail ou la compréhension de la tâche exécutée; la machine s'en charge. On se retrouve maintenant avec du personnel qui pense, c'est-à-dire les patrons, les cadres et du personnel qui exécute, les femmes en général. Quelquesuns seulement se partagent les emplois intéressants et les autres se retrouvent limitées aux « jobs » monotones et routinières.

D'autres phénomènes nouveaux font aussi leur apparition, comme le travail de nuit, et le travail à domicile. Dans certaines banques, par exemple, des employées travaillent de nuit à entrer les transactions du jour. Pour ce qui est du travail à domicile, le ministère des Communications a mis sur pied l'année dernière un projet-pilote de travail à domicile. Déjà quelques travailleuses s'en prévalent.

L'extension du travail à domicile peut aussi permettre la réintroduction du travail à la pièce, de même que son utilisation comme « briseur de grève » au besoin. Laissons donc de côté ce tableau plutôt sombre et essayons de voir comment on peut s'organiser pour ne pas que les femmes aient à payer massivement le prix de la compétition internationale.

Les secteurs massivement touchés ne sont pas nécessairement syndiqués. Chez les syndiqués, hommes et femmes, 76 % ont une clause de convention collective qui régit les changements technologiques (soit 46 % des conventions collectives). Encore là, cette clause ou ces clauses ne sont pas toujours utilisées ni utilisables à cause de leur manque de précision. Certains secteurs qui seront bientôt touchés, comme dans les Affaires sociales, n'ont même pas une clause minimale pour se protéger. Le gouvernement a refusé de négocier... entre autres ce point, et le décret imposé en novembre 1982 ne contient rien sur les changements technologiques. Comme par hasard, ces secteurs regroupent majoritairement des femmes.

Notre objectif doit être d'obtenir une plus juste répartition des profits. La microtechnologie permet effectivement d'augmenter considérablement les gains réalisés, tout en diminuant les coûts (spécialement la main-d'oeuvre). Un premier pas dans cette voie est l'accès à l'information en ce qui touche la production (profits-déficits) au sein des entreprises, connaître les plans d'expansion et les moyens prévus pour les appliquer. Cela permet de prévoir à l'avance certaines conséquences au niveau de l'emploi et de préparer des revendications.

Par rapport au contrôle sur le volume de l'emploi, plusieurs actions peuvent être entreprises. Il faut trouver des façons d'arrêter le travail précaire (sous-traitance, travail à domicile, à la pige ou comme contractuelle). Il faut aussi et très rapidement élaborer une politique de réduction du temps de travail, tout en protégeant des droits acquis, comme les salaires et les avantages sociaux. Un revenu équivalent au gain de productivité de l'entreprise doit être envisagé. La diminution du temps de travail peut s'opérationnaliser de plusieurs façons, par exemple: retraite anticipée, augmentation de la durée des vacances, congés sabbatiques ou parentaux, diminution des heures hebdomadaires de travail.

Pour garder aux femmes leur droit au travail, il faut regarder de près tout ce qui touche la formation de base, la formation professionnelle et le recyclage. Plusieurs rapports fédéraux d'enquête, le rapport du Conseil des sciences du Canada - 1982 et celui du ministère du Travail la même année mettent l'accent sur la formation professionnelle et le recyclage. Le gouvernement fédéral investit plusieurs millions de dollars pour le recyclage et la formation dans les secteurs « d'intérêt national ». Quels sont ces secteurs? Ces fonds seront-ils utilisés pour surspécialiser des spécialistes, seront-ils accessibles aux femmes menacées de perdre leur emploi ou qui viennent d'être congédiées? C'est à surveiller.

Au niveau provincial, en matière d'éducation, certaines décisions récentes du ministère laissent perplexe quant à l'avenir des femmes sur le marché du travail. Il y a d'abord les coupures drastiques dans l'enseignement aux adultes, puis le transfert au niveau secondaire de l'enseignement des techniques de bureau actuellement donné au niveau collégial. Ceci aura pour effet de déqualifier davantage ce métier et de cloisonner les étudiantes dans un univers sans débouchés pour elles.

IL FAUT REVENDIQUER:

Pour exercer un contrôle sur la qualité du travail, il faut avoir un mot à dire dans son organisation. En ce sens, une période d'essai est cruciale, après laquelle on pourra revendiquer les aménagements qui s'imposent, comme l'alternance, c'est-à-dire la rotation des tâches intéressantes et des tâches monotones.

On comprend dans un tel contexte l'urgence d'une législation ou charte des droits technologiques. Cette charte pourrait comprendre des articles obligeant les employeurs à donner un avis de 6, 9 ou 12 mois avant d'introduire des changements technologiques, d'autres articles pour préciser la formation et le recyclage obligatoires de même que des normes concernant la qualité du travail, la santé-sécurité, etc. Dans le même ordre d'idées, des pressions doivent être exercées sur les ministères du Travail afin d'obtenir l'élargissement des droits à la syndicalisation.

Ce qui précède n'est qu'un survol très rapide de la situation. La brochure « Les puces qui piquent nos jobs » du Comité de la condition féminine de la CSN élabore davantage sur la question.

Il est urgent que nous trouvions des moyens d'aller de l'avant et de nous réapproprier le contrôle de nos nouveaux outils de travail afin de ne pas être à la remorque de ce qu'on appelle « le progrès ».

Le ministère des Communications du Québec et la télématique

par Adélard Guillemette, directeur général des politiques, (MCQ)

L'évolution du dossier Télématique m'invite à beaucoup de prudence dans mes propos. En effet, le ton sur lequel se déroule ce débat, particulièrement dans les dimensions socio-culturelles, est un peu trop western à mon goût et où le bon et le méchant sont invariablement remplacés par l'euphorique et le dépressif. Si j'avais le talent de Clémence Desrochers, je réussirais sans doute à situer mon exposé entre les deux pôles du débat où doit sans doute loger la vérité, en tout cas pour un sceptique qui s'honore. Quelque part donc entre les deux personnages du monologue de Clémence où le Jerrold est la proie de l'hystérie du premier personnage consommateur de gadgets et l'appréhension du second qui a peur de la manipulation dans tous les sens. Pour le dépressif, l'ère télématique, c'est l'aliénation faite communication. C'est le big brother, l'hydre à abattre. Quand aux euphoriques, c'est la libération de l'homme par la machine faite homme. Ils s'adonnent au culte de la civilisation des tiques: la bureautique, la robotique, la privatique, la télématique, la médiatique, et à la limite, la politique.

Quand je pense aux exégètes qui nous liront dans dix ans, qui feront le tour de nos éventuelles insanités, qui verront que nos prévisions sont aussi précises que celles de la météo dont les écarts de température n'ont rien à envier aux écarts des planificateurs de l'emploi du futur, tout cela invite à la prudence.

La maîtrise démocratique des changements technologiques est-elle possible dans le cadre des stratégies actuelles de développement économique? La question que nous pose l'ICEA est de taille et je la reformule en nous demandant si l'impératif technologique doit primer sur l'impératif démocratique. Quant aux stratégies actuelles de développement économique dans le secteur de l'information, je vous avoue ne pas les voir très bien, ou en tout cas, de ne pas les voir si différentes des autres stratégies de développement économique. Je ne m'y attarderai donc pas.

À la question posée, j'ai le goût de répondre tout de go, oui. Réponse sans doute facile d'un humaniste impénitent qui croit que les choix d'une société doivent passer par la filière démocratique et influencer le développement technologique. Réponse aussi d'un fonctionnaire d'un ministère qui, depuis une quinzaine de mois a engagé des ressources nombreuses pour tenter d'élaborer une politique que l'on dit nationale des communications. Or, l'essentiel d'une politique nationale, c'est de s'essayer à cerner l'avenir afin d'éviter justement qu'une société soit bousculée dans ses choix technologiques qui, au rythme où ils déboulent, ne lui laissent plus le choix.

Par ailleurs, ce n'est pas s'avancer beaucoup que de plaider l'essentialité d'un débat démocratique sur les choix technologiques. C'est plus important d'entrevoir le comment. Un débat public? Il s'y prête sans doute bien lorsqu'il s'agit d'asseoir la société d'information, où les choix peuvent se situer entre l'implantation de vastes réseaux télématiques ou, au contraire, la privatisation de l'informatique. Ces choix peuvent et même doivent être débattus publiquement. L'État, pas plus que l'industrie, ne doit imposer une orientation. Comme société, le Québec doit éviter d'investir des milliards dans une seule voie de développement technologique qui favoriserait des systèmes centralisés d'accès à l'information au détriment d'une appropriation locale de la connaissance. Ce doit donc être l'évolution des technologies, les coûts comparatifs des différentes alternatives techniques et le choix de l'individu et des collectivités qui doivent primer sur des orientations parachutées. À cet égard, il est urgent que les groupes sociaux, particulièrement les syndicats, investissent le débat sur l'impact des nouvelles technologies. Si les groupes organisés de notre société ne prennent pas position dans un vaste débat sur l'informatisation de la société, ils laissent la porte ouverte à des décisions unilatérales qui risquent fort d'hypothéquer le futur. Une fois qu'on aura investi des milliards dans un type donné de technologies, il sera fort difficile de faire marche arrière, sur le plan économique.

Au-delà d'un débat ouvert auquel je prête bien des vertus, j'entretiens aussi beaucoup d'espoir du côté des consommateurs dont le bon sens économique et, à la limite, le pouvoir de dépenser sont les meilleures armes contre le rouleau compresseur technologique. Encore plus que les besoins parfois artificiellement entretenus par les stratèges industriels, ce sont les réactions des consommateurs qui risquent de faire pencher la balance. Je dirais même la balance démocratique à laquelle la psychologie des consommateurs apporte passablement de renfort. Comme le signalait fort justement et avec humour monsieur W.L. Gardiner, dans un texte sur les nouveaux équipements en informatique, un fabricant ne peut pas se contenter de fabriquer des trappes à souris de toujours meilleure qualité si sa clientèle est composée de souris.12 Les conditions de succès, sur le plan économique, en même temps que les remparts démocratiques sont assez simples et tournent autour du prix des bidules qui doit être raisonnable, équipements simples et agréables en même temps que faciles à manipuler et finalement des services liés à des problèmes pratiques de la vie quotidienne.

Enfin, un dernier élément, mais capital, de la qualité du débat démocratique, a trait à la formation. C'est la seule voie qui nous permette de démystifier l'informatique et ses langages ésotériques. Il faut dépasser la période des druides seuls capables de converser avec leurs menhirs. Le débat sur l'informatisation de la société est encore trop un tournoi d'experts. Pour le faire déborder, il faut initier la population à l'informatique, l'introduire dans les écoles, en faire plus qu'un simple outil scolaire, peut-être même une discipline à enseigner.

Je plaide donc pour la primauté de l'impératif démocratique sur l'impératif technologique. À ce chapitre, il m'est agréable de vous informer, si vous ne l'êtes déjà, de la tenue d'un Sommet sur les communications qui se tiendra à l'automne 1983. Le processus de ce Sommet est déjà en marche et nombre d'associations y sont impliquées, qui rejoignent tout autant les industries traditionnelles de la communication comme la radio, la télévision, la presse écrite, les télécommunications, etc. que le monde de la recherche, de la consommation, des syndicats, des artisans, des créateurs, etc. Les objectifs de ce Sommet et de toute la littérature qui s'y greffera, sont de vulgariser le dossier des communications auprès du grand public, d'amorcer la concertation entre les divers acteurs de ce vaste champ, autant les usagers que les artisans et finalement alimenter le débat public sur l'informatisation de la société. Au sortir de ce Sommet qui sera l'aboutissement d'un processus de consultation très large, nous devrions en même temps que de produire une politique nationale des communications, déboucher sur un plan d'action, à court ou moyen terme, disons cinq ans, qui permettra, je l'espère, de répondre en partie à la question que soulève ce panel.

Deuxième thème que l'on me demande d'aborder, c'est celui de la dépendance culturelle du Québec en regard du développement de la télématique. Plutôt que de placer le débat sous l'angle de la dépendance, je souhaite le situer en termes de défi. Bien sûr, les exemples sont nombreux qui nous montrent jusqu'à quel point les nouvelles technologies et tout ce que l'on appelle la société d'information laissent planer comme menace à notre spécificité culturelle. Même la France, ce grand pays qui me frappe toujours par sa très grande assurance culturelle, voit dans la filière télématique internationale une menace à sa manière d'être. Comment pourrait-il en être autrement pour nous dont les frontières avec notre voisin américain sont, à tous égards, on ne peut plus perméables.

Les défis, ils viennent du côté des logiciels, des banques de données, des produits audio-visuels, etc. L'informatique, on le sait, est l'outil privilégié permettant à la fois la gestion d'immenses banques de données et l'accès à celles-ci. Or, la plupart des développements de ces banques ont été faits par des anglophones, d'où l'ampleur du défi. Quelqu'un l'a déjà dit, l'anglais est le latin du 20ième siècle. Même au Québec, les chercheurs produisent surtout en anglais leurs écrits scientifiques et techniques, quatre sur cinq dit-on. Quant aux systèmes documentaires de par le vaste monde, 90 % sont en anglais. Les trois quarts des bases de données disponibles sont également en anglais. Sur les grandes bases utilisant plus de 100 000 références, la très grande majorité sont anglaises. Ce phénomène s'explique aisément par l'avance qu'ont prise les États-Unis dans la création et la diffusion de bases de données. En réalité, le marché américain représente en gros 70 % du marché mondial de l'information. On prétend même que 99 % des recherches documentaires sont faites en anglais. Mieux ou pire, aucune base américaine diffusée en Europe, n'est accessible dans une autre langue que l'anglais. Cette suprématie n'est pas près de s'éteindre d'autant plus que le langage de l'informatique est lui aussi l'anglais et que la plupart des procédures d'interrogation des systèmes européens sont en anglais. De plus, la tendance européenne est de développer des bases multilingues, c'est-à-dire la langue d'origine et l'anglais, afin d'avoir une plus large diffusion mondiale.

Du côté des ordinateurs personnels dont on dit qu'il y en aurait une douzaine de mille au Québec, ils sont tous d'origine américaine et les logiciels les accompagnant, sont de langue anglaise. Ainsi donc, que deviendra la langue française dans ce monde des logiciels et des banques de données? Compte tenu de l'attrait souvent irrésistible que les États-Unis exercent, il est un peu étonnant de voir des éditorialistes ou des chercheurs universitaires, en remettre pour ouvrir encore davantage les vannes. Comme si le cousinage français menaçait le voisinage américain!

C'est un truisme de dire que les logiciels pour micro-ordinateurs, les jeux électroniques, mais surtout l'information contenue dans des banques de données ne véhiculent pas que des informations neutres. Ils charrient avec eux des interprétations de l'histoire, de la science et des valeurs dominantes spécifiques à la société dont ils proviennent.

Des solutions?

promouvoir la production de logiciels ici;

traduire et adapter à notre contexte socioéconomique les logiciels et contenus informationnels étrangers dont nous devons nous servir;

favoriser le développement de banques électroniques de données québécoises, dans les domaines où nous possédons une expertise exportable: transport et production, électricité, techniques minières et métallurgiques, forestières et notre production de pâte et papier, recherches bio-médicales, etc.

Certains types de banques d'information ne peuvent être rentables au Québec, mais à cause de l'impact qu'aurait leur importation sur notre culture, la société toute entière doit les prendre à sa charge. C'est le cas par exemple de banques de données sur l'histoire du Québec, probablement non rentables, mais qui prennent quasiment des allures de service public.

Ce qu'il faut saisir de tout ce problème de l'impact culturel de la télématique, c'est que la libre concurrence et l'argument de rentabilité économique ne suffisent pas toujours à remplir nos objectifs sociaux et culturels, en tant que collectivité.

Autre manifestation de la révolution de l'information, c'est la conquête de l'espace par les satellites de communication dont plus de 300 ont été lancés jusqu'à maintenant. Les possibilités sont bien sûr immenses. Dans le cas du Québec, la communication par satellite présente une solution appropriée pour contrer les obstacles reliés à l'étendue géographique et à la faible densité de la population. Les développements technologiques particulièrement reliés à la réception directe, entre autres les petites antennes dont le coût diminue avec le tour de taille pourront servir à la réception de signaux télévisés et autres. Les satellites de diffusion directe vont augmenter sensiblement la programmation offerte en télévision. Aux États-Unis, les propositions de nouvelles programmations abondent et elles dépassent même les capacités de diffusion des satellites planifiés à l'heure actuelle. Ainsi donc, selon les demandes déposées devant l'organisme réglementaire américain, les satellites américains de diffusion directe pourraient retransmettre jusque 20 ou 30 programmations de télévision dont un certain nombre pourront être captées directement par une bonne partie de la population québécoise et ce, dès 1985-1986. Comme les Québécois sont bien connus pour être des téléphages, ils seront bien servis par cette invasion culturelle que permettent les satellites. Ils contribuent ainsi à l'établissement d'un nouvel ordre de l'information et, abolissant les distances, ils illustrent bien les risques d'imprégnation culturelle.

Le dernier aspect que l'on m'invite à traiter concerne les liens et la coordination avec les autres ministères impliqués dans le domaine télématique. De par sa définition même, la télématique imprègne tous les secteurs de la vie. À ce titre, plusieurs ministères y trouvent

évidemment des objets de réflexion. Certains cependant y sont plus directement intéressés par les effets qu'a la télématique sur l'emploi, sur la protection de la vie privée, sur les loisirs, etc. Mais cette mutation rapide de la société par la micro-électronique envahit tous les partenaires sociaux. Ici et là, bien sûr dans les ministères, mais aussi dans les universités, les syndicats et les entreprises, des actions ponctuelles sont prises, de nombreuses études amorcées pour tenter de cerner ce phénomène d'informatisation de la société et surtout tenter d'y réagir de façon intelligente. Ce phénomène touche tout autant l'appareil de production que la recherche scientifique, l'emploi ou l'éducation. Si le Québec, comme société, veut tirer pleinement profit des nouvelles technologies informatiques, s'il veut sinon réduire du moins en atténuer les effets indésirables, il faut mettre en place des mécanismes efficaces de concertation au sein du gouvernement et entre celui-ci et l'entreprise, les syndicats et les universités. C'est là la seule façon de faire en sorte que l'éducation corresponde aux besoins en main-d'oeuvre, que la recherche serve réellement au développement, que le renouvellement des équipements de télécommunication, de bureau et d'usine se fasse dans le plus grand intérêt de notre société.

Il ne s'agit pas de trancher ce soir entre tous les ministères qui sont dans la course pour jouer un rôle de leadership dans le processus d'informatisation de la société. Il est bien certain que le ministère des communications est bien placé par son rôle d'organisation de services envers les autres ministères, par la vaste expertise qu'il a en informatique, en télécommunication, etc. Il peut donc être un fer de lance efficace de cette informatisation et même être un interlocuteur privilégié des industries de communication au sein du gouvernement. Il existe cependant d'autres ministères qui ont des intérêts majeurs et qui doivent être parties au débat, en particulier le futur ministère de la Science et de la Technologie.

Mais au-delà de ces imprécisions d'organigrammes, de la délimitation des parterres, ce qu'il faut, c'est une cohérence gouvernementale qui suggérera sans doute aux interlocuteurs privés leur propre cohérence. C'est plus facile de demander aux autres de faire leur lit quand le nôtre est bordé.

À cette première fonction d'interlocuteur gouvernemental privilégié en communication s'en ajoute une deuxième, tout aussi capitale, qui a trait à la sensibilisation de tous les publics impliqués dans l'informatisation de la société. Tout doit être mis en oeuvre pour atteindre le grand public, faire sortir les véritables enjeux, forcer les divers acteurs à se commettre, en somme alimenter le débat public. À cet égard, ce colloque est on ne peut plus heureux puisqu'il m'apparaît essentiel que le monde syndical et celui des groupes populaires envahissent au plus tôt ce débat. Il faut sans doute aussi profiter de l'Année mondiale des communications qui constitue un temps fort afin de bien disséquer tout ce que recèle le mot communication. Au-delà de l'impératif technologique qui fait se bousculer les industries, les méthodes, il y a la très grande variété des rapports entre les êtres et la richesse du dynamisme qui s'y trouve et que la télématisation de la société ne doit pas aseptiser. L'Année mondiale doit servir à cela, en priorité, faire en sorte que les premiers concernés, les usagers, se réapproprient les véritables enjeux de la communication.

On nous fiche, ne nous en Fichons pas!

par Jocelyne Lamoureux, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés du Québec

Inspiré de la Commission informatique et droits de l'Homme, créée à l'initiative de la Ligue des droits de l'Homme (France).

La maîtrise démocratique des changements technologiques est-elle possible dans le cadre des stratégies actuelles de développement économique et de développement tentaculaire de l'État? Voilà une question brûlante d'intérêt et d'enjeux pour celles et ceux préoccupés de la survie de valeurs comme la liberté, comme la volonté, comme la conscience, comme la dignité.

Voilà une question qu'il est urgent de se poser du point de vue des droits car cette révolution technologique qui déferle sur nous avec toutes ses énormes possibilités de progrès, a aussi produit, entre autres par l'informatique et la télématique, de très puissantes possibilités de contrôle, de normalisation et à la limite de répression. Je voudrais ici aborder pendant quelques minutes le phénomène qui permet aux pouvoirs publics et privés, grâce à l'informatique, de rassembler un nombre infini d'informations sur les individus, de l'état civil jusqu'aux opinions politiques et religieuses dans des banques de données - qui pour l'instant - échappent totalement à notre contrôle.

PERTINENCE DES INTERROGATIONS

On croit que tout ça n'est pas tellement pertinent? Deux événements très récents de la conjoncture pour nous mettre la puce à l'oreille:

• Depuis une semaine il est amplement question dans les journaux des 800 000 dossiers personnels de citoyennes et citoyens, compilés non seulement illégitimement mais illégalement par la tristement célèbre Gendarmerie Royale du Canada (GRC). C'est la Commission McDonald qui a rendu publique l'existence de cet important fichier de police rassemblant de précieuses informations, entre autres, sur des catégories « subversives » de citoyennes et citoyens: ces catégories englobant, bien sûr, les indépendantistes, les autochtones, les syndicalistes, les défenseurs des libertés civiles, les socialistes, etc. Or, le solliciteur général du Canada, Robert Kaplan, avait promis, il y a un an, de détruire ces dossiers. Il ne l'a évidemment pas fait, prétextant que ces derniers pouvaient servir à la défense des agents de la GRC traduits présentement devant les tribunaux du Québec pour diverses activités illégales au cours des années soixante-dix (cambriolages, vols de listes de membres du PQ, écoute électronique, rapts de militants pour tenter d'en faire des indicateurs, incendie de grange, etc.). Le problème pour nous, n'est donc pas uniquement l'existence de ces listes, mais la façon dont les renseignements ont pu être colligés... Vendredi, le ministre Kaplan a finalement fait connaître sa politique de destruction de ces 800 000 dossiers et qui consiste à les examiner (ce seront les services de sécurité de la GRC eux-mêmes qui seront chargés de la politique d'examen des dossiers), puis à les détruire. Par contre, les exceptions prévues pourraient permettre aux services de sécurité de conserver un grand nombre sinon la majorité de ces 800 000 dossiers (!!!) (Quant à lui, le fichier québécois du Centre de documentation et d'analyse (CDA), fondé au printemps 1971 sous le régime Bourassa, et qui avait cumulé 30 000 fiches personnelles, 6 000 dossiers sur des groupes ou associations et 1 800 dossiers d'événements, aurait été détruit. Comment la SQ compile-t-elle et emmagasine-t-elle maintenant depuis 1976 les renseignements? - mystère et boule de gomme -).

• Mais il n'y a pas seulement les services de renseignements et de sécurité des gouvernements qui s'intéressent aux banques de données. Le secteur privé a des longueurs d'avance. Ainsi, le Regroupement des comités de logement et des associations de locataires du Québec a rendu publique la semaine dernière une étude importante sur le phénomène des fichiers centraux et des «listes noires » contenues dans des banques de données privées dans le domaine du logement. Ce fichage des locataires permet le viol systématique de la vie privée, parce que souvent sur simple plainte du propriétaire (sans vérifications des faits, sans accès pour le locataire à son dossier), on y fiche des informations sur la solvabilité, sur le comportement, les habitudes de vie, l'état civil et les charges familiales, le travail ou non des locataires.

Ce fichage des locataires est de plus un moyen d'intimidation pour dissuader les citoyens d'utiliser des recours légaux puisque sont fichés les recours à la Régie des logements et à la Cour des petites créances.

Ce fichage est enfin un instrument de discrimination brimant le droit au logement de catégories entières de la population puisqu'il devient possible par un fichier central de contrôler les déplacements et agissements des locataires à la grandeur de territoires donnés, permettant une sélection discriminatoire. C'est la formidable possibilité de concentration et de monopolisation d'information tant sur la banque de logements disponibles, que sur les critères des propriétaires, qu'enfin sur les caractéristiques et besoins des locataires en circulation qui permet à la fois une systématisation de la discrimination - on n'aura aucun logement de disponible pour les minorités raciales « visibles » ou pour les femmes seules avec plus de deux enfants - et son camouflage. Selon le Regroupement, ce système érige l'arbitraire le plus total des propriétaires, rend caduque et inopérante la justice publique et y substitue la seule justice privée et sauvage des propriétaires, juges et parties.

Le groupe TenantChek qui sert de « modèle » canadien, a réussi à colliger 80 000 dossiers de locataires pour la seule ville de Halifax.

Ces deux exemples - celui de 800 000 dossiers de la GRC et les banques de données privées des propriétaires, pris à même notre présente quotidienneté, sont quand même éloquents.

TOUT SUR TOUS

Nous sommes donc toutes et tous fichés abondamment. Elles courent ou elles attendent dans les ordinateurs ces informations exactes ou parfois inexactes sur notre identité, nos relations familiales, notre santé, nos rapports avec la police, avec la justice, notre éducation, notre situation économique, nos habitudes de vie. Qui les utilisera ces informations sur nos activités politiques et syndicales, sur nos croyances religieuses, sur nos opinions? Que fera-t-on des informations subjectives malveillantes, des informations racistes, des informations mal contrôlées, ou carrément erronées, fondées sur des ragots, les informations intimes que nous avons livrées avec confiance ou insouciance?

Le règne de la surveillance et du fichage voit décupler ses possibilités avec l'ère technologique moderne:

En fait, une telle montagne d'informations recueillies via les différents moyens de surveillance exige pour l'efficacité du contrôle des individus, une classification, un entreposage et une accessibilité adéquats. Ces opérations sont le fait de banques d'informations.

Quel est cet intérêt à bouffer des fiches?

Le savoir a été de tout temps et encore plus dans une société technologiquement avancée, un des principaux facteurs de pouvoir. Savoir le maximum de choses sur le maximum d'individus, de groupes et de situations, de façon à prévoir le mieux possible l'avenir et à pouvoir intervenir en conséquence: tels sont les mots d'ordre des pouvoirs économiques, technocratiques et politiques. Ils ont évidemment tendance à s'accaparer le savoir à leur seul profit car leur force et leur autorité dépendent souvent de la détention exclusive de certains savoirs. La centralisation dans un ordinateur universel de tous les renseignements concernant un individu depuis sa naissance et dans tous les aspects de son existence donnerait à ceux qui auraient accès à cet instrument un pouvoir considérable d'influence et de pression.

INFORMATIQUE ET LIBERTÉS: QUELS DROITS ET LIBERTÉS SONT EN CAUSE?

De nombreux signes indiquent que notre société occidentale abrite et nourrit les prémices de cet univers concentrationnaire décrit par Georges Orwell dans 1984. C'est pour cela que les militantes et militants des droits humains sont sur ce dossier informatique et libertés depuis une quinzaine d'années.

Ainsi dès 1968, à Téhéran, une conférence internationale sur les droits de l'Homme adoptait une résolution qui recommandait que:

« les institutions de la famille des Nations unies procèdent à l'étude des problèmes posés du point de vue des droits de l'Homme par les développements de la science et de la technologie, notamment en ce qui concerne: (...) les utilisations de l'électronique qui peuvent affecter les droits de la personne et les limites que devraient comporter les utilisations dans une société démocratique ».

Depuis lors, le problème des atteintes à la vie privée par la voie de l'utilisation des ordinateurs s'est développé. Du point de vue technique, le risque d'atteinte à la vie privée résulte comme nous l'avons vu plus haut des abus dans les modes de cueillette des données (écoute électronique, viol du courrier, de la résidence, pillage de banques de données diverses) mais résulte aussi de la possibilité de diffuser des informations considérées comme confidentielles; de la faculté d'utiliser des informations à des fins différentes de celles pour lesquelles elles avaient été collectées, ou du souci de découvrir, par rapprochements, connexions, entre fichiers des caractéristiques individuelles, conduisant à renforcer le « contrôle social » sur l'individu.

Pour exercer plus adéquatement ce « contrôle social », la cueillette d'informations sur les « déviances » est capitale; d'où la collecte de données sur les orientations sexuelles, sur les pratiques religieuses, syndicales, politiques, sur les opinions. À ce chapitre, on le sait très bien que des pratiques de renseignements visant largement les éléments « dissidents » ont fait leurs ravages.

QUELLES SONT NOS RESSOURCES?

Actuellement des lois existent qui pourraient limiter la portée de ces fichiers. Il y a entre autres la loi fédérale sur l'accès à l'information gouvernementale et la protection des renseignements personnels et la loi provinciale sur le même thème. Ces lois dans les principaux articles ne sont pas encore en vigueur.

À l'époque (avril et septembre 1981), la Ligue des droits et libertés, l'ICEA, la CEQ, la CSN et le SPGQ avaient formulé plusieurs critiques fondamentales à ces projets dont non les moindres avaient été le manque de dispositions précises visant à protéger la confidentialité des renseignements personnels contre les interconnexions entre banques de données; la communication permise à un tiers comme porte ouverte aux abus; l'urgence d'abroger la loi sur les secrets officiels; la protection serrée entourant les activités des forces de sécurité; officialisation de la politique du secret relativement à de grands secteurs d'activités gouvernementales. Ces lois, même si elles sont des acquis à certains niveaux demeurent pour la protection véritable de nos droits de véritables passoires.

Étant donné l'importance de l'enjeu et ses implications politiques essentielles, il est impératif de protéger les citoyennes et citoyens des excès possibles, par la mise en place de garanties légales telles que:

Si on ne veut pas que l'ordinateur soit un instrument d'asservissement, il est indispensable qu'il soit reconnu que toute personne a droit au respect de sa vie privée et à l'exercice des libertés fondamentales; que soit reconnu que toute personne physique est propriétaire de l'information à caractère privé qui porte sur elle ou sur ses enfants; que soit reconnu une présomption générale d'accessibilité aux données colligées sur soi; que toute personne a droit à ce que les données soient véridiques, complètes et pertinentes aux fins pour lesquelles elles ont été demandées et que si elles sont utilisées à d'autres fins, l'autorisation expresse de la personne visée soit requise.

Bien sûr, il y a beaucoup de chemin à faire au niveau des législations qui sont au pays extrêmement déficientes.

Mais encore plus capitales pour le mouvement ouvrier et populaire, sont les campagnes de sensibilisation-éducation et les mobilisations collectives. Nous aurons l'occasion de discuter demain en ateliers de perspectives de revendications et d'actions concrètes.

Mal maîtrisée et utilisée à des fins abusives, l'informatique est devenue un instrument redoutable pour les libertés. La ou le citoyen épié, fiché, connecté, classé, à son insu, peut-il se sentir libre face à des organismes qui n'admettent pas la discussion? L'exercice des libertés essentielles deviendrait alors illusoire pour des citoyennes et citoyens qui se sentiraient en permanence contrôlés dans leurs comportements ou leurs opinions et soumis à un conformisme oppressant.

Non à une informatique contre les libertés!

On nous fiche, ne nous en fichons pas!

LISTES NOIRES DE LOCATAIRES: SYSTÈMES ORGANISÉS D'INTIMIDATION ET DE DISCRIMINATION, publié par le Regroupement des comités de logement et des associations de locataires du Québec.

ON VOUS FICHE, NE VOUS EN FICHEZ PAS!, dossier réalisé par la Commission informatique et droits de l'Homme, créée à l'initiative de la Ligue des droits de l'Homme.

Mémoire sur l'accessibilité à l'information gouvernementale et la protection des renseignements personnels présenté à Québec pa la Ligue des droits et libertés, l'Institut canadien d'éducation des adultes, la Confédération des syndicats nationaux, la Centrale de l'enseignement du Québec, septembre 1981.

Le Bill C-43 sur l'accès à l'information gouvernementale et la protection des renseignements personnels ou LE CULTE DU SECRET...

LÉGALISÉ!, mémoire présenté par la LDL devant le Comité permanent de la Justice, Chambre des Communes, Ottawa, avril 1981.

Patrick Beaudoin, « Tout sur tous », in LE CRI DES HOMMES, revue de la Fédération internationale des droits de l'Homme, juin 1981.

Daniel Lamoureux, «Vers 1984: surveiller pour contrôler », in COMMUNICATION ET INFORMATION, vol. 4, no 1.

Les technopaysans et les puces

par D'Arcy Martin

On m'a invité ici comme traducteur d'autres expériences; pour vous faire connaître un peu l'expérience des syndicats industriels, aussi pour vous parler des expériences des mouvements populaires au Canada anglais et dans d'autres parties d'Amérique du Nord.

Chez moi, à la maison, j'ai l'expérience de ma fille qui commence à l'âge de 7 ans avec un ordinateur dans la salle de classe.

A mon bureau, on parle d'installer une machine à traitement de textes. C'est dans un bureau de syndicat et on discute comment le faire d'une façon cohérente avec les principes syndicaux. C'est pas facile cependant... On essaie aussi de faire face, comme citoyens, au défi très important dont d'autres panellistes viennent de parler: de sauvegarder nos libertés d'expression et d'action politique. De plus dans mon syndicat (c'est un syndicat industriel qui s'étend au Québec, au Canada anglais et aux États-Unis) on commence à voir apparaître des robots.

À Kingston, à l'usine d'Alcan, on vient d'installer un robot qui est capable de souder, vous savez, mettre ensemble des morceaux d'aluminium.

On a apporté la machine, on l'a fait savoir au syndicat local 15 jours avant son arrivée, et c'est juste parce que c'est un syndicat local fort. Seulement là, le syndicat a rencontré le gérant et on a dit: « Ça ne rentre pas avant que les employés en aient discuté ». Alors ils l'ont mis dans un entrepôt en dehors de l'usine pendant quelques semaines. Nous avons fait des programmes de discussion entre les gérants et le syndicat.

De là on a élaboré un genre d'entente pour protéger les membres et on a parlé avec les membres parce que c'est de là que ça vient un mouvement populaire ou un syndicat démocratique. Les 40 travailleurs concernés par la venue de ce robot-là qui ne venaient pas d'habitude aux assemblées syndicales (ils ne voyaient pas que c'était un thème syndical), ont pu, par la suite, voir le lien entre l'action de l'organisation populaire et les changements technologiques, et c'est ça qui est difficile. De par mon expérience en formation syndicale, je sais que les travailleurs s'imaginent au départ que ça vient toujours chez le voisin, mais ça vient chez nous aussi, c'est ça le problème. Et comment dire, on essaie, à nous les souris, de nous vendre des machines pour attraper les souris.

Dans la partie ouest de Toronto, il y a une petite usine de Lennoxe où on fait des fourneaux (dans le sous-sol de ma maison j'en ai un et ça a été peint à la main), maintenant on a un robot qui le fait. Dans cette usine on a fait une grève pour que les changements technologiques soient sujets à négociation. On en a aussi à Hamilton à l'usine de tracteurs (International Investor) où j'ai été ce matin dans une session de formation sur les changements technologiques. Là on est en crise, à cause de la dépression on n'achète pas les produits, mais qu'est-ce qu'on fait? Bien on achète des robots et là ce sont différents robots: c'est un robot pour bouger les boîtes, pour bouger les pièces. Ça commence aussi dans les usines d'assemblage d'autos.

LES DROITS DU CAPITAL ET CEUX DES TRAVAILLEURS

Alors pourquoi les syndicats ont tant de mal à attaquer ce problème? Selon moi, c'est parce que les gérants trouvent que le droit du patronat, et c'est toujours la première clause dans les conventions collectives, couvre toutes ces décisions: décisions d'investissements d'achats, etc., etc. Ce sont les droits du capital pour être très clair et ils considèrent que nous n'avons rien à faire là-dedans. Si on cède, il n'y aura plus moyen d'avancer. On voit maintenant qu'on a besoin de protection dans les conventions collectives contre les effets immédiats, on a besoin aussi de moyens d'éducation, de formation pour nous alphabétiser aux nouvelles technologies. On parle maintenant des technocrates et des technopaysans. Les technopaysans, c'est nous. Les technocrates ce sont les gens qui forment, qui construisent et qui vendent les marchandises, et aussi les gens qui sont en train de l'adopter d'une façon aveugle socialement, sans regarder les effets que ça peut avoir sur les individus, sur la structure de notre société.

Dans le milieu du travail, c'est très concret. On a vu précédemment ce que ça peut impliquer dans les bureaux. On a maintenant dans les mines, de nouveaux équipements qui donnent des résultats sur les concentrations de cuivre, de plomb, etc.; ça coupe les équipes de cinq travailleurs à trois et ça augmente le stress: c'est plus vite, c'est plus vite, c'est toujours plus vite. Et on se demande pourquoi on a des problèmes de santé-sécurité dans le milieu de travail. La formation syndicale (ça c'est mon travail), c'est important parce que c'est là où on a les moyens de convaincre les travailleurs des conséquences réelles de ces changements pour qu'ils trouvent eux-mêmes les solutions. Ce sont alors les vrais experts sur le progrès.

DÉFINIR NOTRE PROGRÈS

Le progrès, c'est pas le terrain des technocrates. Le progrès social, c'est notre terrain à nous. Mais on est en train de nous le voler, de nous voler ce terrain-là. Il faut bien commencer à communiquer. C'est vrai, il y a beaucoup de barrières: barrières de langues, barrières de secteurs (secteur public/secteur privé), l'industrie lourde où est mon syndicat, les hommes et les femmes dans le milieu de travail (beaucoup de difficultés de communication, beaucoup de barrières). Mais c'est très important qu'on commence parce que les gouvernements sont alliés, en ce moment dans notre pays, aux seuls intérêts des entreprises privées (et ça je connais assez bien l'aspect fédéral). Ce qu'on est en train de faire, c'est de donner des subventions aux grandes entreprises pour installer l'équipement et puis quand on demande la protection contre les effets, ce sont justement ces entreprises-là, qui vont chez les gouvernements pour s'opposer aux mesures de protection; il y a des preuves concrètes de ça. Pourquoi? Parce que ça leur coupe le marché. Parce que si les employeurs qui achètent ces équipements doivent assurer et garantir des sécurités, des protections à leurs employés, ça va ralentir le processus. Donc, on devient des obstacles contre le progrès. Mais ce n'est pas vrai. On essaie au contraire de définir un autre genre de progrès. Et c'est ça qu'il faut commencer à faire, pas juste l'imaginer, mais le définir concrètement.

Mais qu'est-ce que ça veut dire concrètement?

Je vous en donne une idée. En Scandinavie, on a commencé dans les syndicats locaux par installer bien sûr, des comités de santé-sécurité, des délégués pour les griefs et on a aussi un réseau de ce qu'on appelle les délégués de télématique. Qu'est-ce qu'ils font ces gens là? Ils regardent, ils vont chez les travailleurs, et ils demandent « Comment c'était il y a dix ans, ici ». Et on commence à bâtir toute une image de ce que c'était, de ce que ça devient, de ce qui est l'avenir de ce milieu de travail. On développe aussi l'aphabétisation technologique nécessaire pour faire face, d'égal à égal, à la gérance et au gouvernement. Ce groupe d'experts dans le mouvement populaire devient la base pour définir d'autres stratégies, non pas abstraites, mais claires, concrètes et spécifiques. Voilà un gros défi pour nous dans nos mouvements. Je vous donne juste un exemple, ce n'est pas dans mon secteur mais c'est un défi pour tous les mouvements populaires. Du moins c'est ce qu'on pense chez moi.

Ce sont les banques qui profitent le plus de la dépression ces jours-ci. Ce ne sont pas les membres de mon syndicat, je vous assure! Mais on voit maintenant que dans les banques on est en train d'installer beaucoup d'équipements automatisés, on est en train aussi de résister à n'importe quelle tentative d'organiser ou de syndiquer les employés. Les deux vont ensemble. Des attitudes pro-technocrates et antisyndicales et antipopulaires, en ce moment, ce sont les mêmes. Et si on va s'adresser à ce thème-là ça devient un défi politique, et ça devient aussi un défi de tolérance, de patience entre les différents secteurs des mouvements populaires parce que sans ça on n'avancera pas. Et moi, je vois qu'avec les banques on a besoin de législations, on a besoin d'une façon de créer de nouveaux emplois pour les gens qui seront déplacés avec ce genre de changements, on a besoin d'intégrer ça par une alliance entre les syndicats, les organisations de consommateurs, les organisations communautaires, les organisations de femmes, les organisations populaires. Et si on fait ça nous, les technopaysans, on peut reprendre notre terrain qui est le progrès et rendre démocratique le changement qui est en cours, qui peut être positif. On peut lui donner tout à fait un autre caractère et j'espère que ça aidera ce genre de dialogue.

Synthèse des pistes de revendications et d'action des ateliers

par Louise Toupin

Les 15 ateliers du colloque portaient sur cinq aspects de la télématique:

Pour donner une idée de la variété et de la richesse des interventions faites dans les 15 ateliers, voici la synthèse de ce que ces ateliers ont dégagé à titre de problèmes et enjeux d'une part, et de l'autre, de pistes de revendications et d'actions possibles, et cela, dans chacun des cinq secteurs analysés.

ÉDUCATION

A. PROBLÈMES ET ENJEUX

Les ateliers portant sur l'éducation et les nouvelles technologies ont souligné deux ordres ou niveaux de problèmes: le premier a trait à l'introduction même des nouvelles technologies à l'école et, le second, aux besoins de formation qu'entraînent les changements technologiques.

Comment s'effectuera cet automne l'introduction des deux micro-ordinateurs par école annoncée par le ministre de la Science et de la Technologie, Gilbert Paquette?

Sortie comme un lapin du chapeau, cette « politique » est très révélatrice du sérieux avec lequel le gouvernement traite de toute cette question, selon les participantes et participants aux ateliers éducation. En effet, cette attitude nous révèle ceci: les politiques gouvernementales, en matière de nouvelles technologies à l'école, ne sont pas connues de la part des principaux intéressés (enseignantes et enseignants, parents, élèves). Et, en l'absence de toute information, les syndicats de l'éducation craignent que les décrets ne facilitent l'implantation des ordinateurs et cela, sans consultation et sans négociation, puisque le gouvernement a refusé de négocier toute clause de changement technologique. Dans ces conditions, revivra-t-on un autre « flop » comme le fut celui de l'audio-visuel dans les années soixante-dix? Deux ordinateurs par école? Le gouvernement coupera quoi encore pour les introduire, se sont demandé en outre les participantes et participants aux ateliers éducation?

D'autres problèmes sous-jacents furent aussi soulevés par les intervenantes et intervenants: ainsi, la formation aux nouvelles technologies qui brille par son absence dans les écoles; les dangers de coupures de postes dans les secteurs éventuellement touchés par les ordinateurs: secrétariat, services de soutien, bibliothèques, etc.

La question des didacticiels dans l'enseignement, ces manuels scolaires électroniques, est aussi apparue capitale pour les participantes et participants aux ateliers. Une absence de contrôle sur leur provenance et sur leur contenu provoquera un accroissement de notre dépendance culturelle et risquera de véhiculer autant de stéréotypes sexistes et racistes que les manuels écrits.

Autre enjeu sous-jacent: l'école risque ainsi de se mouler sur la machine, plutôt que l'inverse.

Les Changements technologiques, enfin, entraîneront de nouveaux besoins de formation. Or, jusqu'à maintenant, ces programmes sont rarissimes et inadéquats; par exemple, aucun ne tient compte des effets que recèlent les nouvelles technologies.

B. PISTES D'ACTIONS ET DE REVENDICATIONS

À la suite de ces constats, les participantes et participants aux ateliers éducation ont avancé des pistes de revendications en ces matières:

Un « virage éducatif » s'impose donc, car, ont déclaré les participantes et participants, sans formation professionnelle large et sérieuse, les changements technologiques joueront contre nous...

Les Médias

A. PROBLÈMES ET ENJEUX

Le système vidéotex Télidon, développé par le gouvernement fédéral canadien, a été au coeur des discussions dans les ateliers portant sur la télématique et les mass-médias. Par ce système, on pourra désormais avoir la possibilité de consulter, au travail comme à domicile, des banques d'information à l'aide d'un téléviseur modifié. Toutefois, l'expérimentation faite de ce système, jusqu'à maintenant, soulève de nombreux problèmes qui ont été dégagés par les ateliers.

Ainsi, ceux qui produisent l'information sont ceux-là même qui la transmettent. Comme ce sont le gouvernement fédéral et surtout de très grosses compagnies qui prédominent dans ce marché, on peut craindre que le vidéotex ne soit utilisé, entre autres, à des fins publicitaires contraires aux intérêts des consommateurs et des consommatrices. Les ateliers ont vu là un danger certain de contrôle total de l'information diffusée.

Problème au niveau du contrôle du contenu de l'information mais aussi au niveau de la qualité de l'information qui nous sera livrée. A ce sujet, les ateliers se sont inquiétés de l'appauvrissement éventuel de l'information diffusée, étant donné l'espace plus que restreint (l'écran de télévision) qu'offre ce système. De plus l'hégémonie de la langue anglaise, langue dans laquelle sont conçues les banques de données, ajoute au problème de la qualité de l'information, celui de notre dépendance culturelle qui ne manquera pas ainsi de s'accroître.

Contrôle du contenu de l'information, appauvrissement de sa qualité, accroissement de la dépendance culturelle. A cela il faut ajouter le problème des coûts très élevés d'abonnement à ce système et celui des coûts d'utilisation. Les ateliers y ont vu une autre façon de favoriser encore une fois les classes moyenne et riche. Les ateliers se sont enfin inquiétés du sort qui sera éventuellement réservé aux médias communautaires, eux qui ont déjà toutes les misères du monde à survivre.

B. PISTES DE REVENDICATIONS ET D'ACTIONS

Que faire à partir de maintenant? Les participantes et participants aux ateliers sur les nouveaux médias ont avancé ces pistes d'actions et de revendications.

Tout d'abord, formuler des revendications assurant la démocratisation de ces nouveaux médias, leur accessibilité et le contrôle démocratique sur la production de leur contenu. Comment? En exigeant des législations et des réglementations en ce sens.

Les ateliers ont, dans cet ordre d'idée, proposé que les associations de consommateurs se mobilisent et interviennent en vue de faire abaisser le plus possible les coûts d'accès au système vidéotex (abonnement et installation), de favoriser l'accès aux contenus des banques de données et de garantir le droit de regard sur la production de ces contenus.

Quant aux syndicats et aux groupes populaires, il est suggéré qu'ils s'approprient ces nouvelles technologies, qu'ils développent leurs propres recherches et analyses en ce domaine afin qu'ils produisent leur propre contenu en accord avec leurs besoins, leurs objectifs, leur modèle de développement à eux. Ce serait peut-être là le point de départ de réseaux télématiques « alternatifs ».

Les ateliers ont aussi revendiqué que les journaux créent une banque de données d'actualités francophone.

Enfin, il fut recommandé au Groupe de travail sur les communications de l'ICEA:

LA VIE PRIVÉE

A. PROBLÈMES ET ENJEUX

L'utilisation incontrôlée de l'électronique peut conduire aux pires excès, voire au totalitarisme. À ce sujet, les participantes et participants à l'atelier sur la vie privée ont soulevé des points d'inquiétude.

La production de fichiers sur les personnes, leur utilisation à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été confectionnés, conduisent, en bout de ligne, à un accroissement du contrôle sur la vie des individus et à la centralisation du pouvoir entre les mains d'un nombre restreint d'individus.

De plus, la sécurité et la véracité des données sur les citoyens ne sont aucunement assurées actuellement, puisque ces données sont produites et traitées par des entreprises et des gouvernements qui défendent des intérêts très spécifiques et des modèles de développement de société le plus souvent contraires à nos besoins.

B. PISTES DE REVENDICATIONS ET D'ACTIONS

En guise de pistes de revendications et d'actions, l'atelier croit à la nécessité de susciter un débat très large pour

dénoncer l'utilisation actuelle des banques de données sur les individus et de formuler des principes « socialement acceptables » de production, de contrôle et d'utilisation des informations touchant les individus.

Il est apparu urgent, à cet égard, de réglementer les banques de données privées, en recourant, par exemple, à l'émission de permis. Par ailleurs, on ne devrait plus, selon l'atelier, laisser reposer sur l'individu le fardeau des poursuites qui pourraient découler du refus d'alimenter des banques de données (refus de fournir des renseignements).

L'atelier a aussi avancé l'idée qu'il faudrait contrôler « préventivement » le développement des banques de données et non plus seulement contrôler leurs dégâts a posteriori. Ce contrôle devrait s'effectuer dans des lieux sociaux et politiques indépendants de l'État.

Les participantes et participants à l'atelier vie privée ont aussi enjoint les organisations populaires à dévoiler au grand public des cas précis de « scandale » et de mener des luttes sur ces cas; par exemple, la liste noire des locataires et les paiements électroniques.

LE TRAVAIL

Des quatre ateliers « travail », trois portaient sur la bureautique et l'autre sur la robotique. Le constat général des participantes et participants fut le suivant: les changements technologiques, au bureau comme à l'usine, dépendent des patrons seuls; ils répondent à des critères patronaux d'efficacité et de rentabilité uniquement, bien qu'au niveau de la robotique, dont l'implantation au Québec est encore très timide, ses effets soient moins connus.

Résultat: les syndicats et les travailleuses et travailleurs non syndiqués sont sur la défensive; le sentiment de peur et d'impuissance devant les effets visibles de ces changements est le réflexe communément partagé face au manque d'information et à l'absence de pouvoir de contrôle sur les changements technologiques.

A. PROBLEMES ET ENJEUX

Les problèmes posés par l'informatisation du travail, dans sa phase actuelle d'implantation, sont de trois ordres d'après les participantes et participants aux ateliers sur le travail.

D'abord le problème de l'emploi lui-même. Il y a en premier lieu les mises à pied massives occasionnées par l'introduction de ces nouvelles « machines », mises à pied qui, dans le domaine de la bureautique, touchent d'abord les femmes. À cet égard, il n'y a rien, dans le contexte actuel de la crise, qui laisse prévoir la création d'emplois stables. Au contraire, le travail précaire se développe (temps partiel, emplois temporaires, travail à domicile, travail au noir) en remplacement de postes permanents détenus par des femmes.

Deuxième ordre de problème décelé par les ateliers travail: le contenu même du travail est changé et modifié « à la baisse »; les nouvelles tâches créées par les nouvelles technologies sont massivement déqualifiées et exigent un accroissement et du rendement des personnels et de la charge de travail.

Troisième problème posé par les nouvelles technologies appliquées au travail: alors que, dans l'industrie, on dit que l'introduction des robots élimine les tâches dangereuses, dans les bureaux, par contre, les problèmes de stress et de troubles de vision accompagnent souvent le travail devant les écrans cathodiques.

Tous ces problèmes décelés par les ateliers travail se voient amplifiés, selon les participantes et participants, en raison de la crise actuelle et de la vulnérabilité de la structure industrielle québécoise (PME).

B. PISTES DE REVENDICATIONS ET D'ACTIONS

On ne peut éviter le changement, aux dires des participantes et participants, mais il faut le questionner. Situant le débat dans ce cadre, les ateliers ont émis ces revendications:

Il faut « réactiver » l'appui aux recommandations de la Commission Jean, en particulier les points traitant:

L'atelier sur la robotique a, de plus, proposé la formation d'une commission d'enquête en ce domaine, sur son implantation et ses effets, et cela, avec la participation du mouvement syndical; de même, on a proposé la mise sur pied de comités d'entreprises et d'un centre de formation spécialisée sur les nouvelles technologies dans la production industrielle. L'implantation des robots dans l'industrie devrait avoir comme priorité, selon l'atelier, le remplacement des postes où les accidents de travail et les maladies industrielles sont les plus nombreux.

LES ENJEUX GLOBAUX

A. PROBLÈMES ET ENJEUX

Les ateliers sur les enjeux globaux de la télématique ont cerné le problème suivant: qu'il s'agisse, selon les unes et les uns, d'un vaste complot ou, selon les autres, d'une anarchie dans le développement, l'introduction des nouvelles technologies est imposée à toutes et à tous, et les effets sont les mêmes dans les deux cas. En l'absence de toute politique gouvernementale, le modèle de développement qui prévaut est celui des multinationales.

B. PISTES DE REVENDICATIONS ET D'ACTIONS

Au nombre des pistes de revendications et d'actions avancées par ces ateliers sur les enjeux globaux de la télématique, citons:

Informatique et Tiers monde

par Armand Mattelart

CIRCONSCRIRE LES AMBIGUÏTES

Informatique et Tiers monde: voilà deux termes d'un rapport apparemment bien délimité, qui cependant à y regarder de plus près requiert davantage de précision si l'on veut éviter de reconduire un ensemble de malentendus et d'ambiguïtés devenus malheureusement trop habituels.

Tiers monde d'abord. Un malaise croissant se développe quand il s'agit de désigner le bloc des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine dont l'identité ne laissait aucun doute lorsque fut étrenné le concept générique « Tiers monde » au début des années soixante. L'irruption dans les années soixante-dix de ce que les inventaires statistiques des grandes organisations internationales appellent dorénavant « nouveaux pays industriels » est venue secouer cette idée d'un bloc homogène. Les couples conceptuels - que l'on se voit contraint de continuer à employer pour communiquer - tels « pays industrialisés/pays en voie de développement », « pays développés/Tiers monde », « Nord/Sud », voire « pays du centre/pays de la périphérie » ne rendent à l'évidence pas compte de ces nouvelles réalités. Non pas que le clivage entre les nantis et les pauvres se soit évanoui, mais les modes de domination sociale et économique ont fortement évolué sous l'impulsion du processus de transnationalisation des économies locales.

À force de continuer à employer des termes qui ne recouvrent qu'imparfaitement les nouvelles données des rapports de force mondiaux, on risque de basculer dans des attitudes et de conceptions tiers mondistes. Et l'on sait que du tiers mondisme au paternalisme, il n'y a qu'un pas. D'autant plus que sous l'angle des transferts de la technologie informatique, le Tiers monde apparaît comme un vaste réceptacle indifférencié où appliquer des solutions de salut.

Informatique ensuite. Le risque est grand d'isoler cette technologie et donc de passer sous silence le contexte historique dans lequel elle surgit et les besoins qu'elle vient combler. On nomme vite par exemple le lien étroit qui existe entre les formes concrètes qu'ont adoptées les systèmes de communication antérieurs comme le téléphone, la radio, la télévision, etc., et celles que sont en train d'adopter les systèmes informatiques. Tout se passe comme si la loi de l'obsolescence atteignait la perception que l'on peut avoir des technologies antérieures, l'arrivée de la dernière effaçant la mémoire des autres. Les exemples abonderaient qui illustreraient combien on lie peu l'arrivée de l'ordinateur dans les pays du Tiers monde aux leçons des expériences antérieures. L'introduction entre autres de la télévision scolaire. Que l'on pense aux résistances, aux blocages institutionnels et individuels qu'ont révélés les expériences de télévision scolaire au Brésil, en Côte d'Ivoire et dans beaucoup d'autres pays; toutes expériences qui ont été riches d'enseignement pour la connaissance du rapport technologie et société, innovation et société.

L'informatique est de par le monde le champ où s'investissent à l'envie les croyances et les mythes qui confondent allègrement révolution technique et révolution des rapports sociaux. N'est-ce pas faire peu de cas des inégalités sociales et culturelles au plan national comme

au plan international que de souscrire à des conceptions qui ne voient dans l'expansion de la nouvelle informatique que des instruments de salut social? Ces inégalités ne prédéterminent-elles pas les usages sociaux que l'on peut faire du nouvel arsenal technologique?

Les sources d'émission de cette mythologie qui consacre le caractère thérapeutique des micro-processeurs sont extrêmement variées.

Des boniments pour grand public, comme en témoigne l'annonce publicitaire suivante publiée dans les grands journaux parisiens en septembre 1981 par un constructeur de micro et de miniordinateurs, qui vante la « douceur » de cette technologie légère:

« Une informatique roseau, qui aux à-coups se plierait en souplesse; une informatique cristal, qui assurerait une gestion transparente; une informatique caméléon, qui réagirait vite aux changements; une informatique violon, qui respecterait la sensibilité des hommes ».

Des doctrines, des manifestes comme l'illustrent de nombreux livres à succès publiés dans les dernières années, par Jean-Jacques Servan Shreiber LE DÉFI MONDIAL, Alvin Toffler LA TROISIÈME VAGUE. Avec le micro-processeur, le Tiers monde pourrait enfin cueillir la chance de son développement. « Tous ceux qui, depuis près de 30 ans, écrit Jean-Jacques Servan Shreiber, se consacrent aux problèmes du Tiers monde, et qui ont le plus souvent pris comme terrain l'exemple de l'lnde immense, en sont arrivés à une conclusion commune: on s'est trompé de stratégie... Il fallait, il va falloir cultiver au contraire la décentralisation, renverser tous les mécanismes de concentration qui bloquent le développement. L'inversion de cette dynamique inhumaine, on voit maintenant comment l'informatisation va s'y prêter, en s'adaptant localement aux problèmes du Tiers monde, en lui permettant d'amorcer son ré-équilibrage... ».

Mais comment le Tiers monde vit-il l'arrivée des systèmes informatiques?

DES RÉALITÉS ÉCLATÉES

L'expansion de l'informatique ou plutôt du front commun de l'informatique, des télécommunications et de l'audiovisuel, puisqu'ils sont désormais indissociables, vient à point nommé nous rappeler les réalités multiples qui composent le Tiers monde, les distances qui les séparent entre elles et d'avec le reste du monde.

Avec 80 % de la population mondiale et 25 % des produits nationaux bruts, l'ensemble des pays du Tiers monde ne représentait en 1980 que 5 à 7 % des systèmes informatiques installés. À eux seuls, les États-Unis, le Japon et les pays d'Europe occidentale concentraient près de 85 % des ressources en ordinateurs. En matière d'équipement de télécommunications, le Tiers monde ne signifiait sur le marché mondial qu'une tranche de 10 %. Le panorama des moyens audio-visuels est du même ordre: 1 personne sur 500 dispose d'un poste de télévision ou a accès à un poste de télévision. Pas plus de 20 % des ressources d'émission et de réception radiophoniques du monde sont situés dans les pays du Tiers monde. Ces chiffres traduisent ni plus ni moins la faiblesse du potentiel technologique et scientifique de ces pays: 3 % des dépenses de recherche et de développement scientifique et technique et 13 % des ingénieurs et chercheurs.

Encore faut-il préciser que ces équipements sont situés dans quelques pays. Au Proche-Orient, par exemple, l'Arabie Saoudite concentrait en 1980 plus du quart du parc informatique de la région. Les dernières commandes d'équipement de communication donnent un aperçu de la rapidité d'intégration des nouvelles technologies de communication dans des pays qui disposent d'argent pour les acquérir. En avril 1982, l'Arabie Saoudite prévoyait installer dans les deux prochaines années 500 000 lignes téléphoniques, 2 500 kilomètres de câbles coaxiaux, 15 000 lignes de télex, un réseau additionnel de micro-ondes, une quatrième station de satellite, 18 000 téléphones pour autos.

Les inventaires des ressources informatiques des divers pays sont rares. Ceux qui recensent les ressources téléphoniques - complément obligé des nouveaux réseaux télématiques - sont plus nombreux et permettent de fixer des ordres de grandeur. Alors que l'ensemble du monde développé possède plus de 30 lignes téléphoniques pour 100 habitants, des pays comme le Brésil en comptent une moyenne de 7, ses voisins immédiats comme le Paraguay et la Bolivie n'en possédant que 2. Mais les pays les plus dépourvus de l'Amérique latine ont un taux d'équipement double de celui des pays africains, pour la moyenne de ces derniers. Si l'on excepte l'Afrique du Sud, le parc informatique de ce continent est deux fois moins important que celui de la Suisse. Si l'on retire les pays du Maghreb, le Nigeria, le potentiel se trouve réduit à sa plus simple expression. Un exemple parmi d'autres: fin 1981, le Zaïre, aux ressources naturelles très importantes et dont la place stratégique dans le développement de l'Afrique est de premier plan, ne comptait qu'une cinquantaine d'ordinateurs opérationnels. À l'exception des équipements de la Gécamines, installée au Shaba, il s'agissait essentiellement d'une informatique de gestion, la gestion des payes de l'armée n'étant pas la moindre de ses fonctions! M. S. Karoui, directeur du centre national d'informatique tunisien le rappelait encore à l'occasion du Sicob en septembre 1982: « En Afrique, 7pays sur 20 ne sont pratiquement pas informatisés... Les pays les plus pauvres n'ont pas de quoi payer leur accès à l'ère informatique, et de ce fait resteront en marge de la civilisation nouvelle qui se dessine à l'horizon ».

Les pays qui disposent de statistiques complètes sont aussi ceux qui possèdent les parcs d'informatique relativement les plus importants du Tiers monde et surtout ceux qui ont commencé à mettre au point une politique nationale d'informatisation. C'est le cas du Brésil qui, avec l'Inde et le Mexique, se détache du lot tant pour la qualité de sa réflexion sur le rapport informatique/société que par les mesures concrètes prises pour rationaliser l'arrivée de cette technologie.

Avec ses 125 millions d'habitants, le Brésil, neuvième puissance industrielle et premier pays informatisé du Tiers monde, comptait en 1981 un parc d'ordinateurs équivalant à un peu plus de deux milliards de dollars. Cette somme représente en fait peu ou prou le chiffre annuel d'importation de matériel informatique d'un pays comme la République fédérale allemande. Et pourtant des traits importants qui s'inscrivent dans des clivages antérieurs à l'ordinateur, apparaissent déjà. La répartition des ordinateurs par région est un indice de cette perpétuation des déséquilibres à l'intéreur d'un pays. Un indice qui met à rude épreuve la vertu égalitariste de la micro-informatique. Si l'on prend les micro et mini-ordinateurs qui constituent en fait au Brésil 80 % du total du parc en quantité et 19 % en valeur, on constate que le Sud-Est (fondamentalement Rio de Janeiro et Sao Paulo) absorbe 3/4 de la capacité de traitement informatique du pays, le Sud 13,3 %, le Nord-Est 6,4 %, le Centre-Est 3,7 % et le Nord 1,2 %. Au service de quoi? fondamentalement des réseaux bancaires qui en absorbent près du tiers, les institutions gouvernementales en absorbant environ 20 %, l'éducation à peine 1 %. Le nouveau moyen d'information intervient donc comme un instrument de renforcement d'une structure économique préexistante qui prescrit des usages prioritaires.

L'expérience de vidéotex de Sao Paulo, effectuée par les mêmes firmes françaises qui ont fourni l'équipement de l'expérience similaire menée à Vélizy dans les proches environs de Paris, inaugurée en juillet 1982, montre comment a tendance à se reproduire et à s'aggraver l'inégale distribution de l'accès à ces nouveaux médias. Au niveau des serveurs, les banques, les grandes entreprises ou conglomérats multimédias; au niveau de la population pilote, fondamentalement les classes solvables. Pour faire partie de l'expérience, ne fallait-il pas disposer d'un téléphone et d'une télé couleur, ce qui au Brésil n'est pas l'apanage de tout un chacun.

Alors que dans la ville de Vélizy, le nombre de cadres moyens et supérieurs ou membres d'une profession libérale reliés au nouveau réseau atteignait en septembre 1981 plus de 38 % des actifs contre une moyenne nationale de 18,7 %, alors que le nombre des employés y était aussi plus élevé, 25,5 % contre 17,6 %, alors que la proportion d'ouvriers et d'agriculteurs, 20,1 %, y était bien inférieure à la moyenne générale de 45,3 % des actifs, dans le quartier de Sao Paulo où se déroule l'expérience, les dernières catégories sociales ne sont pas représentées pour ainsi dire. Et si d'aucuns se sont plaints de l'absence du secteur associatif dans l'expérience de Vélizy, la timide ouverture politique du Brésil actuel n'autorise même pas à poser le problème. Voilà pris en défaut le discours sur la démocratisation par la décentralisation liée à un support technologique, discours qui sous le régime du président Giscard d'Estaing a accompagné en France la décision d'équiper de terminaux tous les foyers avant 1990 et qui a escorté l'approche de ce fabuleux marché intérieur qu'est le Brésil.

On voit déjà ici l'importance qu'aurait dans une redéfinition du rapport Nord/Sud et plus concrètement dans l'approche des grandes multinationales françaises des télécommunications aujourd'hui nationalisées à l'égard du Tiers monde, un projet d'implantation des nouvelles technologies de communication en France qui tienne davantage compte des demandes sociales et ne se contente pas de proclamer les vertus thérapeutiques intrinsèques à ces technologies. Il est à souhaiter que la nouvelle politique globale à l'égard des nouveaux réseaux en France qui émet le désir d'associer les usagers aux choix télématiques ait ses prolongements dans une politique industrielle de coopération avec le Tiers monde.

LA CONSTRUCTION D'UNE INDUSTRIE NATIONALE

Hormis dans les rares pays qui ont initié la production locale de micro et mini-ordinateurs et qui ont réussi à reprendre le contrôle partiel de leur marché dans ce secteur, les firmes qui contrôlent les parcs informatiques du Tiers monde sont invariablement les mêmes: pour les ordinateurs de la classe 3 à la classe 6 (globalement de 180 000 dollars à 3 millions de dollars), il s'agit d'IBM, d'Hewlett-Packard, Burroughs, Honeywell, etc. Seules les deux premières catégories affichent un certain pluralisme sur le marché.

Dans sa grande majorité, le Tiers monde ne produit pas les ordinateurs qu'il consomme, comme il ne produit d'ailleurs pas ses téléphones. Seuls des pays comme le Brésil ou l'Inde, avec des fortunes diverses, ont entrepris dans les années soixante-dix de construire une industrie nationale informatique en recourant, dans une première phase, à la technologie étrangère (plus particulièrement en provenance de firmes européennes et japonaises) mais également en mettant à profit les ressources de leurs propres centres de recherche.

Le Brésil a ainsi réussi à recapturer en l'espace de cinq ans une portion substantielle de son marché informatique. En 1981, l'industrie nationale contrôlait en effet 14 % de la valeur du parc installé et 42 % du nombre des ordinateurs. Tout cela en réservant son immense marché intérieur aux fabricants locaux.

L'Inde, en un certain sens, a entrepris une politique plus radicale. Alors qu'au Brésil, le géant américain IBM est toujours présent et partage avec des firmes comme Burroughs la fabrication des ordinateurs de grande et moyenne tailles, l'Inde s'est affrontée à la multinationale de l'informatique. Après l'échec de pourparlers, le gouvernement indien, désireux de faire observer le Foreign Exchange Regulation Act qui impose aux filiales des sociétés étrangères de transférer 60 % de leurs capitaux à des nationaux, reprit à sa charge les services de maintenance et les stocks d'IBM, qui quitta les lieux en 1979. Trois ans plus tard, l'Inde n'importe plus que ses ordinateurs de milieu et de haut de gamme et fabrique ses propres micro et mini-ordinateurs. Tout comme au Brésil mais avec plus de lenteur, l'Inde tente de contrôler un maillon essentiel de l'indépendance informatique, les composants. Le projet le plus vaste est sans nul doute celui du Brésil qui a décidé de mettre en synergie les ressources de ses entreprises privées, de ses universités, de ses centres scientifiques et de ses centres de technologie militaire. Dans ce dernier pays, la dynamique de la défense de la souveraineté nationale va d'ailleurs de pair depuis le début avec la dynamique de la « sécurité nationale ».

En contraste avec l'Inde, le Nigeria qui avait lui aussi provoqué la sortie d'IBM en essayant d'appliquer sa politique « d'indigénisation » des sociétés étrangères, dut revenir sur ses pas et réintégrer la grande société américaine.

D'une façon ou d'une autre, de plus en plus de pays, sans avoir la possibilité d'établir les bases d'une industrie nationale, notamment par manque de marché intérieur, tentent de se doter d'un embryon d'industrie en substituant les importations et en exigeant que les firmes étrangères intègrent progressivement des composants locaux. Le Mexique qui pourtant est doté d'un grand marché intérieur a entrepris une telle politique et espère que ces partenaires étrangers intégreront d'ici cinq ans plus de 60 % de composants locaux dans la fabrication de leurs ordinateurs.

DES POLITIQUES NATIONALES

La politique industrielle informatique n'est qu'une partie des stratégies nationales qui sont en train de se dessiner dans le Tiers monde. Un organisme en particulier a servi de lieu de rassemblement et de discussion sur ces stratégies: l'IBI (International Bureau of Informatics) qui regroupe les représentants de nombreux gouvernements des pays du Tiers monde et de quelques pays industrialisés comme la France, l'Italie et l'Espagne. C'est à la Conférence de Torremolinos en 1978, organisée par l'IBI, sous les auspices de l'UNESCO, que sont apparus les premiers indices de cette volonté de concertation internationale, préparée plus particulièrement en Amérique latine par de nombreuses réunions régionales des autorités informatiques de la plupart des pays du souscontinent. À Torremolinos, les divers participants dégagèrent les grandes lignes de ce qui était appelé à être une politique nationale d'informatisation: définition de priorités dans les applications de l'informatique, élaboration d'une politique d'acquisition d'ordinateurs, formulation d'une politique de recherche cohérente, programmes de formation de techniciens et de spécialistes, mise sur pied d'une industrie nationale de l'informatique tant dans le domaine de l'équipement que dans celui de logiciels.

Les pays membres de l'IBI sont loin d'être unanimes dans l'application de ces orientations. Le Chili, par exemple, dont le modèle économico-politique suit au pied de la lettre les directives des économistes néo-libéraux et accepte comme maître à penser Milton Friedman, a bradé toute son industrie électronique et rêve de se transformer en un vaste entrepôt commercial par où transiteraient tous les produits de la micro-électronique des grandes firmes étrangères. Ce qui ne l'empêche pas d'appliquer très strictement sa doctrine de la sécurité nationale lorsqu'il s'agit de trouver les usages répressifs aux ordinateurs qu'il importe. Ce thème de la sécurité nationale comme celui de l'usage policier et militaire de l'informatique, qui pèse lourdement sur la conformation des systèmes télématiques et préside à leur insertion dans de nombreux pays du Tiers monde, ne fait malheureusement pas l'objet de discussions dans les grandes organisations internationales à représentation gouvernementale. Ce thème est à l'occasion évoqué par les organisations à but humanitaire, consacrées à la défense des droits de l'homme.

L'informatisation ne se produit pas toujours par les mêmes voies institutionnelles et s'il est sûr que dans des pays à régime autoritaire la logique répressive est la locomotive de la modernisation des systèmes d'information (que l'on pense par exemple à l'Argentine dont les forces de police possèdent des voitures munies d'ordinateurs reliés à des banques de données, aussi sophistiqués que ceux que l'on trouve en Irlande du Nord), dans nombre de pays du Tiers monde, l'informatisation arrive par des secteurs de l'appareil d'État moins agressifs: la collecte des impôts, la Justice, l'État civil, la planification, la gestion des entreprises d'État, l'information scientifique et technique et, de ce point de vue, chaque pays a sa spécificité qu'il faut essayer de découvrir. Une chose est toutefois certaine: la mise à jour électronique de l'État ne se déroule pas de façon linéaire. Les décalages que l'on observe dans le procès d'informatisation de ces différents secteurs ne vont pas sans engendrer des contradictions qui témoignent d'un nouvel enjeu, la redéfinition du rapport de l'État avec les citoyens, le redéploiement des formes de contrôle social. Car si l'informatique représente un saut qualitatif par rapport aux technologies antérieures, c'est bien dans ce domaine: elle accompagne la restructuration des appareils politiques, économiques et militaires qui affecte l'ensemble de la société.

Ces logiques qui traversent les États se combinent avec une autre logique, celle des grandes sociétés transnationales installées dans les pays du Tiers monde dont les systèmes de communication entre filiales constituent souvent des avant-gardes de modernité technologique.

De par leur connexion avec les systèmes de communication antérieurs (télécommunications et audio-visuel), il est difficile, voire impossible, de supputer l'évolution des systèmes informatiques de communication sans tenir compte du modèle selon lequel les technologies antérieures se sont institutionnalisées. Or, ici également le Tiers monde est loin d'être un bloc uniforme: différence des évolutions technologiques; degrés divers d'intégration dans le système transnational, facilement perçus à travers la présence ou l'absence des grandes agences de publicité transnationales; différences des modèles d'implantation de la télévision quand elle existe et de la radio; même si les modèles coloniaux et néocoloniaux, les modèles ORTF et BBC en Afrique par exemple, la télévision commerciale américaine en Amérique latine, ont façonné différemment les institutions de radio et de télévision, s'y sont ajoutées les caractéristiques propres à chaque réalité nationale. Il convient donc d'être extrêmement prudent lorsque l'on tente d'analyser la capacité d'absorption des nouvelles technologies qu'ont les différents systèmes audio-visuels de masse. Une chose est toutefois certaine: dans les pays où le modèle commercial règne en maître et seigneur, comme au Brésil et au Mexique, l'insertion des nouvelles technologies à destination du grand public est en voie de renforcer le degré de concentration déjà extrêmement élevé du pouvoir de la communication aux mains de grands conglomérats multimédias. Dans les autres réalités plus marquées par l'ascendance étatique et où l'expansion du capital dans la sphère de la production culturelle de masse a été moins rapide, on peut s'attendre à ce que les modèles de services publics plus ou moins observés (car ils ne fonctionnent souvent que comme courroies de transmission d'un parti unique) soient de plus en plus mis à rude épreuve. On peut en effet penser que dans un contexte mondial caractérisé par le retour en force du modèle économique néo-libéral, les appareils de communication de masse ne pourront rester en marge de cette logique qui non seulement décrète la fin du welfare state dans les frontières nationales mais signe également son déclin dans les plans d'assistance et de coopération du Nord avec le Sud.

Comme on le voit, cela nous mène loin de cette conception d'une informatique transparente, envisagée comme une panacée aux problèmes de la famine, de l'analphabétisme, de la mortalité infantile, qui, en niant la médiation des rapports de force dans chaque nation et sur la scène internationale, réduit l'introduction de l'ordinateur à une intervention miraculeuse sur le corps social.

LES RESEAUX TRANSNATIONAUX

Les premières inquiétudes à propos de la perte de l'identité nationale que pourrait signifier le raccordement des diverses réalités nationales aux réseaux télématiques transnationaux sont apparues de façon parallèle dans certains pays industrialisés et certaines nations du Tiers monde. Dans les premiers, se détachent surtout la Suède, le Canada et la France. Dans les seconds, le Brésil tout particulièrement.

En 1979, le gouvernement du Canada - pays particulièrement vulnérable de par sa proximité avec les États-Unis - a dressé la liste complète des motifs qui justifient l'établissement d'une politique nationale de régulation des flux transfrontières d'information. Le contrôle par des sociétés étrangères des réseaux de production et de traitement de l'information risque:

En 1979, le Brésil exposait une doctrine similaire et justifiait des mesures protectionnistes à l'égard des transnationales de l'informatique. Chaque société désirant recourir aux services des banques de données étrangères doit solliciter la permission des autorités qui favorisent l'installation sur le sol brésilien de ressources telles que banques de données, systèmes d'information. Car, le problème fondamental est là: le « micro-terminal » parachuté dans la région la plus démunie, pour petit qu'il soit, draine, si l'on n'y prend garde, toute la macrostructure de son lieu de production. En effet, sous ces réseaux multiples qui véhiculent informations médicales, bancaires, météorologiques, c'est la formation des grands conglomérats transnationaux de l'information qui se joue, la reconversion de l'industrie de l'édition et de l'audio-visuel dans le traitement de l'information sous toutes ses formes.

De nombreux chercheurs du Tiers monde ont montré le danger de doctrines qui présentent l'accès à l'information comme la garantie de la démocratisation des services médicaux, par exemple et de l'accès aux soins. Cette chercheuse vénézuélienne par exemple que nous pouvons citer: « Les secteurs de la santé, de l'éducation et des transports urbains en sont à un tel stade de précarité que parler d'appliquer l'informatique à ces services relève du délire. Les hôpitaux manquent de coton hydrophile, d'alcool, de pansements. À l'école, la promiscuité et le manque d'hygiène constituent de sérieux risques pour la santé des enfants ». Or, la promotion des banques de données médicales fait miroiter la connexion aux réseaux ultramodernes transnationaux en oblitérant complètement la réalité de l'infrastructure médicale.

À l'occasion de l'éventualité du raccordement de leur pays au système américain Medlars qui exerce un quasi monopole sur l'information médicale dans le monde, on a vu s'affronter en Colombie par exemple différentes fractions du corps médical. Car ce qui était reconnu comme naturel par certains au nom des valeurs universelles de la science et de la technique ne l'était pas forcément par d'autres qui, soucieux de préserver leur propre accumulation de connaissances sur l'éthiologie colombienne, préconisaient la création, à côté de l'accès à Medlars, de banques de données plus adaptées à la réalité du pays.

Les revendications des pays du Tiers monde dans ce domaine de la maîtrise des banques de données recoupent celles émanant de grands pays industriels, les pays européens par exemple. Dans les dernières années, ces pays ont réussi à récupérer un terrain totalement occupé naguère par les États-Unis. Même si 56 % des systèmes de bases et banques de données accessibles aux utilisateurs européens sont encore d'origine américaine contre 26 % d'origine européenne, il faut noter que sur le marché européen il y a actuellement 264 bases et banques d'origine européenne; il n'y en avait que 50 au début de 1980, lors de l'inauguration du réseau Euronet de transmission de données et cinq en 1975. Les progrès du Tiers monde en cette matière sont beaucoup plus lents, même si de plus en plus de pays se dirigent vers des politiques nationales, comme en témoigne le communiqué commun signé en 1982 par le ministère du Plan et du Budget mexicain et la Mission interministérielle de l'information scientifique et technique française, au terme d'un séminaire conjoint tenu à Mexico. Les signataires de ce communiqué exprimaient qu'ils attachaient « la plus extrême importance au maintien de l'identité nationale de chaque pays et, dans ce cadre, à la défense et à la promotion de toutes les langues, en particulier le français et l'espagnol, comme langues de production et de communication des systèmes d'information ». Ils notaient également que « les grandes bases et banques de données aujourd'hui existantes dans le monde ont été conçues en fonction de critères valables pour les grands pays industriels et ne sont pas toujours adaptées aux besoins des pays en voie de développement ».

MICRO-ÉLECTRONIQUE ET COOPÉRATION NORD/SUD

C'est également le poids des rapports de force internationaux dans une économie qui se mondialise jour après jour qui se manifeste lorsque certains pays du Tiers monde supputent les conséquences socio-économiques de la diffusion de la micro-informatique dans le procès de production et se demandent si la robotisation et les usines automatisées ne vont pas faire perdre dans un proche avenir aux pays les plus pauvres du Tiers monde les avantages d'une main-d'oeuvre bon marché. La réponse, quoique nuancée, ne parvient pas à étouffer la crainte de voir les firmes des pays industrialisés rapatrier à la faveur de l'automation la production de biens qui auparavant demandaient un travail manuel intensif.

Ce n'est qu'un des aspects de l'épreuve de force qui se joue à l'occasion de l'irruption des nouvelles technologies du micro-processeur et qu'il est nécessaire d'aborder sous peine de réduire le dialogue Nord/Sud à une opération dont le but primordial serait l'extension des marchés pour les industries de pointe du Nord. N'est-ce pas la face cachée de ces plans d'exportation massive de micro-ordinateurs et des discours prophétiques qui les escortent? Dans une interview accordée en juin 1982 à un hebdomadaire français, Jean-Jacques Servan-Shreiber n'hésitait pas à affirmer: « On m'a reproché de perdre mon temps à essayer de vendre des ordinateurs aux nègres. Même d'un point de vue tout à fait égoïste et en restant sur le plan de l'économie, ces gens ne se rendent pas compte que si nous y arrivons, c'est l'emploi en France que nous défendons. Et si aux Africains, vous ajoutez les Indiens, les Chinois, les Arabes, les paysans d'Amérique latine, alors je vous garantis que le problème du chômage sera résolu, parce qu'il y aura plus de travail que n 'en peuvent fournir tous les pays industriels ». N'est-ce pas faire fi de toute cette montée des revendications de pays comme l'Inde, comme le Brésil, pour n'en citer que quelques-uns, pour contrôler non seulement la consommation de micro-informatique mais la production de l'équipement et du logiciel?

Et pourtant reconnaître la tension qui existe entre les projets de réindustrialisation des grands pays du Nord à partir du développement de la haute technologie électronique, et la nécessité de redéfinir de façon plus égalitaire les rapports avec le Tiers monde, s'avère être le point de départ obligé de tout débat qui situe de façon réaliste l'apport des nouvelles technologies à la transformation des échanges internationaux. Toute célébration univoque des nouvelles technologies risque d'être en effet discours de marchand.

Les projets récemment dessinés par le gouvernement socialiste en France afin de donner une autre vie au tissu industriel français, montrent les contradictions que doivent affronter ceux qui se proposent dans les contraintes internationales actuelles de jeter les bases d'un nouvel ordre économique mondial. Ces contradictions sont particulièrement présentes dans les stratégies industrielles pour ladite « filière électronique ». Toute sortie de crise par la haute technologie projette le pays dans un schéma d'alliances industrielles préférentielles, la volonté de conquête du marché américain indiquant le lieu privilégié de l'internationalisation des firmes françaises; un marché qui vaut dix fois celui de la France et la moitié de celui du monde sans compter la richesse en technologie de ce pays. La difficulté de réaliser l'unité industrielle de l'Europe (mise encore récemment en échec sur le marché de la télématique par l'alliance entre la multinationale d'origine hollandaise Philips et le géant des télécommunications américain American Telegraph & Telephone (ATT)) est une autre élément qui vient compliquer les scénarios de réindustrialisation qui tentent d'articuler indépendance nationale et émancipation des pays pauvres. Car, l'alternative industrielle européenne est lente à surgir.

BIBLIOGRAPHIE

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S. Karoui, L'AMÉRIQUE, L'EUROPE ET LES AUTRES, À LA RECHERCHE DE L'INFORMATIQUE, Les clés du monde, Paris, 1981.

2- LES DOSSIERS

Négocions le virage technologique

L'électronique pour se sortir de la crise

L'impact sur l'emploi

L'enseignement, pivot du « virage »

Un isolement accru?

La démocratie électronique

Démocratiser les choix technologiques

par l'ICEA

L'ordinateur sauvera-t-il le monde du chaos, comme certains le prétendent? Les changements technologiques vont-ils contribuer à amoindrir le contrôle social, les injustices, les inégalités et les troubles personnels? Notre vie quotidienne et privée, repensée et réorganisée par les nouvelles technologies, le sera-t-elle en fonction de nos désirs et de nos besoins? Le travail salarié sera-t-il davantage libérateur? Le travail non salarié sera-t-il plus respecté et reconnu à sa juste valeur? Le temps libre qu'on nous propose, sera-t-il autre chose que du chômage et du bien-être social camouflés? Les nouvelles technologies permettront-elles une plus grande démocratie? En un mot, aurons-nous une vie meilleure?

Avant de répondre un oui inconditionnel, il nous semble qu'il faille adopter, face aux nouvelles technologies, une attitude plus responsable. Il faut nous questionner sur la nature de ces changements, leurs causes, leurs applications, et cela, pour tenter de prévoir les conséquences sur nos vies.

Alors qu'en d'autres pays, on questionne de plus en plus les choix technologiques, le débat, ici, est à peine amorcé. Qui plus est: on traite presque invariablement de retardataires celles et ceux qui s'interrogent sur les impacts éventuels de la nouvelle technologie.

Si les choix technologiques impliquent à ce point toute la société, n'est-il pas urgent qu'ils sortent des officines de l'État et des producteurs? C'est pour créer cette place, ce lieu de débat, que nous organisons ce colloque sur les enjeux sociaux de la télématique.

TOUT EN MÊME TEMPS, PARTOUT À LA FOIS

Qu'y a-t-il de nouveau dans cette technologie qui puisse susciter à ce point les plus grands espoirs?

La grande nouveauté des micro-ordinateurs, c'est que leurs applications touchent non seulement notre travail au bureau, à l'usine ou à domicile, mais tout ce qui compose la trame de notre vie quotidienne: les loisirs, la culture, la santé, la justice, l'éducation, etc., etc. L'ordinateur met en cause toutes les facettes de notre vie, et c'est là la grande nouveauté de ce qu'on appelle la révolution télématique: elle touche tout, tout en même temps, partout à la fois.

Voilà un fait nouveau: parallèlement à la nature et à l'étendue des applications de la micro-électronique, c'est la rapidité et l'ubiquité du phénomène qui sont à signaler; alors que la révolution industrielle avait mis 150 ans à s'implanter, cette révolution microélectronique en mettra tout au plus 20... en imprégnant à peu près tout.

Quel « miracle » technique a permis cette sorte d'accélération de l'histoire? C'est, en gros, la réduction extrême de la taille et aussi des prix des ordinateurs, parallèlement à l'accroissement sans précédent de leur capacité d'effectuer des opérations complexes. La Seconde Guerre mondiale et la course aux armements donnèrent le coup d'envoi. L'invention subséquente des microprocesseurs, les puces, ou nouveaux « cerveaux » des ordinateurs, permet maintenant de traiter les informations au milliardième de seconde.13

APRÈS LES BRAS, LES CERVEAUX

Comme certains l'ont dit, on tend à s'approcher de la densité de connexion du cerveau humain, de sa capacité d'effectuer des opérations d'une grande complexité, tout en élargissant presque à l'infini sa rapidité et sa capacité de mémoire. C'est aussi dire, comme d'autres l'ont fait remarquer, que la machine qui avait déjà remplacé les bras, s'apprête maintenant à remplacer les cerveaux, voire les humains eux-mêmes.

De plus, l'interconnexion des ordinateurs à des technologies déjà connues, comme la télévision, le téléphone, le câble, les satellites, permet l'accès à distance d'une foule d'informations contenues dans les fabuleuses mémoires des ordinateurs, des banques de données, ces nouvelles bibliothèques, ces fichiers ou registres modernes.

La révolution micro-électronique, ce sont les calculatrices de poche, les jeux électroniques. Mais elle s'étend à des domaines aussi divers que: le calcul scientifique et technique, la gestion financière et administrative des entreprises et des institutions publiques, le contrôle et la planification des opérations militaires, la conception et le dessin techniques, la création et le dessin artistiques, la médecine, la musique...

A l'usine, la machine-outil à commande numérique et les divers robots constituent d'autres applications de la microélectronique. L'école est aussi touchée par cette révolution, et même la maison, notre dernier retranchement. Au domicile, on pourra, nous dit-on, travailler, étudier, magasiner, effectuer des transactions bancaires, réserver des billets de spectacles et tout cela, sans passer par l'intermédiaire des personnes; l'échange se fait entre l'utilisatrice ou l'utilisateur et l'appareil.

On le voit, il est extrêmement difficile de ne parler que des « possibilités » techniques et des promesses que cette révolution technologique comporte, tellement elle bouleversera nos habitudes de vie et de travail. Et c'est pour cela qu'il faut l'envisager d'un point de vue beaucoup plus large. Par exemple, à quels besoins, à quels intérêts correspond cette nouvelle révolution technologique? Voilà une question de toute première importance à se poser si on veut en arriver à déceler les enjeux et les impacts qu'auront ces changements sur chacune de nos vies.

L'ÉLECTRONIQUE POUR SE SORTIR DE LA CRISE

Née dans la foulée de la course aux armements et de la guerre technologique entre les grandes puissances, la stratégie industrielle actuelle, appelée aussi la « filière électronique », découle de la même logique que celle qui présida à la révolution industrielle du XIXe siècle: efficacité technique, performances accrues des machines. Il s'agit toujours, aujourd'hui comme hier, de restructurer l'entreprise pour la rendre plus efficace à des moments de crise économique: la réorganisation du travail qu'impliquent les nouvelles machines, permet de rehausser la productivité et les taux de profit, relançant ainsi l'économie dans une nouvelle ère de croissance.

L'implantation de la micro-électronique dans les bureaux, les banques, et les divers services n'a pas d'autres buts. Comme ce fut le cas au cours de la révolution industrielle précédente, des machines tendront de plus en plus à remplacer les personnes. La « filière électronique » n'a rien à voir avec les romans d'espionnage: c'est une stratégie industrielle pour « sortir » de la crise.

Cette révolution technologique répond donc à des besoins très précis, ceux de profits nouveaux à trouver, de marchés mondiaux à conquérir. Alors que l'argent manque pour tout, les sources de capitaux engagés dans la filière électronique semblent intarissables.

Quelques chiffres seulement pour constater le taux de croissance extrêmement rapide de ces industries électroniques et informatiques.

Le marché mondial des semi-conducteurs (l'industrie des micro-plaquettes) double tous les cinq ans. Des 14 milliards de dollars qu'il représente en ce moment, il atteindra 50 milliards de dollars en 1990. L'industrie de l'électronique, basée sur les nouvelles technologies, atteindra, quant à elle, vraisemblablement 700 milliards de dollars en 1990. C'est un marché qui sera dominé par les Américains et les Japonais14. On dit, à ce sujet, que le rythme de progression de l'industrie mondiale, (pays de l'OCDE) sera, au cours des années quatre-vingt, de 40 % supérieur à celui de l'industrie manufacturière.15

L'industrie du logiciel maintenant (les programmes d'ordinateur préfabriqués, les banques de données, etc.(: on prévoit, à l'échelle mondiale, que cette industrie devrait se chiffrer à plus de 100 milliards de dollars vers la fin de la présente décennie16. Au Canada, les revenus provenant de la vente de logiciels atteindront 2,2 milliards de dollars en 1990, comparativement à 253 millions de dollars en 1980.

Et le Québec dans tout cela? « L'industrie électronique représente 2 % de l'activité manufacturière totale du Québec ». Elle est dominée par quelques grandes firmes canadiennes et étrangères. De plus, elle est très peu diversifiée: elle se concentre dans le secteur des équipements de télécommunication et, depuis peu, dans les équipements de bureau17.

Avant de se lancer la tête la première dans le « virage technologique » et d'y investir des sommes astronomiques, alors qu'on manque à peu près de tout et que les services à la population se voient de jour en jour coupés, le gouvernement du Québec se doit d'adopter une attitude plus responsable.

Ce gouvernement dit un jour qu'il mettra ses efforts dans le développement de la bureautique, le lendemain qu'il investira dans la bio-technologie, et la semaine suivante qu'il dotera chaque école de deux micro-ordinateurs...

Pour nous, ce virage technologique est trop important pour le laisser entre les mains des marchands, vendeurs, experts ou politiciens. Avant d'amorcer le « virage », les choix technologiques doivent être largement débattus. Et ce débat passe obligatoirement par l'analyse des impacts qu'aura cette révolution technologique: impacts sur l'emploi, sur l'enseignement et le recyclage, sur la vie privée, sur les inégalités sociales et sur la démocratie même.

L'IMPACT SUR L'EMPLOI

L'impact de la micro-électronique sur l'emploi est au centre du débat sur les nouvelles technologies. L'analyse de ses effets positifs ou négatifs varie selon le point de vue où l'on se place et aussi selon la situation économique générale de chaque pays.

Du côté patronal et gouvernemental, on met généralement l'accent sur la création de nouveaux emplois et de nouvelles compétences. On insiste sur la nécessité d'effectuer rapidement le virage technologique afin de demeurer compétitif sur le marché international. Selon cette logique, le retard en ce domaine pourrait provoquer à moyen terme plus de chômage que la technologie micro-électronique pourrait en créer, puisque l'économie nationale dans son ensemble péricliterait.

Dans les pays industrialisés, à l'exception probablement du Japon, les syndicats s'appliquent, au contraire, à démontrer l'ampleur prévisible des pertes d'emplois occasionnées par l'introduction rapide et massive des nouvelles technologies.

C'est en Angleterre que le problème du chômage technologique se pose avec le plus d'acuité. Une étude réalisée par un syndicat des Trade Union Congress prévoit qu'en 1985, le taux de chômage dans ce pays sera de l'ordre de 15 % et grimpera même à 29 % en 1990. En Europe, les pertes d'emplois liées à la micro-électronique se produisent surtout dans le secteur de la production. A moyen terme, cependant, on prévoit que le secteur tertiaire, principalement, sera affecté.

Aux États-Unis et au Canada, les effets négatifs de l'informatisation du secteur tertiaire se posent de façon encore plus dramatique, puisque deux personnes sur trois travaillent dans ce domaine. Au Québec, 74 % des travailleuses et travailleurs de ce secteur sont des femmes. Il n'est donc pas étonnant de constater qu'au Canada, ce sont surtout les femmes qui se sont mobilisées autour de cet enjeu.

La productivité du secteur tertiaire, qui a connu une croissance d'effectifs très rapide, est demeurée très basse, comparativement à celle de l'industrie. L'informatisation gagnera donc très rapidement le tertiaire; on prévoit même des gains de productivité de l'ordre de 50 %. Si on tient compte de la réduction des budgets de l'État dans le domaine des services publics, il devient alors très difficile, surtout pour les femmes, d'avoir une vision optimiste des changements technologiques.

Durant les années cinquante et soixante, le chômage engendré par l'automatisation a été absorbé par le développement spectaculaire du secteur tertiaire; maintenant, qu'elles pourront être les solutions de rechange? On peut donc craindre, dans ces conditions, que les hommes politiques soient tentés de mettre en oeuvre un mouvement de retour des femmes à la maison, comme solution de facilité au chômage technologique. Déjà, dans le secteur tertiaire, on camoufle le chômage en transformant les postes permanents, occupés principalement par des femmes, en postes à temps partiel.

Malgré ces perspectives des plus inquiétantes, aucun syndicat au monde, à notre connaissance, ne s'est opposé globalement au processus d'informatisation, compte tenu du contexte déterminant de la concurrence internationale pour l'avenir économique de chaque pays. Les syndicats revendiquent plutôt le pouvoir de négocier l'introduction des changements technologiques, de la prise de décision jusqu'au choix des appareils.

LA NATURE DU TRAVAIL TRANSFORMEE

L'informatique n'a pas comme seule conséquence d'affecter le volume de l'emploi, mais aussi celui de transformer la nature même du travail. Pour beaucoup d'analystes, il s'agit là de l'impact le plus important.

Les nouvelles technologies de l'information se présentent d'abord et surtout comme un prolongement, ou un complément, du cerveau humain. C'est dire que les tâches liées à l'information, que ce soit dans les salles de rédaction, au bureau ou dans l'enseignement, subiront des modifications importantes. De même, la micro-électronique et la robotique accéléreront considérablement l'automatisation du travail de production dans la grande industrie (voir le texte de Charles Halary « Fautil des robots industriels au Québec? »). On nous parle surtout, en ce moment, des nouveaux emplois très qualifiés qu'exigeront les nouvelles technologies: ingénieurs, analystes, programmeurs, informaticiens, électroniciens, etc. et on nous porte à croire que la microtechnologie accroîtra la qualification et, par voie de conséquence, la qualité du travail.

Des études18 sur la réorganisation du travail provoquée par la révolution informatique démontrent qu'il n'en va pas ainsi. Dans le secteur tertiaire, par exemple, on observe que l'informatique a tendance à diviser le travail en deux types de tâches très distinctes: celles qui relèvent de la conception (un petit nombre) et celles qui relèvent de l'exécution (la majorité). Dans ce dernier cas, la vitesse de frappe et d'exécution devient la seule qualité requise, puisque la machine à traitement de textes fait le reste: classement, mise en page, corrections de l'orthographe et des erreurs.

Dans le secteur secondaire, les machines-outils à commande numérique et les robots feront disparaître des métiers véritables, tels ceux de soudeur, peintre, tailleur, etc. Ces gens de métier deviendront, pour la plupart, de simples surveillants ou ouvriers d'entretien.

Des paradoxes sont toutefois à noter. Dans l'industrie par exemple, on dit que la robotique élimine les tâches dangereuses et insalubres; par contre, dans les bureaux, le travail devant un écran comporte des risques très sérieux pour la santé.

Enfin, l'élimination des tâches répétitives et ennuyeuses qu'on nous promet pourrait être considérée comme un effet positif important, si le résultat n'était pas en même temps l'élimination de milliers de personnes du marché du travail et la naissance d'autres tâches encore plus répétitives et ennuyeuses.

L'ENSEIGNEMENT, PIVOT DU « VIRAGE »

La transformation des emplois et le développement de nouvelles disciplines provoqueront des mutations tout aussi majeures dans le système d'enseignement. Les adultes, actuellement en emploi, doivent, ou se recycler pour apprendre à travailler avec de nouvelles machines, ou carrément apprendre un nouveau métier. Les personnes peu qualifiées, déplacées par ces changements, pourront cependant difficilement accéder aux programmes de recyclage plus avancés qu'exigent les nouveaux emplois.

Le réseau public d'éducation des adultes n'est pas du tout en mesure, actuellement, de répondre à ces besoins. Les programmes de formation professionnelle sont pratiquement tous à réviser, alors que les programmes touchant les nouvelles disciplines sont carrément à développer. Quant aux étudiantes et étudiants, ils ne savent plus où donner de la tête. Les choix sont difficiles: s'orienter vers les disciplines techniques, pour avoir plus de chances de se trouver du travail, même si le goût fait défaut, ou bien choisir selon ses goûts et ses aptitudes et espérer que la chance sourira...

Le système d'enseignement constitue donc un pivot très important de la mise en oeuvre du « virage technologique ». Faute d'industries électroniques au Québec, on devra miser sur les ressources humaines et les cerveaux pour développer notamment le marché du logiciel et des contenus. Mais encore une fois, on risque, dans cette aventure, de mettre sur le dos des enseignantes et enseignants une grande partie de la responsabilité de l'adaptation de notre société à ces changements.

Les enseignantes et enseignants, en effet, devront apprendre l'informatique en même temps qu'il leur faudra enseigner; ils devront aussi apprendre à utiliser l'ordinateur comme outil d'enseignement. On peut se demander comment ils pourront assumer ce défi, dans le contexte actuel, où leur tâche est considérablement augmentée et les budgets en éducation réduits à l'essentiel.

QUELLE SORTE DE TEMPS LIBRE?

Le recyclage peut permettre aux individus de garder leur emploi, cependant qu'il ne solutionne en rien le problème général de la diminution des emplois dans une société largement informatisée. Même si on parvient à éviter des mises à pied, on ne pourra certainement pas assister à une augmentation notable de l'embauche. Les femmes, qui devraient accaparer 65 % de la croissance de la main-d'oeuyre dans les années quatre-vingt, de même que les jeunes, continueront d'attendre encore longtemps avant de trouver un emploi rémunéré.

Pour permettre à davantage de personnes de travailler dans une société informatisée, il faudra sûrement réduire de façon notable le temps de travail, tout en maintenant un niveau de revenu compatible avec le coût de la vie. L'accroissement de la productivité pourra ainsi bénéficier à l'ensemble de la population.

Ce phénomène, toutefois, risque de bouleverser de façon considérable nos habitudes et notre façon de vivre. Le travail salarié ne sera peut-être plus, comme il l'est maintenant, au centre de notre existence. Le temps libéré pourrait nous permettre de nous exprimer sous d'autres formes, de cultiver de nouveaux talents, de nous adonner à des activités de groupe, des activités manuelles ou intellectuelles, selon nos goûts personnels. Bref, nous pourrions consommer moins et créer davantage.

Est-ce qu'on nous laissera la possibilité d'organiser nous-mêmes ou en groupe ce temps libre? Le danger d'isolement des individus dans une société informatisée, le contrôle électronique de nos vies privées, le développement de l'industrialisation des loisirs, sont autant d'indices qui nous portent à croire qu'on est peut-être en train de nous organiser...

La prolifération actuelle des équipements de loisirs, ordinateurs, jeux vidéo, télé payante, vidéo-cassettes et les services vidéotex d'information à domicile, sont autant de moyens d'occuper nos loisirs. Pour que la réduction du temps de travail débouche sur une véritable libération de l'énergie créatrice des individus, il nous faudra apprendre à maîtriser les nouveaux outils informatiques; sinon, ils pourront engendrer de nouvelles dépendances.

Il est à noter, à ce sujet, que l'offre de ces nouveaux services précède de beaucoup la demande sociale. Pour susciter ces besoins, on nous dit que, dans ce monde de plus en plus complexe, la capacité d'action sera directement proportionnelle au niveau de connaissance et d'information des individus. L'ordinateur, qui donnera accès à une quantité presque illimitée d'informations, se présente comme l'instrument indispensable de la réussite sociale. Mais encore là, les chances ne seront probablement pas égales pour tout le monde.

TRAVAILLER CHEZ SOI

L'utilisation généralisée des nouvelles techniques combinées de l'informatique et des télécommunications, au bureau comme à la maison, aura sans doute des effets importants sur les possibilités de développement des individus et sur la liberté des personnes, tout autant que sur les formes de participation à la vie collective.

Parmi les conséquences prévisibles ou appréhendées, certaines réjouissent et stimulent, d'autres posent questions et inquiètent. Dans le domaine du travail, par exemple, les nouvelles techniques font miroiter des possibilités plus grandes de travail à domicile. Les travailleuses et travailleurs salariés qui auraient cette chance pourraient ainsi aménager leur temps de travail à leur convenance. Fini le neuf à cinq uniforme pour tout le monde. Finis les longs déplacements matin et soir vers les centres-villes congestionnés. Et, pour plusieurs, le travail s'effectuerait dans un environnement plus agréable et plus personnalisé. Sous cet aspect, les nouvelles technologies représenteraient un gain en terme de contrôle sur le processus de travail.

Mais ne risque-t-on pas de se retrouver terriblement seul dans ce paradis intimiste? Des traductrices et traducteurs à qui cette possibilité du travail à domicile est d'ores et déjà offerte, disent regretter ces occasions de contact et d'échange que constituaient les pauses-café et l'heure du dîner. Selon les résultats préliminaires d'une enquête*, des employés du secteur public travaillant à domicile retournent parfois au bureau pour « voir du monde ».

L'éclatement du milieu de travail et l'isolement consécutif des travailleuses et travailleurs a pour conséquence la disparition des rencontres spontanées où chacun peut faire part de ses difficultés, discuter des problèmes rencontrés, où le sentiment d'appartenance à un groupe de travail et la solidarité peuvent se développer. Se retrouvant seul, chacune ou chacun peut croire que sa situation personnelle lui est tout à fait particulière. Faute d'occasion pour se constituer et se développer, la conscience commune des travailleuses et travailleurs exerçant un même métier risque de se détériorer rapidement. Quelles en seront les conséquences sur la syndicalisation?

UN ISOLEMENT ACCRU?

Ajoutons que le travail à domicile pose un problème encore plus aigu aux femmes qui seront touchées par l'avènement de ces nouvelles technologies. Après avoir fait tant d'efforts pour « sortir de la maison », où elles n'étaient que trop cantonnées, elles y seront retournées. Et quels seront les effets sur la vie de couple, sur les rapports affectifs?

Le travail à domicile ne se généralisera pas, loin de là. Mais la question de l'isolement se posera pour celles et ceux qui travailleront dans un environnement de bureautique et de robotique. Les problèmes d'ennui de techniciens hautement qualifiés ayant à surveiller des machines sophistiquées ont déjà été soulignés par plusieurs sociologues du travail. Les contacts entre collègues et avec la clientèle risquent de diminuer considérablement dans les nouveaux services télématisés, comme dans les banques, les services d'information gouvernementaux, etc.

Cet isolement de la travailleuse et du travailleur, des simples citoyennes et citoyens, a pour corollaire la concentration grandissante du capital.

Dans le domaine des communications, on a déjà assisté à la concentration de la presse écrite et à celle des médias électroniques. Elle se poursuit à grands pas dans le domaine de l'informatique et des communications. Aux États-Unis, des consortiums se constituent avec des intérêts dans l'édition, la câblodistribution, les satellites, la fabrication de hardware et de software. Le groupe Time Inc. est propriétaire de la deuxième plus grande compagnie de câblodistribution. Cox, Warner, mais aussi le New-York Times et le Times Mirror ont des intérêts importants dans la télédistribution. Cette concentration de la propriété est aussi importante en ce qui concerne les banques de données (voir le texte de Claude Martin « Télématique et mass-médias: les noces d'argent »).

LE CONTRÔLE DES INDIVIDUS

Inquiétude quant aux effets de l'isolement. Inquiétude face aux nouvelles possibilités de contrôle aussi. Plusieurs pays se sont dotés de législations pour protéger la vie privée, plus ou moins sévères, appliquées de manière plus ou moins stricte. On reste sceptique, cependant, sur les possibilités de contrôler les utilisations des gigantesques banques d'informations mises en place par la police, l'armée, les différents ministères, mais aussi par l'entreprise privée. L'individu se sent désarmé, impuissant.

Au Québec, la loi sur l'accès à l'information et sur la protection de la vie privée s'applique aux banques de données de l'administration gouvernementale. Les banques privées échappent à son emprise. Qu'y a-t-il comme information dans ces banques privées? Comment les consommatrices et consommateurs peuvent-ils s'en protéger? Ces inquiétudes ne sont pas vaines quand on songe, par exemple, à la liste noire des locataires dont l'existence nous a été révélée dernièrement.

Contrôle de la vie privée, mais contrôle du travail aussi. Les nouvelles technologies rendront désuets certains postes de supervision. On sera sans doute heureux de ne plus sentir qu'on a toujours quelqu'un derrière son dos. Mais l'informatique recèle des possibilités plus grandes et plus subtiles de contrôle de la performance. On peut facilement mesurer le nombre de touches frappées à la minute ou à l'heure et ce, à l'insu de la personne concernée. On peut aussi mesurer le pourcentage d'erreurs, etc.

UN INSTRUMENT D'APPRENTISSAGE

Il y a aussi un revers de la médaille, plus intéressant, plus stimulant. Si l'informatique permet le retour à un nouveau taylorisme, elle offre aussi à certains utilisateurs et utilisatrices la possibilité de contrôler eux-mêmes leur processus d'apprentissage ou de travail, de se l'approprier davantage. Dans le domaine de l'éducation par exemple, l'ordinateur peut devenir un puissant instrument d'apprentissage. L'enseignement assisté par ordinateur offre une gamme étendue d'applications. On peut s'en servir pour faire mémoriser ou réviser des connaissances, par un simple processus de questions-réponses. Le programme peut être conçu pour s'adapter au niveau d'apprentissage de l'élève. On a beaucoup parlé de la grande patience de l'ordinateur, qui ne se met jamais en colère malgré les erreurs répétées de l'élève.

On peut aussi se servir de l'ordinateur d'une manière plus complexe pour faire de la simulation, par exemple. On connaît son grand succès dans l'entraînement des pilotes d'avion. On peut également simuler des phénomènes physiques, biologiques, astronomiques... Mais les plus grands effets de l'utilisation de l'ordinateur en éducation viendront sans doute de la généralisation de l'apprentissage de la programmation. Certains langages sont spécialement conçus pour permettre à l'enfant « de faire des choses » et, ce faisant, d'extérioriser sa pensée.

L'interaction avec la machine lui permet de découvrir progressivement ses « bugs », ses défauts de raisonnement ou d'instruction.

La diffusion en constante expansion de logiciels et de didacticiels les plus divers, ainsi que le couplage de l'ordinateur aux réseaux de communication favoriseront sans doute une plus grande accessibilité au savoir. Les connaissances actuellement concentrées dans les grandes universités et les grands centres de recherche pourront être accessibles un peu partout. Les régions éloignées, qui ne disposent pas de la richesse culturelle des grandes villes, pourront en bénéficier davantage.

Cette accessibilité, toutefois, entraînera peut-être une plus grande uniformisation des contenus d'apprentissage. Le marché de l'informatique, c'est bien connu, est dominé largement par les Américains et les Japonais. Les Québécois sauront-ils et pourront-ils y occuper une place leur permettant d'exprimer leur originalité culturelle?

LA DÉMOCRATIE ÉLECTRONIQUE

Le développement de la télématique pose également des questions quant à ses effets sur la vie démocratique. Certains prophètes nous annoncent pour bientôt la démocratie électronique.

Chaque famille, disposant d'un terminal branché sur le câble ou le réseau téléphonique pourra être consultée à tout moment sur les sujets les plus divers. On posera la question à la télé et chacune et chacun pourra donner son avis instantanément en appuyant sur telle ou telle touche de son clavier. Les résultats seront compilés par un ordinateur central et seront disponibles quelques minutes plus tard.

Les problèmes juridiques sont trop nombreux pour qu'on puisse ainsi voter dans un avenir prochain. Mais la multiplication éventuelle des sondages ne fait guère de doute. Quand on sait l'usage considérable qu'en font déjà nos gouvernants et l'entreprise privée, il y a de quoi s'inquiéter...

On présente par contre comme un progrès ces possibilités plus larges de consultation de la population. C'est réduire un peu vite la démocratie à l'expression du vote. Comment se constituera l'opinionpublique dans ce contexte télématique? Y aura-t-il discussion publique? Sans discussion, sans confrontation, l'opinion publique se résumera encore davantage en une collection d'opinions individuelles. Les différents groupes sociaux auront-ils encore un rôle dans le processus de formation de l'opinion publique?

On peut craindre un amoindrissement du rôle médiateur des groupes d'appartenance et d'intérêt entre les individus et l'État, d'un côté, un État centralisé et bureaucratisé, de l'autre une masse d'individus isolés n'exprimant que des points de vue personnels, ne réussissant que difficilement à articuler un point de vue collectif.

Scénario pessimiste et caricatural sans doute. Les groupes sociaux ne disparaîtront pas; mais les tendances jouent dans le sens de la neutralisation de leur importance politique. Auront-ils, par exemple, le droit et les moyens d'alimenter, au même titre que l'État et la grande entreprise, les banques de données disponibles aux citoyennes et citoyens?

L'accès aux banques de données permettrait théoriquement aux citoyennes et citoyens d'être mieux informés. La proposition n'est juste que dans la mesure où toutes et tous y auraient un accès égal, disposant des mêmes capacités de traitement. Or, on sait bien que les grandes corporations et l'État disposent de ressources démesurées par rapport à celles des simples citoyennes et citoyens. Ce n'est pas tout d'avoir accès à une bibliothèque bien fournie. Encore faut-il savoir comment y trouver ce qu'on cherche, avoir le temps pour le faire et... pouvoir payer la facture.

L'INFORMATION, UN BIEN COUTEUX

L'information, en effet, en devenant un bien de plus en plus précieux, coûtera de plus en plus cher. En ce moment, on mystifie la population en ne parlant que de la baisse fabuleuse des coûts, sans mentionner le coût élevé que représentera l'usage des appareils. L'abonnement aux services vidéotex risque de coûter encore plus cher que la télé payante; de plus, on devra payer à la pièce chaque demande d'information scientifique. Enfin, peu nombreux seront les individus qui disposeront d'assez d'argent pour s'abonner à plusieurs banques de données documentaires.

Le système de vidéotex canadien Télidon, qui a été développé essentiellement à partir des fonds publics profitera à une minorité déjà favorisée au plan de l'information et du savoir (voir le texte de Claude Martin « TÉLÉMATIQUE ET MASS-MÉDIAS: LES NOCES D'ARGENT ». Le fait que les investissements publics profitent ainsi à une minorité pose un problème d'équité assez sérieux. Cette politique s'inscrit dans le mouvement actuel de remise en question des services publics. L'accès à des services essentiels d'information et à une éducation de qualité dépendra de plus en plus de la capacité de payer des gens.

La fragmentation des publics épousera donc la séparation des classes sociales; l'information connaissance réservée aux gens aisés et l'information de nature commerciale pour le peuple. Ainsi l'écart risque de s'accentuer entre celles et ceux qui auront la possibilité d'utiliser ces outils pour accroître leur capacité d'agir, tandis que les autres ne devront compter que sur eux-mêmes. Le problème se pose d'ailleurs exactement dans les mêmes termes au niveau des relations entre les pays.

LE FOSSÉ NORD-SUD

Très peu de pays sont actuellement dans la course au plan de l'informatisation. Cette industrie est dominée par deux pays: les États-Unis et le Japon. En 1980, les firmes américaines contrôlaient 86 % du marché informatique mondial19. Au Canada, «72 % des firmes électroniques les plus importantes sont complètement en mains étrangères ».20

Cette domination américaine ne se limite pas au matériel (hardware) seulement, elle s'étend aussi au contenu (logiciel, software) . La très grande majorité des banques de données documentaires accessibles au Québec sont américaines. Les Américains ont probablement compilé plus d'informations sur notre économie que n'en contiennent tous nos bureaux statistiques rassemblés. La constitution de banques de données coûte très cher, et il est souvent plus simple d'utiliser celles qui sont déjà montées. Le contrôle de ces extraordinaires outils de pouvoir que sont les banques de données renforcera l'hégémonie mondiale des grandes puissances.

Si la majorité des pays développés ont du mal à amorcer le virage technologique, on peut facilement imaginer la situation à laquelle font face la majorité des pays du Tiers-Monde. Ils seront probablement écartés à tout jamais de la course et condamnés à dépendre de plus en plus des pays industrialisés.

La situation économique de ces pays risque de se détériorer davantage puisqu'il deviendra de moins en moins rentable, compte tenu de la hausse de la productivité, d'installer des industries dans ces pays. On assistera vraisemblablement à un retour des filiales des multinationales vers les pays industrialisés, accentuant ainsi le fossé NordSud.

DÉMOCRATISER LES CHOIX TECHNOLOGIQUES

Laissées aux seuls jeux économiques de la concurrence et du profit, l'informatique et la télématique risquent de devenir davantage des outils de domination que de libération. L'émerveillement face à la technique commence de plus en plus à céder la place à l'inquiétude face à la manière dont ces changements s'introduisent en ce moment au Québec et au Canada. Sans débat, sans politique cohérente, les ordinateurs nous envahiront et modifieront les règles du jeu.

La révolution micro-électronique provoquera des bouleversements sans nombre dans l'ensemble de l'organisation sociale; mais, jusqu'à maintenant, les autorités ne s'attardent pas aux conséquences et ne prennent pas le temps d'impliquer les citoyennes et citoyens dans l'élaboration d'une politique de développement.

Le gouvernement du Québec vient de refuser de négocier, avec les travailleuses et travailleurs des secteurs public et parapublic, l'introduction des changements technologiques. Si cette technologie est aussi prometteuse qu'on nous le laisse entendre, il faut se demander pourquoi on refuse aux usagères et usagers le droit d'être consultés et d'intervenir dans l'élaboration et la mise en oeuvre des choix technologiques...

L'appel à la concertation que lance toujours ce gouvernement est déjà commencé: le rapport «BÂTIR L'AVENIR» nous donne d'ailleurs un bon indice du genre de concertation et du genre de milieux qu'il entend consulter pour bâtir l'avenir du Québec: ce sont des industriels, des fonctionnaires et des universitaires. Nulle trace des syndicats, des groupes de femmes, des usagères et usagers des nouvelles technologies...

La concertation, la consultation dont parle ce gouvernement suivra probablement ce scénario: on nous consultera au moment où tout sera décidé, au moment où il faudra « vendre » la bureautique et les autres choix technologiques à tout le monde.

L'expérience nous démontre que si ces choix technologiques se font sans nous, il y a peu de chances qu'ils puissent correspondre à nos intérêts. La démocratisation des choix technologiques constitue la condition essentielle d'une plus grande démocratisation de l'avoir, du savoir et du pouvoir.

L'avenir de notre société dépendra, non pas de notre capacité à nous adapter à des changements imposés par d'autres, mais de notre pouvoir collectif de les maîtriser. Susciter un large débat public, réfléchir, analyser les conséquences sociales des mutations technologiques, interroger les choix politiques, proposer des solutions de rechange, c'est là le défi qu'il nous faut d'urgence assumer.

Ont collaboré à la rédaction de ce texte: Gaétan Tremblay, Lina Trudel et Louise Toupin.

L'ordinateur à I'école: un choix de société

Des choix qui engagent notre avenir

Bref regard sur les expériences à l'extérieur du Québec

Le développement de l'informatique dans les écoles du Québec

Les grandes questions posées par la microtechnologie en milieu éducatif

L'enseignement de l'informatique

L'informatique, outil d'enseignement

Pistes de travail

par la CEQ, la FNEEQ, l'ICEA

Ont collaboré à préparer ce dossier: Christiane Fabiani, journaliste; Lorraine Gratton (FNEEQ); Pierre Carrier (FNEEQ); Jocelyn Berthelot (CEQ); Lina Trudel (ICEA).

INTRODUCTION

DES CHOIX QUI ENGAGENT NOTRE AVENIR

Séminaire après colloque, émission après émission, rares sont les semaines, pour ne pas dire les jours (si l'on compte les articles dans les quotidiens) où l'on ne parle pas de télématique et plus précisément de l'utilisation de l'ordinateur en éducation.

L'article du journaliste Jean Blouin « L'ordinateur à l'école » paru en décembre dans la revue ACTUALITÉ qui révélait le retard considérable du Québec dans le domaine de l'utilisation de l'ordinateur en enseignement a eu l'effet d'une véritable bombe. Le ministre de la Science et de la Technologie, M. Gilbert Paquet, s'est empressé d'annoncer par la suite la décision du gouvernement d'investir en 5 ans, 150 millions de dollars pour doter les écoles du Québec de micro-ordinateurs. Depuis, on assiste à une véritable réaction en chaîne dans les milieux concernés. Les uns se préoccupent de savoir comment ces appareils seront utilisés et quels contenus pourront être enseignés, étant donné l'absence de didacticiels* québécois et de programmes adaptés d'enseignement et d'initiation à l'informatique. D'autres se préoccupent du manque de préparation des enseignantes et enseignants et de l'absence de consultation de ceux-ci dans l'élaboration des politiques. Dans le domaine de la formation professionnelle, l'inquiétude grandit au fur et à mesure que l'informatique s'introduit dans les milieux de travail. On se rend compte que les qualifications sont de plus en plus remises en question par les mutations technologiques et par voie de conséquence que les programmes sont de moins en moins adaptés aux nouvelles réalités du travail. Les techniques de secrétariat, de bibliothéconomie, de laboratoire sont particulièrement affectées par ces changements.

Inonder les écoles d'ici 5 ans de micro-ordinateurs ne constitue certainement pas la formule magique qui permettra à notre système d'enseignement de se mettre à l'heure de l'informatique. L'impact de la révolution informatique dans le système d'enseignement déborde de beaucoup le seul enjeu de l'utilisation pédagogique de l'ordinateur, c'est tout le système d'enseignement qui en sera affecté et ce tant au plan du contenu que des méthodes d'enseignement. Dans ce domaine peut-être encore plus que dans tout autre les choix à faire ne sont pas d'abord des choix technologiques mais des choix de société.

En effet, le système d'enseignement constituera le véritable pivot du « virage technologique » puisque à l'école sont dévolus cinq rôles prioritaires dans le cadre du processus d'informatisation de la société en général.

L'étude de l'impact de l'introduction de la microtechnologie dans les écoles est donc complexe puisque l'informatique est à la fois un outil d'enseignement et une matière à enseigner.

Pour l'école publique le défi est de taille car il faut à la fois réviser l'ensemble des programmes de formation professionnelle pour les adapter aux mutations technologiques, initier les jeunes à l'informatique, et apprendre à utiliser l'ordinateur comme outil d'enseignement. La mise en oeuvre de ces projets repose donc sur une préparation adéquate du corps enseignant; malheureusement le gouvernement actuel semble avoir « un peu oublié » les enseignantes et enseignants dans le tableau.

Un effort particulier devrait être consenti pour impliquer les enseignantes et enseignants dans la mise en place de ces changements qui peuvent apparaître à leurs yeux comme une innovation de plus qui risque de leur compliquer encore davantage l'existence. Une certaine résistance aux changements est certainement compréhensible de leur part, puisque depuis 25 ans, ils ont dû s'adapter à une succession ininterrompue de réformes. De plus, ils n'ont pas oublié l'expérience très ratée des techniques audiovisuelles due, entre autres, au manque de préparation des professeurs.

Ce premier document d'analyse sur l'impact de la microtechnologie dans l'enseignement tant au niveau du contenu qu'au niveau de l'aide à l'enseignement se veut un outil pour déclencher le débat particulièrement chez les enseignantes et enseignants et une réflexion sur les alternatives à proposer face aux choix purement techniques et économiques qui nous sont imposés par les gouvernements et les multinationales.

BREF REGARD SUR DES EXPÉRIENCES À L'EXTÉRIEUR DU QUÉBEC

Si l'utilisation de la microtechnologie en enseignement est relativement récente et peu répandue au Québec, d'autres pays l'utilisent déjà depuis plusieurs années.

Chaque pays semble procéder de façon différente et jusqu'à maintenant les diverses expériences n'ont pas encore fait l'objet d'une évaluation très poussée. La France a tenté une implantation générale et planifiée sur tout son territoire, alors qu'aux États-Unis chaque État y est allé de sa propre initiative, comme c'est d'ailleurs le cas dans les provinces canadiennes.

En France

L'expérience a commencé en 1970 par l'équipement en mini-ordinateur de 58 lycées dont l'objectif consistait à initier les jeunes à l'informatique en vue d'une utilisation ultérieure sans être informaticien. Cette expérience a été interrompue 6 ans plus tard et « l'opération 10 000 micros » qui a été mise au point par la suite a tiré profit des acquis de cette expérience.

A partir de « l'opération 10 000 micros », l'enseignement de l'informatique est devenu obligatoire en France au secondaire à partir de la quatrième (qui correspond à notre Secondaire III) à raison de 1 h 30 par semaine ce qui en fait une discipline de base. À notre connaissance, on n'utilise aucun cours magistral programmé mais on se sert de l'ordinateur en EAO (enseignement assisté par ordinateur) en particulier en grammaire, langues et sciences. L'expérience française est intéressante à bien des titres, mais pour le Québec c'est peut-être les moyens mis en place par l'État pour assurer une véritable maîtrise sur l'informatique (une technologie qui parle surtout anglais) qui peut le plus attirer notre attention. Le ministère de l'Éducation nationale a d'abord assuré la formation des professeurs préalablement à toute expérience. Il a mis au point un langage spécial pour l'enseignement de l'informatique (LSE) et créé une bibliothèque de didacticiels. Les syndicats d'enseignantes et d'enseignants français (le SNES et la FEN) sont favorables à l'introduction des ordinateurs à l'école mais exigent que l'éducation nationale garde l'entière maîtrise de la production, du stockage et de la gestion des logiciels et banques de données à fins éducatives.

Le SGEN (Syndicat général de l'Éducation nationale) a pour sa part élaboré une position en plusieurs points. D'abord que l'informatique dans l'enseignement ne se limite pas à l'EAO mais s'ouvre aussi à la modélisation, la simulation et l'accès aux banques de données. Qu'au niveau secondaire, l'informatique ne soit pas une discipline à part, mais une technique à la disposition des autres disciplines. Que les stages de formation ne se limitent pas à une formation technique, mais prévoient une réflexion sur les conséquences des mutations technologiques et de leur rôle dans l'enseignement.

Aux États-Unis

Les États-Unis sont de loin le pays le plus avancé au chapitre de l'enseignement de l'informatique dans les écoles, et de son utilisation comme outil d'enseignement.

L'utilisation de l'ordinateur est plus répandue au secondaire qu'au primaire où il sert cependant à l'enseignement de l'arithmétique, de la grammaire et de la lecture. Déjà en 1976, une recherche publiée par l'Institute for Research révélait que 22 % des écoles secondaires utilisaient l'ordinateur pour les travaux reliés à l'acquisition des connaissances.

Aux États-Unis, ce sont les grandes compagnies en concertation souvent avec les universités qui fabriquent les didacticiels et mettent au point les systèmes d'enseignement et réseaux informatisés (cours, banques de données, etc.) dont les plus connues sont:

En plus d'élaborer les didacticiels, les compagnies proposent aux enseignantes et enseignants des systèmes pour leur permettre de mettre leurs cours sur ordinateur. L'implantation de l'EAO aux USA est tellement générale qu'il existe des colonies de vacances « informatiques », des centres de familiarisation à l'informatique dans les bibliothèques publiques et même des camions-remorques itinérants qui vont d'une école à l'autre et invitent élèves et professeurs à se familiariser avec les microordinateurs.

Contrairement à ce qui se passe en France, aux États-Unis c'est l'industrie privée qui impose sa loi et les contenus en matière d'éducation et d'informatique. Cette situation est peut-être à l'origine de la résistance des enseignantes et enseignants américains vis-à-vis le mouvement d'informatisation de l'école.

Au Canada

L'Ontario est certainement la province canadienne où on utilise le plus largement le micro-ordinateur en éducation: 72 % des écoles en possèdent un. L'objectif du MEO (ministère de l'Education de l'Ontario) est d'en avoir 40 000 d'ici deux ans. Il vient de voter à cette fin un budget de 2 millions de dollars.

Pour assurer une certaine homogénéité dans tout le système d'éducation, le MEO et l'industrie privée ont mis au point un « Castor bionique » (Interface) qui peut s'adapter à n'importe quel type d'ordinateur. La mise en place de cet interface est en train de se faire.

Le ministère de l'Éducation de l'Ontario prépare un nouveau programme-cadre d'initiation à l'informatique. Le cours sera donné en 10e année et portera de manière restreinte sur la programmation et insistera surtout sur les applications de l'informatique et sur l'incidence sociale des ordinateurs. Le cours sur la technologie informatique sera réservé aux niveaux supérieurs.21

Les syndicats d'enseignantes et d'enseignants ont été consultés sur la politique d'implantation et d'utilisation de la microtechnologie en éducation. On semble aussi miser d'abord sur la préparation des enseignantes et enseignants pour assurer le succès de ces expériences.

Cinq autres provinces utilisent aussi assez largement le micro-ordinateur en enseignement. Certaines, comme la ColombieBritannique, se servent de didacticiels américains (entente avec le Minnesota Educationnal Computing Consortium). D'autres (Saskatchewan et Alberta) commencent les cours d'initiation à l'informatique en 10e année alors que le gouvernement du Nouveau-Brunswick (qui possède déjà 500 ordinateurs pour les écoles) vient de débloquer un million de dollars pour l'achat de nouveau matériel.

De ce bref rappel des expériences d'utilisation de l'informatique en éducation réalisées ailleurs, on peut conclure qu'il existe au moins 3 conditions préalables à l'implantation des nouvelles technologies dans l'enseignement:

De plus, on constate qu'en général on s'oriente surtout vers l'utilisation de l'ordinateur en EAO (enseignement assisté par ordinateur) et non pour la transmission de cours magistraux programmés.

LE DÉVELOPPEMENT DE L'INFORMATIQUE DANS LES ÉCOLES AU QUÉBEC

Au Québec, nous sommes très en retard à la fois pour l'utilisation de l'ordinateur comme outil d'enseignement, et pour l'enseignement même de l'informatique. On ne parvient pas à identifier de façon précise le nombre de micro-ordinateurs utilisés actuellement dans les écoles. Il y en aurait entre 400 et 600, répartis pour les 2/3 environ dans les écoles anglophones.

Depuis décembre 1982, nous assistons à une succession de déclarations de la part du ministre de la Science et de la Technologie, M. Gilbert Pâquet, et celui de l'Éducation, M. Camille Laurin. En décembre, on se souvient au moment où M. Pâquet annonçait sa politique pour doter les écoles d'ordinateurs, le recyclage des enseignantes et enseignants ne semblait poser pour lui aucun problème particulier. L'Université du Québec semblait-il était en mesure d'assurer le recyclage. Cette politique était par trop improvisée. Dans le dossier provisoire « L'ordinateur à l'école, un choix de société », préparé pour le colloque populaire de l'ICEA sur les enjeux sociaux de la télématique, nous soulignons l'incohérence d'une telle décision qui, à notre avis, ferait peser sur notre système d'enseignement de graves menaces. Ces critiques ont été reprises de façon unanime par les participantes et participants aux 3 ateliers sur l'éducation et la télématique lors du colloque.

Au gouvernement on s'est aussi rendu compte de l'erreur et encore une fois, histoire de sauver la face, le ministre Laurin, toujours sans consulter les principaux intervenants, dont les enseignantes et enseignants s'est empressé d'annoncer un plan pour encadrer plus globalement « la révolution informatique » en milieu scolaire afin que le Québec parvienne « au sommet de la pointe mondiale » dans ce domaine.

Les points saillants de cette nouvelle politique

Un programme de formation et de recyclage des enseignantes et enseignants a été mis au point. On prévoit rejoindre 3 000 enseignantes et enseignants par année par des stages de 2 jours ou de 35 à 45 heures. Ce recyclage pourrait être assuré par des agents multiplicateurs qui suivront des cours de 200 heures dans des centres spécialisés à Québec et à Montréal. Cette politique de formation des enseignantes et enseignants semble tout à fait précipitée. Les programmes ne sont pas vraiment définis et les objectifs d'ensemble ne sont pas clairement établis.

Est-ce que ce perfectionnement va permettre aux enseignantes et enseignants de maîtriser véritablement ces outils, d'élaborer leurs propres programmes ou bien vont-ils être en mesure uniquement d'utiliser des didacticiels fabriqués de façon industrielle et tout prêts à servir?

Du côté du ministère de l'Éducation, on considère que les grandes orientations sont arrêtées et qu'il reste tout au plus à négocier les modalités d'application avec les principaux intéressés.

Du côté des didacticiels, on a l'intention d'investir 35 millions de dollars pour l'élaboration de didacticiels pédagogiques, dont on compte confier la production à l'entreprise privée. Dans le domaine de la formation professionnelle, la totalité des logiciels proviendront selon cette politique de l'entreprise privée (on achètera des entreprises les logiciels qu'elles utilisent notamment pour la formation de leur personnel).

Pour parvenir à réaliser cet ambitieux programme, il reste beaucoup de chemin à parcourir et d'obstacles à franchir, car la situation actuelle est loin d'être reluisante. Un seul exemple peut nous permettre de mesurer l'ampleur du problème: cette année à l'Université de Montréal, 1 800 étudiantes et étudiants se sont inscrits en informatique mais faute de professeurs, l'Université a été en mesure d'en accepter uniquement 125. Un bref bilan des expériences en cours dans l'ensemble du système scolaire va nous permettre de constater rapidement que le dossier n'est pas beaucoup plus avancé dans l'ensemble du réseau scolaire.

Les expériences en cours au Québec

Au primaire

Le projet réalisé à l'école Père Vimont constitue la seule expérience digne de mention, d'utilisation de l'ordinateur à des fins pédagogiques. D'après son responsable, Denis Courtemanche, les élèves qui avaient obtenu 20 % lors de prétests, ont atteint 80 % en utilisant l'ordinateur pour des tests équivalents.

Au secondaire

Ce sont dans les cours Secondaire IV et V que l'on trouve la principale introduction à l'ordinateur et à la programmation. Ce cours « ILP » est expérimental depuis... 10 ans!

Un nouveau programme d'introduction à l'informatique pour le Secondaire IV et V a été approuvé cette année et sera en vigueur dès septembre prochain (ces cours seront optionnels). Les objectifs généraux de ce programme viseront dans une proportion de 90 % à « construire des algorithmes de programmateurs », « exercer des habiletés de résolution de problèmes » et « programmer ». Environ 10 % des contenus seront consacrés à l'évaluation de la place et du rôle de l'ordinateur dans la société, et au développement « d'attitudes critiques vis-à-vis du traitement automatique de l'information ».22

On trouve aussi beaucoup d'informatique en laboratoire de maths à partir du Secondaire III et si l'on ajoute une vingtaine d'utilisations en activités para-scolaires (jeux) et quelques essais de modules de récupération ou de simulation illustrative on a fait le tour de ce qui est offert aux étudiantes et étudiants.

(A Mille-Iles, un groupe de professeurs a mis sur pied, en collaboration avec la DGME (Direction générale des moyens d'enseignement) un laboratoire de télématique où l'on crée des pages informatiques en utilisant le système Télidon et un Apple II. Il s'agit dans l'ensemble d'apprendre aux élèves non seulement à utiliser le microordinateur en inter-activ (question/réponse) mais aussi à monter leurs propres programmes en apprenant la logique de fonctionnement de l'appareil. Plusieurs petits didacticiels ont été créés dans cette école (didacticiel sur le coeur en biologie) mais leur diffusion est très restreinte (le labo) car même s'il s'agit de télématique, le système n'est pas relié à un grand réseau.

En tout, une centaine d'enseignantes et d'enseignants au primaire et au secondaire sont impliqués dans un type d'enseignement qui touche de près ou de loin à la microtechnologie. Environ un millier d'autres (venant presque tous du secteur mathématiques) ont suivi les cours PERMAMA (Perfectionnement des maîtres en mathématiques), en LOGO (Langage primaire en informatique).

DU COTÉ ANGLOPHONE, l'implantation de la microtechnologie est beaucoup plus avancée. C'est ainsi que dans la région de Montréal, 26 écoles primaires assurent déjà à leurs élèves une introduction au micro-ordinateur avec le langage LOGO et leurs offrent diverses autres activités comme des jeux ou de la simulation.

Au secondaire, un utilise très largement le microordinateur (toujours avec un langage LOGO) en mathématiques et géométrie et pour des exercices en mathématiques et sciences. D'autre part, on offre à tous les étudiantes et étudiants un apprentissage des langages informatiques en Basic, Cobol et Fortran.

Au collégial

Chaque collège possède un mini-ordinateur et quelques micro-ordinateurs, mais la plupart du temps, ils sont surchargés par la gestion du collège (paie, bibliothèque, inventaire, comptabilité) et par la gestion du dossier étudiant (inscriptions, horaires, bulletins, listes de classes).

Dans la part des ressources informatiques réservées à l'enseignement, il existe très peu de cours assistés par ordinateur actuellement, la technique informatique les utilise presque exclusivement.

Cet enseignement a trois grandes orientations:

Les contenus de ces cours sont sujets à une constante adaptation de la part des enseignantes et enseignants qui les dispensent. De nouveaux besoins sont provoqués par la rapide évolution des techniques de traitement de l'informatique d'une part, et l'augmentation du nombre de cours d'informatique dans plusieurs programmes. Par exemple, la révision des programmes de techniques administratives par le « comité ad hoc Gestion informatisée » recommande l'introduction d'un nouveau cours en informatique pour faciliter l'intégration de l'ordinateur dans leur enseignement.

Déjà, dans les départements d'informatique, les problèmes de juridiction sur l'organisation de l'enseignement de la discipline sont nombreux. Les administrateurs, peu sensibles aux besoins en matériels et en logiciels exprimés par les enseignantes et enseignants pour l'atteinte des objectifs pédagogiques de cours, font la sourde oreille aux demandes de budgets parce que trop onéreuses. On parachute souvent à la dernière minute un équipement auquel doivent s'adapter sans formation planifiée les enseignantes et enseignants. Il n'est pas rare d'obtenir un logiciel commandé deux ans auparavant, alors que la session est commencée.

Face à ce constat de situation assez chaotique, on peut se demander dans quelle condition se fera l'introduction de l'ordinateur à tous les niveaux?

À l'université

Toutes les universités au Québec offrent un Bacc et une maîtrise en informatique (sauf Sherbrooke qui n'offre qu'un premier degré) ; l'Université McGill est la seule à octroyer un doctorat en informatique. En éducation permanente, seulement 3 universités (UQAM, Université de Montréal et Concordia) offrent des Certificats en informatique.

Pour le moment, la plupart des expériences ont lieu dans la région de Montréal où se trouve la plus forte concentration de « quincaillerie » informatique et ces expériences rejoignent beaucoup plus de garçons que de filles.

L'éducation des adultes

On assiste actuellement à une explosion de la demande de recyclage en informatique de la part des adultes. Cependant, les structures actuelles d'éducation des adultes sont loin d'être en mesure de répondre à ces besoins. De plus, les cours que l'on trouve en éducation des adultes tant ceux qui correspondent au secondaire que ceux du niveau collégial sont essentiellement des cours de spécialités et des cours de langages informatiques. Voici donc une liste très rapide de ces cours disponibles:

Au niveau secondaire et collégial: système d'entrée des données, opération de terminal, traitement de textes, l'électrotechnique et l'informatique (voir Annexe II pour plus de détails).

Le recyclage des adultes dans un contexte de mutations technologiques constitue un enjeu très important, tant pour les personnes qui y voient un moyen de préserver leur emploi, que pour le développement même de l'économie. Malheureusement, le gouvernement du Québec semble accorder très peu d'importance à cette dimension à l'intérieur de leur politique récente de développement de l'informatique à l'école. Actuellement, c'est le fédéral qui a l'entier contrôle du développement des programmes de formation professionnelle pour les adultes et il entend, semble-t-il, de plus en plus orienter ces programmes exclusivement en fonction des pénuries de main-d'oeuvres spécialisées que connaissent dans l'immédiat les entreprises.

LES GRANDES QUESTIONS POSÉES PAR LA MICROTECHNOLOGIE EN MILIEU ÉDUCATIF

Après avoir fait ce tour d'horizon sur l'état d'informatisation de notre système d'enseignement, nous allons maintenant analyser plus en profondeur comment l'informatique modifiera l'organisation et le contenu même de l'enseignement. L'analyse de l'impact de la microtechnologie dans l'enseignement est complexe puisque l'informatique est à la fois un outil d'enseignement, une matière à enseigner. Par ailleurs, la microtechnologie, en transformant la nature des emplois en général, amène à réviser l'ensemble des programmes de formation professionnelle.

Actuellement, il n'existe nulle part une évaluation réelle de l'enseignement DE et PAR les nouvelles technologies. Or, une technologie, qu'elle soit de pointe ou pas, est et restera une technique. Seuls son développement, son utilisation et tout son processus d'implantation peuvent en faire un outil positif ou négatif. Pour le moment, ce sont les grands fabricants qui imposent les règles d'utilisation. Il faut donc craindre leur mainmise sur les contenus d'enseignement.

Déjà familiarisé avec l'informatique outil de gestion administrative, le corps enseignant va donc devoir réagir au phénomène de la microtechnologie dans des secteurs différents et pourtant étroitement imbriqués.

L'émergence de nouvelles disciplines à enseigner semble logiquement devoir être abordée en premier puisque d'une part les professeurs qui enseignent en informatique sont les premiers touchés par ce chamboulement et que, de leur enseignement dépend, en partie, la façon dont les travailleuses et travailleurs seront recyclés et les étudiantes et étudiants préparés au monde du travail.

L'ENSEIGNEMENT DE L'INFORMATIQUE

Depuis 10 ans, l'informatique n'est enseignée comme spécialité ou discipline distincte qu'à partir du collégial et vise à former une main-d'oeuvre qualifiée dans la conception et l'implantation de systèmes informatisés. L'université forme des analystes-conceptrices/concepteurs, le collégial des programmeuses/programmeurs chargés de traduire dans un langage de programmation les systèmes conçus par les premiers. Le secondaire forme les opératrices/opérateurs chargés de la conduite et de l'alimentation de l'ordinateur et de ses périphériques.

Aujourd'hui, les cours d'initiation à l'informatique ou à un langage de programmation sont de plus en plus populaires chez tous les étudiantes et étudiants, jeunes et adultes. La pression extérieure exercée par les médias est très forte: « Il faut apprendre l'informatique ». Le ministère de l'Éducation fait aussi pression sur les jeunes de niveau secondaire qu'il a identifiés comme population-cible.

Dès l'automne 1983, un programme optionnel d'introduction à la science de l'informatique sera offert à tous les élèves de Secondaire IV et V et le MEQ ferait en sorte que le contact avec la réalité de l'informatique soit développé dans le cours d'initiation à la technologie qui existe déjà.

Ce sont les contenus de cours et leur accessibilité à la majorité des étudiantes et des étudiants qu'il faudra interroger. Fera-ton de l'informatique un nouvel instrument de sélection scolaire, comme c'est le cas actuellement pour les mathématiques? Les implications sociales du virage technologique seront-elles présentes?

Il importe que l'école permette aux jeunes non seulement de comprendre le fonctionnement et les principes de base d'un ordinateur, mais aussi de saisir les enjeux sociaux de l'informatisation de la société, son impact sur l'emploi, sur la nature du travail, sur le droit des femmes au travail, etc. Une approche qui ne s'en tiendrait qu'à la machine serait dangereusement réductrice. L'avenir des jeunes sera marqué par les nouvelles technologies; ils doivent posséder les connaissances nécessaires à la défense de leurs intérêts lorsqu'ils seront sur le marché du travail.

L'introduction de l'ordinateur à 'école est une opération très coûteuse qui dans le contexte des restrictions budgétaires actuelles ne pourra se réaliser qu'aux dépens de la structure pédagogique en place. Déjà on a pu voir se déplacer les millions affectés aux conditions de travail vers un investissement dans les matériels. Nous assisterons à la mise en place d'un modèle d'école de plus en plus technique et orienté en fonction d'une perspective de développement presque exclusivement économique.

Or, toute cette technologie, si on veut véritablement la maîtriser, doit être abordée dans son ensemble en considérant le rôle qu'elle joue dans la société et les enjeux rattachés à son mode d'organisation. Il importe de plus de pouvoir utiliser plusieurs types d'appareils et de manipuler divers langages de programmation. Ceci implique un investissement de base important qui doit être assorti de budgets de renouvellement périodique du matériel (tous les 5 ans environ) ainsi que pour le développement de logiciels.

Les métiers de l'informatique

L'informatique traditionnelle qui se développe depuis vingt ans, constitue un champ d'activités où l'on peut identifier les emplois types qui s'articulent tous autour du processus de mise en oeuvre de l'informatique.

À ces emplois spécifiques relatifs au processus d'informatisation, on peut considérer que les emplois concernés par les applications de l'informatique chez les utilisatrices et utilisateurs demandent une certaine formation à l'informatique. Cependant, chez les constructeurs les emplois se rapportant à la recherche, au développement et à la fabrication de matériels relèvent davantage de l'électricité, de l'électronique, de la physique et les emplois de la recherche sur l'architecture des systèmes et des logiciels, quantitativement peu nombreux, reposent sur une formation scientifique de très haut niveau.

L'informatique, initialement appliquée au domaine scientifique puis à la gestion des activités de bureau de services et de production, investit progressivement les processus de production euxmêmes, suscitant des domaines nouveaux tels la robotique, la bureautique ou la télématique qui prolongent sous des formes particulières le phénomène plus général d'automatisation auquel ils participent. Les emplois qu'ils susciteront, sans être encore clairement identifiés, exigeront à différents niveaux une formation aux concepts et techniques de l'informatique. Ceci n'est pas sans provoquer une certaine adaptation des programmes et sans exiger une formation des maîtres aux nouvelles technologie.23

Réorganisation du travail et de l'éducation

Les changements rapides qui s'introduisent actuellement notamment dans le secteur tertiaire et des services, entraînent des modifications dans la nature du travail et transforment les tâches; aussi les qualifications actuelles sont souvent remises en question alors que d'autres spécialisations se développent. On pense principalement aux domaines du secrétariat, de l'administration, des bibliothèques, des techniques de laboratoire, de l'informatique et de l'électronique. Devant ce phénomène, les enseignantes et enseignants du secteur professionnel n'ont pas le choix, il leur faut réagir vite. A l'heure actuelle, la formation et le recyclage relatifs aux nouvelles technologies sont assurés par l'entreprises, les fabricants ou l'école privée. Il s'agit d'une formation « captive », c'est-àdire d'une formation « légère » de quelques jours et sur un outil spécifique. Cette formation a pour effet de cantonner l'individu à effectuer toujours la même tâche sur le même outil, et ne permet pas aux travailleuses et travailleurs de s'adapter aux changements successifs et de devenir plus autonomes vis-à-vis leur travail.

Les enjeux pour la formation professionnelle sont donc très grands. Avec l'apparition de certains outils qui accélèrent ou facilitent l'exécution de certaines tâches, on se demande s'il faut réduire ou changer les contenus actuels de la formation professionnelle.

Déjà on assiste à des restructurations de programmes de formation en lien avec la réorganisation du travail qu'engendrent les changements technologiques, à la division accentuée du marché du travail entre deux types de tâches très distinctes: la conception et l'exécution. La tendance actuelle est à réorganiser les programmes pour former des techniciennes et techniciens plus ou moins exécutants d'une part, et d'autre part, des personnes très hautement spécialisées et qualifiées. La réforme de l'enseignement professionnel proposée actuellement par le MEQ s'inscrit à notre avis dans cette perspective. En effet, d'après une fuite qui émane du bureau du sous-ministre de l'Éducation, le ministère aurait décidé de ramener l'enseignement du secrétariat au secondaire en enlevant de son contenu la formation générale.

Quand on se place cependant sur le terrain d'une formation qui permette une très grande « polyvalence » des individus, (polyvalence entendue comme possibilité pour les individus de changer d'emplois ou de se recycler rapidement) on parlera dans ce cas d'un enrichissement des enseignements basé sur une formation générale la plus large possible.

Dans un contexte d'innovations accélérées où les qualifications deviennent vite désuètes, la polyvalence de la formation constitue une condition indispensable pour faciliter l'adaptation aux changements. Il est donc très important que le milieu de l'enseignement s'implique pour que les contenus des enseignements s'enrichissent et non s'appauvrissent.

Un autre problème pour le secteur professionnel réside dans l'apparition de nouvelles spécialisations tant en bureautique qu'en télématique. En bureautique, par exemple, on peut dénombrer plus d'une vingtaine de spécialisations au Québec. Ici beaucoup de questions se posent: devrait-il y avoir des programmes spécifiques de formation pour ces spécialisations, ou devrait-on laisser cette formation à l'entreprise ou au système privé d'éducation? S'il y avait des programmes mis sur pied, comment s'organiser pour participer à leur élaboration? Comment ces programmes seraient-ils ou seront-ils implantés? À quel type de recyclage les professeurs auront-ils droit? Y en aura-t-il d'abord? ou engagera-t-on des spécialistes formés par l'industrie pour ces enseignements? Cette formation sera-t-elle suffisante pour permettre une maîtrise des concepts et non seulement des outils? On n'en sait rien puisqu'il semble que la matière et le contenu de ce recyclage ne sont aucunement définis. Voilà des questions sur lesquelles les enseignantes et enseignants doivent intervenir afin de proposer des moyens d'améliorer la qualité de la formation.

À ces inquiétudes vis-à-vis l'avenir de l'enseignement professionnel s'ajoute celle encore plus grave causée par le chômage. Il est bien sûr important de donner une formation adéquate mais encore faut-il qu'il existe des possibilités d'emplois. Les perspectives sur ce plan sont peu rassurantes. Avec l'informatisation du travail, on peut espérer dans le meilleur des cas qu'il n'y ait pas de mise à pied. Les nouveaux emplois disponibles pour les jeunes qui sortent des études vont se faire de plus en plus rares, d'autant plus que pour éviter les mises à pied des travailleuses et travailleurs en emploi, ceux-ci seront recyclés pour occuper les nouveaux postes de travail.

Le recyclage des travailleuses et des travailleurs

Le secteur de l'éducation des adultes est le plus directement et aussi le plus immédiatement touché puisqu'il lui faut répondre dans l'immédiat aux besoins de recyclage et de formation des travailleuses et travailleurs atteints par les changements technologiques.

Malheureusement, le réseau scolaire ne dispose ni des ressources matérielles ni des ressources humaines pour répondre à ces besoins. Toutes les analyses canadiennes portant sur la révolution micro-électronique mettent l'accent sur l'importance de développer des programmes adéquats de formation et de recyclage pour être en mesure de faire face aux mutations technologiques.

« C'est un effort de recyclage qui permettrait de remédier au chômage structurel de la plupart des travailleurs. Les programmes pertinents qui coûteront des milliards de dollars exigeront un réaménagement des priorités de l'administration. En définitive, il est fort possible que le pays doive consacrer jusqu'à 5 % de son PNB à un effort constant de recyclage et de transfert de la main-d'oeuvre ».24

Si l'on examine les documents du ministère de l'Emploi et de l'Immigration du Canada « Les compétences de demain », « Carrières Canada » et le document 4 « Professions dans l'informatique », on voit que les cours offerts mènent à deux groupes de professions:

Le premier groupe s'occupant de l'exploitation, le second de l'implantation des systèmes. Un troisième groupe se formant à partir des deux autres: celui des spécialistes en formation (à signaler que tous ces métiers sont présentés au masculin dans les brochures gouvernementales).

Si l'on compare ces données au « Guide Source » qui donne une liste provisoire et une description complète des professions désignées d'importance nationale et dans lesquelles il y a pénurie de main-d'oeuvre, on s'aperçoit que seules CINQ professions sur CINQUANTE demandent, dans leur description, une pratique de l'informatique!

Actuellement, le recyclage de la main-d'œuvre est principalement assuré par les entreprises qui s'adressent tantôt aux fabricants, tantôt aux collèges privés. Ces derniers semblent d'ailleurs avoir réagi plus rapidement que le secteur public.

Pour occuper ce marché, ils ont improvisé, souvent très rapidement, des cours en traitement de textes. Ces cours, dans la majorité des cas, forment une main-d'oeuvre captive par un recyclage souvent limité à un simple entraînement à utiliser une machine sans permettre aucune autonomie ni aucun contrôle sur le contenu même du travail.

Cette réalité contraste avec les énoncés de principe que l'on trouve dans les documents officiels, déclarations qui affirment la nécessité d'une formation polyvalente solide pour être en mesure de s'adapter à une société en continuel changement.25

«... contrairement aux discours les plus courants, la PME n'exige pas des techniciennes et techniciens qu'elle engage un haut degré de spécialisation; elle a besoin d'un personnel technique polyvalent, capable de s'adapter à des situations variées, autrement dit, d'un personnel technique qui aurait, au sortir des institutions scolaires, une solide formation de base ».

L'absence des femmes

L'impact de la révolution micro-électronique va se faire sentir principalement dans le secteur tertiaire, où l'on prévoit des pertes d'emplois de l'ordre de 30 % d'ici 1990. Ces emplois sont actuellement occupés dans une proportion de 74 % par des femmes. Par ailleurs, on nous promet que l'informatique va créer de nouveaux emplois souvent plus spécialisés. Il faut se demander si les femmes déplacées par les changements technologiques seront en mesure d'accéder aux programmes de recyclage plus poussés étant donné qu'elles n'auront pas pour la majorité la formation de base requise.

D'autre part, les femmes pour des raisons d'ordre culturel ne s'orientent pas dans le domaine des disciplines scientifiques et techniques. Il y a peu de femmes actuellement en cours d'étude en informatique au niveau universitaire, et encore moins de femmes pour enseigner ces disciplines. À l'UQAM, au Bacc en informatique, on trouvait 20 % d'étudiantes à l'automne 1980, 18 % à l'automne 1981 et 21 % à l'automne 1982 avec une seule enseignante sur 16.

Cet état de chose est très lourd de conséquences pour les femmes puisque la majorité des emplois qui sont et qui seront accessibles dans un avenir très rapproché se retrouvent dans les spécialités comme ingénieurs de systèmes, programmeurs-analystes, créateurs de logiciels et les techniciennes de service.26 L'absence des femmes dans ces domaines contribuera à aggraver encore davantage le chômage chez les femmes puisque d'une part elles vont perdre leur emploi et que d'autre part elles ne seront pas dans les spécialités en demande sur le marché du travail. Ainsi l'écart entre les hommes et les femmes risque de s'accentuer.

Face à cette impasse, les gouvernements seront certainement tentés d'amorcer un mouvement subtil de retour à la maison pour les femmes. On voudra renforcer le rôle de la famille (la nouvelle politique de la famille que le gouvernement du PQ rendra publique ce printemps est à surveiller à cet égard) à qui on demandera de plus en plus de prendre en charge les soins aux malades, aux handicapés et aux personnes âgées. Ce qui du même coup contribuera à diminuer les dépenses dans le domaine des services publics.

En somme, la société de demain est encore une fois pensée et orientée uniquement par des hommes en fonction d'une culture exclusivement masculine. Les femmes, en effet, ne sont aucunement présentes au niveau de la conception des outils informatiques et au niveau de l'élaboration des stratégies d'utilisation. On peut penser que les femmes pourraient orienter le développement de ces technologies vers des usages différents. On peut programmer l'ordinateur, par exemple, de façon à ce qu'il parcellise davantage le travail ou au contraire on peut en profiter pour varier davantage les tâches. Dans les bureaux, on sait dans quel sens le choix des femmes s'orienterait.

L'INFORMATIQUE, OUTIL D'ENSEIGNEMENT

Dans un avenir très rapproché, l'ordinateur risque d'être utilisé dans l'enseignement au même titre que le livre ou le cahier d'exercices. L'ordinateur, semble-t-il, servira moins à transmettre des cours qu'à faciliter aux étudiantes et étudiants l'apprentissage autonome des principes et règles de base inhérents à chaque matière. Le ministère de l'Éducation retient cinq grands types d'usages possibles de l'ordinateur dans l'enseignement:27

Les multiples usages

A cette classification, il faut ajouter deux autres usages tout aussi importants, soit la modélisation de problèmes et l'accès aux banques de données!

Les implications de l'enseignement assisté par ordinateur

Pour les étudiantes et les étudiants

L'ordinateur comme outil d'apprentissage suscite un intérêt considérable actuellement au Québec. Partant de l'axiome que l'insertion de l'informatique dans notre vie courante est inéluctable, les divers rapports sur l'éducation et l'informatisation de la société recommandent d'introduire l'ordinateur à tous les niveaux comme outil d'apprentissage et comme élément de culture. Il est déplorable de constater cependant l'absence de recherches pédagogiques sur les résultats obtenus dans quelques expériences qui, menées dans des conditions d'encadrement spéciales, permettent d'espérer l'amélioration de la pédagogie. Notons, làdessus, qu'on n'a pas encore analysé les causes de non réussite scolaire des étudiantes et étudiants en informatique de niveau collégial: moins de 45 % terminent un DEC, 17 % passent dans un autre programme, alors que 38 % ne sont plus au collégial.28

Il importe pour les enseignantes et enseignants de développer des pistes de réflexion autour de la finalité pédagogique de l'insertion de l'ordinateur à l'école. On dit que l'élève est stimulé par la machine, l'ordinateur pour lui est un jeu. L'enfant formule lui-même un projet, le mène à terme et fait un rapport collectif. L'ordinateur se présente comme le remède miracle pour résoudre le problème de la motivation des élèves. Avec l'informatique standardisée, l'idée de jeux s'arrêtera sûrement très vite. Les enfants se lassent en général assez vite des jeux vidéo. L'aspect ludique peut aussi créer des automatismes au détriment de la réflexion.

On dit que l'élève a droit à l'erreur, les élèves acceptent le jugement de la machine. Dans l'EAO, l'erreur reçoit un statut nouveau, elle est plutôt source de dialogue, de communication entre l'élève et l'enseignante ou l'enseignant. L'erreur devient un moyen de progresser. Si l'EAO individualise rythme et cheminement, ce n'est peut-être qu'une pseudo individualisation, car la méthode d'approche reste la même pour tous.29 L'EAO risque de renforcer certains aspects traditionnels de l'enseignement que la plupart des pédagogues sont d'accord pour condamner: passivité devant le savoir magistral, absence d'esprit critique, consommation de produits pédagogiques « prêts à porter ».

Pour les handicapées et handicapés

De par sa possibilité de répéter inlassablement le même exercice ou la même question, le micro-ordinateur peut être un outil privilégié pour les handicapées et handicapés, à partir du moment où ceuxci comprennent de quelle façon mettre le processus en marche.

Shirley McNaughton, membre du personnel du Ontario Crippled Children's Centre à Toronto, membre d'une équipe qui mène une recherche sur l'utilisation de l'ordinateur en éducation spéciale explique que le système des ordinateurs donne à l'enfant handicapé:

« L'occasion defaire ce que nous faisons; il est le prolongement de son corps et de son intelligence. C'est la dernière étape de notre enseignement, l'aider à communiquer de façon indépendante sur les plans professionnel, éducationnel et récréatif ».30

A Paris, le Centre scientifique d'IBM aide les enfants sourds à apprendre à parler de façon compréhensible grâce à une combinaison de lecture sur les lèvres et d'indications fournies par un ordinateur. Dans un projet connexe, on étudie la possibilité d'aider les enfants sourds à parler en leur donnant des images visuelles des sons qu'ils émettent et de ceux qu'émettent leurs professeurs.31

Au Québec, la Commission scolaire de PortCartier utilise depuis plusieurs années des programmes d'informatique pour l'enseignement aux handicapées et handicapés.

Pour l'éducation des adultes

Dans le domaine de l'éducation des adultes, le potentiel éducatif de l'ordinateur apparaît encore plus évident. L'adulte étant en mesure de contrôler lui-même son apprentissage, il trouvera dans l'ordinateur le moyen privilégié pour apprendre de façon autonome. L'extension généralisée des micro-ordinateurs individuels pourrait simplifier beaucoup l'accès au recyclage et à l'éducation permanente, malheureusement toutes et tous ne pourront se payer un tel outil.

Même si le prix des micro-ordinateurs baisse régulièrement, il en coûte au minimum 40 $ par mois pour être branché sur un système et, à partir de là, on paie chaque information, un peu comme l'on paie les communications interurbaines quand on utilise le téléphone, mais beaucoup plus cher.

L'écart risque ainsi de s'accentuer entre celles et ceux qui auront la possibilité de se servir de la nouvelle technologie à la fois dans la vie privée et dans la vie professionnelle et les autres qui n'auront pas cette possibilité. De plus les pouvoirs publics semblent très peu intéressés actuellement à développer l'usage de la micro-technologie en éducation des adultes en-dehors des métiers qui touchent de près à l'informatique.

L'utilisation de l'informatique en enseignement présente plusieurs avantages mais comporte aussi plusieurs inconvénients, il est donc très important de développer une approche critique face à toute l'argumentation qu'on nous sert parfois trop gratuitement et qui vise souvent à justifier une implantation rapide et sauvage. Au Québec, les principaux concernés, c'est-à-dire les enseignantes et enseignants n'ont pas été consultés sur l'introduction des ordinateurs dans les écoles pourtant l'impact sur leur tâche risque d'être considérable.

Les conséquences sur les personnels

L'ordinateur ne risque pas à court terme de prendre la place des enseignantes et des enseignants. Pour que tous les élèves du primaire et du secondaire puissent consacrer une demi-heure quotidienne au micro-ordinateur, des spécialistes américains évaluent qu'il faudrait un micro-ordinateur par 8 élèves. Or,en 1988, les écoles québécoises compteraient environ 32 000 micro-ordinateurs, soit à peu près un pour 30 élèves.

On pourrait cependant assister à des abolitions de postes dans les différentes catégories de personnel. Dans le contexte des coupures budgétaires, les employeurs vont sans doute tout mettre en oeuvre pour réduire le personnel. Ainsi, l'utilisation du micro-ordinateur pour le « testing », pour information scolaire et professionnelle, pour l'administration pédagogique, pour les fichiers de bibliothèque, etc. pourrait menacer des postes de personnel professionnel et de personnel de soutien.

Quant aux enseignantes et aux enseignants, en plus de la réduction des effectifs pouvant découler de l'introduction de didacticiels de plus en plus perfectionnés, leur tâche sera affectée de façon importante. Le système d'enseignement basé sur la relation tutoriale sera à repenser, de nombreuses activités pouvant désormais s'effectuer individuellement au laboratoire de micro-ordinateurs.

L'enseignement assisté par ordinateur risque cependant de renforcer une approche mécaniste de l'enseignement où n'est valorisé que ce qui est mesurable, laissant dans l'ombre le développement de la pensée analytique et de l'esprit critique.

Si pour l'élève il ne s'agira que d'un apprentissage de plus à intégrer, pour l'enseignante et l'enseignant par contre ce mode d'enseignement demandera une reformulation complète du cheminement de la pensée qui doit devenir très rigoureux, strict et précis car, ainsi que l'explique un pédagogue français:

« L'ordinateur impose un langage propre, unefaçon propre de poser les problèmes et de les résoudre, fort différent des procédés classiques. Étant donné la multiplicité des applications, les utilisateurs ne peuvent se contenter d'une informatique « transparente » presse-bouton, il leur faut comprendre et le plus souvent programmer euxmêmes, donc devenir un peu des informaticiens, comme ils étaient souvent devenus un peu mathématiciens. Comme les mathématiques, l'informatique est devenue une discipline carrefour ».

En général, les enseignantes et les enseignants ne seront pas en mesure de créer eux-mêmes leur didacticiel car il s'agit d'un travail très complexe qui exige d'être à la fois informaticienne ou informaticien et pédagogue (nous y reviendrons plus loin). L'importance d'une politique de formation et de perfectionnement des personnels prend ici toute sa signification. Si les mesures nécessaires ne sont pas prises, on pourrait assister à une division du travail des enseignantes et des enseignants en deux tâches distinctes: les créatrices et créateurs de didacticiels et les utilisatrices et utilisateurs enseignantes et enseignants. Ces dernières et ces derniers risquent de perdre un certain contrôle sur le contenu de l'enseignement. En effet, si l'enseignante ou l'enseignant utilisateur ne maîtrise pas lui-même ou elle-même l'outil informatique, elle ou il va dépendre de la machine au lieu de pouvoir l'utiliser comme un complément à son enseignement.

Renforcer la fonction éducative

L'utilisation du micro-ordinateur par l'étudiante et l'étudiant ne dégagera pas l'enseignante et l'enseignant de son rôle de personne-ressource, à la fois pour les problèmes possibles de manipulation du système et pour des questions que l'élève pourrait se poser et qui n'ont pas été prévues dans l'élaboration de didacticiels.

L'enseignante ou l'enseignant devra jouir de conditions de travail lui permettant non seulement de jouer ce rôle de personneressource, mais d'intervenir sur le contenu du didacticiel s'il le juge à propos, sinon on assistera à une déqualification du travail des enseignantes et des enseignants, à une perte de contrôle importante sur leurs outils de travail, à une normalisation accrue des enseignements.

Avec le soutien nécessaire, l'utilisation du microordinateur pourrait permettre à l'enseignante ou à l'enseignant de consacrer davantage de temps aux élèves qui rencontrent des difficultés, à l'éducation des élèves. Car, l'éducation n'est pas qu'apprentissage; c'est un processus complexe de socialisation, de développement physique, affectif, d'apprentissage à la vie collective, etc.

LE CONTENU DES DIDACTICIELS: L'ENJEU MAJEUR

La façon dont seront conçus et produits les didacticiels est de première importance si, comme on nous le laisse entendre, leur utilisation tend à se généraliser. On pourrait être tenté d'insérer dans l'ordinateur des programmes d'études organisés par objectifs où l'on limite l'apprentissage à ce qui est mesurable et quantifiable, délaissant un enseignement général nécessaire à une véritable formation de la pensée. Ceci conduirait à une déqualification du rôle de l'enseignante ou de l'enseignant qui serait rapidement transformé en dépanneur. C'est pourquoi ceux-ci doivent garder un contrôle sur le développement des didacticiels en participant, dans des équipes pluridisciplinaires à leur élaboration et en gardant la possibilité d'adapter un didacticiel existant à leur enseignement. La récente décision du ministre Laurin d'octroyer 35 millions de dollars à l'entreprise privée pour leur réalisation constitue une porte ouverte à l'industrialisation des contenus de l'enseignement.

Le risque est grand de se voir acculé à utiliser des didacticiels fermés sur lesquels nous n'aurons aucun pouvoir et d'y retrouver les mêmes stéréotypes racistes, sexistes et conservateurs que l'on retrouve dans les manuels scolaires.

L'industrialisation des didacticiels

Les grands fabricants sont ouverts à toutes les suggestions et prêts à bien des concessions (préliminaires) pour emporter le marché de l'éducation au Québec. AES, Control Data, Micom, IBM ont déjà entrepris un lobbying sérieux auprès du gouvernement.

Commodore aurait offert gratuitement au MEQ, 600 didacticiels traduits en français par une firme de Sherbrooke. Des maisons d'édition québécoises créent un département d'édition électronique (Sogiciel, vient d'acheter les droits internationaux de publication en langue française des programmes de la Société Apple, Californie). Sogiciel doit bientôt lancer sur le marché des programmes interactifs dont le contenu concerne plus particulièrement l'enseignement du français, des mathématiques et le développement de la réflexion. Ces programmes viennent des États-Unis et ont été traduits au Québec. D'autres entreprises, petites ou grosses (Logidisque, Computerre, ADP, Formic) se lancent dans la création de logiciels en français. D'autre part, lors du dernier Salon du livre de Montréal, Sogiciel a lancé un concours de création d'un programme de valeur dans trois catégories; chacune dotée d'un prix de 500 $ et, bien sûr, d'un contrat d'édition. Les trois catégories sont: l'utilitaire, le domaine des affaires et les jeux.

« Le problème le plus aigu sera de doter ces appareils de programmes français, les didacticiels, qui sont pratiquement inexistants actuellement ».32

L'absence de contrôle des enseignantes, enseignants et pédagogues sur l'élaboration des didacticiels constitue une menace à la fois pour les enseignantes et enseignants et pour la culture québécoise, obligés de transmettre des contenus étrangers qui ne correspondent pas à notre culture; les enseignantes et enseignants vont se sentir de plus en plus aliénés par cette nouvelle technologie. De même il ne restera plus grand chose de la culture québécoise si l'école, à l'instar des médias, se laisse envahir par le modèle culturel américain ou peut-être de plus en plus japonais.

Face aux nouvelles technologies, les enjeux résident à la fois dans leur application dans les différents secteurs et dans le sort réservé aux travailleuses et travailleurs en général et aux enseignantes et aux enseignants en particulier.

À l'école, les luttes concernant les nouvelles technologies ne doivent pas être isolées des autres luttes pour la démocratisation de l'éducation aux plans de l'accessibilité et des contenus. Les défis que doit affronter l'école québécoise demeurent la lutte à l'échec scolaire qui touche davantage les jeunes d'origine populaire, l'amélioration des apprentissages de base et la redéfinition des contenus afin qu'ils permettent une compréhension critique des réalités sociales.

C'est donc en fonction des objectifs qui seront recherchés qu'il faudra évaluer les avantages pédagogiques du microordinateur comme soutien à l'enseignement. Visera-t-on à combattre les inégalités, à lutter contre l'échec scolaire ou en fera-t-on un outil de sélection supplémentaire? Dans le contexte des coupures et des contrôles qui caractérisent la contre-réforme, le micro-ordinateur sera-t-il un instrument de normalisation des contenus et des enseignements, de contrôle accru des enseignantes et des enseignants?

L'ordinateur est porteur de centralisation et de normalisation. Il peut aussi être porteur d'inégalités étant beaucoup moins accessible aux familles ayant des revenus modestes, même sous forme d'activités parascolaires lorsque celles-ci impliquent des coûts. Le projet de restructuration scolaire pourrait contribuer à l'accentuation des inégalités. Les écoles de milieu riche risquent d'attacher davantage d'importance aux micro-ordinateurs; c'est déjà le cas actuellement.

L'impact sur les personnels sera, par ailleurs, important; que ces personnes soient:

L'implantation des nouvelles technologies, quel que soit leur potentiel, risque de tourner à la catastrophe si les premiers concernés ne sont pas impliqués dans l'élaboration des choix qui président à leur mise en place et si les conditions nécessaires ne sont pas garanties. Actuellement, ces décisions se prennent en haut lieu et tout se passe comme si on voulait écarter systématiquement les syndicats, les enseignantes et les enseignants de ces discussions. Rappelons que le gouvernement du Québec a carrément refusé de négocier la clause de changements technologiques (recyclage des enseignantes et des enseignants) à la dernière table centrale de négociation.

PISTES DE TRAVAIL

En fait, l'implantation de la microtechnologie dans les écoles, collèges et universités signifie un tel bouleversement du système d'enseignement et prend une telle importance par rapport au marché du travail qu'il faut pratiquement réviser toutes les structures actuelles pour pouvoir négocier valablement et son contenu et son utilisation et les changements de tâches, d'horaires et de conditions de travail qui en découleront.

Les grands points que nous avons pu identifier à travers ce dossier et qui devraient être étudiés avec un soin plus particulier, nous paraissent être:

La démocratisation des choix technologiques

Le Québec doit se doter d'une politique d'ensemble en matière d'informatisation du système scolaire, afin que les choix technologiques découlent d'objectifs éducatifs, culturels et démocratiques plus larges. Cette politique prendrait en compte et articulerait l'ensemble des rôles que l'école est appelée à jouer à l'intérieur du processus de l'informatisation de la société en général, dont nous avons parlé précédemment.

Étant donnée l'ampleur des changements qui s'amorcent il faut pour assurer le succès de ce projet, impliquer l'ensemble des agents concernés dans l'élaboration de cette politique tant au plan du contenu que des stratégies d'implantation, ce qui implique notamment:

Des priorités pour les enseignantes et enseignants

L'élaboration par des pédagogues québécois de didacticiels et la participation des enseignantes et enseignants à l'élaboration d'une grille d'évaluation de l'ensemble des didacticiels disponibles constituent des conditions indispensables pour permettre une réelle maîtrise collective et individuelle du processus d'informatisation du système scolaire.

Contenu de formation

Au-delà de l'aspect de la transmission des connaissances techniques en informatique et de l'utilisation de l'ordinateur en enseignement se pose tout le problème du contenu même de la formation. Il faut en effet s'interroger plus fondamentalement sur les choix de formation à privilégier en lien avec les choix de société.

Les cours d'initiation: outil de démocratisation

Les cours d'initiation à l'informatique pour les jeunes devraient rapidement devenir obligatoires. La partie du contenu portant sur les impacts sociaux de l'informatisation de la société devrait occuper une place plus grande que celle que l'on prévoit lui réserver dans le cours d'initiation à l'informatique pour le Secondaire IV et V récemment adopté par le MEQ.

Pour que l'informatique ne devienne un nouvel outil de sélection scolaire, il faudrait penser introduire les ordinateurs d'abord dans les milieux où les familles ne pourront se payer un ordinateur domestique. Dans ces milieux aussi, les ordinateurs devraient être largement accessibles aux étudiantes et étudiants et à la population en dehors des heures de cours.

En matière de formation professionnelle

Pour favoriser aux travailleuses et travailleurs une plus grande autonomie, un meilleur contrôle sur le processus de travail et une plus grande capacité de s'adapter aux changements successifs, il faut assurer aux individus une formation de base la plus générale et polyvalente possible.

L'intention exprimée par le MEQ de ramener au Secondaire VI et VII la majorité de cours de techniques actuellement donnés au Cégep nous apparaît aller à l'encontre du principe de la polyvalence qui semble par ailleurs faire consensus au niveau du discours officiel.

Adopter des programmes d'accès égalitaire pour les femmes dans les disciplines scientifiques et techniques (notamment en informatique) et ce à tous les niveaux du système scolaire.

Pour l'éducation des adultes

Un rôle prioritaire pour l'éducation des adultes; outiller et préparer les adultes à maîtriser les nouvelles technologies et à participer aux décisions relativement aux choix et aux modes d'introduction de ces changements.

Le maintien des programmes de formation générale de base solide et polyvalente pour les adultes. Favoriser l'accès à ces programmes aux personnes peu qualifiées, déplacées par les changements technologiques.

L'accès prioritaire pour les femmes aux programmes de recyclage dans les spécialisations de pointe et que, à cette fin, des mesures spéciales de rattrapage soient mises en place.

Que le recyclage aux nouvelles technologies ne soit pas limité à un simple entraînement à l'utilisation des appareils, mais comporte des explications sur la nature des changements, le fonctionnement des appareils, les transformations qui en découlent dans l'organisation du travail et les risques à la santé. Pour ce faire, les travailleuses et travailleurs doivent participer à élaboration de ces programmes.

Étant donné l'importance et l'ampleur que va prendre le recyclage dans le contexte des mutations technologiques, il apparaît que la formule des congés-éducation payés constitue un des moyens les plus efficaces pour assurer aux travailleuses et travailleurs un véritable accès aux programmes de recyclage, et une participation effective à l'élaboration de ces programmes.

ANNEXE I : AUTRES PROJETS AU CEGEP

À peu près partout on utilise l'ordinateur pour la correction de tests objectifs; tests de classement initial pour l'enseignement de l'anglais, langue seconde à Montmorency; - système perfectionné de génération de questionnaires au hasard en sciences et mathématiques et correction de ces questionnaires à John Abbott; - Laboratoire de mathématiques en interactif à Ahuntsic; - Laboratoire en simulation avec traceur de courbes à Lionel Groulx et dans plusieurs autres collèges, etc.

Les cégeps de Maisonneuve et de Saint-Jean-surRichelieu en collaboration avec la DGME et l'IUT (institut universitaire de technologie de France) réalisent actuellement un didacticiel dont le but est de faciliter la compréhension des données à l'intérieur et à l'extérieur d'un microprocesseur dans un système de base (microprocesseur-mémoire, entrées-sorties). D'autres projets sont en préparation dans divers autres cégeps de la province: tantôt ils visent à la création de banques de données (Limoilou pour l'électronique - Alma pour l'agriculture), tantôt ils veulent expérimenter et évaluer une formation sur mesure (Gestion des ressources humaines à Valleyfield).

Deux autres projets, l'un avec une commission scolaire qui n'a pas encore été identifiée, la DGME et la DGP (Direction générale des programmes) veut constituer une banque de programmes de formation professionnelle et sociale, l'autre faite en collaboration entre la DGME et la DPP (Direction des politiques et plans) vise à constituer une banque pour l'information scolaire et professionnelle.

ANNEXE II : EXPÉRIENCES EN ÉDUCATION DES ADULTES

• Système d'entrée des données

• Opération d'un terminal

Commission scolaire des Mille-Isles.

• Traitement de texte

Commission scolaire du Sault St-Louis

• Traitement des données

Commissions scolaires des MilleIsles, Chomedey/Laval et à la CECM.

Pour le niveau collégial, on trouve des cours en:

• Électrotechnique

Cégep Ahuntsic - André Laurendeau - Montmorency - Saint-Lambert - Vieux-Montréal - Edouard-Montpetit et Maisonneuve.

• Informatique

Cégep Ahuntsic - Rosemont - StLaurent - Vieux;Montréal - Boisde-Boulogne - Edouard-Montpetit et André Laurendeau.

• Traitement de texte*

Cégep Maisonneuve. Signalons que ce cours est le seul donné en techniques de secrétariat dans la région de Montréal.

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Télématique et mass-médias: les noces d'argent

Un nouveau média, le Vidéotex La télématique dans les médias « traditionnels »

par Claude Martin

- professeur au département d'Information et de Communication de l'Université Laval

- membre du Groupe de travail sur les communications de l'ICEA.

LE JOURNAL DE MONTRÉAL existera-t-il en l'an 2000? La télématique fera-t-elle disparaître les journaux comme l'imprimerie a remplacé les copistes du Moyen Âge? Ces questions peuvent paraître farfelues mais la Commission royale d'enquête sur les quotidiens a jugé bon de leur accorder une attention particulière.33 La Commission constate que les systèmes de vidéotex peuvent, vers 1990, devenir des concurrents sérieux pour les journaux.

L'impact de la télématique sur les médias d'information prend donc forme. La télématique offre la possibilité de mettre sur pied un nouveau « média », le vidéotex, qui pourrait bien faire sa place au détriment des médias existants. Par ailleurs, l'informatique et les télécommunications transforment déjà, sous nos yeux, les médias « traditionnels ». Rappelons-nous la publicité de LA PRESSE où on voit la réceptionniste des annonces classées devant son écran cathodique. Elle n'a pas perdu son emploi à cause de l'ordinateur mais LA PRESSE n'a plus besoin de commis pour porter à l'imprimerie les feuilles où elle notait les annonces.

UN NOUVEAU MÉDIA, LE VIDÉOTEX

Le vidéotex est sans doute le plus beau jouet des amateurs de télématique, certainement le plus visible. Son attrait réside dans le fait qu'il utilise un appareil présent dans tous les foyers, la télévision, à qui on confie une nouvelle tâche, transmettre des informations écrites.

En soi, cette technique n'a rien de révolutionnaire puisque les banques de données fonctionnent de façon similaire depuis plusieurs années. Pour avoir accès à une banque de données, il faut cependant disposer d'un terminai spécialisé et coûteux. Le vidéotex se présente plutôt comme un système de banque de données accessible au grand public. Et qui dit « grand public » dit « gros sous » à l'horizon.

QU'EST-CE QU'UN VIDÉOTEX?

Les temps sont durs pour les fabricants de dictionnaires: les nouveaux mots de la télématique changent de définition selon l'humeur des experts en « tique ». Un document du ministère fédéral des Communications34 propose de définir un système de vidéotex à partir de cinq éléments:

D'autres35  utilisent  le  terme   « télétexte »   pour nommer la même réalité. Certains36 réservent le terme « télétexte » pour les systèmes qui utilisent les ondes des stations de télévision comme moyen de diffusion. Cette méthode limite considérablement le nombre de « pages » disponibles; les récepteurs doivent de plus attendre que l'information désirée soit diffusée pour l'afficher alors que le « vidéotex » permet d'aller chercher la « page » désirée sans attendre. Pour d'autres encore37, le « télétexte » se caractérise par le fait que le récepteur ne peut envoyer de message à l'émetteur (quel que soit le moyen de transmission) alors que le « vidéotex » serait bidirectionnel. L'Académie française nous éclairera làdessus dans quelques siècles.

Le fonctionnement du vidéotex doit être très simple puisqu'il s'adresse à un large public. En branchant le système, on obtient un « menu », une première « page » qui fait office de « table des matières ». Chaque élément du menu porte un numéro qu'il suffit de demander par le clavier pour obtenir une page d'information. Il peut être nécessaire de passer par plusieurs menus avant d'arriver aux pages d'information désirées.

Les pages se présentent sous la forme d'images fixes en couleur; on pourrait cependant les animer. Lorsqu'il s'agit de textes, le nombre de lignes doit demeurer inférieur à 20 pour que les caractères soient lisibles. Le vidéotex ne se prête pas à la présentation de textes longs qui occuperaient plusieurs pages. Les nouvelles du vidéotex ressemblent aux manchettes des journaux: un titre, quelques lignes de texte et, parfois, une illustration*. A cette échelle, les articles du JOURNAL DE MONTRÉAL font figure de longues analyses.

La quincaillerie du vidéotex ouvre la porte à une foule de services nouveaux basés sur la capacité d'émettre un message à partir du domicile du client vers le centre de diffusion, un peu comme les abonnés du câble peuvent actuellement jouer avec l'ordinateur de Cablevision nationale.** On pourrait faire ses achats à domicile, effectuer certaines transactions bancaires, participer à un sondage, réserver une place au théâtre, laisser l'Hydro-Québec lire son compteur ou... télécommander le chauffage et l'eau chaude (brr!), permettre à la police de surveiller notre maison (brr!)... Le monde merveilleux de la télématique grâce au vidéotex!

UNE CONCURRENCE INTERNATIONALE

Le vidéotex n'a pas encore dépassé le stade expérimental, sauf en Angleterre où un système fonctionne depuis 1979, à perte évidemment. Les gouvernements subventionnent généreusement ces essais puisque le « virage technologique » est à l'ordre du jour partout. Les gouvernements sont les premiers promoteurs du vidéotex, espérant gagner ainsi des avantages pour leurs entreprises.

Trois pays partent ainsi à la conquête du marché mondial: l'Angleterre» la France et le Canada. Le principal champ de bataille se trouve aux États-Unis qui représentent le plus gros marché potentiel pour le vidéotex. Chacun y va de ses victoires: une banque qui essaie le système français pour une compagnie de téléphone qui lorgne du côté de Télidon, le système canadien.

L'issue de la bataille peut laisser songeur. Advenant la victoire d'un système, rien ne force l'acheteur à se procurer les appareils dans le pays d'où le système origine. Un système vidéotex se distingue d'un autre par ses normes ou ses codes de formation des images; une fois ceux-ci connus, les appareils peuvent être produits n'importe où. Les entreprises du pays d'origine ne disposent toutou plus que de quelques mois d'avance sur leurs concurrents. Mieux (ou pire?), les systèmes actuellement incompatibles pourraient le devenir dans quelques annéesce qui effacerait l'avantage du pays « victorieux ».

Télidon se distingue des deux principaux systèmes européens (Prestel en Angleterre, Antiope en France) par sa façon de définir les images à l'aide de formules mathématiques. Prestel et Antiope construisent l'image en déterminant le rôle de chaque point de l'écran. On dit que Télidon emploie une méthode « alphagéométrique » alors que les Européens préfèrent l'« alphamosaïque ».

Télidon peut produire plus rapidement des images plus nettes. Mais la quincaillerie du récepteur coûte plus cher. Télidon serait la Cadillac des vidéotex, une caractéristique qui contredit peut-être le cinquième élément de la définition que nous avons vue plus haut. On pense généralement qu'un terminal Télidon coûtera environ 300 $ (excluant le téléviseur) et que l'abonnement au service pourrait varier entre 10 $ et 30 $ par mois.

L'expérience britannique peut nous renseigner sur la clientèle possible du vidéotex. En 1980, le pays comptait 7 300 récepteurs vidéotex (branchés sur le téléphone) et 35 000 appareils Télétexte (via les ondes de la télévision). Plus de 5/6 des appareils vidéotex servent dans les entreprises. Le coût élevé des récepteurs a considérablement ralenti la vente des appareils et toutes les prévisions ont du être jetées aux poubelles. Le « grand public » ne marche pas.

La France pensait faire les choses en grand. Aux prises avec son célèbre problème du bottin téléphonique toujours en retard, elle décide d'informatiser la production et de remplacer le bottin des usagers par un récepteur vidéotex (indépendant du téléviseur familial). Il n'y aurait plus de problème de marché puisque les abonnés n'auraient pas le choix entre le bottin et l'écran. Les diverses banques de données disposeraient ainsi d'un vaste auditoire et le tour serait joué. Malheureusement pour le vidéotex, la gauche a pris le pouvoir en France et elle a garanti la liberté de choix entre le bottin et l'écran. Les expériences continuent cependant.

LES PROMOTEURS DE TÉLIDON

Télidon,   le   vidéotex  canadien,   est  issu   d'un système de transmission de graphiques produit pour l'armée canadienne à la fin des années soixante. Le ministère des Communications reprend ensuite le projet (et son inventeur, Herbert G. Brown) pour en faire une « planche à dessin » informatisée. De là au vidéotex, il n'y a qu'un pas qui est franchi en 1977 lorsque le ministère tente de reproduire au Canada les essais européens sur le vidéotex* ; le système de Brown s'avère excellent. Il est présenté au public en 1978.

Le gouvernement fédéral continue par la suite de se faire le promoteur du vidéotex canadien nommé Télidon. Les heureux télématiciens peuvent se répartir un pactole de 40 millions de dollars** pour les aider à nous faire entrer dans la « société de l'information ».

En plus du ministère des Communications, divers organismes fédéraux s'impliquent dans Télidon. Le Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications canadiennes (CRTC) surveille les essais et doit mettre au point la réglementation du service. Radio-Canada tente sa chance du côté du Télétexte et Téléglobe Canada, responsable des télécommunications internationales au Canada, met au point un système Télidon d'envergure mondiale, rien de moins!

Pour le moment, Télidon a probablement d'abord bénéficié aux experts, professeurs et chercheurs qui s'y intéressent. Mais l'industrie du vidéotex commence à prendre forme. Plusieurs entreprises y sont impliquées*** , certaines pour une part importante de leurs activités. On peut, théoriquement, distinguer trois types de fonction selon les entreprises.

Un premier groupe comprend les entreprises capables de construire les appareils Télidon. Norpak Ltd38 a été la première entreprise associée à Télidon. Elle fabrique les terminaux d'usagers et les terminaux d'entrée des données. Il s'agit d'une petite entreprise (130 employés en 1981) dont 40 % des revenus proviennent du vidéotex. La propriété de Norpak se répartit entre ses cadres (Mark Norton président) et Noranda Mines**** qui possède près de 25 % des actions. Electrohome Ltd39 fabrique les téléviseurs modifiés utilisés jusqu'ici dans la majorité des expériences. Il s'agit d'une entreprise canadienne qui a jadis prospéré en produisant des téléviseurs et des appareils Hi-Fi. La compétition japonaise lui a porté un dur coup mais elle survit grâce à la bienveillance du gouvernement fédéral. Elle embauche 2 700 travailleuses et travailleurs et arrive au 242e rang pour ses ventes au Canada (en 1981). Le vidéotex ne représente qu'une petite partie de ses affaires. Electrohome est sous la coupe de la famille Pollack (49 % des actions), du gouvernement fédéral et de la Banque Royale.

Advenant le succès de Télidon, d'autres manufacturiers pourraient se mettre sur les rangs: Northern Telecom, filiale de Bell Canada, le plus gros manufacturier « télématique » au Canada (35 400 employés), Mitel Corp., une vedette du « boom » des télécommunications (propriété de ses cadres, 4 200 employés) et, pourquoi pas, A.E.S. Data, propriété du gouvernement fédéral, un des leaders du traitement de textes dans le monde (172e au Canada pour ses ventes en 1981).

Nous venons de voir que Bell Canada a déjà un pied dans la porte en tant que fabricant potentiel des équipements. Bell chevauche aussi les deux autres fonctions d'un système vidéotex: celle de fournisseur d'information et celle de transmetteur. *

Les fournisseurs d'information rassemblent les données à transmettre et ils les confient aux transmetteurs. Bell Canada réalise déjà, chez sa filiale Télédirect, une partie de ses annuaires à l'aide d'ordinateurs. Le cas des « pages jaunes » est intéressant puisque la liste des abonnés s'agrémente d'annonces plus ou moins grandes. Transmises par vidéotex, ces « pages jaunes » informatisées pourraient être mises à jour rapidement, ce qui constituerait une nouvelle concurrence pour les services des journaux quotidiens. Les « pages jaunes » imprimées ne peuvent jouer ce rôle à cause de leur délai de publication.

Pour le moment, une entreprise a réussi à se créer, avec l'aide du gouvernement fédéral, un « quasi-monopole » comme fournisseur d'information, une situation qui, selon les mots de la Commission Kent, ne se retrouve « nulle part ailleurs au monde »39. Cette entreprise, Infomart, compte déjà une centaine d'employés et elle réalise les trois quarts de ses ventes dans le domaine du vidéotex. Elle a débuté comme relais des banques de données américaines au Canada et elle est aujourd'hui la principale source d'expertise privée pour les expériences de Télidon.

Infomart  est  la   propriété  conjointe   de   deux grandes entreprises de journaux du Canada anglais, Southam Inc., et Torstar Corp. Southam est le plus gros éditeur de quotidiens au Canada avec en 1980, 32,8 % du tirage anglophone; THE GAZETTE de Montréal lui appartient. Southam a aussi des intérêts dans les stations de radio et de télévision (jusqu'en Angleterre) et dans l'édition et les libraires (Coles). Torstar publie un des trois quotidiens de Toronto, possède des dizaines d'hebdomadaires et une célèbre maison d'édition, Harlequin, la spécialiste du roman à l'eau de rose.

Il manque à Infomart une banque de données canadienne sur l'actualité. Celle-ci a été créée à partir de la « morgue » (le centre de documentation) du GLOBE AND MAIL de Toronto, le plus prestigieux quotidien du Canada anglais. Elle est gérée par Info Globe, elle aussi une filiale du Groupe Thomson Newspaper Ltd, qui contrôle 25,9 % du tirage des quotidiens anglophones au Canada. La famille Thomson a des intérêts dans les médias, le tourisme et le pétrole britanniques. Au Canada, elle contrôle les magasins La Baie et Simpsons, deux des plus importants annonceurs pour les quotidiens.

Du côté francophone, Édimédia Inc., commence à s'affirmer comme fournisseur d'information. Il s'agit d'une filiale du groupe Unimédia de Jacques, Francoeur qui publie, entre autres, LE SOLEIL et LE QUOTIDIEN. Édimédia a repris, avec Infomart, une expérience que menait Bell Canada avec Télidon sous le nom de Vista. Edimédia a aussi pris la succession de LA PRESSE pour les manchettes du canal 14 d'Intervision. L'entreprise de Québec participe aussi à un projet de vidéotex « éducatif » avec l'Université du Québec, Télé-Université et Control Data Corp. des U.S.A.

On peut ajouter un certain nombre d'organismes à la liste précédente des fournisseurs d'information: Statistique Canada, Environnement Canada, plusieurs bibliothèques, des organismes volontaires, etc. De plus, bon nombre d'entreprises commerciales offriront des services par le vidéotex: magasins, banques, agences de voyage, etc. Le risque est grand que ce soit Infomart et Édimédia qui, dans un système commercial, organisent l'accès des « fournisseurs » au système.

A moins que les « transporteurs » n'obtiennent ce rôle. Oublions les stations de télévision qui ne peuvent offrir, en télétexte, qu'un nombre limité de « pages ». Le vidéotex peut fonctionner à partir du réseau téléphonique ou de la câblodistribution. Encore ici, les entreprises intéressées ne sont pas nombreuses: Bell Canada, Québec Téléphone, Vidéotron et Cable TV au Québec. *

Bell et Québec Téléphone participent à des expériences Télidon, alors que Vidéotron met au point un système complet de vidéotex, le Système d'information à domicile (S.I.D.). Dans ce système, le câblosélecteur de l'abonné devient un mini-terminal d'ordinateur, Vidéotron offre une série de services nouveaux et le client voit sa facture augmenter en proportion. Qui est le plus heureux? Le client évidemment...

Nous avons donc devant les yeux un cas intéressant: la mise sur pied d'un nouveau média. Ottawa et Québec y sont impliqués ainsi que quelques-unes des plus importantes entreprises de communication du Canada et en particulier celles qui ont provoqué la formation de la Commission royale d'enquête sur les quotidiens. Si le passé est garant de l'avenir, il va y avoir du monopole dans l'air.

DES QUESTIONS À NE PAS POSER À TÉLIDON

Un étude « sérieuse » a déjà prédit qu'il y aurait 70 000 abonnés de Télidon en 1979. De toute évidence, ils ne sont pas très visibles! De même que les 75 900 terminaux en 1983 selon une autre étude. La « troisième vague » est à marée basse pour le moment.

Il est encore permis de douter de la viabilité du vidéotex puisque aucun système n'arrive à faire ses frais actuellement. Mais l'intérêt des grandes entreprises pour ce projet indique que la situation pourrait changer et qu'une masse suffisante d'abonnés pourrait un jour être atteinte. II faut comprendre ici une « masse suffisante pour que la publicité s'intéresse au vidéotex ». Selon certains, 1990 serait une date réaliste pour atteindre ce point.40

D'ici là, les gouvernements devront décider d'un cadre réglementaire pour le vidéotex. Beaucoup d'observateurs se demandent si Ottawa va respecter ici le principe de séparation du pourvoyeur et du transmetteur d'information. Ce principe interdit à un transmetteur comme Bell Canada de contrôler le contenu des messages qu'il achemine. Dans le cas contraire, le transmetteur se trouve en conflit d'intérêts puisqu'il peut favoriser l'acheminement de ses messages au détriment des autres. Dans le cas du vidéotex, il faudrait interdire à Bell de diffuser les « pages jaunes » par un vidéotex téléphonique.

La question peut se poser autrement. Si Infomart gère le vidéotex canadien, y trouvera-t-on seulement ses banques de données et celles des gouvernements et des grandes entreprises? Quel sera le prix pour devenir un pourvoyeur d'information? L'exemple britannique montre que ce prix est élevé et que l'espace mémoire est limité, ce qui permet à l'« opérateur de système » de choisir ses sources d'information.

A l'autre bout de la lorgnette, la cliente ou le client ne recevra gratuitement que ce que la publicité ou les gouvernements paieront. Le reste devra faire ses frais. Le vidéotex ne sera pas non plus le plus démocratique des médias de ce point de vue.

Le contenu informatif risque fort de laisser à désirer. Il n'y a pas de place pour les grands dossiers de presse sur un écran de 20 lignes! Quelle sera la marge d'indépendance d'une ou d'un journaliste chez Télidon? En Angleterre encore, on a constaté qu'il est inutile d'avoir deux services de nouvelles vidéotex: des messages si courts se ressemblent inévitablement.

En France, les propriétaires des journaux ont fait un énorme tapage autour des risques que représente pour eux le vidéotex: perte de lecteurs et surtout perte de publicité. Au Canada, nous avons résolu ce problème très simplement, en confiant le vidéotex aux grands barons de la presse. Peut-être entendrons-nous les plaintes des hebdomadaires privés de « petites annonces », à moins que ce ne soit celles de Québécor, devenue en 1990, propriétaire de tous les hebdos du Québec!*

Les  promoteurs  de  Télidon   ont  fait  miroiter auprès de certains organismes communautaires les avantages d'une participation aux expériences en cours. On peut penser au projet « Agora »* dont un volet s'adresse aux handicapés. Mais il s'agit d'expériences subventionnées qui ne pourraient probablement pas résister à une logique de marché.

Devrons-nous, dans ces conditions, investir nos énergies dans une bataille de « démocratisation » du vidéotex? Faut-il mettre sur pied un vidéotex étatique alors que les besoins en services publics sont criants ailleurs? Pouvons-nous nous contenter de regarder passer le train?

LA TÉLÉMATIQUE DANS LES MÉDIAS « TRADITIONNELS »

Les   télécommunications et  l'informatique ont considérablement modifié l'organisation et le contenu des médias « traditionnels » comme les journaux et la télévision. En 1955, les images d'une guerre lointaine parvenaient à nos écrans par le moyen du film; aujourd'hui, nous avons la guerre en direct dans nos salons. C'est ainsi que les Américains ont un jour constaté l'horreur du Viêt-nam.

Les journalistes sont passés à deux doigts de conserver pour la postérité une machine que toutes les secrétaires avaient abandonnée, la dactylo manuelle. Ils n'y parviendront pas semble-t-il, puisque les écrans cathodiques ont envahi les salles de rédaction. Même LE DEVOIR y passe! C'est donc sérieux.

QUE RESTE-T-IL DE NOS JOURNAUX?

Il faut pénétrer dans les entrailles du journal pour retrouver les premières manifestations de l'informatisation de la presse écrite. La bataille principale a eu lieu dans l'imprimerie entre la photocomposeuse et la linotype, entre le patron et le typographe.

Les typographes ont organisé des syndicats parmi les premiers et les plus puissants **. Leur force provenait de la haute qualification requise pour l'opération des linotypes, ces machines qui permettent de produire, avec du plomb fondu, les lignes d'égale largeur qui forment la base des plaques d'imprimerie. Les typos en ont tiré des salaires et des conditions de travail supérieurs à la moyenne.

L'ordinateur bouleverse cette organisation. Il n'est plus nécessaire de savoir espacer les lettres pour faire les colonnes, la machine le fait. Le plomb ne sert plus puisque la machine produit les colonnes par un procédé photographique. Il reste à prendre de la colle et des ciseaux pour monter une page qui deviendra une plaque par un autre procédé photographique.

Pourquoi alors ne pas demander aux journalistes de taper leurs articles à l'aide du même ordinateur devenu machine à traitement de textes pour profiter pleinement de toutes les économies de personnel ainsi rendues possibles. Le même procédé s'applique pour les petites annonces et il commence à s'introduire dans la conception de la publicité commerciale.*

L'ordinateur permet un contrôle surprenant de la distribution du journal. Pour un quotidien livré à domicile comme LE SOLEIL, il serait possible de modifier le contenu du journal selon le profil socio-économique des lecteurs. Les routes des camelots suivent les divisions du recensement et l'ordinateur peut ainsi former les piles de journaux en y incluant les annonces du supermarché du quartier.

Les  télécommunications  ont grandi  en  même temps que les journaux à grand tirage: le télégraphe, le téléphone, les téléscripteurs et les bélinographes** ont permis la couverture de l'actualité lointaine. Les transmissions se font maintenant par satellite. Les agences de nouvelles disposent de salles de rédaction électronique; les dépêches circulent sous la forme de « dialogues » entre les ordinateurs localisés sur différents continents.41

A l'autre bout de la chaîne de fabrication du journal, le satellite sert cette fois de relais entre deux imprimeries chargées de produire le même journal. Le GLOBE AND MAIL de Toronto est ainsi imprimé simultanément dans plusieurs villes canadiennes; a Montréal, LA PRESSE se charge de ce travail, ce qui explique l'apparition d'une antenne de réception satellite sur son toit.

L'INTERNATIONAL HERALD TRIBUNE nous offre peut-être une image du journal de demain. Il s'agit d'un quotidien fabriqué en anglais à Paris et distribué dans plus de 100 pays. Il appartient, en majorité à deux grands journaux américains le NEW YORK TIMES, et le WASHINGTON POST. La rédaction est entièrement informatisée. Les articles proviennent, en bonne partie, des deux sociétés-mères et les journalistes ne font en général qu'un travail de remise en forme et mise en page. L'impression se fait dans différentes villes, dont Hong Kong, reliées à Paris par différents modes de télécommunication. Le journal n'a pas de presse et il confie le travail d'imprimerie à la sous-traitance.

Plus près de nous, on peut craindre que la chaîne Thomson ne fasse un jour disparaître plusieurs quotidiens qu'elle possède au Canada. Ceux-ci pourraient devenir de simples sections locales d'un GLOBE AND MAIL national réalisé en téléimpression. Une version moins visible du même procédé consisterait à alimenter les ordinateurs des petits quotidiens à partir de celui de Toronto. Ce « dialogue » se réalise déjà entre les agences de presse et les journaux. Sur une échelle moindre, le JOURNAL DE MONTRÉAL transmet ses articles au JOURNAL DE QUÉBEC par télécopie***, d'ici peu, si ce n'est déjà fait, les ordinateurs de ces deux publications-soeurs seront branchés ensemble.

Les technologies télématiques permettent donc aux empires de la presse écrite de resserrer les maillons de leurs chaînes. On peut craindre qu'une certaine uniformisation de l'information en soit le prix. La situation n'est pas sans issue cependant. L'informatisation du journal a considérablement allégé les structures de production, ce qui peut permettre de démarrer un journal avec moins de capitaux (moins et non peu!). On peut citer l'exemple du MATIN de Paris, un quotidien de tendance socialiste qui réussit à survivre grâce à une infrastructure plus moderne que celle de ses concurrents. L'arrivée de la presse offset a eu un effet semblable.

LES COUSINES: TÉLÉMATIQUE ET TÉLÉVISION

La télématique et la télévision se rejoignent dans l'emploi de l'écran cathodique comme moyen de visualisation. Le téléviseur peut constituer un élément d'un terminal d'ordinateur domestique pendant que les câblodistributeurs peuvent, un jour, devenir des « autoroutes électroniques » où voyageront indifféremment les images de divertissement et les informations nécessaires au travail à domicile.

Les technologies télématiques font aussi partie du quotidien de la production télévisuelle. Les réseaux de télécommunications sont la base des réseaux de télévision; on ne peut penser un téléjournal sans une bonne ration d'images transmises par satellites. La réalisation des émissions dépend de plus en plus des ordinateurs qui permettent une panoplie d'effets visuels spectaculaires. Imaginez une soirée électorale sans ordinateur! (T.V.A. l'a fait!)

Le mouvement d'informatisation des salles de rédaction semble lent dans les médias électroniques. Il n'y a pas de typographes à mater dans les studios et les textes des nouvelles sont courts, ce qui enlève de l'intérêt à la chose. Les avantages de l'archivage et du traitement de textes demeurent cependant et Radio-Canada aura des écrans à Montréal.

La multiplication du nombre et de la puissance des canaux de télécommunications fait disparaître le monopole des grands réseaux nationaux de télévision. Les auditeurs de Montréal peuvent syntoniser les canaux américains, la télévision française, les canaux des câblodistributeurs, la télévision payante et, bientôt, le vidéotex. Les ressources financières des grands réseaux dépendent de la publicité et une réduction de l'audience peut amener une réduction des sommes dépensées en publicité. Quelles seront les émissions dont le budget sera affecté? Le hockey ou les émissions d'affaires publiques?

LE TRAVAIL DES JOURNALISTES

L'informatisation  a  permis  aux  patrons  de  la presse écrite de mettre les typographes au pas, de déqualifier le travail des ouvriers de l'imprimerie42. Ce processus peut-il se répéter dans le cas des journalistes? Voyons les effets des nouvelles façons de produire la nouvelle.

Les journalistes disposent d'un système de traitement de textes pour rédiger leurs articles. Il s'agit là d'un avantage considérant la facilité avec laquelle on peut alors modifier un texte en cours d'écriture; certaines personnes peuvent cependant s'objecter à la froide logique de l'appareil ou à l'effort visuel qu'il commande.

La rédaction d'articles longs peut cependant devenir plus difficile avec le traitement de textes43: contrairement aux feuillets, les pages déjà écrites ne sont pas immédiatement visibles et il faut les rappeler de la mémoire; certains écrans ne présentent pas une page complète. Une certaine perte de cohérence peut en résulter.

Les risques de fautes de rédaction peuvent être augmentés, même si leur correction est plus facile. L'introduction de l'écran coïncide souvent avec la disparition des correcteurs d'épreuves à l'imprimerie, les journalistes doivent alors corriger leurs propres erreurs, ce qui est plus difficile que de corriger celles d'une autre personne. On peut regarder LE DEVOIR de janvier 1983 pour voir un résultat du genre!

La fabrication de certaines nouvelles comme les « faits divers » pourrait devenir un exercice de remplissage des blancs si le journal disposait d'un certain nombre de modèles auxquels il suffit d'ajouter les circonstances précises. Une partie du travail de secrétariat se fait déjà selon cette méthode.44

Nous avons déjà mentionné la possibilité d'inscrire directement les dépêches des agences dans les ordinateurs du journal. Les journalistes pourront (probablement) aussi disposer des informations contenues dans diverses banques de données, telle celle d'Info Globe. Il y a là un moyen pour monter rapidement un dossier sur un sujet. Mais les deux systèmes précédents peuvent confiner les journalistes dans une tâche de réécriture de textes produits par d'autres journalistes. De plus, comme les patrons répugnent à payer les déplacements et les frais d'enquête des journalistes qui constituent leurs dossiers en se rendant sur les lieux de la nouvelle, on peut craindre de leur donner un autre argument.

La fonction de « chef de pupitre » ne disparaît pas avec l'ordinateur. Les journalistes doivent remettre leurs textes au « pupitre » qui peut les corriger, les rejeter, les accepter. Avec l'ordinateur, le « pupitre » appelle les textes sur son écran pour faire son travail. Rien de neuf donc, sauf la possibilité pour le « pupitre » d'observer les textes à mesure que les journalistes les écrivent, un regard pour le moins indiscret. Ce type de surveillance se pratique dans les tâches de bureau mais les journalistes semblent en être exempts, probablement à cause de la qualification nécessaire à l'exercice de ce métier.

Rien n'oblige en principe à fournir une copie imprimée de l'article qui vient d'être inscrit dans la mémoire de l'ordinateur, d'autant plus que les imprimantes coûtent cher. Comment alors établir les modifications faites par d'autres personnes que le journaliste?

Rien n'oblige non plus à ce que les terminaux soient dans la salle de rédaction. La section économique pourrait s'établir à la Bourse et transmettre ses textes à l'ordinateur de l'imprimerie.

Les terminaux portatifs existent déjà et il suffit de les brancher sur un combiné téléphonique pour transmettre le texte en quelques instants. Quelle sera la solidarité syndicale de journalistes ainsi dispersés?

Malgré toutes ces réserves, il est probable que l'informatisation ne modifiera pas profondément la démarche journalistique (cueillette des informations et écriture) et le nombre de journalistes requis pour produire la nouvelle45. Des risques existent cependant et ils vont dans le sens d'un renforcement de l'autorité patronale. Après tout, ce sont eux qui prennent la décision.

DES ENJEUX RÉELS

Si nous répondons maintenant à notre question sur la survie du JOURNAL DE MONTREAL, il ne fait pas de doute que les médias « traditionnels » ne seront pas remplacés par le vidéotex. Les grandes chaînes de journaux ont déjà mis la main sur ce nouveau média et ils le feront servir à leurs fins. Personne ne songe d'ailleurs à transporter son écran vidéotex en se rendant au boulot en autobus!

La position du gouvernement canadien laisse songeur: il engouffre des millions dans Télidon sans avoir la certitude que le Canada profitera réellement d'une « victoire » de ce système sur les autres. Les subventions gouvernementales servent pour le moment à maintenir à flot certains promoteurs du vidéotex: Infomart, Norpak, Édimédia.

Les risques de monopolisation de ce nouveau média sont bien réels. Qui fera contrepoids aux grandes entreprises du vidéotex? N'y a-t-il pas lieu de créer un vidéotex d'État sur le modèle du chemin de fer et de la télévision d'État.46 Qui verra au contenu québécois du vidéotex? Infomart, Bell Canada ou le CRTC?

Le vidéotex ne devrait pas se constituer en chasse gardée du pouvoir et des consommateurs les plus aisés. Les règles et les coûts d'accès au système comme pourvoyeurs ou consommateurs devraient garantir le pluralisme des contenus.

Dans les médias « traditionnels », les métiers de l'imprimerie ont déjà payé leur tribut au progrès. La fragmentation des auditoires de la télévision risque à terme de restreindre les ressources des grands réseaux et en particulier de Radio-Canada. La télématique facilite les transferts d'information à l'intérieur et entre les grands groupes de presse; la capacité de gestion de l'information des grands groupes s'en trouve donc renforcée ainsi que les risques pour la démocratie.

Les journalistes semblent pour le moment à l'abri des grands bouleversements, même si l'écran remplace la Remington. Il devient cependant un peu plus facile de confier la rédaction à des journalistes hors de la salle de rédaction alors que la tentation de travailler à son bureau en interrogeant l'écran peut devenir plus forte.

Les technologies nouvelles pourraient ouvrir certaines possibilités pour une information plus démocratique. La fabrication des journaux s'est allégée; le nombre de canaux électroniques augmente tellement vite que plusieurs, tels ceux du câble, ne sont que vaguement occupés par un contenu minimal. Comme il est difficile d'imaginer un renforcement des idées progressistes sans moyens de diffusion de ces idées, il faudra évaluer les possibilités de nouvelles technologies du point de vue des organisations qui aspirent à un changement de société.

En somme,les données fondamentales de la lutte pour l'information ne changent pas. L'information colle au pouvoir et vice versa. Le système des mass-médias se développe en symbiose avec celui de la télématique. La rupture ne viendra pas des patrons de la presse. La vraie « révolution de l'information » n'est pas à l'ordre du jour à Bay Street.

Vidéotron: l'empire de la câblodistribution au Québec

UNE ETUDE DE CAS Le développement de Vidéotron

En arrière du propriétaire officiel... d'autres promoteurs

par   Jean-Guy   Lacroix professeur   au   département   de Sociologie de l'UQAM.

Ont collaboré: Anne Filion  Carole Laflamme  Robert Pilon

Il n'est pas une journée où nous n'entendons pas parler du développement de l'informatique, des micro-ordinateurs, de la transformation des communications... bref on nous informe que les nouveaux médias sont « à notre porte », on nous convainc qu'ils sont avantageux pour nous et qu'il ne faut pas manquer le train de l'histoire.

Au Québec, la firme Vidéotron est le promoteur du projet SID-Télidon qui est, sans doute, un des systèmes intégrés de nouveaux services de communication les plus complets.

Vidéotron (1979) Ltée, c'est une société de gestion regroupant plusieurs compagnies oeuvrant dans le domaine de la câblodistribution et de la production pour cette distribution. Au début de l'année 1982, le groupe Vidéotron faisait état d'un actif de 123 millions et d'un chiffre d'affaires de plus de 75 millions de dollars. Ce groupe employait alors plus de 1 000 personnes et desservait plus de 600 000 foyers. Vidéotron occupait en 1982 la deuxième place parmi les 381 télédistributeurs canadiens et parmi les 5 221 entreprises oeuvrant dans ce domaine dans le monde elle se classait septième.49

Vidéotron, c'est donc une entreprise très importante d'un secteur en pleine expansion. Vidéotron est en fait en position de monopole au Québec.

LE DÉVELOPPEMENT DE VIDÉOTRON : HISTORIQUE DU DÉVELOPPEMENT DU MONOPOLE... VIDÉOTRON

A. Une histoire de concentration de la propriété dans le secteur de la câblodistribution

Vidéotron Ltée naît en 1964 de Télécable St-Michel50  avec la construction d'un réseau de télédistribution dans MontréalNord et à Laval. Puis, très rapidement, la compagnie se développe en achetant des réseaux déjà en place mais aussi en en construisant d'autres. Ainsi, en 1966, elle achète le réseau de Mont-Laurier et construit ceux de Gatineau et de Pointe-Gatineau. L'année suivante, elle construit le réseau de Buckingham. En 1969, Vidéotron achète le réseau de Beloeil/St-Bruno, l'agrandit et le modernise. La compagnie a alors environ 10 000 abonnés.51

Durant les années soixante-dix, ce nombre sera porté à près de 100 000. En 1973, Vidéotron construit le réseau de StBasile-le-Grand et celui de St-Jérôme en 1974. En 1975 est créée la compagnie Télécâble Vidéotron qui construit le réseau Rive-Sud de Montréal. En 1977, cette compagnie achète Télécâble de la Rive-Sud Inc. qui dessert Lévis et la Rive-Sud de Québec alors que Vidéotron Ltée agrandit son réseau de la Gatineau.

En 1978, Vidéotron Ltée et Télécâble Vidéotron se fusionnent en une seule compagnie, Télécâble Vidéotron Inc.. Cette dernière acquiert en 1979 Câblevision du Haut-Richelieu Ltée, ce qui porte le nombre d'abonnés à près de 100 000. Et, la même année est créée la Société de gestion Vidéotron (1979) Ltée... David s'apprête à manger Goliath.

En 1980, Vidéotron (1979) Ltée acquiert Câblevision Nationale Ltée et ses 310 000 abonnés.

En 1981, la filiale de Télécâble Vidéotron Ltée construit les réseaux de Joliette, Vaudreuil, Beauharnois, Repentigny, Charlemagne, L'Epiphanie, L'Assomption, St-Étienne de Lauzon, Breakeyville, Melocheville, Mirabel et Ste-Anne-des-Plaines. Pendant ce temps, l'autre filiale Câblevision Nationale Ltée construit ceux de Val-Bélair, St-François, Boisbriand et Fabreville. La compagnie a alors plus de 600 000 abonnés.52

B. Vidéotron, le monopole de la câblodistribution au Québec

La concentration de la propriété dans le secteur de la câblodistribution se fait donc par l'achat et/ou la fusion d'entreprises opérant déjà dans le secteur mais aussi par la construction de nouveaux systèmes de distribution et l'agrandissement et la modernisation de ceux qui existent déjà.

Au fil des constructions, agrandissements et modernisations, il y a donc développement d'un marché dans lequel le nombre d'abonnés de Vidéotron passe de 1966 à 1982 de 600 à 603 000$53. Grâce à l'acquisition de Câblevision Nationale, Vidéotron s'accaparait 50,6 % des abonnés potentiels au Québec (9,5 % du potentiel canadien)54. A ce moment, il ne restait au Québec qu'une seule autre entreprise de câblodistribution de taille importante, Cable-TV (cinquième au Canada) desservant l'Ouest de Montréal et dont les 128 000 abonnés représentaient 16,5 % des câblo-abonnés québécois.55 De 1980 à 1981, le nombre de câblo-abonnés de Vidéotron passe de 392 000 à 560 414, soit une augmentation de 53,8 % de sorte que la part de cette compagnie dans les câblo-abonnés québécois était en 1981 de 53,4 %. Mais l'appétit de Vidéotron ne s'arrêta pas là. En effet, en 1981 cette compagnie tenta d'acheter Cable-TV, ce fut cependant CFCF (propriété de Paul Pouliot) qui réalisa cet achat.56

Le tableau I montre clairement que la position de Vidéotron sur le marché québécois de la câblodistribution est très avantageuse, voire monopoliste. La part de câblo-abonnés de Vidéotron est de 53,4 % mais cela ne représente qu'environ 40 % du bassin potentiel de Vidéotron. Il reste donc beaucoup de place pour une expansion horizontale de Vidéotron dans son propre bassin. D'autant que ce bassin contient la plus grande partie des foyers québécois, c'est-à-dire la Vallée du St-Laurent de Montréal à Québec plus l'axe Sherbrooke/Cap-de-la-Madeleine. Le plus important est toutefois de constater que, dans ce bassin encore inoccupé à 60 %, la compagnie Vidéotron est en train de se donner les principaux instruments pour approfondir son propre marché.

Dès 1974-75, Vidéotron vise le développement de la communication télébidirectionnelle qui permettra de rendre opérationnelle la télévision à la demande. Pour ce faire, Vidéotron installe sur l'ensemble de son territoire des câbles capables de « transporter » au moins 27 canaux. La compagnie a d'ailleurs consacré plus de 20 millions de dollars depuis 1980 pour porter à ce niveau le réseau de câbles de sa filiale Câblevision Nationale Ltée.

La compagnie travaille également à développer une nouvelle génération de câblosélecteur lequel sélecteur permettra de communiquer avec l'ordinateur central de la compagnie et de commander les services offerts par celle-ci. Vidéotron a, à cet effet, obtenu un prêt de 10 millions de dollars de la Banque Toronto-Dominion.57

TABLEAU I

ACCROISSEMENT DES CÂBLO-ABONNÉS VIDÉOTRON

 

Abon. tot.

Bassin

%

%

 

Année

Aug. %

Vidéotron

Aug. %

potentiel

Vid/bas.

Vid/Qué.

Tot. abon. Q.

1970

-

10 000

-

40 000

25%

4,4%

225 9241

1973

-

202 499

 

-

-

-

 

 

39,8%

 

 

 

 

 

 

1975

 

283 192

 

823 600

34,4%

-

510 5406

 

38,4%

 

26,5%

 

 

 

 

19802

 

392 000

 

1 042 000

37,6%

50,6%3

826 2456

 

53,8%

 

 

 

 

 

 

1981

 

560 414

 

-

-

53,4%

952 3326

 

7,6%

 

 

 

 

 

1 056  001

1982

 

603 000

 

-

-

(4) (5)

 

1973/1982 = 297,8%

Finalement, et c'est là la clé de tout ce marché potentiel, la filiale Vidéotron Communications Ltée travaille au développement et à l'implantation du projet SID, Système d'information à domicile. SID, c'est un système intégré de communication mettant à la disposition des câblo-abonnés l'accès à des banques de données et à toute une gamme de nouveaux services: télétexte à haute capacité, vidéotexte-Télidon, services de surveillance (feu-vol), jeux, services de télécommande de gestion de l'énergie (relevé des compteurs de gaz, eau, électricité), distribution de logiciels, télégestion. Mais le projet SID c'est principalement pour le moment la télé à péage58. Le projet SID-Télidon en est rendu à la phase de commercialisation et pour cette fin on l'a baptisé VIDACOM... Les principales fonctions de ce système sont illustrées dans le graphique qui suit:

Graphique I Fonctions du système VIDACOM

Tableau II : Revenu additionnel tiré de la télé payante par Vidéotron

Tableau II Revenu additionnel tiré de la télé payante par Vidéotron

Coût d'un abonnement à une chaîne et revenu pour Vidéotron

- First Choice/Premier Choix

17,38 $

- Coût pour Vidéotron

9,25 $

- Ce qui reste à Vidéotron

8,13  $

Pour les 603 000 abonnés de Vidéotron

une pénétration de

- 10 %     -   60 300 abonnés X 8,13$

- 490 239,00 $

- 20 %     - 120 600 abonnés X 8,13$

- 980 478,00 $

- 37,7 % - 227 330 abonnés X 8,13$

- 1 848 192,00 $

Tableau III Coût/s pour le consommateur de/des abonnement/s à la télé payante

Détail de la tarification (à chacun de ces coûts d'abonnements s'ajoute le coût du tarif de base de l'abonnement à Vidéotron soit 11,28 $ plus taxe - 12,41 $ et de 30,00 $ pour les frais d'établissement).

First Choice

(1)     15,95 $

plus taxe

- 17,38 $

Premier Choix

(2)    15,95 $

pIus taxe

- 17,38 $

C-Channel

(3)    14,50 $

plus taxe

- 15,80 $

TVEC

(4)    15,95 $

plus taxe

- 17,38 $

(1)  Chaîne nationale canadienne, anglais.

(2)  Chaîne nationale canadienne, français.

(3) Canal culturel, régional.

(4) Télévision de l'Est du Québec, chaîne régionale de langue française.

Coût/s pour l'usager (différents scénarios).

1 - 1 chaîne ... Premier/First

Chaîne

17,38 $

Base

+ 12,41 $

Mensuel

29,79 $

Annuel

357,48 $

2 - 2 chaînes... Premier & First

31,90 $

+    "

44,31 $

531,72 $

3 - 2 chaînes... TVEC & Premier

34,76 $

+    "

47,17 $

566,04 $

4 - les 4 chaînes...

65,98 $

+    "

77,49 $

929,88 $

De plus, il faut signaler que Vidéotron a développé un mode de relations avec d'autres câblodistributeurs qui permet à la compagnie d'étendre son emprise sur le secteur bien au-delà de sa propriété directe. En effet, Vidéotron participe avec d'autres câblodistributeurs à des consortiums industriels chargés d'assurer différents services. Vidéotron participe ainsi à Microbec (transport et réception par micro-ondes de signaux vidéo et audio), La Sette (distribution au Québec par la chaîne TVFQ 99 d'émissions de France provenant par satellite), et aux réseaux Intervision assurant la distribution régionale de signaux de télévision. Ces réseaux devraient en 1984 rejoindre près de 90 % de la population du Québec. Or, il s'avère que par sa taille, le nombre de ses abonnés, sa maîtrise technologique et ses capacités de revenus Vidéotron a un poids déterminant dans ces consortiums. Vidéotron exerce donc une influence, si ce n'est une certaine forme de contrôle, économique et technologique sur les autres câblodistributeurs du Québec.

C. Un marché qui pourrait être très payant pour Vidéotron

En ne retenant que les revenus des abonnements à la télé payante, Vidéotron pourrait augmenter ses revenus d'environ 500 000 dollars par mois si la pénétration d'une seule chaîne se faisait à 10 % (voir le Tableau II). Si cette pénétration, toujours d'une seule chaîne, était de 20 %, l'augmentation serait de 980 478 dollars par mois, 12 millions de dollars par année et si la pénétration s'avérait identique à ce qu'elle est aux États-Unis soit 37,7 %59, l'augmentation mensuelle des revenus serait de près de 2 millions de dollars, plus exactement 1 848 192,90 $. À ces revenus additionnels tirés de la télé payante, il faudra ajouter ceux que l'entreprise tirera des abonnements et de l'utilisation des autres services du projet SID.

Ces quelques données montrent très clairement que l'entreprise Vidéotron a devant elle un marché qui ne pourra qu'augmenter, d'autant que la restructuration des activités socio-économiques qui s'amorce dans le cadre de la crise actuelle modifiera substantiellement les habitudes de consommation des divertissements et provoquera probablement une augmentation importante de services à domicile... L'avenir semble donc radieux pour Vidéotron mais ce sont les consommateurs qui en feront les frais comme le montre le Tableau III.

LA STRUCTURE DE PROPRIETE DE VIDEOTRON

Cette structure est illustrée par le graphique 2.

Les propriétaires directs, c'est-à-dire les détenteurs du capital-actions avec droit de vote au Conseil d'administration, sont indiqués dans la partie supérieure du graphique alors que le système de filiale est présenté dans la partie inférieure.

Graphique 2: structure de la propriété de Vidéotron (pour la description des fonctions des filiales, voir tableau 5)

Ces   descriptions   sont  celles   que   le   Groupe

Vidéotron donne dans sa publication de 1982 « Le Groupe Vidéotron », page 2.

Tableau V: Description des fonctions des filiales de Vidéotron

Au sujet des filiales du groupe Vidéotron, il faut distinguer dans le réseau Intervision les filiales Intervision de Montréal et de Québec où la participation de Vidéotron s'élève à plus de 95 % et les Intervisions régionales comme celle des Cantons de l'Est où cette participation est minoritaire. Vidéotron a également une participation partagée avec d'autres câblodistributeurs dans d'autres filiales. (Voir le Tableau VI).

Tableau VI

Degré de participation de Vidéotron dans ses filiales Intervisions et La Sette

Contrôle « quasi absolu »47

Contrôle majoritaire

VIDÉOTRON C'EST QUI?

A. Ceux qui possèdent

Le principal actionnaire du Groupe Vidéotron est André Chagnon. Il est propriétaire de 60,7 % des actions de la Société de gestion Vidéotron (1979) Ltée, soit 18,7 % directement et 42 % par l'intermédiaire de Sojecci, son holding personnel (Sojecci appartient en effet a 99 % à André Chagnon, le reste est propriété de membres de sa famille). Il a commencé sa carrière comme technicien à la Commission des services électriques de la Ville de Montréal au début des années cinquante. On le retrouve en 1957 président de la Société ER Chagnon (électricité, éclairage de route, signalisation et canalisation souterraine). Plus tard, cette entreprise met sur pied une division de câblodistribution. Finalement, il se départit en 1966 des actifs de l'entreprise de construction et devient l'année suivante président de la Société de câblodistribution Vidéotron Ltée. Dès lors, Vidéotron connaîtra la croissance très rapide que nous avons déjà décrite.

Quatre cadres du Groupe Vidéotron, associés de longue date avec André Chagnon, possèdent 4,6 % des actions de la compagnie. Ce sont: Roger Jauvin (2,1 %), Jean-Charles Dagenais (1,3 %), Guy Laflamme (0,6 %) et Pierre Hébert (0,6 %). Les trois premiers sont respectivement vice-président exécutif, vice-président ingénierie et contrôleur alors que Pierre Hébert est vice-président du marketing et des ventes chez Câblevision Nationale et Télécâble Vidéotron.

La Société de financement d'entreprises Roynat Inc. possède 4,7 % des actions de Vidéotron. Les actifs de Roynat sont détenus par de grandes entreprises de finance dont: la Banque Royale du Canada (41,5 %), la Banque Nationale du Canada (34 %), le Montreal Trust (13,5 %), Canada Trust Company (10 %). Il faut également signaler que le groupe Power Corporation de Paul Desmarais contrôle le Montreal Trust et possède 6 % des actions de la Banque Nationale du Canada. Par ailleurs 30 % des actions du Canada Trust appartiennent à l'importante compagnie canadienne d'assurances ManuLife.

Enfin,  la Caisse de dépôt et placement du Québec possède 30 % des actions de Vidéotron (1979) Ltée. La Caisse est une société qui appartient à l'État québécois. Elle gère les cotisations versées par les citoyens du Québec à la Régie des rentes. Ses actifs s'élèvent à plus de 10 milliards de dollars et elle possède des blocs d'actions importants dans plusieurs grandes entreprises dont: le Canadien Pacifique, Alcan, Domtar, Provigo, Gaz Métro, Dominion Textile, le Trust général du Canada, Québec Téléphone, Papier Rolland, la Banque Nationale du Canada et Power Corporation.

B. Ceux qui dirigent

Au Conseil d'administration de Vidéotron (1979) Ltée, on retrouve d'abord et évidemment l'actionnaire majoritaire et principal de l'entreprise, André Chagnon.

La Caisse de dépôt semble représentée à ce conseil d'administration par les membres suivants: Denis Giroux, gérant de portefeuilles à la Caisse; Jean-Marc Lafaille, de la Société Loto-Québec, et Michel Décary, du bureau d'avocats d'affaires Guy, Vaillancourt et Associés.

Roynat  défend  probablement ses  intérêts  au Conseil d'administration par la présence à ce conseil de Gilles Nolet. Ce dernier était en 1980 vice-président de Roynat. En 1982, il siège au Conseil d'administration de Volcano, société filiale de la SGF (Société générale de financement) elle-même contrôlée par l'État québécois.

Sont également au Conseil d'administration de Vidéotron: Louis-Philippe Savard et Laurent Picard. Le premier est viceprésident des Coopérants, importante société québécoise d'assurances. Le second fut président de Radio-Canada et est aujourd'hui doyen de la faculté d'Administration de l'Université McGill, membre du Conseil d'administration de Via Rail Canada, de Sidbec (sidérurgie contrôlée par l'État québécois) et d'Astral Bellevue Pathé une entreprise de production de films sous le contrôle des familles Greenberg et Bronfman.

Par ailleurs, du groupe des cadres propriétaires d'actions, seul Roger Jauvin est membre du conseil d'administration. Cette présence semble s'expliquer par son rôle-clé dans l'entreprise beaucoup plus que par son bloc (2,1 %) d'actions. Jauvin semble en effet être à la fois le « penseur » et « l'agent de liaison » avec les États fédéral et provincial. Il a été membre du Groupe de travail concernant le devenir de l'industrie de la câblodistribution, groupe formé par l'ACQ (Association des Câblodistributeurs québécois) et le MCQ (Ministère des Communications du Québec). Il fut également membre du Groupe de travail DELTA, étude et prospective sur les télécommunications au Canada. Roger Jauvin est actuellement directeur du projet de recherche sur l'implantation du système Télidon dans les systèmes de câblodistribution.

EN ARRIÈRE DU PROPRIÉTAIRE OFFICIEL... D'AUTRES PROMOTEURS

Derrière M. André Chagnon et la société Sojecci (société familiale Chagnon), il y a d'autres promoteurs du développement du secteur en voie de structuration mais aussi de l'entreprise Vidéotron... il y a des promoteurs politiques... mais surtout des promoteurs qui exercent le pouvoir réel par le contrôle financier...

LES ÉTATS FÉDÉRAL ET PROVINCIAL

 A. La querelle Ottawa-Québec pour l'autorité juridique sur le secteur

Les années soixante-dix ont entre autres été marquées par la querelle du câble. Cette querelle ne fut pas uniquement le prolongement des querelles des écoles, de la radio et de la télévision... elle fut aussi une bataille dont l'enjeu était économique.

Dès 1971,   le  Québec compte se donner les moyens de contrôler le secteur des communications culturelles dans lequel, selon l'affirmation du ministère des Communications du Québec, le câble occupe une place de choix60. Cependant en 1972, le gouvernement fédéral amenda sa loi du ministère des Communications afin d'élargir le champ d'action de la Régie des services publics... pour que dorénavant la juridiction de celle-ci comprenne l'ensemble des moyens de communication, y compris le câble61. En 1973, le ministère québécois des Communications signale que la Loi 35, loi de la Régie des services publics, a été modifiée afin d'attribuer à cette régie une compétence à l'égard des entreprises de communication relevant de sa juridiction.62

Mais en 1977, et bien que les 3 juges québécois se soient montrés en désaccord, la Cour Suprême tranchait en faveur d'Ottawa affirmant que la compétence en matière de câblodistribution était exclusivement du ressort fédéral. Le Québec perdait ainsi une bataille dont l'enjeu politico-économique était de taille, le contrôle du développement de l'industrie du câble et de la télématique. Quant à la télé payante, le Québec ne réussira à garder qu'une maigre partie du contrôle en forçant, par un règlement de la Régie des services publics du Québec, les câblodistributeurs à respecter la parité entre canaux de langue française et de langue anglaise.63

B. Interventions étatiques dans la recherche et l'implantation de la télématique... le projet SID-Télidon

Les interventions étatiques dans le développement et l'implantation de la télématique au Canada et au Québec sont à la fois directes et indirectes.

Le gouvernement du Québec a depuis 1979 investi 300 000 $ en recherche pour le développement de la télédistribution64 . Mais c'est le gouvernement fédéral qui est intervenu le plus directement et le plus massivement. D'une part, la mise au point du système Télidon, fer de lance de l'implantation de la télématique au Canada, a été effectuée par le MCC (ministère canadien des Communications).65 Et d'autre part, depuis cette invention le gouvernement fédéral s'est fait le principal promoteur de la télématique en investissant massivement dans le perfectionnement et l'expérimentation du système Télidon. En 1980, le fédéral affirmait y avoir déjà consacré 12,6 millions de dollars depuis 1978 et projeter d'investir encore 27,5 millions de dollars dans les deux années suivantes66. Ottawa consacre cet argent à subventionner des projets d'application du système. C'est ainsi que Francis Fox annonçait en janvier 1982 que 9,5 millions de dollars allaient être attribués à la réalisation de 52 projets dont 6 au Québec67. Vidéotron a profité également de subventions pour le développement et l'implantation de Télidon. En mai 1979, le MCC s'associa à la compagnie en investissant 1 850 000 $ pour le développement de SID-Télidon68.

Mais les interventions étatiques sont également indirectes par le biais d'organismes para-gouvernementaux. Ainsi, dès 1969, Vidéotron profite-t-elle de la collaboration de l'ONF dans la mise en place du projet Selecto-TV permettant la consultation de contenus spécialisés selon un modèle interactif d'autoprogrammation.69 Et l'Université de Montréal (l'École de polytechnique) de même que l'UQAM collaborent avec Vidéotron depuis 1980 au développement et à l'implantation du système Télidon.

C. Interventions et participation de membres du personnel politique au développement du secteur

Les membres du personnel politique de l'État autant dans sa dimension fédérale que provinciale interviennent à la fois directement en participant à l'administration de l'entreprise et indirectement par des interventions à l'occasion de demandes faites au CRTC en vue d'achats et/ou fusions d'entreprises du secteur.

Ainsi pouvons-nous constater que le développement de l'entreprise Vidéotron se fit avec la participation presque constante depuis 1971 de personnes liées, du moins de façon indirecte, à l'État provincial. Dès 1971, lorsque la Caisse de dépôt acquiert 30 % de Câblevision Nationale (qui en 1980 deviendra une filiale de Vidéotron) on constate la présence au conseil d'administration d'un représentant de la Caisse. En 1978, c'était M. Jean Michel Paris alors directeur général adjoint à la Caisse. À ce moment on note également la présence au conseil d'administration de Câblevision Nationale de M. Robert Després, ex-président de l'Université du Québec. En 1982, les représentants de la Caisse au conseil d'administration de Vidéotron sont au nombre de trois, comme nous l'avons vu antérieurement. De plus, nous y remarquons la présence de M. Louis Brunnel, directeur de l'Ecole nationale d'administration publique, constituante de l'Université du Québec. Louis Brunnel est également l'auteur du livre DES MACHINES ET DES HOMMES70, livre préfacé par M. Gérard Pelletier, exministre libéral à Ottawa et maintenant ambassadeur canadien à Paris. Dans cette préface, M. Pelletier souligne que la télé-information plonge ses racines jusqu'en 1940-50 avec des visionnaires comme M. Pierre Juneau,71 bon ami de M. Pierre-Elliot Trudeau, ex-député libéral fédéral et aujourd'hui président de Radio-Canada.

Mais les interventions de membres du personnel politique et même de politiciens sont également très importantes dans le développement de l'entreprise et la structuration du secteur. Ainsi lorsque l'achat de Câblevision Nationale par Vidéotron fut accepté par le CRTC, il y eut devant le CRTC des interventions favorables à la transaction de la part des villes de Montréal et de Longueuil, de même que de la part de M. Jacques Olivier, député libéral fédéral de Longueuil.72

Finalement, il faut rappeler que c'est en 1971 et suite à une directive du CRTC émise en 1969 et selon laquelle la participation étrangère au capital-actions d'entreprises canadiennes de câblodistribution devait être réduite à un maximum de 20 % que CBS Inc. des ÉtatsUnis et Evergreen Câblevision Ltd. de Colombie Britannique alors propriétaires de Câblevision Nationale cédèrent 60 % du capital-action à un consortium formé par la Caisse de dépôt (30 %), la compagnie d'assurances La Laurentienne (20 %) et d'autres assureurs (10 %).73 Ainsi pour l'industrie du câble comme ce fut le cas pour la télévision, la radio, les transports aériens et ferroviaires... l'État canadien se faisait le promoteur politique de la propriété économique canadienne au Canada.

D. Des interventions étatiques qui ont une incidence sur le financement de l'entreprise

Par la réglementation tarifaire... et l'attribution des licences

L'État fédéral intervient directement sur les conditions de rentabilité des entreprises de câblodistribution en réglementant les tarifs, en attribuant les licences d'exploitation de territoires et en approuvant ou refusant les achats et fusions d'entreprises opérant dans le secteur.

Ainsi en 1980 Vidéotron demandait au CRTC de consentir à une hausse de 1,00 $ de ses tarifs mensuels. L'organisme paragouvernemental accepta cette demande alléguant que l'augmentation était justifiée compte tenu des immobilisations nécessaires à l'amélioration de la qualité des services (porter les câbles à 27 canaux) et à augmenter le nombre de services offerts... cela voulait dire les nouveaux services caractéristiques de la télématique (entre autres le projet SID-Télidon) et les lignes capables de les « transporter ». Autrement dit, les hausses de tarifs consenties par le CRTC allaient financer une bonne part de l'implantation des nouveaux services, de la télématique dont le fédéral était/est ...par ailleurs... un des principaux promoteurs! Cette augmentation porta le prix de l'abonnement mensuel dans la région de Montréal de 6,75 $ à 7,75 $, soit une augmentation de 14,8 %. En août 1982, le prix du même abonnement était de 9,75 $ ce qui représentait une hausse de 25,8 % depuis juillet 1980. Et, six mois plus tard, en décembre 1982 ce prix sera de 10,34 $ (taxe non incluse), soit une hausse de 6,05 %. En deux ans et demi, le tarif Vidéotron était donc passé de 6,75 $ à 10,34 $ soit une augmentation de 53,19 % pour le consommateur.

S'il est évident que le CRTC a par la tarification une incidence directe sur les conditions de rentabilité, il n'est pas moins évident que cet organisme étatique joue un rôle-clé dans la structuration du secteur par sa capacité juridique d'attribuer les licences d'exploitation de territoires mais surtout par le rôle qu'il joue dans la concentration de la propriété dans le secteur. À ce titre, la transaction de 1980 par laquelle Vidéotron (100 000 abonnés) achetait Câblevision Nationale (310 000 abonnés) est très significative. En effet, le CRTC accepta cette transaction en précisant qu'il voyait d'importants avantages à l'augmentation de la concentration dans le domaine de la câblodistribution.74 L'organisme soulignait de plus que la transaction serait bénéfique pour l'ensemble du système de radiodiffusion75 et que la création d'une «( ...) entité de cette importance au Québec (...) provoquera un effet d'entraînement et un leadership qui sera bénéfique pour le développement de ce secteur (...) »76.

Ce n'est pas que pour le Québec que le CRTC

prit une telle décision avec les mêmes raisons. Cet organisme approuva également le 30 juillet 1980, en même temps que la transaction Vidéotron, l'acquisition par Canadian Cablesystems Ltd de Toronto propriété du groupe Ted Rogers de Premier Communication Ltd de Vancouver pour la somme de 86,5 millions de dollars formant ainsi la plus importante entreprise de câblodistribution au Canada (1 100 000 abonnés, soit 27 % du marché canadien).77

Par l'apport de capital à l'entreprise

La Caisse de dépôt et placement du Québec était depuis 1971 le principal actionnaire de Câblevision Nationale (30 % du capital-actions) alors que Vidéotron (1979) Ltée acquiert cette compagnie pour la somme de 14 millions de dollars. Des 10 millions de dollars comptant nécessaires à cet achat, 8 millions de dollars furent « apportés » par la Caisse qui acheta pour cette somme 30 % des actions de Vidéotron (1979) Ltée. Par cette opération, André Chagnon se procurait donc 80 % du financement nécessaire à l'acquisition de la plus importante compagnie de câblodistribution du Québec. Les 4 millions de dollars restant furent/sont « financés » par la compagnie achetée puisque l'acquittement de la balance de vente se fera par versements semestriels de 500 000 dollars à compter du 42e mois de la signature.78 L'entente fut acceptée par le CRTC le 30 juillet 1980... cela implique donc que le remboursement de la balance de vente devrait commencer en janvier 1984! En retenant que la Caisse de dépôt était le principal actionnaire de la compagnie achetée, il devient évident qu'elle supporte également, mais ici de façon indirecte, l'opération d'acquisition de Câblevision Nationale.

Le capital financier manifeste sa présence dans l'entreprise Vidéotron par la participation de Roynat au capital-actions (pourcentage de contrôle direct de 4,7 %) et par le financement de l'achat de Câblevision Nationale, des opérations de modernisation, du développement de la nouvelle technologie et des opérations courantes.

Ainsi en 1980 dans l'acquisition de Câblevision Nationale pour 14 millions de dollars, 2 millions de dollars sont-ils fournis par la banque Toronto-Dominion79. Cette banque financera également les 10 millions de dollars nécessaires pour le développement et la commercialisation d'un nouveau télésélecteur. Vingt autres millions seront avancés conjointement par les banques Toronto-Dominion et Nationale du Canada pour la modernisation du réseau de la filiale Câblevision Nationale. À ce 20 millions de dollars, les mêmes banques ajoutèrent un crédit rotatif de 2 millions. Finalement, les deux mêmes banques prêteront les 5 millions de dollars nécessaires aux immobilisations des consortiums Intervision de Montréal et de Québec.

C'est donc près de 39 millions de dollars que le capital financier avance à Vidéotron en 1980-81. Des ces 39 millions de dollars, la plus grande partie est fournie par la banque Toronto-Dominion. On peut ainsi penser que le capital financier, particulièrement la banque Toronto-Dominion, a une position de contrôle dans l'entreprise Vidéotron.

Il semble donc que le grand capital via l'entreprise Vidéotron est un promoteur du développement du secteur et plus largement de la télématique, du moins de son implantation. Dès ses premiers pas, ce secteur industriel nouveau est donc soumis à la puissance du capital financier...

Au Québec, la compagnie Vidéotron est un des principaux promoteurs de la télématique surtout par son projet SID-Télidon lequel a depuis 1981 été expérimenté entre autres à Laval et qui devrait entrer en 1983 dans sa phase première d'implantation dans le grand public.

Nous avons vu que Vidéotron est au Québec en position de monopole de fait dans le marché de la câblodistribution et qu'avec l'introduction de la télé payante et celle des nouveaux services, cette compagnie a devant elle un marché potentiellement très lucratif. Il ne faudrait toutefois pas penser que Vidéotron a les coudées franches. D'une part, son développement horizontal au Québec semble avoir atteint un stade quasi limite qui forcera la compagnie à poursuivre son expansion à l'extérieur du Québec. D'autre part, l'implantation de la télématique peut emprunter d'autres canaux, entre autres le téléphone et la fibre optique et là, Vidéotron a un adversaire de taille, Bell Canada et son projet Vista.

Derrière André Chagnon, principal actionnaire de Vidéotron se profilent d'autres promoteurs. Nous avons en effet constaté que les états fédéral et provincial sont très actifs dans le développement, l'implantation et la « rentabilisation » de la télématique. D'autre part, le grand capital financier est également là. On peut même dire que dans le cas de Vidéotron, il est omniprésent surtout par le financement fourni par la banque Toronto-Dominion.

Télématique, projet SID-Télidon, télé payante, nouveaux services et développement de nouveaux secteurs industriels semblent donc inévitables, déjà en voie de réalisation. Mais dans ce processus, on oublie trop facilement ceux et celles qui paient... les consommateurs.

Il semble toutefois que pour les politiciens, banques et propriétaires, ces gens n'aient qu'à ouvrir leur porte à la télématique... et payer. Comment les convaincra-t-on et/ou forcera-t-on à le faire? Seront-ils capables de le faire?

Ont également collaboré à ce texte: Anne Filion, Carole Laflamme et Robert  Pilon.

La télématique affecte-t-elle nos droits et libertés?

Fichiers personnels

Un contrôle difficile

Normalisation de la société

Les systèmes de paiements électroniques

Stratégie de développement

Impacts

par Gaétan Nadeau Ligue des droits et libertés

Toute une quincaillerie a vu le jour ces dernières années, dans le secteur de la gestion des données et de l'administration bureaucratique. Même si toutes les retombées sont loin d'être connues, il reste que pour les personnes et les organismes préoccupés par la problématique des droits et libertés, un certain nombre d'interrogations attirent notre attention.

Le droit à l'intégrité de sa personne, aussi appelé droit à l'image, le droit d'accès à l'information publique, le droit d'accès et de contrôle des dossiers personnels, le respect de la vie privée, la progression des mesures discriminatoires et injustes, voilà nos préoccupations. L'électronique donne à ces thèmes un nouveau cadre de référence. Il en découle une problématique plus vaste, plus complexe.

Aujourd'hui, la problématique a pris l'ampleur de la révolution qu'elle transporte. Les difficultés au niveau du droit, autant naturel que scolastique, arrivent, elles aussi, en quantité industrielle. Les ordinateurs appellent la normalisation. Ils sont aussi d'une indiscrétion gênante. C'est une indiscrétion passive, mais tout de même présente. Ils atteignent le maximum de leur efficacité lorsqu'ils sont en état de concentration. Ce qu'ils avalent, ils ne le rejettent pas facilement et pas toujours dans le même état qu'à l'origine. Avec les mêmes données, les mêmes programmes, le même personnel, ils peuvent servir au pire comme au meilleur.

Le présent texte touchera deux points importants, susceptibles de porter atteinte à nos droits et libertés: les banques de données et les systèmes de paiements électroniques. Prenons ces deux secteurs comme témoins tout en spécifiant que pour la Ligue des droits et libertés, le dossier de l'électronique ne se limite pas à ces deux exemples.

En terminant cette introduction, signalons que la Ligue des droits et libertés tient à aborder ce sujet en dehors d'un cadre purement légaliste. La question légale est certes importante, mais il serait dangereux de s'y cantonner. Le risque de perdre la globalité du sujet est grand. La tentation de trouver, dans le droit, la pharmacopée universelle peut être une illusion coûteuse.

DÉFINITION

Pour bien comprendre la portée du débat, quelques lignes pour définir ce qu'est une banque de données ou fichier.

Commençons par le début: les données. Une donnée est une information. Dans le cas qui nous intéresse, cette information porte sur un individu et lui est particulière ou personnelle. L'âge, l'adresse, l'appartenance politique, etc., etc., voilà autant de données.

Les banques de données désignent un endroit où on emmagasine ce genre de données. On accumule par exemple tout ce qu'on peut savoir sur M. X. ou Mme Y. Une banque de données peut fonctionner manuellement avec les dossiers manuscrits: c'était le cas jusqu'à l'arrivée des micro-processeurs. Depuis, comme il est devenu facile et économique de le faire, on a recours à l'informatique. Les banques de données prennent donc de l'ampleur et se diversifient. Tous les organismes ont leur banque.

ORIGINE

De la nécessité naît l'organe. Voilà qui explique de façon simple, mais vraie, l'arrivée des ordinateurs.

En Amérique du Nord, en 1880, apparaît la première machine utilisant et traitant des informations sur les personnes. Notons qu'à l'époque, l'appareil avait pour fonction de résoudre un problème de quantité. Ce genre de machine fut utilisé pour des recensements. Ce qui comptait, c'était le total et non la particularité des informations recueillies.

MULTIPLICATION DES UTILISATEURS

Les grandes entreprises,  privées et publiques, comme Bell Canada et Hydro-Québec, mirent à profit les premières générations d'ordinateurs vraiment efficaces pour gérer une masse d'informations de plus en plus diversifiées.

Les relations avec les clientes et clients, au niveau de la facturation surtout, connurent l'entrée percutante de cette nouvelle technologie. Parallèlement, se formèrent d'importantes banques de données sur les individus.

LE MICRO-PROCESSEUR

L'arrivée triomphale du micro-processeur eut un effet exponentiel. La capacité d'emmagasinage des informations semblait sans limite. D'année en année, on réduisait l'espace nécessaire pour conserver les informations. On améliorait la fiabilité des mémoires, et, miracle, des temps modernes, on réduisait les prix d'achat.

FACILITÉS D'EXPLOITATION ET ENVAHISSEMENT

L'ordinateur est devenu accessible, facile d'exploitation, peu coûteux et très versatile. À l'orée des années quatre-vingt, ce fut la curée. Le secteur tertiaire se mit à la tâche. On vit apparaître des ordinateurs dans les bureaux de médecins, les pharmacies et bien d'autres dispensateurs de biens et services.

Il y a des dossiers sur les emprunteurs, les électeurs, les traducteurs, les trappeurs, les victimes de viol, les faillites, les personnes aptes à chasser, des propriétaires d'automobile avec la couleur de leurs yeux, mais pas celle de leur voiture, etc.

Le secteur privé s'est mis de la partie. Pour quelques dollars, des compagnies se spécialisent dans l'accumulation d'informations sur vos habitudes de vie et votre moralité. Même plus, des milliers de dossiers personnels de Québécois ou de Canadiens sont tout bonnement aux États-Unis. American Express en compte 130 000 comme ça: le crédit Index 8 500, Diners Club 75 000; etc., etc.*

Il y a donc un problème d'éparpillement des données. Actuellement, aucune législation n'oblige un fournisseur d'informations à vous faire savoir qu'il existe un dossier sur votre personne. Pourtant, un dossier de crédit qui serait mal fondé peut causer de graves préjudices à un individu. Ce dernier ne saura jamais pourquoi, mais toujours il sera hors du circuit du crédit.

Des compagnies privées comme Tenant-Check rêvent de mettre sur pied un réseau d'informations pan-canadien, traitant de la solvabilité, la propreté, la docilité des locataires. Cette banque de données est gérée au profit des propriétaires.

Les informations qu'on transmettra sur votre personne à travers tout le pays sont l'objet d'un traitement très subjectif, soit l'appréciation du propriétaire. On prend la peine d'indiquer si vous avez fait appel à la Régie du logement dans le passé. Pour certains propriétaires, cette seule information sera suffisante pour vous refuser le logement.

Dans le secteur des services sociaux et gouvernementaux en général, on utilise les ordinateurs à toutes les sauces. Le gouvernement fédéral, à lui seul, contrôle 1 500 banques de données. Au Québec, le nombre de banques de données utilisées par les services publics est inconnu.

Même la commission Paré n'a pas été capable d'en faire une liste exhaustive.

Bientôt, les banques de données fédérales et provinciales seront l'objet d'une surveillance accrue. Chacun des parlements a voté une loi qui crée un organisme de surveillance chargé d'octroyer des permis d'opération et de contrôler la bonne utilisation des données. Les citoyennes et citoyens ont le droit de vérifier leurs dossiers et de les rectifier, si nécessaire. On informe la personne concernée des endroits où sont diffusées les informations qui la touchent.

Les interconnexions sont limitées. Mais le gouvernement peut tout de même autoriser certains transferts d'informations à caractère privé surtout au bénéfice de la police.

TECHNOLOGIE DE POINTE

Au Québec, la technologie de pointe dans le domaine du traitement des informations sur les individus est entre les mains des services de police. Le matériel le plus sophistiqué est utilisé pour emmagasiner le maximum d'informations sur la totalité de la population. On remarque la discrétion qui entoure cette banque de données, qu'on appelle pudiquement un index général.

Le contenu de cette banque de données est obscur. Les mécanismes de contrôle sont quasi absents et bien aléatoires. On est loin de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, (CJO du 25 janvier 1978) votée par le parlement français.80 En France, les fichiers de police ont été passés au peigne fin par la Commission informatique et liberté. Même le fichier antiterroriste a été expurgé et ses possibilités d'expansion limitées.

Quelques lignes pour souligner l'appétit prodigieux des services de police dans le domaine de la collecte des informations.

La Gendarmerie royale du Canada possède 22 millions de dossiers. La Sûreté du Québec 6 millions. On ne connaît pas les interconnexions présentement effectuées. Par contre, on sait que la Gendarmerie royale du Canada collabore avec des services de police étrangers et reçoit aussi des informations. Mais ces informations sont invérifiables. Elles sont pourtant utilisées, créant ainsi des situations injustes et portent atteinte gravement aux droits et libertés de particuliers. Le cas Regalado est un exemple parfait de cette situation. *

De plus, certaines informations sont transférées de service de police en service de police. Doit-on alors leur accorder une certaine crédibilité? Le plus souvent de telles informations s'apparentent à du ouï-dire, non présentable devant un tribunal qui se respecte. Les gouvernements ont réglé le problème en qualifiant ce genre d'informations de secrets d'État. Ainsi, de façon légale, ils ne sont pas obligés d'en voir tester la qualité par les tribunaux.

DEUX DÉTAILS: Avant de terminer cette description du monde des banques de données, rappelons qu'elles ne sont pas toutes informatisées, loin de là. C'est donc dire qu'une législation ne saurait se contenter d'être « informatique » sinon de larges pans du merveilleux monde des banques de données risquent de nous échapper.

Au Québec, une distinction s'est établie au niveau du statut juridique des banques de données. Les fichiers publics sont contrôlés, les fichiers privés sont laissés sans surveillance.

LES IMPACTS : C'EST COMPLET (OU PRESQUE)

Les banques de données, avec la miniaturisation qu'on leur connaît ont atteint leur vitesse de croisière. A toutes fins utiles, nous avons entre les mains un produit fini. On ne peut guère demander mieux. Pourtant, on nous annonce déjà l'arrivée de microcircuits à base de macromolécules biologiques ayant des propriétés de semi-conducteurs. La capacité de stockage sera presque illimitée.81

C'est donc dire que les ordinateurs n'auront plus besoin d'un programmeur pour fournir leurs banques de données. Il faut comprendre aussi qu'ils seront capables de judicieuses déductions logiques qui leur permettront de livrer sur un individu plus d'informations brutes qu'il y en avait au départ. On obtiendra le même résultat qu'en recourant à l'interconnexion...

PROBLÈMES EN AVAL ET EN AMONT

Si le produit est en lui-même à son apogée, ou presque, il reste que des problèmes se présentent en aval et en amont. Les interconnexions, les effets de normalisation, les déformations d'informations, la sécurité, les flux transfrontières voilà des objets d'inquiétudes.

L'INTERCONNEXION

Les banques de données sont de plus en plus informatisées. Elles sont de consultation simple et rapide. Il est possible et très facile de relier plusieurs banques de données afin de multiplier la quantité d'informations sur un individu. Mais il n'y a pas que les banques et les caisses populaires qui possèdent des renseignements sur nos personnes. Il existe une multitude d'organismes publics, parapublics ou privés qui accumulent des informations de toutes sortes. De l'assurance-chômage, jusqu'à nos ordonnances médicales, en passant par nos résultats académiques.

En faisant la tournée de toutes ces banques de données, on peut colliger toute la matière nécessaire à une connaissance approfondie d'un individu. Il en devient d'autant plus vulnérable. S'il y a développement des banques de données, ce sera sous l'angle des interconnexions. Pour l'industrie, c'est un marché complémentaire.

En  France, en  Belgique, aux  États-Unis,  au Canada, des voix se font entendre pour réclamer plus d'électronique, plus d'efficacité. Le respect des lois, l'efficacité administrative, le progrès de la société, voilà les lignes de force de ces discours.

Au Québec, c'est l'Aide sociale qui utilise sur une plus grande échelle les interconnexions. Par exemple: la Régie des rentes lui fournissait, jusqu'au mois de janvier 1981, le bordereau de paie des allocations familiales du Québec, afin de permettre de faire les recherches d'adresse des débiteurs disparus82. Autre exemple: un système d'échange de renseignements est en voie d'implantation entre l'Aide sociale et le ministère de la Justice. D'une part, l'Aide sociale communique l'identification des créanciers alimentaires bénéficiaires d'aide sociale; en retour, le ministère de la Justice informe l'Aide sociale du montant mensuel que le percepteur des pensions alimentaires a réussi à obtenir du débiteur.83

Voilà, la roue a commencé à tourner. Il faudrait voir les multiples applications de semblables interconnexions que peuvent faire le ministère du Revenu et les services de police.

Signalons que les interconnexions de banques de données privées ne sont pas interdites. On obtient comme résultat la vente de listes d'abonnés à une revue ou la vente de dossiers médicaux à des compagnies d'assurance.

Lorsque les paiements électroniques auront connu leur plein développement, inutile de tenter des cachotteries vis-à-vis le trésor public. Les petites fraudes, que l'on pourrait qualifier de misérabilistes, qui ont pour objet d'améliorer les revenus insuffisants de l'Aide sociale ou du chômage en sont à leurs dernières années.

SANS NUANCE ET NON-INTELLIGENT

En aval, il y a un problème de taille: c'est la normalisation des données. Pour obtenir un rendement acceptable d'un ordinateur, il faut lui fournir des informations aptes à être comparées. L'ordinateur ne mélange pas les carottes et les oranges.

Le gouvernement français a voulu informatiser le service de l'Aide sociale à l'enfance84. Il s'agissait d'aider les familles en difficulté pour leur permettre d'assumer la charge de leurs enfants. Mais voilà, le traitement des données est tellement long que le fichier n'est jamais à jour. Pire, le codage est entaché d'erreurs grossières. En effet, toutes les situations n'ont pas été prévues et il faut se rabattre sur la situation la plus « semblable ».

La codification ne connaît que le oui ou le non.

Le « peut-être » ou « je ne sais pas » sont bannis. Alors, quand un enfant est-il en danger? Qu'est-ce qu'un être en mauvaise santé? Qu'est-ce qu'avoir une mauvaise moralité? Les ordinateurs ne traitent pas d'aussi subtiles situations.

Le système est aussi rigide dans le temps. Un enfant peut être fiché toute sa vie comme ayant, par exemple, des parents alcooliques ou malades mentaux, ainsi qualifiés pour un incident sans suite.

Une des formes d'injustice la plus répandue et fort insidieuse c'est la déformation qu'il faut parfois donner aux informations pour qu'elles soient utilisables par l'ordinateur. Lorsqu'il faut juger de la moralité, de la santé ou du bien-être d'une personne, un regard global et critique est nécessaire. L'ordinateur, lui, ne tergiverse pas, les circonstances atténuantes n'ont aucune signification, il tranche les débats. Si votre cas est hors-norme, vous risquez fort de voir votre dossier rejeté et la décision finale retardée. De plus, les informations disponibles sur votre personne risquent à tout moment de devenir caduques. Si vous êtes alcoolique un jour, il n'est pas dit qu'il en sera ainsi toute votre vie. Pourtant l'ordinateur, lui, conserve cela en mémoire.

DÉFORMATIONS ACCIDENTELLES

Les informations des banques de donnés électroniques sont sensibles à des altérations aussi accidentelles que nombreuses. Ce n'est pas pour rien que les tribunaux n'admettent pas en preuve des documents électroniques. C'est simplement parce qu'ils ne sont pas fiables. Les informations peuvent avoir été modifiées au moment de leur codification, c'est une erreur relativement fréquente.

Le temps peut altérer la nature des données. Un courant électrique instable peut entraîner des dommages aux informations contenues dans les banques de données. C'est bien connu, la présence d'un aimant près d'un ordinateur est catastrophique. Au moment du transport des informations, à cause d'une faiblesse du système de communication, on peut perdre, en totalité ou en partie, les informations transmises. La possibilité de vérifier les altérations volontaires est aussi assez réduite.

Finalement, on doit admettre que les fichiers électroniques, pour plus rapides de consultation qu'ils sont, ne font pas le poids vis-à-vis les antiques fichiers manuels au niveau de la fiabilité. L'électronique à tous crins nous plonge dans un monde d'incertitudes et d'instabilité.

LES FLUX INTERNATIONAUX

Les banques de données, il y en a de toutes sortes. Elles sont l'objet d'un important commerce international. Depuis quelques années, on se rend compte que les flux transfrontières augmentent régulièrement. De même, ces flux transfrontières suivent la géographie économique du monde moderne85. Les flux internationaux présentent deux problèmes. Premièrement, c'est une façon simple de contourner une loi quelque peu sévère. On s'installe de l'autre côté de la frontière et c'est fini. Deuxièmement, apparaît un déplacement, du nord vers le sud, d'informations traitées et coûteuses. Parallèlement, le sud fournit des informations de base (de la matière première) aux informaticiens du nord, qui leur font, avec ça, de très intéressantes études sur nombre de sujets.

Il y a donc des banques de données sur les peuples, autant que sur les individus. Elles sont devenues l'objet d'un commerce lucratif qui maintient et augmente la dépendance des pays en voie de développement.

Les États-Unis possèdent des satellites qui fournissent d'imposantes banques de données sur de nombreux sujets. Par exemple, les Américains sont informés de la date approximative de récoltes importantes et de la quantité disponible sur le marché. Automatiquement, on effectue une série de calculs qui indiqueront le chemin des investissements les plus rentables et la situation concurrentielle des pays à surveiller.

C'est à New York que le ministre de l'Agriculture du Québec a trouvé une étude complète sur les effets du rapport Gilson sur l'agriculture québécoise. Cette étude recommande le déplacement de l'industrie agro-alimentaire vers l'ouest d'ici 1990, afin de rentabiliser les investissements à venir.

Les banques de données sont devenues des armes stratégiques. Nous sommes à la limite de l'espionnage légalisé. Certaines banques de données sont alimentées par satellite. La cueillette des informations se fait donc avec ou sans le consentement du principal intéressé, au profit du détenteur de l'appareillage électronique. Le marché des informations traitées est certainement celui de l'avenir: il permettra une rentabilisation et une expansion des banques de données. Ce sera aussi un sujet de discorde internationale dont l'ampleur est encore insoupçonnée. Ce n'est pas pour rien que les États-Unis exigent des autres pays une libre circulation des informations et de la technologie. Aujourd'hui comme hier, le savoir, c'est le pouvoir.

UN CONTRÔLE DIFFICILE

La sécurité dans le domaine des banques de données doit s'envisager de deux façons: au niveau des utilisateurs et au niveau interne.

Le contrôle des utilisateurs directs des banques de données a fait l'objet de savantes recherches. À grands renforts de codes secrets, de segmentation du personnel et de systèmes sophistiqués de détection, on a fait le nécessaire pour donner à un terminal l'aspect d'un coffre-fort. Mais 60 % des banques de données canadiennes sont laissées sans surveillance. Si les protocoles de protection existent, rien n'oblige le possesseur d'une banque de données à y recourir (sauf dans le cas des banques de données gouvernementales québécoises, seule exception).* L'autre problème c'est la sécurité des banques de données vis-à-vis les vols, les transcriptions, les sabotages, les modifications.

Actuellement, les programmeurs ne sont pas soumis à un code de déontologie. Le secret professionnel n'est pas à l'ordre du jour non plus**. Il peut sembler curieux que des informations que l'on tient pour confidentielles entre les mains d'un médecin deviennent anodines entre les mains d'un programmeur.

Le réseau de communication utilisé pour le transfert des données étant le même que celui du téléphone, il est soumis lui aussi à des ponctions électroniques illégales. L'écoute électronique va prendre une nouvelle dimension et un véritable essor. Les codes les plus compliqués ne parviennent pas à régler le problème, puisqu'un ordinateur qui code vaut bien un ordinateur qui décode. De plus, il va sans dire que le vol d'une banque de données électronique, se fait beaucoup plus facilement que celui d'une masse de documents manuscrits. Pour s'en convaincre, il suffit de voir ce que fait la Gendarmerie royale du Canada lorsqu'elle veut la liste de membres d'un parti politique, même officiellement reconnu.

Rien n'est plus obscur, en droit, que la propriété des informations personnelles. Elles n'ont aucun statut juridique, si ce n'est par le biais du droit à l'« image »***, notion de droit très floue. Pourtant, comble d'ironie, lorsque des informations personnelles sont entre les mains d'un commerçant d'informations, elles prennent une valeur commerciale, susceptible d'être protégée légalement.

NORMALISATION DE LA SOCIÉTÉ

Parmi les effets insidieux de la multiplication des fichiers, signalons qu'il faut voir celui de la normalisation des rapports dans une société. La distinction entre ce qui est normal et anormal devient une habitude. Puisque l'ordinateur exige des critères pour juger et qu'il est incapable de nuances, il crée des stratifications de population. Les pauvres auront un revenu inférieur à tel montant. Est qualifié d'alcoolique celui qui boit tant de quarante onces sur telle période. Représentent un risque de délinquance, les enfants de telle origine, sociale ou raciale, dont l'autorité parentale est assumée par une seule personne. Il n'y a pas de limite à ce genre de délimitations, c'est de l'essence même de l'invention. Pour résumer ce syndrome, rien de mieux que cet extrait d'une étude belge sur le sujet:

« Une particularité s'attache aux fichiers privés (et aux fichiers de police) à savoir l'apparition progressive d'une tendance. Celle de faire accepter par le plus grand nombre qu'il existe un « homo sociabilis » s'identifiant à des caractéristiques plus ou moins conformes à un modèle-type de vie en société, à un profil social moyen...

... Il y aurait l'individu conforme à ce modèle, considéré comme « normal », et tout écart par rapport au modèle serait l'indice d'une tendance à l'anormalité. Peut-être aussi l'indice de ce qu'il serait temps de faire intervenir l'un ou l'autre spécialiste de la prévention... »86

Pour être plus précis dans les effets de la normalisation, regardons les effets dévastateurs des classements en milieu scolaire. Les voies dites allégées sont le plus sûr moyen qu'on a pu trouver, jusqu'à présent, pour empêcher la progression de l'apprentissage chez l'individu.

CONCLUSION

Le développement de la technologie, et surtout la rapidité de son expansion affectent directement nos droits et libertés. La normalisation des rapports sociaux, l'utilisation massive, incontrôlée et abusive de l'électronique par les services de police, les interconnexions illimitées et dangereuses, le manque de fiabilité des informations traitées par électronique, la difficulté réelle et insoluble d'assurer la sécurité des informations recueillies, la dispersion et l'anonymat des propriétaires de banques de données, voilà autant de points d'inquiétude qui justifient grandement l'attention que porte la Ligue des droits et libertés à ce dossier et la nécessité pour les groupes populaires, entre autres, d'être vigilants devant ces changements. Les associations de consommateurs doivent s'impliquer pour informer leurs membres des menaces qui planent sur leur liberté.

Nous devrions refuser de répondre à des questionnaires qui sont inutiles ou trop curieux. La réflexion doit se poursuivre pour trouver les solutions les plus pratiques et réalistes vis-à-vis l'interconnexion et les flux interfrontières.

Ceux qui domineront le monde demain sont les mêmes qui sauront s'accaparer les informations sur les individus ou les peuples, les traiter et les utiliser selon leurs intérêts. C'est une mécanique qui laisse peu de place à l'indécision et ne pardonne pas le retard technologique.

Mais pour les organismes populaires et syndicaux, le dilemme est cornélien. Collaborer pour assurer notre avenir collectif ou laisser à d'autres le loisir de nous contrôler.

LES SYSTEMES DE PAIEMENTS ÉLECTRONIQUES

INTRODUCTION

Les systèmes de paiements électroniques s'inscrivent dans un processus de rentabilisation et d'efficience. Malheureusement, ces inventions, aussi ingénieuses soient-elles, portent atteinte à nos droits et libertés.

En plus d'être de parfaits délateurs, les systèmes de paiements électroniques affaiblissent le pouvoir de négociation du consommateur vis-à-vis son institution bancaire. La liberté de choix des modes de paiements devient limitée, même la liberté de changer d'institution bancaire tend à disparaître. Contre toute attente, le service diminue. Les systèmes de paiements électroniques se présentent aussi comme des leviers de commande pour la gestion de l'économie, contrôle du travail au noir, des fraudes fiscales, des programmes de gel des salaires, des épargnes, voilà autant de domaines où ils peuvent aider.

L'histoire de l'implantation des systèmes de paiements électroniques est intimement liée à des nécessités de marketing. C'est un cheminement logique qu'il nous faut d'abord mettre à jour; il devient alors possible de saisir les conséquences de cette vague d'électronique.

STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT

UN CHEMINEMENT À COMPRENDRE

L'implantation des systèmes de paiements électroniques n'est pas chose facile. Même si toute la technologie est disponible pour introduire une foule de gadgets, l'industrie doit procéder par étapes. Cette prudence est justifiée par plusieurs facteurs: l'accoutumance de la consommatrice ou du consommateur, la peur d'investir dans une technologie appelée à être dépassée, l'exploration, par la pratique, des problèmes de droit. Mais dans la chronologie des faits, on remarque une dominante, un souci d'apprivoisement des consommatrices et consommateurs.

Les opérations bancaires, les gestes quotidiens que nous posons pour effectuer des paiements ont été décortiqués en séquences. Chacun d'eux est aujourd'hui l'objet d'une érosion calculée. Il faut faire disparaître le recours à la preuve scripturale (chèques, bordereaux, signatures), la représentation physique du dollar et transférer la responsabilité de la comptabilité de la banque à la cliente ou au client.

Les systèmes de paiements électroniques sont multiples. Ils comprennent l'intercaisse, les paiements pré-autorisés, les dépôts électroniques directs, les guichets automatiques, les cartes de débit, les cartes à mémoire, les facturations et paiements directs. Mises à part les cartes à mémoire qu'un certain retard technologique rend introuvables au Canada, toutes les autres facettes des systèmes de paiements électroniques y trouvent actuellement leur application pratique.

CARTE DE CRÉDIT

Prenons pour point de départ la carte de crédit.

Certes la carte de crédit n'a pas été mise sur le marché dans le cadre d'une stratégie de développement des systèmes de paiements électroniques. Elle a cependant permis un certain nombre de « progrès ». L'argent liquide fait place à une carte de plastique. En quelques années on s'y est fait. Les cartes de crédit ont entraîné la création de réseaux « off line »* avant la lettre. Par contre, avec l'apparition de législations assez sévères sur le crédit, les cartes n'ont plus l'attrait qu'elles avaient pour les compagnies émettrices. A vrai dire, elles ne sont plus rentables.**

Il est devenu nécessaire de faire disparaître ce dinosaure  des modes de paiements. Les banques et les caisses se donnent quelques années pour le faire. Par contre, on profitera de sa forme physique pour introduire un nouveau concept: la carte débit. Du même coup, on attache quelques fils avec l'électronique, mais ce n'est pas un système de paiements électroniques, la carte débit est une mutation. Elle aura la longévité nécessaire à l'adaptation du consommateur. (Explications plus amples, plus loin).

INTERCAISSE

Voilà le premier vrai système de paiements électroniques. Plus spécifiquement, un système de transfert de fonds. L'institution financière perd son identité comme réalité physique. La cliente ou le client peut disposer ou retirer de l'argent n'importe où.

C'était l'étape nécessaire avant les guichets automatiques. D'une part, le guichet automatique est greffé sur l'intercaisse, il utilise  son  réseau.  

D'autre  part,   il  était risqué  d'introduire  ces deux nouveautés dans une seule étape. On a donc commencé par l'intercaisse qui, par la présence toujours nécessaire de la caissière, a fait admettre aux consommatrices et consommateurs l'utilité de l'électronique sans qu'ils se sentent bousculés puisqu'il y avait encore un intermédiaire pour humaniser les rapports.

DISPARITION DES LIVRETS

Coup de théâtre dans certaines caisses populaires: les livrets disparaissent. Ils sont remplacés par un relevé mensuel, forcément en retard sur la réalité. L'accès à votre compte se réduit à deux petits numéros. Du coup, on élimine une opération qui nécessitait la présence d'une personne: la mise à jour du livret. Dorénavant, ce sont les consommatrices et consommateurs qui doivent s'organiser avec leur comptabilité.

Il devient évident, par la force des choses, que le consommateur n'a plus rien qui le rattache au comptoir. Il est mûr pour le guichet automatique. Alors qu'on nous présente les systèmes de paiements électroniques comme des facilités et une amélioration du service, la réalité est tout autre. Les consommatrices et consommateurs doivent assumer euxmêmes plusieurs tâches qui relevaient auparavant de leur institution bancaire.

CRÉDITMATIQUE

Le créditmatique est une bizarre invention dont l'essence a échappé pendant un certain temps aux associations de consommatrices et consommateurs. Dans le milieu des affaires, aucun geste n'est inutile ou gratuit. Le créditmatique est une charnière pour faire le transfert entre les cartes de crédit bientôt désuètes, les cartes de débit et, par la suite, les cartes à mémoire.

Le créditmatique permet de rapprocher et confondre deux opérations autrefois distinctes soit: le crédit et l'administration courante de nos affaires. Bien qu'il soit rassurant de savoir que les découverts sont à toute fin utile impossibles, il faut voir à quel prix.

PAIEMENTSPRÉ-AUTORISÉS

Les paiements pré-autorisés ne sont pas issus de la révolution électronique. Avec l'arrivée de l'électronique, il a été possible de donner beaucoup d'envergure à ce système de paiement. C'est une formule qui permet, à l'avance, pour une période fixe ou indéterminée, au commerçant de débiter votre compte instantanément. On réduit ainsi les frais inhérents à la facturation, ainsi que les frais découlant de l'utilisation des chèques.

L'autre étape consistera à faire admettre au consommateur qu'il n'y a aucun inconvénient à permettre aux créanciers de se payer automatiquement sans délai. Par exemple, le téléphone et l'électricité seraient déjà payés au moment où vous recevriez votre état de compte, qui ne serait d'ailleurs distribué qu'à des fins d'information.

Les paiements pré-autorisés inaugurent l'ère de la disparition de la signature. En effet, le créancier n'a pas à présenter de preuve écrite de votre consentement. Votre numéro de folio est suffisant. Cette situation a d'ailleurs été dénoncée par les associations de consommatrices et consommateurs.87

Le système des paiements pré-autorisés est une avenue simple, pratique et très efficace pour réaliser une fraude gigantesque. Un peu d'organisation et c'est fait. Mais, pour l'heure, la riposte est impossible à moins que les banques abandonnent l'objectif de la disparition des signatures afin de revenir à un système plus traditionnel de traitement « à la mitaine ».

DÉPÔTS ÉLECTRONIQUES DIRECTS

C'est une application de l'électronique promise à un bel essor. Il s'agit simplement de transférer, directement dans votre compte, l'argent qui vous est dû. Que ce soit votre paie ou votre chèque des rentes du Québec on vous fera parvenir le tout sous forme d'ondes ou sur bande magnétique. Plus besoin de se déplacer, plus de problèmes avec les postes, plus de retards.

Par contre, l'insaisissabilité de certaines prestations n'est plus garantie. Les consommatrices et consommateurs devraient être rusés en ouvrant un compte spécial pour chacun de leurs chèques insaisissables, dans diverses institutions bancaires. Pour un temps, ce subterfuge pourra fonctionner. * Le dépôt électronique fait disparaître le support scriptural qui accompagnait auparavant ces divers paiements. C'est une autre habitude de créée.

LES CARTES DE CRÉDIT

C'est une importante étape vers un système électronique intégré. La carte de débit sera implantée en 1983, du moins s'il n'en tient qu'aux caisses populaires. La carte de crédit disparaîtra au profit de cette carte. Ainsi, vous n'utiliserez non plus l'argent de la banque ou de la caisse, mais le vôtre. En cas de besoin, on vous avancera des sommes, mais les intérêts seront payables à la première minute.

La carte de débit implique la concentration de vos épargnes au même endroit. Vous serez lié, pour l'ensemble de vos opérations bancaires, à une seule institution. La possibilité d'effectuer ses paiements au comptant existera toujours, mais une série de mesures incitatives, pour ne pas dire coercitives, auront tôt fait de réduire le nombre de consommatrices et consommateurs au conservatisme trop ancré.

En principe, la carte de débit peut être utilisée comme carte de paiement universelle. À l'heure actuelle, on ne peut penser à un système instantané et très répandu, par manque d'infrastructure. Mais on a tout ce qu'il faut pour instaurer un système de paiement en partie électronique. Il reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle en regard des développements futurs, mais pas très lointains, qui pourraient entraîner une refonte en profondeur du système.

CARTE À MÉMOIRE

Pour l'heure, le summum dans le domaine des paiements électroniques c'est la carte à mémoire.* Cette carte contient sa propre puce. Cette dernière retient comme donnée un montant d'argent initial valable pour un mois. Elle effectue graduellement les débits à inscrire au fur et à mesure des achats.

Les marchands possèdent un petit appareil électronique qui enregistre sur disquette les transactions. En allant porter ses enregistrements, le commerçant se voit immédiatement crédité des sommes inscrites. Il n'y a pas de risques de pertes, puisque la carte ne donne pas plus d'argent que ce qu'il y a dans le compte.

Bien sur, il est possible d'utiliser sa carte et de payer comptant ou par chèque à d'autres occasions. Ce qui semble laisser une relative liberté et le découvert est toujours possible. Mais le gérant verra vite à rectifier les choses en réduisant simplement le montant que contient votre carte mensuelle, jusqu'à ce qu'un équilibre « s'établisse ».

Ajoutons qu'il n'est pas possible d'avoir deux cartes de paiements de deux institutions bancaires. Seule la banque ou la caisse qui reçoit votre paie et qui peut savoir quel est votre rythme de consommation peut l'émettre. La carte peut être combinée à un créditmatique, mais jamais au-delà de ce que l'ordinateur jugera comme étant à votre portée.

IMPACTS

Même si leur implantation est loin d'être chose faite, on peut déjà ressentir les impacts des systèmes de paiements électroniques. Beaucoup plus que dans le domaine des banques de données, c'est le vide absolu quant au droit applicable.

Les institutions bancaires se sont donné le mot pour obscurcir le tableau légal. Leurs préoccupations vont entièrement à l'implantation des nouveaux systèmes électroniques. Lorsqu'elles estimeront avoir atteint le point de non-retour, elles accepteront de bonne grâce de discuter de droit. Ainsi elles figeront, de façon légale, des situations qui les favorisent. Pour le moment, elles achètent littéralement la paix en prenant à leur charge les pertes encourues suite à des erreurs ou des pannes d'informatique.

ÉPURATION ET STAGNATION DE LA CONCURRENCE?

On ne saurait dire pour le moment, quel impact aura l'arrivée des systèmes de paiements électroniques sur l'état de la concurrence dans le domaine bancaire. L'expérience française apporte quelques éclaircissements mais bien fragmentaires.

Une des caractéristiques du système des cartes à mémoire, c'est de geler l'état des relations entre la cliente ou le client et sa banque. Il n'y a qu'une banque qui vous donne une carte à mémoire. L'institution exige en échange le dépôt de vos épargnes et la connaissance de vos revenus.

Plus on avance dans la chaîne de l'électronique et plus il est difficile de s'en défaire. Avec un chèque ou de l'argent, on peut toujours aller le déposer ailleurs. Mais lorsque la paie est expédiée directement par électronique, il faut faire certaines démarches pour informer le patron que dorénavant votre salaire ne doit plus être enregistré sur la bande magnétique destinée au Crédit Lyonnais mais bien au Crédit agricole.* Vous devez rapporter au Crédit Lyonnais votre carte à mémoire et en demander une au Crédit agricole. Le Crédit agricole vous demandera de bien vouloir faire transférer chez lui vos paiements pré-autorisés pour le loyer, le téléphone, le gaz, l'électricité, les assurances. Vous devez contacter tout ce beau monde pour qu'on modifie en conséquence les informations contenues à votre dossier. Après, le Crédit agricole décidera de la somme d'argent que contiendra votre carte à mémoire.

On peut donc penser que le marché des services bancaires se stabilisera. C'est un développement un peu normal, si on considère qu'une part du déplacement du marché était due à la mobilité de la clientèle. Ce phénomène avec l'Inter-caisse ou les guichets automatiques n'a plus sa place.

Au Canada, le problème du retard technologique de certaines institutions bancaires et l'incompatibilité des technologies retenues par celles qui vont de l'avant se sont attiré l'attention du gouvernement. Suite à de savantes études88, le principe de la collaboration a été retenu. Il y aura une chambre de compensation centrale qui, usant d'électronique, rendra à César ce qui lui appartient. C'est, en fait, le même principe que les chambres de compensations actuelles, mais avec un personnel plus versé dans les bits que les chèques.

Les petites institutions financières, peu outillées et n'offrant pas tous les services liés ou en concomitance avec les cartes à mémoire sont vouées à une modification de leurs activités ou à la disparition.

L'arrivée sur le marché de nouveaux prétendants est très hypothétique. Il faudrait vaincre les réticences des consommateurs dont les affaires sont déjà lourdement engagées ailleurs. Il faudra aussi investir beaucoup dans l'appareillage avec sur les bras une saturation du marché en ce qui a trait aux emplacements de guichets automatiques. De plus, il n'est pas dit que la cordiale bonne entente qui semble caractériser les rapports entre les banques va se maintenir. Le système « on line » reste un idéal à atteindre et, à ce moment-là, ce sera une nouvelle curée qui laissera sur le pavé quelques belligérants.

RESSERREMENT DES ÉPARGNES

Le phénomène le plus marqué sera probablement au niveau du contrôle des épargnes par les banques et les caisses. La carte débit et la carte à mémoire sont, dans une certaine mesure, des fictions. Même si elles ont une valeur équivalente à vos épargnes, il est évident que vous ne la dépenserez pas tout de suite. En attendant, l'argent profite dans votre compte. Après l'intérêt quotidien ce sera l'intérêt horodatal, si on me permet le néologisme.

Comme les cartes de crédit auront terminé leur règne, c'est votre épargne qui financera vos achats, en premier lieu. Le problème actuel des épargnes stagnantes, faute de marché pour le crédit, risque de trouver, en partie, son remède. N'oublions pas qu'une institution de dépôt ne peut vivre que dans la mesure où elle trouve autant d'emprunteurs que d'épargnants. Une caisse bourrée d'épargnes, mais sans débouché, est aussi menacée qu'une caisse aux prises avec un excès de mauvaises créances.

Il y a quelques années, le projet à peine mûri de l'ex-ministre Joron visant la nationalisation des épargnes, fit scandale. Les chambres de commerce s'empressèrent de réclamer le statu quo à grand renfort de discours sur les libertés individuelles. Pourtant en cette période de crise, les mesures gouvernementales, pour forcer la sortie de l'épargne et maintenir le flot de crédit, pour plus subtiles qu'elles soient n'en sont pas moins présentes. Corvée-habitation serait ce qu'on pourrait appeler une technique douce. Par contre, les restrictions fiscales sévères pour celles et ceux qui n'utilisent pas à brève échéance leurs plans d'épargne-logement démontrent une volonté plus ferme et dirigiste.

La carte-débit s'inscrit dans cet arsenal de moyens de contrôle de l'épargne. C'est encore un système bien imparfait, mais il va soulager grandement les caisses aux prises avec des épargnes stagnantes qui refusent de sortir. Curieusement, on ne trouve aucune Chambre de commerce pour dénoncer ce contrôle.

Dans ce cadre, c'est la disparition de la carte de crédit qui va donner aux banques et caisses le pouvoir de négociation qui leur manque vis-a-vis leurs clientes et clients. Pour le moment, les consommatrices et consommateurs l'utilisent trop.

RESSERREMENT DE L'ACCÈS AU CRÉDIT

À cause de l'effet normatif des ordinateurs, on doit s'attendre à un resserrement du crédit. N'oublions pas non plus que la capacité d'être bien informé de l'état véritable du budget d'une famille entraînera elle aussi un resserrement du crédit. L'ordinateur connaissant l'état de vos revenus et votre train de vie, il aura vite fait de calculer la marge de crédit qu'on peut, sans risque, vous consentir.

Il ne suffit pas de proposer ou envisager des compressions budgétaires pour obtenir une concession de l'ordinateur, il faut que ces compressions se traduisent par une baisse des dépenses à certains points du budget. Que voulez-vous, c'est la norme... L'ordinateur dressera une barrière de logique que les moins fortunés auront de la difficulté à franchir. Pourtant, le crédit pour cette couche de la population est aujourd'hui une réalité, même plus, de façon générale le taux de délinquance est inférieur dans ces classes de la société.

RÉSURGENCE DES COMPAGNIES DE FINANCES

Il faut envisager leur retour sur le marché, pour fournir aux pauvres le crédit qu'ils réclament. Une économie parallèle, horsnorme, sans informatique va se développer.

Pour notre société, c'est un retour en arrière inacceptable. Avec des taux d'intérêt qui frisent le 40 % et des méthodes de récupération qui se rapprochent du banditisme, le retour des compagnies de finance n'a rien pour vous réjouir.

IMPACT SUR LES EMPLOIS TRADITIONNELS: MOINS DE SERVICES

La caissière traditionnelle est une espèce en voie d'extinction. Ses tâches consistent à manipuler de l'argent, maintenir à jour les livres des clientes et clients, compulser des chèques. L'électronique va permettre de faire disparaître toutes ces tâches.

Par contre, les consommatrices et consommateurs se voient confrontés à la nécessité de tenir une comptabilité quotidienne. La caisse ne le fera plus pour eux, si ce n'est une fois par mois, avec un certain décalage. Bien sûr, l'électronique peut venir en aide aux consommatrices et consommateurs par le biais des ordinateurs domestiques qui, dans l'ensemble, surclassent le gérant de caisse moyenne, mais il est étonnant de voir que l'électronique n'améliore pas le service mais le fait disparaître.

Y aura-t-il une perte nette d'emplois? La réponse à cette question ne vient pas facilement. Pour le moment, c'est loin d'être sûr. Mais lorsque ces systèmes seront rodés, il est bien évident que l'objectif est de diminuer le personnel.

ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE

La concentration des informations économiques sur un individu ne peut que le rendre dépendant. La situation sera encore pire lorsque ses avoirs seront concentrés entre les puces d'un banquier.

Le recours à la carte à mémoire indique l'endroit où vous étiez, le genre d'achat que vous avez fait, la quantité d'alcool que vous avez consommé, le type de chambre que vous avez retenue pour assurer la tranquillité de vos nuits et, miracle de l'informatique, le nombre de petits déjeuners que vous avez commandés. Il faut préciser que ce n'est là rien de nouveau, puisque la situation est la même si on utilise comme seul moyen de paiement une carte de crédit. La différence c'est que la carte de crédit c'est facultatif.

Ces renseignements sur vos habitudes d'achat peuvent être vendus à des compagnies publicitaires qui sont intéressées à savoir quels endroits fréquentent les femmes de 30 à 35 ans, les fins de semaine, ce qu'elles consomment. L'échantillonnage est pratiquement inépuisable dans ce secteur. Pire, on peut refiler à une filiale les noms et adresses des clientes et clients ayant les moyens d'augmenter leur portefeuille d'assurances ou d'investir dans un quelconque plan d'épargne. Pensons à ce qu'auraient fait les Caisses d'entraide avec une telle possibilité.

Des renseignements d'ordre économique sont utilisés par la police pour évaluer ses chances de recruter des informateurs dans des milieux qui pourtant ne se livrent à aucune activité criminelle.*

NOUVELLE CRIMINALITÉ

La plus importante fraude connue à ce jour est le fait d'un assureur-informaticien. Ayant créé de toute pièce une population fictive, il revendait à des confrères des contrats d'assurance inexistants. Deux cent millions de dollars changèrent ainsi de main.

On dit souvent que la meilleure fraude c'est celle qu'on ne connaît pas. L'ordinateur se prête bien à ce jeu. Les criminels vont devoir se recycler. Les vols de banque rapporteront de moins en moins. Pour obtenir l'argent d'autrui, il faudra être plus raffiné. La police avoue son impuissance. En voici les raisons: manque de compétences techniques, difficulté à trouver des traces du malfaiteur, impossibilité de présenter certaines pièces au tribunal, absence de législation pour qualifier les crimes donc pour intenter une poursuite. On ne peut voler une banque de données (son contenu) puisque le code criminel ne prévoit pas que ce soit là un crime.

UN NOUVEAU DROIT À INVENTER

Les juristes vont devoir se mettre à l'oeuvre pour trouver une parade à cette criminalité naissante. Le plus difficile sera de donner un statut juridique aux informations contenus dans les banques de données. Il faudra voir aussi à ce que la tentation de l'efficacité ne fasse pas apparaître des affaiblissements du droit de la preuve. Il ne faudrait pas, par exemple, que faute de mieux, on accepte comme preuve des documents électroniques. La fiabilité de telles pièces à conviction est trop précaire.

À défaut de pouvoir réorganiser le droit rapidement, il faudrait au moins éclaircir certaines notions. Par exemple, celle de la responsabilité des banques et caisses vis-à-vis la sécurité des épargnes. Les banques et caisses n'acceptent pas de voir leur responsabilité engagée plus avant dans ce domaine. Elles veulent conserver l'état actuel du droit alors qu'il faut prouver une faute de la défenderesse et de ses préposés. L'institution peut opposer une preuve générale de diligence raisonnable et c'est fini.

Un certain point de vue serait à l'effet de tenir les institutions de dépôt à une règle de responsabilité stricte (une responsabilité de fait, quels que soient les événements) que seule une preuve de force majeure (tremblement de terre, incendie, émeute, etc.) et non une preuve de diligence raisonnable (prétendre par exemple qu'on a fait son possible pour éviter l'incident) pourrait permettre de renverser. 89

La preuve de négligence devient très difficile à faire lorsqu'il est question d'électronique. On conçoit mal que le consommateur soit tenu à faire de telles preuves, si complexes. De plus, les erreurs sont généralement à répétition et coûteuses au bout de la ligne. Le Gouvernement fédéral, sous la pression de la Gendarmerie royale du Canada, a mis sur pied un comité d'étude qui tentera d'adapter le code criminel à cette nouvelle réalité. Mais il faudra inventer et tailler dans le neuf.

CONCLUSION

Les systèmes de paiements électroniques nous entraînent dans une spirale de dégradation de nos droits et libertés. Les effets corrosifs de ces nouveautés électroniques ne sont pas toujours très visibles. Les citoyennes et citoyens devront faire preuve de beaucoup de sens critique. La théorie du mieux-être par le progrès se nourrit aux sources de la naïveté.

L'imperméabilité des cercles intimes où se prennent les décisions est un écueil à la démocratisation des débats entourant l'arrivée de ces nouvelles technologies. Même plus, les gouvernements sont exclus du débat. Les systèmes de paiements électroniques sont la chasse gardée des nouveaux chevaliers de l'industrie issus, quant à eux, du secteur tertiaire de l'économie.

L'actuelle absence totale d'un droit applicable, la possible disparition de la liberté de choix des consommatrices et consommateurs vis-à-vis leur institution bancaire ou leur mode de paiement, le contrôle, indirect mais efficace des épargnes, le resserrement de l'accès au crédit, l'élimination du marché du crédit des moins fortunés, le transfert de certaines tâches manuelles de la banque à la clientèle, la concentration et l'absence de contrôle des informations sur les individus, la possible disparition de certaines garanties de qualité quant à la preuve présentable devant les tribunaux; voilà autant de points qui justifient une bonne dose d'inquiétude.

Les citoyennes et citoyens et les groupes populaires se doivent de provoquer les débats et pousser l'expertise. La télématique, sur sa lancée actuelle, nous pousse vers une société refroidie, compartimentée et contrôlée.

Pourtant, nous ne sommes pas démunis. Nous avons entre les mains la seule institution bancaire régie par une assemblée générale démocratique. Il peut sembler curieux que des changements si profonds et si vastes n'aient jamais fait l'objet d'une consultation des sociétaires. Là comme ailleurs, les absents ont toujours tort.

Quant  aux  gouvernements,  il serait plus  que temps pour eux, de se rendre compte de l'importance des développements qui se produisent. Pour l'heure, une commission d'enquête serait peut-être la meilleure formule pour à la fois cerner les véritables enjeux et éviter d'avoir à colmater les brèches plus tard. Nous sommes encore à l'ère du préventif vu le peu d'investissements effectués pour l'établissement des véritables systèmes de paiements électroniques intégrés.

Faut-il des robots industriels au Québec?

Pour une politique industrielle de robotisation

Les diverses facettes de l'automatisation industrielle

La robotique

Les syndicats ouvriers face à la robotisation

Les enjeux sociaux

par Charles Halary

Groupe de recherche et d'étude sur la technique et la société (GRETS), département de sociologie, (UQAM)

Ce dossier est complété par deux textes complémentaires: LES PUCES QUI PIQUENT NOS JOBS, document de sensibilisation sur la micro-électronique, par Suzanne Bélanger pour le Comité de la Condition féminine de la CSN, et LES ÉCRANS CATHODIQUES, guide d'analyse et d'action, par le Syndicat canadien de la Fonction publique (FTQ).

INTRODUCTION POUR UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE DE ROBOTISATION

L'extension de la robotique dans une société ne peut constituer un phénomène isolé. Elle jouera un rôle décisif d'ici la fin du siècle pour l'avenir de la société québécoise. Le choix est simple: ou bien le Québec protège des usines archaïques derrière un tarif douanier dissuasif et se concentre dans les matières premières, ou bien en mettant en place rapidement une politique industrielle favorisant en même temps l'automatisation, la participation active des syndicats aux décisions et un recyclage massif de la main-d'oeuvre, le Québec peut se doter d'un secteur manufacturier moderne. La Suède, avait ainsi en 1977-78 avec ses lois sur la codétermination et le milieu de travail, largement favorisé l'automatisation de son industrie en y associant les syndicats. L'introduction des automatismes industriels est une des constantes de notre civilisation fondée sur l'extension du machinisme. Elle a remis en cause aussi bien l'entreprise isolée que le marché du travail dans son ensemble. Comme on le constate tant au Japon qu'en Suède, les deux sociétés industrielles les plus exemplaires, l'automatisation entraîne une diminution des emplois non qualifiés et de l'apprentissage sur le tas. Désormais, ce sont des institutions spécifiques qui forment les personnels pour la production et le niveau technique de connaissances a tendance à augmenter. Dans ce cadre l'enjeu-clef de l'automatisation est la formation d'une main-d'oeuvre dans un réseau de haute qualité et la maîtrise de l'objet technique, de la machine elle-même. Des conflits ne peuvent manquer de surgir dans cette période de transition. Outre ceux traditionnels aux sociétés industrielles divisées en classes, ceux qui ne manqueront pas de survenir au Québec seront marqués par la dépendance extérieure totale en ce qui concerne la machinerie. Or, il n'est tout simplement pas envisageable de construire une société libre et autonome sans maîtriser les machines, les moyens de production. Il est devenu parfaitement inutile de nationaliser des objets dont le mode d'emploi et les méthodes de construction sont détenus par des intelligences extérieures. Par conséquent, posséder la capacité de créer les moyens de production, c'est en même temps se garantir les moyens de l'autogestion. De ce fait, la culture technique est un mode inévitable d'appropriation des sociétés. Dans le cas de la robotique comme dans bien d'autres, il n'y a pas de personnel au Québec capable de maîtriser ce nouvel outillage. Maîtriser ne veut pas dire simplement opérer, mais également être capable de comprendre les principes de la machine, de la réparer et de pouvoir même en concevoir de nouvelles et de les réaliser. Deux revendications majeures peuvent intégrer le mouvement syndical à cette dynamique:

1. La suppression de postes de travail pénible, dangereux ou même simplement monotone permettrait d'étendre l'utilisation des robots. Il a été ainsi prouvé qu'en Suède et au Japon de nombreux robots ont été installés à la suite de revendications syndicales touchant la sécurité et la santé au travail. De plus, la suppression progressive du travail de nuit pourrait être souhaitable avec l'introduction de nouveaux automatismes industriels.

Ces suppressions de postes ne peuvent être vues que comme la résultante d'une évolution progressive dans le cadre d'une politique diversifiée de recyclage. Un travailleur dans un poste dangereux n'a généralement que le chômage comme alternative. Des mesures spécifiques d'automatisation devraient d'abord concerner ces postes et le recyclage, d'abord des travailleuses et travailleurs. Les secteurs automatisés de la production voient leur taux d'accidentés du travail diminuer de manière spectaculaire. L'introduction des robots dans la soudure, la peinture, le service de presses, le transport d'objets lourds ou à haute température a permis d'obtenir un tel résultat.

2. L'extension des institutions de formation technologique destinées à maîtriser les machines automatiques permettra de diriger les jeunes travailleurs vers les nouveaux emplois créés par les robots. Dans les entreprises, une politique spécifique de recyclage doit toucher en premier lieu les travailleuses et travailleurs qui ne peuvent encore être concernés par des mesures de retraite anticipée. Créer un centre d'excellence en matière de robotique industrielle permettra de former des enseignantes et enseignants, des chercheurs et de ce fait favoriser la mise au point d'une machinerie produite et comprise au Québec. Par ce moyen, des modifications pourront rapidement être apportées aux moyens de production en fonction de leur utilisation spécifique. Il paraît en effet difficile de faire état de revendications sur des changements de pièces d'un robot pour motifs de sécurité si le lieu de production de ces machines se situe à l'autre bout du monde.

L'amélioration des conditions de travail en industrie nécessite une analyse des machines qui y sont utilisées. En effet, il n'y a plus beaucoup de travail industriel qui ne dépende pas d'une ou plusieurs machines. On constate ainsi que de nombreuses revendications syndicales concernent non pas tant les gestes de la travailleuse et du travailleur que le comportement de la machine (cadences plus lentes, écran cathodique plus lisible, avertisseurs sonores et lumineux pour des machines en mouvement...).

Le développement de la robotique dans les manufactures et en général pour la production en discontinu peut être l'occasion non seulement de négocier le virage technologique mais de garantir que celui-ci se fera dans le bon sens et ne restera ni un discours idéologique vide de contenu, ni un moyen d'accroître l'autoritarisme dans l'entreprise.

Voici donc un dossier d'informations sur les nouvelles technologies de production manufacturière qui traitera plus particulièrement des aspects les plus récents de la robotique.

LES DIVERSES FACETTES DE L'AUTOMATISATIONINDUSTRIELLE

Le monde industriel connaît depuis dix ans une réorganisation de ses habitudes de travail par l'extension de l'électronique aux moyens de production. En voici très brièvement les principales caractéristiques:

Chacune de ces caractéristiques de l'automatisation industrielle sera étudiée en fonction de sa définition technique, des transformations dans les habitudes de travail, de la modification de l'organisation du travail dans l'entreprise, de ses effets sur l'emploi et la formation professionnelle.

1. L'EXTENSION DES MACHINES-OUTILS À COMMANDE NUMÉRIQUE (MOCN)

A. Définition technique

La machine-outil est utilisée depuis le XVIIIe siècle pour fabriquer des pièces standardisées (horlogerie, fusils). Elle effectue des opérations d'alésage, de fraisage, de perçage et de taraudage du métal ainsi que des opérations de presse, de pliage, de poinçonnage... Reliée à une source d'énergie (vapeur, électricité, moteur à explosion) elle est mise en oeuvre par un opérateur-régleur qui suit un plan de travail élaboré par le bureau des méthodes.

B. Transformation

La commande numérique d'une machine-outil peut s'effectuer par la programmation des différentes étapes du plan de travail sur un support de papier perforé ou une bande magnétique. Il n'y a plus de plan de travail coté de la pièce à réaliser. La commande numérique peut se faire de manière rigide par câble ou bien par un micro-ordinateur qui permet la modification d'une opération en cours.

C. Organisation du travail

L'opérateur-régleur devient opérateur surveillant la machine-outil. Il n'a plus à suivre le plan de travail élaboré par le bureau des méthodes. Son travail consiste à mettre en marche la machine-outil, à introduire le programme, à modifier ou à suggérer des modifications à celuici, à vérifier le bon déroulement de l'opération d'usinage, à arrêter l'opération en cas de mauvais fonctionnement. On constate une grande amélioration de la précision des pièces usinées et une augmentation de la productivité. L'opérateur-surveillant se charge de plusieurs machines-outils à commande numérique alors que l'opérateur-régleur était spécialisé sur un type de machine (fraiseur, tourneur...). La commande numérique limite donc le contrôle de l'ouvrier opérateur sur le rythme d'exécution des pièces, rend la correction des erreurs de programmation plus complexe mais permet une certaine polyvalence de l'opérateur qui sera apte à contrôler la production de plusieurs types de machines-outils.

La hiérarchie de l'entreprise est ainsi réorganisée;

le rôle des superviseurs diminue considérablement car le contrôle est effectué a priori dans le bureau de programmation. Il y a donc une diminution du poids relatif de l'atelier de production par rapport au bureau de conception et de programmation. Le travail sur ces machines-outils peut être fait en équipes (2 X 8) et l'entretien effectué la nuit. Les entreprises qui construisent les machines-outils à commande numérique assurent souvent la formation des opérateurs-régleurs et fournissent le logiciel d'utilisation au bureau des méthodes. On constate de ce fait une tendance importante à intégrer les activités de production de MOCN au sein de grands groupes industriels qui en sont les principaux utilisateurs.

D. Le nombre d'emplois

Il est à peu près impossible de mesurer au niveau macro-économique les effets des MOCN sur l'emploi. Apparues au début des années quarante dans l'aéronautique, les MOCN se sont développées dans les années cinquante en Amérique du Nord et dans les années soixante en Europe et au Japon.

La fabrication de MOCN est devenue aujourd'hui une industrie vitale. D'ailleurs, c'est une industrie qui est la première à utiliser sa propre production. Les secteurs où son emploi est généralisé sont l'aéronautique, l'automobile, l'armement et une multitude diversifiée d'entreprises de métallurgie. Les plus importants constructeurs de MOCN sont l'Allemagne fédérale, les États-Unis, l'URSS, le Japon, l'Italie et la GrandeBretagne. La diminution des coûts de production des MOCN permet leur utilisation par les PME. Il est possible d'affirmer que les pays qui ne produisent pas de MOCN comme le Canada voient les emplois qualifiés se créer à l'extérieur. Les MOCN conviennent pour des productions de petites et moyennes séries (entre 50 et 1 000 unités). En dessous, les machines-outils classiques sont plus rentables, au-dessus, les machines-transferts (ensemble de machines-outils coordonnées par un système de transmission) conviennent mieux. Le Canada est très mal placé sur le marché des MOCN car il importe 90 % de sa consommation (1979), ce qui le place derrière le Brésil, la Roumanie ou même la Corée du Sud... La faiblesse du secteur industriel au Canada et encore davantage au Québec en est la cause. Dans ce contexte, l'importation de MOCN se traduit certainement par une perte d'emploi.

E. La formation professionnelle

La mise en opération d'une MOCN est relativement simple et n'exige pas une longue période d'entraînement. Le travail qualifié est réservé à la programmation ou bien au bureau des études. Au Québec, le secteur aéronautique surtout et celui du matériel de transport constituent les seules concentrations industrielles significatives qui emploient des MOCN. La nouvelle génération de MOCN avec ordinateur de commande nécessitera des opératrices et opérateurs initiés à la programmation informatique.

2. L'APPARITION DE LA CONCEPTION ASSISTÉE PAR ORDINATEUR (CAO)

A. Définition technique

Le dessin industriel se prête parfaitement à l'utilisation des ordinateurs. L'activité essentielle des bureaux d'études est le dessin industriel. Celui-ci permet la transmission des ordres de conception vers les ateliers de production. Dans un premier temps, l'ordinateur a permis d'accélérer la finition des dessins au niveau des méthodes de calcul. Ensuite, il peut exécuter directement des dessins avec des tables traçantes automatisées. À l'heure actuelle, une schématisation formelle élémentaire est réalisée sur écran cathodique. La CAO est un phénomène très nouveau.

B. Transformations

La généralisation des tables traçantes permet de supprimer les tâches d'exécution des plans au moyen de la règle et du crayon à mine. La mise sur écran cathodique des plans permet un avis immédiat de l'atelier de production sur la conception et élimine ainsi de nombreuses causes d'erreurs. Le travail le plus complexe, celui de conception, est grandement accéléré. Le goulot d'étranglement est la mise au point de logiciels spécifiques à chaque tâche industrielle. Ainsi, plusieurs centaines de personnes doivent travailler plusieurs années pour mettre au point un logiciel dans l'aéronautique. La CAO est certainement le coeur des actuelles transformations industrielles.

C. Organisation du travail

La CAO tend à supprimer le bureau des méthodes popularisé par Taylor. Dans la réalisation des micro-processeurs, on constate ainsi une intégration de la conception et de l'exécution. Les firmes de composantes électroniques ne sont pas organisées sur le mode taylorien. La CAO est encore jeune et n'a commencé à pénétrer que faiblement dans l'industrie. Il s'agit surtout de l'aéronautique, de l'automobile et de la construction navale. La CAO peut bouleverser les méthodes d'organisation du travail en architecture, urbanisme et celle de modélistes de l'habillement. Les progrès de la CAO dépendent de la diminution des coûts du matériel électronique et surtout de la mise au point de logiciels spécialisés.

Les bureaux d'études où s'effectue la conception de projets sont divisés en deux groupes de personnes: les conceptrices et concepteurs ingénieurs ou architectes d'une part, et de l'autre, les dessinatrices et dessinateurs, eux-mêmes se regroupant en plusieurs catégories. La hiérarchie du travail est modifiée par l'adjonction de nouvelles catégories d'ingénieurs en informatique et la disparition en bas de l'échelle des décalqueurs, au profit d'opératrices et opérateurs d'entrée des données sur l'ordinateur. La CAO a donc pour effet de diversifier les catégories professionnelles des bureaux d'études. La CAO couplée avec la MOCN permet d'envisager une intégration tout à fait nouvelle des personnels dans l'entreprise. Elle inaugure une division du travail dans le domaine de la fabrication des dessins. Celle-ci s'automatise et permet donc la suppression du bureau des méthodes de fabrication dont les fonctions sont prises en charge par l'ordinateur.

La CAO aura donc des effets particulièrement importants dans les grandes entreprises et permet la création d'un marché des logiciels. Il est donc fort probable que dans le cadre des économies de marché capitaliste se développe une forte instabilité des secteurs de conception industrielle. De multiples entreprises vont apparaître, entrer en concurrence, se faire racheter par des capitaux provenant d'autres secteurs ou se concentrer entre elles.

La possibilité de créer une société de service informatique dans le domaine industriel ne nécessite aucune immobilisation en capital fixe et se trouve ainsi à la portée des cadres les plus créatifs (cas de la Silicon Valley en Californie). Le phénomène de multiplication des entreprises de génie informatique est bien connu en Californie et commence à se répandre dans les sociétés capitalistes. La notion même d'entreprise est alors à redéfinir. La déconcentration spatiale des activités de production est rendue possible. Les bureaux d'études de CAO peuvent ainsi être établis n'importe où. Les systèmes de production n'auront plus de logique spatiale verticale. La CAO favorisera l'éclatement de l'espace industriel traditionnel.

D. Le nombre d'emplois

Là encore, il est difficile de faire une évaluation macro-économique. Chose certaine, les dessinateurs traditionnels de l'industrie n'ont pas d'avenir. Ils sont généralement les premiers à être recyclés à la CAO (ex. : aérospatiale). La CAO restant coûteuse à cause des logiciels, elle ne s'étendra aux PMI que lentement. Cependant, les gains de productivité, par la réduction des délais d'étude, permettent de rentabiliser la CAO et donc de maintenir le niveau d'emplois par l'augmentation des débouchés. Évidemment, les emplois se créeront dans de nouvelles catégories professionnelles. La CAO crée de nouveaux secteurs industriels en rendant réalisable des projets qui auraient demandé des dizaines d'années de calculs. Les nouveaux micro-processeurs (VLSI) sont l'exemple le plus récent. La diminution du coût du matériel électronique sera le facteur essentiel de la diffusion de ce procédé. Les effets sur l'emploi dépendent de la répartition géographique de la CAO. Les données ne sont pas regroupées à l'échelle mondiale (on estimait à 1 000 les systèmes CAO en 1980). Cependant, les États-Unis dominent ce secteur suivis du Japon et de la France. Le Canada est très en retard et n'a pas de programme de CAO d'envergure. En termes quantitatifs, les effets sur l'emploi risquent de frapper les bureaux de méthodes des grandes entreprises de construction automobile, navale, aéronautique et électronique.

E. La formation professionnelle

La CAO nécessite avant tout une bonne connaissance professionnelle dans un métier donné. Elle n'est qu'une technique certes très développée mais qui ne remplace pas la conception en tant que telle. La CAO sera certainement enseignée dans les grandes écoles d'ingénierie et de techniciennes et techniciens.

3. L'EXTENSION DES AUTOMATISMES DANS LA PRODUCTION À FLUX CONTINU

C'est de la chimie industrielle qui se développe dès la fin du XIXe siècle en Allemagne que naissent les automatismes dans la production à flux continu. Ces automatismes se modèlent sur les réactions physico-chimiques de matières solides comme le charbon et le calcaire ou liquides comme le pétrole. Pierre Navile, en France, dans ses ouvrages, L'AUTOMATION ET LE TRAVAIL HUMAIN (1961) et VERS L'AUTOMATISME SOCIAL (1963) a décrit avec précision les techniques de ce secteur industriel. Depuis lors, rien de nouveau n'a été effectué et la majeure partie des travaux contemporains ne font au mieux que répéter sans le citer les travaux de ce précurseur. La prise en charge du processus de production, de maintenance et de réparation est de plus en plus l'oeuvre d'un ordinateur central de gestion de la production.

A. Définition technique

L'industrie pétrolière constitue le modèle de ce secteur. Elle a, la première, généralisé les principes de l'automatisme mécanique et électrique. Aujourd'hui, le contrôle des réactions chimiques peut s'adapter à la diversité des matières premières et augmenter le rendement. Il est également possible de modifier les agents de cette réaction en cours de déroulement. L'automatisme dans la production à flux continu nécessite de regrouper trois aspects techniques (recueillir l'information sur le matériel transformé, l'analyser et envoyer des ordres de modification du processus).

L'informatique permet de centraliser les informations sur l'état physico-chimique d'un produit, d'analyser la globalité du processus et de donner des solutions immédiates. L'industrie du pétrole n'est pas un gigantesque assemblage de tuyaux opérés par une armée de manipulateurs de manettes et de valves comme au début du siècle. C'est un processus de production complètement intégré qui tient compte des éléments physico-chimiques mais aussi bien en aval qu'en amont. Cette définition technique permet de comprendre facilement pourquoi les multiétatiques du pétrole (Exxon, Shell, BP, Gulf, CFP Total...) sont les plus puissantes firmes du capitalisme industriel contemporain. Leur avantage provient non pas tant du pétrole que de la façon dont elles le traitent. On constate que l'industrie métallurgique, plus généralement de traitement industriel des ressources minérales, se modèle sur l'industrie chimique et pétrochimique. Une part de plus en plus grande des produits alimentaires, surtout les liquides, tend à être réorganisée de cette manière.

B. Transformation

Le secteur connaît les modifications internes les moins importantes. Son principal problème est de trouver de nouvelles technologies qui permettent d'utiliser des matières premières jusqu'à alors trop coûteuses à transformer. Il serait à la limite possible de considérer l'industrie de la production à flux continu comme ressemblant à celle du transport. L'analogie est frappante avec la marine (un pétrolier par exemple) et une raffinerie. L'un comme l'autre ont des équipages dont la principale préoccupation est la sécurité de leur environnement et la monotonie sans rythme de la journée de travail.

Les progrès dans l'automatisation des tâches de manutention de certains produits permettront de limiter le travail non qualifié dans les centrales de production d'électricité. Cependant, la production en flux continu n'engendrera pas de nouvelles catégories professionnelles dans les années quatre-vingt, ni de nouvelles technologies d'importance universelle.

C. Organisation du travail

Serge Mallet dès 1963 a noté que ce type d'industrie, particulièrement dans le domaine chimique et pétrochimique a connu un accroissement de la qualification de son personnel (cf. son ouvrage LA NOUVELLE CLASSE OUVRIÈRE). L'organisation du travail dans ce type d'industrie est d'abord déterminée par la logique des processus physico-chimiques.

La proportion de travailleuses et travailleurs non qualifiés tend à baisser mais de manière très inégale. Elle est faible dans le pétrole mais assez élevée dans l'ALIMENTATION (industrie de la bière, par exemple). De plus une partie des tâches d'entretien et de maintenance est sous-traitée. Les effets sur l'organisation du travail des sociétés de ce genre, modifiée par l'informatisation de la production, sont variables. Tout d'abord la généralisation du travail posté en équipes est favorisée par l'automatisation. Ensuite l'intervention dans la production est surtout importante au démarrage et à la sortie du cycle. Les problèmes de manutention se situent à ce niveau.

D. Le nombre d'emplois

Le secteur est très hétérogène et ne se prête pas à une analyse en termes de main-d'oeuvre. La hausse de productivité entraînée par l'informatisation est généralement suivie par une diversification de la production. L'industrie pétrolière et celle de l'alimentation se situent aux deux extrêmes de ce secteur. Dans cette dernière, on ne doit retenir que les industries comme celles de la bière et non comme celle de l'abattage des animaux qui relève de processus en discontinu. Il n'y a pas de bouleversements majeurs dans ce secteur au niveau des emplois du fait des technologies nouvelles.

E. Formation professionnelle

Des ingénieures et ingénieurs et des techniciennes et techniciens en analyse de systèmes constituent la principale demande d'emploi du secteur dans le domaine industriel.

4. L'APPARITION DES ROBOTS DANS LA PRODUCTION EN DISCONTINU

A. Définition technique

Un robot est un manipulateur industriel guidé par un programme informatique. Il se caractérise par (1) une articulation mécanique entre 3 et 6 degrés de libertés, (2) une source d'énergie électrique, pneumatique ou hydraulique, (3) une extrémité agissante plus ou moins polyvalente, (4) un asservissement à un programme d'ordinateur guidé éventuellement par des capteurs plus ou moins raffinés. Le robot est donc programmable et reprogrammable.

B. Transformation

Le robot industriel actuel s'est développé dans les années soixante-dix; il doit sa popularité aux progrès dans le domaine de la miniaturisation de l'électronique, les micro-processeurs. Ces robots ont remplacé des machines automatiques lourdes construites en fonction d'une production spécifique. Les robots peuvent être reprogrammés très souvent en fonction d'une nouvelle production alors que les machines automatiques traditionnelles doivent être envoyées à la casse. Dans ce cas, il est en effet nécessaire de construire une machinerie spécifique à chaque type de production. Les robots ne travaillent pas de manière plus rapide que les êtres humains ni avec une précision accrue, cependant ils sont évidemment infatigables. On retrouve les robots surtout dans l'industrie automobile, l'aéronautique et la construction électrique. Dans ces secteurs, ils sont employés à des tâches moyennement qualifiées: soudure, peinture; ou très qualifiées: usinage de précision de pièces stratégiques comme les ailettes de réacteurs en aviation. Bientôt ils seront introduits dans l'assemblage de petits objets.

C. Organisation du travail

Dans la première phase, il y a généralisation du travail posté en équipe, suppression des tâches dangereuses et un rôle plus important des responsables de la CAO qui planifient l'organisation du travail. Le robot fait partie d'un système de production qui incorpore l'organisation du travail dans son programme. Les robots sont introduits dans des productions de grande série mais par leur souplesse permettent la fabrication de divers modèles de voiture sur une même chaîne d'assemblage.

D. Nombre d'emplois

Il n'y a pas suppression totale des soudeurs et peintres mais ceux-ci voient leur nombre diminuer considérablement dans les entreprises à chaîne de montage. Cependant celles-ci ne concernent que 2 à 4 % de la population active dans les sociétés industrialisées. Le problème de l'emploi se posera avec les robots introduits dans les opérations d'assemblage particulièrement dans la construction électrique.

E. Formation professionnelle

Des spécialistes en robotique informatisée vont être demandés en grand nombre d'ici 1990 dans les sociétés industrialisées mais beaucoup moins au Québec car il n'y a que peu d'industries de chaîne de montage. Seule l'aéronautique sera touchée de manière significative.

LA ROBOTIQUE

1. DE LA ROBOTIQUE VERS L'ATELIER FLEXIBLE

La robotique est un sujet de plus en plus discuté dans les manufactures et les industries. Il ne s'agit plus de science-fiction mais d'une réalité qu'il faut connaître en détails pour être en mesure de la comprendre afin d'allier l'efficacité des méthodes de production à l'amélioration des conditions de travail.

Le terme robot actuellement employé pour désigner une machine industrielle a dans nos esprits une tout autre image. Beaucoup sont allés voir STAR WARS au cinéma et peuvent être attirés par les séries télévisées THE SIX MILLION DOLLAR MAN ou THE BIONIC WOMAN.

Nombreux ont été les fanatiques de science-fiction et de bandes dessinées racontant des histoires de robots. Le terme robot nous inquiète un peu car il signifie créature artificielle, généralement de métal et de plastique, qui peut remplacer un être humain. Dans le monde industriel, le robot est l'équivalent économique de l'esclave. L'industrie métallurgique a emprunté ce mot à la littérature fantastique. C'est le dramaturge tchèque Carel Çapek qui en 1920 a utilisé ce mot dans une pièce de théâtre intitulée LES ROBOTS UNIVERSELS DE ROSSUM. En tchèque le mot « robot » a un sens bien précis, il veut dire travail forcé (robota). Cette pièce de théâtre avait des implications politiques évidentes. Elle met ainsi en scène des ingénieurs et des cadres d'une entreprise qui veulent résoudre tous les problèmes de l'humanité en construisant par million des robots à l'image des êtres humains en les chargeant d'effectuer tous les travaux de production pénibles et ingrats. Mais les robots finissent par se révolter pour gouverner le monde contre leurs exploiteurs humains.

À cette époque, l'identification entre robots et prolétaires apparaît évidente. Les années vingt et trente sont en effet marquées en Europe et en Amérique du Nord par de grandes mobilisations prolétariennes dirigées contre les ingénieurs, les cadres et les bourgeois en général. Cette interprétation menaçante pour l'ordre établi se transforme au début des années quarante aux États-Unis sous l'impulsion du romancier de science-fiction et vulgarisateur scientifique Isaac Asimov. Dans ses écrits publiés en français sous les titres LES ROBOTS et UN DÉFILÉ DE ROBOTS, cet auteur présente sous un jour favorable la construction de créatures artificielles. C'est lui qui invente le terme robotique.

Au cours des années cinquante, des ingénieurs industriels marginaux mettent sur pied aux États-Unis des sociétés de construction de robots. La plus célèbre d'entre elles est dirigée par un ami d'Isaac Asimov, Joseph Engelberger. Elle s'appelle Unimation et était en 1982 la première firme dans le monde dans le domaine de la robotique industrielle. Son siège est à Danbury au Connecticut.

Les robots produits par cette société n'ont aucun rapport avec ceux des romans d'Isaac Asimov ou de la pièce de Carel Çapek. Il s'agit de puissantes pièces de métal montées sur un support rotatif et dont l'énergie motrice est pneumatique, hydraulique ou électrique.

Le concept de robot industriel

Ce genre de robots permettra d'accélérer l'automatisation des productions manufacturières. Ce sont de nouvelles machines qui, s'ajoutant à celles déjà installés, vont permettre la naissance d'une forme d'atelier industriel capable de produire des objets très diversifiés en un minimum de temps: l'ATELIER FLEXIBLE.

- Robots

A T EL I E R

F L E X I B L E

 

 

 

 

 

 

 

- Convoyeurs

- Machines-outils à contrôle/numérique

- Ordinateur

En théorie l'atelier flexible est une petite manufacture où l'intervention humaine est réduite à la surveillance, au réglage et à la réparation.

« Un atelier automatisé flexible est un atelier piloté en temps réel par un ordinateur: son objectif est d'optimiser l'utilisation des machines, de réduire au maximum les encours et d'accélérer le passage des pièces à travers l'atelier ». - Rapport Lasfargues (1982).

Il   n'existe   pas   encore   d'ateliers   flexibles   au Québec car ceux-ci ont d'abord été introduits dans des usines de fabrication de machines-outils ou de moteurs, mais il est très possible de prévoir leur apparition dans le domaine de l'industrie aérospatiale.

L'atelier flexible est particulièrement utile aux productions de pièces en moyenne série (de 50 à 1 000 exemplaires). Endeçà, les machines-outils classiques sont encore compétitives et au-delà les automatismes rigides sont plus rentables.

L'ordinateur peut également aider à la conception des pièces. Un ingénieur peut ainsi concevoir une pièce sur un terminal graphique à écran cathodique relié à un ordinateur doté d'un logiciel de dessin industriel en trois dimensions. Une fois ce travail intellectuel terminé, il suffit de donner un ordre à une machine-outil à commande numérique pour que la pièce soit réalisée. Ces opérations relèvent encore de l'expérimentation.

La conception assistée par ordinateur (CAO) est de plus en plus étroitement liée à la robotique et rapproche les procédés de la manufacture de ceux de la production de l'électricité et des industries en continu (chimie, pétrole). La production manufacturière ressemble de plus en plus à un flux de marchandises rythmé par un ordinateur.

Un atelier en 1990

Conception humaine

Ordinateur de conception

Ordinateur de fabrication

Atelier flexible

2. LA NAISSANCE DE LA ROBOTIQUE

L'ordinateur est le moteur de ces changements dans l'industrie. Une branche méconnue de l'informatique ne fait pas que traiter des textes ou des informations financières ou administratives, mais porte sur la fabrication des biens matériels. La robotique est la reproduction artificielle de mouvements diversifiés et complexes que seule la main humaine pourrait réaliser. Dès le XVIIIe siècle, la commande numérique était inventée par des gens comme Vaucanson pour automatiser des métiers à tisser. Il s'agissait déjà de cartes perforées. Celles-ci couramment utilisées dans les ordinateurs permettaient avec la Deuxième Guerre mondiale, de guider le mouvement des machines-outils. Ce principe n'était donc pas neuf et avait déjà été largement utilisé dans la reproduction de la musique par exemple (piano-mécanique, orgue de barbarie...). Le code des machines a été ensuite porté sur des bandes magnétiques et aujourd'hui sur des petits disques et des mémoires internes d'ordinateurs. La robotique est le stade le plus perfectionné de systèmes capables de réagir en temps réel à une opération de manutention. Elle est le résultat de l'alliance de la mécanique des télémanipulateurs et de la micro-électronique. Elle utilise des programmes conservés sous forme d'impulsions électromagnétiques qui reproduisent les mouvements effectués dans un travail précis.

L'origine des télémanipulateurs et des microprocesseurs est hélas militaire. Les télémanipulateurs proviennent de la métallurgie des métaux radio-actifs comme le plutonium et l'uranium 235. En effet, un opérateur ne peut ni toucher, ni se trouver à proximité de ces métaux aux radiations mortelles. Des ingénieurs mécaniciens ont ainsi développé des bras mécaniques avec plusieurs articulations pour manipuler avec précision et transformer ces objets radio-actifs pour construire des bombes atomiques.

Les microprocesseurs proviennent de la nécessité de miniaturiser les appareils électroniques chargés de faire exploser et de guider ces bombes. L'industrie de l'armement aujourd'hui comme hier est à l'avant-garde du progrès technologique. Il en est ainsi depuis l'utilisation du métal et l'on doit noter que les premières machines-outils au XVIIIe siècle ont d'abord servi à fabriquer des fusils.

Ce sont cependant les États-Unis qui ont les premiers songé à utiliser des robots dans des applications industrielles civiles. La firme Unimation, récemment rachetée par Westinghouse avait construit les premiers robots de ce genre au début des années soixante. Les premières applications concernaient la manipulation du métal à haute température introduit dans des presses automatiques. Il s'agissait de travail dangereux ou pénible. Cependant, les États-Unis qui sont à l'origine de l'invention des robots n'ont pas étendu leur usage à des fins civiles. C'est un problème important qui nécessite une explication car aujourd'hui ce sont le Japon et la Suède qui jouent un rôle dirigeant dans l'évolution de la robotique.

Les relations de travail aussi bien au Japon qu'en Scandinavie donnent au mouvement syndical un poids social décisif dans l'évolution de l'économie. Si la Suède est traditionnellement perçue comme un pays social-démocrate fortement syndiqué, l'image du Japon présentée dans les médias est parfois inexacte. Beaucoup de gens pensent que le mouvement syndical est soit absent soit soumis au patronat. C'est faux. Tout d'abord, contrairement à l'Amérique du Nord, les droits syndicaux sont reconnus dans la constitution de l'État japonais. Ensuite, le taux de syndicalisation est de 36 %. Enfin, le principal syndicat (SOHYO - 4,5 millions de membres en 1980) est d'obédience socialiste.

Le syndicalisme japonais n'est ni fondé sur le métier, ni sur l'industrie mais sur l'entreprise. Ce syndicalisme a de plus d'incontestables traditions radicales. Ainsi de 1946 à 1959, le parti communiste à travers le Sanbetsu dominait le mouvement ouvrier japonais. La récente politique d'intégration du mouvement syndical à une stratégie internationale d'expansion économique industrielle a provoqué en conséquence l'affaiblissement du parti communiste au profit du parti socialiste aujourd'hui principale force politique d'opposition. Cette intégration des syndicats aux décisions s'est surtout effectuée dans les grandes entreprises en expansion comme celles de la métallurgie, de la construction électrique et électronique. Ce sont ces entreprises qui ont eu l'initiative d'introduire des robots pour respecter une législation sur la sécurité ordonnant le service automatique des presses. Dans ce cadre, il est peu surprenant que les robots n'aient pas provoqué de mise à pied.

Étapes dans l'expansion de la robotique

Les grandes sociétés de production de robots

UNIMATION

États-Unis

ASEA

Suède

KAWASAKI

Japon

FUJITSU-FANUC

Japon

TRALLFA

Norvège

KUKA

Allemagne

CINCINNATI MILACRON

États-Unis

RENAULT ACMA

France

FIAT-COMAU

Italie

3. LE MARCHÉ MONDIAL DES ROBOTS

Trois grands compétiteurs s'affrontent sur le marché mondial de la robotique: les États-Unis, l'Europe occidentale et le Japon. Dans chacune de ces régions du monde, cette concurrence s'accompagne de liens organiques entre des sociétés de nationalité distincte.

Processus de diffusion et de hiérarchisation de la domination économique

Cette représentation de l'espace de production et d'utilisation des robots montre un espace déjà hiérarchisé. Surtout les pays où le développement des forces robotiques atteint le degré le plus efficace (Japon, États-Unis et à un degré moindre Suède) font peser sur les autres économies (France, Grande-Bretagne, Allemagne et autres pays européens) une contrainte extérieure » dont le déficit de la balance commerciale est le symptôme le plus net. Au centre de la production et de la diffusion des robots, on se trouve confronté à des stratégies de contrôle des innovations.

Si les entreprises américaines ont gardé longtemps le monopole du leadership technologique en robotique (1960-1975), elles sont massivement concurrencées par des entreprises japonaises (1975-1982). Globalement, sous l'impulsion du M.I.T.I., les constructeurs japonais ont organisé la maîtrise du marché intérieur avant d'intensifier leurs efforts à l'exportation.

Grosso modo, la pression des industries dominantes s'exerce à trois niveaux. D'abord par l'acquisition de l'outil de production en série des robots (cf. la construction de systèmes de production flexibles composés de machines (machine-outil, robot) produisant des machines analogues et fonctionnant 24 h par jour dont 16 h de façon autonome). Ensuite par une extension des domaines d'application (essentiellement l'assemblage de petits objets, de composants divers). Enfin et surtout par un développement des stratégies d'alliance ou du relais avec des entreprises étrangères dont la plupart sont européennes.

Nombreux et en accroissement rapide depuis 1980, les accords ont surtout le contenu de la représentation commerciale et rarement celui de la production sous licence. Pour la France, on dénombre déjà une dizaine d'accords de représentation de constructeurs de robots japonais. Bien plus, des pourparlers de rapprochement existent entre Unimation (le premier mondial), Kawasaki (le premier japonais) déjà associés et l'entreprise suédoise ASEA (le premier européen). Au cas où cette « trilatérale robotique » viendrait à se constituer, elle représenterait à elle seule 30 % de la capacité de production mondiale, soit plus de 2 000 unités/an. Globalement, il y a dans cette évolution un risque concurrentiel majeur pour les constructeurs européens et en l'occurrence français. L'appropriation du pouvoir de production robotique est devenu un véritable enjeu stratégique.

Source: Joël Le Quément, « La Science des robots », SCIENCE ET VIE, numéro spécial, mars 1982.

Les robots qui sont ou seront installés au Québec proviennent de ces trois régions. Du fait de sa relative proximité ceux de la société Unimation sont les plus nombreux mais on doit noter également la présence du Suédois ASEA.

Voilà cependant la situation dans les trois sociétés:

A. États-Unis

Unimation et Cincinnati Milacron se partagent à égalité plus des deux tiers du marché (70 %). Une trentaine de sociétés se partagent le reste du marché. En tout d'après une définition restrictive, il y aurait 3 500 robots installés dans l'industrie. Le chiffre de vente des sociétés américaines de robots doit se situer en 1981 vers 150-170 millions de dollars, ce qui est nettement inférieur au chiffre d'affaires des jeux électroniques qui atteindrait 3,5 milliards de dollars... Pourtant la production est en constante augmentation avec 1 500 unités produites comme base en 1981 et un taux d'expansion de 40 à 50 %. Il n'y aura cependant pas d'effets économiques majeurs au niveau global de la société américaine avant une dizaine d'années au moins.

B. Le Japon

L'association japonaise de robotique estime à 500 millions de dollars le marché intérieur du robot en 1981 et suppose un décuplement d'ici dix ans. Mais la définition japonaise du robot est plus large que celle des Américains. En fait, on peut raisonnablement penser que le rapport est de 2 à 1 en faveur du Japon et que le nombre de robots « véritables » installés en 1981 est de 6 000 et non de 70 000 comme certains l'affirment. Les deux principaux constructeurs de robots n'occupent que moins de 40 % du marché intérieur. Il s'agit de Kawasaki et de Fujitsu. Près de 70 sociétés se partagent l'autre partie. Le taux d'expansion de l'industrie de la robotique est très élevé car les Japonais ont pris l'initiative de robotiser leur production de robots.

C. L'Europe occidentale

Comme le marché européen est inégalement unifié, la collecte des chiffres est encore plus difficile. On peut estimer le nombre de robots en Europe à 4 100 qui se répartissent de la manière suivante:

Répartition des robots en Europe occidentale (1980)

Suède

1 200

Allemagne fédérale

1 100

Italie

400

France

200

Royaume-Uni

400

Autres

800

TOTAL

4 100

Le marché de la robotique en Europe est déjà sérieusement occupé par Unimation et certaines sociétés japonaises. Comme il n'y a pas de politique européenne d'investissement industriel, il est impossible d'évaluer avec sérieux le taux d'expansion de ce secteur de manière globale. Les principales sociétés européennes sont:

Suède

ASEA

Allemagne

KUKA, REIS, VOLKSWAGEN

Italie

COMAU, PRAGMA, DEA

France

RENAULT, LANGUEPIN, SCIAKY, SCEMI

Norvège

TRALLFA

Royaume-Uni

HALL AUTOMATION

4. UTILISATION DES ROBOTS DANS L'INDUSTRIE

Un fait est certain: les robots n'ont pas engendré la crise économique occidentale et ne peuvent être la cause des taux de chômage qui oscillent autour de 10 %. À l'inverse, une société qui robotise rapidement son appareil de production, comme le Japon, connaît un taux de chômage proche du plein emploi (3 % en 1981). Depuis l'invention des métiers à tisser automatiques au XVIIIe siècle, la population active industrielle n'a pas cessé de connaître des bouleversements dans les procédés de fabrication. L'automatisation des manufactures et de l'agriculture a permis un considérable développement des services collectifs et personnels parallèlement à la lente mais continuelle baisse du nombre d'heures de travail par année dans les sociétés occidentales.

Si les robots n'ont pas déclenché la crise économique actuelle, ils peuvent s'insérer dans une stratégie de sortie de crise. Les motivations habituellement énoncées pour justifier l'introduction des robots dans les entreprises industrielles permettent de le comprendre:

A. La rentabilité

La production manufacturière, en s'automatisant, tend à diminuer le nombre d'emplois, mais inversement la croissance du marché engendré par la baisse de la valeur unitaire des marchandises provoque un effet de stimulation de l'expansion d'autres activités économiques. L'introduction des robots suit ce schéma sur un mode très pragmatique. En effet, les modèles économétriques universitaires qui tentent de mesurer l'impact de la technologie sur la rentabilité sont accueillis avec réserve au sein des directions d'entreprises car ils sont fondés sur des théories globales contradictoires et généralement irréfutables. Par ailleurs, les promesses mirifiques des constructeurs de nouvelles machines ne se réalisent pas toujours une fois le contrat de vente paraphé. Le problème essentiel des manufacturiers est de savoir sur quelle période l'investissement dans un nouveau procédé de fabrication sera amorti. Pour réaliser un amortissement le plus rapidement possible, il sera donc nécessaire de diminuer les coûts directs de production et de hausser la productivité horaire. En ce domaine, des estimations globales sont très difficiles à calculer car les entreprises sont très jalouses de leur comptabilité individuelle où la discrétion leur semble naturelle mais aussi car elles ne sont pas toujours capables de les effectuer elles-mêmes avec certitude, surtout lors de la phase d'introduction de nouvelles techniques de production.

La période du capitalisme de risque étant depuis longtemps dépassée, les entreprises exigent une assurance de rentabilité avant de se lancer dans l'achat d'un nouvel équipement. À cet effet, les constructeurs de robots déploient depuis quelque temps une énergie considérable pour démontrer la rentabilité de ce choix. Ils demandent aux États, par une politique concertée d'incitations, de convaincre les éventuels acheteurs de passer aux actes. Cependant pour le moment, aucune certitude globale n'en découle si ce n'est que les machines les plus simples (« pick and place ») sont les plus diffusées et paraissent de ce fait s'avérer les plus profitables.

B. Gestion de la main-d'oeuvre

La décision de robotiser ne découle pas seulement d'une stricte analyse comptable. Une tentative d'approche multicritères incorpore également les problèmes de gestion de la main-d'oeuvre que sont les grèves, l'absentéisme, le contrôle sur le procès de travail et le « turn-over ».

Une nouvelle technologie employée dans une manufacture peut fort bien être coûteuse, ne pas augmenter la productivité horaire mais supprimer des dysfonctionnements majeurs pour l'entrepreneur dans ses relations avec la main-d'oeuvre.

Une nouvelle technologie peut être ainsi partie intégrante d'une stratégie de résolution des conflits. À l'inverse, une recherche brutale de la diminution des coûts directs de production par l'introduction de nouvelles technologies peut engendrer le même genre de conflit. Ce problème est abordé dans un premier temps au travers de l'approche économique classique par la majeure partie des analystes. Cependant la question fondamentale réside surtout dans la détermination des tâches réalisables dans un proche avenir par les robots afin de définir assez précisément les sections de la force de travail qui seront directement affectées.

C. Les tâches robotisables

Ces tâches peuvent se distinguer par leur complexité:

manutention, alimentation de machines, tri de la production

Dans ce cas,  les robots ne se distinguent pas beaucoup des automatismes classiques. La main-d'oeuvre concernée est faiblement qualifiée. Là où on la trouve à bon marché, ce genre de robots se développe lentement. Dans les pays du centre, ce type de robotisation peut faire partie d'une politique visant à freiner l'immigration venant du Tiers monde ou encore faire revenir des industries préalablement délocalisées en Asie du Sud-Est ou en Amérique Latine. La généralisation des robots de première génération est un phénomène peu spectaculaire mais aux incidences sociales globales les plus importantes dans le contexte actuel.

usinage, soudure, peinture, moulage

Il s'agit ici des goulots d'étranglement de la production automatisée pré-robotique. La main-d'oeuvre concernée possède une certaine qualification étroitement spécialisée. Les robots sont généralement accueillis favorablement par les syndicats qui y voient un moyen pour éliminer les tâches dangereuses. Alors que les tâches de manutention, d'alimentation des machines et de triage élémentaire peuvent assez aisément être robotisées, une évaluation plus prudente doit s'effectuer pour cette deuxième catégorie d'opérations. Voici une évaluation des tâches actuellement robotisables d'un point de vue strictement technique. Cependant, ces pourcentages n'indiquent pas les conséquences des variables économique et sociale. Il ne s'agit donc pas ici de taux potentiels de pertes d'emploi.

Le transfert des capacités de travail humain aux machines s'effectue de deux manières: soit par le calcul point par point de l'opération à réaliser (geste simple de manutention), soit par l'enregistrement sur bande magnétique des gestes d'un excellent ouvrier (gestes complexes du peintre) et la répétition par un robot guidé par la bande magnétique (« play-back »). Il n'y a cependant pas au sens propre un transfert de l'expérience ouvrière à la machine. Celle-ci travaille de manière différente de l'ouvrier et nécessite une modification des instruments, des méthodes d'opération et des matières premières. L'expérience ouvrière est entièrement fondée sur des réponses efficaces à des situations exceptionnelles. Dans le cas des machines, c'est la panne... Ainsi, et pour longtemps, une opération de production prise de manière isolée sera toujours accomplie par le travail manuel d'ouvrières ou d'ouvriers très qualifiés (les Rolls Royce seront toujours fabriquées de cette manière et leur qualité ne fait aucun doute), c'est dans la production en série pour des objets de consommation de masse que les robots sont et seront utilisés en premier lieu. Il n'est pas question de penser construire des mécaniques aussi complexes que la main humaine et même avec des microprocesseurs réussir à les animer de manière efficace.


Tâches industrielles robotisables

OCCUPATIONS

ROBOT NIVEAU I

ROBOT NIVEAU II

Peinture industrielle

45 %

66 %

Soudure et découpe

30 %

50 %

Machines-outils classiques

20 %

50 %

Machines-outils numériques

20 %

50 %

Fraisage

15 %

66 %

Tourneurs

15 %

50 %

Opérations abrasives et ébavurage

15 %

50 %

Surfaçage

15 %

50 %

Opérations diverses de traitement du métal avec machines

15 %

30 %

Électroplastie

20 %

50 %

Fonderie

10 %

45 %

Palettisation

15 %

45 %

Inspection

10 %

33 %

Polissage

20 %

33 %

Assemblage

10 %

30 %

*    Niveau I:   robot programmable

* Niveau II: robot programmable avec capteurs et feedback

5. LES POLITIQUES GOUVERNEMENTALES

Le développement de la robotique n'est pas du seul ressort de l'entreprise privée. L'État joue un rôle de coordination dans ce domaine comme dans les autres. Les politiques gouvernementales sont donc essentielles pour enclencher un processus de robotisation. Voici quelques exemples significatifs tout d'abord pris à l'extérieur: Japon, États-Unis, France pour mieux illustrer l'attitude adoptée à Ottawa et à Québec.

A. Le rôle du MITI au Japon

L'État, par l'intermédiaire du ministère de l'Industrie et du Commerce extérieur a planifié le développement technologique introduit dans la production en fonction d'objectifs précis de conquête de créneaux sur le marché mondial. Le Japon a tout d'abord massivement acheté des licences pour exploiter sur place des brevets étrangers. Ainsi en 1982, le Japon est encore largement déficitaire et doit payer les droits importants en particulier aux États-Unis. Dans ce cadre, en 1967, Kawasaki et Dainichi-Kiko ont importé des robots américains Unimation et Prab Versatran pour les fabriquer sous licence. Le MITI favorisait ce mode d'acquisition de la technologie étrangère: copier le meilleur pour l'améliorer. Ceci relevait d'une stratégie de développement à long terme où l'amortissement des investissements est planifié vers une vingtaine d'années. Ainsi le MITI encouragea le regroupement des industriels intéressés par la robotique dans une association spécifique: la Japan Industrial Robotics Association (JIRA). En 1978, avec la promulgation d'une loi extraordinaire pour le développement de l'informatique industrielle, les robots étaient considérés comme une production essentielle à la rationalisation des entreprises.

Le MITI a encouragé la formation d'une société de location de robots afin de créer un marché pour les petites et moyennes entreprises. Il a développé une politique de prêts à taux très bas pour encourager l'équipement des PME. Des abattements fiscaux sont consentis aux acheteurs de robots. De plus, en avril 1982, le MITI a lancé un important projet de recherche visant à couper les liens de dépendance technologique avec l'extérieur en favorisant la recherche. L'accent est mis sur les robots « intelligents » pour les opérations d'assemblage ainsi que des robots destinés à l'industrie nucléaire: l'espace, les fonds sous-marins et les mines. Le développement des capteurs, des logiciels et des langages informatiques destinés à contrôler les mouvements des robots seront les secteurs favorisés dans la recherche de pointe.

B. Les États-Unis et le Pentagone

Depuis 1979, le projet principal de robotisation est animé par l'US Air Force (Air Force Integrated Computer Aided Manufacturing (ICAN). Il s'agissait d'aider General Dynamics à fabriquer rapidement des avions F-16. ICAM est un ensemble de projets destinés à financer les recherches des compagnies aériennes liées au secteur militaire (17 millions de dollars en 1981). La NASA n'a pas un rôle important dans le développement de la robotique (2 millions de dollars). Le bras de la Navette spatiale a ainsi été développé par la société canadienne Spar Aerospace sur des fonds fédéraux canadiens. Il existe aussi des projets de la Navy à San Diego pour la réparation des avions embarqués sur des navires. Des études pour construire des robots militaires sous-marins sont également effectuées. Le secteur touché par l'intervention fédérale aux États-Unis est donc l'industrie aérospatiale où contrairement à l'automobile, la domination américaine est encore faiblement contestée.

C. La France

La Société d'État Renault a pris l'initiative dès 1974 de développer ses propres robots. Ceux-ci étaient essentiellement à usage interne pour la construction automobile. Depuis, de nombreuses sociétés se sont lancées dans la robotique industrielle. En février 1982, le syndicaliste CFDT Yves Lasfargues présentait un rapport détaillé sur la robotique pour le Conseil économique et social. Les liens entre les industriels français et leurs homologues étrangers sont assez étroits (Suède et Norvège). En 1980, un programme d'Automatisation et robotique avancées (ARA-1980/84) est lancé et obtient des résultats mitigés. Il existe une Association française de robotique industrielle (AFQI) qui regroupe les principaux fabricants. En tout, il y a une quinzaine de constructeurs de robots généralement de très petite taille. Les constructeurs étrangers accaparent plus de la moitié du marché intérieur. Un plan robotique est en cours de mise en place depuis l'été 1982 sous l'impulsion du ministère de la Recherche et de l'Industrie de Jean-Pierre Chevènement.

D.      Le Canada

La constitution d'un Conseil sur la technologie CAD/CAM (CFAO) en 1978 a marqué le premier pas du gouvernement fédéral sur la scène de la robotique. En 1982, on estime à 200 le nombre de robots oeuvrant au Canada.

C'est l'Ontario qui est la province la plus active.

En octobre 1982, le ministre de l'Industrie, Gordon Walker, annonçait la mise sur pied d'un centre de technologie en robotique. Le Canada s'oriente vers une politique d'achat de licences et d'importation de robots américains, européens et japonais.

E.      Le Québec

Il  y  a  une  vingtaine  de  robots  importés  au Québec. Aucune politique gouvernementale n'est prévue en ce domaine. Parmi les entreprises disposant de robots, il y a Gemelec, Bombardier, Northern Telecom, General Motors, General Electric, Reynolds et HydroQuébec. Des expérimentations sont effectuées au CRIQ, à l'Université de Montréal et à McGill University. Des efforts sont en cours pour déterminer les catégories d'entreprises susceptibles d'être robotisées (CRIQ et ministère de l'Industrie). Un programme de formation en automatismes industriels sera ouvert à l'École de technologie supérieure (ETS) de Montréal à l'automne 1983.

6. LES SYNDICATS OUVRIERS FACE À LA ROBOTISATION

Dans les États industrialisés, les robots ne constituent qu'un changement technologique parmi d'autres, même si leur apparition constitue un bouleversement pour la production manufacturière. Cependant, les progrès de la robotique sont graduels et ce ne sont pourtant pas les syndicats qui ont été le frein majeur à leur extension. La principale application concentrée, donc spectaculaire, a été la soudure par points dans la construction automobile. Auparavant, les robots étaient utilisés de manière isolée pour servir des presses et effectuer des opérations de manutention. Les tâches effectuées étaient généralement pénibles et l'accueil fait aux nouvelles machines très favorable. Les réticences les plus grandes à l'implantation des premiers robots sont surtout venues des cadres des entreprises concernées. En effet, les premières personnes frappées par les changements technologiques sont les cadres de la production.

Il y a donc deux cas possibles extrêmes d'implantation de robots dans les entreprises.

A. Implantation dans une PME

Il s'agit généralement de quelques unités introduites dans des postes répétitifs ou dangereux. Dans ce cas, la PME peut connaître un gain de productivité rapide et améliorer sa position sur le marché. Les syndicats sont peu présents dans ces secteurs et leurs réactions sont très diversifiées. Le problème principal est la perte directe d'emplois. En effet, une PME n'a pas les moyens de recycler son personnel et les syndicats sont trop faibles pour s'opposer aux mises à pied. Une PME peut fermer puis ses propriétaires ouvrir une autre entreprise sans répercussions sociales majeures.

B. Implantation dans une grande entreprise

Dans ce cas, plusieurs dizaines de robots sont installés en même temps. La ligne d'assemblage inaugurée par Henry Ford est alors complètement réorganisée.

Dans les grandes entreprises automobiles qui sont en général assez bien pénétrées par les syndicats, l'installation des lignes d'assemblage robotisées est un phénomène perçu comme un processus à moyen terme. Il est donc objet de négociations. Il n'est évidemment jamais question de refuser l'introduction des nouvelles machines mais d'en contrôler les effets sur la main-d'oeuvre. Ainsi aucun constructeur automobile ne peut aujourd'hui retarder la robotisation de ses opérations sous peine de disparaître. Les syndicats dont le sort est lié à la survie de l'entreprise ont donc intérêt à profiter des changements technologiques pour avancer des revendications d'ordre qualitatif: recyclage, sécurité, hygiène, horaires de travail... La robotisation en tant que telle permet de diminuer les postes de travail dangereux et monotones mais il en subsistera toujours un certain nombre. L'action syndicale permettrait d'automatiser encore davantage les postes pénibles tout en suggérant des reclassements. C'est ce que font les grands syndicats de tous les États industrialisés. Il s'agit en effet de préserver les acquis obtenus depuis la Deuxième Guerre mondiale dans le domaine des droits sociaux et syndicaux. Les nouvelles technologies d'automatisation de la production peuvent être intégrées à des stratégies de production très diverses. L'une d'entre elles peut contribuer à une amélioration des conditions de travail et une autre, au contraire, en privilégiant les gains à court terme, aboutira au renforcement de l'autoritarisme et des hiérarchies de contrôle.

7. LES ENJEUX SOCIAUX

A. L'emploi

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les grandes usines de construction manufacturière des États industrialisés avaient employé une main-d'oeuvre faiblement qualifiée et dans un premier temps aisément contrôlable par les cadres de l'entreprise. Cette main-d'oeuvre a commencé à la fin des années soixante et durant les années soixante-dix à s'organiser de manière autonome, de manière plus ou moins informelle, parfois en s'opposant aux directions syndicales. Les grèves sauvages qui se sont produites durant les années 1968-74 ont été provoquées par ces catégories de travailleuses et de travailleurs. En paralysant certains secteurs de la production, ils entraînaient l'arrêt complet de l'entreprise. Or, on s'aperçoit que les postes de soudure et de peinture généraient tout particulièrement ces forces de résistance ouvrière. C'est là que les premiers robots industriels sont apparus massivement...

En termes d'emploi industriel, la question ne se pose pas véritablement par le problème de la perte de postes mais plutôt par la restructuration d'une nouvelle classe ouvrière. A l'échelle d'une société, il n'est pas possible de calculer sérieusement l'impact des changements technologiques sur le niveau de l'emploi. Ainsi aujourd'hui, les taux de chômage sont très élevés en Amérique du Nord mais tous les analystes s'accordent pour considérer la vétusté du matériel de production comme une cause majeure de la faible compétitivité de l'industrie automobile américaine et non pas le nombre de robots qui reste encore à un niveau assez faible.

Il est cependant certains que les déplacements de main-d'oeuvre provoqués par l'introduction des robots, vont entraîner une perte d'emplois pour certaines industries au profit d'autres. Dans une même entreprise, des postes seront déplacés d'un atelier à un autre. Il sera même fort probable que les entreprises initiatrices des changements technologiques pourront se permettre d'augmenter le nombre de leur personnel en profitant de l'amélioration de leur position sur le marché.

B. La formation professionnelle

Les nouvelles technologies de production vont nécessiter un recyclage de la main-d'oeuvre et la création de nouveaux programmes scolaires. Qui sera responsable de la mise en opération des robots? Des travailleuses et travailleurs qualifiés, par recyclage horizontal, des ouvriers spécialisés par recyclage vertical ou encore des jeunes recrutés dans le réseau scolaire? Cette question risque de susciter des conflits et ne peut être réglée que par la négociation. Comme le travail des robots était accompli par des ouvriers spécialisés, la priorité devrait leur être accordée dans l'occupation des nouveaux emplois créés. C'est une pratique couramment admise dans le syndicalisme d'entreprise japonais. La formation professionnelle en robotique devrait toucher dans un premier temps les adultes engagés dans la production qui ne sont pas éligibles à une retraite anticipée.

C. Le contrôle sur l'opérateur

La question du contrôle des travailleuses et travailleurs sur l'instrument de production et leur autonomie face à la hiérarchie de l'entreprise est délicate à cerner. D'un côté, il est certain que la ligne d'assemblage, le travail à la chaîne a toujours symbolisé l'aliénation la plus extrême pour les ouvrières et ouvriers. LES TEMPS MODERNES de Charlie Chaplin ont admirablement permis de comprendre ce phénomène en plein essor dans les années vingt: les techniques d'Henry Ford dans la construction automobile. Or, avec les robots, les gestes des travailleuses et travailleurs ne sont plus rythmés par la production mécanique. Il s'agit de surveiller, d'entretenir et de réparer. Cependant certaines tâches pénibles de peinture et de soudure ne sont pas encore automatisées. Pour les travailleuses et travailleurs qui restent encore attachés à ces activités, la situation risque d'empirer. Les dernières tâches d'ouvrières et d'ouvriers spécialisés seront d'autant plus soumises aux directives de l'encadrement que la force collective de ceux-là sera évaporée. Compléter l'automatisation du processus de production est donc indispensable. Les technologies microélectroniques permettent d'envisager de rapprocher la production robotisée en discontinu des procédés utilisés dans la pétrochimie ou la production d'énergie par exemple. Pour le moment, seul l'usinage des pièces principales des machines-outils, des moteurs ou des robots est effectué dans des ateliers flexibles. D'ici quelques années, des opérations d'assemblage de petits objets pourront automatiquement être faites par des robots dotés de sens de la vision et du toucher.

Ces processus de production automatisés sont contrôlés en temps réel par les ordinateurs qui peuvent être sous la surveillance d'opératrices et d'opérateurs agissant surtout pour la reprogrammation ou pour faire face aux imprévus. Dans ce cadre, l'autonomie réelle est de plus en plus grande mais les technologies microélectroniques permettent désormais de mieux contrôler les responsables de la surveillance.

8. CONCLUSION

L'automatisation   de   la   production   industrielle manufacturière va connaître des progrès importants d'ici 1990. Dès maintenant, il est possible de prévoir un engouement pour le « robot personnel » dans la foulée de l'expansion du marché de l'ordinateur domestique (au mois de janvier, une compagnie américaine a lancé un robot éducatif perfectionné à assembler au prix de 1 500 $ US). Ceci permet de prévoir une accélération des découvertes dans le domaine de la robotique. Il y a une multitude de tâches matérielles dangereuses ou pénibles que les robots peuvent accomplir et un effort social de recherche permettrait d'en dresser la liste principalement en fonction des taux d'accidents du travail par industrie.

Des problèmes importants demeurent: l'utilisation de la robotique à des fins essentiellement militaires et le monopole technologique des pays du Nord face à ceux du Sud. Les dangers de la robotisation peuvent surtout être perçus à l'échelle mondiale.

Les robots utilisés dans les conflits militaires d'ici la fin du siècle feront que les êtres humains risquent de perdre le contrôle sur les moyens de destruction.

De plus, si les usines complètement automatisées d'Europe, du Japon ou d'Amérique du Nord inondent le marché mondial de biens manufacturés au coût le plus bas, les quelques industries existantes en Amérique Latine et en Asie peuvent être balayées rapidement. Dans une hiérarchie des dommages de la robotique, ceux-là devraient figurer au sommet.

Cependant,  la technologie elle-même est loin d'être parfaite. Les ingénieurs en robotique laissent à d'autres le soin de s'émerveiller ou de s'affoler devant leurs réalisations. Les problèmes techniques, qu'il ne faut jamais perdre de vue, sont encore bien difficiles à maîtriser. En voici quelques exemples:

Les robots doivent générer un nouveau type d'ordinateur qui contrôlent non pas seulement des informations codées mais des mouvements matériels. Or ces problèmes, complexes, à résoudre de manière artificielle, sont à la portée de l'être humain normal.

Hélas, comme il est plus facile de détruire que de produire, les militaires ont, dans tous les pays industrialisés, pris le contrôle des efforts effectués vers l'automatisation des mouvements dans une course absurde aux armements. À leur suite, certains dirigeants politiques considèrent la robotique comme un moyen de pression sur les sociétés peu développées du Tiers monde pour les empêcher de s'industrialiser et de conquérir une autonomie sociale nécessaire.

POUR EN SAVOIR PLUS SUR L'AUTOMATISATION

Joël Le Quément, LES ROBOTS: ENJEUX ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX, Pluralisme, La Documentation française, 1981.

Pierre Naville, VERS L'AUTOMATISME SOCIAL?, Gallimard, 1963. Jean-Claude Beaune, L'AUTOMATE ET SES MOBILES, Flammarion, 1980. Lewis Mumford, TECHNIQUE ET CIVILISATION, Le Seuil, 1950. Yves Lasfargues, RAPPORT SUR LA ROBOTIQUE, Éditions d'organisations, 1982.

CSE Microelectronics Group, MICROELECTRONICS: CAPITALIST TECHNOLOGY AND THE WORKING CLASS, Londres, 1980.

Alfred Sauvy, LA MACHINE ET LE CHÔMAGE, Dunod, 1981.

Numéro spécial de SCIENCE ET VIE, mars 1982 intitulé « La science des robots ».

Numéro spécial de POUR LA SCIENCE, novembre 1982, sur la mécanisation du travail.

Collectif, INFORMATISATION ET EMPLOI, La Documentation française, 1981.

Joseph Engelberger, ROBOTICS IN PRACTICE, American Management ASS., 1980.

Charles Halary, « Des robots et des hommes », LE MONDE DIPLOMATIQUE, Paris, novembre 1982.

Charles Halary, « La robotique: une solution technique à la crise? », SCIENCES ET TECHNIQUES, nos 90-91, Paris, décembre 1982.

Charles Halary, « La naissance de la robotique industrielle », INTERVENTIONS CRITIQUES EN ÉCONOMIE POLITIQUE, no 7, Montréal, 1981.

Claude Gelé, «Dix-neuf propositions pour la robotique », TEMPS RÉEL, Paris, 15 mars 1982. Claude Gelé, ROBOTIQUE ET PMI, AFRI, Paris, 1982.

RI/SME, Comptes rendus de la première conférence canadienne sur la robotique, 20/21 décembre 1982, Mississauga, Conseil national de recherches.

J.A. Tanner, ROBOTICS IN THE CANADIAN MANUFACTURING INDUSTRIES, Conseil national de recherches, Ottawa, janvier 1982.

COMPTE-RENDU DE LA RENCONTRE AVEC MM. GÉRARD MÉTAYER ET ARMAND MATTELARD

par Louise Toupin

Pierre-Emile Beaulieu: Monsieur Métayer, nous avons ici au Québec des acquis du côté des médias communautaires depuis une dizaine d'années déjà. Cette idée de créer des médias communautaires, des médias plus collés aux besoins et à la réalité vécue par les gens, pour faire contrepoids au monopole dominant, est-elle très développée en France actuellement?

Gérald Métayer: Du côté de la France, Armand Mattelart pourra vous dire mieux que moi s'il y a, de la part des pouvoirs publics actuels, une volonté de développer les médias communautaires en ce sens-là. Personnellement, je n'en ai pas le sentiment. Ce que je dis dans mon dernier livre FUTURS EN « TIQUE », c'est que c'est une stratégie qu'il faudrait mettre de l'avant, mais la partie est loin d'être gagnée. En particulier par les radios locales qui sont une création toute récente en France. Jusqu'à il y a un an et demi/deux ans, tout ce qui dérogeait au monopole de la radio-télévision nationale était illégal et, par conséquent, réprimé. Dès que la porte a été entrouverte à la suite du changement de majorité, il y a eu une ruée vers les radios locales. Il y a tout là-dedans: autant des gens qui tentent d'en faire un moyen d'expression locale, communautaire, ethnique, « alternatif », que des gens qui tentent de les récupérer, soit politiquement, dans des perspectives électorales, par exemple au niveau municipal, soit commercialement, pour fabriquer des radios à l'américaine, c'est-à-dire, essentiellement, des supports publicitaires.

Je suis donc très prudent quant au possible développement en France du style de radio locale. Le problème n'est donc pas d'imiter ce qui se passe là, mais plutôt d'avoir une stratégie à mettre de 1 avant.

UNE REMISE EN ROUTE A IMAGINER

Au niveau des médias communautaires ici, vous avez des acquis. Il y a peut-être une stratégie de rénovation, de remise en route à imaginer. Et, depuis, on a vu l'apparition de médias nouveaux, comme le vidéotex, tous les réseaux de téléconférence ou de messagerie assistés par ordinateurs qui, au niveau du fonctionnement des organismes de contre-pouvoir, permettent de rendre de réels services. Il ne faut pas perdre de vue ce fait, si on ne veut pas que ces nouveaux moyens ne servent qu'à renforcer les pouvoirs des détenteurs actuels de moyens d'information. Donc, là aussi, il y a quelque chose à imaginer quant à l'utilisation « alternative » de ces nouveaux médias.

Sophie Bissonnette: Dans les recherches que j'ai effectuées pour notre prochain film sur les nouvelles technologies, j'ai rencontré des initiatives intéressantes à ce sujet aux États-Unis, et c'étaient des initiatives provenant de groupes de femmes: le « National Women's Mailing List » à San Francisco et le « Women's Input ».

En gros, le « Women's Mailing List », c'est une sorte de banque de données informatisée qui joue le rôle de trait d'union entre 5 000 groupes de femmes entre eux et avec beaucoup d'autres. *

L'autre exemple, c'est à Boston. Le « Women's Input », c'est un groupe de femmes informaticiennes qui sont parties de la constatation suivante: les groupes de femmes qui offrent des services (dans le cas de viol, femmes battues, etc.) dépensent le gros de leurs énergies à la gestion de leur service à tel point qu'elles sont souvent incapables de donner adéquatement le service lui-même. Alors, ce groupe d'informaticiennes utilisent l'informatique pour effectuer la comptabilité des groupes, leur gestion, les communications téléphoniques, etc. Elles libèrent donc ces groupes des « tâches routinières » comme l'informatique est censée idéalement devoir le faire.

LE LOCAL N'EST PAS L'ALTERNATIVE DU CENTRAL

Armand Mattelart: Oui, ce point est important. Cela nous permet de placer et de dépasser la problématique du « local », qui peut être intéressante en soi, à partir d'une autre notion qui paraît surgir de plus en plus dans les expériences de médias disons spécifiques; c'est la notion de réseau. En France, il y a le réseau « Antélim » et le gouvernement socialiste n'a pas vu la portée de cette expérience. C'est un réseau qui part de la nécessité de communiquer qu'ont entre elles les familles de pêcheurs, de marins, et cela à des kilomètres de distance. C'est un réseau radio, basé sur une cible spécifique. Et c'est un secteur qui est sous-valorisé par le gouvernement socialiste.

Mais je pense qu'il est important de poser la question du local théoriquement, sinon on n'y comprend rien. S'il y a une leçon à retenir de l'histoire des expériences des médias locaux ou communautaires depuis dix ans, c'est que, finalement, le local ne constitue pas l'alternative du central. Il y a moyen de décentraliser des médias et ces derniers peuvent être aussi «centraux » que, finalement, les médias centraux eux-mêmes. C'est une grande leçon à tirer, je pense, des expériences du Canada, que vous connaissez mieux que moi, et de la Belgique.

Donc, il faut poser la question théoriquement: il y a, à l'heure actuelle, à l'intérieur des sociétés marquées par le capitalisme, un besoin profond pour les appareils centraux de pouvoir, de se relégitimer à partir de la décentralisation. Ils ont besoin de se légitimer à partir de la décentralisation. Ils ont besoin de se légitimer en se décentralisant. Une décentralisation donc, pour légitimer le pouvoir du centre. C'est un phénomène que l'on retrouve dans la transformation des systèmes de communication, dans la transformation de l'État, des systèmes politiques et des systèmes économiques même. Il est très important de voir le télétravail et la décentralisation de l'entreprise de ce point de vue également.

UNE CONCEPTION DE LA CULTURE POPULAIRE

Donc, ce que je pose, c'est une leçon historique. J'ai étudié le cas belge. Et ce qu'on peut en tirer, et des autres expériences de médias de type progressiste, c'est que les groupes qui ont eu l'initiative des médias locaux ont une conception politique de la culture populaire et de la culture alternative et aussi de la stratégie « alternative ». Et, après dix ans, on se rend compte que, dans cette stratégie de création de nouveaux médias, ces groupes n'avaient vu le problème que sous l'angle de la nécessité de créer des médias alternatifs, sans jamais avoir une vision dialectique pouvoir central/pouvoir local.

Et ce qui est arrivé du « petit », du local, c'est que les systèmes centraux se sont emparés des innovations lancées par les petits, les petits venant fournir des formules de renouveau pour le progrès des grands.

Qu'est-ce que cela signifie? C'est qu'il n'y a pas moyen de poser la question de la création du médium local sans avoir une vision claire de son articulation avec les pouvoirs centraux. C'est une discussion essentielle, à mon avis.

Qu'est-ce qu'une culture « alternative »? Est-ce qu'une culture populaire existe en soi, ou existe-t-elle articulée avec une culture dominante? A-t-elle une autonomie? Est-ce qu'elle existe ou pas? Tout cela, c'est une conception de la lutte contre le pouvoir, de comment fonctionne le pouvoir.

On en est au b-a ba là-dessus dans la gauche mondiale. Ce sont des préoccupations qui circulent au sein des forces qui essaient de construire le socialisme aujourd'hui, alors qu'il y a dix ans, elles ne circulaient pas.

DES IDÉOLOGIES LOCALISTES

Non que je croie que le local et la décentralisation soient en soi mauvais ou bons. Ce sont plutôt des lieux d'affrontements sociaux. Parce qu'il y a des conceptions différentes du local; il y a des idéologies localistes qui croient que, parce qu'on retourne au local, au petit, on est plus près de la population et de la libération. Je ne crois pas cela. Je crois que ce sont de faux pôles. En d'autres termes, il n'y a pas moyen d'avoir une conception de la lutte sur le local sans avoir une conception de la lutte contre le pouvoir central.

Lina Trudel: Les groupes populaires ici ont beaucoup de difficulté à se situer sur un terrain de lutte pour affronter l'adversaire, le pouvoir central, comme vous dites. Les petits médias développent une expertise et se donnent des outils qu'ils peuvent contrôler, et c'est très important. Par contre, leur impact politique est très limité. On a de la difficulté à « percer » les grands médias.

Au Québec, le rapport de forces à ce niveau est épouvantable. On l'a vu avec le conflit du Front commun. La population subit l'influence des grands médias et elle n'entend qu'une voix. Alors, dans cette perspective, qu'est-ce que cela donne de se faire des petits médias, si les pouvoirs dominants sont laissés entièrement libres de dire ce qu'ils veulent à la population? Nous, au Groupe de travail sur les communications de l'ICEA, c'est ce qu'on étudie: peut-on créer un journal progressiste à large audience, qui ne s'adresse pas à des intellectuels, mais à la population qui subit l'influence des médias de masse? Ce sont des questions auxquelles on veut trouver des réponses.

Monsieur Mattelart, dans le rapport « Technologie, culture et communication » que vous avez remis au ministre Chevènement, avez-vous tenté d'identifier des stratégies d'information populaire dans cette perspective? Y a-t-il des analyses qui étudient comment des contenus populaires peuvent être véhiculés dans des grands médias nationaux?

ON A OUBLIE LA CONSOMMATION CULTURELLE

Armand Mattelart: Un des vides les plus absolus de la recherche sur les moyens de communication, c'est le domaine de la « connaissance du récepteur », de tous ces gens qui regardent la télévision, écoutent la radio, lisent les journaux. Mises à part des études de « rating » que font les publicitaires, bien peu de gens s'occupent de voir comment fonctionnent les messages. En France, cela se réduit à une ou deux études qui interrogent comment la téléspectatrice et le téléspectateur détournent, contournent le message ou le reçoivent tel quel.

Et là, on touche à un autre point: dans les stratégies de communication, on a toujours pensé en termes de production d'un média, jamais on est parti de la connaissance de la consommation. Or, c'est fondamental. Et cela s'explique par l'évolution du mouvement ouvrier: on a toujours écarté toutes les interrogations sur la consommation culturelle comme moyen de lutte et donc comme premier pas pour créer des éléments d'une autre production à partir des groupes de résistance.

S'il y a un domaine qu'il faut récupérer, c'est bien la critique des médias, non pas à partir de perspectives abstraites comme certaines études linguistiques l'ont fait, mais à partir d'une autre méthodologie. Mais, en France, bien peu de gens ont ces préoccupations, à part, bien sûr les publicitaires...

Paul Bélanger: Nicole Lacelle a fait pour l'ICEA une étude sur les téléromans qui nous donne des pistes là-dessus, j'en mentionne deux:

Une première hypothèse est que, si les gens, les femmes en particulier, écoutent beaucoup les téléromans, c'est parce qu'elles ou ils maîtrisent le sujet au fur et à mesure qu'il se déroule. Tout est fixé à l'avance dans le fond dans les téléromans. Ce qui fait que les femmes, qui n'ont pas, dans leur quotidien, une emprise, un pouvoir sur le réel, là, dans le téléroman, elles ont cette emprise; elles vivent pendant une demi-heure une expérience de « contrôle » de la situation.

Une deuxième question posée par Nicole Lacelle est la suivante: Qui contrôle, dans les ménages, les boutons de l'appareil? Comment s'articule le pouvoir autour du bouton? Qui fait les choix de canaux? On connaît bien peu cette dimension et, si on l'explorait, on pourrait aller beaucoup plus loin. Ce genre de recherche, pour nous de l'ICEA, est beaucoup plus pertinent pour poursuivre la lutte que la simple analyse du discours même de la télévision.

SE CONCERTER AVEC LES JOURNALISTES

Gaétan Tremblay: On parlait de pistes possibles pour améliorer la qualité de l'information. J'aimerais ajouter qu'il y a à ce sujet un autre front important qui est celui de développer des stratégies de concertation et de collaboration avec celle et ceux qui font l'information, les journalistes.

On est porté à les voir comme un bloc relativement homogène, peu sympathique aux groupes populaires. On les situe déjà comme adversaires et les journalistes sentent cette antipathie envers leur profession, que ce soit de la part des hommes politiques ou de la part des groupes populaires: ils sont donc peu portés à la collaboration.

Dans la même mesure où, en éducation, on ne peut rien faire sans les enseignantes et enseignants, sans leur collaboration et leur dynamisme, dans le domaine de l'information, on peut difficilement faire quoi que ce soit si on ne développe pas des stratégies de collaboration avec celles et ceux qui en sont les artisans. Qu'en pensez-vous?

Pierre Gauvin: Moi je reste très perplexe face à cette « concertation » avec les journalistes. Je vous donne un exemple parmi tant d'autres: lors de l'enquête Jutras sur la CTCUM, lors d'une séance d'audition, un patron de la CTCUM est venu dire à tout le monde qu'il avait falsifié des rapports de santé-sécurité. Le journaliste de Radio-Canada qui était à côté de moi, et qui a entendu la même chose que moi, (et que, soit dit en passant, j'avais soutenu dans une grève) n'a jamais « sorti » ça sur les ondes de RadioCanada. Pourtant, c'était un patron qui disait de telles choses. Ce qui fait que le journaliste en question s'est trouvé à soutenir le patron.

Jamais les journalistes ne prennent position, en tant que collectif, pour dire, par exemple: « Non, nous ne pensons pas cela, ce sont les conditions d'exercice de notre métier qui font qu'il en est ainsi », ou quelque chose du genre.

De plus, il n'y a aucune promiscuité entre les journalistes et le peuple. Ils ne vont pas vers les gens. Il faut toujours aller à eux. Ils vivent en vase clos, entre eux; ils ne frayent pas avec le peuple. J'ai vu tant de journalistes dire des tas de choses contre le peuple; j'ai vu tant de gens condamnés par eux. Enfin, disons que je ne crois pas à cette « collaboration » avec eux.

Lina Trudel: Moi, je pense qu'il est très important de tenter d'établir une alliance avec les travailleuses et travailleurs syndiqués de l'information. Lorsque l'ICEA a tenu le colloque « La parole, ça se prend » en 1979, ils ont participé à l'organisation. Mais, en ce moment, il est très difficile de poursuivre ce travail de collaboration avec la FNC. On va tenter, toutefois, de reprendre cette collaboration d'une autre façon. C'est un objectif qui est des plus importants.

LA LIBERTÉ D'ÉCHAPPER A TOUS RAPPORTS SOCIAUX

Armand Mattelart: Je suis d'accord avec ce que Gauvin dit, car je l'ai vécu en France, au Chili et au Mozambique. Un des grands obstacles pour trouver un modèle démocratique de transmission et de production de l'information vient des propriétaires des techniques journalistiques.

Les gens qui résistent le plus en France à changer la conception de l'information, ce sont les journalistes qui ont une idéologie professionnaliste, construite sur le fait qu'ils revendiquent et définissent la liberté d'expression comme la liberté, non seulement d'échapper à tout pouvoir, mais d'échapper à tous rapports sociaux.

Finalement, toute la déontologie du journalisme est construite sur le fait qu'ils se croient indépendants des rapports sociaux qu'ils vivent. C'est une idéologie professionnelle dangereuse, car elle fonde l'appropriation par une catégorie de personnes de la parole des autres.

Au Chili, nous avons échoué dans nos tentatives de rapprochement avec les journalistes, car il n'y avait pas moyen de travailler avec eux. Ils bloquaient toute participation des autres acteurs sociaux à la production d'une autre information. À tel point qu'on en est arrivé à un pouvoir « à double tête » en matière d'information: d'une part ceux qui établissaient des alliances avec d'autres groupes sociaux, avec les cordons industriels, dans les nouveaux types d'organisation de masse, qui essayaient de redéfinir la presse en questionnant le mode de production de l'information, et les autres qui produisaient l'information selon le mode enseigné dans les écoles de journalisme.

Dans toutes les stratégies et dans toute l'histoire du mouvement révolutionnaire, du mouvement progressiste, voilà un domaine qui est rarement touché: le pouvoir de celui qui produit l'information, de celui, aussi, qui produit l'éducation, de celui qui a un savoir et qui tire de son savoir son privilège. Mais le courant est difficile à remonter. Car le média a été « naturalisé »; la façon de produire l'information a été rendue « naturelle », à tel point que, c'est iconoclaste que d'interroger le pouvoir du journaliste. Le privilège du journaliste, la façon dont on produit le journalisme, c'est structurel, c'est-à-dire que c'est inscrit dans la structure même de fonctionnement des médias dans la société capitaliste, mais aussi, dans les sociétés de l'Est: s'il y a une chose que ces sociétés n'ont pas interrogée, c'est bien celle-là...

C'est un problème qu'il faut discuter dans un cadre théorique, sinon, encore une fois on n'y comprend rien; et on pourra toujours vous dire: « Oui, mais on est censuré, nous sommes persécutés », etc. Et c 'est vrai qu'ils le sont. Regardez au Chili, combien ils en ont fusillé! Mais ce n'est pas pour ça que nous devons passer outre à la question fondamentale dont on discute.

FAIRE UNE BRECHE DANS LE CORPORATISME

Gaétan Tremblay: Oui, mais dans ce débat, il faut distinguer les vedettes du journalisme du sort commun qui est fait par exemple, aux journalistes de Chicoutimi, de Joliette, etc. Ils ne font pas partie de la même classe privilégiée, même s'ils s'identifient peut-être à l'idéologie professionnaliste.

Il faut faire une brèche dans le corporatisme. Il me semble qu'il serait dangereux d'adopter une attitude monolithique face à l'ensemble des travailleuses et travailleurs de l'information, comme on semble en adopter une face aux enseignantes et enseignants en ce moment: « Vous êtes déjà des privilégiés, vous êtes le principal obstacle à la réforme pédagogique: vous êtes coupés de la population », etc., etc. C'est dangereux de partir avec une telle attitude, face aux enseignantes et enseignants et ce l'est tout autant par rapport aux journalistes...

Armand Mattelart: Oui, tu as raison et il est fondamental d'en retirer une stratégie d'approche à l'égard des journalistes. Je reviens au Chili car c'est un cas intéressant à cet égard, même s'il ne s'agissait pas de la réalisation d'une information quotidienne, mais d'une information de lutte.

Au début de l'Unité populaire, on voyait ainsi le problème des journalistes dans les médias: il suffit de mettre dans un média de gauche un journaliste de gauche pour faire une bonne télévision, un journal différent de celui de la droite. C'est une vision tout à fait instrumentaliste du média: l'important c'est de mettre des gens avec une idéologie différente et on aura un autre média. C'est la chose la plus erronée qui soit, à mon avis, puisque le moyen de communication en soi est déjà un mode d'organisation sociale.

Alors, ce qui est intéressant au Chili, c'est que c'est progressivement que la question de l'idéologie journalistique s'est posée. Progressivement, dans la mesure où d'autres actrices et acteurs sociaux sont entrés en scène et ont voulu s'exprimer dans les médias. Il a fallu attendre un an, un an et demi et, à un moment donné, ce qui est arrivé, c'est que les ouvrières et ouvriers des organisations de masse se sont emparés de la télévision dans la grève contre les patrons en octobre 1972. On avait donc une production d'information à partir d'autres actrices et acteurs sociaux; non pas dans un cadre spontanéiste, mais à partir d'interrogations du rôle des journalistes.

Je précise une chose: cette interrogation du rôle du journaliste n'a pu s'effectuer qu'à partir du moment où d'autres formes d'organisations politiques que les partis traditionnels sont apparues.

Le processus chilien a montré les limites d'une conception du parti vertical. On pourrait discuter du problème des femmes au Chili de ce point de vue-là et de l'attitude de la gauche à leur égard: elle fut complètement absente du front féminin.

Donc, au fur et à mesure des offensives de la bourgeoisie chilienne, d'autres types d'organisations de masse, beaucoup plus liées à une conception de démocratie directe, se sont formées. Et c'est à partir de ce moment-là que sont nées d'autres formes de communication qui permettaient à tous ces groupes de se relier entre eux.

Ce qui est intéressant, c'est que ce conflit a traversé les écoles de journalisme. Il y avait deux conceptions différentes quant à la formation des journalistes: l'une, la conception traditionnelle du Parti communiste, qui posait la nécessité de former des correspondantes et des correspondants ouvriers, c'est-à-dire de les former à la technique journalistique, avec des manuels de techniques journalistiques, sans interroger le caractère idéologique de ces techniques.

D'autres ont vu en quoi une technique reproduisait une idéologie et ont commencé à interroger ces techniques, à l'intérieur même des écoles de journalisme, à partir des pratiques de ces journalistes dans les organisations de masse.

C'est comme ça que ça s'est passé. Mais ce fut très court comme expérience: octobre 1972 à septembre 1973. D'autres questions, de ce fait, n'ont pas pu se poser par exemple, la réalisation d'une information quotidienne. C'était une information de lutte dont il s'agissait à ce momentlà au Chili, et non la question de la réalisation d'une information quotidienne, comme ici.

Lina Trudel: Mais en France, les journalistes sont syndiqués, est-ce qu'ils et elles abordent cette question du caractère idéologique des techniques journalistiques?

Armand Mattelart: Oui, mais c'est le fait d'une minorité. L'idéologie journalistique est tellement forte, l'idéologie de l'« objectivité » surtout...

Lina Trudel: La gauche en France et en Europe semble n'avoir jamais livré de combat dans ce champ-là. Le débat en France, actuellement semble être devenu important quand la gauche a pris le pouvoir. À partir de ce moment, la droite a combattu l'utilisation que la gauche pouvait faire des médias, parce qu'elle est peut-être plus consciente que la gauche de la puissance des médias. Alors, est-ce que le débat, depuis, s'est davantage développé et accéléré à l'intérieur de la gauche?

AU CHILI, LA DROITE EST DEVENUE LÉNINISTE

Armand Mattelart: De fait, il n'y a pas de débat global à l'intérieur de la gauche à ce sujet. Le débat de l'information vient de la dynamique des attaques de l'opposition. Pourquoi n'y a-t-il pas de débat? Parce que la conception qu'a la gauche de l'information c'est: « On inverse le signe ». La gauche a exactement la même idéologie que la droite sur l'information: « Indépendance face au pouvoir ». Mais qu'est-ce que ça veut dire? On revient à ce que l'on disait tout à l'heure: indépendance face au pouvoir, oui, mais pas indépendance vis-à-vis de tous rapports sociaux.

Donc, c'est vrai qu'on parle beaucoup d'information en France, mais toujours à partir de biais très particuliers. Et c'est le même travers qu'a eu la gauche au Chili.

Au Chili, sous Allende, la droite, après un an, est devenue « léniniste » et la gauche, elle, a perdu sa conception léniniste de la presse.

La droite avait tellement préparé l'opinion publique pour faire croire que les actions de l'Unité populaire étaient illégales que, lorsque le coup d'État est arrivé, il apparaissait légal. Elle a donc légitimé l'intervention brutale.

Comment a-t-elle réussi cela? Eh bien, elle a utilisé les moyens de la gauche: prendre la rue. Elle a adopté une « ligne de masse », une ligne léniniste. Et comme la gauche au pouvoir était légaliste, elle n'occupait plus la rue. La droite a utilisé les instruments de la gauche pour prendre le pouvoir.

À partir de décembre 1971, la droite a construit sa stratégie: déclencher des grèves corporatistes (camionneurs, superviseurs du cuivre, médecins, etc.). Qu'est-ce qui s'est passé? Cette stratégie de mobilisation a modifié complètement le modèle de communication de la bourgeoisie. Elle s'adressait non plus à un consommateur passif, indistinct, mais elle l'a transformé en un consommateur actif.

Si vous regardiez le Mercurio, comment étaient réparties graphiquement les nouvelles? Toutes les nouvelles permettaient de renvoyer à un front de lutte dans l'opposition Allende; chaque fois, à partir des nouvelles, on mobilisait tout l'ensemble corporatiste. C'est important comme stratégie de communication.

Qu'est-ce qu'a fait la gauche? Elle a repris le modèle de production de l'information, admis comme « naturel »; elle a manié ses médias sans redéfinir sa relation avec les consommateurs. Un ouvrier chilien avait fait cette réflexion très pertinente: « Ce qui est terrible avec la gauche ici, disaitil, c 'est qu'elle continue à s'adresser à un consommateur moyen, alors que dans la réalité, il n'existe plus ». Et ça, la droite l'avait compris bien avant.

Lina Trudel: Mais en France, comment tout cela se joue-t-il avec la droite?

EN FRANCE, UN PEU LE MEME MODELE...

Gérard Métayer: Ce n'est pas si différent, bien que moins radical, cependant... Ainsi, le gouvernement Giscard qui, pendant sept ans, avait tout fait pour éviter la rupture du monopole d'État sur la radiotélévision, quelques mois après le changement de gouvernement, volte-face: il soutenait l'éclatement du monopole.

C'est donc une stratégie analogue à celle que Mattelart vient de décrire, à savoir que la droite, en France, base sa stratégie de récupération des médias sur ses troupes de base: dans un premier temps, sur des entreprises qui sont prêtes à financer, par la publicité, les médias. Face à cela, la gauche, qui pourrait aussi se rabattre sur ses troupes de base pour rééquilibrer le tout, tente plutôt de sauvergarder le contrôle gouvernemental sur les médias.

Par exemple, les décisions concernant l'attribution des fréquences aux radios locales sont tout à fait éclairantes à ce sujet. On les attribue à des radios qui pourraient devenir des supports publicitaires alors que les groupes qui défendent depuis longtemps un autre type de radio, sont mis de côté. Comme s'il y avait une inquiétude des hommes politiques de gauche au pouvoir vis-à-vis cette base remuante, dont on ne sait pas trop ce qu'elle pourrait faire.

Au fond, c'est vrai, l'attitude du gouvernement de gauche à l'égard des médias n'est pas différente tellement de l'attitude du gouvernement de droite.

Lina Trudel: Mais il y a quand même eu des efforts de la part du gouvernement français actuel pour améliorer les contenus télévisuels?

EN INFORMATION, LA GAUCHE EST PLUS CATHOLIQUE QUE LE PAPE

Armand Mattelart: Oui quelques-uns, mais ce sont des changements très mineurs par rapport à un mode de fonctionnement global. Pourquoi? Parce que les gens au pouvoir sont attrapés par la notion du pluralisme, le pluralisme étant le respect des opinions, en dehors de toute réalité historique. Et là, la gauche est plus catholique que le pape, plus pluraliste que la bourgeoisie qui a créé et mis au point ce concept. Et la droite attrape la gauche au vol là-dessus: elle en rajoute toujours plus et la gauche aussi en rajoute toujours plus: plus d'opinions, encore plus d'opinions, toujours plus d'opinions... Le problème, c'est qu'on ne peut en rajouter indéfiniment, parce qu'on est sur le terrain des autres.

Devant les radios locales, comme le disait Métayer tout à l'heure, que fait le gouvernement? Devant, disons, 50 fréquences à attribuer, il en donne 25 à la droite pour qu'on ne l'accuse pas...

Nouvelle CSN: ... de stalinisme?

Armand Mattelart: C'est tout à fait vrai: la liberté d'expression à l'intérieur de la gauche est affectée par le traumatisme du stalinisme. C'est d'ailleurs le point sur lequel ont achoppé tous les processus dits de « transition au socialisme ». C'est le point-clé, c'est le point névralgique où, chaque fois, la gauche tombe.

C'est pour ça que la situation du Chili sous Allende était intéressante: pour la première fois, on a vécu toutes les contradictions sans qu'elles soient réfrénées. C'est d'ailleurs ce que la droite n'a pas supporté...

Lina Trudel: Est-ce que les stratégies d'information populaire sont différentes d'une société à l'autre? En un mot, peut-on transposer des formules? Comment rejoindre la population qui est, comme ici, habituée à une information de type sensationnaliste? En France, existe-t-il des médias populaires qui tiennent compte de ces préoccupations?

LA « TENSION CRÉATRICE»  ENTRE DEUX IDEOLOGIES

Sophie Bissonnette: Moi, je me demande sérieusement si c'est le sensationnalisme qui intéresse les gens, ou si ce n'est pas, plutôt, ce qui « passe à travers », ce qui, par ces techniques, les touche dans leur vie... Ça, c'est une question qu'on se pose sans arrêt quand on fait un film, et j'imagine que ce doit être la même chose pour les journalistes.

Quant à moi, je prends toujours pour acquis, quand je rencontre les gens, qu'ils savent de quoi ils parlent. À leur écoute, je me force à remettre en question mon « modèle », plutôt que de vouloir les couler dedans. Donc, pour ceux et celles qui font de l'information, cette démarche devient une sorte de « tension créatrice », tension entre l'idéologie de deux personnes. C'est le contraire d'un film de propagande, où le discours du journaliste ou du cinéaste écrase et domine. Donc, pour moi, c'est un processus qu'il faut développer. Et chaque film, chaque article, permet de réfléchir davantage sur ce rapport et permet donc « d'avancer ». Il faut plutôt, à mon avis, chercher à se respecter mutuellement et non chercher à « homogénéiser » ce rapport.

Gérard Métayer: Je veux tenter de répondre à la question de Lina sur la « transposition » des stratégies de communication d'une société « industrielle » à l'autre. Ce qui me frappe en France, c'est ceci: les journaux à grand tirage ne paraissent comporter un élément de reconstitution artificielle des structures sociales évanouies. Le passage d'une partie importante de la population française d'une société rurale à une société urbaine au cours des 30 dernières années (le quart de la population française) s'accompagne d'une dislocation des tissus de communication familiaux, communautaires; et un des rôles des grands médias de masse est de donner l'illusion de cette reconstitution.

Il y a là une stratégie sous-jacente de simulation de cette reconstitution des communautés de voisinage qui n'existent plus. Je me demande si les stratégies alternatives d'information ne passent pas complètement à côté de cela, à côté du fait qu'à travers cette presse de « bourrage de crâne », il y a la satisfaction d'un besoin social qui n'est pas comblé par l'ensemble des structures urbaines d'atomisation sociale dans lesquelles nous vivons.

Il est donc clair que, de ce point de vue, les médias jouent ce rôle compensateur, évitant ainsi que des « troubles » ne surgissent. Il est vrai aussi que, pour rejoindre ce public, il est probablement nécessaire de passer par la satisfaction de ce besoin. Comment le faire? Il y a un sérieux effort d'imagination à faire de ce côté-là.

Armand Mattelard: Je ne crois pas que des « modèles » soient transposables. Ce qui l'est, c'est la problématique comme, par exemple, celle du rôle du journalisme qu'on n'a jamais résolu à l'intérieur des forces progressistes. Par exemple aussi, l'analyse des moyens de communication qui est à faire autrement qu'en termes de manipulation, ce que la gauche a toujours eu comme théorie dans ce domaine, et qui ne nous fait guère avancer...

Quant à la question de Lina, je crois que c'est progressivement qu'on pourra y répondre. Car, finalement, la question des médias « autres » ne peut être posée qu'à partir d'analyses concrètes.

Par exemple, au Québec, vous êtes dominés par les médias dans la mesure où le seul discours possible d'opposition a très peu de référence avec un parti organique de la classe ouvrière. Vous avez des pôles de référence différents. Dans une stratégie progressiste d'information, ce sont ces éléments-là dont il faut tenir compte, et cela, de façon historique et critique.

Ce qui est fondamental, dans toute société, c'est que la revendication d'une autre culture ne peut s'effectuer que progressivement, et pas à pas. Quelle est cette stratégie progressive? À partir de quel secteur peut-on arriver progressivement à élaborer une stratégie de communication ou une autre, en fonction du tissu social concret existant au Québec? Je ne crois pas qu'on puisse en élaborer une qui « embarque » toute la classe populaire. C'est, à mon avis, une erreur politique.

C'est toute cette réflexion qu'il faut faire, sinon, on revalide la position qui nous a tellement fait de tort durant les 15-20 dernières années dans la gauche: il existerait une culture alternative et il suffirait de la prendre. Non. Il faut la construire et on la construit à partir de secteurs, d'alliances, et tout cela est progressif.

ET QUE PENSEZ-VOUS DU COLLOQUE?

Lina Trudel: En terminant, peut-on vous demander quelle perception vous avez eue du colloque populaire sur la télématique que nous avons organisé la fin de semaine dernière? Que pensez-vous, par exemple des pistes de revendications qui ont été avancées?

Gérard Métayer: J'ai retrouvé là des questions et un débat que la centrale syndicale française, la CFDT, avait lancés il y a deux ans. Mais ce qui m'a paru différent et très intéressant, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un débat organisé par une seule organisation syndicale pour ses seuls adhérents, mais d'un débat qui était « transversal », à la fois à des organisations syndicales différentes, à des groupes populaires qui représentaient une espèce d'union plus générale de gens qui s'interrogeaient sur leur devenir face à la technologie, à tous les plans de leur vie. Et ce regroupement qui a eu lieu, pour ce colloque, m'apparaît fondamental.

Quant aux orientations du colloque, elles ne m'apparaissent pas claires. Elles m'apparaissent davantage comme l'amorce d'une réflexion qui va se démultiplier maintenant vers des débats régionaux. Et je crois qu'il faut une consultation de plus longue durée, plus large encore, avant d'aboutir à des stratégies.

Armand Mattelart: Le problème du colloque est le suivant, à mon avis: je ne suis pas certain que les questions dont on vient de traiter, celles de la culture politique du Québec, de ses traditions de lutte, aient traversé le colloque. Car il m'apparaît fondamental que « l'entrée » du débat sur la télématique dans un pays soit moins « technologique ». Je réfère ici seulement à l'atelier auquel j'ai participé sur la télématique et les massmédias. Qu'est ce qui s'est passé là? On parlait du système Vidéotex Télidon. Cette histoire, ces acquis que vous possédez en ce qui a trait à la radio et à la télé communautaires, ne sont pas apparus dans les discussions, sauf à partir du moment où on a complètement abandonné le côté technologique, et où on a commencé à discuter à partir des leçons théoriques et politiques que l'on peut tirer de votre expérience. Et tout de suite, on a abandonné les problèmes techniques de la compagnie de câble Vidéotron; on a abordé le même problème, mais plus profondément, en replaçant Vidéotron à la place où il devrait être. Ça, c'est l'expérience que j'ai vécue dans mon atelier.

Ce qui m'apparaît essentiel, en fin de compte, c'est qu'à partir d'un thème comme la technologie, les leçons politiques qu'on tire de notre expérience, les questions de culture politique, de traditions de lutte, par exemple, puissent affleurer progressivement. Et c'est la seconde étape, celle-là.      

ANNEXES

COMITÉ ORGANISATEUR DU COLLOQUE

La tenue de ce colloque a été rendue possible grâce à la collaboration des organismes suivants:

Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ)

Fédération des travailleurs du Québec (FTQ)

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Fédération nationale des enseignants et enseignantes du Québec (FNEEQ)

Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)

Ligue des droits et libertés (LDL)

Services à la collectivité de l'UQAM

Nous remercions les personnes-ressources qui ont participé au comité organisateur du colloque:

Guy Brouillette (CEQ)

Suzanne Bélanger

Jean-Noël Bilodeau

Michel Doré (CSN)

Lorraine Gratton

Pierre Carrier

Jean-Pierre Noël (FNEEQ)

Henri Claret (SPGQ)

Gaétan Nadeau (LDL)

Colette Bernier (IRAT)

Pierre-Emile Beaulieu (GTC-ICEA)

Claude Martin (Un. Laval, GTC-ICEA)

Céline St-Pierre

Charles Halary

Jean-Guy Lacroix

Gaétan Tremblay (UQAM)

Christiane Fabiani, journaliste

Le Groupe de travail sur les communications de l'ICEA

Jean-Paul Trépanier (SEPAQ)

Guy Ferland (CSN)

Jacques Spooner (Regroupement des usagers moyens communications

Abitibi)

Marcel Simard

Jacques Geoffroy (SPGQ)

Jocelyne Lamoureux (Ligue des droits et libertés)

L'équipe de l'ICEA

Lina Trudel    

Louise Toupin           

Richard Nantel          

Paul Bélanger, dir.

Marie Leahey

Ghislaine Arcand

Christiane Thomas

Éliette Beaulieu

                                                        

AUTEURES ET AUTEURS DES DOSSIERS

Christiane Fabiani

« Un choix de société? »

Claude Martin

« Télématique   et   mass-médias:    les   noces

d'argent »

Jean-Guy Lacroix Anne Filion Carole Laflamme

Robert Pilon

« Vidéotron: l'empire de la câblodistribution au Québec. Une étude de cas. »

Ligue des droits et libertés Gaétan Nadeau

« La  télématique  affecte-t-elle  nos  droits  et libertés? »

 

 

 

 

Charles Halary

« Faut-il des robots industriels au Québec? »

Nous remercions aussi la CSN et la FTQ de nous avoir fourni gratuitement: LES PUCES QUI PIQUENT NOS JOBS LES ÉCRANS CATHODIQUES

PARTICIPANTES ET PARTICIPANTS AU PANEL

Suzanne Bélanger - CLSC Centre-ville, condition féminine (CSN)

Jocelyne Lamoureux - Ligue des droits et libertés

D'Arcy Martin - Métallos unis d'Amérique (Toronto)

Gérard Métayer Auteur de FUTURS EN « TIQUE »

Adélard Guillemette - ministère des Communications, directeur général des politiques

ATELIERS

Liste des:

Personnes-ressources

Commentatrices / Commentateurs

Animatrices/ Animateurs

ÉDUCATION

Lorraine Gratton

Christiane Fabiani

Pierre Carrier

Flavie Archard

Jocelyn Berthelot

Marie Gagnon

Jean Panet-Raymond

Louise Miller

Francine Sénécal

MÉDIAS

Claude Martin

Henri Claret

Jean-Guy Lacroix

André Bouthillier

FPJQ

Pierre-Emile Beaulieu

Hervé Pilon

VIE PRIVÉE

Jocelyne Lamoureux

Gaétan Nadeau

Serge Proulx

Bernard Vallée

Robert Couillard

Guy Breton

TRAVAIL

Colette Bernier

Suzanne Bélanger

Charles Halary

Daniel Hébert

Michèle Brouillette

Pierre Dupuis

F. Lamarche

Solande Vincent

Michel Lizée

René Doré

Nicole DeSève-Rondeau

Michel Parenteau

INTÉRÊT GÉNÉRAL

Céline St-Pierre

Gaétan Tremblay

Paul Bélanger

Guy Brouillette

Louise Gendron

Alfred Dubuc

René Vézina

Gérard Métayer

Jean-Paul Trépanier

Nicole Lacelle

Jean-Guy Laguë

Louise Toupin

LISTE DES GROUPES INSCRITS AU COLLOQUE

GROUPES POPULAIRES

Association des consommateurs du Québec

Consult-action

 

 

Développement et paix

ACEF - Centre de Montréal

Fédération des ACEF du Québec

ACEF - Joliette

Information, travail pour femmes

ACEF - Uval

La Maîtresse d'école

ACEF -  Montréal

Ligue des droits et libertés

ACEF - Québec

Mouvement action-chômage

ACEF-  Rive-sud

Nouvelles CSN

Carrefour communautaire Rosemont

Pavillon d'éducation communautaire

Carrefour d'éducation populaire de Pointe St-Charles

Relais-femmes de Montréal

 

 

SORIF

Centre d'Aiguillage

Service d'aide aux consommateurs de Shawinigan

Centre communautaire Trois-Rivières

 

 

 

 

Service 15-20

Centre formation populaire

SUCO

Haweesbury (Ontario)

Sommet populaire de Montréal

Clinique du peuple St-Henri

Théâtre de Quartier

Comité logement St-Louis

Théâtre du Sang neuf

Comité social Centre-sud

Travail non traditionnel Inc.

Comité d'intervention pour l'accès des femmes au travail

 

 

 

 

SYNDICATS

Aide juridique

CSR - des Manoirs

Alliance de la fonction publique du Canada

CSR - Mille-Isles

 

 

CSR - Orléans

Aviation Electric Ltd  (TUA)

CSR - Ste-Croix

Bell Canada

CSR - Vallée Matapédia

Café-Campus

Cégep Ahuntsic

CEQ

Cégep André Laurendeau

CEQ - Fédération du personnel de soutien

Cégep Édouard-Montpetit

 

 

Collège Français

CSR - Baie des Chaleurs

Cégep Lévis-Lauzon

CSR - Bois-Francs

Cégep Limoilou

CSR - Cavalier de Lasalle

Cégep Maisonneuve

CSR - Chambly

Cégep Rosemont

CSR - Chapais-Chibougamau

Cégep St-Jean

CSR - Chauveau

Cégep Trois-Rivières

CSR - Grand-Portage

CSN

CSR - Le Gardeur

CSN - Fédération des professionnels et cadres du Québec

CSR - Les Écores

 

 

CSN - Conseil central Lanaudière

 

CSN - Conseil central Québec

 

CSN - Conseil central Sherbrooke

 

CSN - Conseil central Trois-Rivières

 

Congrès du travail du Canada

 

Conseil du travail de Montréal

 

FTQ

 

FTQ STCC

 

FTQ SCFP

 

Firestone

 

Garderie St-Bruno

 

Kruger

 

 Office franco-québécois pour la jeunesse

 

Radio-Québec

 

Sidbec-Dosco

 

Syndicat de l'Impôt

 

Syndicat des métallos

 

Syndicat des professionnels du

 

gouvernement du Québec

 

Syndicat des travailleurs de l'énergie et de la chimie

 

TUA - Comité féminin

 

Union des producteurs agricoles

 

INSTITUTIONS

GOUVERNEMENTAL ET PARA-GOUVERNEMENTAL

Centre d'emploi du Canada Centre de formation professionnelle

Laurentides-Lanaudière CLSC des Berges

CLSC Centre-ville

CLSC Jolimont

CLSC St-Hubert

Centre services sociaux Ville-Marie

Conseil de la culture de l'Estrie

Gouvernement du Québec:

Hydro-Québec

Institut de recherche sur la santé et

sécurité au travail

ENTREPRISES

Burroughs

Giroux Enr.

Imageries Ltée

Informatek

ASSOCIATIONS

Association des formateurs d'adultes du Québec

Canadian Association for Adult Education

Centre St-Pierre Cinéma libre

Comité national d'action politique (femmes PQ) Conseil des collèges

 Fédération des francophones horsQuébec

Office des communications sociales Regroupement des artisans professionnels

Regroupement des secrétaires du Québec UTIQ

COOPÉRATIVES

Coopérative de recherche et d'information (CRI)

Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins

Conseil de la coopération du Québec

Coop des médias communautaires

MEDIAS COMMUNAUTAIRES ET POPULAIRES

CIBL-FM

Droit de parole

Journal L'Environnement

Journal Liaison St-Louis

Radio Centre-ville Revue

Vie ouvrière

MÉDIAS

Radio-Canada - Centre de télétexte

Revue Relations

ÉTUDIANTS

Cégep - micro-ordinateur - microprocesseur

 Université - sociologie - anthropologie - droit - architecture et informatique

BIBLIOGRAPHIE des documents en français sur l'Impact de la micro-électronique

par Jacqueline Bourdeau

1. Impact sur les femmes

LES PUCES QUI PIQUENT NOS JOBS, Comité de la condition féminine, CSN, 1982. (1,50 $ en écrivant à: CSN, 1601, de Lorimier, Montréal, H2K 4M5 ou CLSC Centre-ville, 1199, Bleury, Montréal, H3B 3J1). Document de sensibilisation sur la micro-électronique, avec en annexe: éléments d'une clause-type sur les changements technologiques.

Côté, A. et Vivier, C, « Microtechnologie: pour qui sonne le progrès? » in LA VIE EN ROSE, septembre 1982, Montréal.

Leclercq, D. et Vincent, S., MICRO-TECHNOLOGIES ET MÉGA-CHÔMAGE: À LA RECHERCHE D'ALTERNATIVES, Action-Travail des femmes du Québec Inc. (2515, Delisle, Montréal, H3J 1K8), octobre 1982.

« L'impact des technologies nouvelles sur les femmes », par Julie Stanton. Exposé de Claire Bonenfant (présidente du CSF Québec) devant l'Institut d'administration publique, 9 novembre 1982.

MICROTECHNOLOGIE ET EMPLOI: QUESTION D'IMPORTANCE POUR LES FEMMES, Mémoire présenté au groupe d'étude sur la microtechnologie et l'emploi, CCSF Ottawa, 1982, 29 p.

Bourbeau, J., « Prospectivons les femmes » in L'ENTRELLES, revue féministe de l'Outaouais, vol. 3, no 4, décembre 1981, p. 10 (Gratuite, L'Entrelles, C.P. 1398, Succ. B, Hull, Québec, J8Y 3X1).

David-McNeill, J. « Le travail féminin et les nouvelles technologies: défis à relever, GESTION, REVUE INTERNATIONALE DE GESTION, Montréal, vol. 8, no 1, 42-45.

FEMMES, TRAVAIL ET ENTREPRISE, actes du Colloque du 20 octobre 1982 à l'École des Hautes Études Commerciales, Montréal (5255, Decelles, Montréal, H3T 1V6 - 10 $), organisé par le groupe de recherche « Femmes, travail et entreprise » de l'École des HEC. Conférences et ateliers sur Femme et marché du travail. Prospective, Gestion de carrière au féminin. Métiers non traditionnels, Action positive, Femmes et micro-électronique, Féminisation du marché du travail et défis posés à l'entreprise.

David-McNeill, I., LA MICROÉLECTRONIQUE, L'EMPLOI ET LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL, Association des femmes diplômées des universités, section Québec, 1983.

Armstrong, P. et Armstrong, H., UNE MAJORITÉ LABORIEUSE, CCSF, Ottawa, 1983. « Cahier spécial sur les femmes et la microtechnologie », LE DEVOIR, 11 novembre 1982.

« La microtechnologie enlèverait beaucoup plus d'emplois aux femmes qu'aux hommes », in LA PRESSE, 15 juillet 1982, p. B3.

« Qui a peur de l'ordinateur? », REMUE-MÉNAGE, no 5, avril-mars 1980, Paris (Remue-Ménage, 20, rue d'Hauteville, 75010 Paris). Un bon panorama de la question, avec des analyses féministes, des études de cas, des statistiques, des informations sur les alternatives. Bureautique et télématique, travail à domicile, information pédadogique et policière.

Navarro, E., « Télématique: de l'influence de l'informatique chez les réfractaires de sexe féminin à la fin du XXe siècle », in U\ REVUE D'EN FACE, revue de politique féministe, no 7, septembre 1979, Ed. Tierce, 1, rue des Fossés St-Jacques, 75005 Paris. Dans le style d'une nouvelle de fiction, les perspectives pour les femmes...

« Qui a peur de l'ordinateur? » ANTOINETTE, no 180, mensuel féminin de la CGT (Confédération générale des travailleurs), janvier 1980, Paris.

« Le travail à temps partiel: piège ou option », in Bulletin de la FFQ (Fédération des femmes du Québec), vol. Ill, no 4, mars-avril 1977, 29 p.

« Le temps partiel pour qui? », in LA GAZETTE DES FEMMES, vol. 4, no 1, mai-juin 1982, 8-11. (Revue du CSF, Québec).

L'EMPLOI À TEMPS PARTIEL, document de travail, CCSF, Ottawa, 1981.

2. Impact sur le travail et la santé

Travail

EFFETS DE LA TECHNOLOGIE DE LA MICRO-ÉLECTRONIQUE ET DES COMMUNICATIONS SUR LE MILIEU DU TRAVAIL INDUSTRIEL, Actes du Colloque du 29 au 31 mars 1981 à Ottawa, organisé par le Bureau de la main-d'oeuvre féminine, Travail-Canada, Ottawa.

« Impact des nouvelles technologies: emploi et milieu de travail », BIT, Genève, 1982. Recueil d'articles publiés dans le BULLETIN D'INFORMATIONS SOCIALES du BIT (1979), classés par pays, sous six grands titres: politique générale, protection de la vie privée, relations de travail et conventions collectives, prises de positions syndicales, milieu de travail, emploi, formation et qualification.

Rada, J., LA M1CROÉLECTRON1QUE ET SON IMPACT SOCIO-ÉCONOMIQUE: ÉLÉMENTS DE DIAGNOSTIC, BIT, Genève, 1982 (trad, de THE IMPACT OF MICRO-ELECTRONICS: A TENTATIVE APPRAISAL OF INFORMATION TECHNOLOGY, 1980). Le principal sujet d'inquiétude est l'emploi; également, l'érosion de l'avantage relatif des pays en développement pour le faible coût de la maind'oeuvre; l'impact de la micro-électronique sur la division internationale du travail.

Mather, B., Stintson, J. et Warskett, G., « Les conséquences de la micro-électronique pour les travailleurs et travailleuses au Canada », in RÉFLEXIONS, no 3, 1982, IRAT (Institut de recherche appliquée sur le travail, 329, Lacombe, C.P. 6128, Montréal, H3C 3J1).

Mather, B., Stintson, J. et Warskett, G., SIGNIFICATION ET PORTÉE DE LA MICRO-ÉLECTRONIQUE POUR LES TRAVAILLEURS CANADIENS, 1981, 25 p., Centre canadien de recherche en politique de rechange (C.P. 4466, Succ. E., Ottawa, K1S 5B4, 2 $).

Germain, P., L'ENTREPRISE ÉLECTRONIQUE: POUR UNE PLUS GRANDE PRODUCTIVITÉ ET DE MEILLEURES RELATIONS DE TRAVAIL, Éd. Le Jour, Montréal, 1982, 255 p. L'auteur étudie les tendances décentralisatrices des techniques électroniques en envisageant des implications positives pour le travailleur.

L'ÉVOLUTION DU MARCHÉ DU TRAVAIL DANS LES ANNÉES 80, rapport DODGE, ministère de l'Emploi et de l'Immigration, juillet 1981, Ottawa.

Coriat, B., « Nous vivons déjà l'usine post-taylorienne », interview à LIBÉRATION, 15-16 décembre 1979, Paris.

CFDT, LES DÉGÂTS DU PROGRÈS, Seuil, Coll. Points, Paris, 1977, Des syndicalistes analysent, à partir des situations qu'ils vivent quotidiennement, les transformations de l'organisation du travail et l'envers du progrès technique.

Santé

« La santé au travail », in ESSAI SUR LA SANTÉ DES FEMMES, CSF, Québec, 1981, 193-224.

LES ÉCRANS CATHODIQUES: RISQUES POUR LA SANTÉ, CLSC Centre-ville, Montréal, novembre 1980.

Desnoyers, L. et Leborgne, D., « Vision au travail - les tâches visuelles », BULLETIN NO 22, Institut de recherche appliquée sur le travail, Montréal.

« Écrans cathodiques: des risques pour la santé », in INFORMATION OIT, vol. 18, no 2, mai 1982, P. 7.

LE TRANSFERT DES TECHNIQUES: SÉCURITÉ, HYGIÈNE ET CONDITIONS DE TRAVAIL, BIT, Genève, 1982. Actes du Colloque interrégional tripartite sur les spécifications en matière de sécurité, d'hygiène et de conditions de travail en relation avec le transfert de techniques vers les pays en voie de développement, du 23 au 27 novembre 1981 à Genève.

Purdham, J., REVUE DES RISQUES PRÉSENTÉS PAR LES ÉCRANS DE CONTRÔLE VIDÉO, Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail, Hamilton, Ontario, 1980.

3. Stratégies syndicales

Belgique

« Nouvelles technologies », document de travail préparatoire au Congrès de la CSC le 12 mars 1983, in SYNDICALISTE CSC, no 191, 10 et 25 décembre 1982, (CSC: Confédération des syndicats chrétiens, rue de la Loi 121, 1040 Bruxelles, Belgique).

Document essentiel, très complet et bien fait (avec fiches pédagogiques). Les titres: description des nouvelles technologies, changements économiques et sociaux, nos objectifs face aux possibilités et aux menaces, nos exigences pour les dix ans à venir, nos revendications dans l'immédiat, les moyens de notre politique.

« Nouvelles technologies », Congrès de la CSC, avant-projet des résolutions, in SYNDICALISTE CSC, supplément au no 192, 10 janvier 1983. Les résolutions: volume de l'emploi, qualité des emplois, vie privée, développement du Tiers monde, nécessité d'une négociation, rôle de l'État, action des militants.

Institut syndical européen, L'IMPACT DE LA MICRO-ÉLECTRONIQUE SUR L'EMPLOI EN EUROPE OCCIDENTALE DANS LES ANNÉES 80, Bruxelles, 1980, 183 p. Disponible à l'Institut syndical européen, boulevard de l'Impératrice 66 (boîte 4), 1000 Bruxelles, tél.: 02/512.30.70.

Confédération mondiale du travail, NOUVELLES TECHNOLOGIES, EMPLOI ET POUVOIR, Bruxelles 1981, 29 p. Disponible à la CMT, rue Joseph 1171, 1040 Bruxelles.

Groupement national des cadres, RAPPORT DES JOURNÉES DE L'INFORMATIQUE ET DE LA TÉLÉMATIQUE, Bruxelles, 1981, 126 p. Disponible au GNC, rue de la Loi 121, 1040 Bruxelles.

Valenduc, G. et Laffineur, J., FACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES, Fondation TravailUniversité, Dossier no 7., (disponible à la Fondation, rue de la Loi 141, 1040 Bruxelles). Contenu: 1ère partie: la microélectronique: 1) repérer les changements; 2) comprendre la technologie; 3) connaître les marchés; 4) analyser les impacts; 5) situer les positions en présence. 2ème partie: sur les biotechnologies.

« Et la révolution technologique? Informatique, travail et vie privée », ÉTUDES ET DOCUMENTATION, no 56, février 1981, Centrale nationale des employés (CSC, même adresse).

« Nouvelles technologies: des mesures d'urgence à prendre », ÉTUDES ET DOCUMENTATION, no 60, août 1982 (même adresse).

France

« Une nouvelle ère industrielle? », in CFDT AUJOURD'HUI, no 49, mai-juin 1981, Paris. Contient; les différentes approches syndicales des innovations techniques - les conséquences sur la vie hors travail - le modèle japonais dans l'idéologie du patronat français - la portée des mutations technologiques sur l'organisation du travail et sur la société. (CFDT, 26, rue de Montholon, 75439 Paris, Cedex 09).

« Action syndicale et technologie », in CADRES CFDT, no 297, février-avril 1981, Actes du Colloque UCC-CFDT, les 5 et 6 décembre 1980. Voir aussi « La question technologique », no 295 et c L'informatique », no 290.

« Guide pour une enquête collective sur les changements technologiques », in INFORMATION DES CADRES, no 834, UCC-CFDT. Contient: 1) Les technologies en débat; 2) Négocier la technologie?; 3) À la recherche d'une stratégie industrielle.

OCDE

Ducharme, L.-M. L'ATTITUDE DES SYNDICATS FACE AUX CHANGEMENTS TECHNOLOGIQUES: ÉTUDE COMPARÉE POUR CERTAINS PAYS DE L'OCDE, document 1-16, GAMMA (gr. de recherche interuniv., 3535, Queen Mary, Montréal, H3V 1H8, 6 $).

Allemagne

c Informatique travail et emploi », in DIALECTIQUES, no 29, Hiver 1980, Paris par Briefs, U., Institut de recherches économiques et sociales de la Confédération des syndicats allemands, DGB.

« Le syndicalisme à l'âge de l'informatique », in DIALECTIQUES, no 28, été 1980, Paris, par Briefs, U., DGB.

4. Informatisation de la société

PRÉPARONS LA SOCIÉTÉ INFORMATISÉE, DEMAIN IL SERA TROP TARD, Rapport du Conseil des sciences du Canada, 1982.

LA MICRO-ÉLECTRONIQUE AU SERVICE DE LA COLLECTIVITÉ, Rapport du groupe de travail de Travail-Canada sur la micro-électronique et l'emploi, 1982.

BÂTIR L'AVENIR, Recherche et développement, Bilan et perspectives, ministère des Communications du Québec, 1982. Analyse du contexte international et de la conjoncture au Québec, suivi de recommandations et de rapports des sous-groupes (1 sur la télématique).

« Le virage technologique », BÂTIR L'AVENIR PHASE 2, programme d'action économique 1982-1986, Développement économique, gouvernement du Québec, 1982.

Goulet, J., LES RÉPERCUSSIONS CULTURELLES DE L'INFORMATISATION AU QUÉBEC, Dossiers du Conseil de la langue française, Éd. off. du Québec, 1982.

Valaskakis, K. et Benyahia, H., INFORMATISATION, STRATÉGIE INDUSTRIELLE ET EMPLOI: PROBLÉMATIQUE ET PLAN DE RECHERCHE POUR LE QUÉBEC, Document 1-19, GAMMA (gr. de rech. interuniv., 3535, Queen Mary, Montréal, H3V 1H8, 6 $).

QUÉBEC-SCIENCE, no spécial sur l'informatique, décembre 1982, vol. 21, no 4, Montréal. SCIENCE ET TECHNOLOGIE, no spécial sur l'informatique, vol. 2, no 1, mars-avril 1983, Montréal.

POUR LA SCIENCE, (éd. fr. de SCIENTIFIC AMERICAN), novembre 1982, no spécial sur la mécanisation du travail, l'informatique, l'automatique et l'emploi.

Nora, S., Mine, A., L1NFORMATISATION DE LA SOCIÉTÉ, La documentation française, Paris 1978. Philosophie et coup d'envoi de la politique d'informatisation de la société française par le haut. (La documentation française, 124, rue Henri Barbusse, 93308 Aubervilliers Cedex, France)

« Informatisation et société », collection publiée par la Mission de l'Informatique du ministère de

l'Industrie à la documentation française (même adresse):

Vol. 1: INFORMATISATION ET CHANGEMENT ÉCONOMIQUE, 274 p.

Vol. II: INFORMATISATION ET EMPLOI, 206 p.

Vol. III: INFORMATISATION, TÉLÉMATIQUE ET VIE QUOTIDIENNE, 330 p.

Vol. IV: INFORMATISATION ET COOPÉRATION INTERNATIONALE, 248 p.

Vol. V: INFORMATISATION ET DÉMOCRATIE, 254 p.

« Une informatique de gauche est-elle possible? Informatique et socialisme », in TERMINAL 19/84, revue du CIII (Centre d'informatisation et d'initiative sur l'informatisation, 1, rue Keller, 75011 Paris).

Lafargue, Y., L'AVENIR DE LA ROBOTIQUE, Éd. d'Organisations, Paris, 1982. Rapport du Conseil économique et social. Par un membre de la CFDT.

« L'informatique aujourd'hui », suppl. aux dossiers du MONDE, septembre 1982.

Lussato, B., LE DÉFI INFORMATIQUE, Éd. Select, Montréal, 1981. Le débat entre télématique et micro-informatique, avec une critique du Rapport Nora-Minc et du Défi américain de ServanSchreiber.

Métayer, G., LES FUTURS EN TIQUE, Éditions ouvrières, Paris, 1982. Satoshi, K., JAPON, L'ENVERS DU MIRACLE, Maspero, Paris, 1982.

« Informatique now », DIALECTIQUES, no 29, hiver 1980 (77 bis rue Legendre, 75017 Paris). Contient des analyses marxistes de l'informatisation, par exemple: Lyotard, J.F., « Le jeu de l'informatique et du savoir », Stourdzé, Y., « Les États-Unis et la guerre des communications », Lorenzi, J.-H. et Leboucher, P., « La restructuration électronique ».

Lyotard, J.-F., LA CONDITION POSTMODERNE, Éd. de Minuit, Paris, 1979. (Rapport pour le Conseil des universités du Québec). Philosophique, marxiste. Difficile à lire, mais fondamental.

« Demain l'an 2000 », rubrique d'Y. Leclerc dans LA PRESSE du samedi depuis 1981. Très bien informé et commenté, sur la télématique, l'ordinateur domestique, la chaumière électronique, etc.

5. Éducation

Trudel, Lina, L'INFORMATISATION: POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE, document présenté à la conférence « Pour un vrai développement: le rôle de l'éducation des adultes », à Paris, octobre 1982. (ICEA, 506, Ste-Catherine est, Montréal, H2L 2C7).

BIP-BIP, REVUE DES APPLICATIONS PÉDAGOGIQUES DE L'ORDINATEUR, SGME, ministère de l'Éducation du Québec.

POUR UNE POLITIQUE EN MATIÈRE DES APPLICATIONS PÉDAGOGIQUES DE L'ORDINATEUR, Labelle, M., CECM (Commission scolaire des écoles de Montréal).

L'AVENIR DE L'ENSEIGNEMENT ASSISTÉ PAR ORDINATEUR, compte rendu d'un atelier du Conseil des sciences du Canada, 1982.

QUI FAIT TOURNER LA ROUE?, compte rendu d'un atelier sur les femmes et l'enseignement des sciences au Canada animé par Janet Ferguson, Conseil des sciences du Canada, Ottawa, 1982, 149 p.

LES EFFETS SUR L'ÉDUCATION DE LA NOUVELLE TECHNOLOGIE DANS LE DOMAINE DE L'INFORMATIQUE ET DES COMMUNICATIONS, rapport présenté aux membres du Cabinet, 1981.

Papert, S., LE JAILLISSEMENT DE L'ESPRIT, Flammarion, Paris, 1981 (trad, de Mindstorms: CHILDREN, COMPUTERS AND POWERFUL IDEAS). La philosophie de LOGO par le père de LOGO.

Bossuet, L'ORDINATEUR À L'ÉCOLE, Coll. L'Éducateur PUF, Paris, 1982. Des expériences avec LOGO en France.

6. Libertés

« Les femmes et les nouvelles technologies •, in CITOYENNES À PART ENTIÈRE, no 17, février 1983, Bulletin d'information du ministère des Droits de la femme (53, avenue d'Iéna, 75016 Paris).

RAPPORT DE LA COMMISSION « INFORMATIQUE ET LIBERTÉS », La documentation française, Paris, 1975.

Missika, J. et Favret, M., « Informatique et libertés •, in LES TEMPS MODERNES, no 373/374 d'août-septembre 1977 et no 375 d'octobre 1977, Paris. L'illusion du recours à la loi contre le danger des fichiers.

« On peut coder, chef? », l'information policière, in REMUE-MÉNAGE, no 5, mars-avril 1980, Paris, Éd. Tierce, 38-39.

7. Télématique

ROBOT OU REBELLE, Actes du 1er colloque populaire sur la télématique, les 18-19 février 1983, organisé par l'ICEA (Institut canadien pour l'éducation des adultes, 506, Ste-Catherine est, Montréal, H2L 2C7, 10 $). Contient: 1) Négocions le virage technologique; 2) L'éducation et les nouvelles technologies; 3) Télématique et mass-médias (avec deux études de cas: Vidéotron et Câblodistribution); 4) La télématique affecte-t-elle nos droits et libertés?; 5) Faut-il des robots industriels au Québec?

Lefebvre, B., AUDIO-VISUEL ET TÉLÉMATIQUE DANS LA CITÉ. La documentation française, 1979. Comment les nouvelles technologies télématiques sont susceptibles de transformer l'habitat, les modes de vie urbains et la ville tout court.

Lorenzi, J.-H. et Le Boucher, E., MÉMOIRES VOLÉES, Éd. Ramsay, Paris, 1979. Une description de la civilisation télématique, une analyse des stratégies économiques, des réponses ou pseudoréponses administratives...

Quiniou, J.-C, TÉLÉMATIQUE, MYTHES ET RÉALITÉS, Gallimard, Paris, 1980.

Mattelart, A., MULTINATIONALES ET SYSTÈMES DE COMMUNICATIONS, Éd. Anthropos, Paris, 1976.

Mattelart, M. et Mattelart, A., DE L'USAGE DES MEDIA EN TEMPS DE CRISE, Éd. A. Moreau, Paris, 1979.

Mattelart, A. et Schmuckler, H., « L'ordinateur et le Tiers monde », l'Amérique latine à l'heure des choix télématiques, CAHIERS LIBRES, 374, Maspero Éd., Paris, 1983. Les auteurs racontent de façon concrète l'exploitation des travailleurs des «zones franches » de l'industrie électronique, l'émergence de puissants « groupes multimédias » mexicains et brésiliens, et la domination sans partage qu'exercent les grandes firmes américaines de l'informatique et des banques de données.

Brisson, P., Khal, G., Proulx, S., Vallières, P. VIE QUOTIDIENNE ET USAGES POSSIBLES DES MÉDIAS DANS L'AVENIR, (LAREHS, Laboratoire de recherche en écologie humaine et sociale, UQAM, Université du Québec à Montréal), 1982.

8. Bureautique

Saint-Pierre, C, LE BUREAU DE L'AVENIR ET L'AVENIR DES EMPLOYÉS DE BUREAU, communication aux États généraux de la télématique au Québec, les 28, 29 et 30 avril 1982, organisé par l'ARCQ (Association de recherche en communications du Québec).

Globerman, S., L'INFORMATIQUE DANS LE SECTEUR TERTIAIRE, Ottawa, 1981.

Mathelot, P., Tandeau de Marsac etTonin, P., LA BUREAUTIQUE, Coll. Que sais-je, no 2038, PUF, Paris, 1982, 128 p.

« Une fausse révolution: la bureautique », in CADRES CFDT, no 302, mars 1982, Paris.

Magnenat-Thalmann, N., « La bureautique au carrefour de la télématique », in GESTION, revue internationale de gestion, février 1982, Montréal.

L'AVÈNEMENT DU BUREAU ÉLECTRONIQUE AU CANADA, ministère des Communications, Canada, 1982.

Coates, S., LE BUREAU DE L'AVENIR, ministère des Communications, Canada, 1981.

L'Année   mondiale   des   communications n'aura pas été qu'une vaste opération publicitaire pour promouvoir le droit des compagnies de commumication à étendre leurs systèmes télématiques à travers le monde.

Un autre son  de cloche s'est  en  effet fait entendre. Pour la première fois au Québec, un colloque populaire sur les enjeux sociaux de la télématique s'est penché sur cette question, mais, cette fois, à la lumière des droits et libertés des personnes, du droit à la négociation des changements technologiques et du droit des citoyennes et des citoyens à prendre en main collectivement ce progrès qu'on nous impose.

l'impact des nouvelles technologies sur la vie quotidienne, la vie privée, le travail, l'éducation, le Tiers monde, les choix, possibles face à ce progrès., son contrôle démocratique, voila autant de débats et de dossiers inédits qui sont ici rassemblés. 

Un livre essentiel qui débat des conditions d'un progrès technologique qui serait aussi un progrès social. Un outil pour comprendre la télématique et agir dans nos milieux.   

Notes

* Jean-Jacques Servan-Schreiber a donné, le 3 février dernier, une conférence à l'Université Laval, à Québec. Il a fait la « une » de nos quotidiens nationaux. « L'ordinateur sauvera le monde du chaos », titraient en première page les quotidiens. Notre colloque, qui réunissait 600 personnes à Montréal, 15 jours plus tard, a eu droit à un article dans La Presse, cahier C, dans une page qui fut amputée dans l'édition qui va en province. Le Devoir, quant à lui, en fit un article en page 2, où il était dit que les centrales syndicales avaient organisé (sic) le colloque et on omettait même de citer le nom du conférencier invité pour l'occasion: Armand Mattelart, pourtant mondialement connu pour ses travaux (traduits en plusieurs langues) sur l'idéologie des médias et sur l'emprise des multinationales sur les systèmes de communication. L'objet de sa conférence, l'arrivée des ordinateurs dans le Tiers monde (son plus récent livre) fut, comme son nom, passé sous silence... JJSS eut droit à un tout autre traitement, c'est le moins que l'on puisse dire!
* Ce représentant, monsieur Adélard Guillemette, devant donner les grandes lignes de l'énoncé de politique du gouvernement du Québec en matière de communication, prévu pour le début de l'année 1983. Nul énoncé de politique n'étant encore établi, il s'est contenté, selon ses propres dires, de tenir des propos «prudents » et de poser des questions « sans vraiment y répondre »...
* Le directeur de ce cabinet était Simon Nora, qui signait quelques années plus tard un rapport fameux sur L'INFORMATISATION DE LA SOCIÉTÉ. Quant à son conseiller technique, Gérard Worms, il allait bientôt prendre la direction générale des Éditions Hachette.
1 Nicholas Johnson, HOW TO TALK BACK TO YOUR TV SET, Bantam Book, 1970. Guy Gauthier, Ph. Pilard, TELEVISION PASSIVE, TELEVISION ACTIVE, TEMA, 1972. Alfred Willener, Guy Milliard, A. Santy, VIDÉO ET SOCIÉTÉ VIRTUELLE, TEMA, 1972.
2 Henri Pigeât, Laurent Virol, DU TÉLÉPHONE À LA TÉLÉMATIQUE, Documentation française, 1980.
3 Richard Clavaud, « Le Pouvoir des Télécom », in LE MONDE-DIMANCHE, 12 décembre 1982.
4 « Les choix industriels français en matière de télécommunications », in CADRES CFDT, juilletaoût 1981.
5 Cité dans LE MONDE des 6-7 juin 1982, page 2.
6 J. H. Lorenzi et E. Le Boucher, MÉMOIRES VOLÉES, Ramsay, 1979.
7 LE MONDE, 5 novembre 1982, p. 27.
8 Ibid.
9 Armand   Mattelart,   Y.   Stourdze,   TECHNOLOGIE,   CULTURE   ET   COMMUNICATION,   La Documentation française, 1982, p. 165.
10 Priorité à l'emploi », LE MONDE-DIMANCHE, 12 décembre 1982, p.v.
* « Les possibles télématiques », Cadres CFDT, no 299.
11 Op. cit. p. 112.
12 Dr. W.L. Gardiner, LES NOUVEAUX ÉQUIPEMENTS EN INFORMATIQUE: ACCEPTATION OU REJET?, Projet Delta, 1981, 25 pages.
13 Alfred Dubuc, Quelle nouvelle révolution industrielle?, dans LE PLEIN EMPLOI À L'AUBE DE LA NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE, 12e colloque, Relations industrielles, Université de Montréal, 1981, p. 42.
14 LA MICRO-ÉLECTRONIQUE AU SERVICE DE LA COLLECTIVITÉ, Travail Canada, 1982, p. 28.
15 « Le virage technologique », BÂTIR LE QUÉBEC - PHASE 2, Gouvernement du Québec, p. 53.
16 « La micro-électronique... », op. cit. p. 29.
17 LE VIRAGE TECHNOLOGIQUE, op. cit. p. 54.
18 « L'informatisation et l'emploi, menace ou mutation », LA DOCUMENTATION FRANÇAISE, coll. Informatisation et société, no 11, 1981, p. 260.
* Effectuée par le Groupe de recherche et d'étude sur la technique et la société (GRETS) de l'UQAM.
19 « L'informatique aujourd'hui », supplément aux dossiers et documents du MONDE, septembre 1982, p. 135.
20 PRÉPARONS LA SOCIÉTÉ INFORMATISÉE, DEMAIN, IL SERA TROP TARD, Conseil des sciences du Canada, mars 1982, p. 31.
21 Emmery,   N.T.,  Morrisett, A.,  « À l'aire de l'informatique »,  in:   ENTRE NOUS,  Revue de l'AEFO, vol. 15, no 3, février 1983, p. 8.
* INRP Institut national de recherche pédagogique.
22 MEQ, PROGRAMME D'ÉTUDES SECONDAIRES. INTRODUCTION À L'INFORMATIQUE, septembre 1982, 71 pages.
23 CEREQ, LES EMPLOIS DE L'INFORMATIQUE, Répertoire français des emplois.
24 Rapport du Conseil des Sciences du Canada, PRÉPARONS LA SOCIÉTÉ INFORMATISÉE, 1982, p. 48.
25 Rapport de recherche sur LES BESOINS EN RESSOURCES INFORMATIQUES DE LA PME, Nicole Kobinger.
26 On trouvera des chiffres très intéressants sur ces deux points dans MICROTECHNOLOGIE/MÉGA CHÔMAGE À LA RECHERCHE D'ALTERNATIVES, publié par Action-travail des femmes, octobre 1982.
27 DGME, CLASSIFICATION ET DÉFINITION DES APO, par Dr. Louise Dubuc, 1979, révision 1983. (Note: APO = EAO).
28 DGEC, PLAN DE DÉVELOPPEMENT DE L'ENSEIGNEMENT DE L'INFORMATIQUE, novembre 1982.
29 L'ordinateur à l'école. Journal de classe. Bruxelles.
30 Rapport de la Fédération des enseignants ontariens, présenté aux membres du Cabinet, 1981. LES EFFETS SUR L'ÉDUCATION DE LA NOUVELLE TECHNOLOGIE DANS LE DOMAINE DE L'INFORMAT1QUE ET DES COMMUNICATIONS.
31 Rapport de la FEO, LES EFFETS SUR..., op. cit.
32 LA PRESSE, 8 janvier 1983.
* Dans cette matière particulière, et pour répondre à un réel besoin d'autres cours ont cependant été organisés par les services d'éducation aux adultes de Hull, Châteauguay et Laval ainsi que par la Commission scolaire des Mille-Isles. D'autre part, la Commission scolaire de l'Outaouais a traduit le cours de traitement de texte donné par le Seneca College de Toronto.
À Québec, le Cégep de Limoilou donne aussi un cours en traitement de texte, tandis qu'au Cégep François-Xavier Garneau, c'est un groupe de 16 membres du personnel qui a suivi un cours de traitement de texte.
Au Cégep de Chicoutimi existe un Programme de formation à l'éducation permanente autour de la micro-informatique. Ce cours s'adresse aux adultes mais 30 enseignantes et enseignants se sont inscrits à un cours intensif pour compléter leur formation. Enfin, au Cégep Lionel-Groulx à Montréal, on a mis sur pied un programme expérimental sur la Technologie des systèmes (électrotechnique).
33 Peter Desbarat, LES QUOTIDIENS ET L'ORDINATEUR. UNE INDUSTRIE EN TRANSITION, Commission royale sur les quotidiens, Ottawa, 1981, 134 p.
34 John C. Madden, LE CANADA À L'AUBE DU VIDÉOTEX, Ministère des Communications, Ottawa, 1979, p. 3.
35 Bruno Lefebvre, AUDIOVISUEL ET TÉLÉMATIQUE DANS LA CITÉ, La documentation française, Paris, 1979, p. 50.
36 Peter Desbarat, op. cit., p. 18.
37 Roger Jauvin, (prés, du groupe de travail), BÂTIR L'AVENIR, Ministère des Communications, Québec, 1982, p. 79.
* Le canal 14 du réseau Intervision (des câblodistributeurs québécois) a déjà présenté de telles images produites par LA PRESSE; ce service est maintenant assuré par Édimédia (Unimédia, LE SOLEIL) avec une présentation moins élaborée.
** Ceux-ci doivent cependant utiliser leur ligne téléphonique pour le faire alors qu'un vidéotex utilise le câble pour les communications dans les deux sens
* Le premier essai de vidéotex a eu lieu en Angleterre en 1974; on attribue son invention à un ingénieur des Postes, Sam Fedida.
** LE DEVOIR, 7 février 1981, annonce un programme de 27 millions de dollars qui suit des dépenses de 17,6 millions.
*** Nous utilisons ici certains résultats d'une recherche de Mary-France Bélisle, réalisée dans le cadre du cours COM-16698 à l'Université Laval.
38 THE FINANCIAL POST, 23 mai 1981.
**** Rappelons que 42 % des actions de Noranda sont possédées par Brascade Resources, ellemême possédée à 30 % par la Caisse de dépôt et de placement du Québec et à 70 % par Brascan (49 % à Edper des Bronfman).
39 THE FINANCIAL POST, 27 septembre 1980.
* Bell est la cinquième entreprise au Canada pour ses ventes; elle a plus de 90 000 employés.
39 Tom Kent (prés). COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR LES QUOTIDIENS, Ottawa, 1981, p. 219.
* Vidéotron est plus connue sous le nom de sa filiale, Câblevision nationale; la Caisse de dépôt a un intérêt minoritaire (30 %) dans Vidéotron. La Caisse possède aussi 16,5 % de Québec Téléphone (contrôlée par General Telephone and Electronics des U.S.A.) et une part non significative de Bell. Cable TV fait partie du groupe CFCF (Canal 12 à Montréal).
40 P. Desbarat, op. cit., p. 79.
* N'oublions pas cependant que Québécor voulait prendre le contrôle de Câblevision nationale et qu'elle possède une faible partie de Premier Choix, le réseau national de télévision payante.
* Le projet « Agora » réalisé à Montréal offre un vidéotex expérimental à trois groupes: handicapés, communauté italienne et électroniciens.
** Le premier syndicat québécois fut celui des typographes de Québec.
* Rappelons que Télidon a d'abord été un système de conception graphique.
** Appareils servant à la transmission des photographies.
41 J.-L. Lepigeon et D. Wolton, L'INFORMATION DEMAIN DE LA PRESSE ÉCRITE AUX NOUVEAUX MÉDIAS, La documentation française, Paris, 1979, pp. 66 à 71.
*** Photocopieurs à distance, reliés par le moyen du téléphone.
42 Lepigeon et Wolton, op. cit., p. 179, Voir aussi N. Will, ESSAI SUR LA PRESSE ET LE CAPITAL, Coll. « 10-18 », U.G.E., Paris, 1978, 314 p.
43 François Demers, « L'électronisation du journal écrit. Plus de continuité que de révolution », in LE « 30 », vol. 6, no 8, déc. 1982, p. 11.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 P. Desbarat, op. cit., p. 122.
49 Vidéotron, LE GROUPE VIDÉOTRON, 1982.
50 Fichier central des entreprises du Québec.
51 Vidéotron, op. cit., p. 2.
52 Ibid, p. 3.
53 Ibidem.
54 CRTC, Décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Ottawa, le 30 juillet 1980, p. 2.
55 Michel Nadeau, LE DEVOIR, 10 janvier 1980, p. 13.
56 Françoy Roberge, FINANCE, 12 octobre 1981, p. 23.
57 Vidéotron, Présentation au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 15 mai 1980, p. 20.
58 VISION: Journal interne de Câblevision Nationale Ltée, vol. 2, no 1, février 1982, p. 1.
59 Alain Lapointe, Retombées économiques de télévision payante, in LA TÉLÉVISION PAYANTE: JEUX ET ENJEUX, Albert St-Martin, Montréal, 1982, p. 118.
47 Ces données proviennent du Fichier central des Entreprises du Québec, année 1982.
48 Ces données proviennent également du Fichier central, année 1981.
60 MCQ, POUR UNE POLITIQUE QUÉBÉCOISE DES COMMUNICATIONS, mars 1971, annexe p. 1.
61 Bernard Benoît, Un brin d'histoire: la télévision à péage dans le contexte des systèmes de communication et de diffusion, in LA TÉLÉVISION PAYANTE: JEUX ET ENJEUX, op. cit. pp. 45 et 46.
62 MCQ, LE QUÉBEC, MAÎTRE D'OEUVRE DE LA POLITIQUE DES COMMUNICATIONS SUR SON TERRITOIRE, novembre 1973, pp. 48 et 49.
63 Bernard Descôteaux, LE DEVOIR, 14 janvier 1983, p. 3.
64 Gouvernement du Québec, BÂTIR L'AVENIR, Québec, éd. officiel du Québec, printemps 1982, p. 97.
65 Gouvernement du Canada, Commission royale sur les quotidiens, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1981, p. 211.
66 Francis Fox, notes sur l'expansion du programme Télidon, Ottawa, 6 février 1981, cité par la Commission royale sur les quotidiens, op. cit., p. 212.
67 André Bouthillier, LE DEVOIR, 13 janvier 1982, p. 7.
68 Vidéotron, Présentation au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 15 mai 1980, p. 6.
69 Vidéotron, Présenté au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 18 janvier 1980, p. 56.  
70 Louis Brunei, DES MACHINES ET DES HOMMES, Québec, éd. Le Magazine Québec-Science, 1978.
71 Gérard Pelletier, Préface à DES MACHINES ET DES HOMMES, op. cit., p. 10.
72 CRTC, Décision... 30 juillet, op. cit., p. 5.
73 Câblevision Nationale Ltée, Déclaration d'inscription de Câblevision Nationale Ltée à la Bourse de Montréal, pp. 3 à 11.
74 CRTC, Décision... 30 juillet, op. cit., p. 7.
75 Ibid, p. 9.
76 Ibid, p. 10.
77 THE GAZETTE, 31 juillet 1980.
78 Vidéotron, Présenté au Conseil... 18 janvier 1980, op. cit., p. 3.
79 Vidéotron, Présentation au Conseil... 15 mai 1980. p. 9.
* Ces chiffres ne sont pas récents. Re: RAPPORT SUR LA PROTECTION DES DOSSIERS PERSONNELS DES CITOYENS.
80 Voir: « Feu vert mais garde-fous pour le fichier antiterroriste ». LIBÉRATION, 1er décembre 1982, et « Ténébreuses affaires et méga-fichiers », LE MONDE, L'Informatique aujourd'hui, sept. 1982.
* M. Regalado est menacé d'expulsion. Le gouvernement a reçu, de l'étranger, des informations à l'effet que ce monsieur est un danger pour la sécurité de l'État. À ce jour, le gouvernement a refusé de soumettre à un tribunal les preuves sur lesquelles il se base pour exiger l'expulsion. M. Regalado est incapable de se défendre.
81 Lire: «La biotique pour l'an 2000 », par Liliane Besner, QUEBEC-SCIENCE, décembre 1982, p. 10.
82 Extrait du Rapport de la Commission d'étude sur l'accès du citoyen à l'information gouvernementale et sur la protection des renseignements personnels, Gouvernement du Québec, 1981.
83 Idem.
84 GAMIN A RISQUES, Union régionale parisienne, CFDT.
85 Jean-Pierre Chamoux, « Impacts économiques et juridiques de l'informatisation », PARADOXES, printemps 1982, no 47.
* Projet de loi no 65 sanctionné le 23 juin 1982, art. 124.
** Il n'est pas dit cependant que les programmeurs ou opérateurs devraient être tenus au silence pour ce qui est des manipulations qu'on leur demande. C'est sur les informations mêmes que doit porter cette obligation.
*** Le droit à l'image est reconnu à certaines occasions. Par exemple, un journal ne peut utiliser votre photo à n'importe quelle fin sans votre consentement. Mais disons qu'au Canada, contrairement à la France, on ne reconnaît que rarement ce droit.
86 FACE AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES, Dossier 7, Fondation Travail-Université, Belgique, p. 107.
* Réseau « off line »: c'est un réseau électronique qui permet de créditer ou débiter un compte, mais par l'intermédiaire d'une bande magnétique. Le réseau « on line » permet le contact direct sans manipulation.
** Usant de sagesse, les consommateurs utilisent au maximum les délais que leur accorde la loi pour effectuer leur remboursement: donc 80 % des comptes sont payés sans intérêt.
87 LES BANQUES ET LES CAISSES SE MONTRENT INCAPABLES D'ASSURER LA SÉCURITÉ DE VOS ÉPARGNES, texte d'une conférence de presse tenue le 26 avril 1982, Cartel des Associations de consommateurs du Québec.
* Certaines prestations comme l'assurance-chômage, le bien-être social, sont insaisissables. Ce n'est plus le cas si, par mégarde, vous déposez dans un même compte cet argent avec des épargnes d'autres origines.
* En voie d'expérimentation à Lyon et quelques autres villes en France.
* Institution bancaire française.
88 SYSTÈMES ÉLECTRONIQUES DE TRANSFERT DE FONDS AU CANADA: PERSPECTIVES ET RECOMMANDATIONS, John W. Lambie - Bureau de la politique de concurrence. Consommation et Corporations Canada, Étude spéciale no 3, 1979.
*  L'affaire Chamard.
89 Me Claude Masse, LA PROTECTION JURIDIQUE DES CONSOMMATEURS EN MATIÈRE DE PAIEMENTS ÉLECTRONIQUES, Faculté de Droit, Université de Montréal, octobre 1981.
* Celles et ceux qui veulent connaître cette expérience, voir LA VIE EN ROSE, septembre-octobre 1982, p. 34.
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