Assistance-médicament : commentaires sur le rapport du comité de conceptualisation

PARTIE I

présentés conjointement par:

  • La Fédération des ACEF du Québec
  • La Fédération des Travailleurs du Québec
  • La Corporation des Enseignants du Québec

Le 5 novembre 1970.

INTRODUCTION

Lorsqu'un gouvernement, en Amérique du Nord, envisage d'établir un régime universel d'Assurance-médicament , il ne peut manquer de soulever un problème fondamental de notre système économique, soit: l'existence de monopoles très bien structures et protégés par des législations désuètes, ne répondant plus aux besoins de notre société moderne .

Comme l'affirme, de façon catégorique, l'ex-sénateur américain Kefauver:

"Perhaps no more dramatic illustration of the effect of monopoly on the consumer can be found than in the drug industry" 1

La présence de monopoles dans l'industrie pharmaceutique aux Etats-Unis et, par ricochet, au Canada et au Québec, conduit à des abus et des excès tels, que le consommateur alimente et soutient, par ses maladies et ses souffrances, une industrie florissante et prospère (voir les tableaux p. 6) où les exploitations et les systèmes de privilèges sont plus que"monnaie courante". Ainsi, pour nous, concevoir un régime d'assistance-médicament  (ou d'assurance-médicament ), c'est d'abord et avant tout, poser la question essentielle dos rapports qui doivent exister entre, d'une part, l'industrie monopolistique des produits pharmaceutiques, et d'autre part, les consommateurs québécois (assistés-sociaux et population en général).

Nous soumettons donc quelques commentaires généraux sur le rôle du gouvernement du Québec et de ses organismes face aux grands producteurs nord-américains de produits pharmaceutiques. Nous verrons d'abord:

  1. Quelques données sur la situation de monopole dans l'industrie pharmaceutique
  2. Ce que le comité de conceptualisation propose à ce sujet dans son rapport du 2 3 octobre 19 70
  3. Quelques recommandations susceptibles d'augmenter l'efficacité économique du régime.

CHAPITRE I : L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE: UN MONOPOLE RENTABLE

Les Sénateurs américains, Este Kefauver et Celler, ont, parmi les premiers, réussi à dévoiler la situation de monopole qui prévaut dans l'industrie pharmaceutique nord-américaine. Le monopole se constitue en raison de deux mécanismes :

A) Prescription du médicament par la marque de commerce du fabricant

Les documents de travail présentés au comité consultatif pour étude décrivent assez bien, les désavantages, pour le consommateur, du fait que le choix du produit ne lui revient pas, mais revient à quelqu'un qui ne paie pas, c'est-à-dire, le médecin. Le médecin qui prescrit un médicament, le fait, le plus souvent, en utilisant les marques de commerce et non, les noms génériques des formules médicamenteuses. Le pharmacien doit alors fournir au consommateur, ce que le médecin a prescrit. Ecoutons monsieur Blackman, secrétaire exécutif de Premo Pharmaceutical Laboratories ,alors qu'il témoignait devant le sous-comité Kefauver-Celler:

"The basic and only reason for this continuous spiral of heavy advertising and profit making, in the pharmaceutical industry, is the fact that the consumer in this field, cannot exercise his normal, economic prerogative of shopping or pricing before he purchases. The normal laws of supply and demand have no application here. The prescription customer can only purchase the brand that the physician prescribes" 2

Ainsi, on peut expliquer la promotion et la publicité massive qui s'exerce sur le médecin. Pour certains produits, les sommes affectées au marketingatteignent et dépassent même le coût de production 3,

B. Le système de brevets

Pour la plupart des produits pharmaceutiques, il existe un brevet enregistré qui assure à la compagnie (ou à un chercheur) un droit exclusif de fabrication et de vente. Il est évident que dans cette situation, peu importe que les médicaments soient prescrits ou non sous leur nom générique, peu importe la quantité achetée (massive ou à l'unité), les prix sont fixés et rien ne peut les réduire, dans le contexte actuel.  Kefauver affirme:

"Even the large buyers are confronted with a store wall of resistance to any price reductions on these products in the absence of competition, there is no incentive for prices to be forced down". 4

Il rapporte ainsi que l'Armée Américaine a tenté de négocier les prix des médicaments Thorazine et Compazine et n'a réussi qu'à réduire les prix de seulement 25 à 35%, par rapport à ceux qu'on retrouvait alors dans les pharmacies de détail.

"A similar price rigidity has confronted the State and county agencies buying these potent tranquilizers for their mental hospitals". 5

Au Canada, la Commission Hall, dans ses recommandations sur les pratiques restrictives du commerce, envisageait l'abolition Ses brevets sur les médicaments:

"Sachant que le contrôle étroit que permettent d'exercer les brevets a rendu possible le maintien des prix de certains médicaments à un niveau plus haut qu'il n'en aurait été autrement et que ce contrôle au moyen des brevets n'a apporté aux Canadiens aucun bénéfice qui l'emporterait sur les désavantages du monopole, la Commission recommande que les brevets sur les medicaments soient abolis. De l'avis de la Commission, c'est là le seul moyen efficace de faire baisser les prix des médicaments au Canada". 6

C) La rentabilité du monopole

Il faut voir maintenant à quoi et à qui peut servir la situation de monopole dans l'industrie pharmaceutique. La revue Fortune, en 196 8, rapportait le tableau suivant :

 

RETURN ON INVESTED CAPITAL

 

1967

1968

Pharmaceuticals

18.0%

18.4%

Mining

16.4%

16.2%

Soaps, cosmetics

15.9%

15.7%

Tobacco

13.4%

13.2%

Petroleum refining

11.2%

12.3%

Textiles

7.2%

11.4%

 

Fortune, June 15, 1968, p. 20 5

Comme le démontre ce tableau, c'est l'industrie pharmaceutique américaine qui offre le plus de bénéfices sur le capital investi, du moins pour les années '67 et '68. Elle dépasse de loin l'industrie automobile et chimique.

La commission " Kefauver rapporte également ce qui suit:

"In late 19 5 7 when Bristol, along with the other tetracycline manufacturers, was standing adamant on a 17-cent price to MMSA, its costs were about 1 2/3 cents per capsule. The fabulous profits that can be reaped from a monopoly grip on an essential drug are indicated in an intra office memorandum prepared for top Bristol officials. For the single month of December 19 56, this memorandum discloses, sales of Bristol's brand of tetracycline were 2 million dollars. The actual cost of manufacture amounted to loss than $350,000, about one-sixth of the receipts. A heavy advertising and promotion campaign to physicians was undertaking on this item the company spent about $400,000, a sum exceeding the actual cost of making the product. Even so, Bristol was able to report a profit on the business, before taxes, of about 1.3 million dollars for that month alone. How many firms can show a pro-tax profit of 1.3 million dollars and an after-tax profit of about half that amount, on sales of 2 million dollars?" 7

On peut conclure, au bénéfice de notre gouvernement, ce que le Sénateur affirme en parlant de la difficulté pour les hôpitaux de négocier les prix, avec les monopoles:

"Since the hospitals are supported by the taxpayers, the brunt of these monopoly charges are, of necessity, borne by the public". 8

CHAPITRE 2: LES RECOMMANDATIONS DU COMITÉ DE CONCEPTUALISATION

(en date du 23 octobre 1970)

Face à cette situations bien que le document # 2, intitule "ETUDE des FACTEURS A CONSIDERER LORS de la CONCEPTION d'un RÉGIME d'ASSISTANCE-MÉDICAMENT", présentait la possibilité, en page 57, que "le gouvernement négocie avec les fabricants, les prix auxquels ceux-ci seront autorises à vendre leurs médicaments aux détaillants", le comité de conceptualisation reporte, semble-t-il, tout le problème à la Commission Pharmaceutique et dans des termes peu précis.

  • Ainsi, on affirme, p. 4, que "cette commission pourrait se subdiviser en deux comités...", dont le deuxième serait chargé "de l'évaluation du coût des préparations pharmaceutiques acceptées".
  • Sur le plan du remboursement, on dit, page 10, que "pour atteindre une efficacité économique maximale, la Commission Pharmaceutique devrait pouvoir obtenir les renseignements nécessaires lui permettant de proposer au Ministre, de la Santé le coût que l'organisme chargé d'appliquer le régime devra assumer pour chaque médicament accepté par la Commission".

Rien, dans le texte ci-dessus ne nous permet de croire que le gouvernement envisage, de façon sérieuse, de négocier avec les fabricants, encore moins de contester leur pouvoir démesuré et de détruire leur monopole.

Ceci apparaît encore plus clairement au chapitre des recommandations

Recommandation 1.2: qu'une Commission Pharmaceutique soit créée en vue de reconnaître les fabricants. . . et: d'évaluer leur coût

Recommandation 1.3: qu'un formulaire, d'emploi généralisé, de préparations pharmaceutiques... soit  établi sur la base des objectifs suivants:

  • ...
  • ...
  • contrôle du coût en vue d'assurer une économie dans le traitement.

Le comité de conceptualisation, dans ses recommandation, manque certes de réalisme: ce n'est pas par un formulaire qu'on parviendra à briser les monopoles.

CHAPITRE 3: QUELQUES RECOMMANDATIONS

3.1.   Que la recommandation de la Commission Hall, sur l'abolition des brevets sur les médicaments, soit mise en application, dans les plus brefs délais.

3.2   Qu'il soit clairement dit que la Commission Pharmaceutique ait pour mandat de négocier avec les fabricants, les prix des médicaments ainsi que le "cadre de prix de vente".

Ces recommandations constituent, à notre avis, un strict minimum.

NOTES

1Kefauver, "Power Monopoly in America", Pelican Book, 1965.
2 Kefauver, p. 18
3 Kefauver, p. 29
4 Kefauver, p. 2 3
5 Kefauver, p. 2 3
6 Document # 2, p. 68
7 Kefauver, p. 29
8 Kefauver, p. 2 3
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