INSTITUT CANADIEN D'EDUCATION DES ADULTES

506 est, Ste-Catherine suite 800, Montréal Québec. 842-2766 H2L 2C7

Pour une politique québécoise en matière d'éducation des adultes

Présentation des dossiers

II y a quelques mois déjà, répondant aux réclamations de divers groupes, dont l'ICEA, le gouvernement du Québec créait une commission d'étude en vue de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'une politique québécoise en matière d'éducation des adultes. La question fondamentale qui se trouve dès lors posée peut être formulée comme suit : quelles possibilités réelles les fermes et les hommes du Québec ont-ils de s'informer et de se former dans les matières qui les touchent le plus directement et dans leur vie de tous les jours, de discuter de leurs problèmes, d'acquérir selon leurs besoins a eux les compétences requises pour contrôler leurs conditions de vie et de travail, maîtriser leur environnement, pour se " définir et se situer face aux idées et valeurs communément admises, pour orienter en fonction d'eux-mêmes et de leurs intérêts personnels et col­lectifs leur développement socio-économique et culturel ?

Démocratiser l'éducation... et la société

La réforme du système scolaire entreprise chez nous à la suite des travaux de la Commission Parent, lors de la révolution tranquille des années 60, était officiellement commandée par un souci de démocratisation et, notam­ment, d'accessibilité des ressources éducatives scolaires, de la maternelle à l'université, pour l'ensemble des Québécois. Cette réforme fut principa­lement celle de l'école des jeunes. Malgré que le Québec se soit doté d'une politique en matière d'éducation des adultes, le premier ministre du Québec, M. René Lévesque, affirmait en 1978 que quelque 500 000 adultes, c'est-à-dire 1/8 de la population adulte du Québec, tentent présentement leur "seconde chance" scolaire : 400 000 au niveau secondaire, 20 000 au collégial, entre 60 000 et 75 000 à l'université.

Ces chiffres risquent cependant de donner le change en masquant des faits troublants comme

  • la permanence de l'analphabétisme (surtout fonctionnel) dans de larges couches ou groupes de la population ;
  • le peu d'importance accordé dans le financement aux activités des orga­nismes volontaires d'éducation populaire autonome, syndicats et groupes populaires ;
  • l'exclusion en fait des classes populaires et de plusieurs groupes so­ciaux (femmes, immigrants, handicapés, etc.) - les jeunes et les adultes - des filières, "voies" et programmes qui préparent aux professions plus valorisées ;
  • la montée du chômage et la dévaluation de diplômes qui donnaient autre­fois accès à des métiers.

De plus, une analyse tant soit peu attentive de cette réforme et de ses fruits a tôt fait de montrer comment il s'est agi surtout, sinon exclusi­vement, d'adapter l'école à tous ses niveaux aux besoins nouveaux d'une économie moderne, en préparant et en recyclant la main-d'oeuvre d'une société industrielle rattrapant ses retards... et de meubler les loisirs de couches plus larges de la population en favorisant la consommation pas­sive de "biens culturels" d'une qualité souvent fort douteuse. Cela s'appelle en termes officiels : formation du travailleur et formation du citoyen ! Mais il n'y a rien là qui soit processus ou même promesse de démocratisation.

En somme, exclus ou intégrés, ceux qui constituent l'immense majorité de la population n'ont pas la possibilité réelle de prendre en charge individuel­lement et collectivement leur développement éducatif et culturel en vue d'une meilleure compréhension de leurs conditions de vie et de travail et d'une meilleure instrumentation pour en contrôler l'évolution. C'est pour­tant bien de cela qu'il s'agit quand on parle de démocratisation. Comme le note le livre blanc du gouvernement québécois sur la politique québécoise du développement culturel, la démocratie est tout à la fois et indissocia-blement culturelle, sociale, économique et politique... ou elle n'est pas.

La prise en charge par les individus et par les collectivités de leur développement culturel et éducatif : telle est la visée essentielle et la perspective fondamentale de l'ICEA. dans les dossiers présentés ici. Ces dix dossiers portent sur dix thèmes ou problématiques qui ont paru aux membres de l'ICEA, lors d'une assemblée de consultation (tenue le 25 février 1980) et en assemblée annuelle (tenue les 18 et 19 juin 1980), devoir constituer autant d'éléments-clés d'une politique d'éducation des adultes qui soit à la fois cohérente et au service de l'ensemble de la population.

Il n'y aura en effet démarche effective de démocratisation de l'édu­cation - et de la société - que lorsque les individus et les groupes directement concernés

  • pourront orienter et prendre en charge, avec la collaboration des institutions publiques d'enseignement, le travail d'alphabétisation requis pour assurer le développement des personnes et la participation à la vie collective dans les larges couches de la population touchées par l'analphabétisme (dossier 7) ;
  • pourront assurer de façon pleinement autonone le développement de leurs organisations éducatives (OVEP) en obtenant de l'Etat un soutien financier adéquat et statutaire (dossier 6) ;
  • auront une possibilité réelle d'accès aux ressources éducatives publi­ ques et pourront obtenir des institutions scolaires publiques des ser­ vices spécifiques, adaptés à leur situation et à leurs besoins (dos. 1-2-3);
  • pourront contrôler l'orientation et les processus de la formation pro­ fessionnelle et des programmes de perfectionnement pour favoriser le contrôle par les travailleurs et les travailleuses de leur travail et de ses conditions (dossier 4) ;
  • verront reconnu, au terne sans doute de dures revendications, le droit à un congé-éducation payé qui rende possible l'utilisation par les travailleurs et les travailleuses des ressources éducatives (dossier 5) ;
  • pourront infléchir les pédagogies pour que celles-ci favorisent ou du moins rendent possible la prise en charge par eux de leur cheminement éducatif (dossier 8) ;
  • auront obtenu un accès réel aux médias d'information et à leurs program­ mes, plus ou moins directenent "éducatifs", avec des possibilités égale­ ment réelles de contrôle des orientations (dossier 9) ;
  • pourront se situer eux-mêmes, avec leurs projets, leurs actions et les difficultés rencontrées, dans la large perspective internationale des luttes pour la démocratisation de l'éducation et de la culture (dossier 10).

En diffusant ces dossiers, l'ICEA. ne veut pas se substituer aux groupes, membres ou non de l'ICEA , et parler pour eux, non plus que leur dire quoi dire et faire. Ce serait d'ailleurs contredire la visée fondamentale de l'ICEA et pervertir son rôle d'organisme d'étude et de concertation que d'agir ainsi. Mais la majorité des groupes que veut servir l'ICEA n'ont pas les ressources requises pour analyser les situations et monter des dossiers. Plutôt qu'un blue print du projet de loi rêvé, l'ICEA présente donc souplement, sur les thèmes que les groupes eux-mêmes ont considérés comme d'importance majeure, ces analyses de situation et ces dossiers. A eux ensuite - à vous - de les utiliser pour mieux comprendre et faire valoir vos besoins et vos revendications... et finalement affermir les consensus et les mobilisations nécessaires, pendant les tra­vaux de la Commission d'étude sur l'éducation des adultes comme après la publication de son rapport et de ses recommandations, à la démocra­tisation de l'éducation et, par là, de la société.

Nous tenons à remercier tous ceux et celles qui ont collaboré à ce dossier : les membres du Comité de l'ICEA sur les politiques d'éducation des adultes, la Commission Jean qui nous a apporté son concours financier, les auteurs immédiats et les responsables de cette production réalisée dans des délais extrêmement serrés.

Le président,

Guy Bourgeault, le 14 octobre 1980

1. L'école publique et la promotion collective

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Dans la société québécoise en pleine mutation est apparue, au fil des décen­nies, une forme inédite d'apprentissage: l'éducation populaire autonome. Par milliers, des hommes et des femmes, ayant peu de contrôle sur leurs condi­tions de vie et de travail, se sont regroupés. Leur but: prendre en main leur situation et trouver ensemble des solutions à leurs problèmes. Nés de l'action communautaire, ces organismes populaires se sont révélés, avec le temps, de remarquables écoles de for­mation entièrement vouées à la promo­tion collective de leurs membres.

On a vu se multiplier les associations de locataires, les comptoirs alimentaires, les cliniques de santé communautaire et juridiques, les garderies populaires, les groupes de lutte pour la protection de l'environnement, pour la défense des droits sociaux, des droits des femmes, des travailleurs émigrés... Le dévelop­pement du syndicalisme, sa radicalisa-tion, la prolifération des groupes popu­laires, autant de réponses des victimes de la croissance économique dans le Québec d'après-guerre.

Les inconvénients du "progrès"

Comme partout ailleurs l'industrialisa­tion rapide et anarchique s'est accom­pagnée de tout un cortège de maux: ur­banisation sauvage, chômage, infla­tion... On ne passe pas impunément, en un demi-siècle, d'une société rurale basée sur la paroisse, la famille et la religion, à une société fortement prolétarisée et urbanisée à 77%.

Dans sa course folle au progrès économique, cette société a déprécié le travail, fait disparaître le métier, attelé les travailleurs à des machines qu'ils ne contrôlent pas. Importés de la cam­pagne, ils se sont entassés dans des maisons de piètre qualité, accolées les unes aux autres, où les espaces verts sont rares. On a condamné de villages à une mort lente, démoli des quartiers pour faire place à des aéroports, des autoroutes, de gros buildings. Au rythme des lois du marché, les mul­tinationales ferment leurs filiales, les modernisent, ou encore, les déménagent. Le personnel est remercié de ses services, transféré, rétrogradé, remplacé par des appareils sophisti­qués.

Les savoirs populaires

Ceux qui ont fait les frais de cette évolution ont été les premiers à réagir. Sous l'impulsion d'une volonté collec­tive de changement, avec des moyens on ne peut plus limités, ils ont trouvé des solutions originales à des problèmes fort complexes. Car pour mettre sur pied une coopérative d'habitation, prendre en charge le fonctionnement d'un syndicat, élaborer une convention collective, préparer un contre-projet à un programme gouvernemental de rénovation urbaine, il faut apprendre les lois sociales, économiques et politi­ques, acquérir des connaissances de ges­tion administrative, en communication, en animation de groupes, en confection de dossiers...

L'école au service du milieu

Alors que l'Etat subventionne grasse­ment les entreprises, il a fallu de longues luttes pour qu'il consente finalement des fonds à l'action com­munautaire, minimes en regard des besoins.

Parallèlement, sous la pression des revendications populaires, gouverne­ment et institutions d'enseignement ont amorcé une certaine réflexion sur le rôle de l'école publique. Cette mise en disponibilité des ressources institution­nelles pourrait constituer une nouvelle voie de démocratisation du système d'enseignement. Va-t-elle surtout profiter aux classes sociales les moins avantagées par le système d'éducation? Rien n'est moins sûr.

Car parmi les voix qui s'élèvent pour revendiquer une école au service du milieu, il en est une, forte inquiétante, qui domine les autres: celle du patronat. Sa position est claire: le réseau scolaire doit s'adapter! A la crise économique actuelle, en plafonnant ses dépenses. Au marché du travail, en ajustant programmes et formation profession­nelle aux besoins du marché du travail. Le tout, dans une perspective de ren­tabilité.

LES ACQUIS DE L'ÉDUCATION POPULAIRE AUTONOME ET LES CONDITIONS DE DÉVELOPPEMENT

L'éducation des adultes: de quels adultes?

L'éducation des adultes se voulait à son tour un importantlevier de démocratisation de l'enseignement. Constat d'échec: les deux-tiers des fonds prévus à cette fin sont absorbés par les seules fonctions de perfectionnement et de recyclage. Là comme ailleurs, les contraintes économiques ont primé sur toutes autres considérations; à preuve, la formation professionnelle réservée aux travailleurs est étroitement reliée à la tâche et se retrouve de plus en plus en in­dustrie; quant à celle dispensée à l'université, elle rejoint une clientèle dé­jà scolarisée.

Une évolution a vu le jour, ces der­nières années, pour pallier à ces in­égalités flagrantes. Dans le cadre des programme d'éducation aux adultes, des institutions affectent désormais cer­taines ressources éducatives à la réalisation d'activités davantage axées sur les besoins des collectivités, sur la formation sociale et civique des citoyens. Dans les universités, on parle de services à la collectivité; dans les cégeps, d'éducation populaire par le biais, dans certains cas, de la formation sur mesure; dans les commissions scolaires d'éducation populaire, de formation socio-culturelle ou encore, d'animation et de support à l'action communautaire.

Malheureusement, toutes ces interven­tions sont loin de servir de support à la promotion collective; la plupart sont encore conçues et réalisées dans une perspective de promotion et d'acces­sibilité individuelles: formation profes­sionnelle, acquisition d'habilités manuelles (macramé, couture, mécani­que auto)... On a constaté après quel­ques années que les adultes qui s'inscri­vent notamment aux cours dit d'éduca­tion populaire dans les Commissions scolaires viennent surtout de la classe moyenne et de milieux aisés, c'est ce que révèlent des statistiques récentes 1 de la DGEA.

Heureusement, les classes populaires n'ont pas attendu que l'école s'intéresse à elles pour entreprendre un travail éducatif adapté à leurs besoins.

L'éducation populaire autonome, outil de promotion collective

Dans toutes les régions du Québec, les milieux populaires s'organisent pour se défendre, réfléchir et agir. Ils effectuent ainsi diverses activités d'apprentissage où la théorie et la pratique sont étroite­ment articulées à leur vécu. Ensemble, ils trouvent des solutions, inventent des connaissances, découvrent la solidarité. C'est la contre-école, née de l'éducation populaire autonome et destinée à la promotion collective de leurs intérêts. Contrepoids nécessaire à l'école publi­que où l'on continue d'apprendre la soumission, la passivité, la compétition et le chacun pour soi.

"A Hull, les résidents des quar­tiers populaires, menacés par des expropriations massives, se sont regroupés en conseil de quartier pour s'informer de leurs droits. Ils ont créé des mécanismes de lutte (journaux, programmes de restauration...) pour conserver et améliorer la fonction résidentielle de leur quartier."

"Dans les syndicats ouvriers, des milliers de travailleurs se réunis­sent pour étudier les différents problèmes qui les concernent: acci­dents de travail, fonds de pension, démocratie syndicale, conditions de travail, etc.. Plus connaissants, ils peuvent mieux lutter pour améliorer leur sort collectif.

"Dans les syndicats agricoles, les producteurs veulent comprendre pourquoi le consommateur paie si cher alors que le producteur de lait reçoit si peu. Ils étudient ensemble le problème des profits des intermédiaires. Ils veulent changer la situation et ramener les prix à des proportions plus équitables".

"Des femmes, ménagères et travailleuses, se réunissent pour étudier ensemble les rôles que leur impose la société, et elles travaillent à mettre sur pied une garderie contrôlée par les parents afin de commencer à changer ces rôles".2

Certaines constantes se dégagent de ces initiatives disparates, permettant de mieux saisir la réalité des groupes populaires; dans tous les cas, il s'agit d'organismes volontaires et autonomes, sans but lucratif, contrôlés exclusivement par les membres; ceux-ci sont is­sus principalement des milieux popu­laires et ouvriers, ou de regroupements pour des luttes spécifiques axées sur les besoins de ces milieux, de concert avec d'autres citoyens pour changer une situation.

Les acquis de l'éducation populaire autonome

Pour trouver une solution à un problème, il faut d'abord en saisir les causes, analyser les données per­tinentes, apprendre à mettre en oeuvre les moyens d'y remédier. Ce faisant, les organismes populaires et syndicaux ont développé des savoirs inédits à la mesure de leurs besoins, de l'animation sociale aux médias communautaires en passant par le droit collectif.

Moins remarqué, l'impact des groupes populaires sur le changement des men­talités n'en est pas moins important. On a vu se multiplier les comportements basés sur l'engagement social, la solidarité et la promotion collective; cet apport à la formation socio-politique de la population et primor­dial.

Si l'éducation des adultes vise réellement la prise en charge par les citoyens de leur devenir collectif, force est de cons­tater que les organismes populaires et syndicaux ont fait davantage, à ce chapitre, que les institutions elles- mêmes et ce, avec des moyens fort réduits. Comment expliquer qu'avec de tels acquis, elles aient à se débattre avec des problèmes financiers considérables et d'immenses besoins en res­sources éducatives, inassouvis?

Des besoins et des ressources

Les droits au financement

Une certainereconnaissance de l'éducation populaire s'est concrétisée, en 1967, par un programme d'aide aux OVEP. Les fonds alloués dans ce cadre sont passés de $70,000 (1970-71) à $3,000,000 (1980-81); bien qu'ap­préciable en chiffres absolus, cette hausse est toutefois sans commune mesure avec celle des demandes qui grimpaient, pendant la même période, de $250,000 à plus de $13,000,000. En fait, les sommes allouées à ce poste par la DGEA couvrent à peine le quart des requêtes qui lui sont présentées.3

Le droit aux ressources éducatives

L'éducation populaire se fait d'abord dans l'action, mais pour pousser plus loin certaines démarches, alimenter leur théorie et leur pratique, cumuler les expériences passées, planifier des luttes à long terme, les OVEP ont par­fois besoin d'outils supplémentaires.

Le support à la promotion collective: un cas concret

Un groupe de locataires qui se sent lésé par un projet municipal de rénovation urbaine décide de s'y opposer; il veut préparer un contre-projet qui soit davantage conforme à ses besoins. Après discussion, il choisit de faire ap­pel au service de promotion collective d'une université avoisinante. Voici comment à chaque étape de cette démarche, celle-ci peut répondre aux priorités de formation et de recherche du groupe. Les locataires doivent d'abord analyser le problème, en l'oc­currence le projet de rénovation, et en déceler les conséquences. Puis, in­former les autres citoyen-ne-s concernés pour chercher avec eux les moyens de le contrer.

Encadrée par cet organisme, l'univer­sité peut fournir une recherche englobant les principales données du problème (ampleur, impact, causes) ainsi que diverses hypothèses de solution. Des séances de formation permettent ensuite de rendre accessibles ces renseignements, de développer chez les intéressé-e-s une meilleure compréhension de la situation, d'étudier les façons d'y remédier. L'institution offre parfois un support méthodologique visant la mise sur pied d'une recherche-action, ou l'en­cadrement d'une réflexion, ou encore, l'encadrement et la documentation à l'intention de membres du groupe devenus formateurs à leur tour. Elle prête souvent des locaux, un matériel didactique approprié.

Lorsque l'organisme envisage de passer à l'action, il lui faut définir ses objectifs et élaborer une stratégie d'intervention. Une étude plus systématique des politi­ques d'habitation, des mécanismes du marché de l'immobilier, des règlements de zonage, s'avère alors nécessaire. Puis, il doit élaborer un contre-projet et identifier les moyens de le faire ac­cepter. L'université, à ce stade de la démarche, peut amorcer une recherche pour approfondir les hypothèses de solution ou éclairer certains aspects du problème, apparus au moment de l'ac­tion. Ensuite, tenir des séances de for­mation permettant aux intéressé-e-s d'assimiler et de discuter ces nouvelles données. Il est également possible, de mettre à la disposition du groupe des in­formations scientifiques pertinentes.

Quand vient le temps d'évaluer les résultats de cette action, le groupe peut demander, s'il le souhaite, un support méthodologique de l'université.

PORTRAIT DES RESSOURCES INSTITUTIONNELLES

Dans les commissions scolaires

Là où un service est spécialement af­fecté à l'animation communautaire, l'aide aux organismes populaires est une fonction reconnue de facto: c'est le cas dans 60% des commissions scolaires régionales. Autre information à retenir, les Services d'éducation des adultes (SEA) ont un deuxième secteur-clé pou­vant servir au support à la promotion collective: l'éducation populaire ou socio-culturelle. Et même si les budgets disponibles à ces deux postes sont modestes, ils ont permis la réalisation de projets intéressants.

L'animation communautaire

Quoique le programme SEAPAC (Ser­vice éducatif d'aide personnelle et d'animation communautaire) n'existe plus, la DGEA accorde maintenant à peu près l'équivalent de ce qu'elle ver­sait au programme, soit $25,000. à même l'enveloppe globale qu'elle at­tribue à chaque commission scolaire pour l'éducation populaire ou socio­culturelle. En principe, cette somme doit être consacrée à l'animation com­munautaire. Toutefois, vu la disparition du programme, il n'existe plus de mécanisme qui assure que ces sommes soient effectivement dépensées à des fins d'animation communautaire. Il reste que ces sommes existent et que les groupes locaux devraient pouvoir s'en prévaloir comme support concret à leurs actions, qu'il s'agisse de services purement techniques (secrétariat, polycopie, équipement audio-visuel, etc.), d'assistance d'un animateur du SEA ou même, comme il s'est déjà produit dans le passé, de subvention à l'engagement d'un animateur par le groupe lui-même.

L'éducation populaire ou socio-culturelle

Dans les commissions scolaires, chaque SEA a une enveloppe globale qu'il doit départager entre la formation générale à temps partiel et l'éducation populaire, dont le champ d'application est très vaste. Le nom donné à ce poste budgétaire porte en effet à confusion. D'abord, parce que la plupart des ac­tivités désignées sous ce vocable relè­vent du socio-culturel. Ensuite, parce que les commissions scolaires régionales peuvent difficilement faire de l'éducation populaire autonome, étant donné que ce terme doit être réservé aux démarches d'apprentissage reliées à l'action collective. Ceci dit, elles peuvent cependant apporter un support très efficace à des groupes d'ac­tion communautaire relativement à leurs besoins grandissants de formation et de recherche.

Notons que les ressources disponibles dans le cadre des activités dites d'éducation populaire servent surtout à répondre à des besoins individuels. Néanmoins, les organismes populaires peuvent y recourir; en général, ils vont y chercher une formation sur mesure bien délimitée dans le temps, liée aux objectifs et à l'action qu'ils veulent entreprendre. Cette démarche fait habituellement l'objet d'un contrat d'entente ou de services entre les parties:

Des organismes regroupés autour de l'ACEF organisent un colloque sur la consommation. Ils obtien­nent du SEA deux conseillers pour aider à l'organisation de la rencontre, ainsi qu'à la production de matériel audio-visuel nécessaire aux ateliers.

Des propriétaires-occupants de maisons défectueuses s'unissent pour comprendre les lois régissant l'habitation et ensuite mieux défendre leurs intérêts. Un programme de formation sur mesure soutien leur démarche.

A l'occasion, le groupe fournit lui-même les personnes-ressources dont il a besoin:

Une entente de service avec une as­sociation de locataires permet à celle-ci d'offrir une session de for­mation sur le logement.

Les autres ressources

Toutes les commissions scolaires ont un budget de développement pédagogique pour la recherche, la production de matériel didactique et le perfectionne­ment des formateurs d'adultes. Certains organismes ont puisé à cette source:

Une recherche sur les assistés sociaux d'un quartier est ainsi réalisée, mettant l'accent sur les contacts, les rencontres de cuisine, etc.

Toutes les commissions scolaires ont également des revenus d'inscription pouvant être utilisés à des fins de promotion collective:

Certains montants tirés de ce fonds ont permis d'aménager un centre de services aux adultes qui prête ses locaux, un centre de documentation et d'information populaire.

Dans cinq commissions scolaires régionales, un projet expérimental in­titulé '"Accueil et référence" s'intéresse autant aux groupes qu'aux in­dividus:

Une coopérative de jardiniers con­sommateurs fait appel à ce service pour étoffer sa démarche, cerner plus précisément, parmi les res­sources éducatives à sa disposition, celles dont elle a besoin.

Enfin, lorsqu'une commission scolaire pratique une politique d'ouverture sur le milieu, le soutien technique s'avère une contribution précieuse aux organismes engagés dans une action: prêt de locaux, de matériel audio-visuel et d'imprimerie, services de photocopie et de secrétariat...

Dans les cégeps

Officiellement, les cégeps ont une voca­tion régionale et communautaire. Paradoxalement, aucun programme de financement n'y encourage encore la création de services de soutien à l'action communautaire autonome...

Malgré tout, certaines expériences, peu nombreuses il est vrai, démontrent que les cégeps ont des ressources pou­vant servir de support à la promotion collective. Les services d'éducation aux adultes des Cégeps de Rosement et de Limoilou, ont su les mettre à profit: par voie de politique interne, ils ont créé un service d'éducation populaire.

Les activités créditées

Un programme de formation peut être expressément conçu en réponse aux be­soins d'un organisme populaire. Dans le passé, celui-ci devait totaliser 180 heures de cours pour être gratuit mais il semble que des SEA s'apprêtent à être plus souples quant au nombre d'heures nécessaire.

Les habitants d'un quartier veulent former une troupe de théâtre amateur; ils obtiennent du cégep des cours sur l'improvisation, le jeu dramatique, le décor, la régie, l'administration, etc…

Les activités non-créditées

Suite à l'Opération Repo4 visant à étudier le financement des activités non-créditées d'éducation populaire au niveau collégial, le ministère de l'Education a décidé de ne pas financer les activités non-créditées tant et aussi longtemps qu'il n'y aura pas une nette démarcation entre les activités créditées offertes par les commissions scolaires et celles que souhaitent offrir les cégeps.

Dans les universités

Qu'est donc cette nouvelle mission uni­versitaire, baptisée du nom de service à la collectivité, dont il est question depuis quelques années? Le titre est alléchant. Ses objectifs, louables: permettre aux citoyen(ne)s mal desser-vie(e)s par ces institutions d'avoir enfin accès à leurs immenses ressources. On retrouve pêle-mêle classées sous cette rubrique, des activités fort disparates:

  • enseignement non crédité (perfec­ tionnement sur mesure, cours de type culturel, écoles de langues...);
  • services d'appoint (conférences et colloques, projets de coopération inter­ nationale, production de biens, divers vaccins, répertoires de musées, index de services tels que les recherches com­ manditées par les PME);
  • activités de support à la promotion collective (via les groupes populaires, les syndicats...)

Comme on peut le constater, la plupart des initiatives encouragées dans ce cadre continuent d'être reliées aux ac­tivités traditionnelles de recherche et d'enseignement et, par ce fait, s'adres-sant aux populations déjà desservies par l'université. Tant et si bien que la Com­mission de l'enseignement supérieur du Conseil supérieur de l'éducation émet­tait, en juillet 1980, l'avis que les fonc­tions traditionnelles de l'université étaient par trop mises en relief dans le rapport de la Commission d'étude sur les universités comme dans la pratique.

La Commission de l'enseignement supérieur "doute que l'université, dans sa pratique actuelle, remplisse pleinement la fonction sociale que la société est en droit d'attendre d'elle à travers ses mis­sions de recherche et de formation. Il lui paraît urgent et nécessaire que l'université élucide et critique des fonc­tions sociales qu'elle tient, prenne ses distances par rapport à l'approche mas­sivement individualiste et élitiste qu'elle pratique de fait et développe des ap­proches ouvertes aux groupes et prati­que des actions de promotion collec­tives". Vu le conservatisme montant dans les milieux universitaires, l'Université du Québec à Montréal (U-QAM) est toujours la seule à avoir adopté officiellement une politique privilégiant les collectivités qui n'ont pas eu accès aux ressources univer­sitaires, c'est-à-dire les milieux ouvriers et populaires. Il serait pour le moins souhaitable que ses homologues emboî­tent le pas. Cependant, des expériences de jonctions avec les milieux populaires ont été quand même réalisées dans plusieurs universités.

La fonction-relais

Deux universités ont un service de sup­port à la promotion collective: l'Univer­sité de Montréal et l'Université du Québec à Montréal. Le rôle de cette structure d'accueil est primordial: point de jonction entre le milieu et l'univer­sité, il fait le pont entre les besoins et les ressources. A l'UQAM. un comité des services à la collectivité a été mis sur pied, composé d'universitaires et de représentants de groupes populaires et syndicaux.

Les activités de formation

Les organismes populaires et syndicaux ont parfois des programmes de forma­tion ou des besoins de recherche re­quérant des ressources relativement spécialisées; de par leur nature, ils s'ap parentent à ceux que des universitaires sont en mesure d'offrir. Condition première d'efficacité: être conçus en étroite collaboration avec les groupes intéressés:

A l'Université de Sherbrooke, la DGEP (Direction Générale de l'Education Permanente) a libéré une personne-ressource pour élaborer, avec l'UPA (Union des Producteurs Agricoles), un programme de formation adapté aux besoins de ses membres. Cela exige une évaluation des attentes des agriculteurs dans ce domaine et l'expérimentation d'approches pédagogiques appropriées à ce milieu.

Dans le cadre des protocoles d'ententes UQAM-CSN-FTQ et FEP-FTQ, plusieurs projets de formation ont été réalisés, portant sur la négociation collective, l'évaluation des tâches, le syn­dicalisme et l'organisation du travail, le bruit en milieu in­dustriel, etc..

La clinique communautaire de Pointe St-Charles et la FEP (Faculté d'Education Permanente) et l'Université de Montréal collaborent à la mise sur pied d'un programme d'éducation en santé, à l'intention des familles de travailleurs, d'assistés sociaux, de chômeurs. L'objectif est d'aider les citoyens à prendre en charge leurs problèmes de santé. Avec le sup­port de diverses ressources ins­titutionnelles, les principaux in­téressés mettent au point les ins­truments dont ils ont besoin, développent de nouvelles méthodes éducatives adaptées à leur milieu, prévoient des moyens de formation pour les animateurs et les éducateurs oeuvrant dans leur quartier.

La recherche-action

Certaines activités de recherche s'insèrent dans un processus d'action qui se déroule sous l'entière respon­sabilité du groupe demandeur; celui-ci doit alors être en constante liaison avec le chercheur; une stratégie de diffusion des résultats de ces travaux est élaborée conjointement, histoire de les rendre compréhensibles pour ceux qui en ont besoin;

Le fonds de recherche fo­restière de l'Université Laval ap­porte une contribution substan­tielle aux paroisses impliquées dans les Opérations-Dignité du Bas-du-Fleuve.

Pour le compte de la Fédération des ACEF, une étude à la­quelle participent l'UQAM et l'Université de Montréal porte sur l'endettement et le crédit.

Les supports humain, matériel et technique

Dans quelques institutions (UQUAM, Université de Sherbrooke et Université de Montréal), les groupes populaires peuvent faire appel à des ressources humaines qui jouent auprès d'eux un rôle de support et de coordination. En outre, des démarches auprès des Services d'éducation aux adultes, d'éducation permanente ou de profes­seurs d'universités permettent à des organismes de bénéficier d'une assistance technique: prêts de locaux, de matériel didactique, accès aux res­sources informatiques, aux bibliothè­ques, etc.. Sauf exception (UQAM et Université de Montréal), aucune politique universitaire ne régit de telles ententes.

BILAN ET PERSPECTIVES

Support à la promotion collective: un bilan

Les lacunes

Première constatation: sauf quelques exceptions, les mécanismes facilitant l'accès aux ressources éducatives brillent par leur absence dans les cégeps et les universités. Quant aux structures en place dans les commissions scolaires, elles privilégient rarement le support à l'éducation populaire autonome, faute d'une volonté politique bien arrêtée. Par ailleurs, là où de tels services exis­tent, l'enthousiasme est refréné par la modestie des sommes consacrées à la promotion collective:

  • dans les meilleurs cas, la part des fonds alloués à de telles activités ne dépasse généralement pas 4% du budget d'un SEA, soit moins de 1% du budget global des CSR;
  • la situation est encore pire dans les cégeps où les quelques institutions impliquées consacrent tout au plus 5% de leur budget SEA au financement de ces initiatives, ce qui représente moins de 0.1% du budget total;
  • dans les universités où se déroulent de semblables expériences, les sommes investies à ce poste sont inférieures à 0.5% du budget de l'institution.

Notons que les conditions d'admis­sibilité à ces ressources sont loin d'être idéales: certaines conditions techniques de fonctionnement relèvent de politi­ques locales du SEA, d'autres, de la commission scolaire, d'autres de la DGEA. Il n'est pas certain qu'elles soient toujours des plus simples et sou­ples et respectueuses des besoins et ob­jectifs des gens, particulièrement de ceux des organismes populaires. On a aussi constaté, à la pratique, que les cours d'éducation populaire, les ser­vices à la collectivité, les ressources théoriquement destinées aux milieux dits défavorisés, sont loin de toujours at­teindre leur cible. Servies à toutes les sauces, les activités ainsi désignées sont encore, pour la plupart, conçues dans une perspective de promotion in­dividuelle et ne profitent guère à ceux qui en ont le plus besoin. De plus, la réalisation d'authentiques expériences de support à la promotion collective comporte nécessairement des dif­ficultés: il faut inventer des outils d'intervention, des approches pédagogi­ques, un langage commun aux institu­tions et aux milieux ouvriers, tout en freinant la tendance des institutions à multiplier les réunions communes qui peuvent, dans certains cas. prendre jus­qu'à 1/5 du temps de travail alloué aux projets.

Les acquis

Malgré les obstacles, le bilan de cette collaboration avec les maisons d'enseignement se révèle positif pour les groupes: à leur demande, des recherches ont permis d'étoffer leurs dossiers, de mieux comprendre leur situation, d'alimenter leurs discussions; des programmes de formation, conçus ex­pressément pour eux, ont aidé à faire respecter leurs priorités et garder le contrôle des projets.

Quant aux professeurs et aux institu­tions impliqués, de telles expériences leur permettent d'acquérir une meilleure compréhension des problèmes :sociaux, d'adapter en consé­quence leurs enseignements; de mieux préparer les étudiants aux réalités con­crètes avec lesquelles il leur faudra vivre et travailler; d'élargir les champs de connaissances au vécu de milliers de citoyens; d'introduire des méthodologies scientifiques et des problématiques inédites dans leurs travaux de recherche; d'inventer des moyens de diffusion et de communica­tion des informations scientifiques et spécialisées, afin que tous puissent en profiter; de développer de nouvelles ap­proches pédagogiques qui tiennent compte de la diversité culturelle des en­fants et des étudiants, de leur origine sociale.

Bref, de contribuer à démocratiser véritablement l'école publique, ce qui exige d'autres mesures que la gratuité, les bourses d'études et l'introduction de travailleurs sociaux en milieu scolaire.

Les obstacles

En général, les maisons d'enseignement se disent ouvertes aux groupes popu­laires; il serait pour le moins gênant d'affirmer le contraire alors que le gouvernement annonce un système d'éducation décentralisé, au service du milieu. Mais entre la théorie et la prati­que, il y a la réalité; depuis quelque temps, l'Etat ponctue ses déclarations sur l'école démocratique par des coupures dans les subventions de la ma­jorité des OVEP et des institutions; il invite celles-ci à jouer un rôle de sup­port à la promotion collective, mais ne subventionne que les activités créditées d'enseignement et de recherche.

Cette politique de la contradiction ne fait qu'entretenir un climat de méfiance peu propice à la collaboration entre le réseau scolaire et les organismes po­pulaires.

Dans les institutions

Premier obstacle institutionnel: les ad­ministrateurs scolaires perçoivent mal la réalité de l'éducation populaire autonome. Ils comprennent difficile­ment ce travail éducatif non scolaire, spécifique aux citoyens qui prennent en charge leurs conditions d'existence. Par conséquent, ils ne voient pas pourquoi les ressources publiques devraient soutenir l'action de groupes qui les con­testent parfois, dérangent et remettent en question certaines de leurs décisions.

Appartenant pour la plupart à des milieux aisés, ils continuent à penser ex­clusivement en termes de scolarisation et de "diplômation".

Chez les enseignants

Côté professoral, le manque d'informa­tion est flagrant! Pourtant, les reven­dications populaires visant une plus grande démocratisation de l'enseigne­ment et de la recherche, et le développe­ment d'activités de support à la promo­tion collective, les touchent directe­ment. Cette situation prévaut par­ticulièrement dans les CSR, où les enseignants temps plein sont, à toutes fins pratiques, coupés de l'éducation des adultes qui est confiée à des pigistes. Par conséquent, ils se sentent plus ou moins concernés.

Dans les organismes populaires

Par expérience, les organismes popu­laires se méfient des cadeaux qui vien­nent d'en haut. Obligés de se battre constamment pour faire respecter leurs droits les plus fondamentaux, ils ac­cueillent avec une infinie circonspection les avances des autorités, qu'elles soient gouvernementales ou scolaires. Et pour cause: celles-ciont tendance a récupérer leurs initiatives, à les ins­titutionnaliser.

Ils ont souvent vu des spécialistes, du haut de leur savoir, s'arroger le droit de remettre en question leurs objectifs. leurs priorités et leurs démarches. Ils sont devenus, pour nombre de chercheurs, des objets d'analyse, des laboratoires à bon marché: car la plupart des recherches sont effectuées sur les groupes, non pas pour eux.

Les conditions de collaboration

C'est consigné, en noir sur blanc dans les politiques ministérielles: les institu­tions d'enseignement ont la respon­sabilité de développer chez les adultes la capacité de prendre en charge leur devenir. Et pour concrétiser cet objec­tif, il leur faudra, selon nous, s'adresser aux organisations populaires et syn­dicales, mettre à leur disposition les res­sources nécessaires à la poursuite de leurs projets.

Ces échanges avec les institutions ne peuvent s'établir que sur une base de compétence réciproques et de com­plémentarité. Cela suppose que soient définies, à priori, les conditions de cette collaboration: il en va de l'autonomie des groupes.

Les règles du jeu

Compte tenu de ces pouvoirs con­sidérables, il est normal que les groupes populaires souhaitent confirmer par écrit les garanties nécessaires au respect de leur autonomie et à la réalisation de leur projet. Toute entente devrait donc reconnaître les principes suivants: d'abord, la totale liberté de l'organisme, mandaté exclusivement par ses membres; liberté de s'adresser à l'ins­titution qui l'intéresse, indépendam­ment de ses choix idéologiques et politi­ques; de définir ses propres orienta­tions, ses objectifs, ses revendications et sa démarche pédagogique: d'entreprendre les actions et le travail de mobilisation qu'il juge opportun; ensuite, le contrôle, par le groupe demandeur, de l'ensemble du processus éducatif; lorsqu'il est reconnu seul gestionnaire du projet, celui-ci doit obtenir les moyens de remplir efficace­ment ce rôle; notamment, par le choix des ressources et des personnes-ressources dont il a besoin; il arrive que certaines expériences se réalisent sur la base d'une gestion bipartite par le biais d'un comité conjoint; habituellement, les parties signataires se réservent un droit de véto.

Au-delà des principes, les lettres d'ententes prévoient habituellement toute une série de clauses dont voici les plus courantes:

  • description du projet;
  • définition des obligations et des droits de chacune des parties;
  • liste des ressources d'encadrement, de coordination, d'infrastructure que l'institution s'engage à offrir;
  • modalités d'utilisation de ces res­ sources, de contrôle et gestion du pro­ jet;
  • prérogatives du groupe sur le contenu et les objectifs de la démarche, sur les choix méthodologiques et pédagogi­ ques, sur le mandat des intervenants;
  • durée de la collaboration, respect des échéanciers par les parties.

A ces garanties générales se greffent un certain nombre de clauses particulières qui tiennent davantage à la nature du projet:

  • lorsqu'un groupe fait appel aux ser­vices de recherche, de documentation ou de consultation d'une institution, il exige d'être impliqué dans la démarche du chercheur ou du consultant, qu'il doit encadrer; de recevoir, à chaque étape du travail, un rapport écrit ou oral formulé en des termes accessibles; de mettre en oeuvre les moyens pour s'approprier les outils méthodologiques utilisés; d'avoir accès au matériel ayant servi à l'étude (documents, fiches, etc.);
  • lorsqu'une initiative vise la produc­ tion d'un vidéo, d'un dossier, d'un outil didactique ou d'un rapport de recherche, ceux-ci deviennent propriété du groupe; toute utilisation par l'ins­ titution ou les auteurs doit faire l'objet d'un accord;
  • dans le cas de projet mis de l'avant par les institutions elles-mêmes, des mesures sont prévues pour que les groupes en prennent le contrôle dans les plus brefs délais;
  • quant à l'évaluation, elle comprend habituellement un rapport financier et un rapport d'activité.

CONCLUSION

Mais la poursuite de ces objectifs sup­pose qu'un financement public adéquat garantisse aux organismes populaires une infrastructure minimale et une con­tinuité dans le fonctionnement. A cette exigence préalable s'en greffe une autre, impliquant la satisfaction d'un certain nombre de revendications;

  • que soit officiellement reconnu le droit des groupes aux ressources éducatives institutionnelles pour fin de support à la promotion collective;
  • que les nouvelles missions institution­ nelles qui se développent dans cette op­ tique privilégient les milieux populaires et ouvriers, et les regroupements pour des luttes spécifiques axées sur les in­ térêts de ces milieux; que la priorité soit accordée aux régions et aux quartiers où les besoins sont les plus pressants, aux organismes et aux institutions ayant déjà une certaine expertise dans ce domaine, où les ressources risquent d'être utilisées le plus efficacement;
  • que soit créé, dans chaque établisse­ment scolaire, un service de re­ lais entre les milieux populaires et l'institution, qu'il soit doté d'un budget suffisant et d'un personnel qualifié, chargé de trouver les ressources éducatives correspondant aux besoins identifiés; que les activités réalisées dans ce cadre soient reconnues et financées au même titre que celles rat­ tachées à la scolarisation, tout en te­ nant compte de leur spécificité; que des expériences de coopération entre les ins­ titutions de même niveau et entre les divers niveaux soient promues à cette fin;
  • que l'ensemble des ressources ins­ titutionnelles soient mises au service des groupes: ressources humaines, centres de recherche et de documenta­ tion, services techniques (informatique, matériel didactique, prêts de locaux et d'équipements, etc.);
  • que les conditions d'admissibilité et les modalités de fonctionnement soient simples, claires et adaptées à leurs besoins; qu'une information adéquate soit diffusée à leur intention, par des moyens dynamiques, portant sur les ressources institutionnelles disponibles:
  • que les écoles désaffectées soient mises à leur disposition et que s'étende l'expérience des Centres d'éducation populaire financés par les commissions scolaires et contrôlés par les citoyens;
  • enfin, que soit reconnue la nécessité de prendre les mesures qui garantissent le respect de l'autonomie des groupes. Evidemment, la partie n'est pas gagnée. Le Québec a plafonné le financement de l'éducation; parallèlement, le gouvernement fédéral augmente les subventions consacrées à la formation professionnelle dans les entreprises. Or, tout semble indiquer que ce processus régressif n'en est qu'à ses débuts. Peut- être le temps est-il venu de relancer les luttes sociales sur le front élargi de l'éducation? Pour les milieux populaires et syndicaux, la réponse à cette question pourrait être déterminante.

Campeau. Daniel. Leroux. Jeanne. LA FORMATION SUR MESURE: UN INVENTAIRE-ÉVALUATION DE NOUVEAUX MODES D'INTERVENTIONS EDUCATIVES AUPRÈS DES ADULTES AU NIVEAU COLLEGIAL Fédération des CEGEPS. Montréal. 1973. 138 pages.

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Le texte qui suit est un résumé mis à jour de: POUR UNE ÉCOLE PUBLIQUE AU SERVICE DE L'ÉDUCATION POPULAIRE) juin 1979.

Membres du comité: Bélanger, Paul, Institut canadien d'éducation des adultes (ICEA). Boivin, Louise, Service d'Orienta­tion et de Référence Industrielles pour les Femmes (SORIF). Boucher, Maurice, (CSN). Breton. Guy. Faculté d'Educa­tion Permanente (FEP) de l'Université de Montréal. Campeau, Francine, Commission Scolaire Régionale Salaberry. Demoucelle, Willy, Alliance des Professeurs de Montréal. Desrosiers, Andrée, Commissions Scolaire Régionale Durivage. Dulude, Yves, Institut de Recherches Appliquées du Travail (IRAT). Fortin, Hubert. CEGEP de Limoilou. Guimond. Robert, Organisme Volontaire d'Education Populaire (OVEP). Jourdain, Micheline, Centrale de l'Enseignement du Québec (CEQ). Lemay, Michel, CEGEP de Rosemont. Pichette, Michel. Université du Québec à Montréal (UQAM) Président du comité. Routhier, Robert, Université de Sherbrooke. Vigneault, Léo. Union des Producteurs Agricole (UPA). Synthèse des travaux du comité: Lina Trudel. Texte: Claire Gauthier. Résumé et mise à jour: Nicole Lacelle. Jean-Yves Desgagnés. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes.

Illustrations:Claudius, in ATTENTION ECOLE, IDAC, Nos. 16-17, 1978: pp. 11, 13: Claudius. In TRENDS IN EDUCATION FOR DEVELOPMENT!, CCPD: p. 3; N. Charbonneaux, in POURQUOI?. No. 123. mars 1977 et No. 133. mars 1978: pp. 4. 5. 10. 14; Fiz. in LUTTES URBAINES. Vol. 1 no. 3: p. 6.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

Pour l'égalité d'accès à l'éducation d'adultes

Pour un système public d'éducation des adultes

"Les Etats-membres devraient participer à la recherche de stratégie d'éducation destinée à promouvoir des relations plus équitables entre les groupes sociaux".5

L'arrivée dans le paysage éducatif québécois d'un système public d'éduca­tion des adultes a-t-il changé quelque chose pour les 4.5 millions de personnes qui ont quinze ans et plus? Qui. parmi les femmes et les hommes des différents milieux ont pu utiliser les ressources af­fectées à l'éducation des adultes? Les­quels de leurs projets, éducatifs, in­dividuels ou collectifs, ont été ainsi facilités ou laissés en plan?

L'éducation des adultes ne se réduit pas à l'école. Il y a les autres ressources éducatives publiques et privées et il y a le travail d'éducation populaire des organismes populaires et syndicaux. Or l'organisation de ces ressources (contrôle, relation à l'école, rapport au marché du travail, financement) con­stitue aussi un enjeu réel dans le débat sur une politique démocratique en éducation des adultes.

Ce document comprend deux parties précédées d'une introduction commune intitulée "l'explosion de l'éducation des adultes".

  • première partie: pour l'égalité d'ac­ cès à l'éducation des adultes.
  • deuxième partie: pour un secteur public d'éducation des adultes.

La révolution tranquille et l'explosion de l'éducation des adultes depuis 1960

En I960, l'idée que le développement de l'éducation publique puisse être la solution au chômage ou un facteur déterminant de mobilité sociale, sinon d'égalitédes chances, faisait un consensus, sauf chez les éléments réactionnaires d'origine cléricale.6

Dans toutes les régions poussent des écoles polyvalentes, des CEGEP et, en certains endroits, des campus universitaires. La part consacrée à ce secteur d'activité au Québec-passe de 5.5% du produit national brut en 1965-1966 à 9.3% en 1971-1972. Les dépenses brutes du gouvernement québécois en éducation augmentent de $308 millions à $1.5 milliard, ce qui représentait alors 30% du budget gouvernemental.

Le secteur de l'éducation des adultes est peut-être le plus révélateur de cette période. Pratiquement inexistante ou tout au moins marginale avant 1965, la clientèle adulte des commissions scolaires passe de 144.000 inscriptions-matière en 1965-1966 à 467,000 en 1977-1978, ce qui correspond à quelques 200,000 individus.

Dans les CEGEP, cette croissance de la clientèle est encore plus marquée: celle-ci passe de 8.000 adultes en 1967-68 à 58,000 en 1976-77. 7 Notons que ce dernier chif­fre n'inclut pas quelque 4000 étudiants adultes réguliers à temps complet 8. Au niveau universitaire 9, le pourcentage d'étudiants à temps partiel par rapport à la population étudiante totale des universités est passé de 14% en 1962 à 31% en 1970 (23,500), et à 51% (86,000) en 1978-79. A ces 86,000 adultes10 , s'ajoutent 6,000 étudiant-e-s régulier-e-s à temps complet ayant plus de 30 ans11 et quelque 25.000 adultes inscrit-e-s à des cours non-crédités.

L'accroissement des budgets gouvernemen­taux révèle également cette évolution rapide de l'éducation des adultes dans le secteur public. Le budget du ministère de l'Educa­tion du Québec en éducation des adultes non-universitaire, est passé de $3.5 millions en 1965-66 à $31.9 millions en 1968-69 et $117.5 millions en 1978-79. Le fédéral y contribue pour plus de 80%.12

Le réseau public d'éducation des adultes au Québec est donc utilisé par quelques 360,000 personnes, à savoir 8% de la pop­ulation adulte totale et ces étudiants-e-s adultes se retrouvent à 55% dans les 79 ser­vices d'éducation des adultes des commis­sions scolaires régionales, 18% dans les CEGEP dont 40 ont un service d'éducation des adultes et 27% dans les universités. A cela, il faut ajouter 25,000 personnes in­scrites aux activités de formation des autres ministères.

Mais l'éducation des adultes ne se fait pas que dans le secteur public. Il y a d'abord le travail d'éducation populaire des organismes volontaires et syndicaux. Une évaluation conservatrice nous permet de dénombrer près de 300 organismes d'éduca­tion populaire au Québec rejoignant plus de 60,000 personnes tous les ans pour des ac­tivités éducatives.

Dans un pays d'économie libérale comme le Canada, le secteur privé exerce aussi un rôle important en éducation des adultes, qu'il s'agisse de formation dans l'entreprise ou d'écoles privées commerciales. Déjà en 1969-70, Statistiques Canada révélait que 17% des entreprises québécoises avaient un programme de formation13 . Une enquête plus récente menée par la Commission Adams 14 montre que ce pourcentage au Québec serait monté à 21% et qu'entre 8% et 22% des salarié-e-s y seraient inscrit-e-s chaque année.

Il y a cinq types d'écoles privées pour adultes: les écoles de formation professionnelle, les centres d'apprentissage d'une langue seconde, les écoles de formation académique, les écoles d'initiation à diverses techniques d'expression person­nelle, et enfin les écoles de conduite automobile et autres entreprises de forma­tion similaires. Si on ajoute à cela les organismes privés de formation des cadres et les maisons de consultation en manage­ment, il nous apparaît réaliste de chiffrer entre 100,000 et 200,000 les étudiant-e-s adultes inscrit-e-s à de telles écoles. Il faudrait mentionner aussi les corporations professionnelles, comme le Barreau, à qui la loi de l'Office des professions confère une responsabilité en matière de perfectionne­ment.

On peut donc considérer, selon des calculs conservateurs, qu'environ 700,000 québécoises participent à des activités systématiques de formation chaque année, à savoir 15% de la population adulte totale. Les services publics d'éducation des adultes représentent 55% de ces activités alors que l'éducation populaire autonome, contraire­ment à ce qui se passe dans les pays Scan­dinaves, demeure un secteur marginal (5%).

Conclusion

L'éducation des adultes est donc devenue une réalité visible du système d'éduction. C'est ainsi par exemple, qu'en 1976-7915, 1.339 employé-e-s à temps plein, dont 185 enseignants-e-s travaillent dans les services d'éducation des adultes des Commissions scolaires.

Ce développement d'un secteur public d'éducation des adultes représente des ac­quis importants pour les classes populaires:

  • la gratuité partielle des services publics de formation aux niveaux secondaire et collégial;
  • le développement d'un certain volume d'activités de rattrapage scolaire;
  • l'amorce d'une politique de subvention aux activités d'éducation populaire des organismes volontaires et syndicaux:
  • un programme d'allocations de forma­ tion pour les travailleurs et travailleuses sans emploi;
  • une diminution des disparités régionales par la mise en place de plus de 120 ser­ vices d'éducation des adultes au secon­ daire, au CEGEP et à l'université.
  • un début de diversification des stratégies éducatives par la mise en place de cer­ tains services à la collectivité.

Malgré ces acquis, les politiques d'éduca­tion des adultes et leur application demeurent inégales et discriminatoires.

2. Pour l'égalité d'accès à l'éducation des adultes

Un développement inégal significatif

La démocratisation de l'éducation des adultes pose la question de l'inégalité d'ac­cès mais soulevée aussi le problème de l'im­position de certains modèles d'orientation culturelle et le fait que l'on privilégie cer­tains besoins et secteurs de formation.

Inégalité d'accès à l'éducation des adultes

Voyons d'abord l'inégalité d'accès au niveau des jeunes pour mieux mesurer si l'éducation des adultes joue ou non un rôle correcteur.

Le système d'éducation québécois ne permet pas encore une égalité des chances de réussite pour les jeunes des divers milieux sociaux. Les enfants de la classe ouvrière se retrouvent surtout dans les cours allégés et réguliers des écoles secondaires 16 et sont sous-représentés (dans une proportion de un pour deux) au CEGEP et à l'université 17. Encore en 1980, seulement trois jeunes sur dix ont accès au CEGEP et un sur dix à l'enseignement universitaire. L'éducation des adultes ne corrige pas cette situation. La constatation est claire et constante. Malgré le développement spectaculaire de l'éduca­tion des adultes, les catégories les moins scolarisées d'adultes demeurent sous-représentées: même les programmes de rat­trapage des Commissions scolaires ne privilégient pas, en terme de nombre, les catégories sociales sous-scolarisées ou dis­criminées.

Alors qu'au Québec en 1971, 42% de la pop­ulation adulte avait moins de 9 ans de scolarité, cette catégorie ne représentait en­core en 1976-77 que 22% de la clientèle des services d'éducation des adultes 18. La scolarité moyenne de la clientèle de ces ser­vices publics croit sans cesse, elle était en 1976-77 de 10.36.

On constate actuellement que les formation qui recrutent les clientèles les moins scolarisées sont les programmes à temps complet et en particulier ceux de formation générale. Or ce sont précisément ces programmes qui font l'objet de coupures drastiques: la clientèle de la formation générale à temps complet passera de 24,600 en 1975 à 15,200 en 1977-78.

Le tableau 2 traduit cette même tendance: la catégorie de gens ayant 8 ans et moins de scolarité (42% de la population adulte) est constamment sous-représentée dans les programmes de formation à temps complet des services d'éducation des adultes des commissions scolaires, alors que la catégorie de gens ayant 12 ans et plus de scolarité est de plus en plus fortement représentée. Ainsi, aucun programme ne corrige la situation en sur-représentant les couches adultes sous-scolarisées.

Le tableau 3 nous montre le niveau de scolarité de la population adulte québécoise âgée de plus 15 ans. Nous y trouvons deux catégories bien distinctes: d'un côté les adultes de 10 ans et moins de scolarité qui, bien que formant le tiers de la population adulte, ne constituent que 40% de la clientèle des commissions scolaires. De l'autre côté, ceux qui ont I 1 ans de scolarité et qui constituent la clientèle-type de l'éducation des adultes secondaire, collégiale et universitaire.

Tableau I

Répartition des types de formation selon le niveau moyen de scolarité des adultes inscrits (1976-1977) dans les services d'éducation des adultes des commissions scolaires

Type de formation

Niveau moyen de scolarité

cours auto-finances

11.00

cours de longue portée

10.95

formation

socio-culturelle

10.57

formation générale

à temps partiel

10.43

formation professionnelle

à temps partiel

10.38

formation professionnelle

à temps complet

9.74

formation générale

à temps partiel

9.02

* Les statistiques incluent aussi (7% du nombre total) des étudiants adultes des collèges inscrits à des cours de formation professionnelle.

Source: Statistiques de l'éducation des adultes.

DGEA. MEQ, 1979, p. 167

Tableau 2

Programme de formation à temps plein (PFMC) Évolution du niveau de scolarité de la clientèle

Scolarité des étudiants adultes

1971-72

1973-74

1975-76

1976-77

8 ans et moins

40

3 s

39

27

25

9-11 ans

47

42

46

48

50

12 ans et plus

13

20

25

25

25

Source: Canada. CEI. Bulletin statistique annuel. PFMC. I976-77. op. cit.. p. 55.

Tableau 3

Niveau de scolarité de la population québécoise (1971) de plus de 15 ans

Scolarité

Nombre

Pourcentage

plus de 13 ans

416,255

10%

11-13 ans

1.055,615

25%

9-10 ans

975,750

23%

5-8 ans

1.438.000

34%

4 ans et moins

354.890

8%

TOTAL

4,240,510

100%

Source: Statistique Canada 1971

Tableau 4

La répartition de la population québécoise de plus de 15 ans et de la clientèle adulte des Services d'éducation des adultes dans les Commissions scolaires par niveau de scolarité, (en %)

Les enquêtes sur la clientèle adulte des un­iversités confirment la tendance générale. Les tableaux 5 et 6. tirésde deux enquêtes différentes.19 nous permettent de constater que la majorité des étudiants universitaires jeunes et adultes viennent de la grande et de la petite bourgeoisie: les enfants des cadres moyens et supérieurs y sont sur-représnetés (3 pour I) alors que les enfants des cols-bleus sous-représentés (2 pour 1). Si l'ensemble des étudiants à temps partiel proviennent de milieux légèrement moins avantagés socialement, encore là les étudiants adultes de milieux bourgeois con­tinuent d'être sur-représentés dans une proportion similaire aux étudiants réguliers alors que les étudiant-e-s adultes fils (filles) de cols-bleus continuent quand même d'être sous-représenté-e-s (2 pour I).

En d'autres termes l'éducation des adultes à l'université bien que moins discriminatoire que l'enseignement universitaire régulier, n'en constitue pas moins, un facteur d'inégalité, où les adultes d'origine sociale élevée demeurent nettement privilégiés.

Le tableau devient alors clair: les cadres supérieurs 20 et les professionnels poursui­vent leur perfectionnement surtout dans le secteur privé et en association avec les Cor­porations professionnelles, alors que l'éducation des adultes universitaires sert surtout les agents de maîtrise, les cadres moyens, les enseignants et les semi-professionnels. L'éducation des adultes est le fait d'une strate intermédiaire constituée de salarié-e-s déjà fortement qualifiée provenant de grandes entreprises du secteur tertiaire.21

Quelle est la place faite aux femmes en éducation des adultes?

D'abord dans les entreprises: si la formation qui s'y donne est d'abord destinée aux cadres supérieurs (taux de participation de 33 à 40%) par rapport aux travailleuses et travailleurs (taux de participation de 17%). cette formation est aussi discriminatoire pour les femmes. En effet, dans 6 entreprises sur 7. les femmes sont sous-représentées par rapport à leur pourcentage dans l'ensemble du personnel de ces entreprises.22

De façon générale, ce n'est pas le cas dans les services publics d'éducation dos adultes: les femmes représentent par exemple 65% de lu clientèledes services d'éducation des adultes des commissions scolaires, 47% de la population étudiante adulte à temp com­plet des Cégeps, et de 46 à 47% de la popula­tion étudiante adulte à temps partiel des un­iversités. Cependant cette accessibilité varie selon les programmes.

Ainsi que l'indique le tableau 7. si les fem­mes sont très fortement majoritaires au niveau de la formation socio-culturelle, elles demeurent nettement sous-représentées en formation professionnelle et surtout à temps complet. Le pourcentage de 57% des fem­mes inscrites à la formation générale à temps plein a sûrement diminué sensible­ment puisque depuis deux ans le gouverne­ment fédéral a coupé de 80% les allocations offertes aux femmes voulant revenir occuper un emploi sur le marché du travail.

Pour la clientèle adulte des Cégeps et des universités (tableau 8 et 9): l'éducation des adultes constitue un renforcement, sinon une caricature, de l'école régulière et du marché du travail: aux femmes l'éducation et la santé, aux hommes la qualification technique, les affaires et l'administration. Bref, si l'éducation des adultes au Québec regroupe maintenant près de 700.000 per­sonnes, les jeux sont loin d'être égaux et cela dès le pallier des commissions scolaires: l'éducation des adultes n'offre une seconde chance qu'à celles et ceux qui sont déjà significativement plus scolarisé-e-s que la moyenne et surtout à celles et ceux qui proviennent de familles aisées. L'éducation des adultes n'est pas une stratégie de rat­trapage.

Tableau 5

Répartition de la population adulte totale en rapport à la population étudiante universitaire à temps plein et à temps partiel selon l'occupation du père, (en pourcentage)

 

 

 

Etudiants

 

Population active

 

 

 

 

 

 

 

 

Temps

plein

Temps

partiel

Total

 

 

(a)

(b)

(a + b)

 

 

A) cadre supérieur

12.7

7.4

24.2

A)

 

B) cadre moyen

14.7

9.8

 

B)

10.4

C) professionnel (et semi-profesionnel)

18.0

9.8

31.5

 

11.1

D) petit propriétaire

13.5

21.6

 

D)

 

E) col blanc

13.7

18.6

44.1

 

21.4

F) col bleu (ouvrier)

27.7

32.6

 

 

43.8

Source: Dandurand, P. et Fournier, M.. CONDITION DE VIE DE LA POPULATION ÉTUDIANTE UNIVERSITAIRE QUÉBÉCOISE. Dépt. de sociologie. Université de Montréal, mai 1979.

Le développement inégal des secteurs de l'éducation des adultes

Au delà de l'accessibilité aux services, qu'est-ce qui est offert aux 4.5 millions d'hommes et de femmes au Québec?

Première constatation: l'éducation des adultes a été développée avant tout com­me un outil de gestion de la main-d'oeuvre.

Bien sûr, les programmes de formation générale à temps partiel et les activités d'éducation populaire des commissions scolaires fournissent toujours respective­ment 25 et 45% des inscriptions matières, mais, en terme de volume de formation (jeunes/groupes de formation) cela ne signifie que 15 et 22%. La formation profes­sionnelle au contraire occupe 50% de la place alors que la formation générale à temps plein, présentement à 20'», est en chute rapide. 23 Si ces programmes de for­mation à plein temps de la main-d'oeuvre24 permettent aux travailleurs (on a noté la sous-représentation des femmes: 32%) de se qualifier et de se recycler techniquement, ils leur permettent rarement de trouver un emploi dans le métier appris. Ces program­mes exercent surtout un rôle politique: une assistance sociale déguisée aux chômeurs semi-qualifiés dans des périodes où une con­joncture économique défavorable pourrait accroître le mécontentement et provoquer des crises sociales. Il n'y a pas de synthèse (et peu de rapports) entre les formations professionnelle et générale, synthèse néces­saire au développement d'un humanisme scientifique et historique.25

Tableau 6

Occupation des pères des étudiants adultes inscrits à l'Université de Montréal (1976) par rapport à l'occupation actuelle des étudiants de la population adulte globale.

Occupation du père

(n.: 1391)

Occupation actuelle

(n.: 1556)

Population active

québécoise

Cadre supérieur

13.0

.6

1.5

Petits propriétaires

17.0

2 2

7.0

Professionnels

7.0

3.0

3.0

Agent d'encadrement

14.0

21.3

16.0

Semi-professionnels

1.5

36.9

9.5

Techniciens

2.0

5.7

5.0

Travailleurs subalternes

33.0

28.2

58.0

Autres

9.0

2.0

-

Sans travail

3.5

-

-

100.0

100.0

100.0

Source: Tiré d'une publication à venir de Paquet. P. et Therrier. R. en collaboration avec Doray. P. sur la clientèle adulte à l'Université de Montréal. Bureau de recherche. Faculté d'éducation per­manente. Université de Montréal. 1980.

Tableau 7

Pourcentage des femmes inscrites au service d'éducation des adultes par type de formation (197 -7 )

NOMBRE

%

Formation générale

à temps plein

12,084

57

Formation générale

à temps partiel

37,026

60

Formation professionnelle

à temps plein

6,466

32

Formation professionnelle

à temps partiel

12,860

39

Formation

socio-culturelle

84,024

85

Cours

auto-financés

18,286

78

TOTAL

170,756

66.17

Source: Statistiques de l'éducation des adultes. 1976-77, DGEA. MEQ, 1979. p. 137.

Au niveau des cégeps, l'éducation des adultes à temps partiel est aussi d'abord une question de formation professionnelle. On. réduit les contenus de formation de base. Le nouveau mode d'intervention, la formation sur mesure, s'est développé presqu'ex-clusivement dans une perspective d'adapta­tion de la main-d'oeuvre au marché du travail26. La formation professionnelle par certificat ou sur mesure est en voie de devenir le cheval de Troie des orientations prônées dans les rapports GTX et Nadeau27 tendant à réduire les programmes collégiaux professionnels à un enseignement étroitement technique et à amputer la for­mation collégiale, initiale et ultérieure, de ses garanties de formation générale.

L'éducation des adultes à l'université ne fait pas exception a ces orientations prédominantes. Plusieurs études en effet ont constaté la prédominance de la fonction de perfectionnement professionnel. 28

La formation dans l'entreprise comporte certains programmes limités de formation professionnelle technique pour le personel d'exécution, tout en consacrant la majeure partie de ses investissements éducatifs à des formations larges destinées au personnel de direction.

Deuxième constatation: Les program­mes de support à l'éducation populaire autonome et à la promotion collective restent marginaux.

La démocratisation de l'éducation des adultes se heurte aussi à la difficulté d'utiliser les services de ces institutions autrement que sous la forme figée des cours crédités. Les programmes et expériences d'appui aux activités autonomes de forma­tion populaire et de promotion collective sont exceptionnelles. Bien sûr, il y a cer­taines percées comme des protocoles d'entente entre des universités et des

centrales syndicales ou des organismes pop­ulaires ainsi que des activités d'appui à l'éducation populaire autonome au niveau des collèges et des commissions scolaires: citons par exemple, l'intéressante ex­périence à la CECM à Montréal, de la mise en place de centres auto-gérés d'éducation populaire dans divers quartiers. Cependant ces expériences demeurent somme toute relativement limitées. D'ailleurs la restric­tion des budgets globaux de l'éducation des adultes semble affecter d'abord ces secteurs marginaux. Les coupures de budgets que viennent de subir en Ontario les deux collèges communautaires (Humber et Algonquin), maintenant forcés d'auto­financer leurs activités communautaires, ont leur pendant au Québec avec le départ raté, faute de budget, du programme d'ap­pui aux activités d'éducation populaire dans les cégeps. La disparition graduelle des programmes d'aide personnelle et d'anima­tion communautaire, (SEAPAC) donne un autre indice de cette tendance.

Donc, au début des années 1980, nous som­mes loin d'une véritable démocratisation quantitative et qualificative de l'éducation. Nous ne sommes plus en 1967-70 où des ac­tivités régionales ont pu obtenir des fonds publics et mener des expériences reconnues internationalement comme celle de TEVEC au Lac St-Jean, du BLOC 29 en Abitibi, du VIDÉOGRAPHE ou du GIV (groupe d'intervention vidéo) à Montréal.

Troisième constatation: L'éducation des adultes québécoise ignore la science et la perspective scientifique.

La science est pratiquement absente de l'éducation des adultes québécoise. D'une part la formation scientifique est nettement sous-représentée en éducation des adultes tant au niveau des collèges 30 que des un­iversités31 . D'autre part, et sans parler des groupes sociaux à qui sert la recherche scientifique32 , il faut souligner les con­tradictions de la vulgarisation scientifique actuelle.

La vulgarisation scientifique, déjà peu courante prend trop souvent un caractère anti-scientifique où ne sont divulgués que des résultats d'enquêtes, coupés de leur mode de production et souvent sen-sationalistes. Le savoir scientifique devient un savoir magique insaisissable. En un sens, l'éducation des adultes n'est pas encore pas­sée de l'ère théologico-morale à l'ère scien­tifique. Il y a division du travail éducatif entre la formation générale et la qualifica­tion technique, entre la recherche scientifi­que et la vulgarisation de savoirs émiettés. La démystification des modes de production scientifique et l'appropriation de cette perspective d'analyse est négligée au profit de l'utilisation de plus en plus fréquente de "savants et experts" universitaires comme grands prêtres d'une religion de la Science d'autant plus utiles aux pouvoirs dominants qu'ils redonnent à leurs discours le caractère d'absolu et d'effroi créé jadis par l'exploita­tion du sentiment religieux.

Tableau 8

Pourcentage d'hommes et de femmes dans la population étudiante-adulte à temps complet dans les Cégeps

 

HOMMES

%

FEMMES

%

Nombre

TOTAL

%

Secrétariat

0

100

272

100

Sciences de la santé

40

60

244

100

Arts plastiques

33

67

231

100

Sciences humaines

43

57

1532

100

Comptabilité-finances

55

45

646

100

finances

 

 

 

 

Administration

64

36

703

100

Construction

92

8

2S2

100

Techniques

97.5

2.5

613

100

• policières

 

 

 

 

•juridiques

 

 

 

 

Sciences pures et appliquées

81

19

239

100

Tableau 9

Pourcentage d'hommes et de femmes dans la population étudiante adulte de l'Université de Montréal (1976)

Discipline Sexe

Education

Sciences Infirmières

Comptabilité

Administration Gestion

Discipline Périphériques

Total

Hommes

40.9

6.6

71.8

72.2

44.0

53.0

Femmes

59.1

93.4

28.2

27.8

56.0

46.0

Total

100.

100.

100.

100.

100.

100.

Source: Le tableau est tiré d'un rapport à être publié prochainement par Paquet, P. Therrien, R. en collaboration avec Doray, P. au bureau de recherche de la Faculté d'éducation permanente de l'Université de Montréal.


De passage à Hollywood en 1931. Einstein et sa femme furent invités par Charles Chaplin à assister à la première de son film Les Lumières de la ville. La foule reconnut aussi bien le physicien, déjà mondialement célèbre, que la vedette et les acclama. "Si l'on vous applaudit" dit Chaplin à Einstein, "c'est parce que personne ne vous comprend, et moi, parce que tout le monde me comprend".

Quatrième constatation: L'imposition de modèles culturels unitaires est très discriminatoire.

On ne peut que constater la discrimination opérée par l'orientation culturelle prédominante de ce secteur de l'éducation. En effet l'éducation des adultes tant en in­stitution que dans les entreprises, est développée selon une certaine conception dominante du travail et des modèles culturels. Elle tend donc à discriminer plusieurs groupes qui ne s'y retrouvent ni dans le langage, ni dans les modes d'apprentissages, ni dans le contenu, ni dans les horaires de cours, ni dans le recrutement, ni dans l'organisation du travail et les modes de vie qui sont véhiculés.

Cela est particulièrement vrai pour les fem­mes ainsi renvoyées à leur ghettos oc-cupationnelles et à des savoirs et des méthodes marqués par toute une histoire de rapports de domination, pour les im­migrants et immigrantes forcé-e-s de s'ac-culturer sans passer par une valorisation et une réappropriation de leur langue première et ainsi coupé-e-s de leur vécu et de leur culture 33 , et pour les milieux populaires rejetés dans leur culture et qui voient décoller en bout de piste le Jet set de l'éducation des adultes avec, en première classe, une cohorte de jeunes cadres masculins en pleine promotion.

Les mécanismes de ce développement biaisé

L'absence de contrôle démocratique, le poids du financement actuel et les types de rapport entre les appareils et l'utilisateur ex­plique en bonne partie ce développement rapide, inégal et biaisé.

Absence de contrôle démocratique

Les exigences des entreprises ont d'autant plus de poids que les utilisateurs et les utilisatrices sont pratiquement absent-e-s des mécanismes de décisions.

Déjà privé-e-s au départ de tout contrôle sur la formation dans l'entreprise et dans les écoles privées commerciales, les travailleurs et les travailleuses et la population en général ont encore peu de prise sur les déci­sions touchant l'éducation des adultes dans les institutions publiques. Au niveau des commissions scolaires, malgré une modification relativement récente de leur pouvoir, l'éducation des adultes échappe pratiquement au contrôle des commissaires, à cause du type de financement parallèle qui la caractérise. Le cadre permettant la par­ticipation syndicale aux Commissions de formation professionnelle reste formel et est critiqué par les Centrales syndicales. Des tentatives de regroupement des étudiants adultes ont échoué à plusieurs reprises (1968, 1970 et 1975).

Les travailleurs et travailleuses organisé-e-s n'ont même pas un contrôle minimal sur la formation en industrie financée à même les fonds publics. Aucun mécanisme de con­sultation obligatoire des représentants syn­dicaux n'est prévu dans les normes d'ap­plication des programmes fédéraux d'aide à la formation dans l'entreprise. La partie patronale a un droit de regard aussi exclusif dans ce domaine que dans la formation financée à même ses budgets; les inspecteurs pédagogiques de la DGEA ne semblent pas y changer grand chose. Depuis 1970, cer­tains syndicats du secteur de la métallurgie et des services ont réussi à faire inclure dans leur contrat de travail une clause de perfec­tionnement; mais nous sommes encore loin du droit de négociation sur les contenus de formation. Pour que ce droit existe, dans les institutions publiques par exemple, il faudrait qu'on abandonne le type de rap­ports qui existe entre les services d'éduca­tion des adultes et leurs utilisateurs et utilisatrices, ces services fonctionnant ac­tuellement comme s'il s'agissait de mise en marché d'un produit par une entreprise auprès d'un public fortement atomisé. Et bien sûr, cela signifierait remettre aussi en question les rapports entre les formateurs et les participant-e-s. Une pédagogie conçue pour répondre aux besoins des adultes se moquerait de ce qu'on entend habituelle­ment par pédagogie. Elle se fonderait sur la mise en place de conditions concrètes de négociation des situations d'apprentissage quelles que soient les techniques et les méthodes utilisées.

Le poids des modes actuels de financement

La structure de financement actuelle privilégie les demandes des entreprises et détermine la composition actuelle de la clientèle adulte.

En effet, comment serait-il possible de promouvoir la formation générale et une formation professionnelle polyvalente alors que les programmes de formation de main-d'oeuvre sont financés à 90% et gérés par des organismes chargés d'abord de pallier à court terme au chômage? ainsi qu'à relier plus étroitement éducation et croissance industrielle.34

Si jamais le gouvernement fédéral cède aux provinces la responsabilité en matière de formation de main-d'oeuvre, cèdera-t-il en même temps la part du budget qu'il y con­sacre, à savoir un demi milliard de dollars par année? Sinon, les provinces combleront-elles la différence? Rappelons que lors des coupures récentes des allocations de forma­tion fédérales pour les femmes, une seule province, l'Alberta, a débloqué des fonds pour maintenir ce programme d'égalité d'accès des femmes à la formation de base à temps complet.

L'éducation des adultes universitaire35 ne fait pas exception à la règle. Seule les ac­tivités créditées sont éligibles au finance­ment, en fonction de calculs basés sur l'é­quivalence temps complet, et l'ensemble des programmes doit généralement s'auto­financer presque totalement. Les subven­tions que justifient le volume d'éducation des adultes créditée au niveau post­secondaire, ne vont que dans une très faible part aux activités et services d'éducation des adultes. Cela exerce évidemment une forte pression pour transformer leurs cours non crédités en cours crédités, intégrer les ser­vices à la collectivité dans les bottins de cours et fondre les activités d'éducation des adultes dans l'enseignement régulier. L'éducation populaire, le support à la promotion collective et la promotion culturelle doivent s'auto-financer et chercher des fonds rares 36 ou extrême­ment limités 37.

3. Pour un système public d'éducation des adultes

L'organisation actuelle de l'éducation des adultes et les intérêts contradictoires en jeux

Le fouillis constant n'est pas innocent

L'éducation des adultes au Québec est un véritable fouillis administratif: fédéral - provincial, ministère de l'Education - ministère de la Main-d"oeuvre - ministère du Travail, Conseil économique du Canada - Conseil supérieure de l'éducation, Com­ missions de formation professionnelle - Centre de main-d'oeuvre, écoles publiques - écoles privées et entreprises, etc.. Ces conflits de juridiction ont conduit à un tel écheveau administratif que les responsables du réseau public d'éducation n'ont pas vrai­ ment prise sur l'éducation des adultes.

Ce fouillis perdure parce qu'il a une certaine cohérence, parce qu'il permet aux forces économiques de l'aire peser leurs demandes d'adaptation de la main-d'oeuvre. La marginalité des services d'éducation des adultes, dont le statut précaire des cadres et des formateurs est un indice évident, ne peut que laisser place à l'influence prédominante des pouvoirs économiques. Ces derniers peuvent ainsi soustraire l'éducation des adultes à l'école publique pour l'orienter en fonction de leurs exigences: mesures pour pallier au chômage saisonnier, recyclage des cadres semi-professionnels, passage de fonds publics d'éducation de l'école publi­que à l'entreprise, freinage des stratégies de rattrapage, télescopage des formations professionnelles, marginalisation des services à la collectivité. Si l'emprise de ces pouvoirs économiques partielle demeure encore, c'est que les actions revendicatrices des classes populaires ont permis de freiner à leur tour l'affirmation de ces tendances: pensons par exemple aux interventions des organisations des travailleurs et travailleuses de l'éduca­tion.

Au delà du fouillis, un tableau des rap­ports sociaux

En effet, si l'expansion rapide, l'accessibilité encore très limitéeet l'orientation économiste de l'éducation des adultes que l'on commit à l'heure actuelle s'explique plus immédiatement par les structures par­ticulières de décisions et de financement de ce secteur, plus fondamentalement cette situation reflète l'état présent des rapports sociaux. Au début des années '60, le Québec avait subi des transformations profondes aux plans économique et démographique. Le déclin des acitivités agricoles s'accom­pagnait d'une prolifération des emplois reliés au secteur industriel et commercial et d'un développement rapide de la grande entreprise entraînant une intégration de plus en plus forte à l'économie américaine. Ces bouleversements socio-économiques provo­quèrent l'éclatement d'un système d'enseignement étroit et élitiste au niveau post-secondaire, inaccessibles aux adultes, bref d'un système incapable de faire face au diagnostic qui attribuait alors le chômage structurel au manque d'éducation.

Une remise en question de l'école tradition­nelle était nécessaire pour combler le retard et adapter la population active aux nouvelles structures de production. La ma­jorité populaire pensa aussi trouver dans cette transformation des réponses à ses aspirations; elle lui donna son appui et la rendit politiquement réalisable. Le rapport Parent prônait le développement de l'éduca­tion permanente pour répondre à quatre types de besoins: le rattrapage profession­nel, l'éducation axée sur la culture pop­ulaire en fonction de la civilisation des loisirs, la formation des citoyens à la vie démocratique et le perfectionnement rendu nécessaire par l'explosion des connaissances et des changements technologiques. Le dis­cours du rapport Parent traduisait cette concordance temporaire entre les besoins

des classes populaires et les impératifs d'un marché du travail nord-américain en tran­sformation et concrétisait cette alliance. La Révolution tranquille ne fut rien d'autre que ce déblocage rapide face aux retards ac­cumulés de nos équipements collectifs. Les revendications populaires en termes de rat­trapage et d'égalité de chance furent donc amalgamées aux pouvoirs économiques ex­igeant pour leur part un état moderne afin de soutenir et de régulariser leur expansion. Dès lors, le développement des structures éducatives se fit à un rythme accéléré dont on a décrit plus haut la filière éducation des adultes. Cependant si ce déblocage néces­sitait l'appui des classes populaires, il ne permit pas que ce groupe s'approprie les transformations amenées par cette vague de modernisation. Assez vite les recommanda­tions de la Commission Parent en prirent pour leur rhume. Les législations fédérales en matière de formation professionnelle des jeunes et de formation de main d'oeuvre, la législation québécoise sur la formation professionnelle (Bill 49),l'important rapport annuel du Conseil économique du Canada en 1972, les rapports Nadeau et GTX sur l'enseignement collégial en 1975, allaient tous contribuer à faire passer les revendica­tions populaires par l'entonnoir d'une politi­que étroite de main-d'oeuvre et de qualifica­tion professionnelle de type technique.

"Tout programme de formation à l'intention des adultes doit d'une part procurer aux individus la compétence qui leur est nécessaire pour s'occuper des emplois rémunérateurs et d'autre part fournir aux employeurs des travailleurs productifs dont ils ont be­soin pour soutenir la concurrence dans un monde assujetti à une rapide transformation économique et technologique". 38

C'était ce que déclarait en 1975 le sous-ministre responsable du programme fédéral de la formation des adultes. Qu'il s'agisse de (?...?)

des années 60. La contre-réforme actuelle au niveau de l'éducation s'explique: la classe patronale ne croit plus que des investisse­ments massifs en éducation peuvent con­jurer la crise structurelle de l'économie. C'est ainsi que de plus en plus à partir des années 70 on verra les milieux d'affaires in­tervenir pour plafonner les dépenses de l'école publique, pour améliorer et ren­forcer le perfectionnement de leurs cadres et pour relier de plus en plus étroitement l'école publique professionnelle à la struc­ture industrielle.

La résistance et parfois la riposte à cette contre-réforme est venue surtout des organisations de travailleurs et travailleuses de l'enseignement avec l'appui du mouve­ment ouvrier et syndical. Par le biais de mémoires peut-être, mais surtout par des campagnes d'éducation et de mobilisation, on a réussi à freiner l'empressement des responsables de l'éducation publique à répondre aux pressions des milieux économiques. On a pu maintenir une forma­tion professionnelle large plus axée sur un développement économique cohérent pour les classes populaires, on a gagné aussi cer­taines revendications et à ces premiers groupes se joignent maintenant des groupes de femmes, des groupes d'immigrants et. par-ci, par-là, des regroupements d'étudiants adultes, sans oublierles alliances qui se créent à l'intérieur même des appareils publics où certains respon­sables cherchent à axer leurs activités sur des services publics à la population.

La situation n'est donc plus celle des années 60: les grandes alliances tactiques tem­poraires avec les forces économiques ont disparues et de nouveaux rapports de force s'exercent. Comme la Commission Jean en sera le théâtre temporaire, il va bien falloir que les organismes qui défendent les intérêts des classes populaires, lui transmettent leurs revendications.

Tels sont donc les intérêts contradictoires et les forces en présence pour le débat actuel sur l'éducation permanente, tel est le terrain où se joue, à travers l'éducation des adultes, la démocratisation de l'éducation.

Les enjeux

Ce tableau de la situation nous permet de dégager un certain nombre d'enjeux.

Education des adultes - développement politique

OU

Entretien du fouillis ad­ministratifs actuel.

Education des adultes économique

Rapatriement de l'éducation des adultes a l'intérieur d'une politique générale d'éducation, con­trôle des usager-e-s et droits de négociation des contenus

Education des adultes-développement économique

OU

Adaptation con­tinue de la main-d'œuvre aux changements dans l'organisation du travail et dans les emplois

Formation de travailleurs et de travailleuses véri­tablement poly-valent-e-s et en mesure de compren­dre et d'agir sur les processus de production.

OU

Formation techni­que étroite reliée à des postes précis de travail.

Formation profes­sionnelle large permettant aux travailleurs et aux travailleuses de palier à l'absence de planification de la structure d'emploi et favori­sant une poursuite de la qualification.

OU

Rentabilisation de l'éducation des adultes et auto­financement.

Gratuité au niveau scolaire et collégial, mise en place d'un congé-éducation payé, transformation de la structure de financement pour permettre le développement de formation non-créditée, faciliter l'organisation de phase pré et post formation et é-viter que les sub­ventions obtenues pour des activités d'éducation des adultes s'engouf­frent dans les budgets généraux.

OU

Priorité aux secteurs rentables de l'éducation des adultes c'est-à-dire là où les effets sur les salaires sont les plus directs.

Priorité au rat­trapage, à la lutte contre la marginalité des sous-scolarisé-e-s, chômeurs et chômeuses chroni­ques en puissance: maintien et redéveloppement des programmes de formation à temps complet avec allocations; priorité a l'alphabétisation: accesibilité accrue aux personnes âgé-e-s.

Education des adultes- développement culturel

OU

Acculturation et assimilation.

Revitalisation des cultures des groupes dominés.

OU

Transmission des valeurs dominantes.

Apprentissage de la créativité et du pluralisme, démocratisation des médias, acces­sibilité aux ban­ques de données, promotion de l'éducation pop­ulaire autonome.

OU

Renforcement de la division du travail et de la division du savoir.

Développement de la formation de base et d'une for­mation profession­nelle polyvalente et large.

OU

Promotion d'une éducation de type "continue" qui permet d'économi­ser sur la forma­tion des jeunes.

Promotion d'une éducation per­manente offrant au départ à tous les jeunes une for­mation générale primaire et secon­daire.

Glissement vers la privatisation de l'éducation.

OU

Plafonnement des investissements publics.

Utilisation de la baisse démographique temporaire pour mettre en place diverses stratégies de rattrapage et financer d'autres modes d'utilisa­tion des ressources éducatives.

OU

Redéveloppement des écoles privées et de la formation dans les entre­prises à même les fonds publics et les avantages fiscaux.

Revitalisation de l'école publique en intensifiant ses rapports avec la Communauté et ses rapports à un développement éco­nomique qui vi­se autre chose que la croissance et la rentabilité des investissements.

La question de l'intégration des services d'éducation des adultes

Ici l'enjeu global est simple mais exige des explication. D'un côté, les tenants de l'intégration complète de l'éducation des adultes cherchent à réaliser des économies d'échelles à simplifier l'administration et a. . offrir une égalité formelle des services aux jeunes et aux adultes. De l'autre, ceux qui, tout en favorisant l'intégration des ac­tivités de formation régulière offertes aux adultes, prônent le maintien de services spécifiques d'éducation des adultes pour les raisons suivantes:

  • maintien de lieux ou l'on puisse modifier les rapports entre l'école et la com­ munauté par la diversification des modes d'utilisation des ressources (sup­ port à la promotion collective, promo­ tion culturelle, programmes spéciaux, expérimentation de programmes réguliers).
  • Organisation de services spécifiques pour les étudiant-e-s adultes (accueil, évaluation, orientation, reconnaissances des apprentissages hors écoles).
  • Possibilité d'avoir dans chaque institu­ tion publique un service qui voit à ce que l'ensemble des activités soient adaptés aux adultes.
  • Etude et promotion de nouvelles voie d'accès des adultes à la formation com­ me le passage d'un niveau à l'autre par la voie professionnelle, la généralisation de clauses spéciales d'admission pour les adultes dans les CEGEP et les univer­ sités, etc..

De fait, l'enjeu de l'organisation et de l'insertion de l'éducation des adultes dans le système public d'éducation est double: I) éviter que l'éducation des adultes devienne un secteur marginal soustrait aux exigences générales de qualité, de distances critiques et de conditions normales de travail, 2) éviter que l'éducation des adultes intégrée ne puisse favoriser le développement de stratégies éducatives diversifiées pour répondre aux besoins de la majorité des adultes.

Notre parti-pris pour l'école publique est clair. Il faut éviter que l'école publique se désagrège et à la fois lutter pour sa démocratisation. En effet l'enjeu pour les classes populaires ne peut être l'abolition de l'école sous prétexte de "libérer" l'appren­tissage. La théorie de Yvan Illich a permis de déceler quelques effets importants d'un surscolarisation, mais, prenant des effets pour des clauses, elle conduit à appuyer les tenants du retour aux écoles privées. Evidemment, le projet d'asseoir passive­ment et à perpétuité les 4.5 millions d'adultes québécois-e-s devant leur télé ou sur des bancs d'école ne correspond en rien à une éducation permanente démocratique. Mais, il n'est pas obligatoire que l'école soit plate, élitiste, sexiste et bureaucratique. Si elle est telle et se maintient telle dans l'ensemble, c'est que cela sert bien le statu quo social et les groupes sociaux qui en tirent avantage. Ceux-ci optent pour une école conçue sur les modèles industriels de rentabilité et résistent toujours, comme on l'a vu. à y créer des conditions objectives permettant d'y faire un travail de qualité, de démocratiser l'école afin qu'elle devienne à son tour un outil de démocratisation de la société.

Ce débat est central pour nous. Sur les fronts de l'éducation, des communications et de la culture, il y a lutte constante des classes populaires afin de dégager des es­paces autonomes de création et de com­munication, afin d'avoir accès aux grand médias et aux appareils culturels, afin de se donner les outils et la capacité nécessaires "pour reprendre en mains collectivement la maîtrise et la transformation de notre en­vironnement et construire une société dans laquelle chaque individu et chaque collec­tivité peut réaliser son potentiel à tous les niveaux".39

Texte: Paul Bélanger, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses

Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.

Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.

Illustrations: Ellefsen, in FORCES, No. 16, 1971: p. I; P. Gentil, in COURRIER DE L'UNESCO, avril 1979: p. 2; EDUCATION ET CULTURE. No. 23, 1973: p. 3 et No. 28, 1975: p. 4 Claudius, in ECOLE, SOCIETE, AVENIR, IDAC, 19-20: p. 5; Claire Beaugrand-Champagne: p. 6: Office du Film du Québec: p. 8; Ullstein, in COURRIER DE L'UNESCO, mai 1979: p. 10: CFDT: p. 10: M. Antman. in COURRIER DE L'UNESCO, juin 1978: p. 12; Laville. in LA FORMATION CONTINUE, CFDT: p. 13: Claudius. in ATTENTION ECOLE, IDAC, 16-17: p. 16.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE

4. La formation professionnelle des adultes

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Marcelle a 25 ans, est mariée, et est sténo-dactylo à la compagnie d'as­surance LES IMPRÉVOYANTS. Ca fait trois ans qu'elle fait le même travail, dans la même entreprise, assise au même bureau. Le surintendant vient d'annoncer que la compagnie est en banqueroute et qu'on ferme dans six mois au plus tard. Il faut que Marcelle se trouve un emploi. Pourquoi pas un nouvel emploi, en comptabilité par ex­emple? Il faut que Marcelle prenne des cours! Aux IMPRÉVOYANTS, il n'y a jamais eu de budget pour la formation du personnel. Au Centre de main-d'oeuvre, on lui dit qu'il y a des cours à temps plein en comptabilité. Mais elle ne peut pas quitter son emploi et vivre avec $10. par semaine d'allocation. Il y a des cours du soir, gratuits, mais Marcelle est refusée parce qu'elle n'a pas d'expérience de travail dans ce domaine. On lui suggère d'aller au CEGEP directement. Elle tente sa chance mais avec sa 9ième année, elle n'a pas la scolarité requise pour l'accès au collégial. Marcelle va rester aux IMPRÉVOYANTS et attendre de se trouver une autre job, autant que possi­ble de sténo-dactylo classe 3. mais elle aura perdu son ancienneté. Cette histoire inventée de toute pièce est peut-être un cas limite, mais se produit quand même quotidiennement pour des milliers de travailleurs et de travailleuses, de gens en chômage et de ménagères dont les aspirations profes­sionnelles sont irréalisables pour toutes sortes de raisons. Pourtant, les programmes de formation sont assez développés au Québec! Mais pour en démocratiser l'accès, pour faire en sorte que les travailleurs et travailleuses pren­nent en main de façon autonome leur développement professionnel, pour que les contenus de cours correspondent à leurs besoins, il faut repenser ce système.

LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU COMPTE-GOUTTE

Depuis une quinzaine d'années, au Québec, des programmes de formation professionnelle pour adultes se sont développés à l'initiative des deux palliers de gouvernement, fédéral et provincial.

On a donc deux filières principales pour avoir accès à ce genre de cours: le programme fédéral de formation de la main-d'oeuvre du Canada (PFMC), qui touche plus de 100,000 personnes cha­que année au Québec, et le réseau du ministère de l'Education du Québec. Le PFMC a cinq sous-programmes dont quatre sont exclusivement axés sur la formation professionnelle des adultes: les cours de formation professionnelle à temps plein et à temps partiel, des cours en industrie et les cours pour apprenti-e-s. Sauf pour les cours en industrie, tous sont donnés dans les commissions scolaires et les cégeps.

De son côté, le ministère de l'Education (MEQ) a lui aussi ses programmes pour adultes, à travers les commissions scolaires, les collèges et les universités. Nous n'essayerons pas de démêler le problème complexe des responsabilités de chaque réseau et des rapports entre les deux structures gouvernementales. Les intéressé-e-s pourront se référer à d'autres documents pour cela40.

Parallèlement à ces deux filières prin­cipales, il en existe une troisième, non publique, formée des programmes de formation des entreprises. C'est une filière relativement importante puis­qu'elle touchait en 70 près de 150,000 travailleurs et travailleuses et que ce nombre a certainement augmenté.41 Nous n'avons pas l'intention de faire le portrait de ces filières de formation, mais plutôt de regarder comment cer­taines catégories importantes de la po­pulation laborieuse a accès à ces filières et à quelles conditions. C'est de ce point de vue que nous verrons ensuite les autres enjeux que pose la formation professionnelle.

Les chômeurs et chômeuses

II y a en moyenne autour de 300,000 chômeurs et chômeuses au Québec. Si on accepte l'hypothèse qu'ils sont rares à pouvoir se payer des cours dans le réseau scolaire, c'est naturellement vers le PFMC qu'ils vont se tourner. Selon des données compilées par l'ICEA pour les dernières années,42 sur la base des statistiques gouvernementales, plus de 20,000 chômeurs et chômeuses participeront à des cours de formation professionnelle, dans deux programmes principaux: les programmes de formation profession­nelle à temps plein (13,000 chômeurs inscrits en 1977-78), et le programme de formation en industrie (environ 8,000 en 1976-77).

Le programme à temps plein offre des cours de longue durée - maximum 52 semaines - dans des métiers enseignés dans les commissions scolaires. L'intéressé-e doit cependant satisfaire aux exigences minimales de scolarité (études primaires ou l'équivalent), être âgé-e de 16 ans et avoir quitté l'école depuis au moins un an. Si elle n'a pas la scolarité requise, la personne en chômage pourra peut-être être retenue pour des cours de formation générale préparatoires à la formation profes­sionnelle.

Des allocations sont allouées aux stagiaires à temps plein. Elles sont minces - entre $10 et $125. par semaine - et un tableau comparatif des coupures décrétées en 1978 montre qu'elles défavorisent particulièrement les jeunes et les femmes demeurant chez un parent ou conjoint.

ALLOCATIONS AVANT OCTOBRE 1978

ALLOCATIONS DEPUIS OCTOBRE 1978

Personnes sans pers.

à charge, logées chez

parents ou conjoint

$45.

$10.

Personnes seules,

sans personne à

charge

79.

60.

Personnes seules, avec

1 personne à charge

90.

80.

2 personnes à charge

97.

95.

3 personnes à charge

103.

122.

4 personnes à charge

109.

125.

Depuis 3 ans, les changements apportés au mode de financement de ces alloca­tions ne favorisent pas l'accès au programme. Alors qu'auparavant le chômeur recevait des allocations pour la durée de son cours et pouvait exercer par la suite son droit aux prestations d'assurance-chômage, depuis deux ans, le stagiaire en chômage ne reçoit que sa propre prestation d'assurance-chômage et épuise sa caisse pendant sa période de formation. Les chômeurs se trouvent ainsi à se payer eux-mêmes des alloca­tions d'étude!

Il y a aussi le programme de formation en industrie. Le stagiaire est payé par l'employeur au salaire en vigueur dans l'entreprise - lequel est remboursé en partie par le gouvernement fédéral. C'est un stage pratique, en production, style formation sur le tas, non certifié par un diplôme et sans garantie d'emploi. C'est en fait un programme non pas de formation professionnelle mais d'insertion dans l'entreprise, - où le stagiaire n'a pas grand chose à dire sur son programme de formation.

Les travailleurs et travailleuses en emploi

Les travailleurs en emploi qui désirent participer à des cours de formation professionnelle n'ont pratiquement d'autre choix que de prendre des cours le soir, après les heures de travail en coupant sur leurs périodes de repos et leur vie sociale. On peut donc penser que ce seront les plus disponibles, ceux et celles qui ont les emplois les moins astreignants qui vont pouvoir utiliser ces possibilités.

En fait, 50,000 travailleurs et travailleuses environ en 1976-77 profitaient des cours organisés par le PFMC et quelques milliers d'autres (on n'a pas de données précises) s'inscrivent d'eux-mêmes dans les commissions scolaires, les CEGEP ou les universités. La gamme des cours payés par le PFMC est plutôt large mais c'est un programme de perfectionnement ouvert seulement à ceux et celles qui ont une formation de base et de l'expérience de travail dans l'option choisie. Les autres doivent se débrouiller par leurs propres moyens. Un problème peut se poser: les exigences académiques, qui, bien qu'as­souplies pour les adultes au collégial, demeurent un obstacle pour les moins scolarisé-e-s, c'est-à-dire pour un très

grand nombre de travailleurs et de travailleuses qui n'ont pas fini leur secondaire par exemple. Dans l'entreprise, l'employeur peut organiser des activités de formation, parfois subventionnées par le PFMC (formation en industrie). L'employeur est seul à décider de qui y participera, et il détermine aussi le type de forma­tion. Le système s'applique au mérite et est gardé jalousement à l'écart de ce qui est négociable avec le syndicat. Règle générale, il s'agit de formations techni­ques pour les cadres, spécialistes et agents de maîtrise et de formations sur le tas pour les employés de production, la plupart du temps non certifiées et non transférables ailleurs parce que très étroitement liées à une tâche.

Les femmes

Selon des données compilées par le Conseil du statut de la femme et par nous-mêmes43, les femmes sont large­ment défavorisées en ce qui concerne la formation professionnelle. Par exemple, les programmes du PFMC de formation professionnelle ne comptaient que 29.5% de femmes en 1975-76 et rien ne permet de penser que cette proportion ait bien changé. De plus, elles ont un choix d'options beau­coup plus restreint que les hommes. Ainsi, dans le programme de forma­tion professionnelle à temps partiel du PFMC, sur 300 à 400 options possibles, à peine 60 comptent une proportion de femmes relativement importante et quatre options à elles seules regroupent 43% des femmes. Celles-ci - sténo­dactylo bilingue, commis dactylo, commis-comptable, techniques infir­mières - correspondent à des ghettos d'emploi qui leur sont réservés sur le marché du travail.

La majorité des options leur sont inter­dites parce que seules les personnes qui veulent se perfectionner dans leur métier ou occupation ont accès à ce programme: les femmes ne peuvent donc pas se recycler dans d'autres op­tions ou métiers occupés par les hom­mes. Le système reproduit les pratiques discriminatoires du marché du travail. Il faut souligner enfin que. dans l'ensemble des programmes publics, les femmes se retrouvent toujours plus sou­vent dans ces cours à temps partiel que les hommes, à cause notamment du manque d'argent, des charges familiales, du manque de garderies (sur­tout le soir), des critères d'accès, etc…

Et les autres

Bien d'autres groupes sociaux ont des aspirations difficilement réalisables dans le cadre actuel. Mentionnons par exemple le cas particulier des producteurs agricoles. Jusqu'en 1978, environ 7,000 producteurs agricoles étaient éligibles aux allocations versées par le programme de formation profes­sionnelle à temps plein du PFMC pour des sessions spécialisées de 5 à 10 jours ou pour des blocs de 25 jours, suivis durant l'hiver. Ces allocations étaient coupées en 1979, éliminant du même coup les possibilités offertes par ce programme.

LES ENJEUX DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE POUR LES CLASSES POPULAIRES

Démocratiser l'accès à la formation professionnelle

On sait qu'en 1971, 75% de la popula­tion n'avait jamais suivi de cours de for­mation professionnelle ou en avait suivi pendant moins de 3 mois.44 Pour les travailleurs et les travailleuses, les changements technologiques, l'af­faiblissement des secteurs d'activités traditionnels (textiles, cuir, chaussure), les fermetures d'usine, entraînent l'insécurité d'emploi, la déqualification de leurs connaissances, le chômage et l'appauvrissement. La formation professionnelle est donc l'un des moyens par lequel ilspeuvent se prémunir contre certaines consé­quences néfastes des soubresauts économiques. Et cela est particulière­ment vrai en période de crise économi­que.

La formation professionnelle est donc une nécessité et un droit. Il y a des ac­quis à consolider. Les programmes ac­tuels en sont, malgré leurs faiblesses évidentes. Il faut élargir l'accès à ces programmes et en libéraliser les critères d'admission.

On doit mettre un terme aux conditions qui confinent les femmes dans ces options-ghettos et favoriser leur accès libre à tous les métiers, y compris ceux qui sont traditionnellement réservés aux hommes. Pour les femmes, cela ne signifie pas faire la preuve de leur compétence et de leurs capacités physiques et intellectuelles mais surtout pouvoir exercer les métiers les plus rémunérateurs.

Au niveau des moyens, il y a bien sûr le congé-éducation payé45 . D'autres pratiques sont aussi intéressantes; la négociation de clauses de perfectionne­ment, qui mettent à la disposition des travailleurs et travailleuses des fonds destinés à leur perfectionnement ou à leur recyclage.

Enfin, on pourrait s'inspirer des prati­ques étrangères et appliquer au Québec des politiques de correction - genre positive action ou outreach programs comme aux Etats-Unis ou en Suède - mobilisant des ressources particulières pour faciliter l'accès des catégories sociales défavorisées à la formation professionnelle.

Prendre en charge notre développement professionnel

Si on y regarde de près, il est pour le moins curieux que les décisions concer­nant la formation professionnelle des adultes soient toutes prises par des organismes et des appareils qui n'ont jamais de comptes à rendre sur ce sujet. C'est une conception de la démocratie un peu trop étriquée pour ne pas être questionnée.

La démocratisation de la formation professionnelle passe par la prise en charge directe par les usager-e-s des décisions et des choix qui touchent leur développement professionnel. C'est à eux de déterminer leurs besoins et de choisir les moyens pour y répondre.

Cela signifie remettre en question le contrôle exclusif de l'Etat et des entreprises sur les activités de forma­tion.

Les moyens de reprendre en main cet outil qu'est la formation professionnelle sont à inventer. Bien qu'encore marginales certaines tentatives en ce sens peuvent nous inspirer.

Par exemple, des ententes entre l'Union des producteurs agricoles (UPA) et cer­taines commissions scolaires ont permis à l'UPA d'avoir son mot à dire dans le contenu des programmes de for­mation destinés à ses membres et don­nées par ces commissions scolaires. Bien que ces ententes n'aient pas été reconnues légalement et officiellement, elles donnaient également un certain droit de regard à l'UPA sur le choix de certains formateurs et permettaient d'aménager le contenu des cours pour qu'on y parle par exemple du syn­dicalisme agricole au Québec.

Des pratiques analogues existent dans l'industrie, où des clauses de perfection­nement ont été négociées en cas de changements technologiques. Ces clauses prévoient le déblocage de fonds utilisables par le syndicat (et l'employeur) pour la formation des salarié-e-s.

D'autres groupes vont plus loin et inter­viennent directement dans la constitu­tion des programmes qui concernent leur branche occupationnelle. C'est le cas du secteur de l'imprimerie par ex­emple.

Ces quelques exemples montrent qu'il est possible de commencer dans nos milieux respectifs à prendre en charge les conditions de notre formation professionnelle. Il faut élargir ces ac­quis et inventer de nouveaux moyens. L'opposition sera tenace parce que l'en­jeu est important. Ces hypothèses remettent en cause de fond en comble les croyances gouvernementales selon lesquelles les investissements en forma­tion professionnelle doivent avoir un impact immédiat sur la croissance économique et la diminution du chômage et elles mettent en pleine lumière la faillite de cette orientation, puisque le chômage n'a jamais diminué depuis 10 ans et que la croissance économique reste très faible.

Pour une qualification large

Une réflexion sur la formation profes­sionnelle ne peut manquer de remettre en question le contenu et la finalité de la formation actuellement dispensée. Or cette formation est trop souvent axée sur les intérêts à très court terme de l'entreprise, c'est-à-dire sur des tâches précises et restreintes, au nom de l'adaptation nécessaire de la main-d'oeuvre aux réalités du travail. Tou­jours au nom de ce principe, de plus en plus remis en cause d'ailleurs, on ne donne à la formation professionnelle que des objectifs de savoir-faire et on oublie de donner des connaissances plus larges qui permettraient aux travailleurs et travailleuses d'acquérir la maîtrise du métier, des techniques, du processus de production.

Ce genre de formation professionnelle est en fait hérité directement des méthodes d'organisation du travail tayloristes et néo-fordistes caractérisées par la séparation du travail de conception et du travail d'ex­écution, par la parcellisation des tâches entre les travailleurs au point qu'aucun d'entre eux ne peut comprendre le processus de production dans son en­tier, avoir de l'emprise sur lui.Ainsi, les travailleurs ne peuvent le transformer en fonction de leurs intérêts.

De ce point de vue, la formation profes­sionnelle a suivi la même voie: on a compartimenté et multiplié les options, on a séparé en deux filières étanches l'apprentissage des métiers (niveau secondaire) et l'apprentissage des techniques (niveau collégial).

Mais peut-on se contenter de ce projet d'éducation? Dans son mémoire à la Commission d'enquête sur le congé-éducation, la FTQ disait que:

"Ce que les travailleurs attendent va au-delà de ce qu'on leur offre actuellement. Ils demandent en tant que citoyens à part entière et en tant que membres de leurs organisations syndicales des programmes les aidant à mieux comprendre les enjeux toujours plus complexes de notre société moderne et à participer pleine­ment aux décisions qui les concer­nent. Ils ne peuvent se satisfaire de programmes orientés ex­clusivement en fonction des be­soins des employeurs et qui visent uniquement à un simple ajuste­ment de la main-d'oeuvre aux impératifs des procédés de travail. Ils demandent une forma­tion sur mesure, polyvalente, générale et transférable. Ils veulent aussi une formation criti­que, leur permettant de faire des choix éclairés en fonction de leurs propres intérêts." 46

Voici aussi un autre point de vue, celui de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) défendant la thèse que la formation trop orientée sur l'ajustement aux modes de production n'est pas rentable à long terme, ni pour les travailleurs ni pour la société:

"Dans le contexte étroit de be­soins en évolution rapide de main-d'oeuvre spécialisée, un système d'éducation récurrente pourrait apporter la souplesse voulue. Cela ne revient pas à appliquer des programmes qui dispensent de nouvelles compétences profes­sionnelles ou à adapter ces com-pétences à une évolution technologique. L'expression "compétences professionnelles" a une connotation étroite qui n'est pas compatible avec la nature et l'orientation d'une politique d'éducation récurrente: la souplesse professionnelle qui est nécessaire dans la société technologique pendant toute une carrière professionnelle exige au­tant d'attitudes nouvelles de juge­ment quant aux aptitudes, de planification de la carrière et de capacité d'opérer des choix judicieux que de compétences et de connaissances professionnelles stricto sensu."47

Les contenus de cours de formation professionnelle doivent être complète­ment repensés, enrichis en fonction des intérêts de ceux et celles à qui ils s'adressent. Et par eux. En s'inspirant du précédent créé par l'UPA, il est pensable d'intégrer dans les cours de formation professionnelle des contenus généraux, sur des sujets socio-économiques (sécurité-santé, droits sociaux et législation ouvrière, syndicalisme, etc.).

Les responsabilités gouvernementales et patronales

La question du rapatriement au Québec du programme fédéral pourrait prendre beaucoup de place dans les débats de cette année, d'une part parce que la Commission Jean sur l'éducation des adultes a pour mission d'étudier cette hypothèse et d'autre part parce que le gouvernement au Québec considère que c'est le premier geste à poser dans ce domaine.

On peut penser en effet que le rapatrie­ment du PFMC mettrait fin à l'ingérence fédérale dans le domaine de l'éducation, réservé aux provinces par la constitution, et à un dédoublement de structures qui n'aide aucunement les usager-e-s à s'y retrouver dans les dédales administratifs.

Le rapatriement effectué, il resterait en­core à décider quel ministère serait le maître d'oeuvre de ce programme: ministère du Travail ou de l'Education? Les deux en réclament la responsabilité.

Pour nous, un éventuel remplacement du PFMC par un programme québécois (PFMQ) n'aurait pas de portée très significative si le program­me devait rester fondamentalement le même. Or justement, les documents gouvernementaux portant sur ce sujet depuis quelques années48 ne permet­tent pas de croire que les grands objec­tifs du programme seraient modifiés, que les discriminations seraient éliminées et que les usager-e-s auront plus de place dans la détermination des besoins et des contenus.


Ces documents illustrent quand même des approches différentes entre le ministère du Travail (MTMQ) et le ministère de l'Education (MEQ). qu'on peut résumer rapidement autour des points suivants: pour le MTMQ, le PFMQ doit être restreint à la lutte au chômage structurel et il y a des coupures à faire dans les programmes existants. Il vise à corriger l'offre de main-d'oeuvre et à répondre aux be­soins à court terme du marché... Selon le MTMQ, le marché du travail est un mécanisme qui tend à l'utilisation max­imale des ressources... et les conven­tions collectives sont un obstacle aux changements technologiques, à la mobilité des travailleurs et à leur perfectionnement!

Pour le MEQ. le PFMQ doit être rapatrié tel quel, dans un premier temps... Il doit viser l'amélioration générale de la qualification profession­nelle et doit tenir compte des intentions des travailleurs (mais sans dire com­ment) et de la demande du marché... Si l'on s'en tient à ces documents d'intention, documents internes, on voit que le gouvernement du Québec est loin d'une conception de la formation professionnelle des adultes qui se rap­proche des exigences de démocratisa­tion que nous mettons de l'avant. Raison de plus pour amener le débat sur ce terrain.

Conseil du statut de la femme, L'ACCÈS À L'ÉDUCATION POUR LES FEMMES DU QUÉBEC. Editeur officiel. Québec. 1976.

ICEA, LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC. UN PORTRAIT COMMENTÉ DES RESSOURCES OFFERTES AUX TRAVAILLEUR-EUSE-S ET CHOMEUR-EUSE-S. juin 1979.

Travail Canada. L'ÉDUCATION ET LES TRAVAILLEURS CANADIENS. Rapport de la Commission d'enquête sur le congé-éducation et la productivité, juin 1979.

MEQ, LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU QUÉBEC, document de consultation, février 1980.

LECTURES D'APPOINT

Lizée, Michel et Rose-Lizée, Ruth, LA DÉMOCRATISATION DE L'ÉDUCATION. QUÉBEC: UNE ÉTUDE DE CAS EN AMÉRIQUE DU NORD, décembre 1978 (à paraître à l'Unesco - Paris). CEQ, LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU QUÉBEC: CRITIQUE DU PROJET DE POLITIQUE DU MEQ. mai 1980.

CG 115

DGEA, UN PROGRAMME INITIAL DE FORMATION DE LA MAIN-D'OEUVRE DU QUÉBEC (PFMQ). octobre 1978. MTMQ, POLITIQUE RELATIVE À UN PROGRAMME DE FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES DU QUÉBEC, avril 1979.

Conseil du statut de la femme, POUR LES QUÉBÉCOISES: ÉGALITÉ ET INDÉPENDANCE, Québec. Editeur officiel. 1978. OCDE, L'ÉDUCATION RÉCURRENTE: UNE STRATÉGIE POUR UNE FORMATION CONTINUE. Paris. 1973. Chariot, Bernard, L'ÉCOLE AUX ENCHÈRES, Paris, Payot, 1979.

Texte: Richard, Nantel, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses

Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.

Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.

Illustrations: Laville, in LA FORMATION CONTINUE, CFDT/Pratique syndicale, Paris 1978: pp. 1. 4. 6. 8: CFDT-MAGAZINE, No. 40, juin 1980: p. 2.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

5. Pour un congé-éducation payé

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Congé pavé, tout le monde sait ce que ça veut dire. Congé-éducation payé, par contre, est une expression qui ne nous est pas familière. Cela signifie que quelqu'un aurait droit de quitter tem­porairement son emploi en continuant de recevoir un salaire, pour consacrer ce temps à une activité éducative de son choix.

Le congé-éducation payé, ce n'est pas une utopie. Ca ne veut pas dire qu'on va vider les usines du Québec et renvoyer tout le monde sur des bancs d'école! C'est plutôt un moyen pour démocratiser l'accès aux ressources éducatives pour ceux et celles qui n'y ont pas accès dans les conditions ac­tuelles. C'est aussi une façon de remet­tre entre les mains des classes popu­laires le plein contrôle de leur dévelop­pement éducatif et culturel. Le congé-éducation payé existe dans plusieurs pays d'Europe. Des percées sont aussi réalisées au Québec depuis quelques années.

Comment consolider et élargir ces ac­quis en s'inspirant des pratiques exis­tantes ailleurs et ici?

LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DU CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ

La définition la plus généralement ac­ceptée du congé-éducation payé est celle adoptée par l'ONU et plus précisément par l'Organisation Inter­nationale du Travail (OIT) en 1974:

"... un congé accordé statutaire­ment à un travailleur à des fins éducatives, pour une période déterminée, pendant le temps nor­mal de travail, sans perte de bénéfices marginaux et avec versement de prestations finan­cières adéquates". 49

Cette définition comprend tous les élé­ments essentiels du congé-éducation payé, s'inspire du droit à l'éducation pour les travailleurs et les travailleuses et présuppose que ces dernier-e-s ont besoin d'être dégagé-e-s de leur tâche de travail pendant certaines périodes pour rendre effectif leur droit à l'éduca­tion. Soulignons que dans l'expression "fins éducatives", l'OIT englobe les formations générale, professionnelle et syndicale, qui sont toutes reconnues légitimes et nécessaires, précise que le choix de la formation dépend des be­soins de l'individu et relève de lui seul... Il s'agit donc d'une formule permettant aux travailleurs et aux travailleuses de prendre en charge leurs aspirations éducatives et culturelles.

SES APPLICATIONS PRATIQUES EN EUROPE

Avant même que l'OIT adopte la Convention 140 sur les congés- éducation et encore plus après, de nombreuses formules de congé-éducation payé ont été expérimentées en Europe. L'examen de certaines d'entre elles peut nous permettre de voir la portée concrète du congé-éducation payé, ses avantages pour les travailleurs et les travailleuses ainsi que ses limites. 50

En Italie

II n'y a pas, en Italie, de législation donnant droit au congé-éducation. C'est par la voie des négociations collec­tives que, depuis 1973, les syndicats italiens ont obtenu pour leurs membres un congé-éducation payé de 150 heures Les syndicats ont pu négocier une banque d'heures équivalente à la somme de 10 heures par salarié-e-s par année. Dans les limites de cette banque, chaque travailleur a droit à un congé payé d'une durée maximale de 150 heures, à condition que la formation envisagée ait une durée au moins double de celle du congé demandé. Le nombre de travailleurs pouvant bénéficier simultanément d'un congé ne peut ex­céder 2% de l'effectif de l'entreprise. C'est l'entreprise qui paie les salaires et l'Etat, les frais de cours. Le mécanisme de gestion du congé est double. Le syn­dicat s'occupe de l'information aux membres, recueille les demandes et les transmet à l'entreprise. Celle-ci n'a de contrôle sur le régime de congés que par la vérification des conditions d'ac­cès et d'exercice du congé telles que définies dans la convention collective. Les bénéficiaires du congé sont très majoritairement des salarié-e-s de l'entreprise.

Ce gain devait viser à améliorer le niveau culturel des membres afin de favoriser le développement d'une nouvelle culture ouvrière. L'objectif était aussi de transformer l'école afin de l'adapter aux besoins des travailleurs et de transformer l'organisation du travail par une meilleure compréhen­sion du processus de production. Les cours organisés pour les travailleurs vont donc de la formation générale de base (rattrapage scolaire) à des sessions sur l'organisation du travail, la condi­tion féminine, l'histoire du mouvement ouvrier, l'économie, etc..

En Belgique

Le système dominant dans ce pays est le crédit d'heures, instauré par une loi en 1973, et qui permet aux salarié-e-s de s'absenter de leur travail pour suivre des cours de promotion sociale. Ce sont en très grande partie des cours techni­ques et professionnels mais depuis quel­ques années, on note une ouverture du côté de l'enseignement général.

Le crédit d'heures n'existe que pour les salarié-e-s à plein temps et âgé-e-s de moins de 40 ans. Il est facile de voir que ces conditions visent à favoriser les gens définis par l'Etat comme étant produc­tifs et donc à rentabiliser au maximum la formation offerte.

Le ou la salarié-e choisit le cours qu'il ou qu'elle désire suivre, mais à condi­tion que ce cours fasse partie d'une liste établie par le gouvernement. Le cours doit durer au moins 90 heures, étalées sur un an. Le conseil d'entreprise voit à organiser les absences de façon à ne pas nuire à la production. Le calcul du con­gé se fait de la façon suivante: au cours de la première année de formation, le ou la salarié-e a droit à un crédit d'heures égal au quart de la durée du cours, la deuxième année à la moitié de la durée du cours et la troisième année à un crédit d'heures égal à toute la durée du cours.

Pendant ce congé, le salarié a droit à son salaire jusqu'à concurrence d'un plafond fixé par la loi (28,OOOFB) et ses avantages sociaux sont maintenus. Le financement du système est assumé par une caisse dans laquelle le patronat et l'Etat versent chacun 0.5% de la masse salariale. Les cours sont gratuits mais ne sont souvent disponibles que le soir. Par conséquent, ils n'entraînent pas nécessairement l'absence du travail et le crédit d'heures manque son but. Cette insuffisance du système, avec le fait que le choix de cours est limité, explique que la formule soit peu utilisée en ce moment. Enfin, signalons que la forma­tion syndicale fonctionne aussi sur la base d'un système de crédit d'heures, mais de façon tout à fait indépendante du système précédent. Nous n'avons pas d'information sur l'ampleur des ac­quis de ce côté.

En Suède

Les travailleurs de certains secteurs professionnels ont obtenu depuis longtemps le droit au congé-éducation, grâce à des clauses négociées dans leur convention collective. C'est pour étendre ce droit à tous les salariés-e-s que le gouvernement est intervenu par voie législative en 1974. L'objectif prin­cipal du congé-éducation est l'égalité des chances: permettre à ceux et celles qui ne l'ont pas pu de compléter leurs études secondaires et d'améliorer leur qualification. Le congé vise aussi à permettre aux salarié-e-s d'exercer les pouvoirs qui leur sont reconnus dans l'entreprise, au niveau de l'organisation du travail par exemple. Enfin, il doit as­surer la participation de tous et de toutes à la vie sociale et politique.

Les formations possibles dans ce cadre sont très diverses, d'ordre profession­nel, général, culturel, politique et syn­dicale. Les conditions d'accès et d'exer­cice du congé sont simples: le demandeur doit avoir 6 mois d'ancien­neté dans l'entreprise; l'employeur ne peut refuser une demande mais tout au plus la retarder. Aucune limite de durée n'est fixée et l'emploi est protégé pen­dant l'absence.

Pour le congé-éducation, la loi suédoise reconnaît un simple droit d'absence non-rémunéré mais il existe plusieurs façons d'obtenir une rémunération pen­dant l'absence. Certaines conventions collectives prévoient le maintien du salaire de la personne en congé. Des allocations sont offertes par l'Etat, à même une caisse financée en partie par une taxe sur les entreprises (0.25% de la masse salariale). Enfin, les salarié-e-s qui ne peuvent obtenir d'allocation ont droit aux bourses d'étude au même titre que les étudiant-e-s.

Signalons enfin que les syndicats sont impliqués également dans la gestion du congé-éducation. Ils sont représentés dans les comités d'éducation régionaux qui distribuent les allocations gouvernementales dont on vient de parler. Au sein de l'entreprise, ce sont des organisateurs d'études élu-e-s par les salarié-e-s qui informent et recrutent les intéressé-e-s pendant les heures de travail.

En République fédérale d'Allemagne

L'Allemagne est une fédération de onze provinces où le gouvernement central est responsable de la formation profes­sionnelle par le biais des politiques d'emploi et de développement économi­que. Le gouvernement fédéral n'a pas instauré de politique de congé-éducation. Ce sont donc les provinces qui ont pris cette initiative de même que les syndicats dans leurs conventions collectives. Cinq provinces ont légiféré jusqu'à maintenant sur le sujet: dans trois d'entre elles, le congé est ouvert à tous les salarié-e-s, et seulement aux jeunes dans les deux autres.

Le congé est de courte durée, 10 jours par an ou tous les deux ans, et autorise des formations professionnelles, générales et socio-politiques. L'employeur continue à verser leur plein salaire aux stagiaires.

A côté de ces législations, les syndicats continuent à négocier des clauses relatives au congé-éducation. Ces clauses touchaient 2.8 millions de syndiqué-e-s (sur 20 millions) en 1977. Elles permettent des congés non-rémunérés de courte durée, deux à trois semaines, à des fins de formation professionnelle ou syndicale.

En France

L'origine du congé-éducation payé en France remonte à l'accord signé en 1970 entre les syndicats et le patronat, puis à la loi de 1971.

Une nouvelle loi adoptée en 1978 recon­naît à tout salarié la possibilité de suivre, pendant le temps de travail, une formation de son choix, professionnelle, culturelle ou sociale, tout en mainte­nant son emploi et ses avantages sociaux.

Cependant, les conditions d'exercice du congé, son mode de rémunération et la co-existence avec les plans de formation propres aux entreprises restreignent grandement cette possibilité. Aussi, l'employeur n'est obligé de payer que les stages qui font partie d'une liste de cours professionnels dressée par l'Etat, et encore, dans la limite des quotas d'absences simultanées de 0.5% des ef­fectifs de l'entreprise. L'employeur maintient alors le salaire du stagiaire pendant une certaine période de temps et l'Etat assume la différence.

Des stages sont aussi possibles dans le cadre d'une liste dressée par la Com­mission paritaire de l'emploi dans le secteur professionnel d'un-e salarié-e.

C'est l'employeur qui sélectionne les demandes, après consultation des organisations syndicales. De plus, l'entreprise garde un contrôle total et non partagé sur son plan de formation interne qui est souvent plus important que les formations prévues dans le cadre de la loi.

Les demandes individuelles de congé pour des formations non prévues par les accords ne peuvent être refusées mais ne seront pas rémunérées, ce qui en fait un droit plus théorique que réel.

Signalons en terminant l'existence d'un congé-éducation ouvrière, prévu par une loi complètement différente, la loi sur la promotion collective. C'est un droit d'absence de 12 jours par an, non rémunéré, accessible à un certain quota de salarié-e-s par entreprise et utilisé pour des fins de formation exclusive­ment syndicale.

Notons que cette loi alloue des fonds aux centrales pour compenser les pertes de salaires et aux agriculteurs pour qu'ils se fassent remplacer sur leur ferme.

Premières conclusions

Cette description très brève des ex­périences de congé-éducation payé ex­istantes en Europe nous permet de con­stater que la formule a permis des avancées intéressantes à plus d'un point de vue et qu'elle constitue un facteur de démocratisation de l'éducation et de la culture.

Même s'il est principalement utilisé à des fins de formation professionnelle, le congé-éducation permet un accès non négligeable aux formations générale, socio-culturelle, syndicale.

Cette formule a mis des ressources éducatives à la disposition de catégories de la population adulte qui autrement n'y auraient jamais eu accès, faute de temps et de conditions matérielles adé­quates.

Le congé-éducation permet aux in­dividus et aux groupes organisés de prendre en main leur développement éducatif et culturel selon leurs besoins propres. Il donne naissance à des for­mules éducatives nouvelles, indépen­dantes des modèles scolaires tradition­nels.

Enfin, les expériences examinées con­tredisent le mythe qui veut que le congé-éducation payé soit une formule utopiste et d'un coût exorbitant. On a vu que môme quand tous les salarié-e-s d'un pays ou d'une entreprise sont éligibles au congé, tous ne veulent pas ou ne peuvent pas l'utiliser. Il ne s'agit évidemment pas de vider les usines pour renvoyer tout le monde sur les bancs d'école.

AU QUÉBEC, DES ASPIRATIONS BLOQUÉES

Au Québec, bien des blocages au sein de notre système scolaire et économi­que empêchent la réalisation de cer­taines aspirations des classes populaires en termes de développement éducatif et culturel. Ces aspirations et ces blocages sont de plusieurs ordres.

Avoir accès aux formations de son choix.

La formation professionnelle privilégiée.

Bien qu'il soit théoriquement possible pour tout individu de choisir la forma­tion qui correspond à ses besoins, l'organisation et l'orientation des programmes pour adultes sont forte­ment influencées par les bailleurs de fonds publics et privés. Pour les gouvernements, l'éducation des adultes est un outil de développement économi­que par l'adaptation de la main-d'oeuvre aux besoins du marché du travail. Pour l'entreprise, cela est con­nu, la formation de la main-d'oeuvre est un moyen de hausser la productivité et de diminuer les coûts de production. C'est donc la formation et le perfection­nement professionnels qui seront les grands privilégiés des bailleurs de fonds et c'est ce que démontrent les statisti­ques portant sur les programmes.51

Le programme de formation de la main-d'oeuvre du Canada (PFMC)

C'est un programme fédéral géré con­jointement avec les ministères québécois du Travail et de l'Education, qui touche plus de 100,000 personnes par année dans la province. Plus de 80% de la clientèle de ce programme est concentré dans les cours de formation profession­nelle - à temps plein ou partiel, pour apprenti-e-s ou en industrie. Moins de 20% du programme est consacré à la formation générale (préparatoire à la formation professionnelle) et l'impor­tance de ce type de cours tend à diminuer depuis 10 ans.

Les cours pour adultes

Dans les institutions publiques (MEQ)

En dehors des cours organisés pour les clients du PFMC, les commissions scolaires offrent surtout des cours de formation générale à temps partiel qui rejoignent une clientèle relativement importante. Ces cours ont totalisé 317,000 heures-groupes en 1975-1976 (contre 456,000 heures-groupes pour les cours de formation générale à temps plein donnés à travers le PFMC pen­dant la même année).

Au niveau collégial, les adultes se retrouvent assez massivement dans les options professionnelles.

Au niveau universitaire, on estime que les adultes se retrouvent principalement dans les secteurs suivants: formation des maîtres, sciences administratives, sciences humaines et sciences de la santé.

Dans l'entreprise

L'ensemble de la formation offerte en entreprise est reliée à la tâche, donc de type professionnel - apprentissage, recyclage, perfectionnement.

Certains types de formation sont marginalisés

Quant aux aspirations des classes popu­laires à des formations syndicales ou socio-économiques liées à leurs condi­tions de vie ou de travail, elles sont limitées par un manque de fonds.

Par exemple, les organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP) doivent quêter chaque année des subventions au ministère de l'Education. Aucun financement statutaire n'est garanti.

Il en va de même pour la formation donnée à leurs membres par les organisations syndicales puisque celles-ci ne peuvent compter jusqu'à mainte­nant que sur des subventions gouvernementales toujours incertaines.

L'inégalité d'accès aux ressources: les aspirations de groupes sociaux importants sont bloquées.

Les femmes

L'examen de certaines statistiques compilées par le Conseil du statut de la femme et par l'ICEA52 indique que les femmes sont défavorisées par des conditions discriminatoires quant à l'accès aux ressources éducatives.

La clientèle du PFMC. par exemple, ne comptait que 42% de femmes en 1975-76 et rien n'indique que cette proprotion ait augmentée. Fait plus important en­core, dans ce même programme, c'est dans les programmes qui ne les préparent pas directement à retourner sur le marché du travail que l'on retrouve les femmes: elles forment 59% des inscrits en formation générale, mais 29% seulement des inscrits en formation professionnelle.

La situation est semblable dans les commissions scolaires, où elles forment 87% de la clientèle des cours socio­culturels non-crédités. Au niveau collégial en 1977-1978, elles représen­taient moins de 40% des inscrits en for­mation professionnelle (temps plein) mais 60% des inscrits en formation générale (temps plein).

De la même façon qu'on peut déplorer que les travailleurs définis comme socialement productifs soient orientés très fortement vers une formation professionnelle et aient difficilement ac­cès à une formation plus générale, on peut déplorer que les femmes au con­traire aient difficilement accès à la for­mation professionnelle. Cette dis­crimination est encore aggravée par des coupures pratiquées depuis 1978 dans leurs allocations de formation. En effet, les femmes qui ne peuvent prouver qu'elles ont seules la charge de leurs en­fants ont vu leurs allocations passer de 45 dollars par semaine à 10 dollars.

Par ailleurs, même lorsqu'elles ont ac­cès à la formation professionnelle, les femmes ont un choix restreint d'options et celles-ci correspondent aux ghettos

d'emplois qui leur sont traditionnelle­ment réservés sur le marché du travail. Par exemple, dans les cours à temps partiel offerts dans le cadre du PFMC, sur 300 à 400 options offertes, à peine une soixantaine comptent un nombre relativement important de femmes, et au sein même de ce maigre choix, 43% des femmes se retrouvent dans quatre options-ghettos (sténo-dactylo bilingue, commis-dactylo, commis-comptable, technique infirmière).

Enfin, dans l'ensemble des programmes publics, les mêmes études indiquent que les femmes se retrouvent plus souvent dans les programmes à temps partiel que les hommes, à cause d'obstacles les empêchant d'accéder aux programmes à temps plein (insuffisance de garderies, charges familiales, etc.).

Les travailleurs en emploi

Les travailleurs en emploi ont en prin­cipe accès à l'ensemble des programmes de formation existants. Mais ceux et celles qui veulent en profiter sont cepen­dant limités par la force des choses aux programmes de cours à temps partiel le soir.

En effet, peu vont prendre le risque de quitter un emploi pour s'engager dans le programme de formation profession­nelle à temps plein du PFMC qui n'of­fre que des allocations hebdomadaires de $10. à $125. par semaine et aucune garantie d'emploi à l'issu du cours.

Le principal programme fédéral acces­sible aux travailleurs et aux travailleuses offre des cours à temps partiel en perfectionnement profession­nel. Mais l'accès en est limité à ceux et celles qui veulent se perfectionner dans leur métier; pas de recyclage en vue d'un nouveau métier. Quant aux cours à temps partiel offerts par les univer­sités, les intéressé-e-s doivent en dé­frayer le coût.

Les travailleurs en emploi se voient par­fois offrir des sessions de formation dans leur entreprise, organisées par l'employeur, sur les lieux de travail ou plus rarement dans des institutions publiques.

Ces programmes sont assez peu répandus, et sont surtout offerts par les grandes entreprises, sous leur contrôle exclusif. Les programmes offerts aux travailleurs et aux travailleuses de la production sont le plus souvent des ses­sions sur le tas, axées sur la tâche, non certifiées par le ministère de l'Education et trop étroites pour être transférables ailleurs sur le marché du travail. Les cours payés dans les écoles et collèges sont d'abord offerts aux cadres, techniciens spécialisés, etc..

En somme, les travailleurs et travailleuses en emploi ont peu de pos­sibilités de formation sur le temps de travail et doivent couper sur leur temps de repos et de loisir pour développer leurs connaissances et souvent en as­sumer les frais.

Les jeunes, les producteurs agricoles, les chômeurs et chômeuses.

D'autres groupes doivent surmonter bon nombre d'obstacles pour avoir ac­cès aux ressources éducatives. Les jeunes par exemple, qui ont de plus en plus de difficultés à avoir accès aux programmes fédéraux de rattrapage scolaire. L'âge d'admission à ces programmes a été élevé de 16 à 20 ans en 1979 et les allocations pour les jeunes à la charge de parents ont été coupées de $45. à $10. par semaine.

Signalons aussi qu'en 1978, le fédéral éliminait le programme de cours de perfectionnement professionnel à temps plein destiné aux producteurs agricoles. Enfin, si les chômeurs étaient le groupe le mieux servi par les programmes fédéraux, ils paient maintenant à même leur caisse d'assurance-chômage les allocations hebdomadaires auxquelles ils ont droit comme stagiaires dans les programmes à temps plein.

Est-il possible de contrôler notre développement éducatif et culturel?

Avoir le droit de regard sur les programmes et les cours, sur les méthodes pédagogiques et sur les con­ditions d'accès aux ressources éducatives permettrait aux individus et aux groupes de concrétiser leurs aspira­tions au niveau éducatif et culturel.

Mais nous avons en éducation des adultes un rapport de consommateur face à un produit: on achète ou on n'achète pas. Cela est vrai de l'ensemble des ressources publiques et privées, et malgré l'existence de mécanismes de consultation puisque les consultés n'y ont aucun pouvoir réel.

Sans entrer dans une longue description des structures administratives qui gèrent ces programmes, au bout du compte, ce sont ces structures qui pren­nent en charge et contrôlent le dévelop­pement éducatif et culturel des classes populaires.

Quelques exceptions à cette règle, la mise sur pied de projets d'éducation autonomes par des groupes de citoyens ou des syndicats. Nous y reviendrons.

Bref...

Trois éléments ressortent de cette description. D'abord, pour les classes populaires, tant que l'éducation des adultes ne pourra avoir lieu que le soir, entre 18 et 22 heures, avec la fatigue du travail et en empiétant sur les périodes de loisir et de vie sociale, elle demeurera largement inaccessible. Par ailleurs, des catégories importantes de la population doivent affronter des con­ditions discriminatoires pour réaliser leurs aspirations sur ce plan. Enfin, les offreurs de formation ne favorisent ab­solument pas la prise en charge par les individus de leur développement.

POUR DÉMOCRATISER L'ÉDUCATION AU QUÉBEC, SE DONNER UNE FORMULE DE CONGÉ-EDUCATION PAYÉ

Un outil de démocratisation

Tout projet de démocratisation de l'éducation des adultes doit permettre l'accès aux formations qui correspon­dent aux besoins des classes populaires.

Le congé-éducation payé peut abattre un certain nombre des obstacles qui s'opposent à cette démocratisation en fournissant aux individus des périodes de temps pour participer à des activités éducatives et surtout la responsabilité de déterminer eux-mêmes le type de for­mation qui leur est nécessaire.

La question du temps, de la dispo­nibilité, est primordiale parce qu'il est impossible de demander à des popula­tions entières d'empiéter systématique­ment sur leur temps de loisir et de repos pour se mettre à l'étude. Un tel fonc­tionnement ne favorise que ceux qui ont les occupations les moins astreignantes et qui sont déjà familiers avec l'école, donc déjà scolarisés.

Un facteur de changement social par la prise en charge de nos aspirations

Les expériences européennes ont montré que lorsque les travailleurs et les travailleuses prennent en charge leurs activités éducatives, ils développent de nouvelles exigences de qualité et de quantité, face à l'école et à la culture en général.

Cela leur permet de briser le rapport passif qu'ils ont pu entretenir avec l'éducation. La transformation de ce rapport pourrait entraîner des change­ments significatifs au sein même du système scolaire.

Un outil de développement de l'éducation populaire et syndicale

Le principal obstacle qui empêche le développement de l'éducation syndicale est la difficulté de libérer de leur travail les membres des organisations syn­dicales pour leur permettre de par­ticiper à des sessions de formation organisées pour eux. Et le financement actuel de la formation syndicale est en­core insuffisant. Les conditions ac­tuelles de l'accès à l'éducation dite autonome ne peuvent que piétiner si on ne peut donner aux travailleurs et aux travailleuses les moyens d'y avoir accès.

Un facteur de développement économique

Le congé-éducation payé peut aussi permettre le développement de la qualification professionnelle des travailleurs et des travailleuses et con­tribuer, comme c'est le cas en Europe, au développement économique du pays.

Le congé-éducation payé permet aux bénéficiaires d'avoir accès à une forma­tion plus large et plus conforme à leurs in­térêts personnels que le ferait un système de formation professionnelle étroit, subor­donné directement et exclusivement aux besoins à très court terme des entreprises.

LE CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ UNE FORMULE NÉCESSAIRE, RÉALISTE ET COHÉRENTE AVEC NOS PRATIQUES

Pour que le droit à l'éducation devienne une réalité pour tous les travailleurs, les travailleuses et les groupes défavorisés, le congé-éducation payé constitue une piste à explorer sérieusement.

Cette formule est d'ailleurs étudiée depuis longtemps par les organisations syndicales québécoises. Dans leurs ré­cents mémoires 53 à la Commission fédérale d'enquête sur le congé-éducation et la productivité, la CSN, la FTQ et la CEQ réaffirmaient sa néces­sité pour éviter que les travailleurs et les travailleuses soient tenu-e-s plus longtemps à l'écart des ressources éducatives auxquelles ils ont droit.

Le Conseil supérieur de l'Education recommandait aussi dans un rapport annuel 54 de 1978 que le gouvernement du Québec se penche sérieusement sur cette formule.

Pas de modèle importé

Mais il est impossible de transposer au Québec un modèle de congé-éducation payé existant en Europe. Chaque for­mule, et la nôtre éventuellement, doit être adaptée aux réalités socio-économiques d'un pays et aux besoins propres de ses bénéficiaires.

Au Québec, la formule du congé-éducation payé doit être cohérente avec nos pratiques et nos acquis et doit s'en inspirer.

Les pratiques de congé-éducation payé au Québec.

Aucune étude n'a fait le bilan des for­mules de congé-éducation payé ex­istantes. Le rapport de la Commission fédérale d'enquête sur le congé-éducation et la productivité55 nous apporte quelques renseignements fragmentaires assez peu précis. On y apprend qu'il existe dans les grandes entreprises canadiennes des formes de congé de plus ou moins longue durée pour fins de formation professionnelle. Mais la plupart de ces congés ne sont pas accessibles à tous les salarié-e-s et sont accordés au mérite par l'employeur.

Cependant, au Québec, des syndicats ont commencé à négocier des clauses diverses qui donnent droit à des absences rémunérées ou non pour fins de formation. On en connaît deux types, négociées d'ailleurs toujours indépen­damment l'une de l'autre, l'une pour fins de formation syndicale et l'autre pour fins de formation professionnelle.

Les clauses de congé pour formation syndicale

La CSN et la FTQ ont développé en ef­fet une clause-type de congé-éducation permettant de libérer des membres pour assister aux sessions de formation données par la centrale.

Les caractéristiques de ces clauses sont les suivantes:

  1. L'employeur verse au syndicat 1 ou 2 cent par heure travaillée par membre pour financer la formation syndicale des membres (salaires et frais de formation). L'autre voie possible est la négociation de X journées payées pour fin de forma­ tion syndicale. L'objectif est d'avoir une banque de jours équivalente à une journée par membre par année.
  2. Les salarié-e-s absent-e-s conservent leur poste et ont droit à leurs bénéfices marginaux.
  3. Ce sont les syndicats seuls qui gèrent de façon autonome cette caisse ou banque de jours.

Ces clauses-types ne sont pas largement répandues mais existent quand même dans plusieurs dizaines de conventions au Québec, notamment chez les T.U.A. (FTQ), les Métallos (FTQ) et dans quelques syndicats CSN.

Les clauses de congé pour formation professionnelle

Ces clauses sont rares et mal connues. Comme ce sont des pratiques tout à fait nouvelles, il n'y a pas non plus de clause-type dans ce domaine. On va donc simplement signaler quelques cas d'espèce.

L'entente FAS (CSN (/Gouvernement du Québec (MAS)

La convention collective liant la Fédération des affaires sociales (CSN) au gouvernement prévoit que l'employeur versera une somme de S5.7 millions pour la période 1979-1982. Cette somme est gérée par un comité paritaire et finance deux types de programmes. Des programmes de recyclage visent à donner la formation nécessaire pour conserver ou obtenir une classification. Les cours ont lieu dans une institution publique, sur le temps de travail, avec solde, quelques heures par semaine. Les programmes de perfectionnement permettent de compléter la formation d'un salarié en vue d'une spécialisation. Deux genres de congé sont possibles. Le congé longue durée (plusieurs mois) avec bourse d'études et les sessions inten­sives courte durée (3-4 semaines) permettant de former des groupes-cours de 15 employés. Les cours se donnent en institution et les salaires sont maintenus. L'accent est mis sur ce deuxième genre de congé.

Les congés de perfectionnement

Les enseignants CEQ/FNEQ (CSN) ont certaines possibilités de congés de longue durée avec solde pour fins de perfectionnement après un certain nombre d'années d'ancienneté. Ces types de congés sont particuliers au métier de l'enseignement où l'employeur a reconnu la nécessité de telles formules de perfectionnement; on peut en retrouver aussi dans la fonction publique.

Le cas de Brown-Boveri

Le syndicat (CSN) de cette entreprise du secteur de la métallurgie a négocié avec l'employeur un système de perfec­tionnement. Chaque travailleur du département d'usinage suit un cours de 17 semaines sur le temps de travail et avec solde, dans une école publique. Les cours sont certifiés par le MEQ.

D'autres expériences moins connues sont tentées un peu partout au Québec. On sait par exemple que des syndicats membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ) négocient des fonds de perfectionne­ment pour leurs membres et que des clauses de formation en cas de change­ments technologiques existent en grand nombre. Le bilan de ces pratiques reste à faire.

Le défi: consolider et étendre nos acquis

Le congé-éducation payé est donc un congé statutaire ouvert à tous et à toutes, pour toutes fins de formation, avec maintien de l'emploi et des droits acquis et un financement suffisant. Comment se diriger au Québec vers une ou des formules de congé-éducation payé qui comportent ces caractéristi­ques essentielles?

Comment consolider les quelques ac­quis, étendre leur portée, élargir ces quelques percées aux travailleurs organisés et non-organisés , aux chômeurs et aux chômeuses, aux tem-mes hors du marché du travail? C'est là le défi.

On peut à tout le moins ouvrir le débat en lançant les pistes suivantes:

  • L'émergence d'un congé-éducation au Québec doit-elle passer par la revendication d'une loi-cadre ins­ taurant un congé-éducation ouvert à tous les types de formation? Doit-on plutôt privilégier une stratégie de précédents sur des objectifs plus restreints, visant par exemple à négocier des clauses exemplaires. Peut-on combiner ces deux stratégies?
  • Est-il possible d'élargir à tous les
  • syndiqué-e-s le droit au congé-éducation payé pour fins de forma­tion syndicale sur la base des clauses-types déjà négociées dans certaines entreprises?
  • Comment consolider et développer le congé-éducation pour fins de forma­ tion et perfectionnement profession­ nels? Est-il possible d'élargir la portée de ces clauses à la formation générale et culturelle?
  • Qui doit assumer le coût du congé- éducation? Doit-on s'adresser à l'Etat, responsable de l'éducation de toute la population ou doit-on miser sur la "responsabilité sociale" des employeurs?
  • La gestion du congé-éducation doit être prise en main le plus possible par les usager-e-s. Faut-il choisir des structures centralisées, nationales, ou privilégier les structures décentralisées, sectorielles, plus proches des travailleurs, des travailleuses et de leurs organisations?

DOCUMENTS DE BASE

OCDE, LA SITUATION ACTUELLE DU CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ. 1976, Paris.

Travail-Canada. RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ. 1979. Ottawa.

ICEA, LES CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ, document interne, 1980, 60 pages.

DOCUMENTS D'APPOINT

Bureau international du travail, RAPPORT IV (1 ET 2) DE LA 59IÈME SESSION. 1974, congé-éducation payé. Genève. 1974.

I.M. Luttringer et R. Pasquier,"Le congé-éducation payé dans 5 pays européens", in REVUE INTERNATIONALE DU TRAVAIL. vol. 119, no. 4, juillet-août 1980.

ICEA, LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC, juin 1979. 101 pages.

CEQ, CSN, FTQ, UPA, LE FINANCEMENT DE L'ÉDUCATION SYNDICALE AUTONOME. Mémoire présenté au Gouverne­ment du Québec, février 1978.

Conseil du statut de la femme, L'ACCÈS À L'ÉDUCATION POUR LES FEMMES DU QUÉBEC. Québec. l'Éditeur officiel. 1976.

Conseil supérieur de l'éducation, ÉLÉMENTS D'UNE POLITIQUE D'ÉDUCATION DES ADULTES DANS LE CONTEXTE DE L'ÉDUCATION PERMANENTE, Québec, février 1979.

CSN. MÉMOIRE DE LA CSN À LA COMMISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SUR LE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ, Montréal, février 1979.

KTQ. MÉMOIRE DE LA FTQ À LA COMMISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SURLE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ, Montréal, mars 1979.

UQAM, - ICEA C'EST NOTRE TOUR,... LE CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ, diaporama de 30 minutes. 1979. disponible à l'ICEA.

Texte: Richard Nantel, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses Solidaires.

Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.

Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.

Illustrations: Laville, in LA FORMATION CONTINUE, CFDT. Paris, 1978: pp. 1, 2. 3, 4. 5, 6. 8. 9. 10. 11: BULLETIN DE L'ICEA. Vol. 3 No. 3. mars 1979: p. 12; WOMANPOWER, U.S. Dept. of Labor. nov. 1975: p. 9.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

6. Éducation populaire - éducation permanente : financer le secteur volontaire

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Il est question de quoi?

"L'ensemble des démarches d'appren­tissage et de réflexion critique par les­quelles des citoyens mènent collective­ment des actions qui amènent une prise de conscience individuelle et collective au sujet de leurs conditions de vie ou de travail, et qui visent, à court, moyen ou à long terme, une transformation sociale, économique, culturelle et politique de leur milieu".

C'est là la définition de l'éducation populaire autonome que se donnaient les organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP) réunis en Assemblée générale provinciale en mars 1978. Si l'on y regarde de près, ce ne sont pas seulement ceux que la Direction générale de l'éducation des adultes désigne comme OVEP qui font de l'éducation populaire. De fait, tous les organismes volontaires - syndicats et groupes populaires - qui, dans leur secteur d'intervention propre, travaillent à développer la connaissance et la con­science critiques des gens sur leur situa­tion de vie et de travail, font effective­ment de l'éducation populaire sans nécessairement que ce soit là leur objec­tif premier. Et cette éducation vise, à travers des actions collectives de trans­formation, une prise en charge véritable par les participant-e-s de leurs situations de vie et de travail. L'éducation populaire est donc plus large que la stricte éducation formelle - cours, séminaire, conférence, etc. -. La vie associative elle-même, dans cet­te perspective, est éducation et, à ce titre, devrait être financée par l'Etat. C'est une forme d'éducation per­manente véritable que développe le secteur populaire et, à ce titre, elle a un droit légitime à être reconnue comme telle.

LA SITUATION

IL Y A DU FINANCEMENT

Au ministère de l'Education

A la Direction générale de l'éducation des adultes ( DGEA ), il y a, depuis 1967, un programme spécifique d'aide finan­cière aux organismes volontaires d'éducation populaire. Le budget est de 3,050,000$ pour 1980-81. Avec les quel­que 600,000$ du programme d'aide de la même DGEA à la formation syn­dicale, le total atteint 3,600,000$, con­tre 69,000$ en 1970-71. Cela donne une idée du chemin parcouru en dix ans par les organismes volontaires dans leur lut­te collective pour un financement public de l'éducation populaire autonome. Des progrès considérables ont aussi été faits au niveau du programme même. De 1967 à 1974, il était vague, imprécis quant aux normes et critères, peu con­nu, et il excluait les organismes locaux. Depuis 1974, le programme est détaillé, publié et s'adresse à l'ensemble des organismes tant nationaux et régionaux que locaux. L'éducation syndicale, exclue en 1976, est à nouveau financée bien que sous un programme séparé semblable à celui des OVEP. Et si le ministère subven­tionnait à peine douze projets en 1969-70, il en finance cette année plus de 500.

Dans les autres ministères

Les groupes peuvent obtenir du finance­ment pour leurs activités éducatives dans d'autres ministères et agences du gouvernement provincial. Des programmes bien définis existent dans certains, dans d'autres les choses se font plus sur le bras. Les ministères des Af­faires sociales, des Affaires culturelles, des Loisirs, Chasse et Pêche, de l'Im­migration, l'Office de protection des consommateurs sont parmi les bailleurs de fonds les plus importants. Nous n'avons toutefois pas le chiffre total des montants versés qui, à n'en pas douter, s'élève à plusieurs millions.

Pas des cadeaux

Ces fonds ne sont pas venus tout seuls: les groupes populaires et les syndicats ont mené, avec un appui actif de l'ICEA, une lutte longue et dure pour les obtenir du ministère de l'Education. Des luttes sectorielles ont aussi été menées et continuent de l'être auprès des autres sources gouvernementales pour le financement de l'ensemble des activités des groupes. La lutte collective des OVEP a également eu des effets dans les autres ministères, particulière­ment en ce qui a trait à la systématisa­tion des programmes.

MAIS CE FINANCEMENT EST TOUT À FAIT INSUFFISANT

Des montants dérisoires

A la DGEA, les demandes des groupes populaires ont dépassé cette année les 13$ millions, pour les 3$ millions dis­ponibles. La situation se détériore de façon dramatique: l'an passé, le tiers de la demande était financée, cette année, c'est moins du quart. Et ces montants ne touchent que les dimensions des ac­tivités formelles d'éducation (genre: cours); elles laissent de côté l'éducation qui se fait par d'autres voies: enquêtes-sondages, productions collectives de vidéo ou d'organes d'information, voyages de sensibilisation ou, tout simplement, la vie démocratique d'une association.

Dans le cas de l'éducation syndicale, la disproportion entre les besoins et les budgets de la DGEA est tout aussi scan­daleuse. Là encore les activités admissi­bles ne représentent qu'une faible partie des activités d'éducation proprement dites des centrales. Celles-ci démontraient, dans leur mémoire de 1978 au ministre de l'Education56 , l'énormité des besoins d'éducation de leurs 600,000 membres, et se conten­taient de demander un per capita qui, l'année dernière, se serait élevé à 1.40$, montant de beaucoup inférieur aux coûts réels. Le ministère leur accordait 1.03$.

Nous ne connaissons pas les budgets ou les montants demandés dans les autres ministères; toutefois, la constitution de regroupements et de fronts communs face à certaines politiques de finance­ment (ministère des Affaires sociales, des Communications...) est révélatrice du mécontentement des groupes.

Et l'obligation pour bon nombre d'entre eux d'organiser des activités de cueillet­te de fonds souvent absurdes témoig­ne également de leurs difficultés financières. Pendant qu'un groupe po­pulaire s'occupe de vendre des fleurs coupées à l'occasion de Pâques, pour amasser des fonds, il ne peut faire d'éducation populaire.

Des programmes inadaptés

Les programmes gouvernementaux d'aide aux organismes volontaires sont établis d'abord et avant tout en fonction de critères bureaucratiques qui tiennent peu compte de leur réalité. Quand les programmes sont publicisés, connus, ce qui est loin d'être toujours le cas, les organismes ont à faire face à des for­mulaires compliqués, détaillés qui demandent beaucoup plus de renseigne­ments que les bailleurs de fonds ne peu­vent en utiliserpour juger de la demande. Ces formulaires et le texte d'explication des programmes de la DGEA, par exemple, ne sont accessi­bles qu'aux gens les plus scolarisés dans les organismes et excluent les autres. Les exigences administratives du programme du ministère des Loisirs, Chasse et Pêche font l'objet d'un volume d'explication de pas moins de 33 pages!

Les critères et normes sont fixés soit en fonction des réseaux scolaires, dans le cas du ministère de l'Education (phases précises d'activités traditionnelles, ex­clusion de nouvelles formules), soit en fonction d'organismes gouvernemen­taux, para-gouvernementaux ou encore tout simplement d'organismes privés tout à fait différents des groupes implantés en milieux populaires. Le bureaucratisme, dans certains cas, frôle l'absurde. Les cliniques populaires en ont vécu des exemples: l'une d'elle bénéficie à chaque année d'un poste de salaire de conducteur d'autobus pen­dant que le ministère refuse d'allouer un poste aux frais de l'autobus même parce que ce n'est pas lui qui l'a acheté. L'autobus en question est un don reçu par la clinique qui s'en voit ainsi pénalisée. Ces exigences ainsi établies sur la base d'une réalité étrangère aux groupes se trouvent à exclure des ac­tivités et des groupes, ou à les forcer à de l'auto-censure (on ne peut pas faire ça, ça ne sera pas financé) ou au détournement de leurs objectifs pour obtenir des fonds essentiels {la seule façon d'en avoir, c'est de faire telle ac­tivité).

Ceux qui ont réussi à franchir cette étape compliquée et à satisfaire à toutes les exigences ne sont pas pour autant as­surés d'un financement puisque la minceur des enveloppes budgétaires dans tous les ministères entraîne des in­terprétations extrêmement restrictives des normes et critères, ou encore l'ajout de nouveaux critères après que les pro­jets aient été présentés. Enfin, les déci­sions rendues sont rarement justifiées et il n'y a pas de procédures de révision des décisions ou d'appel (le ministère des Communications représente l'ex­ception à la règle).

Quelle reconnaissance de l'éducation populaire?

La tolérance

De fait. l'Etat québécois tolère les ini­tiatives populaires; il ne les encourage pas et contribue peu à leur développe­ment. Les gouvernements québécois, depuis 1970 à tout le moins, ont pri­vilégié le développement des secteurs économiquement rentables; l'éducation populaire n'en est pas et, qui plus est, elle se situe souvent en opposition aux intérêts économiques dominants. Elle se fait précisément avec les gens qui sont loin du pouvoir, qui n'ont aucune prise sur les leviers du contrôle économique ou politique et qui, précisément, remettent en question cet­te situation d'impuissance.

Récupération et intégration

Le secteur volontaire dérange en remet­tant en cause les inégalités sociales dont sont victimes les milieux populaires; il dérange aussi en n'étant pas assimilable aux schémas technocratiques gouvernementaux et para-gouvernementaux. La solution trouvée à ces maux a par conséquent été de récupérer ses initiatives en créant des structures semblables mais qui répon­dent mieux aux schémas et aux objectifs étatiques: cliniques populaires juridiques ou de santé remplacées par des services officiels utiles, à n'en pas douter, mais dont le contrôle échappe aux milieux populaires. Et le finance­ment des services populaires s'en trouve affecté d'autant: coupures et nouvelles normes pour les faire entrer dans le moule.

L'Etat intègre aussi le secteur volontaire en lui assignant arbitrairement des fonctions de suppléance aux lacunes de ses propres institutions; ainsi, recon­naissant que l'école ne réussit pas à re­joindre les analphabètes, le ministère de l'Education confie aux OVEP la responsabilité de le faire à sa place et pige à même leur budget. Au lieu de remettre en question la réponse qu'ap­porte l'école aux besoins des milieux populaires, il fait des OVEP des exten­sions bon marché du système d'enseignement. Reconnaissant que les OVEP remplissent bien leur fonction et qu'ils sont représentatifs des besoins réels d'éducation des citoyens-adultes du Québec57, le ministère les détourne de cette représentativité et de cette fonction et les met à son service. Les organismes volontaires deviennent ainsi plus rentables politiquement, et plus faciles à administrer.

L'ÉTAT DES BESOINS

ET POURTANT, C'EST DE L'ÉDUCATION

Le beau discours

La non-reconnaissance de fait de l'Etat est en contradiction flagrante avec son discours. Ainsi, le ministère de l'Educa­tion répète à qui mieux mieux sa recon­naissance, au réseau des organismes volontaires d'éducation populaire, d'un "rôle complémentaire à celui du réseau public déjà en place dans le développe­ment de l'éducation populaire."58 Aux organismes syndicaux, il accorde un programme "d'assistance finan­cière" et dit vouloir les "appuyer ... dans le rôle qu'ils ont à jouer dans le domaine de l'éducation populaire"59. Par ailleurs, l'énoncé de politique du ministère de l'Education sur l'école en milieu défavorisé, cité plus haut, recon­naît clairement un tel rôle aux organismes volontaires et la qualité de la façon dont ils s'en acquittent (p. 110-111). Tout en étant contestable, le fait que le ministère leur fait suppléer à la tâche d'alphabétisation à laquelle les ins­titutions scolaires ont failli montre la haute opinion qu'il a de l'éducation faite dans ces mêmes organismes.

Des témoignages

Le Conseil supérieur de l'éducation a plusieurs fois manifesté son appui à l'éducation populaire faite dans les organismes volontaires. Dans son rap­port annuel 1978-79, il soulignait "leur rôle irremplaçable dans la formation et dans la prise en charge des collectivités par elles-mêmes". Et bien que le ministère ait créé un programme d'aide, le Conseil remarque: "A l'ex­périence, on constate que l'originalité et l'action éducative de ces organismes ne sont pas reconnues pour autant".

Parlant de la complémentarité entre les secteurs scolaire et extra-scolaire, il avance:

"...nous examinons l'hypothèse du développement autonome ga­ranti des associations volontaires d'éducation populaire, au même titre que celui des organismes d'éducation des adultes des ins­titutions d'enseignement. Si les missions des organismes scolaires et extra-scolaires sont différentes, il devient inutile de soumettre ces derniers aux déci­sions des premiers et hasardeux d'exiger qu'ils participent à une concertation qui ne peut que con­duire à une récupération et à la négation de leur originalité dans les conditions actuelles. " .60

A en juger par les nouvelles priorités imposées par le ministre au programme des OVEP, il semblerait qu'on ne fait guère plus de cas, au ministère, des remarques solidement étoffées et ar­ticulées du Conseil qu'on en a fait pour le mémoire des OVEP de 1977.

Pour sa part, le Conseil des affaires sociales et de la famille signale, à propos des organismes populaires, qu'ils

"ont constitué des lieux de forma­tion à l'initiative collective. (...I Par l'organisation de services, ils (les membres) ont pu faire un premier apprentissage des con­naissances, des habiletés néces­saires à l'auto-gestion. Les groupes populaires apparaissent dans ce contexte comme des lieux d'auto-développement social".

Le coût et la qualité de l'alimentation: c'est pé­nible! Dans plusieurs quartiers et régions du Québec, on se regroupe en coopératives. On é-pargne. tout en appre­nant comment fonctionnent un comptoir et le marché de l'alimenta­tion.

Dans cette optique, il recommande: 2.2.4 Que l'Etat élabore un programme de soutien financier à l'action et aux ini­tiatives non gouvernementales pour faciliter le développement et pour ac­croître l'efficacité des services com­munautaires comme aussi pour en­courager la fonction d'auto-développement social des groupes et des associations volontaire".61

A ces témoignages pourraient s'ajouter celui de la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec qui souligne entre autre la nécessité de con­tinuité des activités éducatives ou celui du rapport SEAPAC qui insiste sur le fait que "l'action communautaire est éducation populaire"62. Finalement, nous trouvons pertinent de reproduire ici l'article 57 de la Recom­mandation sur le développement de l'éducation des adultes adoptée par l'Unesco et qui stipule que:

"La totalité des crédits à l'éduca­tion des adultes doit couvrir au moins:

  • la mise en place des équipe­ments adéquats ou l'aménagement de ceux qui existent déjà:
  • la production de toutes sortes de matériels pédagogiques:
  • la rémunération des for­mateurs et leur formation per­manente:
  • les frais de recherche et d'in­formation:
  • les indemnités compensatrices de perte de salaire:
  • les frais d'apprentissage et, en cas de besoin et si possible, d'accueil et de déplacement des stagiaires".

L'article 58 ajoute: "le financement des programmes d'éducation des adultes et des actions destinées à favoriser le développement de ces programmes devrait être assuré de façon régulière".63

Si les programmes gouvernementaux réussissent, dans l'ensemble, à couvrir tous ces éléments, ils le font de façon très éparpillée, sans cohérence et sur­tout, sans continuité. L'éducation popu­laire dans les syndicats et les groupes populaires n'en récolte que les restes.

Un développement fulgurant

Le témoignage le plus révélateur de l'importance de l'éducation populaire autonome au Québec demeure son développement fulgurant des dix der­nières années: le fait que de sept projets présentés à la seule DGEA, on soit pas­sé à près 600 et la multiplication tout aussi impressionnante du nombre des sessions d'éducation syndicale sont des preuves éclatantes tant des besoins éducatifs que de la capacité des syn­dicats et groupes populaires d'y répondre. Le développement des groupes populaires eux-mêmes et la diversité de leurs activités sont les manifestations d'une recherche par les gens des milieux populaires de lieux d'apprentissage pour comprendre leurs conditions de vie et de travail et arriver à les transformer.

Parce qu'elle est trop loin de leur réalité quotidienne, l'école ne réussit pas à re­joindre aujourd'hui ceux-là mêmes qu'elle a exclus hier quand ils étaient ou auraient dû être la clientèle du cycle primaire ou secondaire. Les syndicats et groupes populaires, tant dans leurs ac­tivités formelles d'éducation que dans le quotidien de la vie associative sont, pour ces mêmes personnes, de vé­ritables écoles où ils apprennent à se comprendre et à comprendre leur en­vironnement physique, social, où ils ap­prennent, par l'exercice démocratique du pouvoir collectif de décision et par l'action collective de transformation de leurs conditions de vie et de travail, le fonctionnement des mécanismes de la vie politique dans laquelle ils n'étaient jusqu'alors que des sujets passifs. De fait, c'est l'ensemble de l'activité de ces organismes qui est apprentissage et réflexion critique à travers l'action collective de transformation du milieu.

QUELS BESOINS?

$$$

L'éducation populaire formelle

Les OVEP ont rappelé à plusieurs reprises le chiffre de 1,000,000$ avancé par le rapport Ryan 64 pour répondre aux besoins d'éducation populaire en 1964. Les chiffres signalés plus haut - $13 millions - démontrent l'étendue des besoins exprimés et l'écart démesuré avec les montants accordés par la DGEA. Comme les critères restrictifs ne permettent pas aux groupes d'exposer l'ensemble de leurs besoins, même au strict niveau de leurs activités formelles d'éducation, et com­me plusieurs groupes n'osent pas ou refusent de remplir les conditions rigides et les formulaires complexes et courir le risque de récupération et d'intégration, il est permis de croire que les besoins réels pour ce qui doit être considéré comme de l'éducation popu­laire, sont de beaucoup plus con­sidérables.

L'éducation populaire informelle

Si l'on adopte une perspective plus large d'éducation permanente et que l'on ac­cepte la vision du Conseil des affaires sociales et de la famille à l'effet que le secteur volontaire en soi est un lieu de formation à l'initiative collective et d'auto-développement social, ce sont les besoins de l'ensemble du secteur volontaire comme tel qu'il faut con­sidérer. Tout comme le ministère de l'Education finance l'ensemble de l'ins­titution scolaire et non seulement les activités formelles d'éducation. L'ex­périence éducative, le processus d'éduca­tion dans ce secteur vient tout au­tant précisément de la vie associative elle-même et il est indissociable des actions collectives menées par les groupes.

Aux treize millions de demandes à la DGEA, il faudrait par conséquent ajouter tous les montants demandés aux autres ministères et agences du gouvernement provincial et aux institu­tions d'enseignement par les syndicats et groupes populaires. Sans compter les sources privées, tels les Centraides ou les communautés religieuses qui con­tribuent de façon importante. Il faudrait également ajouter les montants alloués par le gouvernement fédéral qui, en 1974-75, avait dépensé plus de 5$ millions pour des projets PIL et Perspective-Jeunesse dans le seul domaine de l'éducation. Le montant des besoins exprimés est par consé­quent considérable, et encore ne représente-t-il qu'une partie des coûts.

De l'argent, pourquoi?

Ce qui est financé

Dans la très grande majorité des cas, le financement provincial sert surtout à financer des activités, des salaires et, dans certains cas, du fonctionnement. Le matériel didactique est parfois inclus mais il est rare que les fonds soient suffisants pour permettre des recherches et des créations originales qui seraient véritablement adaptées aux besoins des participants. Les groupes d"alphabétisation, entre autres, iden­tifient cette lacune comme étant un problème majeur: il n'y a pas de matériel de lecture pour les nouveaux alphabétisé-e-s et personne n'a les moyens de s'investir dans la tâche d'en créer.

L'insuffisance des montants alloués aux chapitres des activités, des salaires et du fonctionnement entraîne des problèmes sérieux. Plus souvent qu'autrement, une partie seulement des activités proposées est financée, ce qui détruit l'équilibre d'un programme pensé et planifié com­me un tout. Il en est de même pour les salaires, et les permanents doivent se partager une masse salariale plus faible que prévue; en plus du fait que la plupart de ces gens sont payés à des salaires bien inférieurs à ce que leur for­mation et/ou leur expérience com­manderait, il devient plus difficile en­core de garder des permanents qui ont des charges familiales et font payer leur militantisme à leurs enfants, tout en travaillant dans des conditions matérielles pires parfois que celles qu'ils dénoncent en entreprise.

Ce qui ne l'est pas

Plus impressionnante encore est la liste de ce qui n'est pas financé dans le secteur volontaire. Car il s'agit de tout ce qui fait la continuité du groupe, tout ce qui, de fait, le rend capable d'organiser des programmes d'activités le moindrement cohérents et utiles. La mise sur pied même d'un organisme ne bénéficie jamais à notre connaissance d'un financement provincial public direct65; les conditions de départ sont inévitablement difficiles et demandent un déploiement d'énergies con­sidérables de la part de gens pour qui il s'agit habituellement d'un travail mili­tant, c'est-à-dire non rémunéré.

L'existence même de l'organisme n'est pas non plus financée par les program­mes provinciaux; les subventions statutaires n'existent pas pour les organismes volontaires. Ils doivent négocier chaque année des subventions d'aide à leurs activités, à leur fonctionnement, mais la situation de non reconnaissance dans laquelle ils se trou­vent fait qu'on leur refuse des subven­tions de base, régulières, assurées qui leur permettraient de planifier leur développement et leur programme de façon rationnelle, de se donner des moyens et du temps pour de la recherche sur leur milieu et dans leur secteur d'intervention, pour de la réflexion sur leurs activités, le perfec­tionnement de leur personnel, etc. Il n'y a des fonds que pour la surface du secteur volontaire, non pour le moteur des activités.

Point d'argent, non plus, pour les par­ticipants. Pour leurs frais occasionnels, telle la garde d'enfants, mais aussi les frais moins visibles tel le temps sup­plémentaire que représente la participa­tion à une activité après une journée de travail. Les congés-éducation payés, s'ils existent souvent pour des profes­sionnels (avec déductions fiscales), n'existent pas pour les travailleurs et les travailleuses syndiqués ou pour ceux et celles qui font partie de groupes po­pulaires.

Ce sont les participant-e-s, militant-e-s, permanent-e-s, etc. qui financent de leur temps, de leurs conditions de travail quand ce n'est pas aussi de leur argent, une éducation pourtant tout aussi légitime que l'éducation scolaire.

Et le temps perdu

Comme le montrait l'ICEA en 1973. demander un financement à l'Etat, c'est jouer au jeu du serpent et des échelles, c'est-à-dire perdre un temps fou en démarches de toutes sortes sans jamais être assurés qu'au bout du compte, les fonds viendront, et même, en sachant d'avance qu'ils seront scandaleusement insuffisants. Les groupes doivent trouver quels programmes existent et leurs conditions; ils doivent remplir des formulaires souvent super-compliqués et se plier à des contraintes tout à fait inadaptées à leur réalité; viennent en­suite les démarches innombrables pour accélérer la réponse et surtout, dans les cas où elle est favorable, le versement des fonds prévus souvent très en retard malgré les promesses répétées des ministres à l'effet que "cette année, la situation s'améliorera...". Ce portrait paraîtra exagéré seulement à ceux qui n'ont jamais été en contact avec le problème du financement dans le secteur volontaire.

C'est toujours comme ça?

Certes, les bureaucraties gouvernemen­tales n'ont pas une réputation de simplicité ou d'efficacité dans des ques­tions financières. Il reste que le gouvernement du Québec semble avoir la loupe plus mince et le geste plus généreux quand il s'agit de financer des projets d'hommes d'affaires qui sont, en principe, contre l'intervention de l'Etat... Dans une série d'articles sur l'aide gouvernementale à l'entreprise66 , Alain Dubuc montre à quel point les programmes gouvernementaux, que le président de la Société de développe­ment industriel appelle "du glaçage par­dessus du glaçage", gâtent ce secteur de l'économie. "Les gouvernements ver­sent plus aux entreprises qu'ils ne retirent d'impôts sur leurs profits". "C'est excessivement généreux," admet un haut fonctionnaire du ministère de l'Industrie et du Commerce, Et aucune mesure ne permet de calculer si ces programmes sont utiles ou non; on se demande même s'ils ne sont pas nuisibles! 57.5$ millions et des droits ont été donnés à ITT pour son projet Rayonnier de Port-Cartier, fermé l'an dernier. A Canam-Manac, le gouverne­ment finance même des voyages à l'étranger. Un des articles de cette série titrait fort justement: "Plus choyés que les assistés sociaux".

EST-CE PARTOUT PAREIL?

Des expériences étrangères

L'éducation populaire autonome existe aussi dans d'autres pays. Elle y est financée de façons diverses et nous croyons utile, ici. de donner trois exem­ples de politiques gouvernementales dans ce domaine. Non parce qu'elles représentent des idéaux à copier, mais parce qu'elles répondent à certaines des aspirations formulées par les syndicats et groupes populaires québécois. Il en est ainsi des programmes belges et suédois, soit de deux pays dont la situation économique et sociale est com­parable à celle du Québec. Par ailleurs, l'exemple portugais, bien que venant d'un contexte cette fois différent du nôtre et limité dans le temps, est décrit à cause de la perspective dans laquelle il place l'éducation populaire; la pauvreté des moyens financiers y a été com­pensée par une richesse créatrice très grande dont les leçons ne peuvent qu'enrichir notre propre expérience.

Chez les belges

La Belgique a deux programmes de financement des organismes volontaires d'éducation des adultes pour sa po­pulation francophone. Le premier s'adresse à des organisations d'éduca­tion permanente à buts quasi exclusive­ment culturels et le second, a des organisations de promotion socio­culturelle des travailleurs.67 Un Conseil permanent de l'éducation des adultes et un Conseil permanent de la promotion socio-culturelle des travailleurs sont obligatoirement con­sultés sur certains points du programme (classement des organismes, octroi ou retrait de la reconnaissance, etc.).

Les subventions sont de plusieurs ordres et diffèrent, à tout le moins pour leur calcul selon qu'il s'agit d'organismes généraux (nationaux), régionaux ou locaux. Des subventions de fonctionne­ment sont allouées pour couvrir les salaires et dépenses d'activités. Des montants forfaitaires sont disponibles pour certaines dépenses non spécifiées au programme, de même que des subventions extraordinaires d'équipe­ment ou d'aménagement (non re­nouvelables). Enfin des subventions provisoires de 30% de la subvention or­dinaire (de fonctionnement) sont acces­sibles aux organismes qui ne sont pas encore reconnus et qui ont présenté une demande à cet effet; ce montant doit être affecté en priorité aux salaires.

En plus de ces montants, les organismes de promotion socio-culturelle des travailleurs peuvent avoir accès à des fonds qui leur sont spécifiquement destinés. Un organisme doit

"s'adresser et s'adapter par priorité au public du milieu po­pulaire en réalisant son action au départ de l'analyse avec ses membres de leurs conditions de vie et des facteurs déterminant plus particulièrement leur situa­tion".

Des montants sont alloués à des actions de formation et à des études relatives à la préparation ou à l'évaluation de la formation. Les dépenses de prépara­tion, de réalisation et d'évaluation des activités sont couvertes; des montants sont alloués pour les déplacements, les séjours, le matériel didactique et la gar­de d'enfants.

Le rêve suédois de René Lévesque

" Voilà donc ce qu'ils ont fait dans les pays Scandinaves: 115.000 cer­cles d'étude, en majorité peuplés et organisés par des gens de 25 à 40 ans. Avec un million de partici­pants dans un petit pays. Moi. ça me fait rêver." 68

Les cercles d'études existent en Suède depuis 1902 et, avec les organisations populaires, ont constitué le système d'éducation des adultes jusqu'aux an­nées '60 quand l'État a accepté la responsabilité de ce secteur dans le cadre de son système d'éducation.69 En 1975, il en existait 280,000, "grou­pant annuellement plus de 2 millions et demi de participants, dont une bonne moitié étaient des femmes".70 Tout cercle d'étude doit répondre à des ex­igences minimales, clairement précisées au programme pour avoir droit à un support gouvernemental (75% des frais d'animation, matériel d'études et autres frais de formation). Des subventions additionnelles sont prévues pour les ac­tivités de formation des travailleurs sur des sujets jugés prioritaires par le gouvernement.

Ces subventions peuvent être com­plétées par des subventions des autorités locales aux instances locales des associations éducatives (fonctionne­ment, locaux) et d'autres sont aussi allouées par des Conseils de district et des Conseils d'éducation aux adultes. Les sessions en résidence font égale­ment l'objet d'un financement qui s'est élevé, en 1974-75, à quelque $6 millions.

Des congés-éducation payés existent pour les délégué-e-s syndicaux qui peu­vent ainsi être libéré-e-s pour fins d'ac­tivités syndicales, y compris l'éducation syndicale. Et un programme de forma­tion professionnelle en entreprise sub­ventionné par le gouvernement permet aux travailleurs et aux travailleuses de suivre des activités de formation syn­dicale sur leurs heures normales de travail.

Avril au Portugal

La DGEP et Les associations

Après la chute de la dictature fasciste en avril 1974, le Portugal a vécu une période de créativité et de dynamisme extraordinaires bien que de courte durée. La Direction générale de l'éduca­tion permanente (DGEP) s'est insérée dans le mouvement.

Elle décida que la "seule façon de développer une théorie et une pratique adéquates en éducation des adultes est d'aider toute organisation locale vouée à l'éducation des adultes et de l'en­courager à innover librement" .71

Tout son plan d'action allait être basé sur les demandes des groupes locaux que la DGEP voulait rejoindre, d'une part, en répondant à celles qui lui étaient formulées, et d'autre part, en ai­dant à créer les conditions qui allaient stimuler la formulation de demandes nouvelles. Il s'agissait d'encourager les associations qui se développaient à la base en offrant support matériel et technique, et surtout, en leur donnant la reconnaissance officielle de l'Etat de façon à ce qu'elles évitent de se faire marginaliser. C'est à partir d'elles et de leur travail qu'allait se bâtir une éduca­tion permanente.

Se concevant comme un corps public au service des organisations populaires d'éducation des adultes, la DGEP a fait une publicité très grande à son programme pour que toutes les associa­tions et personnes intéressées à en créer connaissent les ressources disponibles.

Les mesures

Dans ce programme, un statut légal est accordé aux Associations d'éducation populaire (AEP) qui poursuivent des objectifs éducatifs et culturels. Elles sont indépendantes de l'Etat, mais celui-ci a une obligation légale de les financer. Elles peuvent décerner des diplômes et la DGEP s'occupe, sur demande, de faire reconnaître les équivalences.

Avec un budget extrêmement limité, la DGEP a alloué des bourses de leadership, sortes de congés-éducation pour les éducateurs populaires, de même que des bourses de recherches sur les activités locales de culture et d'éducation populaires. Des contrats de services ont été passés avec des associa­tions locales pour qu'elles servent de correspondants locaux de la DGEP pour des activités spécifiques, tout en leur laissant entière liberté de mener celles-ci comme elles l'entendaient. Ces contrats s'inscrivaient dans un effort de décentralisation de la DGEP qui voulait éviter de tout contrôler et parachuter de la capitale. L'assistance matérielle et technique a été fournie aux groupes pour les aider a créer leur matériel éducatif (ex.: production de journaux locaux qui allaient servir également de matériel de lecture aux néo-alphabétisé-e-s).

Une vision globale de l'éducation

La DGEP. version 1974-76, avait ac­cordé lu priorité "là où une com­munauté entière s'était unie derrière un objectif commun; ou à toute organisa­tion populaire naissante, même si les buts initiaux avaient peu à voir avec l'éducation". Pour elle, "toute entreprise basée sur l'auto-gestion collective, mise sur pied pour s'attaquer à un large éventail de problèmes quoti­diens était déjà, et incontestablement, une forme d'éducation des adultes et même, d'auto-éducation d'adulte ".

Sa vision de l'éducation était par consé­quent beaucoup plus large et dynamique que la vision bureaucratique limitée à l'éducation formelle. Un des résul­tats remarquables de cette période a d'ailleurs été une remise en question importante de l'école, particulièrement du système d'examen. Celui-ci a été modifié substantiellement de façon à répondre aux besoins des adultes et être davantage axé sur leur réalité quotidienne.

En l'espace de neuf mois, quelque 500 groupes ont été rejoints, reconnus of-ficellement et financés par la DGEP. L'interaction DGEP-associations d'éducation populaire a servi à jeter les bases "d'un nouveau système d'éduca­tion ou même, d'un nouveau système ou 'anti-système' d'éducation en général".

LES ENJEUX

LE DROIT À L'ÉDUCATION PERMANENTE

Une vision globale de l'éducation

C'est à une vision globale de l'éducation que nous sommes aussi convoqués pour situer le problème du financement de l'éducation populaire autonome dans son contexte réel. La vision étroite de l'éducation-transmission des connais­sances à travers des activités formelles traditionnelles doit céder la place à une vision plus large qui, sans exclure cette transmission des connaissances, la situe dans la perspective plus large et aussi plus démocratique d'une conscientisa-tion des participant-e-s pour une prise en charge individuelle et collective de leur réalité de vie et de travail. Conscien-tisation qui se fait à travers l'action collective de transformation de la réalité et la réflexion sur cette action.

En ce sens, l'éducation populaire autonome est véritablement éducation et, qui plus est, elle s'adresse à ceux-là mêmes qui ont eu le moins accès à l'école quand ils étaient d'âge scolaire. Et qui payent aujourd'hui de leurs taxes ce système scolaire auquel leurs propres enfants ont, eux aussi, un accès limité. Leur participation à l'éducation popu­laire dans les organismes volontaires, de même que la multiplication des organismes de ce genre doit être vue comme la manifestation concrète de leur revendication du droit à l'éduca­tion, une éducation de leur choix, qu'ils contrôlent et qui est basée sur leurs be­soins.

Une politique conséquente de financement

Située dans une perspective d'éducation permanente, une politique de finance­ment de l'éducation populaire autonome doit faire éclater le cadre trop limité des programmes actuels et embrasser le secteur volontaire po­pulaire dans son ensemble. Ce droit fon­damental à l'éducation permanente ne peut être assuré sans une politique globale de développement de ce secteur, politique qui soit fondée sur un choix délibéré de démocratisation de l'éduca­tion et, par conséquent, d'une priorité aux milieux populaires. Si une telle politique n'est pas toujours conforme aux principes de rentabilité économique immédiate ou aux schémas technocrati­ques sur lesquels est basé l'actuel non-financement de l'éducation populaire, elle représente cependant un investisse­ment social essentiel pour une popula­tion plus consciente et pouvant ainsi mieux exercer ses responsabilités collectives.

DES REVENDICATIONS À RESPECTER

Pas de recettes toutes faites

La mise en oeuvre de cette politique doit se répercuter dans l'ensemble des programmes de financement gouvernementaux et sa cohérence se retrouver dans chacun, tant au plan national qu'à celui des organismes para-gouvernementaux locaux, tout particulièrement celui des institutions d'enseignement. De plus, une volonté politique de développer le secteur volontaire populaire doit s'accom­pagner de budgets véritablement proportionnés tant aux besoins ex­primés qu'à ceux qu'on invitera à faire connaître.

Il serait prématuré et prétentieux de donner ici des recettes sur la façon de traduire une telle politique dans chaque secteur: là n'est pas notre tâche, d'une part, et de l'autre, c'est dans une in­teraction avec les principaux intéressés, c'est-à-dire les syndicats et les groupes populaires, qu'une recherche concrète des meilleures formes d'application doit se faire. Par contre, des pistes peuvent être indiquées qui tiennent compte des revendications mises de l'avant, depuis quelques années maintenant, par ces mêmes organismes.

L'autonomie

Sécurité financière et continuité

L'instabilité financière actuelle de la très grande majorité des organismes volontaires est évidemment loin d'être favorable à une éducation populaire de qualité, et les organismes eux-mêmes, tout comme des intervenants d'autres milieux de l'éducation, l'ont signalé à plusieurs reprises. Il importe par consé­quent d'assurer une sécurité financière à ces groupes pour permettre de planifier leurs activités de façon ration­nelle et se développer conformément aux besoins auxquels ils répondent, plutôt que de dépendre continuellement du bon vouloir de l'un ou l'autre ministère.

Non-ingérence dans le contenu

Les syndicats et groupes populaires défendent les droits et les intérêts des hommes et des femmes qui contrôlent peu - ou pas - leur situation de vie ou de travail. Ils se trouvent à déranger les intérêts dominants, à menacer ceux qui contrôlent davantage les rennes du pouvoir économique, social, politique en travaillant dans le sens d'une redistribution plus équitable de ce pouvoir. Il est de la plus haute impor­tance pour la défense des droits démocratiques d'assurer au secteur volontaire un financement qui soit ex­empt de toute forme d'ingérence dans le contenu de son éducation: celle-ci doit être déterminée et contrôlée exclusive­ment par les membres et les partici­pants des organismes. L'éducation po­pulaire autonome elle-même doit être prise en charge par eux et exclusive­ment, sinon on la vide de son sens.

Un droit de parole et les moyens pour se faire entendre

L'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique de développement du secteur volontaire populaire doivent être vues non comme un moment déter­miné mais comme un processus continu auquel doivent être associés les organismes qui en sont affectés. Il est clair que sa responsabilité en revient à l'Etat; il ne s'agit donc pas de récupérer ou d'intégrer les groupes pour les neutraliser et empêcher toute reven­dication mais bien de leur assurer un droit de parole, de leur permettre de se faire entendre à la fois de l'Etat et du public. Une participation éclairée au processus nécessite des moyens, matériels et autres, pour étoffer leur analyse et étayer leurs revendications de même que pour les diffuser auprès des organismes et du public.

RESPECTER LE SECTEUR VOLONTAIRE POPULAIRE

II n'y a pas de réponse univoque et définitive au problème du financement de l'éducation populaire dans les syn­dicats et les groupes populaires. Il y a des pistes à suivre,il y a des mécanismes à mettre sur pied mais sur­tout, il y a un dynamisme vital à respecter pour éviter des réponses dogmatiques sclérosantes dont l'effet serait justement d'étouffer cette force vive que représente l'éducation po­pulaire autonome au Québec.

Des réponses souples doivent être trouvées qui puissent respecter et favoriser l'autonomie du secteur volon­taire populaire, une autonomie qui évolue au fil du temps, selon les régions, selon les catégories d'organismes. Ceux-ci ont fait et con­tinuent de faire preuve de créativité pour répondre aux besoins des milieux qu'ils desservent et s'adapter à eux. Toute politique de développement du secteur volontaire populaire, pour être à la hauteur d'une politique d'éducation permanente véritable, doit apporter la même créativité et la même souplesse dans sa propre réponse aux besoins de l'éducation populaire autonome.

LE FINANCEMENT PUBLIC DE L'ÉDUCATION SYNDICALE AUTONOME Mémoire présenté au ministre de l'Education du gouvernement du Québec Monsieur Jacques-Yvan Morin. Par la CEQ. la CSN. lu FTQ. l'UPA Montréal, le 8 février 1978. 28p.

Conseil supérieur de l'éducation. L'ETAT ET LES BESOINS EN EDUCATION. Rapport l978-79. Québec. l'Editeur officiel. 1980, 326p.

Direction générale d'éducation des adultes, NORMES ET CRITÈRES DU PROGRAMME. "Programme d'aide aux organismes volontaires d'éducation populaire, 1980-81", mars 1980.

DGEA, PROGRAMME D'AIDE AUX ORGANISMES SYNDICAUX DANS LE DOMAINE DE L'ÉDUCATION POPULAIRE, 1979-1980.

Conseil des affaires sociales et de la famille, PROMOTION DE LA PARTICIPATION DES GROUPES POPULAIRES A LA GESTION DES SERVICES PUBLICS ET AU DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS. "Etudes et avis". Québec. l'Editeur officiel du Québec, 1978, 55p.

Comité provincial S.E.A.P.A.C. sur l'animation du milieu, VERS UNE POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT COLLECTIF EN ÉDUCATION DES ADULTES AU QUÉBEC, s.l., août 1976, 80 p.. annexes.

Unesco. RECOMMENDATION SUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉDUCATION DES ADULTES. Nairobi. 1976. Comité d'étude sur l'éducation des adultes, RAPPORT, s.l., s.é., 1964, 145p. ("Rapport Ryan").

Conseil culturel de la Communauté culturelle française, Session 1975-76, PROJET DE DÉCRET FIXANT LES CONDITIONS DE RECONNAISSANCE ET D'OCTROI DE SUBVENTIONS AUX ORGANISATIONS D'ÉDUCATION PER­MANENTE DES ADULTES EN GÉNÉRAL ET AUX ORGANISATIONS DE PROMOTION SOCIO­CULTURELLE DES TRAVAILLEURS. 21 octobre 1975, (Belgique) 14p.

Lévesque René. L'ÉDUCATION PERMANENTE ET LE QUÉBEC DE DEMAIN. Faculté d'éducation permanente. Université de Montréal. 6 mars 1978.

Braltset. Hallgjerd, ADULT LEARNING - THE STUDY CIRCLE AS A METHOD. Norvegian Instilute of Adult Education. Oslo. 1979/ Ronéo. 9p.

Melo. A. et Benavente, A.. EXPÉRIENCES D'ÉDUCATION POPULAIRE AU PORTUGAL 1974-1976/ Unesco. "Etudes et documents d'éducation", no 29, Paris, 1978, 47p.

EGALEMENT:

ICEA. LE FINANCEMENT DES ORGANISMES D'ÉDUCATION POPULAIRE. Montréal, octobre 1972. 64p. MÉMOIRE SUR LE FINANCEMENT DES ORGANISMES VOLONTAIRES D'ÉDUCATION POPULAIRE. Présenté au ministre de l'Education du Québec par le Comité d'action des OVEP. s.l.. mai 1977. 45p.

Comité d'action des organismes volontaires d'éducation populaire. DOSSIER D'INFORMATION OVEP. s.l. novembre 1978. pagination multiple.

Texte: Monique Ouellette, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Pres­ses solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas.

Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.

Illustrations: H. Jean, in L'EDUCATION POPULAIRE OU LA VRAIE REVOLUTION. Jean Laurin. Paris. 1977: p. 1,2: R. Lamothe, in LE FINANCEMENT DES ORGANISMES D'EDUCATION POPULAIRE. ICEA. 1973; p. 3: J.F.G.. in LUTTES URBAINES, Vol. I no. 3: p. 4; Catherine, in CFDT AUJOURD'HUI, No. 31, mai-juin 1978: p. 9: Sadabel. in CFDT AU­JOURD'HUI, No. 31, mai-juin 1978: p. 10; Cadier, in POURQUOI?, No. 157, juil.-août 1980: p. 14.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

7. Pour une alphabétisation populaire

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Avant même que soit proposée une nouvelle politique en éducation des adultes au Québec, dans le secteur de l'alphabétisation, cette politique existe. Elle a été formulée dans le document du Ministère paru en 1980: L'ÉCOLE S'ADAPTE À SON MILIEU. ÉNONCÉ DE POLITIQUE SUR L'ÉCOLE EN MILIEU ÉCONOMI­QUEMENT FAIBLE. On a même prévu que la politique globale à venir ne modifierait pas l'action en alphabétisa­tion. Tout au plus le ministre annonce-t-il que les orientations prévues pour les milieux populaires seront "reprises dans un cadre plus général propre aux adultes".

Pourtant, avant de se lancer dans une nouvelle politique, avant d'entreprendre autre chose (qui risque de ne pas être tellement différent de la "chose" ac­tuelle), peut-être conviendrait-il de prendre un temps d'arrêt. Pour tenter d'une part de mieux connaître la réalité même de l'analphabétisme, d'apprécier les actions réalisées depuis 15 ans, pour enfin percevoir les enjeux de la politique actuelle et dégager quelques perspec­tives pour une alphabétisation qui répondrait aux besoins de développe­ment culturel des populations sous-scolarisées.

Depuis 2 ans, le Ministère a exercé un rôle dynamique dans la question de l'alphabétisation. Il est maintenant temps que les principaux intervenants sociaux se saisissent également de cette question qui n'appartient pas en propre aux quelques initiés actuels.

DÉFINITION ET SIGNIFICATION DU PROBLÈME

La difficulté de s'expliquer son analphabétisme.

Si on plaçait la population adulte du Québec devant une feuille blanche et un crayon et que l'on demandait à chacun d'exprimer son point de vue en quelques phrases sur un sujet donné, combien de personnes pourraient réaliser cet exercice? Plusieurs ne le pourraient pas. Certains parce que l'écrit ne leur est pas familier: ils ont appris à lire et à écrire mécaniquement. Mais pour plusieurs, la raison en serait qu'ils ne maîtrisent pas l'écriture; pour un certain nombre encore parce qu'ils ne savent ni écrire, ni lire.

L'analphabétisme existe au Québec - même si son ampleur est moins con­sidérable que celle que l'on retrouve dans le Tiers-Monde. Nous allons tenter de com­prendre ce problème et de caractériser ceux qu'on appelait, il y a quelques années, les ignorants et illettrés et que l'on qualifie techniquement aujourd'hui d'analphabètes.

Qui sont-ils?

Une première définition

A première vue, il peut sembler facile d'identifier les analphabètes: ce sont ceux qui ne savent ni lire, ni écrire, mais cette définition n'est plus opérationnelle quand il faut distinguer ceux qui savent lire, mais non écrire, ceux qui éprouvent de la dif­ficulté et à lire et à écrire, etc.. En pratique, on considère donc qu'en plus des analphabètes complets, il y a des analphabètes fonctionnels: ceux qui connais­sent certains rudiments du code mais qui le maîtrisent encore difficilement. L'Unesco a proposé une définition plus large de l'analphabète fonctionnel: toute personne à qui ses connaissances en lecture, en écriture et en calcul ne permettent pas de participer activement au travail et à la vie sociale. Mais cette distinction est incomplète. La connaissance et la maîtrise des codes que sont la lecture et l'écriture dépendent en grande partie de la maîtrise qu'une personne a de la langue. Dans bien des cas, les analphabètes sont aussi handicapé-e-s au niveau de la langue, des mots (vocabulaire) et de la structure (la grammaire). Or la langue est elle-même indissociable de la pensée: une personne peut d'autant plus prendre conscience du réel qu'elle peut l'ex­primer à l'aide des mots et de la structure du langage. Etre analphabète, c'est donc être limité, aliéné dans sa capacité de réfléchir la réalité, dans sa faculté de choisir et d'utiliser les mois pour le dire ou l'écrire.

L'analphabétisme n'arrive jamais seul

S'il est vrai que l'analphabétisme est un problème spécifique que l'on retrouve chez des individus particuliers, on ne peut en con­clure pour autant qu'il s'agit d'un problème isolé ou individuel. L'analphabétisme, c'est à la fois un problème particulier et le symp­tôme d'une situation économique, politique, sociale et culturelle. Aussi avant de prescrire le médicament, ceux qui se propo­sent comme médecins seraient-ils avisés de connaître d'abord la nature et l'ampleur de la maladie.

Plusieurs données nous permettent de com­prendre que l'analphabétisme est lié à un ensemble de réalités. Par exemple, on con­state que les analphabètes se retrouvent généralement concentrés dans certains secteurs géographiques: il y a moins d'analphabètes à Ste-Foy qu'en Gaspésie, moins à Westmount qu'à St-Henri.

L'analphabétisme est aussi lié à la pauvreté (graphique 1). Les analphabètes constituent une main-d'oeuvre peu qualifiée, une réserve qui sera utilisée au gré des fluctua­tions du système économique: ce sont les chômeurs et les chômeuses, les travailleurs et les travailleuses occasionnelles, les assisté-e-s sociaux. C'est notre organisation économique et sociale qui produit à la fois l'analphabétisme et l'alphabétisme, qui en organise la coexistence nécessaire et réciproque.

Graphique 1

Revenu moyen des familles selon l'instruction du chef 1973

Source: FRAPPIER-DESROCHERS, 1978, p. 49.

Graphique 2

Répartition du revenu entre 1967 et 1977 (Canada)

20% de la population

20% de la population

Source: CASK1E, 1979, p. 21

Graphique 3

Sexe et sous-scolarité

Les analphabètes se situent au bas d'une échelle dont ils ne peuvent, collectivement, gravir les échelons. Au niveau de l'emploi, du revenu, comme ailleurs au niveau du logement, de la consommation, de l'éducation, ils vivent dans une situation bloquée: la société ne leur offre aucune pos­sibilité objective réelle et collective de changement de promotion. Au plan du revenu par exemple, depuis 10 ans, la situa­ tion est restée inchangée: les 20 pour cent les plus pauvres (où on retrouve les analphabètes) ont continué de toucher en­viron 4 pour cent du revenu total alors que les 20 pour cent les plus riches s'ac­caparaient de plus de 42 pour cent (graphi­que 2).

Combien sont-ils?

Il y a des analphabètes au Québec, mais il est difficile d'en préciser exactement le nombre. D'une part parce que la définition de l'analphabétisme réfère à des notions qualitatives qui se mesurent difficilement. Mais aussi parce que les statistiques dis­ponibles portent sur la scolarité: il faut donc établir une relation entre l'analphabétisme et la scolarité.

Il est généralement admis qu'il faut au minimum quatre années d'enseignement primaire pour qu'une personne puisse lire et écrire. Toutefois, dans les pays in­dustrialisés en particulier, plusieurs esti­ment que ceux qui ont moins de 9 ans de scolarité doivent être considérés comme analphabètes fonctionnels.

Plusieurs trouvent que le critère de la neuvième année est beaucoup trop élevé. Pourtant l'expérience permet d'avancer qu'une proportion assez considérable d'adultes ont une scolarité supérieure à quatre années et sont pourtant complète­ment ou partiellement analphabètes. Les statistiques de la DGEA révèlent qu'en 1976-77, la majorité des personnes inscrites au cours de base en français/langue maternelle (0-4e) avaient plus de cinq an­nées de scolarité.

Le tableau de la scolarité de la population adulte permet donc de découvrir l'ampleur du problème (tableau 1). Il y aurait donc en 1976, selon la définition que l'on retient, trois-cent-seize-mille ou un million deux-cent mille analphabètes au Québec, soit 6.8% ou 33.4% de la popula­tion adulte.

  • En 10 ans, il y eut une baisse notable du pourcentage des sous-scolarisé-e-s: cela s'ex­ plique par l'effet conjugué de la croissance démographique (arrivée de jeunes adultes plus scolarisés suite à la réforme de l'éducation à partir des années '60)... et de la mortalité des personnes âgées (massivement sous-scolarisées). Aussi lorsque l'on con­ sidère le nombre total de personnes, on prend conscience que la diminution de la sous-scolarité n'a pas été très considérable.
  • Au niveau du sexe (graphique 3), la répartition hommes/femmes correspond à peu près à la proportion globale du Québec. Une seule exception: dans la catégorie 0-4 années de scolarité, il y a plus d'hommes que de femmes.
  • Au niveau de l'âge (graphique 4), les per­ sonnes plus âgées sont moins scolarisées. On note cependant un taux encore très élevé de sous-scolarisation au sein de la popula­ tion active (particulièrement les 35-64 ans). Quant au lieu de résidence (tableau 2), le taux de sous-scolarisation est plus élevé dans les régions rurales que dans les villes. Mais en chiffres absolus, c'est dans les régions urbaines que l'on retrouve la quan­ tité la plus considérable de personnes sous- scolarisées (les 3/4 en 1976).

Les analphabétismes

Ce tableau général ne rend pas compte des caractéristiques ou catégories qui permet­tent de mieux cerner lessortes d'analphabétisme au Québec. Certains groupes, ou catégories sociales ont été peu touchées par la "démocratisation" de l'enseignement.

Analphabétisme résiduel

Cet analphabétisme s'explique par les retards énormes du Québec en alphabétisa­tion. On en trouve les effets chez les person­nes plus âgées.

L'Eglise s'opposa longtemps a l'instruction obligatoire.

Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette situation, comme le retard de l'économie québécoise qui ne nécessitait pas une main-d'oeuvre instruite (les emplois qualifiés étant longtemps comblés par les anglophones dont le système d'éducation était plus développé). Mais un des facteurs les plus déterminants a certes été l'attitude de l'Eglise et des élites réactionnaires qui, tout en maintenant leur emprise sur le système d'éducation au Québec, se sont longtemps opposées à l'instruction obligatoire réclamée par les organisations ouvrières et la bourgeoisie libérale. La loi de l'instruction obligatoire n'a été adoptée qu'en 1942.

L'Église s'oppose longtemps à l'instruction obligatoire

Tableau 1

Population adulte ayant moins de 9 années de scolarité

QUÉBEC

scolarité

0-4

5-8

0-8 cumulé

1961

399,074

1,322,327

1,721,401

(12.8%)

(42.4%)

(55.2%)

1971

354,890

1,437,990

1,792,880

(8.4%)

(33.9%)

(42.3%)

1976

316,325

1,230,480

1,546,805

(6.8%)

(26.3%)

(33.1%)

CANADA (sans le Québec)

1976

546,370

2,332,400

2,878.770

(4.4%)

(18.3%)

(23.2%)

Source: Statistique Canada

Tableau 2

Scolarité et lieu de résidence (1976)

Scolarité

Localisation

0-4

5-8

0-8

cumulé

Régions urbaines

228,815

915,150

1,143.965

(6.1%)

(24.3%)

(30.4%)

Régions rurales

87,510

315,335

402,845

(9.5%)

(34.2%)

(43.7%)

Total (Québec)

316,325

1,230,485

1,546,810

(6.8%)

(26.3%)

33.1%)

Source: Statistique Canada

Tableau 3

Population adulte par groupes ethniques et la scolarité. Canada 1971

Rang

Groupe ethnique

Total

Niveau inférieur à la 9e année sans aucune autre formation

Pourcentage

1

Indien & Eskimo

148.585

98,935

66.6

2

Italien

434,930

270.320

62.2

3

Français

3,689.690

1.685,585

45.7

4

Ukrainien

381,380

159,665

41.9

5

Polonais

207,685

83.600

40.3

6

Autres & Inconnu

701.585

277.395

39.5

7

Allemand

824,725

272,700

33.1

8

Hollandais

237.515

71,740

30.2

9

Groupes Asiatiques

171,150

48,715

28.5

10

Scandinave

249.870

67,395

27.0

11

Iles Britanniques

5.924,585

1.491,830

25.2

12

Juif

196,345

46.245

23.6

Source: THOMAS. 1976

Analphabétisme actuel

C'est étonnant et pourtant c'est un fait: l'école actuelle produit des analphabètes scolarisés. Le graphique 4 révèle un pourcentage encore élevé de jeunes qui ont moins de 5 ans de scolarité.

Ce l'ait traduit l'échec au moins relatif de l'école particulièrement en milieux popu­laires où les voies allégées, le professionnel court sont les gages assurés d'une éducation manquée. D'ailleurs un nombre important de jeunes réagissent à ces méthodes de rejet par l'école par l'absentéisme et l'abandon.

Les autochtones

Dès le tout début de la colonisation, les blancs ont voulu leur apporter la civilisation par l'alphabétisation... et la formation religieuse. Les Amérindiens et les Inuits sont pourtant les moins scolarisés des groupes ethniques du Québec. Leur analphabétisme découle d'une réalité com­plexe. Peut-on vraiment parler d'analphabétisme dans des sociétés traditionnelles de culture orale? Mais en même temps, les transformations sociales et culturelles (assimilation et/ou intégration économique?) que connaissent ces sociétés ne rendent-elles pas nécessaires la connais­sance du code de l'écriture? L'alphabétisa­tion ne devient-elle pas un instrument néces­saire pour le développement culturel, pour la lutte contre l'oppression nationale? Et s'il doit y avoir alphabétisation dans quelle(s) langue(s) se fera-t-elle: dans la langue maternelle, en anglais (langue usuelle d'un grand nombre) ou en français?

Tableau 4

Population immigrante adulte (1971)

Total

Moins de 9 années pas d'autres formations

Pourcentage

Québec

394,150

161,290

40.9%

Canada (moins Québec)

2,432.025

925,135

38.0%

Source: THOMAS. 1976

Les immigrant-e-s

Un peu comme pour les autochtones, l'analphabétisme chez les immigrant-e-s est en plus affecté par des dimensions culturel­les et linguistiques. On considère habituelle­ment comme analphabètes ceux qui le sont dans leur langue maternelle. Même si les lois de plus en plus restrictives de l'Im­migration tendent à refuser l'entrée du pays aux personnes sous-scolarisées, il existe un nombre considérable d'immigrants analphabètes dans les communautés italien­ne, grecque, portugaise et haïtienne (et chez les réfugiés du Sud-est asiatique). L'analphabétisme chez les immigrants cons­titue une source constante de difficultés et de frustrations: ils doivent inévitablement entrer en contact (par l'écrit) avec les autorités gouvernementales. Leur double condition d'immigrant et d'analphabète entraîne des difficultés énormes au niveau de l'emploi. Enfin, l'écriture constitue sou­vent le seul lien possible avec leur pays d'origine.

L'analphabète: travailleur... souvent chômeur.

Les désalphabétisé-e-s

Ce phénomène se retrouve au sein des catégories dont nous venons de parler, mais il est assez important pour qu'il en soit fait spécifiquement mention. Il s'agit du proces­sus de déperdition de la maîtrise et même de la connaissance du code. Il est impossible de quantifier le phénomène, mais la scolarité initiale élevée d'un nombre considérable d'adultes qui s'inscrivent à des cours d'alphabétisation est révélatrice de son im­portance.

Cette dêsalphabétisation se produit en par­ticulier chez celles et ceux qui dans leur vie quotidienne ne font pas usage de la lecture et/ou de l'écriture. L'environnement culturel y joue un rôle déterminant: dans certains milieux de travail (ou plutôt des secteurs) et certains milieux de vie, l'écrit est pratiquement absent. En milieux popu­laires, on observe la persistance d'une culture basée presqu'exclusivement sur l'oral. Cette situation est renforcée par la pauvreté de l'infrastructure socio-cul­turelle de ces milieux (par exemple les bibliothèques publiques) et la médiocrité de la production culturelle écrite s'adressant à cette population.

Autres "parias"

II faut ajouter d'autres groupes dont l'analphabétisme constitue un des effets de la mise au ban de la société.

Les déficient-e-s mentaux.

Les spécialistes es­timent qu'environ 4% d'une société est at­teinte de déficience mentale. Mais, plusieurs déficients mentaux peuvent s'alphabétiser: par exemple, les débiles légers et certains débiles moyens. Ici la proportion d'anal­phabètes est très élevée parce que les déficients ont été jusqu'à tout récemment exclus d'un système scolaire qui ne tolérait pas l'anormalité. La classification par l'ex­pression déficience mentale doit d'ailleurs être considérée comme suspecte. Ce fut sou­vent une catégorie commode pour placer sur une voie d'évitement les déviants: mésadapté-e-s socio-affectifs, personnes avec difficultés socio-psychologiques - quand il ne s'agissait bêtement pas d'élèves indisciplinés...

Les handicapé-e-s physiques: d'autres exclus du système. On les a souvent automatique­ment assimilés aux déficients mentaux. Plusieurs sont analphabètes parce que l'ac­cès physique à l'école leur était impossible.

Les détenu-e-s.

Un grand nombre d'entre eux sont analphabètes. Les milieux popu­laires (surtout urbains) sont sur-représentés dans les prisons qui sont souvent perçues comme une extension géographique du quartier. Pour les détenu-e-s, l'analphabétisme est d'autant plus grave que l'écrit (l'envoi et la réception de lettres) constitue un moyen privilégié de contact avec l'extérieur.

Des personnes humaines

Ces diverses approches de l'analphabétisme. le l'ait de l'appartenance des analphabètes aux couches populaires ne doivent pas nous faire perdre de vue que l'analphabétisme c'est aussi une réalité vécue quotidienne­ment par des personnes.

L'analphabétisme vécu

L'analphabétisme n'est pas seulement un phénomène objectif, c'est aussi une réalité vécue, donc un phénomène subjectif. De façon générale, on constate une grande dif­férence entre la réalité objective (objec­tivée) du problème et la perception qu'en ont ceux et celles qui le vivent, les analphabètes. Or cette perception subjec-tivée spontanée se révèle être en réalité une perception limitée de leur situation. C'est ainsi que pour la plupart des analphabètes. l'analphabétisme ça n'existe pas. Ils i-gnorent souvent l'existence d'un grand nombre d'analphabètes. Pour eux, l'analphabétisme est un problème in­dividuel, personnel: leur problème. Un grand nombre estime même que la cause de leur analphabétisme est uniquement d'ordre personnel ou familial.

Qui plus est, cette perception subjective est souvent une perception conditionnée, aliénée. On fait automatiquement siennes les idées qui ont communément cours dans la société. Ainsi, l'analphabétisme exerce une fonction mystificatrice qui justifie la position sociale des analphabètes, qui con­tribue à faire accepter non seulement le fait d'être analphabète, mais aussi le fait d'être pauvre et exploité-e. Plusieurs croient que c'est essentiellement leur manque d'instruc­tion qui explique leur situation socio-économique pénible. Et que s'ils ne sont pas instruits, ce n'est pas à cause de l'organisa­tion sociale: c'est leur faute personnelle (si j'avais pas eu la tête dure, si j'avais vraiment voulu, si j'avais pas pensé seulement qu'à jouer, etc.) ou un effet de la fatalité (j'ai pas eu de chance, on avait besoin d'argent, etc.)

Des analphabètes, ça n'existe pas

Nous avons évoqué le conditionnement culturel des couches populaires et des analphabètes en particulier (nous parlerons plus loin du conditionnement culturel des alphabétiseurs). C'est une réalité. Mais c'est aussi une réalité contradictoire. Par exemple, les analphabètes - y compris ceux et celles qui n'ont jamais mis les pieds dans une école - ont intégré un modèle scolari­sant et traditionnel de ce que devrait être leur alphabétisation; mais en même temps le taux élevé d'abandon des classes traditionnelles d'alphabétisation s'explique au moins partiellement par le fait que les analphabètes se sentent étrangers dans un tel environnement pédagogique et culturel.

De façon analogue, la notion même (ou la catégorie) analphabète n'est qu'un aspect de la réalité des personnes. Quand je dis d'une personne qu'elle est analphabète - ou au contraire qu'elle est alphabétisée -je n'ai encore rien dit de la réalité fondamentale, existentielle de cette personne. Bien sûr. dans les sociétés contemporaines, l'alphabétisation constitue un besoin social fondamental. Mais ne retenir que cette dimension traduit et entraîne une vision limitée, réductrice de la réalité.

La pathologie est souvent présente dans le monde de l'alphabétisation: la démarche pédagogique est souvent définie comme une démarche médicale, un processus thérapeutique: un bobo (quand ce n'est pas un malade) qu'il faut guérir. On oublie alors (commodément) l'ensemble de la situation économique, politique, sociale et culturelle qui produit l'analphabétisme. On oublie que les analphabètes sont autre chose que des entités négatives.

La caractéristique analphabète elle-même comporte une contre-partie positive. La parole, la tradition orale constituent le véhicule essentiel de la communication, de la cohésion sociale, de la transmission culturelle. Des formes particulières de com­munication non-verbales se sont dévelop­pées. Il en va de même pour la culture. La culture des analphabètes, la culture des couches populaires est une culture dominée aliénée. Mais elle comporte également de façon contradictoire des éléments positifs. Mentionnons par exemple l'expérience de vie (ne devrait-on pas dire de survivance?) des analphabètes, expérience teintée à la l'ois de résignation et de révolte. On pourrait également faire état de l'attention très grande que portent les couches popu­laires à la réalité concrète, aux relations directes: souvent un mélange de chaleur et de méfiance. De la même façon, qui n'a pas ressenti à leur contact un sentiment diffus/vivace de l'appartenance sociale, un es­prit latent/présent de solidarité?

L'analphabétisme existe chez nous. Ce n'est pas une maladie: c'est un des effets des con­ditions historiques et le reflet toujours ac­tuel de contradictions sociales.

L'alphabétisation ne peut faire l'économie d'une telle analyse.

APERÇU DES PRATIQUES AU QUÉBEC D'ALPHABÉTISATION

LE SYSTÈME SCOLAIRE QUÉBÉCOIS

C'est dans la foulée des transformations économiques et sociales des années '60 et de la réforme du système d'éducation que se développe l'éducation des adultes. C'est dans ce contexte qu'émergera la question spécifique de l'alphabétisation. Cette partie présentera un survol historique et actuel des pratiques d'alphabétisation depuis 15 ans en en résumant les aspects principaux.

Une remarque préliminaire s'impose. Même si les statistiques sont incomplètes, le pourcentage d'inscriptions en alphabétisa­tion semble n'avoir jamais dépassé le cap du 1% de la population concernée (en 1976, on rejoignait 0.5% de cette population en français de base). A cela il faut ajouter un taux d'abandons considérable oscillant entre 17% et 24%. Les pratiques d'alphabétisation ont donc été marginales jusqu'à présent; il n'y a pas eu de rescolarisation massive de la population analphabète.

Les intervenants

Institutionnels

Depuis 1965, ce sont les commissions scolaires (CSR) qui assument la respon­sabilité de l'enseignement élémentaire et secondaire des adultes et, à ce titre, qui organisent les activités d'alphabétisation (appelées cours de base). Pendant plusieurs années, c'est la Commission des Ecoles Catholiques de Montréal (CECM) qui joua un rôle prédominant dans cette ques­tion. Depuis quelques années, d'autres commissions scolaires organisent des ac­tivités spécifiques d'alphabétisation. Quant à la Direction Générale de l'Education des Adultes (DGEA) du ministère de l'Edu­cation (MEQ), ce n'est que depuis 2 ans qu'elle intervient activement dans ce dossier en offrant des ressources et en inci­tant les CSR à faire de l'alphabétisation une priorité.

Le gouvernement fédéral est intervenu pen­dant quelques années dans ce domaine par son Programme de formation de la main-main-d'oeuvre (PFMC) où l'alphabétisa­tion (en fait le cours élémentaire) est con­sidéré comme un pré-requis à la formation professionnelle. Depuis 1976, on sélectionne toutefois de moins en moins les analphabètes: leur temps de scolarisation est estimé trop long...

Dans les COFI (Centre d'orientation et de formation pour les immigrants), le ministère de l'Immigration du Québec offre des programmes d'alphabétisation pour les immigrants nouvellement arrivés.

Non-institutionnels

Les organismes regroupés dans cette catégorie sont variés et leuraction d'alphabétisation a été marginale si on la compare à celle des institutions publiques. Pour certains, l'alphabétisation est une ac­tivité centrale, alors que pour d'autres (groupes communautaires, groupes ethni­ques), elle représente une dimension par­ticulière d'une activité plus globale. Dans plusieurs cas, ces organismes ont été un lieu privilégié d'expérimentation. Leur appari­tion suit de peu les premières initiatives des commissions scolaires. Ces organismes qui s'implantent dans les milieuxde l'analphabétisme (à Montréal en par­ticulier), se concertent et réclament une ac­tion vigoureuse en alphabétisation tout en remettant en question l'approche scolaire. C'est dans leur rang qu'apparaissent le premier bénévolat et les premiers alphabétiseurs à plein-temps. Après une quasi disparition en 1973, on assiste ici également à une résurgence depuis 2 ans.

Les perspectives

La question des perspectives est déter­minante pour dégager la nature des prati­ques d'alphabétisation. Un survol des prati­ques permet de dégager trois approches en alphabétisation que nous tenterons de décrire sans trop les dénaturer en portant une attention particulière à la définition (implicite ou explicite) des analphabètes et de l'alphabétisation qui s'en dégage.

L'approche traditionnelle: des analphabètes à scolariser

L'analphabète est plus ou moins considéré comme un malheureux qui n'a pas eu la chance d'aller à l'école. On ne procède à aucune analyse de ce qu'est l'analphabète en-dehors du fait qu'il ne sait ni lire ni écrire. L'alphabétisation aura donc comme objectif de remédier à cette situation en of­frant aux adultes non-scolarisés ou sous-scolarisés la possibilité de rattraper le temps perdu et de s'introduire/ou se ré­introduire dans le cursus scolaire, dans la normalité. Ce programme uniforme d'instruction compensatoire vise à inculquer à l'étudiant les éléments de base du français (et du calcul) par l'apprentissage technique (mécanique) du code. On a en fait importé dans le domaine de l'éducation des adultes la vieille tradition pédagogique (en réalité anti-pédagogique) de l'instruction des en­fants. Les programmes actuels de Français, langue maternelle du MEQ (et dont il est difficile de savoir à quel point ils s'appli­quent) traduisent parfaitement cette ten­dance dans ce qu'elle a de plus déconnectée de la réalité, de plus débile.

Cette approche de l'alphabétisation (pres-qu'unanimement décriée) a été dominante au Québec. Aujourd'hui encore, même si elle est de plus en plus rejetée au niveau du discours, elle semble occuper une place prépondérante au niveau de la pratique.

L'approche fonctionnelle: des marginaux à intégrer

Cette approche définit les analphabètes et l'alphabétisation de façon plus globale et plus dynamique: elle veut sortir des stéréotypes scolaires pour se rapprocher de la vie. La population cible, ce sont ceux et celles qui sont en marge de la société moderne ou d'un contexte social donné, qui y sont mal intégré-e-s. Une grande attention est généralement accordée à l'intégration dans le monde du travail. Le fait de ne savoir ni lire ni écrire est considéré comme l'une des composantes de l'inadaptation. L'alphabétisation aura donc pour objectif de permettre l'acquisition des connaissances et habilités de base indispensables à une in­tégration sociale. La démarche pédagogi­que se devra donc d'être souple et le contenu de la formation devra être défini selon cha­que situation donnée.

Cette approche a souvent été dénoncée en raison de son aspect intégrateur aux struc­tures économiques, sociales et politiques (qui ne sont pas objets d'interrogation). Ef­fectivement elle est la plupart du temps a-critique. En outre, on y substitue souvent l'enseignement des notions scolaires, à l'enseignement de comportements sociaux (behaviorisme).

Cette critique souvent juste de l'approche fonctionnelle ne doit toutefois pas faire oublier qu'elle est plus proche des besoins concrets et réels des analphabètes et plus susceptible de répondre à leurs aspirations légitimes en terme d'intégration sociale et d'emploi.

Ce modèle est présent au Québec par exem­ple dans certains programmes de formation de la main-d'oeuvre et dans le programme d'alphabétisation du ministère de l'Im­migration.

Une démarche populaire: la collectivité qui s'organise

Dans cette perspective, il existe une volonté affirmée de partir de la culture et des intérêts spécifiques des classes populaires où se retrouvent les analphabètes. On postule que l'alphabétisation doit être une occasion de prise de conscience d'une situation globale d'exploitation (plutôt que de marginalité). La pratique éducative se voit donc assignée un double objectif d'apprentissage de la langue et de conscientisation.

Cette alphabétisation se situe dans une perspective d'appropriation du savoir (de la parole) et du pouvoir par les couches popu­laires.

Des efforts d'adaptation.

Aussi est-il compréhensible qu'elle se soit principalement développée dans les organisations populaires et qu'elle ait été source de conflits lorsqu'elle était trop liée au système scolaire.

Ce courant a été fortement influencé par la pensée et la pratique de Paolo Freire,.mais aussi par tout le courant d'éducation populaire d'Amérique latine qui a péné­tré le Québec à partir de la fin des an­nées '60. Par ailleurs la dissociation alphabétisation/conscientisation a souvent eu pour effet de reléguer l'alphabétisation (l'apprentissage de la langue) à une simple fonction instrumentale et à ne privilégier que la conscientisation définie presqu'exclusivement en termes socio-politiques. Dans certains projets, on a à ce point mis à l'écart l'apprentissage du code, que l'on a tout-a-fait abandonné l'objectif d'alphabétisation...

Quelques composantes

Outils méthodologiques

Pendant plusieurs années, un problème s'est posé: la nécessité de matériel spécifique pour les adultes. Depuis peu toutefois, il existe du matériel québécois pour les adultes de sorte que l'on ne peut plus parler de carence généralisée.

Mais en examinant le matériel produit, on se rend compte que l'on ne peut poser le problème des outils en dehors de la question des perspectives. De fait, le matériel actuel s'inscrit largement dans le courant domi­nant de l'alphabétisation scolarisante. On retrouve principalement des manuels, des cahiers d'?xercices axés sur l'apprentissage mécanique de la lecture et de l'écriture. L'approche de la langue est académique et normative. Nombre de ces manuels in­tègrent une vision du monde qui en général reflète plus celle de la catégorie sociale des auteurs que les intérêts des classes popu­laires. On y dit peu de choses sur la méthodologie et la pédagogie. (Deux méthodes font peut-être exception. Le matériel produit par la CSR de Chambly qui révèle une approche plus globale et plus fonctionnelle de la langue et celui produit par le ministère de l'Immigration qui adopte une perspective nettement fonction­nelle). Il faut se demander si le besoin au niveau des outils est d'abord un besoin en manuels. Il y a une carence évidente au niveau de la méthodologie générale de l'alphabétisation, d'une pédagogie qui reflète la réalité et les intérêts des analphabètes et qui fasse appel à leur par­ticipation (autrement que par l'exécution d'exercices).

Face à une telle situation, plusieurs alphabétiseurs préfèrent construire leur matériel en sélectionnant certains éléments des manuels québécois (ou étrangers) et en produisant, avec les analphabètes, des textes liés aux thèmes de réflexion et d'apprentis­sage. Cette voie est certainement la plus dynamique: elle ménage une place impor­tante aux expériences de vie et aux préoc­cupations des analphabètes et s'avère stimulante et efficace au plan pédagogique. Elle exige cependant l'accessibilité (matériel et budget) à la reprographie et du temps de travail de la part des alphabétiseurs.

Les alphabétiseurs

Le portrait type de l'alphabétiseur moyen serait à peu près le suivant: c'est une femme, elle enseigne à temps partiel, le soir, dans une CSR (pendant le jour, elle enseigne aux jeunes au niveau élémentaire). Quelques-unes enseignent à plein temps (programmes de formation de main-d'oeuvre ou des immigrants). Ces enseignant-e-s sont maintenant plus ou moins couvert-e-s par une convention collective qui a atténué le pouvoir dis­crétionnaire des commissions scolaires. Dans le secteur non gouvernemental, la situation varie d'une institution à l'autre.

La plupart des alphabétiseurs ont une for­mation en pédagogie; quelques-uns ont une formation en sciences sociales. Il n'y a pas de programme spécifique de formation dans les universités c'est peut-être heureux. Les CSR ou le ministère organisent par­fois des activités ponctuelles de formation (en général dans le style initiations aux méthodes). Contrairement à d'autres pays, on ne retrouve pratiquement pas ici d'alphabétiseurs issus des couches popu­laires donc avec un degré d'instruction peu élevé). L'alphabétisation appartiendrait-elle en propre à la petite-bourgeoisie scolarisée?

La recherche

La pratique d'alphabétisation n'a pas été appuyée par une activité correspondante au niveau de la recherche. Les quelques textes produits sont surtout des enquêtes sur la clientèle et des bilans d'expérience. C'est pourtant un besoin: des recherches véritables pourraient contribuer au renouvellement des pratiques.

Les ressources

Même si elles ont connu une croissance cer­taine depuis 3 ans, les ressources sont inadé­quates. Le mode de financement par heures/cours a entraîné une importance démesurée des cours au détriment de l'animation, de la recherche, de la program­mation. Le nouvelles propositions de financement apparaissent de ce point de vue plus intéressantes (nous y reviendrons dans la 3e partie).

ENJEUX ET PERSPECTIVES

L'alphabétisation: un besoin et un droit ... peu reconnu

Une proportion appréciable des adultes québécois sont et doivent être considéré-e-s comme analphabètes. Concrètement ceux et celles qui sont analphabètes sont privé-e-s d'un instrument essentiel fondamental de vie en société. Et l'évolution historique ne fait qu'accentuer ce besoin, elle contribue même à hausser le seuil de connaissance et Je maîtrise de la lecture et de l'écriture in­dispensable à un fonctionnement minimal en société. Suite plus particulièrement aux transformations économiques et sociales à partir des années '60, même pour ceux et :elles que la société marginalise, savoir lire et écrire est une nécessité pratique impérieuse, un besoin quotidien autant dans la vie au travail que dans la vie courante où les occasions de contact avec l'écrit sont constantes.

Conséquemment, il faut affirmer sans am­bages le droit à l'alphabétisation. C'est un droit fondamental qui est d'ailleurs mainte­nant universellement admis. Mais il faut du même souffle reconnaître que l'affirmation officielle et générale de ce droit n'assure pas pour autant son application. Au Québec, nous avons vu que, au total, les actions d'alphabétisation menées jusqu'à mainte­nant n'ont pas été à la mesure de l'ampleur du problème.

Depuis 2 ans toutefois, la situation se modifie. On reconnaît de plus en plus ce problème et la nécessité d'une action inten­sive. La question qui se pose alors, c'est de déterminer comment assurer la reconnais­sance de ce droit.

La politique du ministère

Tel que mentionné au début, le ministère de l'Education a proposé une priorité à l'alphabétisation dans le cadre de sa nouvelle politique pour les milieux populaires. Cette priorité synthétisait les propositions de la DGEA publiées en 1979 (MEQ, 1979). Le premier enjeu dans le contexte actuel, c'est peut-être de réagir face à cette politique que l'on présente com­me presque définitive.

Eléments de cette politique

Constats.

On admet l'échec assez général de l'école en milieux défavorisés, y compris des solutions envisagées aux problèmes de la sous-scolarisation (p. 15). Cet échec (quoi­qu'on note en même temps des réussites) est imputé à une mosaïque de causes: non-adaptation de l'école, problèmes d'acces­sibilité, manque de souplesse, etc.

Proposition générale.

La proposition générale sera la réponse en positif à ce qui a été constaté négativement: il faut donc adapter les services éducatifs à la situation des adultes (p. 26). On y parviendra prin­cipalement par une triple priorité: l'alphabétisation, la formation pré-professionnelle et professionnelle. Et ceci, parce qu'il y a nécessité de dispenser une formation de hase minimale jugée indispen­sable par tous, à commencer par les services publics eux-mêmes (p. 29).

La partie alphabétisation

En ce qui a trait plus spécifiquement à l'alphabétisation, les intervenants seront:

  • les commissions scolaires (particulière­ ment celles qui n'en font pas)
  • un réseau potentiel des organisations volontaires (p. 106)

Quant au contenu de cette alphabétisation, on en dit peu de choses si ce n'est pour af­firmer que l'alphabétisation des populations particulières ne sera pas uniformément réductible à la scolarisation et qu'en consé­quence les contenus, les moyens, les objec­tifs et les styles pourront considérablement varier (p. 106).

Cette priorité est assortie de mesures ad­ministratives:

  • centre de responsabilité à la DGEA (planification, coordination, développement des activités, communication avec le milieu, production d'instruments et perfectionne­ ment des ressources!!!)
  • table consultative de l'alphabétisation rassemblant les "partenaires": DGEA commissions scolaires, organismes volon- taires, organismes spécialisés et experts.

Cette politique entre en application en 1980-81 et un budget de soutien sera accordé aux commissions scolaires. Pour ce qui est des organisations volontaires, les argents seront pris à même le budget des OVEP (Organismes volontaires d'éducation po­pulaire) à qui on impose - comme si de rien n'était - les nouvelles priorités du ministère!

Premiers commentaires

Une analyse détaillée de cette politique reste à faire par les principaux intéressé-e-s. A maints égards, cette politique est impor­tante parce qu'elle introduit des éléments de changements significatifs dans la politique d'éducation des adultes. Plusieurs de ces aspects sont positifs:

  • reconnaissance de la spécificité de l'alphabétisation
  • retrait du monopole exclusif des CSR sur l'alphabétisation (et reconnaissance des organisations volontaires à ce niveau)
  • acceptation du principe de la diversité des contenus, des méthodes et des moyens.
  • Ouverture à l'expérimentation.

Mais cette politique suscite des réserves et des questions. La première réserve déborde à première vue la seule question de l'alphabétisation: on ne retrouve aucune trace d'une politique globale de l'éducation des adultes en milieux défavorisés (milieux populaires) dans laquelle cette action en alphabétisation pourrait s'inscrire. Aucune problématique des besoins éducatifs des milieux populaires, aucune trace d'une stratégie générale de développement éducatif et culturel. La réalité collective des milieux populaires y joue principalement un rôle de décor de carton-pâte pour cer­taines actions éducatives. Considérés isolé­ment, plusieurs constats s'avèrent justes: mais pour l'essentiel c'est un amalgame de mesures diverses dont la problématique principale (persistante) est définie en termes d'accessibilité. Après le fiasco du program­me Multi-Média où l'on avait proposé une action éducative personnalisante informe pour les milieux populaires, le ministère semble opter pour des approches plus cir­conscrites, plus ponctuelles... moins ris­quées.

Au niveau même de l'alphabétisation, pour­quoi cette priorité? Et pourquoi cette priorité isolée? (On remarquera que les 3 priorités du ministère sont principalement définies en termes d'intégration/réintégra­tion socio-économiques et ces priorités ne sont pas sans relation avec le programme actuel de réintégration forcée des assistés-sociaux sur le marché du travail instauré par le ministère des Affaires sociales).

Cherche-t-on tout simplement à élever le seuil de scolarisation de la population sous-scolarisée pour qu'elle puisse minimalement fonctionner dans une société moderne en in­stituant un programme souple d'IMG (Instruction minimum garantie) pour les milieux populaires?

Enfin l'imposition de cette priorité unilatéralement décrétée et assignée d'autorité aux milieux populaires a eu un ef­fet objectif de désorganisation. En 1980-81, l'imposition de priorités au programme OVEP et la ponction effectuée sur une proportion importante de ce budget cons­tituent une opération de rapine et de pillage. (Heureusement les organismes volontaires d'alphabétisation n'ont pas été dupes d'une telle opération et appuient la lutte des OVEP contre l'imposition de ces prio­rités ministérielles.)

Que l'on nous comprenne bien. Il n'est pas question de s'opposer à la priorité accordée à l'alphabétisation. Mais cette priorité devrait être définie, à la suite d'une analyse véritable des pratiques d'alphabétisation, dans le cadre d'un projet cohérent de promotion éducative et culturelle des milieux populaires et avec la participation de ces milieux.

Un bilan à faire

Avant de lancer massivement la population sous-scolarisée du Québec dans la consom­mation d'activités d'alphabétisation, il im­porte de dresser un bilan des actions menées depuis 15 ans, en particulier des actions des commissions scolaires qui s'étaient vues confier le mandat d'organiser localement les enseignements.

Le bilan de ces pratiques devrait faire état non seulement des expériences originales, innovatrices, mais surtout des pratiques représentatives. Les programmes d'alphabétisation ont été de plus en plus ac­cessibles à la population concernée; pour­quoi n'ont-ils pas été plus fréquentés, pour­quoi les a-t-on nombreusement abandon­nés?

Il faut aussi analyser l'uniformité des programmes, leur contenu culturel, leur, capacité de s'insérer dans les milieux où ex­iste l'analphabétisme.

Quelle a été la fonction réelle de l'alphabétisation? A-t-on effectivement ap­pris aux analphabètes à lire et à écrire? Leur a-t-on facilité l'intégration sociale? L'alphabétisation a-t-elle exercé un effet réel au niveau de l'emploi? Quelle a été la fonction symbolique de l'alphabétisation: développement de l'autonomie ou intégra­tion et renforcement des schèmes dominants de dépendance? N'a-t-on pas vendu l'illu­sion de la mobilité sociale par la scolarisation?

Les instances scolaires doivent participer à ces bilans: c'est une condition nécessaire pour que le passage des activités de scolarisation à des activités d'alphabétisa­tion ne se réduise pas à une simple modifica­tion du terme.

Mais ce bilan doit aussi être le fait des organisations ouvrières et populaires qui depuis quelques années sont plutôt muettes sur toute la question du développement culturel, de la formation générale des adultes (exception faite de la formation professionnelle et de l' éducation populaire autonome). Ce bilan serait aussi prospectif: quelles stratégies éducatives cor­respondraient aux besoins et aux intérêts des classes populaires - y compris dans le domaine plus spécifique de l'alphabétisation? Ces organisations sont-elles intéressées à participer à la création de ce réseau d'organisations volontaires proposé par le ministère?

Quelle alphabétisation?

Dans la mesure où ce bilan des pratiques sera réalisé, on découvrira que le problème de l'alphabétisation ne se situe pas tant en périphérie de l'alphabétisation (dépistage, recrutement, méthodes et manuels, évalua­tion, etc.), mais au coeur du problème. C'est l'activité elle-même qu'il faut questionner: redéfinir radicalement la nature même de la pratique, proposer des hypothèses nouvelles, ... et les expérimenter. L'exigence actuelle, c'est de définir les paramètres d'une alphabétisation qui s'inscrive dans une politique globale de dynamisation et de développement culturels des milieux popu­laires. Ce projet global, c'est aux prin­cipaux intéressé-e-s et aux organisations populaires de le définir. Ici nous tenterons plutôt d'en dégager quelques éléments de façon incidente pour en faire ressortir des perspectives propres pour l'alphabétisation.

Perspectives

Dans la mesure ou l'on perçoit l'analphabétisme comme phénomène in­dividuel et comme phénomène collectif, à la fois comme problème spécifique et comme symptôme, le processus d'alphabétisation devra intégrer ces dimensions. Nous for­mulerons 3 dimensions/finalités:

  1. L'alphabétisation est un processus d'ac­ quisition, d'appropriation des outils culturels de la langue (parlée, lue et écrite) par les groupes sociaux qui en sont exclus.
  2. Le travail sur la langue conduit à poser le rapport entre celle-ci et le réel: l'alphabétisation est en même temps occa­ sion de réfléchir/comprendre/dire la réalité.
  3. Dans ce processus de relation au réel, l'alphabétisation devrait faciliter l'adapta­ tion critique et répondre ainsi aux besoins concrets d'insertion sociale.

S'initier à la langue, c'est fondamentale­ment développer ses capacités de penser et de dire - les éléments de la langue (vocabulaire et grammaire) constituant le support nécessaire à l'expression et à l'ar­ticulation de la pensée; c'est devenir en mesure de maîtriser le langage. Pour at­teindre ces objectifs, il faut réincarner l'ap­prentissage de la langue, partir de la réalité vécue, de l'expérience de vie (considérable) des analphabètes: partir de leur langage, de leur vocabulaire et de leur culture. L'objec­tif n'est pas d'enseigner le bon français, de normaliser le langage des analphabètes (et ce faisant, les analphabètes eux-mêmes): ce bagage linguistique et culturel sera in­terrogé; on re-questionnera les perceptions spontanées, les formulations toutes faites.


Le processus d'appropriation de la langue est aussi un processus d'appropriation de la réalité.

L'alphabétisation doit se définir comme un acte créateur présentant une double perspective. D'une part elle remplit une fonction d'adaptation sociale à la culture existante, à la société actuelle. Mais ce processus d'adaptation doit se dérouler de façon active et dynamique et non par des procédés de conditionnement et de rétrécis­sement de la conscience. D'autre part l'alphabétisation doit précisément être oc­casion de création culturelle, d'exercice de la fonction critique et de la créativité. L'alphabétisation peut aussi être un mo­ment de dépassement de la culture ex­istante.

Au plan pédagogique, une telle démarche oblige à sortir de la pédagogie traditionnelle de la dépendance. Seul le développement d'une pédagogie axée sur l'autonomie des participant-e-s peut correspondre aux finalités énoncées. Cela exige une démarche et un format de travail repensés où il n'y a pas de tutelle exclusive de l'animateur sur le groupe, mais où des relations bilatérales, multilatérales pourront s'exercer au coeur même du processus d'apprentissage.

Une telle pédagogie accorde une attention à chaque individu, à sa perception, à ses be­soins particuliers; mais en même temps, elle n'occulte pas la dimension sociale et collec­tive des problèmes - à commencer par le fait d'être analphabète.

S'il apparaît que les finalités de l'alphabétisation doivent être redéfinies et unifiées, une telle opération n'implique pas que les processus de l'alphabétisation revêtiront la forme d'un modèle unifié. Au contraire, les objectifs formulés, la con­figuration particulière que prend l'analphabétisme dans chaque catégorie sociale exigent une diversification des prati­ques.

La formation et la recherche

Avec le développement prévisible des ac­tivités d'alphabétisation, devront également se développer des projets de formation et de recherche. Il s'agit d'ailleurs là d'un besoin urgent. Mais ces deux questions devraient être situées dans le cadre de la perspective d'ensemble: si l'on continue à isoler l'alphabétisation comme s'il s'agissait d'une activité essentiellement particulière, les ac­tivités de formation et de recherche ne pourront que refléter une problématique tronquée à l'avance, leurs résultats étant préalablement hypothéqués.

Si l'on avance qu'il est souhaitable que ce soient les milieux eux-mêmes qui assument la responsabilité de leur apprentissage, il faudra assurer des modalités organisation-nelles qui permettront d'atteindre ce but. A ce sujet, on s'interroge sur la table con­sultative prévue par le ministère: quel sera le rôle, et l'autonomie des organismes et ins­titutions qui y participeront?

Pour ce qui est des organismes volontaires, si on veut effectivement ne pas isoler l'alphabétisation des autres dimensions de l'éducation populaire, ne faut-il pas que les budgets continuent d'être rattachés au programme OVEP (à condition évidem­ment que l'on ajoute les sommes in­dispensables à la réalisation des projets alpha)? Il y a certainement danger que des organisations populaires succombent à cette nouvelle sirène (klondyke) que pourrait devenir l'alphabétisation: les modalités de gestion prévues risquent peut-être de faire perdre de vue que l'alphabétisation doit s'insérer dans une perspective d'éduca­tion populaire. A cet égard, on aurait avan­tage à s'inspirer de l'attitude des groupes ethniques qui, tout en réalisant des projets d'alphabétisation, tentent d'insérer cette ac­tion spécifique dans la perspective plus globale du développement culturel et social de leurs communautés.

Le financement

C'est une question déterminante! L'examen du budget du MEQ indique, pour 1980-81, la priorité alpha n'est pas une priorité budgétaire! Déjà l'examen des budgets révèle un décalage important entre ce qui a été versé (pillé dans le budget des OVEP) aux organisations volontaires ( +- 150,000.00) et ce qui a été accordé aux commissions scolaires (+- 475.000.00): un rapport de 25% à 75%. En fait l'écart est beaucoup plus grand car cela n'englobe pas les sommes utilisées par les commissions scolaires pour les cours d'éducation de base. Mais il ne s'agit pas d'opposer commis­sions scolaires et organismes volontaires. Chacun devra trouver sa spécificité. Les organisations volontaires ne doivent pas être considérées comme une béquille pour l'action déficiente ou plus onéreuse des CSR et celles-ci à leur tour doivent repenser leur action non pas tant en se lançant dans des activités para-institutionnelles, mais surtout en redéfinis­sant leur programme de formation académique générale. Pour le financement, ce qui est en réalité plus troublant, c'est le pourcentage accordé à cette nouvelle priorité par rapport au budget global estimé de la DGEA: $625.000.00 sur un budget estimé de S144 millions soit: 0.3%. Même en ajoutant les sommes versées pour la recherche et le développement dans les commissions scolaires, cette priorité représentera une fraction de 1%...

Plusieurs fonctionnaires affirment pourtant que l'alphabétisation, ça coûte cher. Le ministre lui-même annonce que l'on fera preuve de discrimination positive à l'égard des classes désavantagées (MEQ, 1980, p. 105). Ici encore, la réalité telle qu'elle est réellement vécue par les milieux populaires s'avère différente. Nous avons déjà vu que les populations analphabètes et sous-scolarisées sont celles qui sont les moins touchées par les programmes d'éducation des adultes. Bien plus, le tableau (5) de la répartition du coût total de l'éducation au Québec montre que c'est précisément l'adulte qui n'a pas complété son cours élémentaire ou secondaire qui reçoit le moins (il coûte 10 fois moins cher qu'un étudiant universitaire!). Inégalités sociales et inégalités scolaires vont de pair: ce sont les classes populaires (enfants comme adultes) qui profitent le moins des budgets de l'éducation au Québec et cela, même en incluant tous les programmes de discrimina­tion positive.

CONCLUSION

Pris dans le feu de l'action, d'aucuns croiront que le temps n'est plus à la réflexion mais à l'action et qu'il importe avant tout de se mettre au travail, de développer les res­sources et les instruments indispensables à l'intervention.

Il serait regrettable de ne pas profiter d'un moment de réflexion à l'occasion des travaux de la Commission d'étude sur la formation des adultes. La politique québécoise de développement culturel ne proposait-elle pas de revenir à l'essentiel en éducation?

Et si la réponse aux besoins fondamentaux des analphabètes ne se situait pas tant au niveau d'une amélioration des pratiques ac­tuelles que dans la redéfinition radica­le de celles-ci?

Tableau 5

Budget de l'éducation 1977-78

réseaux

% du budget total

"per capita" incluant tous les frais

élémentaire secondaire

57.90

S 1 180.

collégial

12.07

S 3 790.

universitaire

16.79

S 5 077./ $5771.

éducation des adultes

.sans fédéral

1.16

$ 517.

.transfert fédéral

1.92

$ 763.

Source: VEILLEUX, 1978, p. 19

Ouvrages généraux

COLLECTIF D'ALPHABÉTISATION (1979). ALPHABÉTISATION. PÉDAGOGIE. PRATIQUES. RÉFLEXION. Paris: Maspero.

Freire, Paolo (1971). L'ÉDUCATION , PRATIQUE DE LA LIBERTÉ. Paris: Cerf.

Freire, Paolo (1974). PÉDAGOGIE DES OPPRIMÉS. Paris: Maspero.

Freire, Paolo (1978). LETTRE À LA GUINÉE-BISSAU SUR L'ALPHABÉTISATION. Paris: Maspero.

Meister, Albert (1973). ALPHABÉTISATION ET DÉVELOPPEMENT. Paris: Anthropos.

Alphabétisation au Québec:

Hautecoeur, Jean-Paul (1978). ANALPHABÉTISME ET ALPHABÉTISATION AU QUÉBEC. Québec: ministère de l'Education.

Laperrière, Micheline et Wagner, Serge (1980). L'ALPHABÉTISATION À REPENSER. L'EXPÉRIENCE DU CARREFOUR D'ÉDUCATION POPULAIRE DE POINTE ST-CHARLES. Montréal: Le Carrefour.

MEQ (1978). ALPHA 78. RECUEIL DE TEXTES (préparé par J.-P. Hautecoeur). Québec: ministère de l'éducation.

MEQ (1979), POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ALPHABÉTISATION AU QUÉBEC (par J.-P. Hautecoeur). Québec: ministère de l'Education.

Les manuels:

Laroche. Clémence et Trépanier, Armand (197-79). DE L'ÉCOUTE À LA LECTURE ET JUSQU'À L'ÉCRITURE. Montréal:

Guérin.

Pour les autres manuels, il faut s'adresser aux différentes commissions scolaires: Chambly, CECM, Youville - et au ministère de l'Im­migration

Pothier, Nicole (1980). QUELQUES MOTS SUR LES MÉTHODES D'ALPHABÉTISATION AU QUÉBEC ET FICHES TECHNIQUES. Québec: ministère de l'Education.

Documents cités:

MEQ (1980). L'ÉCOLE S'ADAPTE À SON MILIEU. Québec: ministère de l'Education.

Caskie. D. (1979) DONNÉES DE BASE SUR LA PAUVRETÉ AU CANADA. 1979. Ottawa: Conseil canadien de développement social.

Frappier-Desrochers, Monique (1978). LA RÉPARTITION DES REVENUS AU QUÉBEC... 1973. Québec: Office de planification et de développement.

Thomas, Audrey M (1976). ADULT BASIC EDUCATION LITERACY ACT1VITIES IN CANADA. 1975-76. Toronto: World Literacy of Canada.

Veilleux. Alfred (1978). L'ÉDUCATION DES ADULTES DANS LES INSTANCES SCOLAIRES. 2 vol. Québec: ministère de l'Education

Aussi: les STATISTIQUES DE L'ÉDUCATION DES ADULTES du MEQ et les cahiers du recensement fédéral de 1976 (POPULATION: CARACTÉRISTIQUES DÉMOGRAPHIQUES)

... Et si quelqu'un ne croyait toujours pas qu'il y a des analphabètes ou s'il voulait en voir: J'AI PAS MES LUNETTES, film de Robert Verge produit par l'ONF (1978) - 27 minutes.

Texte: Serge Wagner, professeur UQAM. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression:

Les Presses Solidaires Inc. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.

Illustrations: Claudius, in A LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE CONSCIENCE SOCIALE. IDAC. No. 14: p. 1: LA PRES­SE, 9 juin 1977: p. 2; J'AI PAS MES LUNETTES, film de Robert Verge, ONF, 1978: pp. 3. 7, 9, II; E.-J. Massicotte, LE BULLETIN PAROISSIAL, 1918: p. 4; R. Godbout, LE BLOC, Régionale Jean-Talon, déc. 1979: p. 10: Coopérative des Services multiples, Lanaudière: pp. 13, 14, 15.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

8. La pédagogie clandestine

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Dans ce long cheminement qu'est notre éducation permanente, nous sommes tous et toutes, plus ou moins des chiens de Pavlov ou des rats qui pressent sur des leviers. Les chiens de Pavlov que nous sommes ont appris par la répéti­tion parfois même jusqu'à l'abrutisse­ment, à faire des liens, des associations qui n'étaient pas là. Au chien. Pavlov avait appris à saliver lorsqu'une cloche sonnait: quant à nous, on nous a appris que 3 et 2 font 5. que le son "a" s'écrit "a", que Dieu est un pur esprit, et que John and Mary, c'est de l'anglais.

On nous a aussi appris ce qu'est l'école, l'examen, le devoir, la dictée, autant de cloches qui nous font saliver à la saveur de notre éducation.

Les rats presseurs de leviers que nous sommes, sont ceux qui ont appris toutes les habiletés nécessaires à plaire au professeur, à écrire de beaux textes et à faire des travaux pour enfin avoir le diplôme ou les crédits dont on nous avait tant dit de bien. Que de temps, que de papier dont il ne reste plus que l'utile et le merveilleux...

Ce texte s'adresse aux adultes: ceux et celles qui apprennent déjà dans le cadre d'un programme ou de toute autre façon ou qui aimeraient le faire. A ceux et à celles qui de toutes façons ont déjà connu ou connaissent l'école, qui en ont une image, des souvenirs.

Il parle de pédagogie: il y a bien des façons d'en parler. Plusieurs textes qui existent déjà et qui sont très bien faits expliquent ce qui motive une personne adulte à s'inscrire à des activités, pour­quoi elle est anxieuse lorsqu'elle retourne aux études, comment il faut mettre à contribution son expérience du travail et de la vie, créer des situations où elle pourra interagir avec les autre participant(e)s. discuter, échanger des points de vue. se rendre compte que son cerveau n'a pas ramolli, etc.. A quoi bon redire ce qui a déjà été très bien dit?

Ce texte n'a pas l'intention de vous parler de pédagogie comme on l'entend souvent, c'est-à-dire seulement com­ment le professeur va-t-il réussir à faire apprendre, à passer sa matière. On dit souvent que lorsqu'un adulte est décidé à apprendre, il se débrouille pour le faire, quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve. On n'a pas tout à fait tort: la raison de cette at­titude c'est que la méthode d'enseigne­ment n'est qu'un élément d'un ensem­ble qui ne peut pas suffire, en soi, à ex­pliquer pourquoi il y a eu ou non ap­prentissage dans un cours. La sym­pathie qu'inspire le professeur, la motivation des participant(e)s, ou toutes sortes d'autres raisons rendront les effets de la méthode bien difficiles à cerner. (Ça n'est cependant pas une raison, par ailleurs, pour complètement négliger cet aspect...).

Mais il y a d'autres choses qui nous ap­paraissent peut-être plus importantes à dire: c'est que le système d'éducation nous contrôle et nous conditionne. Il décide pour nous des cloches qui nous ferons réagir, des leviers que nous pres­serons. Il joue sur nos valeurs, nos at­titudes, notre "inconscient", pour le meilleur et pour le pire. Et la façon par laquelle il y arrive peut aussi s'appeler de la pédagogie: de la pédagogie clandestine, celle dont on ne parle pas souvent.

Il existe des tonnes de classifications en éducation: une de plus ne changera pas grand-chose. Celle-ci vous propose quatre modèles: le dressage, la carotte, le monnayage et l'alternative.

Le dressage

Le modèle du dressage ressemble étrangement à ce que Pavlov fit subir à ses chiens; à force de leur présenter de la nourriture accompagnée d'un son de cloche, le seul son de la cloche réussit à les faire saliver. C'est ainsi que nous faisons la plupart de nos apprentissages de base. Quand on apprend à un enfant à parler, au tout début, on lui montre un objet en répétant le nom de cet objet. Après un certain temps, l'objet suffit à faire dire le nom, de même que le nom suffit à évoquer l'objet. C'est à force de répétitions de ce genre qu'on a appris les rudiments qui permettent de lire, écrire, compter, parler anglais, etc..

La force de ces conditionnements dé­pend surtout de deux facteurs: la rigueur et la répétition. Pour ce qui est de la répétition, cela va de soi: tout le monde sait qu'à force de répéter on finit par emmagasiner n'importe quoi. La rigueur pour sa part, est nécessaire afin d'éviter les ambiguïtés: si notre pauvre chien, lorsque la cloche sonne, reçoit tantôt de la nourriture, tantôt un choc électrique, tantôt rien du tout, il ne peut pas savoir à quoi s'attendre.

Vous avez peut-être reconnu dans ce modèle un aspect important de l'école traditionnelle. Ce qui caractérise ce modèle, c'est que la totalité du pouvoir repose entre les mains de l'éducateur - dresseur - l'apprenant étant réduit à être façonné par un programme qu'il ne lui appartient pas de définir, et selon des modalités imposées. Ce type de conditionnement est effectivement celui qui requiert le moins d'être sensible aux décisions ou volontés de celui qui apprend. Des informations très claires et beaucoup de répétitions sont les points majeurs de cette méthode.

Cela ne va pas sans effets secondaires. Ainsi. Saljô, un chercheur suédois, fit récemment une enquête auprès d'adultes de 15 à 73 ans, ayant entre 6 et 17 ans de scolarité. Il leur demandait, entre autres:

"C'est quoi, pour vous, apprendre?"

A cette question, les moins scolarisé-e-s. donc les plus exposé-e-s a cette méthode d'apprentissage, répondirent (évidemment?...) que c'était d'ap­prendre des choses par coeur, d'em­magasiner des informations. Etre capable de reproduire, de redire ce qui avait été dit ou lu, sans vraiment qu'ils se préoccupent de distinger entre savoir et comprendre...

Réceptivité... Passivité... Docilité...

C'est là le message caché et le prix qu'il faut payer lorsqu'on apprend pendant des années des choses qui ne se discu­tent pas: on ne discute pas de la per­tinence de savoir lire, écrire, compter, de connaître la définition d'un minimum de mots. Pas plus qu'on ne discute comment s'écrit un a. et com­bien font 12 fois 12. Pas plus qu'on ap­prend, ainsi, à discuter...

Les trois autres modèles reposent sur un autre procédé. Celui-ci prétend que nos comportements sont contrôlés par leurs conséquences. En d'autres termes, si le fait de poser tel geste amène des consé­quences qui sont agréables, le com­portement sera maintenu. Inversement, si les conséquences du comportement sont désagréables ou s'il n'y a pas de conséquence du tout, le comportement disparaîtra de nos habitudes. C'est ainsi qu'on apprend à des rats de laboratoire à presser sur des leviers. Si la ou les pressions sont suivies de nourriture ou autre conséquence agréable, le rat pre-se. Sinon, il s'arrête ou n'apprend pas.

En ce qui nous concerne ici, la question est de savoir qu'est-ce qui peut bien nous faire continuer à apprendre: en d'autres mots.

Finalement, pourquoi {pour quelles conséquences) est-ce que j'ap­prends?

Saljo. R.. LEARNING ABOUT LEARN-ING. Higher Education, 1979, 8, pp. 443-451.

Mais poser lu question dans des termes aussi généraux est peu éclairant: on en arrive vite à des réponses toutes faites qui n'avancent à rien. Il faut plutôt comprendre cette question comme un résumé d'une foule de petites questions, par exemple:

En fonction de quelles consé­quences est-ce que j'entreprend ce diplôme? Je suis tel cours précis? Je fais ce travail de groupe, auquel je crois plus ou moins? Je m'obs­tine à assister au cours alors que j'ai la conviction d'apprendre plus chez moi?

On peut, ainsi, en fouillant (méfiez-vous des évidences!) trouver les consé­quences qui finalement contrôlent nos actions: en d'autres mots, savoir qui nous conditionne et comment.

Ce qui différencie les trois modèles qui suivent c'est 1) la nature des consé­quences; 2) qui décide de ce qu'on ap­prend.

En ce qui concerne la deuxième ques­tion, c'est assez facile à comprendre: ou bien c'est l'apprenant, ou ce sont d'autres personnes comme le profes­seur, les concepteurs de programme, etc.. C'est la distinction entre les divers types de conséquences qui est plus délicate à faire. En somme, on peut les regrouper en deux catégories dont voici des exemple.

Dans un cas, c'est

  • obtenir un diplôme qui, dans les faits me permet d'avoir un emploi
  • apprendre une nouvelle façon de travailler qui me facilite la tâche.
  • savoir comment réparer un objet qui m'appartient et ainsi économiser des frais.

Dans l'autre cas, c'est

  • apprendre un métier mais ne jamais le pratiquer faute d'emploi dans le secteur.
  • avoir des crédits en apprenant que ce que l'on fait est inefficace et qu'il faudrait procéder autrement sans pouvoir le faire parce que le milieu de travail ne le permet pas.
  • apprendre des choses tellement théoriques qu'on ne les utilisera jamais, et qu'on les oubliera avant même de les avoir vraiment comprises.

Autrement dit, dans un cas il y a, en plus du plaisir ou de la satisfaction d'avoir appris, l'acquisition d'un pouvoir (i.e. disposer de moyens (...) qui permettent une action. Petit Robert) réel. Dans l'autre cas, il y a le plaisir d'apprendre et l'acquisition d'un pouvoir, mais qui reste dans les airs; une sorte d'apprentissage déconnecté. Ca peut vouloir dire: "Si on avait su, on ne l'aurait pas fait", mais pas néces­sairement: il y a actuellement une foule de gens qui apprennent sans grand plaisir tout en sachant que ça ne leur donnera probablement que peu de choses, un peu comme s'ils continuaient sur l'air d'aller, victime d'un contrôle subtil dont la recette se compose de crédits, de promesses de prestige et de diplômes. Cette foule de gens, c'est un peu chacun de nous, qui, pour peu que nous ne soyons pas vigilant, tombons dans les pièges du crédit, de la publicité, de la démagogie et autres...

Contrôle du contenu

Nature des conséquences

Pouvoirs réels

Pouvoirs artificiels

Pur l'apprenant

Modèle IV: l'alternative

Par d'autres

Modèle III le monnayage

Modèle II la carotte

A l'aide de ces deux questions, on peut ainsi faire le tableau ci-dessus, qui permet de distinguer les trois modèles: Quelle que soit la réponse à ces deux questions, ces modèles présentent déjà une différence par rapport au premier modèle: on doit à tout prix tenir compte de l'apprenant dans le choix des consé­quences puisque c'est lui seul qui peut déterminer si elles lui sont ou non agréa bles, si elles le feront marcher. De plus, l'apprenant doit être actif puisqu'il lui revient d'émettre le comportement, le conditionneur ne contrôlant que les conséquences de celui-ci.

Voici donc ces trois autres modèles.

La carotte

Bien petite carotte, en fait! C'est un peu la situation où on vous dit "Apprenez ça! Vous verrez, plus tard , vous en aurez besoin!" On ne décide pas plus qu'on ne participe aux décisions relatives à ce qu'on apprend, et on ne sait pas exactement pourquoi on ap­prend ceci plutôt que cela. Les consé­quences qui contrôlent notre comporte­ment, c'est "peut-être que c'est vrai qu'un jour on va en avoir besoin pour vrai, de ce qu'on va apprendre". C'est aussi l'image que nous a laissé le dressage passé, du professeur qui a tou­jours raison et du diplôme qui enrichit. Question de confiance, quoi. En atten­dant, pour aider, il y a les notes et les crédits: ça fait toujours ça de pris.

Autrement dit, c'est la pédagogie des cours obligatoires qu'on suit stricte­ment pour compléter un programme, du DEC qu'on fait seulement pour pouvoir entrer à l'université, du travail dont on se débarrasse pourvu qu'on ait les crédits. C'est la danse éternelle des pré-requis où le plaisir d'apprendre ap­paraît toujours au loin, c'est le préam­bule interminable, le prélude infini, la vente pyramidale permise seulement en éducation. "Un jour on va vous le dire ce que vous voulez savoir, mais avant il faudrait que vous sachiez que... sinon vous ne comprendrez pas."

C'est donc le chemin de croix éducatif qui nous apprend à souffrir en silence, en acceptant de remettre aux autres les décisions du parcours. Et qui nous ap­prend aussi qu'apprendre c'est souf­frant, au mieux souvent platte, et que n'entre pas au paradis de la connais­sance signifiante celui qui n'a pas su se purger de son ignorance. Et tout cela avec notre argent, avec l'efficacité qu'on devine...

Le monnayage

Autres temps, autres moeurs! Certains irréductibles ont forcé l'imagination des décideurs de l'éducation. Pour gar­der le contrôle sur le comportement de ces apprenants, (et ce, pour leur bien, il va sans dire) on s'est mis à mettre un peu plus de beurre sur le pain, à donner des récompenses un peu plus signifiantes.

Des exemples? Donner une augmenta­tion de salaire ou la sécurité d'emploi après X crédits de perfectionnement. Ou encore, comme cela se fait en Afri­que, permettre à des villageois illettrés de mettre sur pied un petit dispensaire s'ils apprennent à lire et à écrire de telle sorte qu'ils puissent lire les posologies et les instructions sur les boîtes de médicaments. C'est la ruse de la proposition qu'on ne peut pas refuser.

C'est un système qui sans nul doute permet un meilleur contrôle que le précédent. Mais devant des renforce­ments qui l'attirent beaucoup, l'être hu­main se met souvent à déployer des énergies insoupçonnées! Ça me rappelle toujours l'anecdote d'un professeur qui avait tenté à grand-peine mais sans suc­cès d'apprendre à un débile léger à lire et compter. Il le rencontre quelques an­nées plus tard: il était devenu messager de pharmacie. "Tu dois savoir lire et compter, pour faire cette job-là?" "Oui, répondit-il, il a bien fallu que j'appren­ne!"

Le hic de l'histoire, c'est que cette énergie insoupçonnée n'est pas toujours employée à apprendre: elle est souvent employée à définir la stratégie qui permet d'obtenir les résultats convoités: pour le meilleur ou pour le pire, c'est une pédagogie où on use de ruse, et où souvent on joue surtout pour gagner quitte à tricher. Finalement, on n'y ap­prend peut-être pas toujours ce qui est au programme...

L'alternative

C'est l'alternative, parce que ce modèle implique un renversement majeur par rapport aux autres: cette fois, c'est l'ap­prenant qui détermine le contenu des apprentissages, ceux-ci l'amenant à une acquisition de pouvoirs réels. C'est pratiquement de l'auto-conditionnement, ou de l'auto-formation; c'est, tout compte fait, le retour à la liberté du chien de Pavlov ou du rat de laboratoire.

Tout concorde à ce que ça fonctionne puisque le contenu a du sens pour celui ou celle qui en décide, et que les consé­quences d'une telle démarche ont de fortes chances d'être positives, le minimum assuré étant qu'au moins on a fait quelque chose qu'on voulait faire.

C'est un peu selon ce modèle qu'on ap­prenait, par exemple, à conduire une voiture avant les cours de conduite obligatoires. On prenait conscience du besoin, et les moyens pour apprendre; en conséquence, il n'y avait, de problème, que l'impatience et l'intran­sigeance de certains maris...

Quoi de plus naturel que d'apprendre des choses qui ont du sens pour soi, et quoi de plus évident que les consé­quences de tels apprentissages ne soient pas artificielles pour l'apprenant qui les a souhaitées. Et c'est là peut-être que se justifie l'emploi, dans ce texte, des ex­pressions "pouvoir réel" et pouvoir ar­tificiel, des guillemets autour de pouvoir. Car entre avoir l'impression d'acquérir un certain pouvoir et la réalité, il y a souvent plus qu'un guille­met de nuance et de différence.

Plusieurs automobilistes sur le crédit seront d'accord, pour reconnaître qu'ils ne contrôlent pas tout de leur voiture.

Par ailleurs c'est probablement la seule façon pensable d'apprendre à être autonome ou créateur dans ses appren­tissages: on ne devient pas créateur ou autonome en ne faisant que ce que les autres nous demandent: il faut bien, à un moment donné, avoir appris à décider soi-même de ce qu'on veut.

A tout le moins, cela exige de l'appre­nant qu'il ait une idée claire de ses be­soins, de ce qu'il souhaite faire ou devenir. Et c'est peut-être là la limite du message caché de cette pédagogie: les besoins que l'on se reconnaît, c'est une chose; mais il faut être bien naïf pour croire qu'ilscorrespondent toujours à la réalité qui nous entoure.

Le fond du problème

Le tableau ci-contre résume les avan­tages et les risques de chacun des modèles. Presque tous ont des avantages certains; tous ont des risques dont la gravité peut varier.

Dans un premier temps, on peut se demander quels sont les modèles ac­tuellement privilégiés de notre système d'éducation, et quels sont ainsi les choix de valeur que supporte la situation ac­tuelle de l'éducation des adultes. Choix de valeur évidemment plus ou moins implicite, plus ou moins clandestin.

Somme toute, la pédagogie dont nous parlons dans ce texte a deux objectifs principaux:


MODÈLE

AVANTAGES POUR L'APPRENANT

RISQUES

I

Le dressage

Acquisition rapide d'informations de base.

Mémoire et non compréhension, peut créer des habitudes de soumission, de dépendance, ne développe pus l'autonomie, encore moins le sens critique.

II

La carotte

A les avantage du modèle III. mais dans la mesure où il y a apprentissage...

Démotivation à plus ou moins long terme, amenant un retrait réel (drop-out) ou mental (zombie) de la situation d'apprentissage.

III

Le monnayage

Permet de profiter de l'expérience collective qui détermine la nécessité ou la pertinence de certains apprentissages.

Peut centrer l'apprenant sur les conséquences plus que sur les contenus (jouer seulement pour gagner)

IV

L'alternative

Situation équilibrée: motivation soutenue pendant de l'autonomie, voire même de la créativité.

Grande dépense de temps et d'énergie pour la conscientisation des besoins. Correspondance hasardeuse entre les besoins perçus et les besoins réels.

  1. qu'il y ait apprentissage
  2. que cet apprentissage débouche sur des conséquences signifiantes pour l'ap­prenant.

L'atteinte de ce double objectif ne peut se faire sans se heurter à des contradic­tions profondes qui finalement expli­quent l'ambiguïté dans laquelle se trouve la pédagogie des adultes. D'une part, le fait de se centrer de façon exces­sive sur l'apprenant nous amène dans u-ne aventure bien romantique mais que la plupart des adultes refusent: leur temps est précieux et il ne doit pas être utilisé à jouer à Devine c'est quoi que tu devrais apprendre. On ne peut pas remettre à chaque étudiant individuellement le soin de définir ce que doit être sa com­pétence parce que cette définition doit tenir compte des acquis du savoir collectif. Pour faire de la mécanique-automobile, que ça nous plaise ou non, il faut savoir ce qu'est un carburateur. De toute façon, les étudiant-e-s savent très bien quelles sont les règles du jeu qui déterminent la valeur marchande de leur formation: Nous voulons des apprentis­sages concrets, reliés à la réalité du marché du travail, et aussi une forma­tion de qualité disent-ils.

Par ailleurs, il y a des situations où toute la flexibilité de l'être humain ne peut suffire à combler l'ignorance dont on entoure sa condition d'adulte-citoyen-ne à part entière, ayant sa façon propre d'apprendre. On ne peut in­définiment garantir une formation de qualité en se contentant de définir des contenus, en tenant compte seulement de façon très superficielle de comment ceux-ci peuvent être compris et assimilés, et en se réfugiant, pour toute pédagogie, dans un resserrement des modalités d'évaluation des apprentis­sages. Chacun-e d'entre nous, pour peu qu'on s'interroge honnêtement, sait la quantité de temps perdu, pendant son éducation, à faire des choses insensées: cette perte de temps, il faudrait une fois pour toutes l'admettre: elle coûte cher, et mérite attention.

Somme toute, on peut résumer la ques­tion de cette façon: peut-on arriver à faire profiter l'apprenant de "l'ex­périence collective" qui peut lui échap­per parfois (du moins en partie), sans pour autant discréditer son droit de regard et le désaproprier de sa démarche d'apprentissage? Par ailleurs, peut-on tenir compte des besoins de l'adulte, créer des modalités qui lui permettent de mieux apprendre, sans menacer d'aucune façon la qualité de sa formation? Nous croyons que oui, à condition d'y mettre le prix, c'est-à-dire d'accepter que la façon d'apprendre est aussi importante que ce que l'on ap­prend.

Enfin, l'examen de cette situation impli­que aussi un choix de valeur où le mes­sage clandestin de la pédagogie prend le pas sur le contenu éducatif. L'éducation des adultes doit-elle être exclusivement

une éducation de rattrapage, où, de façon relativement directive et déter­minée par les besoins du marché, on in­dique les sorties d'urgence par les­quelles on peut échapper au chômage ou au stress de conditions de vie aliénantes? N'y a-t-il pas de place pour une pédagogie qui fasse de nous autre chose que des chiens de Pavlov qui ap­prennent à saliver ou des rats qui pres­sent sur des leviers. Pour une pédagogie qui nous permettrait de prendre des ini­tiatives et nous apprendrait à agir sur les réalités que nous vivons et que nous n'avons pas nécessairement choisies. A agit plutôt qu'à subir?

Regarde, j'ai réussi à le conditionner! Chaque fois que je presse le levier, il me donne de la nourriture.

CE QUI A DÉJÀ ÉTÉ DIT ET TRÈS BIEN DIT:

Dufresne-Tassé, C, GASTRONOMIE OU TAMBOUILLE? Les tours de main de l'enseignement des adultes. FORMATION DES ADULTES, 1978, Vol. 11, pp. 18-27.

Pine, G.J., Horne, P.J., PRINCIPLES AND CONDITIONS FOR LEARNING IN LEADERSHIP, 1969, Vol. 18, pp. 108-134.

POUR CEUX QUE LE CONDITIONNEMENT INTERESSE:

Skinner, B.F., PAR DELÀ LA LIBERTÉ ET LA DIGNITÉ.

Texte: Alain Dunberry, chercheur. Faculté d'éducation permanente, Université de Montréal. Coordination: Sylvie Du­pont. Maquette: Lise Nantel. Montage et impression: Les Presses Solidaires. Dactylographie: Eliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA.

Illustrations: Claudius, in ÉCOLE, SOCIÉTÉ, AVENIR, IDAC, Nos. 19-20, p. 1; Claudius, in ATTENTION ÉCOLE, IDAC, Nos. 16-17; pp. 3, 4, 6,; B. Leys, in POURQUOI?, No. 152, fév. 80: pp.2, 5, 7; LEARNING S.A. Mednick, Prentice-Hall Inc., 1964: p. 3: JESTER, Columbia University: p. 8.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

9. Les médias: une école insoupçonnée

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est, Ste-Catherine, suite 800 Montréal, Québec H2L 2C7

Pas besoin de procéder à une étude très approfondie pour constater la prédomi­nance du rôle des médias dans le domaine de l'éducation. Indépendamment de la valeur des contenus éducatifs véhiculés, les médias et surtout la radio et la télévision, sont le principal instrument d'information et de formation sociale et culturelle. S'il est vrai que les cours pour adultes offerts par les institutions d'ensei­gnement ont de plus en plus d'adeptes, il demeure cependant que les Québécois-es regardent la télévision en moyenne de 23 à 25 heures par semaine, et cette moyenne ne semble pas vouloir fléchir sensible-

ment. Sous prétexte que ces médias font davantage partie du domaine du loisir et du divertissement, on a pris pour acquis que le contenu de ces émissions n'avait aucune portée éducative réelle.

Aussi toute politique en éducation des adultes doit déborder le cadre formel de l'éducation et reconnaître l'interdépen­dance entre l'éducation et les médias. On ne peut ignorer la contradiction entre le potentiel éducatif des médias et leurs traits dominants actuels, à savoir la distorsion des contenus et l'aliénation culturelle.

1. LA PROBLEMATIQUE

L'élaboration d'une politique générale en éducation des adultes, en plus de devoir s'articuler à l'ensemble du sys­tème d'enseignement, s'inscrit nécessai­rement de façon plus globale dans un projet de société. La crise que nous traversons depuis 1973 à l'échelle internationale ne se limite pas à l'écono­mie ; il s'agit en fait d'une crise plus globale de civilisation. Aux problèmes des déséquilibres économiques non résolus, s'ajoutent et pèsent de plus en plus les problèmes des déséquilibres au niveau du savoir. En fait, la contradic­tion entre les exigences que posent à toute personne l'organisation de plus en plus complexe de la vie en société et l'incapacité de nos appareils de commu­nication et institutions d'enseignement à répondre à ces besoins est, selon nous, un facteur important de l'impasse sociale actuelle.

Décalage entre le mode de vie et les modèles culturels dominants

Le cadre de vie des hommes et des femmes a subi plus de changements au cours de ces 80 dernières années que pendant tous les siècles précédents. Alors qu'autrefois les rapports entre les individus et la nature étaient directs, de nos jours au contraire, toutes les activi­tés sont spécialisées, divisées, réglemen­tées et organisées d'en haut. Nous sommes passés de la phase artisanale à la phase industrielle. Toute production matérielle et intellectuelle est le fruit d'un travail collectif et il en va de même pour la satisfaction de l'ensemble des besoins qui se font maintenant sur un mode collectif. Dans le processus d'in­dustrialisation et d'urbanisation, la majorité des gens ont perdu de plus en plus de contrôle sur leur environne­ment. Le travail a été déqualifié, parcel­lisé et est devenu une activité aliénante parce que les travailleurs et les travail­leuses n'en contrôlent plus le processus. D'autre part, les usager-e-s des services collectifs n'ont pas davantage l'impres­sion de décider et de choisir en fonction de leurs besoins et de leurs goûts. Les centres de décisions se sont concentrés et éloignés des collectivités. D'une part, l'État réglemente de plus en plus, et ce jusque dans les détails, tous les aspects de la vie en société : santé, éducation, transport, bien-être, loisir, etc.. D'au­tre part, il y a le poids déterminant des entreprises transnationales sur l'ensem­ble du développement économique de chaque pays, accompagné d'innova­tions technologiques dont l'utilisation actuelle est décidée par une minorité d'investisseurs souvent seuls à en connaître les possibilités et les consé­quences.

Malgré tout, il faut toujours en revenir à la population, car ce sont encore les individus qui font fonctionner la so­ciété. Cependant, il arrive un moment où l'écart de compréhension et de perception entre ceux qui décident et ceux qui exécutent devient trop grand et c'est alors que la machine se dérègle. On dit souvent que les pouvoirs profitent de l'ignorance du peuple, mais il semble qu'actuellement cette ignorance se retourne en grande partie contre eux. En effet, pour réaliser une politique de sauvegarde de l'énergie, il faut que les citoyen-ne-s comprennent la nature du problème et en saisissent les enjeux pour la société actuelle et future ; il faut en somme un certain degré de conscience sociale. Le développement de la cons­cience sociale dans la population devient un des facteurs les plus importants de l'évolution de nos sociétés, car nous sommes tous et toutes dépendant-e-s les uns les autres. Cependant, l'école et les médias continuent de véhiculer des valeurs et des modèles de comporte­ment traditionnels basés sur l'indivi­dualisme, la compétition et la valorisa­tion de la consommation individuelle.

Un déversement d'informations inutiles

II est assez paradoxal de constater que malgré l'élargissement de l'accès à l'éducation et la très grande pénétration des médias, la majorité de la population ne semble pas tellement plus outillée pour comprendre ce qui se passe et agir en conséquence. Pour illustrer rapide­ment cette situation, prenons un exemple. Nous subissons depuis environ 7 ans une crise économique qui a des conséquences très graves sur nos condi­tions de vie. On sait qu'à travers cette crise, c'est tout le système économique qui est en train de se restructurer, ce qui entraînera des retombées sur l'ensemble de l'organisation sociale. Compte tenu de leur potentiel éducatif et de l'ampleur de leurs ressources, les médias pour­raient expliquer et faire comprendre à la population les modifications impor­tantes qui sont en train de s'opérer. À la télévision par exemple, les informations économiques se limitent aux variations des taux de chômage, de l'inflation, du dollar et des cotes de la bourse, sans aucune explication. Le chômage et l'inflation sont présentés comme des phénomènes relevant de la fatalité, les cotes de la bourse et les variations du dollar ne servent qu'à créer une psy­chose de la crise et une atmosphère d'impuissance. Face à cette mystifica­tion et à ce climat d'insécurité, la population accepte de se serrer la ceinture et se replie sur des valeurs sûres pendant que les entreprises transnatio­nales font des profits inégalés72. Et comme par hasard, les médias mettent de l'avant plus que jamais les valeurs traditionnelles du genre famille, travail, patrie, servie à la sauce moderne. Pendant ce temps, le système d'éduca­tion ignore ces mêmes réalités. On commence à peine à y enseigner l'écono­mie et en général on le fait alors à partir de vieilles théories qui datent à l'époque du capitalisme concurrentiel. L'école ignore aussi toute l'influence culturelle des mass-médias, alors que la puissance de leurs attraits et leur capacité de référence concrète à l'actualité "rendent souvent caduques les cours même les mieux préparés.

Si on croit vraiment que l'évolution et la progression de la société dépend de l'évolution de tous et de toutes, de l'élévation du niveau des connaissances, de la formation et d'une capacité accrue des hommes et des femmes à s'associer pour prendre en charge leurs conditions de vie, il faudra un jour accorder une priorité à la formation sociale et civique et à la mise en place de mesures éduca­tives concrètes.

Les médias : un potentiel éducatif détourné

Après ces affirmations, nous risquons d'être accusé-e-s d'utopisme. Il se trouvera toujours quelqu'un pour nous signaler, histoire de nous faire revenir sur terre, qu'il existe bon nombre d'émissions éducatives sérieuses, à Radio-Québec notamment, mais que malheureusement la population leur préfère LES TANNANTS et LA PE­TITE MAISON DANS LA PRAIRIE. Cette réalité est en effet-une manifesta­tion concrète de l'impasse sociale dont nous avons parlé plus haut et de la situation d'aliénation dans laquelle la population se trouve maintenue. Le goût du public pour les émissions de divertissement facile qui, soit dit en passant sont aussi porteuses de valeurs et de modèles de comportements, s'ex­plique selon nous par les caractéristi­ques actuelles des médias d'une part, et d'autre part par les conditions concrètes d'existence du monde. La dégradation constante de la qualité de la program­mation et de l'information, que l'on constate surtout dans les pays où prédominent la commercialisation et le contrôle privé des médias, a nécessaire­ment entraîné un appauvrissement culturel général dans la population.

« La distraction sous toutes ses formes est devenue beaucoup plus accessible, ce qui satisfait indubita­blement un besoin et répond à une demande. Mais nombre de ces distractions sont si banales et stéréotypées qu'elles émoussent l'imagination au lieu de la stimuler. L'influence des intérêts commer­ciaux et de la publicité ainsi que le conformisme stérile de la culture approuvée par les bureaucrates de tous ordres comporte une menace d'uniformisation, d'appauvrisse­ment et de vide de la vie cultu­relle ».73

Par ailleurs, dans le contexte actuel, les besoins de distraction, surtout en soirée, sont beaucoup plus grands que les besoins d'information et de formation. La majorité des gens pour qui le travail n'est pas une activité créatrice, mais un gagne-pain ont l'impression de ne pas contrôler grand chose dans la vie et ne peuvent pas être tellement stimulés par le désir de se perfectionner et de se cultiver car ils ont moins envie d'ap­prendre pour apprendre que pour répondre à des besoins précis. Après une journée d'un travail harassant et routinier, la seule envie qui reste est souvent celle de se distraire et d'oublier. En somme, toute politique en éducation des adultes, comme d'ailleurs toute politique d'éducation doit pour avoir un minimum d'impact, déborder le cadre formel de l'éducation pour se préoccuper de l'influence éducative et culturelle des mass-médias et du sort réservé aux hommes et aux femmes dans leurs milieux de travail. Quant à nous, nous allons nous contenter ici d'analy­ser l'influence éducative (transmission de valeurs et de connaissances) de plus en plus déterminante des médias. 74

2. L'INTERDEPENDANCE ENTRE L'ÉCOLE ET LES MÉDIAS

II n'est pas besoin de procéder à une étude très approfondie pour constater la prédominance du rôle des médias dans le domaine de l'éducation et en particu­lier de l'éducation des adultes. Indépen­damment de la valeur des contenus éducatifs véhiculés, les médias, surtout la radio et la télévision, sont le principal instrument d'information et de forma­tion sociale et culturelle des citoyens. S'il est vrai que les cours pour adultes offerts par les institutions d'enseigne­ment ont de plus en plus d'adeptes, il demeure cependant que les Québécois­es regardent la télévision en moyenne de 23 à 25 heures par semaine, et cette moyenne ne semble pas vouloir fléchir sensiblement. Alors que l'école a fait l'objet d'une attention soutenue ces dernières décennies, on a laissé les médias poursuivre leur oeuvre de condi­tionnement et d'endoctrinement idéolo­giques. Sous prétexte que ces médias font davantage partie du domaine du loisir et du divertissement, on a pris pour acquis que le contenu de ces émissions n'avait aucune portée éduca­tive réelle et sérieuse.

Le leadership des médias

L'impact éducatif et culturel de séries comme DUPLESSIS, RACINES et HOLOCAUSTE dépasse certainement en qualité et en intensité n'importe quel livre ou cours écrit et donné sur le sujet. Des millions de Québécois-es (du moins ceux et celles qui ne l'ont pas connu) voient désormais Duplessis à travers le personnage présenté à la télévision. Ce genre de séries, comme les téléromans d'ailleurs, sont très habiles pour toucher des cordes sensibles et pour mobiliser l'intérêt au point de devenir des sujets de conversation importants à la maison, à l'usine et au bureau. La télévision fait à ce point partie de nos vies qu'on finit par être interpellé par les personnages et les héros des séries et téléromans comme par des personnes réelles. C'est comme s'ils avaient pris la place des saints pour inspirer et guider les comportements.

Communication et éducation

L'éducation, qui est en fait une commu­nication, est de plus en plus influencée par le style et le langage des mass-mé­dias. Des séries éducatives comme SESAME STREET sont devenues des modèles de pédagogie. Une observation plus poussée pourrait nous révéler toute l'ampleur de l'influence des mass-mé­dias sur l'éducation. Cette interdépen­dance des médias et de l'éducation n'est pas l'effet du hasard. A. Mattelart, spécialiste de réputation internationale des problèmes de la communication a démontré assez clairement que le lea­dership actuel des médias découle des liens entre ceux qui fabriquent la technologie et ceux qui élaborent les programmes ou, pour reprendre les termes de Mattelart, des liens entre le hardware et le software. Il en donne comme preuve le fait que

« parmi les 10 premiers produc­teurs mondiaux de l'industrie péda­gogique, on trouve des géants multinationaux comme XEROX, CBS. RCA, ITT, Westinghouse,General Electric et Litton. Les grands fabricants de "hardware" (matériel) ont fait main basse sur les centres d'élaboration de pro­grammes, de messages éducatifs, de formules de loisir - "software". De nouveaux amuseurs et de nou­veaux pédagogues sont ainsi nés. Ils ont mis leur corpus de connais­sances techniques au service d'insti­tuts de formation d'une part et, d'autre part, ils ont investi, dans les technologies et les systèmes de communication produits par eux, les messages et les programmes des maisons d'édition et de production audio-visuelle tombées sous leur contrôle ».75

Déjà on assiste sur une échelle plus ou moins grande à des expériences variées pour lancer sur le marché des procédés d'enseignement assisté à distance par ordinateur : Teledon au Canada, Plato aux USA. L'éducation des adultes risque d'être la voie d'entrée de ce type d'industrialisation de l'éducation.

Une communication basée sur le langage publicitaire

Ainsi ceux qui contrôlent l'économie en arrivent aussi à contrôler le façonne­ment des esprits en fonction de leurs intérêts. Alors que l'on a pensé très longtemps que le rôle des médias en était un surtout de véhicule des valeurs et des diverses opinions qui coexistent dans une société, maintenant on se rend compte de plus en plus que les médias imposent des modèles culturels et des façons de penser. Cette imposition s'opère par la sélection et la valorisation ou la marginalisation (déligitimation) de certaines idées, valeurs et pratiques sociales.

Comme les médias sont de plus en plus massivement investis par les pouvoirs économiques et politiques dominants pour conditionner l'opinion publique à leurs points de vue, le discours des mass-médias a tendance à se confondre à celui de la publicité. Au modèle de communication standardisée dans la forme du marketing, correspond un modèle de comportement standardisé : l'achat.

Une information dirigée

Dans le domaine de l'information proprement dite, nous sommes encore accroché-e-s et obnubilé-e-s par l'abon­dance et la rapidité de l'information véhiculée chaque jour par les médias. Grâce à ces moyens, l'individu est saisi immédiastement de certains événe­ments spectaculaires se déroulant par­tout dans le monde. Malheureusement, ce potentiel éducatif très riche de l'information est grandement compro­mis par le traitement de ces événements, leur distorsion. L'information est de plus en plus dirigée et contrôlée par les grandes agences de presse et ultimement par les grandes puissances et les pou­voirs dominants. Des études faites récemment dans beaucoup de pays occidentaux ont mis en lumière certains faits qui révèlent que derrière l'appa­rence de profusion et de diversité de l'information se cache finalement une tendance à l'uniformisation et à la réduction de l'information.

« (...) Toute information ne bénéfi­cie pas d'un intérêt soutenu; la sélection à ce niveau semble obéir à des critères très restreints : d'un côté, il y a la parade des hommes politiques et de l'autre, celle des conflits sociaux. C'est là le coeur des actualités et c'est autour de ce jeu d'opposition, le peuple qui s'agite et les pouvoirs dominants qui s'occupent des questions sé­rieuses, que se greffe l'ensemble des actualités.

« De plus, contrairement à l'idée générale voulant que le téléjournal soit bâti à partir défaits bruts, la recherche montre que, dans 50 % des cas, les déclencheurs de la nouvelle sont des réflexions et des opinions provenant surtout des institutions gouvernementales. Le téléjournal est ainsi investi par les pouvoirs en place pour préparer et conditionner l'opinion publique ».76

D'autre part, on a constaté que la profusion d'informations axées sur le sensationnalisme et le fait divers, déver­sées chaque jour par les médias, finit à la longue par émousser la sensibilité. Ce type d'information au lieu d'aider l'individu à comprendre ce qui se passe, lui donne au contraire un sentiment d'impuissance. Les guerres, les grèves, les scandales politiques se succèdent les uns aux autres, et rien ne semble vouloir s'améliorer et changer.

Ce mode de transmission de l'informa­tion rapide, brève, schématique, super­ficielle et sensationnelle impose un modèle général de communication qui prévaut dans bien des milieux. Cette critique de Régis Debray à propos de l'information nous semble s'être géné­ralisée :

« L'anecdote tient lieu de preuve. La description du vécu immédiast interdit - de façon paradoxalement totalitaire - tout effort d'explication scientifique. Il est de bon ton de renoncer à toute vision d'ensemble du réel pour dresser dans l'idéologie de petits procès autonomes... ».77

Le monde des vedettes et la vie de famille

Du côté de la formation socio-politique, la situation est encore plus dramatique. Les institutions d'enseignement pour leur part n'ont jamais fait preuve d'un très grand dynamisme dans ce domaine, alors que les médias jouent en général à ce niveau un rôle anti-éducatif et ce de deux façons. La tendance à la réduction des émissions d'information dans les médias de masse affecte particulière­ment les émissions d'information à caractère plus analytique. À Radio-Ca­nada, les émissions d'affaires publiques se font de plus en plus irrégulières, et elles sont toujours les premières à sauter pour faire place aux émissions spor­tives. D'autre part, dans les émissions d'affaires publiques, la priorité est accordée très souvent au spectacle du reporter plutôt qu'au débat et aux échanges d'idées (il faut souligner qu'à certains égards Radio-Québec tente de prendre la relève).


Pourtant il n'y a guère d'autre moyen pour amener les gens à se faire un jugement critique sur les événements et enjeux sociaux, que de laisser une place importante à l'expression des opinions différentes et divergentes.

L'essentiel des critiques que nous formulons sur les médias de masse ne s'adresse pas à Radio-Québec ; nous lui réservons un traitement spécial à cause de son rôle de télé-éducative. Cepen­dant, il nous faut signaler ici une lacune grave de Radio-Québec au niveau de la formation du citoyen. En effet, pour des raisons inexplicables, Radio-Québec semble délaisser de plus en plus la formation socio-politique alors que cette chaîne accorde une priorité très grande à la promotion de la compréhen­sion et de la prise en charge personnelle des défis et des problèmes de la vie quotidienne. Il n'est jamais question de façon explicite dans les orientations de programmation de Radio-Québec de promouvoir la prise en charge collective par les citoyen-ne-s de leurs conditions de vie et de travail.

D'autre part, l'essentiel du contenu véhiculé par les émissions de divertisse­ment et les messages publicitaires (signalons en passant que la publicité occupe plus de place dans la grille horaire que les émissions d'informa­tion) se résume à l'univers de la vie privée, celle des vedettes, ou celle du soit disant monde ordinaire stéréotypé ou de familles modèles et de classe moyenne. Face aux problèmes sociaux et politi­ques et à la dégradation de la qualité de la vie, les médias offrent et imposent un système de compensation : le rêve en conserve, le retour à des valeurs sûres, le bonheur dans la consommation, l'éva­sion dans les voyages en Floride et l'échange dans les lignes ouvertes. Au rythme de trois heures par jour, après plusieurs années, ces messages finissent par s'imposer. Ainsi, la télévision réussit à mobiliser de façon continue une majorité de gens autour de ses enjeux, de ses solutions et de ses ana­lyses. Dans certaines conditions pro­pices, cette mobilisation individuelle peut donner lieu à une mobilisation collective. En effet, lorsque cet univers de solutions factices, de formules et modèles sécurisants est menacé, on peut assister à des soulèvements spontanés du genre de celui des Yvette.

La culture populaire entre la résistance et l'étouffement

On va nous reprocher ici de ne voir que le côté de la domination et d'oublier qu'il existe une culture populaire. Nous sommes tout à fait conscient-e-s de l'existence de la culture populaire comme base de résistance à la culture dominante. Cependant, il faut bien constater que la puissance hégémonique des mass-médias a contribué à étouffer cette culture et souvent à la travestir en aliénation.

« Pour rejoindre la population, la télévision commerciale - ici, on pense surtout à Télé-Métropole - part des goûts et des aspirations des milieux populaires, mais ce, uni­quement à des fins commerciales. Le goût du concret, de la bonne vie, du langage simple, devient re­cherche de la facilité, de "la recette qui marche", du lieu commun. La culture ainsi popularisée n'est qu'un travers de la culture popu­laire; elle transforme en aliénation ce qui était vie et création ».78

Les organismes qui luttent pour déve­lopper la culture populaire et la sortir de l'emprise et de la manipulation des médias commerciaux, luttent contre un véritable raz-de-marée. Avec leurs faibles moyens, ils sont réduits à labou­rer avec une charrue à main pendant que les médias nivellent tout sur leur passage avec leur bulldozer. Malgré tout, la culture populaire reste encore vivante et, de façon étonnante, elle fait preuve souvent d'une grande vitalité. Les associations d'éducation populaire, les théâtres de quartier, les fêtes popu­laires, les coopératives de création, les médias communautaires sont autant de façons de résister au totalitarisme culturel dominant. Ces expériences constituent une voie importante de solution de rechange aux médias de masse. Cependant, on ne peut faire porter tous nos efforts de ce côté et laisser pendant ce temps les médias continuer leurs ravages. Malheureuse­ment, cette problématique du dévelop­pement de la culture populaire est complètement absente du débat public. Dans les milieux bien-pensants, on s'inquiète des conséquences de l'écart de plus en plus grand entre la culture de masse et la culture cultivée. Cependant le problème de l'étouffement des cul­tures populaires ne semble pas faire partie des préoccupations des dirigeants du système scolaire et des médias.

L'éducation aux médias ou contre les médias

Face au pouvoir d'endoctrinement des mass-médias, une des seules solutions avancées par certains représentants des pouvoirs en place, réside dans l'éduca­tion de la population aux médias dans le but de développer l'esprit critique. C'est là un revirement assez cocasse de la situation ; alors que l'on avait misé sur le potentiel éducatif des médias comme moyen de démocratiser l'éducation et la culture, aujourd'hui on est obligé d'éduquer les gens pour les prémunir contre l'influence négative des médias. Quant à nous, nous ne croyons pas que ce soit là le moyen le plus efficace pour remédier à la situation, puisqu'on se trouve précisément en présence d'un véritable cercle vicieux qui fait porter la responsabilité de la dégradation géné­rale de la programmation aux usager-e-s des médias.

Le problème n'est certes pas facile à résoudre et on ne pourra pas faire l'économie d'une approche globale du problème. Certains analystes, notam­ment l'Américain Jerry Mander avance des solutions assez radicales. Selon lui, il faudrait abolir la télévision, car cette technologie n'est pas neutre; au contraire elle entraîne automatique­ment l'accoutumance de l'usager, comme une drogue. Mander a peut-être raison ; cependant, comme on sait que ça n'arrivera jamais, il vaut mieux chercher des solutions plus réalistes.

3. LA TÉLÉVISION EDUCATIVE, QUELQUES ACQUIS !

La télévision, malgré les maux dont on la rend responsable, va toujours garder son attrait de cinéma à domicile auprès du public. S'il semble aujourd'hui qu'elle joue un rôle éducatif plus négatif que positif, il demeure qu'elle est capable de grandes choses, on en a eu des exemples malheureusement pas assez nombreux, mais qui pourraient se multiplier et cela tant au niveau des programmes d'information qu'à celui des émissions de divertissement.

Dans ce contexte, la venue de Radio-Québec comme télé-éducative, bien que présentant certains acquis aurait pu contribuer davantage au renouvelle­ment de la télévision. Radio-Québec cependant n'a pas réussi à s'imposer, étant constamment à cheval entre une télévision éducative de masse et une télévision de masse tout court. À Radio-Québec on est profondément marqué par une mentalité de diffuseur tradition­nel et on a interprété le mandat éducatif au sens large qui lui a été attribué davantage comme un mandat de s'im­poser comme la 3e chaîne de télévision de masse au Québec. Aussi la volonté de se tailler une place comme diffuseur a primé sur la recherche d'un modèle de télévision éducative qui réponde aux besoins d'éducation du public tout en tenant compte de leur besoin de diver­tissement.

Une solution de rechange proposée

Radio-Québec a par ailleurs fait l'objet d'un débat public et les organismes populaires aux niveaux local et régional dans l'ensemble du Québec lors des audiences de 1976 ont exprimé claire­ment leurs attentes et leurs points de vue relativement à l'orientation de Radio-Québec. En effet, lors des audiences de Radio-Québec un large consensus s'est fait autour du fait que la télévision de masse autoritaire et centralisée est incompatible avec le caractère éducatif de Radio-Québec. Partant d'un principe de base en éducation des adultes, c'est-à-dire la nécessité de partir des besoins et des préoccupations concrè­tes, on est arrivé à proposer de façon unanime la régionalisation de Radio-Québec sous le contrôle des usager-e-s et des instances d'éducation et de communication concernées.

En somme, ce que les Québécois-es voulaient, c'était que Radio-Québec devienne un instrument de communica­tion véritable entre régions et au niveau national de même qu'un instrument de développement culturel et d'éducation populaire au lieu d'être un véhicule de diffusion et d'imposition de la culture dominante et de savoirs arbitraires.

Des acquis pour gens instruits

Depuis ce temps la régionalisation amorcée en 1976 a piétiné, bien que récemment, elle semble prendre un nouveau départ. Au niveau de la pro­grammation éducative, les acquis de Radio-Québec demeurent bien timides : certaines émissions d'affaires publiques se veulent une tribune où les principaux enjeux et points de vue sont abordés et discutés, certaines dramatiques qui tentent de présenter un contenu éduca­tif, de manière attrayante.

Bien sûr Radio-Québec, par l'absence de publicité, est une alternative face à Radio-Canada et à TVA. Il est enfin possible d'avoir accès à un programme de télévision sans devoir se farcir à toutes les huit minutes des tonnes de fromage fondu et de spaghetti, de bières et de savon et d'autres messages où alternent la constitution du pays et les artifices de Wonderbra.

Or, si le tandem publicité-cote d'écoute n'opère pas à Radio-Québec son rôle réducteur, il y a un rapport cote d'écou­te-poids du commanditaire qui, faute d'une distance critique organisée, risque tranquillement d'enligner Radio-Qué­bec sur les deux autres chaînes : pour faire autant et aussi bien qu'elles.

Il importe en effet que l'absence de publicité à Radio-Québec puisse jouer à plein pour permettre de produire diffé­remment des programmes différents et aussi de les diffuser aux meilleures heures d'écoute. Ainsi des séries appa­remment plus difficiles, des productions liées à une région ou à un collectif pourraient être diffusées en prime time. Dans cette perspective, autant il faut que Radio-Québec soit assuré d'un budget plus important, planifié et garanti, autant il faut qu'il évite, via la publicité de prestige, de se mettre le doigt dans le tordeur réducteur et abrutissant qu'est le mode de finance­ment de la télévision nord-américaine.

Le principal problème de Radio-Qué­bec réside cependant dans le fait qu'il ne réussit pas avec ses émissions éducatives à atteindre le public moins scolarisé. Est-ce que dans le contexte actuel ce problème est surmontable? Ne faut-il pas plutôt se rendre à l'évidence et constater que dans une société où prédominent les médias de divertisse­ment commercialisés, toute télévision éducative centralisée finit toujours par constituer un ghetto pour gens ins­truits; une culture d'élite versus une culture de masse ?

Dans ces conditions est-ce qu'il faut s'en remettre au système plus formel d'édu­cation des adultes ? Voyons un peu de ce côté si la situation est plus reluisante.

4. L'ÉDUCATION DES ADULTES A L'ECOLE

Notre propos ici n'est pas d'analyser la situation de l'éducation des adultes au Québec mais de comparer l'évolution de l'éducation des adultes plus formelles à celle des médias.

L'explosion de l'éducation des adultes remonte sensiblement à la même épo­que que celle des médias et s'explique par les mêmes facteurs - innovations technologiques, nécessité d'un côté d'adapter la main-d'oeuvre aux change­ments technologiques et au marché du travail et de l'autre de conditionner la population à la société de consomma­tion. L'éducation des adultes au Québec malgré tous les beaux discours et les beaux principes auxquels elle a donné lieu, recouvre dans près de 80 % des cas une réalité bien pratique et économi­que : la formation professionnelle. Ici, pas d'erreur, on n'est plus dans le domaine du divertissement ! Il s'agit en fait d'une formation orientée en fonction des besoins immédiats des entre­prises et le plus souvent étroitement reliée à la tâche. Ces programmes sont déterminés d'en haut par des fonction­naires, en concertation avec le patronat. Les syndicats n'ont pas voix au chapi­tre. Quant aux individu-e-s, ils doivent prendre ce qui existe, selon la région, les débouchés sur le marché du travail et dans le cas des femmes, ce choix est très mince. Le décalage entre le discours et la réalité est frappant, on est loin en effet de la conception théorique de l'éduca­tion des adultes qui veut que l'étudiant-e prenne en charge sa propre éducation et soit à la fois objet et sujet de son action.

Des sujets qui recoupent ceux des médias

Le rôle des institutions d'enseignement en éducation des adultes ne se limite pas bien sûr à donner les cours de formation professionnelle jugés nécessaires par les ministères économiques du gouverne­ment fédéral. Ils offrent en plus aux adultes la possibilité de s'inscrire aux programmes réguliers, ainsi qu'une panoplie impressionnante de cours dits socio-culturels.

Tout ça, c'est des histoires de femmes... (Halévy). « Pour vous Mesdames », émission féminine la plus populaire de TM. A l'antenne depuis 1961. Edith Serei et Nicole Germain.

Les programmes de formation socio­culturelle du type artisanat, mécanique automobile, musique, expression cor­porelle, d'économie, de science politi­que et de psychologie, recoupent en partie les sujets abordés dans les émis­sions télévisées qui combinent à la fois l'information et le divertissement (JEANNETTE VEUT SAVOIR, FEMMES D'AUJOURD'HUI, etc.). Ces cours sont surtout fréquentés par des femmes. La différence avec les médias se situe davantage au niveau du mode d'apprentissage qu'au niveau du contenu. Le but de l'éducation dans les institutions d'enseignement c'est d'ame­ner l'étudiant-e à maîtriser un savoir scientifique, technique ou pratique, alors que les médias peuvent jouer davantage un rôle de déclencheur, d'accumulation et de mise à jour de connnaissances.

L'éducation populaire une formation prise en charge par les groupes

Comme dans les médias, en éducation des adultes, les programmes sont conçus et réalisés dans la seule perspec­tive de promotion individuelle. Les quelques efforts de démocratisation sont aussi limités à corriger certaines inégalités d'accès. Les institutions officielles n'ont pas réussi à répondre aux besoins croissants de formation et de recherche des organismes volontaires qui tentent de reprendre en main leurs conditions de vie et de travail. Répondre aux besoins d'information formulés par les citoyen-ne-s est une politique qui ne va pas de soi ; elle empêche les pouvoirs de s'approprier un savoir devenu fac­teur de pouvoir.

« Nul n'est sensé ignorer la loi, maxime fondamentale d'un sys­tème juridique moderne où nul, sauf les représentants d'Etat ne peut la connaître. Cette connaissance re­quise chez tout citoyen ne fait même pas l'objet d'une discipline particulière à l'école, comme si, tout en prétendant exiger qu'il connaisse la loi, tout était fait pour qu'il l'ignore. Cette maxime ex­prime ainsi la dépendance-subordi­nation à l'égard des fonctionnaires d'État, c'est-à-dire des faiseurs, des gardiens et des appliquants de la loi, de masses populaires dont l'ignorance (le secret) de la loi est un trait de cette loi et du langage juridique même. La loi moderne est un secret d'État, fondatrice d'un savoir accaparé par la raison d'État »79

Avec leurs faibles moyens, ces orga­nismes ont dû répondre eux-mêmes à leurs besoins de formation. Cette action collective, en plus de générer une nouvelle approche éducative adaptée aux besoins des adultes en situation, a permis de développer de nouveaux savoirs reliés aux conditions de vie et de travail actuelles. Comme le droit collec­tif, la médecine sociale, l'animation communautaire, etc..

« Si l'éducation des adultes vise réellement la prise en charge par les citoyens de leur devenir collectif, force est de constater que les organismes populaires et syndicaux ont fait davantage à ce chapitre que les institutions elles-mêmes et ce, avec des moyens fort réduits ».80

Sous la pression des organismes popu­laires, les institutions d'enseignement commencent cependant à reconnaître les acquis de l'action communautaire comme lieu d'éducation, aussi on a mis en oeuvre des programmes dits de support à la promotion collective où on met, encore bien timidement cependant, des ressources de formation et de recherche au service des groupes.

La démocratisation des médias va aussi devoir passer par cette voie. C'est dans cette perspective que se situent d'ailleurs les revendications populaires concernant la régionalisation de Radio-Québec et l'accès aux médias de masse.

Pour la régionalisation :

« La démocratisation de Radio-Québec emprunte d'abord la voie de la régionalisation. L'implantation de centres régionaux de production peut seule permettre à la population et aux organismes représentatifs des classes populaires :

  • d'orienter le choix des émissions et le contenu des messages véhicu­lés;
  • d'avoir accès aux ondes et aux équipements techniques pour expri­ mer leurs points de vue et ainsi communiquer leur information ;
  • d'avoir une formation reliée à leurs besoins individuels et collectifs ».81

Pour l'accès aux médias traditionnels :


« Devant le déséquilibre de l'infor­mation dans les médias, devant la censure, devant le quasi monopole de la parole ;

« devant l'inégalité flagrante d'ac­cès des groupes dominés aux mé­dias, devant la distorsion dont sont l'objet de prises de position de ces groupes ;

« devant le dénigrement des orga­nismes syndicaux et populaires, des groupes de femmes militantes, etc. ; « devant la concentration de la propriété et la commercialisation de la presse; « devant l'étouffement croissant du droit des régions à informer l'en­semble de la communauté ;

NOUS REVENDIQUONS :

  • Le droit à l'expression et à l'accès aux médias pour des individu-e-s et des groupes
  • Le droit à une information complète, diversifiée et pluraliste
  • Une législation pour freiner la commercialisation et le développe­ ment de l'appropriation privée des médias
  • L'établissement d'un program­ me d'éducation à l'utilisation des médias »

82

Étant donné que les besoins de forma­tion des adultes se situent tout autant dans une perspective de promotion collective qu'individuelle, l'école comme les médias doivent s'orienter et se réorganiser en conséquence.

5. HYPOTHÈSES DE REVENDICATIONS

Contrer la domination étrangère

Au Québec, nous avons atteint dans le domaine des médias électroniques un niveau de sursaturation. D'abord nous avons tout en double compte tenu de la dualité linguistique : en télé, ça veut dire deux réseaux d'État, deux chaînes privées, etc.. Dans le domaine de la câblodistribution, le Québec est un des pays les plus câblés au monde. Par le câble, nous avons accès non seulement aux réseaux américains mais aussi à la télévision française, sans oublier la télévision communautaire. Enfin, nous avons un réseau de télévision éducative et la télé-université. Dans un avenir très rapproché va s'ajouter à cette profusion de moyens, la télévision à péage.

Cette énumération nous amène à traiter du problème crucial au Québec de la domination culturelle par les produc­tions américaines. Il s'agit en fait d'un envahissement des programmes améri­cains par l'accès via le câble aux réseaux américains et par l'omniprésence des séries américaines aux heures de pointe dans les postes privés (à TVA, 54 % du temps d'antennes en soirée est consacré à des séries américaines).

Ici on ne parle plus de promotion culturelle par les médias, mais de disparition de notre patrimoine culturel et de réduction de la production étran­gère à celle des grandes chaînes améri­caines. Dans de telles conditions, le travail éducatif perd tout son sens.

Si on ne peut avoir aucune influence sur un contenu qui vient de l'étranger, on peut tout au moins en limiter la pénétra­tion. La survie de notre culture en dépend : cette mesure constitue selon nous un pré-requis à toute politique de développement du rôle éducatif des médias.

Canaliser le potentiel éducatif

Pour en arriver à canaliser le potentiel éducatif des médias d'ici dans un sens positif, plusieurs mesures concrètes s'imposent et peuvent être mises en oeuvre à court terme. Et des revendica­tions de plus en plus précises commen­cent à être avancées :

Pour améliorer le contenu éducatif de la programmation

1. Obliger les réseaux de radio et de télévision de masse traditionnels à mettre à l'horaire aux heures de pointe des émissions à caractère éducatif, portant sur des thèmes jugés prioritaires par un processus de consultation popu­laire. Ces émissions devront bénéficier de ressources aussi importantes que celles affectées aux émissions de diver­tissement.

De plus l'ensemble des réseaux, y compris Radio-Québec, devront se concerter pour ne pas aborder les mêmes thèmes et diffuser aux mêmes moments ces émissions éducatives. Cette concertation ne sera certes pas facile puisque tout le système de com­munication de masse ici est basé sur la concurrence, les profits étant directe­ment proportionnels à la cote d'écoute ! Pour changer cette rationalité purement économique, il va falloir que les respon­sables politiques de la culture et de l'éducation aient un jour le courage d'établir des politiques qui vont forcer les médias à respecter leur mandat de services publics, car à l'expérience on sait qu'on ne peut compter sur les préoccupations sociales des proprié­taires des médias.83

2. Exiger que Radio-Québec en concer­tation avec les organismes volontaires et les instances d'éducation permanente diversifie sa programmation éducative pour répondre aux multiples besoins individuels et collectifs des adultes, dans la perspective de promouvoir la prise en charge collective et individuelle de nos conditions de vie et de travail, notam­ment :

  • dans le domaine de la formation politique, sociale, économique et juridi­ que, etc.
  • pour répondre à des besoins de formation de collectivités spécifiques - agriculteurs, travailleurs(euses) d'u­ sines et de bureaux, etc.
  • initie des programmes de formation aux médias et que Radio-Québec y consacre autant de ressources humaines et financières à ces émissions qu'à sa programmation traditionnelle.

« Nous exigeons que ce programme soit centré d'une part sur la com­préhension critique des divers types de traitement de l'information, de même que sur le mode de produc­tion de l'information (les structures et le fonctionnement des médias).

« Nous exigeons que ce programme soit centré d'autre part sur l'élabo­ration d'une politique d'utilisation des médias qui soit en concordance avec les objectifs et les nécessités des divers milieux ».84

En conjuguant les ressources du sys­tème d'enseignement à celles de la télévision éducative, on pourrait en arriver à produire des séries où le potentiel éducatif des médias serait exploité à son maximum en réunissant les meilleures ressources humaines et documentaires, en permettant l'échange d'expression d'opinions et d'expé­riences différentes et divergeantes, en illustrant les explications plus théo­riques d'exemples concrets, en unissant la théorie, la pratique et la sensibilité à la raison par le documentaire dramati­que et la reconstitution historique. On n'a pas le choix, si on veut limiter l'influence des séries américaines et des émissions de divertissement bêtement faciles et il va falloir accepter d'investir dans une production éducative popu­laire.

Pour démocratiser l'accès aux savoirs et aux médias

  1. Obliger les stations de radio et de télévision à développer une program­ mation régionale éducative qui corres­ ponde aux besoins spécifiques selon les régions ;
  2. Rendre accessibles aux organismes volontaires et aux maisons d'enseigne­ ment les productions audio-visuelles à portée et à caractère éducatifs ; qu'une étude soit réalisée dans les plus brefs délais pour trouver des solutions à la difficile question des droits de suite ;
  3. Accroître l'aide aux médias communautaires ;
  4. Promouvoir le développement de la radio éducative communautaire par un Financement adéquat ;
  5. Que l'évolution de Radio-Québec soit axée en priorité sur la régionalisa­ tion et que l'affectation des budgets soient orientés en conséquence. Afin que ce processus de régionalisation se fasse dans une perspective d'appropria­ tion des médias par les usager-e-s, Radio-Québec devra accélérer l'implan­ tation de centres de production dans les régions gérées par les usager-e-s. Et il faudrait s'assurer que la production régionale trouve une place de choix dans la production et la diffusion nationale.

L'impact éducatif important des médias implique donc l'élaboration d'une politique basée sur une stratégie de concertation entre le système d'éduca­tion et celui des communications. Les ressources immenses et très diversifiées des médias doivent être orientées en fonction d'objectifs sociaux de dévelop­pement et de prise en charge des collecti­vités.

CONCLUSION

L'interdépendance entre les médias et l'éducation se manifeste de bien des façons ; à part la qualification profes­sionnelle, les rôles exercés par les médias empiètent de plus en plus sur les fonctions traditionnellement dévolues à l'école. Dans le domaine de la transmis­sion des valeurs et modèles de compor­tement, l'influence des médias est plus déterminante que celle de l'école. Au niveau de la promotion culturelle, les médias ne nous proposent que le Show Business, c'est-à-dire la culture com­mercialisée. Ainsi la dégradation constante de la qualité de la program­mation des médias, surtout électroni­ques, constitue un facteur d'appauvris­sement culturel et d'endoctrinement.

La très grande pénétration des médias et leur omniprésence dans nos vies, a fait en sorte que les médias ont créé un nouveau milieu éducatif'qui a influencé les modes de transmission et d'acquisi­tion du savoir. L'accumulation d'infor­mations et de connaissances factuelles remplace l'analyse et la structuration des connaissances. Un adulte âgé de 30 ans a passé environ 36 000 heures devant la télé. Pour les Québécois-es, la télévision constitue donc de loin le principal instrument d'information et de formation. Dans ces conditions, une politique d'éducation des adultes qui ne tiendrait pas compte du rôle prépondé­rant des médias aurait une portée très limitée. II est absolument incohérent de développer des beaux programmes d'édu­cation des adultes et d'avancer des revendications en ce sens tout en laissant les médias dans leur état de dégradation actuelle.

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Texte: Lina Trudel, ICEA. Coordination: Sylvie Dupont. Maquette: Lise Nantel. Composition: Composition Solidaire. Montage et im­pression: Les Presses solidaires. Dactylographie: Éliette Beaulieu, Josée Bélanger, Marie Leahey, Christiane, Thomas. Ce document de travail a été produit en collaboration avec le Comité sur la politique en éducation des adultes de l'ICEA et avec le Groupe de travail sur les communications de l'ICEA.

Illustrations: D. Faubert, in MEDIUM-MEDIA, ONF: p. 1; Cadier, in POURQUOI?, No. 117, sept. 1976: p. 2; No. 119, nov. 1976: p. 3; No. 134, avril 1978: p. 9; Claudius, in ATTENTION ECOLE , IDAC, Nos. 16-17: p. 4; ANTENNES, No. 5, 1977: p. 6; Girerd, in ANTENNES, Nos. 13-14, 1979: p. 7; Radio-Canada, in IN SEARCH/ENQUÈTE, été 1977: pp. 5, 8; Télé-Métropole in IN SEARCH/EN QUÊTE, été 1977: p. 12; D. Sylvestre, in IN SEARCH/ EN QUETE, été 1979: p. 11; L. Nantel: p. 13; Henz, in CFDT AUJOURD'HUI, No. 29, 1978: p. 9; Sadabel, in CFDT AUJOURD'HUI, No. 29, 1978: p. 12.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

10. L'éducation internationale au Québec : Une éducation de solidarité

Cette carte du monde, dessinée par le géographe allemand Arno Peters en 1974, est beaucoup plus conforme à la réalité que celle à laquelle nous sommes habitué-e-s. Peters a consenti à une certaine déformation des contours POUR DONNER UNE REPRE­SENTATION EXACTE DES SURFACES ET RESPECTER LES PROPORTIONS REELLES DES CONTINENTS.

OCTOBRE 1980

INSTITUT CANADIEN D'ÉDUCATION DES ADULTES 506 est. Ste-Catherine. suite 800 Montréal. Québec H2L 2C7

II se fait au Québec du travail d'éducation à la solidarité interna­tionale. Lee expériences sont toutefois éparses, les ressources plus que limitées et les occasions de systématiser ces expériences à peu près inexistantes. Par conséquent, malgré son importance, les écrits sur le sujet sont rares.

Le texte qui suit a été élaboré par un groupe d'éducateurs dans ce domaine. Il vise non à présenter la fine pointe de la réflexion en matière d'éducation internationale mais bien à lancer des pistes pour ceux qui s'intéressent à la question de l'éducation des adultes et ce, à partir de leur expérience personnelle et collective.

En ce sens, il doit être considéré comme un document de travail à appro­fondir plutôt qu'une prise de position définitive de la part des mem­bres du comité ou des rédactrices.

"Personne ne libère autrui, personne ne se libère seul, les hommes se libèrent ensemble".

(Paulo Freire)

Que nous en ayons conscience ou non, notre réalité a une dimension internationale et plusieurs éléments nous la rendent de plus en plus immédiate, de moins en moins lointaine: les médias transmettent quoti­diennement de l'information sur des pays et des événements de tous les coin3 du globe; l'immigration nous amène à côtoyer dans notre entoura­ge des gens venus de différents pays. L'économie québécoise fait partie d'un réseau complexe d'économies nationales et internationales, - d'un réseau international de rapports de production qui nous affecte de façon vitale.

Paradoxalement, l'éducation qui se fait présentement à cette réalité internationale ne nous la rend pas plus accessible, plus compréhensi­ble. Au contraire, les médias nous la rendent confuse et l'école l'ignore à toutes fins pratiques. Nous n'apprenons pas à voir de façon objective les autres pays et les autres peuples et nous ne parvenons pas à nous situer dans la division internationale du travail qui détermine, en fin de compte, nos conditions de vie et de travail.

Un» véritable éducation à la solidarité internationale vise à faire comprendre la réalité internationale en partant des réalités pour aller aux causes globales. C'est là un processus éducatif véritable mais peu reconnu et qui, par conséquent, reçoit les ressources beaucoup trop limitées. Ce sont d'autres formes d'éducation axées davantage sur des aspects superficiels qui reçoivent la grosse part du gâteau dans ce domaine.

Le titre de cette monographie indique clairement notre choix: pour nous, l'éducation à la réalité internationale ne peut être qu'une éducation à la solidarité internationale. Elle doit viser à développer le sens d'une lutte commune des peuples d'ici et d'ailleurs pour une société véritablement démocratique, c'est-à-dire une société libre de toute forme d'exploitation et d'oppression. Une telle éducation remet en cause l'éducation formelle trop axée sur des contenus à transmettre. Elle vise une compréhension de la réalité dans toutes ses dimensions de façon à ce que les hommes et les femmes soient eh mesure de s'orga­niser pour la transformer et apporter leur contribution à 1'édification d'une société véritablement démocratique.

OU EN SOMMES-NOUS?

1. L'ILLUSION DE L'INFORMATION - UNE INFORMATION TRONQUEE

Dans la réalité, ce choix n'est pas généralisé et ceux qui contrôlent tant l'information que le pouvoir économique et politique créent une illusion d'information, morcellent la réalité de façon à diviser les. pays et les gens.

Notre connaissance de la réalité internationale est étroitement liée à l'information qui nous; est transmise tout particulièrement par les médias: radio, télévision, journaux. Cette masse d'information est considérable et nous donne l'impression d'être bien informés sur ce qui se passe dans le monde. Quand on y regarde de près, l'accumula­tion de faits choisis - guerres, coups d'Etat, catastrophes naturelles, potins sur des gens célèbres, etc. - ne représente qu'une information partielle. Ces différentes situations sont plus souvent qu'autrement liées de façon tout à fait superficielle, dans une logique qui tient compte d'intérêts spécifiques autres que ceux de l'ensemble de la population.

"Coup d'Etat en Turquie"; "Démission de Mario Soarès comme leader du parti socialiste portugais"; "Deuxième coup d'Etat cette année en Bolivie"; "Assassinats d'enfants en Centrafrique"... les manchettes et les nouvelles elles-mêmes s'attachent à l'aspect sensationnel mais passent sous silence les processus qui ont conduit à ces évènements spectaculaires.

Prenons un exemple. Par delà le folklore des coups d'Etat boliviens, peu de médias ont expliqué comment le processus laborieux de démocra­tisation qui aboutissait enfin à une élection libre a été brutalement, interrompu dans un bain de sang, par des intérêts criminels liés au traffic de la drogue et par ceux du régime militaire argentin qui refuse de laisser s'instaurer à ses frontières une démocratie qui risquerait de se propager en Argentine et même dans le reste de l'Amérique latine. On passe sous silence la menace que représente une telle démocratisation pour les intérêts économiques des monopoles qui contrôlent ces pays. On se tait sur sa signification pour les peuples latino-américains. Les enjeux véritables sont escamotés.

Les médias transmettent des informations: ils font des liens entre les faits qu'ils rapportent, mais le silence qu'ils entretiennent sur dés dimensions fondamentales d'une réalité globale fait en sorte que l'au­diteur ou le lecteur peut difficilement s'y retrouver et comprendre les situations qu'on lui présente. Celui-ci est traité par les médias comme un consommateur d'information et l'information devient une mar­chandise comme une autre pour les propriétaires des médias dont l'in­térêt premier est le profit.

2. LA NORME, C'EST NOUS

Une telle information désincarnée et morcelée est incompréhensible pour un public dont les médias sont la seule source. Elle contribue à renforcer l'ethnocentrisme.

Ainsi, les autres pays, les autres peuples semblent incompréhensibles et illogiques alors que nous, comme peuple, nous considérons rationnels, sensés. Nous sommes la norme, la mesure des jugements portés sur les événements étrangers et internationaux.

Une analyse de manuels scolaires, effectuée en Allemagne de l'Ouest, a démontré qu'ils transmettaient aux enfants de l'élémentaire et du secondaire une vision extrêmement déformée de la réalité internationale. On a constaté que les autres cultures y étaient représentées de façon biaisée, comme étant un peu étranges; les enfants ne pouvaient, à partir de ces manuels, en venir à imaginer une forme d'organisation sociale différente de celle dans laquelle ils vivaient. Il serait intéressant de voir les conclusions d'une étude semblable portant cette fois sur des manuels utilisés dans les écoles du Québec.

L'école enseigne la géographie. Mais une fois l'année terminée, ce que retiennent les enfants de la géographie internationale est fort mince et leur offre peu d'outils pour comprendre cette réalité. La géographie humaine de l'entourage des enfants est elle-même peu expliquée. L'immi­gration est une donnée de la réalité québécoise, mais l'explication des causes de l'immigration est rarement touchée. Ainsi, les causes diffé­rentes qui amènent au Québec des Haïtien-ne-s, d'une part, et des Viet-namien-ne-s d'autre part, ne sont expliquées ni aux enfants ni aux adul­tes. Pas plus d'ailleurs que le rôle du Canada dans les pays d'origine de ces immigrant-e-s.

Les institutions d'enseignement ou les corps publics sont peu sensibles aux difficultés que peuvent avoir les immigrant-e-s pour comprendre leur pays d'accueil. Les organismes d'immigrant-e-s sont les mieux placés pour expliquer à leur groupe les mécanismes sociaux québécois; mais ils sont souvent mal reçus par les corps publics qui ont tendance à monopo­liser les relations avec les individus et les groupes et à voir la collaboration de ces organismes comme une ingérence dans leur travail.

Par ailleurs, l'attitude "je-m'en-foutiste" d'un grand nombre de gens par rapport à la situation économique dans les pays du Tiers-monde est symptômatique de la méconnaissance de la réalité économique internationale. Les préjugés sont nombreux: "Il y a des gens qui aiment çà être pauvres", "S'ils sont dans cette situation, c'est leur faute, ils ne sont pas assez intelligents pour s'en sortir", "Moi, j'ai travaillé pour m'en sortir, qu'ils fassent de même", etc.. A regarder ceux qui sont plus mal en point que soi, on finit pas être satisfait de son sort. Par contre, quand des travailleurs d'une multinationale qui a des succur­sales ici et dans d'autres pays discutent ensemble de leur conditions de travail, ils se rendent compte du jeu de division que font ces multina­tionales; par exemple, les travailleurs de l'Alcan au Lac St-Jean étaient en grève pendant qu'une usine de l'Alcan en Afrique du Sud était en pleine surproduction. Mais ce type d'information est difficile à obtenir et les syndicats et groupes de solidarité internationale ont peu de moyens à leur disposition pour la faire circuler.

3. LA DIVISION INTERNATIONALE DU TRAVAIL... DIVISE

Ces attitudes ne se sont pas développées par hasard, comme ce n'est pas un hasard si l'information offre une vision tronquée de la réalité inter­nationale. Les monopoles qui contrôlent les médias ont plus intérêt à accentuer les éléments de division qu'à chercher à faire comprendre des situations dont la similitude d'un pays à l'autre risquerait d'amener les gens à se reconnaître et à se solidariser dans des luttes communes.

Ce que l'information camoufle, c'est que la réalité de l'exploitation locale s'insère dans une perspective d'ensemble d'une division interna­tionale du travail destinée à maximiser les profits des investisseurs et à consolider leur pouvoir. Ce qu'elle ne montre pas, c'est la place qu'occupe le Québec, le rôle qui lui est assigné dans cet ensemble complexe.

La forme spécifique de notre exploitation se situe dans cette réalité globale et y trouve son sens. La régionalisation des investissements internationaux fait an sorte do spécialiser différents pays dans des productions plus rentables. Cela entraîne des fermetures d'usines, de mines , d'exploitations forestières au Québec par des multinationales qui en ouvrent d'autres ailleurs et y exploitent d'autres travailleurs. Cela .sntraîne également une diversification permettant de fabriquer dans un autre pays ce que des travailleurs d'ici refusent de produire en temps de grève, et vice-versa.

La division internationale du travail est une cause fondamentale des problèmes de dépendance économique et politique, des migrations, des guerres. Elle est aussi, par le fait même, une raison fondamentale de la nécessité de la solidarité internationale: c'est en se solida­risant que les populations des différents pays pourront éviter d'être utilisées les unes contre les autres. C'est en menant des luttes concertées qu'elles pourront résister à la concertation des intérêts qui les exploitent. La solidarité internationale n'est pas simple question de moralité: elle est d'abord et avant tout un intérêt con­cret qu'ont les exploité-e-s et les opprimé-e-s à se sortir de la situation de domination économique et idéologique dans laquelle ils sont consciemment maintenus pour servir des intérêts qui leur sont étrangers.

4. UN DÉSIR DE COMPRENDRE

Les syndicats et les groupes de solidarité internationale ont constaté la différence d'attitude des travailleurs et des travailleuses qui ont eu des contacts avec des travailleurs et des travailleuses d'autres pays. Ils et elles sont plus à même de constater les liens entre leur situation ici et celles d'autres travailleurs et travailleuses ailleurs. Ces contacts les amènent à poser des questions, a vouloir en savoir davantage, à chercher à connaître les causes profondes des faits qui leur sont présentés. L'étranger n'est plus un adversaire. Ils veulent comprendre les liens entre les différentes situations d'exploitation, comprendre les luttes qui se minent ailleurs, connaître les solutions que d'autres apportent à des problèmes qu'ils vivent eux-mêmes.

UNE EDUCATION A LA SOLIDARITE INTERNATIONALE: A FAIRE

1. DES APPROCHES DIVERSES

L'approche anti-éducative des médias ne répond pas à ce besoin de com­prendre. Au contraire, elle est faite de silences, de slogans et d'in­formation partielle et partiale, favorable à ceux qui ont des intérêts communs avec les propriétaires de ces médias. D'autres groupes, orga­nismes, individus travaillent à démystifier la réalité internationale et à la rendre compréhensible au plus grand nombre. Dans leurs appro­ches, on peut distinguer trois grands courants qui se recoupent souvent au sein de leurs activités.

L'approche humanitaire est celle que nous connaissons depuis la petite école et les 25 cents de la Sainte-Enfance. Elle repose sur la charité envers plus miséreux que soi, et développe une culpabilité dont on se débarrasse en donnant quelques dollars lors d'une campagne de financement pour une activité dans le Tiers-monde.

L'approche "Tiers-mondiste"est davantage axée sur l'aide aux peuples qui se libèrent. Elle fait appel au sentiment de justice et vise à mettre fin aux inégalités entre les peuples. Les luttes du Tiers-monde sont vues comme des efforts des pays pauvres pour atteindre un développement économique semblable au nôtre, des efforts des défavorisés pour se dé­velopper. Il faut leur donner un coup de main dans cette tâche.

Par opposition à ces visions moralistes et paternalistes, l'approche de solidarité reconnaît une lutte commune des peuples pour la libération

de l'exploitation et. de l'oppression. Il ne s'agit plus seulement ni d'abord d'aider les autres, mais bien de comprendre les mécanismes d'exploitation et d'oppression et de lutter ensemble, chacun chez-soi mais en lien lesuns avec les autres, pour éliminer les inégalités et bâtir une société nouvelle où le pouvoir et les richesses seront par­tagés plutôt que monopolisés par un petit: groupe.

2. PARTIR DES REALITES

L'approche de solidarité remplace le discours moraliste en faisant plutôt ressortir les intérêts communs des gens d'ici avec ceux d'autres pays. Elle ne prêche pas la solidarité mais cherche à faire comprendre la relation entre des problèmes plus immédiats et ces mêmes problèmes dans d'autres pays et dans l'ensemble de la réalité internationale. Il s'agit d'essayer de démonter le mécanisme qui permet de telles situa­tions et de développer des liens pour les surmonter. Ainsi, après avoir discuté avec un mineur d'Afrique du Sud de ses conditions de tra­vail, des mineurs d'Abitibi ont pu comprendre comment leurs propres conditions de travail faisaient partie d'une réalité plus globale d'exploitation de la main-d'oeuvre, réalité qui repose sur l'apartheid en Afrique du Sud, sur la division de la production de façon à ce que l'effet des grèves dans un pays soit compensé par la surproduction dans un autre, etc.

L'éducation à la réalité internationale devient véritablement facteur de solidarité quand on voit concrètement, par delà l'information biaisée qui vise justement à les occulter, les liens entre les situations d'ex­ploitation et d'oppression, et les liens aussi entre les luttes des gens pour les surmonter. Les gens veulent savoir quelles politiques existent ailleurs sur l'agriculture, les investissements, les ferme­tures d'usines, la situation des femmes. Ils veulent savoir comment, sur la question des garderies, du logement comme sur la question du travail, du chômage... d'autres gens comme eux, ailleurs, réussisent à s'en sortir. Ils veulent connaître les solutions que d'autres ont trouvées à leurs propres problèmes, les victoires qu'ils ont rempor­tées: c'est là un oxygène indispensable pour alimenter leurs luttes.

3. ALLER AUX CAUSES GLOBALES

L'éducation à la solidarité internationale fait justement l'inverse du travail des médias en liant entre eux les événements pour en dégager la signification profonde, les enjeux fondamentaux. Elle fait ressor­tir les intérêts concrets communs pour susciter le besoin de comprendre et l'alimenter. L'information des médias met un frein à ce désir par le désordre dans lequel elle présente des événements, au lieu d'établir ce lien entre les réalités concrètes, entre les problèmes, entre les solutions.

Las "je-m'en-foutistes" sont préoccupés par la nécessité de régler leurs problèmes: ils en ont assez sans devoir, en plus, s'occuper de ceux des autres. En montrant comment ces problèmes font partie d'un tout global, comment ils sont liés organiquement avec les problèmes vécus dans d'autres pays, l'éducation à la solidarité internationale leur fait prendre conscience que leurs problèmes sont aussi ceux des autres et vice-versa. Par conséquent, la lutte qu'ils mènent pour les résoudre rejoint celle menée dans d'autres pays, et s'inscrit dans une lutte d'ensemble. En les amenant à comprendre leurs intérêts communs avec les exploité-e-s d'autres pays, cette éducation leur fait prendre conscience qu'il n'y aura pas de solution à leurs problèmes tant que tous ces mêmes problèmes, partout, ne sont pas résolus.

4. UNE APPROCHE INTEGREE DANS UN PROCESSUS EDUCATIF

Une telle éducation à la solidarité internationale ne s'improvise pas: ce n'est pas une simple activité occasionnelle mais bien une éducation quise prépare. Elle se fait dans un processus partant de la réalité immédiate et de la réalité nationale pour s'élargir à la réalité inter­nationale, approfondir sa compréhension et engager une action concrète de solidarité. Elle est une préoccupation permanente qui doit traver­ser l'ensemble du travail d'éducation.

Les campagnes de sensibilisation ou les actions de solidarité interna­tionale n'ont de sens que si elles sont un aboutissement du processus d'éducation, un temps fort qui fait mieux comprendre les enjeux. Elles doivent s'insérer dans un processus et être menées en lien avec un en­semble d'activités éducatives qui la fassent mieux comprendre. Le travail récent sur la campagne d'alphabétisation au Nicaragua est un exemple dans ce sens: il n'a pas été un simple événement mais a été préparé, expliqué, discuté avant d'aboutir au geste de solidarité même.

Les syndicats et les groupes populaires, dont l'éducation est fonda­mentalement reliée à l'action, font fies efforts pour dépasser l'acti­visme des campagnes ponctuelles et les insérer dans un processus d'éducation plus global. Les contacts qu'ils favorisent sont, autant que possible, axés sur la réalité commune des participants: échanges entre travailleurs et travailleuses d'un même secteur, entre groupes de femmes, entre groupes de paysans... Mais les moyens dont ils dis­posent sont plus que limités, et leur action à ce niveau s'en trouve sérieusement freinée.

DES RESSOURCES POUR UNE EDUCATION DE SOLIDARITE

Des fonds considérables sont affectés à des voyages internationaux, à des échanges qui développent la curiosité mais ne permettent pas une compréhension en profondeur des réalités économiques, culturelles et politiques d'autres pays, ou des liens qui nous unissent. Généralement, ces activités ne font qu'occuper un espace et donner l'impression de remplir un rôle de formation qu'elles ne jouent pas véritablement parce qu'elles sont trop superficielles.

Par contre, les activités d'éducation de solidarité ne reçoivent qu'un financement extrêmement limité et dépendent surtout du bénévolat. C'est là une situation inacceptable: cette éducation est une forme vitale d'éducation des adultes. Elle est basée sur la réalité vécue des adultes et favorise une prise en charge de leurs conditions de vie et de travail dans leur dimension la plus globale. En ce sens, elle s'intègre dans une perspective d'éducation permanente et doit bénéfi­cier de ressources humaines, matérielles et financières qui puissent lui assurer une existence et un développement adéquats.

1. DES RESSOURCES HUMAINES

L'éducation à la solidarité internationale doit prendre une place plus importante dans les programmes de formation des maîtres et de formation de formateurs (éducation populaire autonome) pour que ceux-ci puissent saisir les problématiques internationales et en traiter dans leurs ac­tivités éducatives. En ce sens, l'absence au Québec de lieux d'infor­mation, de formation, de ressourcement, d'échanges, de confrontations des expériences éducatives se fait d'autant plus durement sentir que les organismes eux-mêmes n'ont pas de ressources pour préparer adéqua­tement leurs formateurs. La sur-spécialisation à laquelle on réserve certaines bourses d'étude devrait être repensées et des fonds devraient être rendus accessibles aux organismes pour la formation de leurs ressources humaines.

Les contacts sur le terrain sont souvent une forme privilégiée d'éduca­tion à la solidarité internationale. Les expériences d'échanges entre producteurs de pommes de terre d'Acadie et de Bolivie, les rencontres de paysans québécois et chinois, des rencontres entre syndicalistes de plusieurs pays ont été autant d'expériences qui ont accéléré la com­préhension de la dimension internationale des problèmes qu'ils parta­geaient et créé une solidarité entre les participants. Quand elles s'insèrent dans un processus d'éducation pensé, planifié, ce genre d'activité est à encourager tant au point de vue organisationnel que financier.

De plus, le travail de recherche et d'analyse de conjonctures fait sérieusement défaut, les organismes syndicaux et populaires manquant de temps et de ressources pour les effectuer. Si l'on veut que l'édu­cation de solidarité permette de comprendre la réalité internationale, les inter-relations des pays, des problèmes, un travail sérieux de recherche s'avère essentiel. Il serait important d'offrir la possi­bilité à des professeurs et à des étudiant-e-s universitaires, dans le cadre de leur charge académique, de mettre leurs compétences à la disposition des groupes qui oeuvrent dans le domaine de l'éducation à la solidarité internationale pour leur fournir les outils dont ils ont besoin à ce niveau. Certains syndicats et groupes populaires ont déjà commencé, dans la mesure de leurs moyens, à travailler en ce sens; l'Etat doit encourager et soutenir financièrement ces initiatives qui sont de bonnes indications de l'importance accordées à la qualité de cette éducation.

2. DES RESSOURCES MATERIELLES ET FINANCIERES

Les outils matériels d'éducation à la solidarité internationale sont peu nombreux et souvent mal adaptés: qu'on songe aux cartes géographiques, aux moyens audio-visuels, aux possibilités d'obtention et de diffusion de l'information, etc. Si les outils sont encore, pour la plupart, à inventer, à créer, à adapter, à traduire... encore faut-il que les édu­cateurs puissent avoir les fonds nécessaires pour un tel travail, ce qui est loin d'être le cas présentement.

L'Agence canadienne de développement international (ACDI), par son Pro­gramme de participation du public, offre des fonds à certains organismes non-gouvernementaux, mais la partie allouée à l'éducation est toujours extrêmement faible. Le secteur volontaire populaire est tout à fait laissé pour compte. De plus, ce programme se situe au mieux dans une perspective tiers-mondiste: la vision de l'ACDI en est une d'aide au développement des pays sous-développés. (Nous pourrions ajouter: un développement rentable pour le Canada, comme l'avait indiqué Flora Macdonald l'été dernier). Il n'y est pas question de rendre les Cana-dien-ne-s conscient-e-s des liens entre leur pays et ces pays sous-développés.

"L'ouverture du Québec au monde" ne se traduit pas encore par des budgets suffisants pour l'éducation à la solidarité internationale, ni dans les institutions d'enseignement, ni dans le cadre de l'éducation populaire autonome. Pour sa part, le ministère de l'Education se dit favorable à la formation de formateurs ou à l'information dans ce domaine, via le Programme d'aide de la Direction générale d'éducation des adultes (DGEA) aux Organismes volontaires d'éducation populaire (OVEP). A toutes fins pratiquer, la DGEA est absente du secteur de l'éducation à la solidari­té internationale. Sa politique à ce sujet est à reviser sérieusement pour qu'elle assume vraiment ses responsabilités en matière de finan­cement de l'éducation des adultes dont l'éducation à ta solidarité internationale est un aspect vital.

UNE REMISE EN QUESTION DE L'EDUCATION

L'éducation à la solidarité internationale vise à faire comprendre aux gens leur réalité en l'élargissant à sa dimension internationale. Elle part de leurs problèmes, et cherche, avec eux, à en saisir les causes profondes, à les situer dans une perspective globale. Elle veut les rendre critiques et capables de porter leurs propres jugements plutôt que d'intégrer passivement ceux qui sont faits peur eux par les médias et qui servent des intérêts autres que les leurs.

En ce sens, c'est l'ensemble de l'éducation qu'elle se trouve à remettre en cause: ni l'éducation des jeunes, ni l'éducation des adultes n'est axée sur la compréhension de la réalité des participant-e-s ou sur une action pour la transformer; elle cherche plutôt à transmettre des connaissances et des jugements tout faits ou encore à "faire passer des messages". L'élimination par l'Université de Mon­tréal du groupe La maîtresse d'école et du courant de Pédagogie pro­gressiste en dit long sur la résistance à l'utilisation de la réalité comme base de l'éducation; ce n'est malheureusement pas un cas isolé.

Une éducation de solidarité entre en contradiction avec l'individua­lisme et la compétition qui restent des valeurs fondamentales de notre système d'éducation. L'école et les médias ont pour fonction princi­pale de servir le système économique; ils transmettent l'idéologie dominante et visant à former des travailleurs et travailleuses dociles, des technicien-ne-s efficaces au service de la division internationale du travail. Une éducation qui permette de saisir de façon critique les dimensions globales de la réalité, qui rende accessible aux travailleurs la compréhension de l'ensemble de l'organisation du travail dans laquel­le ils sont impliqués entre en contradiction avec ces fonctions du sys­tème scolaire: des travailleurs critiques ne sont pas des travailleurs dociles...

C'est cependant une éducation fondamentale dans une société qui se veut démocratique pour que les hommes et les femmes qui la composent puissent porter des jugements éclairés, faire des choix sociaux informés, cons­cients, autonomes et contribuer à l'édification d'une société axée sur les besoins de la majorité. L'éducation à la solidarité internationale s'Insère dans une vision de la société qui fait de l'éducation perma­nente un outil indispensable de la démocratie.

A LIRE

CISO, PLATE-FORME DU CENTRE INTERNATIONAL DE SOLIDARITE OUVRIERE, mai 1979.

Committee on the Churches Participation in Development, TRENDS IN EDUCATION FOR DEVELOPMENT, World Council of Churches, Geneva, 1973.

Gelpi, Ettore, "Analyse prospective des politiques et des activités d'éducation permanente", POUR, mai-juin 1980, no. 72.

5UC0, ORIENTATION DU SECTEUR EDUCATION AU PUBLIC, octobre 1978.

SUCO, EVALUATION DU TRAVAIL D'EDUCATION POUR LA PERIODE DES ANNEES 1978-1979, septembre 1979.

PERIODIQUES

SOLIDARITE INTERNATIONALE, Secteur éducation de SUCO, 4824 Côte-des-Neiges, Montréal, H3V 1G4.

SOLIDARITES, Développement et Paix, 2111 rue Centre, Montréal, H3K 1J5.

SOLIDARITE, Centre international de solidarité ouvrière, 1601 De Lorimier, Montréal, H2K 4M5.

La maîtresse d'école, "Ce matin, à l'école on parle des mineurs", CAHIER DE PEDAGOGIE PROGRESSIS-février 1979, no. 1.

La maîtresse d'école, "Viens-tu jouer au docteur", CAHIER DE PEDAGOGIE PROGRESSISTE, avril 1980, no. 3.

FILMS

LE LIVRE D'HISTOIRE

CONTROLLING INTEREST: L'EMPRISE DES MULTINATIONALES

LE COMPLOT OU COMMENT LES TRANSNATIONALES POSSEDENT LE MONDE

ADMISSION TEMPORAIRE

L'ECHANGE INEGAL

INFORMATION LIMITEE

LE NOUVEL ORDRE

LES DEPOSSEDES

QUI AIDE QUI?

Ces films sont disponibles au Carrefour international, 4258 De Lorimier, Montréal, H2H 2B1.

texte: Le comité sur l'éducation à la solidarité internationale, composé de: Max Chancy, Suzanne Dion, Willy Dumoucelle, Jean-Paul Faniel, Jean-Guy Lewis, Claude Lortie, Monique Ouellette, Robert Quévillon, Micheline Sicotte. Rédaction: Suzanne Dion, Monique Ouellette.

Ce document de travail a été réalisé en collaboration avec le Comité de stratégie sur la politique d'éducation des adultes de l'ICEA et avec le soutien financier de Paix et Développement et de SUCO.

Illustrations: Cadier, in POURQUOI?, No. 114, avril 1976: p. 2; C. Tovar, in ANALISIS DE ESTRUC-TURA Y COYUNTURA, CELADEC, 1979: pp. 4, 12; Henz, in CFDT AUJOURD'HUI,. No. 27, sept.-oct. 1977: p. 5; Claudius, in AIDE AU TIERS-MONDE - LE DEVELOPPEMENT IMPOSSI­BLE, IDAC, document 2, 1973: pp. 6, 13; Claudius, in NUEVOS ESTILOS DE VIDA, CELADEC, No. 4, 1978: p. 9; LIGNE DIRECTE, CEQ, 1980: p. 10; Claudius, in GUINEE-BISSAU -REINVENTER L'EDUCATION, IDAC, document 11/12, 1977: pp. 14, 15.

TOUTE REPRODUCTION EST NON SEULEMENT PERMISE MAIS ENCOURAGÉE.

1 QUEBEC / MEQ, Direction générale de l'Education des adultes, PROPOSITION DE POLITIQUE QUÉBÉCOISE DE FORMA­TION DU CITOYEN. Document de travail, février. 71 pages.
2 ICEA. MEMOIRE SUR LE FINANCE­MENT DES ORGANISMES VOLON­TAIRES D'ÉDUCATION POPULAIRE, mai 1977. pages 1-2.
3 Dossier information OVEP, Comité d'action, novembre 1978, article du Devoir, 7 avril 1979.
4 Repo: Opération de Recherche en Education Populaire
5 RECOMMANDATION SUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉDUCATION DES ADULTES, Conférence générale de UNESCO tenue à Naïrobi le 26 novembre 1976.
6 LE BILL 60, Cahiers de l'ICEA, Montréal 1966
7 Statistiques, Ministère de l'Education du Québec, voir en particulier Veilleux, A., L'ÉDUCATION DES ADULTES DANS LES INSTANCES SCOLAIRES, MEQ. mai 1978, p. 50 et suivantes.
8 Bulletin statistique DGEC, MEQ, vol 3, no. 11, octobre 1978: vol. 3. no. 3. mai 1978.
9 Commission d'étude sur les universités. DOCUMENT DE CONSULTATION, juin 1978, p. 55-56.
Commission d'étude sur les universités, RAP­PORT DU COMITÉ DE COORDINA­TION, mai 1979. p. 49. Dandurand, Pierre et Fournier, Marcel, CON­DITION DE VIE DE LA POPULATION ÉTUDIANTE QUÉBÉCOISE, Département de sociologie. Université de Montréal, mai 1978.
CROP, SONDAGE SUR LA POPULA­TION ÉTUDIANTE UQUAM. octobre 1978.
Daoust, Gaétan et Bélanger. Paul. L'UNIVERSITÉ DANS UNE SOCIÉTÉ ÉDUCATIVE. Montréal. 1974.
10 Ces 86,000 adultes à temps partiel équivalent à 34.000 étudiants à temps complet et représen­ tent 25% du volume total de l'éducation régulière
11 Dont le pourcentage sur la clientèle globale est passé de 3% en 1962 à 6% en 1978
12 Ce qui exclut les allocations de formation et les budgets de subvention à la formation en in­ dustrie.
Les programmes de formation professionnelle des adultes au Québec, ICÉA. juin 1979, p. 13.
13 Statistiques Canada, catalogue 81755, hors série.
14 Adams, R.J.. TRAINING IN CANADIAN INDUSTRIES. RESEARCH, THEORY AND POLICY IMPLICATIONS, Mc- Master University, Faculty of Business. Research Paper no. 168, avril 1980.
15 Statistiques. Ministère de l'Education du Québec, voir en particulier Veilleux, A.. L'ÉDUCATION DES ADULTES DANS LES INSTANCES SCOLAIRES. MEQ, mai 1978. p. 50 et suivantes
16 NOS ENFANTS FERONT-ILS MIEUX QUE NOUS?. ICEA. 1977.
17 cf tableau 5.
18 Tableau 52, Statistiques Education des adultes, DGEA, 1976-77. mars 1979.
19 cf Tableaux 5 et 6
20 Adams. R.J.. Op. cit.
21 Daoust, G. et Bélanger. P., OP. CIT.. p. 56-87
22 Adams. R.J.. OP. CIT.. p. 17-18a. 1976-77.
23 Note: le nombre de classes créées "passant de 1.395 en 1972-73 à 637 en 1976-77.
24 Bélanger, Paul, Paquet, Pierre, Valois, Jocelyne, "Formation des adultes et con­ tradictions sociales", SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉ, vol. I, no. I, p. 59, et suivantes. Paquet. Pierre et Bélanger, Paul, LA FPA ET SA SIGNIFICATION. ICEA, 1975, 249 P.
25 Rapport Faure, Unesco Fayard, 1972. p. 160-63. Rapport final de la conférence de Tokyo sur l'éducation des adultes, Unesco, voir les résolutions I, 2, 4, 6, 16, 18.
26 Campeau, Daniel et Leroux, Jeanne. PROSPECTIVES, vol. 5. p. 293 et suivantes.
27 Les rapports des deux comités gouvernemen­ taux d'étude sur l'avenir des cégeps.
28 Daoust, G. et Bélanger. P., OP. CIT., p. 70 et suivantes.
29 Coopérative de télévision axée sur l'éduca­tion populaire et lu formation ouvrière.
30 Seulement 4% des étudiants adultes à temps complet s'inscrivent à des cours de science pure ou de science appliquée.
31 Alors que l'ensemble des secteurs disciplinaires recrutent 50% d'étudiants à temps partiel, les programmes de sciences pures et appliquées n'accueillent que 10% d'étudiants à temps partiel.
32 Cf. Bulletin-IŒA, vol. 3. no. 5. décembre
33 Chancy. Adelyne, "La lettre à la famille: ex­ périence d'alphabétisation au centre com­ munautaire haïtien", in GRAIN DE SEL, vol. 3, no. 4, avril 1980. p. 18-20.
34 Dupré. J. and al.. FEDERALISM AND POLICY DEVELOPMENT, University of Toronto Press, 1972.
35 Dans les cégeps, le nouveau système encore imprécis de financement limite la gratuité aux cours crédités vouant la formation sur mesure et l'éducation populaire à l'auto­ financement ou à des commanditaires ex­ ternes.
36 Voir le programme REPO de la DGEC 1980- XI.
37 Programmes de renouveau pédagogique du Conseil des universités.
38 Gotlieb. A.. FORMATION 75. Ottawa, vol. I, no. 1. p. 5.
39 Lizée. R. et Lizée. M.. LA DÉMOCRATISA­TION DE L'ÉDUCATION QUÉBEC: UNE ÉTUDE DE CAS EN AMÉRIQUE DU NORD à paraître a l'Unesco.
40 Voir par exemple un document antérieur de IICEA. LES PROGRAMMES DE FOR­ MATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC, juin1979. 101 p.
41 Canada. Statistiques Canada. FORMATION DANS L'INDUSTRIE 1969-70. Ottawa. 1973. Voir aussi l'élement-clé numéro 2 in­ titulé POUR LÉGALITÉ D'ACCÈS À L'ÉDUCATION DES ADULTES.
42 Pour toutes les données citées sur le PFMC. on se réfère au document de l'ICEA de juin 1979: LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC, op. cit.
43 Conseil du statut de la femme. L'ACCÈS À L'ÉDUCATION POUR LES FEMMES DU QUEBEC, 1976 et POUR LES QUÉBÉCOISES: ÉGALITÉ ET INDÉPEN­DANCE. 1978, Québec. Editeur officiel. Mentionnons également que le groupe "Action travail des femmes" a produit et diffusé un vidéo de 45 minutes sur la question des ghettos d'emplois, qui s'intitule: "TOUT CE QUI SORT DE L'ORDINAIRE... J'AIME CA LE FAIRE."
44 Canada. Statistiques Canada. RECENSE­ MENT 1971. Ottawa.
45 Elément-elé, POUR UN CONGÈ- ÉDUCATION.
46 FTQ, MÉMOIRE À LA COMMISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SUR LE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUC­ TIVITÉ, Montréal. 1979. p. 10.
47 OCDE. L'ÉDUCATION RÉCURRENTE: UNE STRATÉGIE POUR UNE FORMA­ TION CONTINUE. Paris. 1973. p. 47.
48 Nous parlons des documents suivants: MEQ, DGEA, UN PROGRAMME INITIAL DE FORMATION DE LA MAIN- D'OEUVRE DU QUÉBEC (PFMQ), octobre 1978.
MTMQ, STRATÉGIE D'INTÉGRATION ET DE DÉVELOPPEMENT D'UN PROGRAMME DE FORMATION DE LA MAIN-D'OEUVRE DANS LE CADRE D'UNE POLITIQUE DE MAIN-D'OEUVRE QUÉBÉCOISE, novembre 1978.
MTMQ. POLITIQUE RELATIVE À UN PROGRAMME DE FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES DU QUÉBEC, avril 1979.
49 Voir la convention 140 de l'OIT in "Bureau in­ ternational du travail". Rapport IV, 59ième session, CONGÉ-ÉDUCATION PAYÉ, Genève 1974.
50 Les données utilisées pour l'examen des prati­ ques internationales sont tirées des documents suivants:
• ICEA, "LES CONGÉS-ÉDUCATION PAYÉS, document interne, 1980.
• J.M. Luttringer et B. Pasquier, "Le congé- éducation payé dans 5 pays européens", in REVUE INTERNATIONALE DU TRAVAIL, vol. 119. no. 4. 1980
51 Les données statistiques concernant les programmes décrits dans cette section sont tirées d'une étude antérieure de l'ICEA, LES PROGRAMMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC. UN PORTRAIT COM­MENTÉ!... juin 1979, 101 pages
52 ICEA. LES PROGRAMMES DE FORMA­TION PROFESSIONNELLE POUR ADULTES AU QUÉBEC, op. cit. Québec, Conseil du statut de lu Femme. L'ACCÈS À L'ÉDUCATION POUR LES FEMMES DU QUÉBEC, Québec, éditeur officiel, 1976.
53 FTQ MÉMOIRE DE LA FTQ À LA COM­ MISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SUR LE CONGË-ÉDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ. Montréal, mars 1979. CEQ. DECISION DU BUREAU NATIONAL A789-Bn-4I9. Février 1979. CSN. MÉMOIRE DE LA CSN À LA COM­ MISSION FÉDÉRALE D'ENQUÊTE SUR LE CONGÈ-ÈDUCATION ET LA PRODUCTIVITÉ. Montréal, février 1979.
54 Conseil supérieur de l'éducation. ÉLÉ­ MENTS D'UNE POLITIQUE D'ÉDUCA­ TION DES ADULTES DANS LE CONTEXTE DE L'ÉDUCATION PER­ MANENTE, février 1979.
55 TRAVAIL-CANADA. RAPPORT DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LE CONGÉ-ÉDUCATION ET LA PRODUC­TIVITÉ, Ottawa, juin 1979.
56 CEQ, CSN, FTQ, UPA (1978).
57 Ministère de l'Education (1980) p. III.
58 DGEA (mars 1980) p. I. Notre souligné. En 1977-78, il parlait d'un rôle "privilégié".
59 DGEA (1979-80).
60 Conseil supérieur de l'éducation (1979).
61 Conseil des affaires sociales et de la famille (1976) p. 47 et 51. Notre souligné.
62 Comité provincial SEAPAC sur l'animation du milieu, (1976) p. 33.
63 Unesco (1976).
64 Comité d'étude sur l'éducation des adultes (1964).
65 C'est-à-dire de programmes gouvernemen­taux comme tels, par opposition à des programmes SEAPAC ou Tex-Multi-Média.
66 LA PRESSE, Montréal (30-31 mars, 1er avril 1980). Toutes les citations de ce paragraphe sont tirées de ces articles.
67 Conseil culturel de la Communauté culturelle française, session 1975-76. (21 octobre 1975). Toutes les citations de cette section sont tirées de ce document.
68 Lévesque. René (6 mars 1978).
69 Brattset, Hallgjerd (1979).
70 CEQ, CSN, FTQ, UPA, (1978).
71 Melo A. et Benavente, A. (1978) . Toutes les citations de cette section sont tirées de ce document.
72 La tendance récente au plafonnement des taux de profits accélère le processus de concentra­tion.
73 UNESCO, COMMISSION INTERNATIO­ NALE D'ÉTUDE DES PROBLÈMES DE LA COMMUNICATION. Rapport final (version provisoire), Paris 1979, p. 58.
74 Nous n'aborderons ici ni la question impor­tante de la télématique c'est-à-dire de ces nouvelles formes de jonctions entre les mass-médias et l'informatique, ni celle des moyens audio-visuels d'enseignement ou de la formation à distance.
75 4. Mattelart, Armand et Michelle. DE L'U­SAGE DES MÉDIAS EN TEMPS DE CRISE, Paris 1979, Éditions Alain Moreau, p. 67.
76 CEQ, ICEA, LA PAROLE, ÇA SE PREND. Rapport et dossiers de référence du colloque populaire sur le rôle des médias, leur accessibi­ lité, leur contrôle et leur propriété, tenu les 2 et 3 novembre 1979 à Montréal, p. 45.
77 Entrevue avec Régis Debray et Noam Chomsky. « Pour que la comédie des médias cesse de plaire », article dans LA NOUVELLE CRITIQUE, n° 130, janvier-février 1980.
78 ICEA. LE DEFI DE RADIO-QUÉBEC : DÉMOCRATISER LA TÉLÉVISION. Mé­moire présenté à l'ORTQ lors des audiences publiques à Montréal les 28, 29 et 30 octobre 1975. Montréal, p. 5.
79 Poulantzas, Nicos. L'ETAT, LE POUVOIR, LE SOCIALISME. Paris, PUF. 1978, p. 99.
80 ICEA. POUR UNE ÉCOLE PUBLIQUE AU SERVICE DE LA COLLECTIVITE. Mon­ tréal 1979, p. 14.
81 ICEA. LE DÉFI DE RADIO-QUÉBEC : DÉMOCRATISER LA TÉLÉVISION, op. cit., p. 24.
82 CEQ, ICEA. LA PAROLE, ÇA SE PREND, op.cit., p. 106 (extraits).
83 Cette perspective n'est pas si utopiste que cela puisque dans certains pays d'Europe, pas plus socialistes qu'il faut, le fonctionnement des médias est encadré de manière à mieux servir les intérêts de la collectivité. L'exemple de l'Angleterre nous apparaît très intéressant. Le système de radiodiffusion britannique com­prend deux organismes publics (la BBC) et un privé (IBA). Des conseils consultatifs dont le mandat est d'élaborer des politiques générales et identifier les besoins en programmation éducative, assistent la BBC de même que la IBA dans leurs efforts de production éduca­tive. De plus un mécanisme de consultation existe entre les deux chaînes pour éviter les recoupements au plan des horaires et de la programmation. L'expérience de la radio et de la télévision éducative en Angleterre est aussi exemplaire à bien d'autres niveaux comme l'Open University pour ne mentionner que celle-là. Ajoutons simplement que le potentiel éducatif de la radio et de la télévision nous paraît être exploité sur toutes ses facettes et il nous serait profitable ici de s'en inspirer davantage.
84 CEQ, ICEA, LA PAROLE ÇA SE PREND, op.cit.
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