Failles dans les méthodes d'octroi du crédit


Bien que les banques caressent de gigantesques projets de fusion et procèdent à des changements très significatifs dans les services à la clientèle, leurs politiques d’octroi du crédit demeurent dans l’ensemble conservatrices. Au cours d’une enquête pancanadienne, financée par le ministère de l’Industrie du Canada, la Fédération des ACEF a cherché à savoir si les institutions financières exerçaient une analyse efficace de la capacité de rembourser des consommateurs.

Le groupe de travail a élaboré des dossiers inspirés de deux cas traités en consultation budgétaire. Par la suite, le chargé de projet a soumis ces dossiers à l’étude de conseillers en crédit oeuvrant dans des établissements bancaires de trois grands centres urbains canadiens, soit Montréal, Toronto et Vancouver. En tout, 19 succursales de banques choisies parmi les plus importantes du pays ont été visitées dans ces trois villes.

Premier cas
Il s’agit d’une famille reconstituée de trois personnes composée d’un homme de 42 ans, d’une femme de 33 ans et d’un enfant de 6 ans. L’homme est ingénieur et travaille depuis 12 ans pour le même employeur. La femme est infirmière et travaille à temps partiel depuis 10 ans. L’homme doit payer une pension alimentaire pour la garde d’un enfant de 12 ans.
Le couple affiche un déficit mensuel de près de 60$. Les conseillers consultés considèrent leurs dépenses fixes et variables comme raisonnables. Le couple veut emprunter 10 000$ pour rénover le sous-sol de sa propriété. Voici un portrait des revenus et des dépenses de la famille.

Revenu annuel brut Revenu mensuel net
Homme 60 000$ 2 902.50$
Femme 24 674$ 1516.33$
Total 84 674$ 4 415.83$

Dépenses fixes
Hypothèque-Taxes-Assurances 1 461.30$
Électricité-chauffage-téléphone-câble 244$
Garde scolaire-pension alimentaire 615$
Total 2 320.30$

Dépenses variables
Nourriture, vêtements, etc.
Total 1 648.30$
Remboursement de dette 505 $

Total des dépenses mensuelles 4 473.60$
Total des revenus mensuels 4 415.83$
Déficit mensuel -57.77$


Deuxième cas
À l’intérieur de ce dossier, se retrouve une femme de 28 ans, célibataire vivant seule et travaillant à son compte dans le domaine des arts graphiques. Elle loue un logement dans le centre-ville où elle a aménagé une pièce qui lui sert de bureau. Cette travailleuse autonome a maintenu un revenu relativement stable depuis les trois dernières années. Ses principaux engagements financiers se situent au niveau du remboursement d’un prêt étudiant et de la location à long terme d’une automobile. Son dossier budgétaire affiche un surplus mensuel d’environ 60$. Elle veut emprunter 5 000$ pour renouveler son équipement informatique. Le portrait financier est le suivant.


Revenu annuel brut 33 000$
revenu mensuel net 2 214.50

Dépenses fixes
Loyer 700$
Assurances=téléphone 178$
Total 878$

Dépenses variables
Nourriture, vêtements, etc. 871.94$

Paiements mensuels (Dettes)
Prêt étudiant 128.40$
Auto 230$
Cartes 45$
Total 403.40$

Total des dépenses mensuelles 2 153.34
Total des revenus mensuels 2 214.50$
Surplus mensuel 61.16$


Les résultats de l’enquête

En se basant sur tous les critères classiques employés dans le monde du crédit à la consommation pour accorder ou refuser une demande de prêt, les différentes institutions ont, en grande majorité, accueilli favorablement la proposition de la famille et rejeté celle de la travailleuse autonome.
Dans le cas de la famille reconstituée, seulement trois conseillers en crédit sur 19 ont refusé d’accorder le prêt. La grande majorité, soit 11 sur 19, aurait sans aucune hésitation prêté la somme demandée. Les 5 autres auraient exigé une étude plus approfondie du dossier. Les banques se fiaient quasi exclusivement sur le ratio d’endettement calculé, entre autres, à partir du revenu mensuel brut, et sur la qualité des emplois des deux chefs du ménage, pour donner leur approbation et risquer de plonger le ménage dans une situation financière très critique.

Dans le cas de la travailleuse autonome, les résultats ont été presque à l’opposé. Malgré son utilisation raisonnable du crédit et ses revenus stables au cours des trois dernières années, seulement deux conseillers auraient accordé le prêt, bien qu’il se soit agi là d’une dépense de nature à accroître la performance professionnelle de la cliente. Sept conseillers auraient refusé de prêter et dix autres auraient exigé une étude plus minutieuse de la situation avant de s’engager. Les conseillers auraient refusé le prêt, ou tout au moins hésité dans leur démarche, en raison de la plausible irrégularité des revenus de la professionnelle et du peu d’actifs qu’elle détenait.

Constats et recommandations
À la suite des résultats de cette enquête et de la position adoptée par les conseillers, la Fédération des ACEF dégage trois constats majeurs, à savoir que:

1) Le recours au ratio d’endettement basé sur le revenu brut mensuel dans l’analyse d’un prêt est inapproprié puisque ce revenu n’est pas réel. Les données sont donc faussées.

2) Les frais reliés à la présence d’enfants ne sont pas toujours rigoureusement calculés, tant sur le plan des frais de garde que des autres dépenses.

3) Les conseillers ne tiennent pas compte que le marché du travail a beaucoup évolué au cours des dernières années et que les emplois permanents, au sens traditionnel du terme, sont en voie de devenir une denrée rare.

Par conséquent, la FACEF énumère toute une série de recommandations pratiques qui invitent les institutions financières à se montrer responsables envers leur clientèle et à évaluer avec plus de réalisme les demandes de crédit. La Fédération conseille aux consommateurs de gérer leurs propres affaires et de préparer, seuls ou avec le support d’organismes comme les ACEF, un budget élaboré. De la sorte, ils seront en mesure mieux que quiconque de mesurer leur capacité à rembourser un éventuel prêt.

Source : Camille Beaudoin."Failles dans les méthodes d'octroi du crédit". Changements vol 8, no 1. Fédération des ACEF. Septembre 1998, p. 5.