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A QUOI SERVENT LES POLITIQUES SOCIALES ?

Photo Claire Beaugrand-Champagne

dossier CFP


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Composition :

Composition Solidaire Conception et réalisation graphique

Composition Solidaire

Dépôt légal : premier trimestre 1979

Bibliothèque Nationale du Québec

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés.

TABLE DES MATIÈRES

1 INTRODUCTION.

2 LES LOIS SOCIALES ET LA PROPAGANDE DES GOUVERNEMENTS.

LES LEGISLATIONS SOCIALES : "UNE ARME CONTRE LA PAUVRETE?"

LES COMMISSIONS D'ENQUETE : LEUR UTILITE ?

UN MYTHE BIEN ENTRETENU: LA REDISTRIBUTION DE  LA RICHESSE.

LES LOIS SOCIALES SERVENT A REDISTRIBUER LA PAUVRETE.

UNE PROPAGANDE ORCHESTREE PAR L'ETAT ET LES CAPITALISTES.

3 LES LOIS SOCIALES LIEES AU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET POLITIQUE DU QUEBEC 

A. LES LOIS SOCIALES N'ONT PAS TOUJOURS EXISTE : 1850-1930

INDUSTRIALISATION ET EMIGRATION DES "CANADIENS FRANÇAIS"

AVANT LES ANNEES '30 PAS DE PROTECTION SOCIALE.

LA CHARITE PRIVEE : UN PRINCIPE QUI SERT LES POUVOIRS DE L'EGLISE.

B.      LES LEÇONS DE LA GRANDE CRISE.

LA CRISE DES ANNEES '30

DEBUT DES REFORMES SOCIALES AU QUEBEC.

LA BOURGEOISIE TIRE DES LEÇONS.. 100

C. DE 1940 A NOS JOURS : L'ETAT CAPITALISTE TRANSFORME SON ROLE

L'ERE DE LA SECURITE SOCIALE

RENFORCEMENT DE L'ETAT FEDERAL

LA "REVOLUTION TRANQUILLE" AU QUEBEC.

4 LES FONCTIONS DES LOIS SOCIALES DANS LA SOCIETE CAPITALISTE.

CONJONCTURE A L'ORIGINE DES LOIS SOCIALES.

LE NEW DEAL

LES LOIS SOCIALES REPONDENT A UNE NECESSITE ECONOMIQUE POUR LES CAPITALISTES

ELLES TENTENT DE PRESERVER LES INTERETS ECONOMIQUES DES PATRONS.

UN AUTRE EXEMPLE.

UN INSTRUMENT POUR CONTROLER LA MAIN-D'OEUVRE.

UNE ARME CONTRE LA CONTESTATION.. 170

UN ROLE IDEOLOGIQUE.. 179

LES LOIS SOCIALES FORMENT UN SYSTEME.

5 LES LOIS SOCIALES : RESULTATS D'UN RAPPORT DE FORCES ENTRE LES CLASSES.

LA DYNAMIQUE DES LOIS SOCIALES : LA LUTTE DES CLASSES.

RETOUR SUR L'HISTOIRE.

LUTTER POUR DES REFORMES ET CONTRE LE REFORMISME.

6 CONCLUSION.

7 BIBLIOGRAPHIE.

ANNEXE 1 : TABLEAU DES POLITIQUES SOCIALES.

PRINCIPALES POLITIQUES SOCIALES CONCERNANT LES TRAVAILLEURS QUEBECOIS.

ANNEXE 2       PARTIS POLITIQUES AU POUVOIR.

PUBLICATIONS DISPONIBLES

1 Introduction

Un grand nombre de lois sont destinées à encadrer et contrôler nos vies: allocations familiales, assurance-chômage, aide sociale, prestations aux accidentés du travail, pensions de vieillesse, assurance-hospitalisation et bien d'autres... Ces lois, qu'on appelle lois sociales, ont énormément d'importance car elles affectent quotidiennement, du berceau à la mort, l'existence des travailleurs et de leur famille. Ces lois ne sont pas apparues par accident mais constituent de soi-disant "remèdes" que les gouvernements ont apportés à des problèmes sociaux réels.

Les gouvernements canadien et québécois veulent nous faire accroire que ces lois représentent la fine pointe du progrès social, qu'elles ont été mises en vigueur pour le plus grand bien de tous, qu'elles prouvent que nous vivons dans une société juste où la sécurité de chacun est assurée.

Mais de quelle "société juste" parle-t-on ? Aurait-on oublié ce million de chômeurs, au Canada, à qui on reproche de ne pas se trouver de travail en dépit des constantes fermetures d'usines? Aurait-on oublié ces jeunes de moins de 30 ans qu'on pousse à vivre sur le bien-être social avec $92.00 par mois? Ces millions de travailleurs au Canada qui doivent entretenir leur famille avec le salaire minimum ? Ces milliers de travailleurs grugés silencieusement par les maladies industrielles ? Ces 310,000 personnes âgées au Québec qui s'éteignent dans la solitude et le dénuement après une vie de travail et de privations ? (1).

Photo Claire Beaugrand-Champagne.

Quand on constate encore toute la misère et la pauvreté qui existent au Québec, on est en droit de se demander à quoi servent les lois sociales et à qui elles servent.

Nous vivons dans une société capitaliste fondée sur l'injustice et l'exploitation. Ce n'est pas M. Paul Desmarais, président de Power Corporation, qui va payer pour la fermeture de la WAYAGAMAC (2), mais les centaines de travailleurs jetés à la rue. Les capitalistes ne payent pas la crise économique de leur poche et de leur peau. Ils font tout simplement des "affaires". Ils règlent ça par des déplacements de fonds : fermetures d'usines, mises à pied, fusions d'entreprises, déménagements en Ontario ou dans les pays "sous-développés" (exemple de la Noranda au Chili).

Pour répondre à la question "à quoi servent les lois sociales?" il faut se pencher sur un certain nombre d'autres questions : qui les décide? Pourquoi apparaissent-elles à telle époque ? Quelles en sont les conséquences pour les travailleurs ?

La première partie de ce cahier vise à nous armer contre la propagande de la bourgeoisie sur les lois sociales. Le gouvernement Trudeau ne se vante-t-il pas d'édifier une société juste où les diverses lois sociales servent à redistribuer la richesse ? Dans les deuxième et troisième chapitres, nous comprendrons que ces lois sont apparues avec l'évolution du système capitaliste et qu'elles ont une utilité économique et politique pour les capitalistes. On ne peut expliquer ces lois sans étudier leur rôle dans le fonctionnement de notre société.

Les lois sociales présentent un visage contradictoire. Elles sont le résultat du rapport de forces entre les classes sociales. C'est ce que traduit notre quatrième chapitre. D'une part, les travailleurs se sont battus et se battent encore pour arracher aux gouvernements et aux patrons des lois sociales qui améliorent leur situation et mettent un frein à l'exploitation. D'autre part, la bourgeoisie récupère ces revendications populaires et organise les lois en fonction de ses propres intérêts. C'est ainsi que la loi d'assurance-chômage devient, entre les mains de l'Etat capitaliste, un instrument de répression et de contrôle de la main-d'oeuvre. Les lois sociales sont donc l'enjeu d'une lutte entre les classes sociales.

L'ouvrage impressionnant de Vaillancourt et Pelletier, intitulé Les politiques sociales et les travailleurs, nous a largement servi de sources pour ce cahier (voir bibliographie). Vous trouverez aussi en annexe un tableau des principales lois sociales affectant les travailleurs québécois de 1909 à nos jours. Ce tableau retrace l'origine des lois, leur contenu,leur évolution dans l'histoire du Québec.   

2 Les lois sociales et la propagande des gouvernements

LES LEGISLATIONS SOCIALES : "UNE ARME CONTRE LA PAUVRETE?"

Aux dires des politiciens, la législation sociale constituerait l'arme par excellence pour lutter contre la pauvreté qui est devenue une sorte de "pollution sociale" que les sociétés dites civilisées et industrialisées doivent combattre en priorité.

Les gouvernements n'ont pas le loisir d'ignorer totalement les problèmes sociaux comme la pauvreté, la maladie, les accidents du travail, etc. De nombreuses organisations: syndicats, groupes populaires, associations de toutes sortes, travaillent à dénoncer les conditions intolérables que subissent les travailleurs et l'ensemble de la population. Dans la mesure où des problèmes sociaux, comme le chômage ou la pauvreté éclatent sur la place publique et soulèvent le mécontentement et l'indignation, nos gouvernements doivent réagir. Leur première attitude consiste souvent à mettre sur pied une commission d'enquête qui devra officiellement cerner tous les aspects du problème et proposer des solutions.

LES COMMISSIONS D'ENQUETE : LEUR UTILITE ?

Dans un premier temps, ces commissions d'étude ont pour objectif de révéler des faits. Les imposants dossiers qui en ressortent n'apprennent habituellement pas grand chose de nouveau à la population. C'est ce qu'indiqué bien une récente analyse des dix cahiers du BAEQ (Bureau d'aménagement de l'Est du Québec), effectuée par l'organisation populaire du Bas-du-fleuve, Opération dignité I. Cette enquête du BAEQ s'est déroulée pendant trois ans (1963-1966) et a coûté 4 millions de dollars. C'est beaucoup pour "étudier" le sous-développement d'une région ! Surtout lorsque les solutions avancées n'apportent pas de réponse adéquate aux problèmes vécus par les gens (exemple : la fermeture des villages en Gaspésie / Bas-du-fleuve).

"... beaucoup d'enquêtes ont été faites pour exposer très précisément les problèmes. Cette exposition ne nous fait rien comprendre de nouveau. Tout le monde savait que le chômage était plus élevé dans la région que dans la province, que les revenus étaient plus bas, les paiements de transferts (assurance-chômage et bien-être social) plus élevés, sans savoir précisément la grandeur de ces phénomènes. Tout le monde avait encore observé l'émigration massive, la fermeture des petites usines de transformation, la dégradation des conditions de vie et la pénurie des services sans pouvoir mettre des chiffres exacts sur tout cela". (3)

Les faits qui sont rapportés dans ces enquêtes ne sont généralement par reliés entre eux, ce qui empêche de trouver leur cause commune.

UN MYTHE BIEN ENTRETENU: LA REDISTRIBUTION DE  LA RICHESSE

Les gouvernements prétendent amener au moyen des lois sociales des correctifs à certaines "imperfections" du système économique et social de "libre entreprise". Dans ce sens, les lois sociales serviraient de mécanismes pour redistribuer les richesses dans la société. Trudeau ne déclarait-il pas en 1971, sur le réseau CTV :

"Le concept de redistribution des richesses de façon à ce que chacun puisse avoir de meilleures chances constitue la marque de commerce de notre gouvernement...'". (4)

L'idée de redistribution implique qu'il y a eu préalablement distribution. On peut supposer que s'il y a de bonnes raisons d'en faire une autre, c'est parce que la première ne serait pas satisfaisante ou équitable pour l'une des parties en cause. Avant de parler de redistribution, ne devrait-on pas plutôt examiner ce qui ne va pas au niveau de la distribution des richesses ? C'est là que se situe le problème principal.

LES CAPITALISTES SONT RESPONSABLES DE LA PAUVRETE

Dans la société capitaliste, c'est le salaire qui est le mécanisme fondamental de la distribution de la richesse. Le salaire est l'unique source de revenu de la majorité des gens, sauf, bien entendu, pour les patrons, les politiciens, les bandits et les hommes d'affaires qui possèdent bien d'autres moyens de gonfler leurs revenus... Certains doivent accepter des salaires de famine, d'autres n'ont pas même de travail, donc pas de salaire.

Ce sont les capitalistes qui établissent, pour leur plus grand intérêt, l'inégalité des revenus, des conditions de travail et de vie. Dans notre société, les richesses sont produites par les travailleurs. Mais ces mêmes travailleurs ne reçoivent sous forme de salaire qu'une part infime des richesses qu'ils ont produites. Cette part est ce qui reste des richesses une fois que les capitalistes ont accaparé la part du lion sous forme de profits. C'est en volant sur les salaires des travailleurs que les capitalistes s'enrichissent. L'Etat consacre par des lois ces inégalités, pour Les faire appliquer et respecter à l'aide des tribunaux et de la police (exemple : la loi C 73 sur le contrôle des salaires).

LES LOIS SOCIALES SERVENT A REDISTRIBUER LA PAUVRETE

Les règles du jeu de la "distribution de la richesse" sont ainsi définies, et c'est à partir de cette réalité qu'on doit apprécier le rôle de "redistribution" opéré par les lois sociales.

1) Les capitalistes peuvent parler de "générosité" quand cette redistribution se fait à même les impôts des travailleurs et qu'une bonne partie de cette redistribution de notre argent va aux entreprises (exemptions fiscales, subventions, etc). Les lois sociales ne sont pas un cadeau que le gouvernement nous fait : ce n'est qu'une partie de nos impôts, taxes et rentes qui nous revient.

2) Parlons plutôt de la redistribution de la pauvreté. Toutes les politiques du gouvernement ont pour but de faire vivre les assistés de l'Etat (chômeurs, handicapés, assistés sociaux...) en dessous du salaire minimum, pour les inciter à retourner sur le marché du travail. C'est un peu fort dans ces conditions de parler de redistribution de la richesse.

UNE PROPAGANDE ORCHESTREE PAR L'ETATET LES CAPITALISTES

Photo Pierre Gaudard.

En plus des pressions économiques, il existe une propagande organisée dont sont victimes les assistés de l'Etat. Les pressions idéologiques visent à appuyer les politiques de l'Etat. Par exemple, celui-ci veut inciter les chômeurs à se chercher du travail et à accepter des emplois sous-payes. L'Etat et les patrons ont donc tout intérêt à ce que les chômeurs et les assistés sociaux passent pour des paresseux, des parasites de la société, des gens qui s'engraissent à même le travail des autres. En plus de pousser les chômeurs à retourner à tout prix au travail, cette campagne de mépris à leur égard a pour but également de renforcer l'acceptation par les travailleurs de leurs conditions de travail, de les encourager à garder leur emploi en dépit de tout.

En ce qui concerne les femmes, la politique et la propagande sont inverses. L'Etat veut contrôler l'accès des femmes au marché du travail. Les capitalistes s'emploient donc à valoriser le rôle de la femme au foyer ; ils organisent des "salons de la femme" qui rendent hommage à la ménagère et à la consommatrice.

Au Québec, l'Eglise a largement contribué à faire porter le blâme de la misère, du chômage et de la pauvreté sur le dos du peuple lui-même. Le clergé et les notables canadiens-français (professionnels, industriels...) ont répandu longtemps les raisonnements suivants : "11 ne faut pas subventionner les aveugles, ça tue leur esprit d'initiative", "II ne faut pas accorder des pensions aux vieillards, car c'est encourager l'imprévoyance et la négligence"...

Encore aujourd'hui, la bourgeoisie mène une campagne de mépris envers les chômeurs et les assistés sociaux. Un exemple : la campagne anti-fraudeurs au printemps 1978, à laquelle le gouvernement Trudeau a consacré $1 million. Cette entreprise visait à discréditer et culpabiliser les chômeurs dans une conjoncture où chaque emploi disponible était convoité par 40 chômeurs. Cette propagande a sûrement servi à légitimer dans la population les graves restrictions qui s'annoncent au programme fédéral d'assurance-chômage.

Aussi n'est-il pas rare de rencontrer bon nombre de travailleurs qui sont contre l'assurance-chômage et qui affirment que, de leur temps, les gens avaient du coeur et savaient travailler... Ces travailleurs reprennent à leur compte les idées véhiculées par la bourgeoisie, notamment à travers les média d'information : lignes ouvertes, reportages, téléromans, éditoriaux, nouvelles...

Pour comprendre le rôle que jouent les lois sociales dans notre société et pour mieux saisir la portée et les enjeux des luttes que nous menons sur ce terrain, nous allons d'abord jeter un coup d'oeil sur l'évolution de ces lois au Québec. 

3 Les lois sociales liées au développement économique et politique du Québec

A. LES LOIS SOCIALES N'ONT PAS TOUJOURS EXISTE : 1850-1930

L'histoire nous apprend que les lois sociales n'ont pas toujours existé. Au contraire, elles sont apparues et se sont développées dans des circonstances bien précises.

INDUSTRIALISATION ET EMIGRATION DES "CANADIENS FRANÇAIS"

L'industrialisation capitaliste se met en branle au Québec vers 1850 et entraîne progressivement de profonds changements dans les conditions de vie du peuple québécois. A la fin du XIXe siècle, les fils de cultivateurs, poussés par la faillite de l'agriculture, la surpopulation sur les terres et les débuts de l'industrie, émigrent en foule vers les villes. Ils doivent trouver un emploi sinon c'est la misère noire ou l'exil.

Des problèmes sociaux liés à l'accroissement de la population dans les villes, aux conditions de vie des prolétaires, prennent une ampleur et un caractère nouveau : chômage, logement, maladie, insécurité totale pour les personnes âgées, veuves, accidentés, invalides... Le problème du chômage est en partie résolu par l'exode de 800,000 "Canadiens-français" vers les "Etats", en particulier la Nouvelle-Angleterre.

                                                                                                                                                                                                                                                      

LES CONDITIONS DE VIE DES TRAVAILLEURS

1900, mine Johnson dans la région de Thedford. Les enfants de 12-13 ans travaillent à l'extraction de l'amiante

Avant la première guerre mondiale, c'est-à-dire de 1850 à 1914, le seul revenu du chef de famille ne peut généralement pas couvrir les besoins de base de la famille. Les travailleurs font de longues heures supplémentaires en plus de leurs 10-12 heures régulières ; les femmes et les enfants prennent le chemin de la "shop", où les patrons sont très satisfaits d'utiliser cette main-d'oeuvre à bon marché, surtout dans les entreprises de textile, vêtements, chaussures.

Très peu de travailleurs sont syndiqués : 13,000 en 1911, et 56,700 en 1929 au Québec. Les conditions de travail sont dures et dangereuses. La sécurité matérielle n'existe pas : arrivent le chômage, la maladie ou un accident de travail et c'est la misère noire pour la famille. Les mauvaises conditions sanitaires (logement, alimentation, hygiène...) entraînent de fréquentes maladies (tuberculose) et épidémies (grippe espagnole) qui ravagent la population. Il existe au Québec un taux exorbitant de mortalité infantile. L'historien Stanley Ryerson ira même jusqu'à dire que Trois-Rivières, en 1936, a le plus haut taux de mortalité infantile au monde (5).

AVANT LES ANNEES '30 PAS DE PROTECTION SOCIALE

Avant les années '30 au Québec, il n'existait pratiquement pas de protection sociale, pas de protection non plus au niveau des conditions de travail et du salaire minimum sauf quelques timides législations sur les accidents du travail, le travail des femmes et des enfants. Cette situation a évidemment contribué à attirer au Québec les investissements étrangers : britanniques, anglo-canadiens et américains. Le Québec, c'était alors la "terre promise" des exploiteurs étrangers.

Les travailleurs de cette époque vivaient des jours bien sombres, et on s'étonne encore de ce que des gens regrettent ce "bon vieux temps".

E. Gendron, Moulin à papier Howard Smith, Beauharnois, Québec, 1918-1920. Les archives photographiques Notman, Musée McCord, Montréal (OVO/Agenda 1979).

LA CHARITE PRIVEE : UN PRINCIPE QUI SERT LES POUVOIRS DE L'EGLISE

Le spectacle de toute cette misère n'émeut guère les politiciens, les patrons, les notables et le clergé. Au contraire, l'Eglise catholique éduque les gens à "gagner leur ciel" : "Si Dieu vous éprouve c'est qu'il vous aime". Les Québécois, de toute façon, sont "nés pour un petit pain". Ils doivent se fier en tout à la divine providence...

Dans le Québec francophone et catholique, la main de Dieu est pesante et domine toute la société d'avant les années '30. Les communautés religieuses et les organisations paroissiales contrôlent tous les services sociaux : hospices, orphelinats, hôpitaux, etc. Les "miséreux, les déshérités et les indigents", comme on les appelle, doivent se fier à la charité privée, s'ils sont dans les bonnes grâces évidemment du curé, du notaire et du médecin de la place.

B.      LES LEÇONS DE LA GRANDE CRISE

Cette situation dure jusqu'aux bouleversements des années '30. Une crise économique, sociale et politique d'envergure internationale se répercute alors au Québec. Différentes couches de la société vont s'affronter dans la recherche de solutions à la crise du système capitaliste.

LA CRISE DES ANNEES '30

Durant ces années, le peuple québécois vit dans une intense misère. Il n'existe au Québec à ce moment aucune mesure sociale concernant les travailleurs qui ont perdu leur emploi ou qui subissent des baisses radicales de salaires. Le gouvernement fédéral improvise alors des mesures temporaires de lutte contre le chômage : travaux publics et secours directs. Durant l'hiver 1934 à Montréal, 30o/o de la population vit sur le "secours direct" (Pour plus de détails, voir le tableau en annexe I).

Cette mesure vise les personnes "aptes au travail" et reconnues, après enquête, dépourvues de toute ressource. Les montants alloués, en espèces, en bons ou en marchandises, doivent en théorie couvrir les frais de nourriture, de logement, d'habillement... mais se trouvent bien en dessous du minimum vital.

La crise de 1929, en dévoilant au grand jour l'anarchie du système capitaliste et l'extrême dépendance des travailleurs face à ce système, place la classe capitaliste devant l'obligation de faire des réformes sociales et de repenser le rôle de l'Etat.

DEBUT DES REFORMES SOCIALES AU QUEBEC

Les institutions de charité sont vite débordées par les besoins engendrés par la crise. La faillite financière de ces institutions pousse les communautés religieuses à accepter les subventions de l'Etat. Cette première intervention timide de l'Etat commence à miner le pouvoir absolu de l'Eglise dans ce domaine.

Une partie du mouvement syndical québécois, jusqu'alors complètement dominé par l'Eglise (6), connait un certain réveil sous la poussée des événements. Il va s'unir au mouvement nationaliste canadien-français, dirigé principalement par l'Action libérale nationale, pour revendiquer des réformes sociales (pensions de vieillesse, assurance-chômage) et renverser le régime libéral corrompu du gouvernement Taschereau en 1936.

LA BOURGEOISIE TIRE DES LEÇONS

La marche des chômeurs vers Ottawa en juin 1935 a mobilisé plusieurs milliers de chômeurs à travers le pays.

Progressivement, la bourgeoisie et les gouvernements tirent des leçons de ces événements. Ils voient la nécessité que l'Etat

  1. mette en place des mécanismes de régulation de l'économie de façon à prévenir d'éventuelles crises ;
  2. assure aux travailleurs un minimum de revenus stables afin d'en courager la consommation des marchandises produites et offertes sur le marché ;
  3. apaise le mécontentement populaire et coupe court à la mobilisation politique des travailleurs en leur accordant des réformes.

C'est donc toute la question de la reproduction du système capitaliste qui est prise en charge par l'Etat.

Ce n'est qu'à partir des années '40 qu'une fraction de la bourgeoisie canadienne sera gagnée à l'idée de l'intervention de l'Etat dans l'économie, les relations de travail, les affaires sociales. Au Québec, on devra attendre la "Révolution tranquille", vingt ans plus tard, pour connaître une semblable évolution.

C. DE 1940 A NOS JOURS : L'ETAT CAPITALISTE TRANSFORME SON ROLE

L'Etat fédéral dispose de tous les moyens pour jouer ce nouveau rôle de régulateur, de stabilisateur de l'économie capitaliste.

Le contrôle et l'organisation des lois sociales constituent un atout important pour la bourgeoisie canadienne. Elle s'en sert premièrement pour assurer son propre développement au détriment des intérêts des travailleurs canadiens et québécois (7) et deuxièmement pour écraser le mouvement autonomiste au Québec. Les lois sociales ont fourni un terrain constant d'affrontements entre les gouvernements québécois et canadien, à toutes les étapes de leur histoire, ce qui témoigne de leur importance dans la société.

L'ERE DE LA SECURITE SOCIALE

En quelques années, les mesures sociales deviennent des questions d'intérêt national et soulèvent de nombreux débats sur la place publique. La période des années '40 et '50 représente une étape capitale dans le développement des lois sociales. Avec le rapport Marsh en 1943, l'Etat fédéral articule une vision plus globale et intégrée de la sécurité sociale. Il ne s'agit plus de voter à l'aveuglette des mesures sociales temporaires pour parer à des situations de crise. La bourgeoisie veut donner une orientation, planifier et systématiser ses interventions dans le domaine social.

Le rapport Marsh du gouvernement canadien s'inspire directement en cela du Social Security Act du "New Deal" de Roosevelt en 1935, comme l'avait d'ailleurs fait avant lui le gouvernement britannique avec son rapport Beveridge en 1942.

RENFORCEMENT DE L'ETAT FEDERAL

Ottawa profite de la IIe Guerre mondiale de 1939-45 pour gruger les pouvoirs des provinces et occuper à peu près tout le champ des affaires sociales : assurance-chômage, 1940; allocations familiales, 1945; sécurité de la vieillesse, 1952 ; assistance-chômage, 1957 ; assurance-hospitalisation, 1957.

On assiste au Canada à la mise en place d'un système centralisé de lois sociales. Protégée par l'impératif de la "sécurité nationale" (dans la conjoncture de la IIe Guerre mondiale), la bourgeoisie canadienne, cachée derrière l'Etat fédéral, va rapatrier tous les pouvoirs nécessaires pour procéder à la "modernisation" du système capitaliste canadien.

LA "REVOLUTION TRANQUILLE" AU QUEBEC

Avec la mort de Duplessis en 1959, s'ouvre au Québec une nouvelle étape qu'on a appelée la "Révolution tranquille". Le Québec des années '60 ressent un intense besoin de réformes. L'Union nationale a fait régner, pendant près de 20 ans, un climat de conservatisme et de cléricalisme qui se reflète très bien dans l'état des lois sociales québécoises : on applique encore en 1960 la loi d'assistance publique de 1921 (8) et l'Eglise a conservé, pour une bonne part, ses positions de privilège et de pouvoir dans les domaines de l'éducation, de la santé, des services sociaux, etc.

Photo Marcel Cognac (OVO no. 12/13).

Le contrôle fédéral des lois sociales s'est étendu : en 1951, 84.6% des prestations sociales versées au Québec proviennent de trois programmes fédéraux : l'assurance-chômage, les allocations familiales et les pensions de vieillesse. La bataille pour le rapatriement des juridictions provinciales, notamment en ce qui concerne les allocations familiales et les pensions de vieillesse occupera un terrain politique déterminant dans la conjoncture de la Révolution tranquille. A partir de 1963, avec le rapport Boucher, l'Etat québécois tente de riposter à l'ingérence fédérale en organisant son propre programme social.

Il n'est pas étonnant de voir l'importance que nos gouvernements accordent maintenant au contrôle des politiques sociales. Celles-ci jouent en effet un rôle très grand dans la société et on y investit chaque année des milliards de dollars. Nous allons maintenant résumer les principales fonctions des lois sociales dans le système capitaliste. 

4 Les fonctions des lois sociales dans la société capitaliste

CONJONCTURE A L'ORIGINE DES LOIS SOCIALES

Nous avons vu que la bourgeoisie a tiré des leçons de la crise de 1929. Lors de cette crise, la machine capitaliste s'est enrayée et il a fallu lui apporter des réparations majeures. C'est à ce moment historique que les lois sociales ont commencé à prendre toute leur portée.

LE NEW DEAL

Dans le plus fort de la crise aux Etats-Unis, en 1933, et surtout en 1935, le président Roosevelt se fait le promoteur d'un plan d'intervention directe de l'Etat dans l'économie. C'est ce qu'on a appelé le New Deal ou "nouveau contrat social".

Cette nouvelle politique qui donne à l'Etat un pouvoir économique très important a rencontré d'abord l'opposition farouche des patrons. Cette politique était l'expression d'une vision à plus long terme des intérêts des patrons. Elle défendait le principe que l'Etat gère les intérêts généraux des capitalistes, principalement de deux façons : premièrement en réglementant tout le champ de la reproduction du capital (consommation, santé, éducation, sécurité sociale, en établissant des lois sociales et en faisant des réformes fiscales), et deuxièmement, en s'insérant dans le domaine de la production elle-même, pour tenter de planifier l'anarchie du système. L'Etat intervient dorénavant comme un agent direct et indirect dans l'économie (sociétés d'Etat, subventions, contrats, privilèges fiscaux...) ; il joue de tout son poids pour orienter le développement économique.

Le New Deal est, bien sûr, une réponse politique de la bourgeoisie "éclairée" de l'époque face aux révoltes populaires (marche de la faim, luttes des travailleurs et des chômeurs). La lutte des classes force les capitalistes à établir des réformes. Le New Deal impliquait pour la bourgeoisie le sacrifice de certains de ses intérêts immédiats : consentir à ce que l'Etat alloue des fonds aux dépenses improductives signifie que ces sommes ne pourront être investies directement dans l'économie.

Cette politique cependant assurait le maintien du contrôle des capitalistes sur la société : elle servait les intérêts politiques de la bourgeoisie tout en lui permettant d'affronter la crise économique.

LES LOIS SOCIALES REPONDENT A UNE NECESSITE ECONOMIQUE POUR LES CAPITALISTES

Dans la réalité, les lois sociales de l'époque s'illustrent moins par les pitances de "demi-crève-faim" qu'elles distribuent, que par les subventions aux entrepreneurs qu'elles favorisent, par exemple pour les travaux publics. Ce qui est recherché à travers l'établissement des lois sociales, notamment depuis l'ère de la "sécurité sociale", c'est moins de satisfaire les besoins des gens que de faire circuler des milliards de dollars dans l'économie.

La création d'un pouvoir d'achat et le contrôle de la main-d'oeuvre sont deux éléments essentiels pour faire fonctionner la machine capitaliste. L'Etat capitaliste doit aussi tenter de prévenir et d'empêcher les "troubles" de cette machine : inflation et dépression. Ces tentatives deviendront encore plus évidentes après la guerre, dans les années '40.

"Pendant la guerre, nous avons dû réglementer autant que possible cette faculté d'achat du consommateur. Mais au fur et à mesure que les articles rares réapparaîtront sur le marché et que la demande du matériel de guerre diminuera, il deviendra nécessaire d'encourager le consommateur à acheter davantage afin de parer au ralentissement qui autrement se produira. C'est à cet égard, soit le maintien d'un pouvoir d'achat élevé chez le consommateur que des mesures de sécurité sociale de grande envergure peuvent jouer et jouent effectivement un rôle important. Une somme appréciable d'allocations de sécurité sociale versée au consommateur contribuera à stabiliser l'économie du pays en général et à prévenir la chute du revenu national. En conséquence, ces allocations constituent, dans les circonstances une arme puissante contre une crise économique générale ". (9)

ELLES TENTENT DE PRESERVER LES INTERETS ECONOMIQUES DES PATRONS

Les lois sociales, comme les lois en général dans la société où nous vivons, préservent les intérêts des patrons, et particulièrement leurs intérêts économiques. Voyons le cas de la loi des accidents du travail.

L'industrialisation au début du XXe siècle multiplie les accidents du travail. Avant la loi de 1909, le travailleur victime d'un accident peut poursuivre son patron selon le Code Civil, mais il doit prouver qu'il y a faute ou négligence de la part du patron. Le travailleur a donc le fardeau de la preuve et très peu de personnes peuvent s'engager dans des poursuites légales aussi onéreuses.

Cependant, si la victime peut démontrer la culpabilité du patron, celui-ci doit indemniser le travailleur ou sa famille pour la totalité des dommages subis et ceci sans plafond... Les indemnités risquent donc d'atteindre des sommes astronomiques. La loi des accidents du travail de 1909 pose le principe de la responsabilité automatique des capitalistes, mais fixe le montant maximum de l'indemnité. Ce montant est systématiquement moindre que la perte subie par le travailleur puisqu'il représente une fraction des revenus touchés au moment de l'accident.

Même si cette loi représente un certain gain en terme de sécurité pour les travailleurs, elle a eu pour effet de condamner les accidentés et leur famille à vivre dans la misère. Depuis, les syndicats n'ont cessé de se battre pour des améliorations à la loi et surtout pour son application

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UN AUTRE EXEMPLE

Les patrons vont aussi accepter des investissements dans le domaine des affaires sociales, quand la preuve de leur rentabilité pour le capital est faite. Mentionnons l'exemple de l'assurance-maladie. Une enquête canadienne en 1962 démontre que les patrons perdent en une année 27 millions d'hommes/jour à cause de la maladie, soit une perte supérieure à celle que toutes les grèves avaient engendrée depuis 1947! Il y va donc de l'intérêt des capitalistes de moderniser et de rendre plus accessible le système de santé. L'Etat capitaliste a ainsi cédé aux multiples pressions du mouvement ouvrier en établissant un régime universel d'assurance-hospitalisation et d'assurance-maladie.

UN INSTRUMENT POUR CONTROLER LA MAIN-D'OEUVRE

Les programmes sociaux sont conçus pour assurer le contrôle de la main-d'oeuvre en fonction des besoins des entreprises : assurance-chômage, assistance sociale, formation et recyclage de la main-d'oeuvre, programmes temporaires de "lutte contre le chômage" (Perspectives-Jeunesse, Projets Initiative Locale, auberges de jeunesse...). Ce qui caractérise ces législations dites "sociales", c'est leur faculté de s'adapter à la conjoncture et leur aspect répressif et arbitraire. Ces politiques visent à rendre l'obligation de travailler effective et à contrôler la main-d'oeuvre.

L'article 44 de la loi d'assurance-chômage illustre bien cet aspect. Cet article empêche les travailleurs qui subissent un "conflit collectif de recevoir des prestations d'assurance-chômage. Ajoutons que ces travailleurs n'ont pas droit au Bien-Etre social non plus. Le patronat se sert de ces lois pour placer les travailleurs en grève ou en lock-out dans une situation financière critique et briser ainsi leurs luttes.

Des législations comme la Loi d'Aide Sociale (Bill 26) et la Loi de l'Assurance-chômage (C-27) constituent un nouveau mode de répression plus subtil et plus raffiné que les méthodes primitives du début du capitalisme. Elles n'en sont pas moins efficaces : les travailleurs sont tenus de s'y conformer, sans quoi ils risquent de se faire durement pénaliser, de se faire couper les vivres.

UNE ARME CONTRE LA CONTESTATION

Les lois sociales sont, entre les mains de l'Etat capitaliste, un instrument de chantage et de division. Elles visent à apaiser les revendications populaires et à faire échec à la contestation politique. Un exemple frappant est l'introduction au Québec des Projets Initiatives Locales et Perspectives-Jeunesse dans la conjoncture qui a entouré les événements d'octobre 1970.

Combien de comités de citoyens, de groupes populaires, se sont engagés dans la voie des Projets Initiatives Locales en développant une dépendance de plus en plus profonde face aux subventions fédérales ?

Cette dépendance les a amenés souvent à transformer progressivement leur fonctionnement et leurs objectifs. Il fallait être dans les bonnes grâces du député pour avoir l'argent. Les individus qui possédaient des contacts politiques se transformaient en "petits boss" dans leur projet. Les normes gouvernementales incitaient les organisations populaires à devenir de petites compagnies avec hiérarchie de salaire, patron, etc... l'intérêt individuel de certains dominant l'intérêt collectif. Les projets PIL ne devant absolument pas garantir de continuité, combien de groupes ont pu survivre à la coupure des fonds ? Combien se sont fait refuser les fonds parce qu'ils représentaient une menace de "stabilité" (exemple : les garderies) ?

Ces projets fédéraux ont souvent opéré de véritables ravages dans nos organisations en divisant les gens entre ceux qui ont des subventions et ceux qui n'en ont pas, entre ceux qui veulent lutter pour leurs droits et contester les gouvernements et ceux qui ne le veulent plus...

Ces exemples peuvent sembler des cas limites mais, dans l'histoire, la bourgeoisie a utilisé les lois sociales comme garantes de la "paix sociale". Elles servent à apaiser le mécontentement populaire et à donner l'illusion que l'Etat règle nos problèmes. C'est l'ex-ministre des affaires sociales du gouvernement Bourassa, le "grand réformiste" Claude Castonguay, qui semble avoir défini le mieux cette fonction politique des lois sociales :

"La recherche et lu mise en oeuvre de solutions valables aux problèmes sociaux de notre époque demeurent encore, à mon sens, la meilleure façon de faire face à la contestation sociale, même si ces solutions exigent, de notre part, une revision en profondeur des politiques et des programmes établis à la lumière de nouvelles valeurs positives ". (10)

Pas étonnant que la bourgeoisie ait su utiliser les talents politiques de ce monsieur. On le retrouve maintenant président de la compagnie d'assurance La Laurentienne et actuaire au service du gouvernement fédéral.

UN ROLE IDEOLOGIQUE

Les gouvernements se servent aussi des lois sociales pour tromper la population sur les véritables sources de ses problèmes, et pour tenter de faire dévier ainsi les luttes des travailleurs vers de fausses solutions.

Par exemple, les gouvernements affirmaient, il y a quelques années, que la cause d'un chômage exorbitant au Québec était que les travailleurs québécois n'étaient pas assez spécialisés et qu'ils refusaient de se déplacer. Ces théories ont justifié la mise en place des multiples programmes de formation de la main-d'oeuvre dans les années '60.

Des représentants du patronat canadien déclarent que la pauvreté au Canada n'est pas due au bas niveau des salaires, mais aux charges familiales ! La solution toute trouvée parait être de hausser les allocations familiales, comme le préconisait le ministre québécois Castonguay depuis 1970. Politique récupérée depuis par le ministre fédéral de la Santé et du Bien-Etre social, Lalonde.


Rencontre Castonguay/Lalonde, sur les allocations familiales.

L'Etat capitaliste camoufle aussi le véritable taux de chômage par toutes sortes de mesures temporaires et artificielles : PIL, formation de la main-d'oeuvre... Les lois sociales contribuent ainsi à masquer la réalité : c'est pourquoi nous disons qu'elles ont une fonction idéologique.

LES LOIS SOCIALES FORMENT UN SYSTEME

La bourgeoisie a eu le temps de roder et d'expérimenter sa machine. Malgré leur incohérence apparente, les lois sociales s'articulent selon un plan d'ensemble, une logique, une "politique" ! C'est pourquoi on désigne souvent les lois sociales comme des politiques sociales. Celles-ci forment un système qui fonctionne dans le but d'atteindre certains objectifs. Par exemple, l'accès des femmes au marché du travail est très sérieusement contrôlé, et le gouvernement dispose à cette fin de plusieurs cartes dans son jeu : il peut hausser les allocations familiales, limiter le nombre de garderies et ne faciliter l'accès à ces garderies qu'à une certaine catégorie de femmes, etc.

Il est très important pour les travailleurs de connaître la stratégie de l'Etat et des capitalistes lorsqu'ils s'attaquent à un des rouages de la machine sociale de l'Etat. Les luttes dans un domaine (chômage, bien-être social, garderies...) ont des rebondissements dans les autres domaines. Dans ce sens, le Comité de Liaison des garderies populaires a réalisé, en avril 1974, que le programme provincial de "soutien" aux garderies, le Plan Bacon, servait à économiser de l'argent au Bien-Etre social. Le Plan Bacon s'inscrivait dans un projet global qui visait à réduire le nombre d'assistés sociaux en renvoyant sur le marché du travail les femmes-chefs-de-famille.

Le ministère des Affaires sociales prévoyait faire d'une pierre deux coups : 1) il répondait à la mobilisation des garderies populaires en prétendant les aider financièrement, et 2) par le principe d'une aide très sélective aux parents, le gouvernement encourageait fortement les femmes soutien-de-famille à inscrire leurs enfants en garderie pour aller travailler.

C'est en analysant cette loi que les gens des garderies populaires et les assistés sociaux regroupés dans l'ADDS (l'Association pour la défense des droits sociaux) se sont découvert des intérêts communs et ont mené la lutte ensemble contre le Plan Bacon. Si les organisations qui lut tent pour la défense et la reconnaissance des droits des travailleurs sont conscientes que les politiques sociales constituent un système, elles pourront plus facilement susciter la solidarité autour de leurs luttes en expliquant les liens qui existent entre les différentes lois sociales.           

5 Les lois sociales : résultats d'un rapport de forces entre les classes

LA DYNAMIQUE DES LOIS SOCIALES : LA LUTTE DES CLASSES

Les politiques sociales présentent un visage contradictoire. D'une part, elles sont un instrument entre les mains de la bourgeoisie. Elles lui ont permis d'apporter des solutions temporaires aux crises économiques du capitalisme et de consolider son pouvoir dans les moments de contestation politique. D'autre part, elles sont aussi, dans bien des cas, profitables à l'ensemble de la population. Personne ne songerait à abolir l'assurance-hospitalisation, les pensions de vieillesse, l'assurance-chômage, etc., pour revenir à la situation des années '20. Ces mesures sont en bonne partie des conquêtes des travailleurs, (assurance-maladie, assurance-hospitalisation) qui contribuent à améliorer leur sort, quoique de façon bien incomplète.

Quelle est la dynamique des politiques sociales ? Comment expliquer leur apparition et leur évolution par la suite? En réalité, les politiques sociales sont le résultat d'un rapport de forces entre les classes sociales. Plus les travailleurs sont organisés, conscients de leurs intérêts et combatifs, plus la bourgeoisie est obligée, par le biais de son Etat, de leur concéder des réformes, des droits. Mais la bourgeoisie cherchera toujours à appliquer ces réformes à son avantage, bien sûr.

L'histoire du Québec fourmille d'exemples à ce sujet.

RETOUR SUR L'HISTOIRE

Tant que les syndicats, et particulièrement la CTCC, ont été écrasés par la direction de l'Eglise, ils n'ont pas défendu avec conséquence le point de vue des travailleurs, notamment sur les lois sociales. Leurs positions demeuraient ambiguës sur le bien-fondé des pensions de vieillesse, de l'assurance-chômage. Elles étaient empreintes de la morale religieuse de l'époque, sacrifiant par le fait même les intérêts des travailleurs aux intérêts de l'Eglise. En 1924, le président de la CTCC s'exprimait ainsi sur le problème du chômage :

"L'Etat doit suppléer à l'insuffisance et à l'impuissance de la chanté privée ; il ne doit pas s'y substituer; au contraire, c'est un devoir pour lui de respecter l'autonomie des organisations charitables et de les aider d'une manière désintéressée. Quand la charité privée ne suffit pas ... l'Etat doit accorder des secours avec les deniers publics dont il dispose ". (11)

Sous la botte de Duplessis, le mouvement syndical commence à se révolter mais il est incapable de mettre de l'avant les positions des travailleurs sur les lois sociales. Il demeure le tremplin d'une petite-bourgeoisie nationaliste, catholique et procapitaliste, qui s'oppose à la mainmise du fédéral et qui exprime sa crainte face à "tout régime étatisé et socialisant de sécurité sociale" (12). En octobre 1960, des choses ont changé au Québec : le mouvement syndical passe à l'offensive. Un premier front commun se forme pour exiger la mise en place sans délai du régime d'assurance-hospitalisation. Il est composé de l'UCC, de la CSN, de la FTQ, du Conseil de la coopération du Québec et de la Fédération des unions de familles.

Malgré toutes les contradictions et les luttes qui l'ont traversé, le mouvement syndical a joué un rôle essentiel dans la lutte pour des lois sociales favorables à tous les travailleurs, syndiqués ou pas, au travail ou sans travail. D'autres organisations, comme le CCF-NPD et le Parti communiste canadien, ont aussi contribué à ces luttes, surtout au Canada anglais (13).

L'histoire des luttes pour les lois sociales au Québec illustre bien qu'il ne suffit pas que les travailleurs soient "organisés" pour se battre, mais qu'ils le soient sur la base de leurs propres intérêts. Les organisations des travailleurs doivent affirmer leur autonomie et se dégager de la tutelle idéologique et politique que veut lui imposer la bourgeoisie.

LUTTER POUR DES REFORMES ET CONTRE LE REFORMISME

En résumé, les politiques sociales sont le terrain d'une confrontation politique, d'une lutte de classes. Elles constituent un enjeu important dans la lutte pour l'émancipation totale des travailleurs. Les luttes populaires et ouvrières pour les droits sociaux (garderie, logement, santé, etc...) doivent être l'occasion d'une offensive sur tous les plans contre la bourgeoisie et son Etat. Offensive économique : forcer la bourgeoisie à consentir des investissements non-productifs qui devront servir à améliorer nos conditions de vie. Lutter pour rapatrier nos fonds et les utiliser selon nos besoins constitue aussi une offensive politique contre les capitalistes : il s'agit de défendre notre droit à définir nos propres besoins et à gérer nos propres affaires. Les luttes des garderies populaires pour le contrôle aux usagers et celles des cliniques médicales populaires contre le bill 65 et l'intégration à l'Etat illustrent bien cette bataille de pouvoir, cet enjeu politique essentiel des luttes sur le front des conditions de vie.

On a trop souvent mésestimé l'impact politique des luttes populaires qui s'attaquent finalement à tout le domaine de la reproduction des rapports sociaux capitalistes. Il est temps de briser avec cette vision et de reconnaître l'importance en terme qualitatif et quantitatif de l'offensive populaire sur ce terrain.

Actuellement, l'autonomie politique des organisations populaires (comme celle des syndicats sur un autre plan) est particulièrement menacée par les manoeuvres "intégrationnistes" du gouvernement P.Q. Les projets réformistes du présent gouvernement tendent à encadrer et contrôler l'activité des groupes populaires en les associant de toutes sortes de façons aux politiques gouvernementales (par exemple, le Conseil de développement coopératif pour les comptoirs alimentaires).

Dans les quartiers, un nombre grandissant de personnes veulent contrôler leur destinée. Les femmes occupent une place importante dans ces revendications.

Les luttes populaires doivent donc être l'occasion d'une éducation politique, d'un apprentissage de lutte, d'organisation, de solidarité. En ce sens, comme militants d'organisations populaires, si, d'une part, nous devons avoir à coeur de remporter des victoires et d'améliorer la situation des travailleurs, il ne faut pas, d'autre part, que nous sacrifiions
l'autonomie de nos organisations au profit de gains immédiats plus ou moins réels. 

6. Conclusion

Voici nos principales conclusions sur cette analyse des politiques sociales.

  • 1. Les politiques sociales ne sont pas un cadeau que nous fait l'Etat. Si les capitalistes ont consenti à ce qu'une partie de nos impôts et de nos taxes nous revienne sous forme de mesures sociales, c'est, pour une bonne part, parce que le mouvement ouvrier a su imposer des réformes au système capitaliste.
  • 2. Les politiques sociales ont été établies par la bourgeoisie en fonction des besoins et des problèmes de l'économie capitaliste.   En ce sens, nous avons vu les leçons que les capitalistes ont tirées de la crise de 1929. Nous avons aussi souligné le lien qui existe entre les politiques sociales et les politiques de main-d'oeuvre (exemples : la loi d'aide sociale, la loi d'assurance-chômage, le Plan Bacon sur les garderies, etc.).
  • 3. Entre les mains de la bourgeoisie, les lois sociales sont un instrument de récupération et de manipulation. Elles jouent un rôle politique important pour acheter la paix sociale.   Les gouvernements tentent d'apaiser le mécontentement des gens et de s'attirer des votes en passant des lois qui semblent répondre à des revendications populaires.    Ce n'est souvent qu'après plusieurs années d'expérimentation que les travailleurs démystifient ces lois et comprennent qu'ils se sont fait tromper.
  • 4. Les luttes dans le domaine des lois sociales font ressortir la nécessité de la solidarité et de l'unité des travailleurs. Très peu d'analyses ont été effectuées jusqu'ici des nombreuses luttes qui se sont livrées sur ce terrain : celles des cliniques populaires contre la Loi 65 de Castonguay et les CLSC, les luttes à l'intérieur des CLSC et des hôpitaux, celles des garderies, des assistés sociaux, etc.
  • Ces batailles pour des droits démocratiques et le contrôle populaire de nos services offrent l'occasion d'un rassemblement des forces populaires. Elles mettent souvent de l'avant des intérêts communs à tous les travailleurs, syndiqués ou non. Elles rejoignent des couches de la population particulièrement opprimées et méprisées (femmes, personnes âgées, assistés...) et permettent de déboucher sur des remises en question importantes : Lutter pour changer la vie, transformer les rapports sociaux, ça veut dire quoi ? L'Etat est-il notre "bienfaiteur" ou doit-on s'en méfier? Existe-t-il des intérêts communs à tous les travailleurs ?

  • 5. II faut lutter pour des réformes, contre le réformisme bourgeois. Les réformes ne tombent pas du ciel. Elles sont le produit du choc de deux volontés contradictoires, la volonté de l'Etat capitaliste face à la volonté populaire. Les conquêtes des travailleurs sur ce terrain doivent éduquer et renforcer le mouvement ouvrier dans sa lut te pour changer la vie, abolir l'exploitation et l'oppression du système capitaliste.
  • 7 Bibliographie

    PELLETIER, Michel & VAILLANCOURT, Yves, Les politiques sociales et les travailleurs, textes ronéotypés :

    Cahier I : Les années 1900 à 1929, Montréal 1974, 132 p.

    Cahier II : Les années '30, Montréal 1975, 424 p.

    Cahier III  :  Les années 1940-1959 (version provisoire), Montréal 1973,90p.

    Cahier IV : Les années '60, 305 p.

    Cahier V :  Les fonctions de la sécurité sociale : l'idéologie, 1978, 300p.

    Cet ouvrage impressionnant et très bien documenté constitue sûrement la source de base si on veut traiter de l'évolution historique des lois sociales au Québec et de leurs fonctions économiques et politiques dans la société capitaliste.

    Le cahier VI intitulé Les politiques sociales et le travail, est en voie de réalisation.

    Vous pouvez aussi consulter au Centre de documentation du CFP les nombreuses publications (journaux, dossiers, manifestes) produits par les groupes populaires. Ces documents témoignent de la pratique de lutte et d'organisation des travailleurs sur le terrain des politiques sociales.   

    Annexe 1 : Tableau des politiques sociales

    Notes pour la compréhension du tableau :

    1) Dans le tableau, "P" signifie loi provinciale et "F", loi fédérale.

    2) Les politiques sociales qui touchent les deux paliers de gouvernement  (P-F) traduisent toujours l'entrée plus ou moins tardive du Québec dans un programme fédéral et décrivent généralement le contenu de la loi provinciale québécoise.

    3) II existe des juridictions spécifiquement fédérales (assurance-chômage, PIL) qui s'appliquent automatiquement au Québec ; d'autres qui demandent l'accord et la participation financière du Québec pour être appliquées au Québec (ex : les pensions de vieillesse).

    4) Les lois qui sont indiquées comme provinciales sont, pour la plupart, des répliques ou des programmes d'application de lois fédérales, avec quelquefois des modalités originales (ex : Loi d'aide sociale).

    ANNEXE 1 et 2

    PRINCIPALES POLITIQUES SOCIALES CONCERNANT LES TRAVAILLEURS QUEBECOIS.

    ANNEXE 2  PARTIS POLITIQUES AU POUVOIR

    Publications disponibles

    •  La social-démocratie dans l'histoire du mouvement ouvrier international

    par Yves Vaillancourt

    Les grands traits de l'évolution du courant social-démocrate. Aide à saisir l'orientation actuelle et les politiques des partis qui se réclament de la social-démocratie. $1.50

    •  Social-démocratie : l'Allemagne

    par Pierre Beaulne

    Histoire et analyse de l'expérience social-démocrate en Allemagne. Préface sur les références des gouvernements canadien et québécois au modèle allemand.    $3.50

    Social-démocratie : la Suède

    par Colette Châtillon

    Les   sociaux-démocrates  au  pouvoir pendant  44 ans ; défaite en 1976. Bilan et perspectives.    $2.25

    •  Les syndicats et la question du parti des travailleurs

    par Louis Favreau

    Quelques expériences dans l'histoire du mouvement ouvrier international : gompérisme, travaillisme, syndicalisme révolutionnaire et mouvement ouvrier de tradition marxiste. $2.50

    •  La question nationale : un défi à relever pour le mouvement ouvrier

    Question nationale et lutte des travailleurs : lutte des classes au Québec en 1978, référendum, indépendance. Comment se présente le débat sur la question nationale dans le mouvement syndical québécois : CSN, FTQ, CEQ. Petite chronique sur l'histoire du mouvement nationaliste québécois de 1960 à 1978.  $1.75

    •   Le syndicat local

    Notions élémentaires sur l'organisation et le fonctionnement d'un syndicat local.        $0.75

    •   La convention collective : préparation et négocia
    tion

    Eléments d'information et de réflexion pour aider ceux qui veulent négocier une convention. $0.75

    •   Les lois du travail : reflet d'un rapport de forces

    Le Code du travail, son origine, sa fonction, son évolution. Analyse de la loi 45.         $0.75

    •   Les militants et les média d'information

    Le rôle des média d'information, leur fonctionnement. Renseignements de base pour les communications avec la presse.          $1.25

    •   Le fonctionnement de nos organisations

    Suggestions sur divers aspects du fonctionnement des organisations syndicales et populaires : secrétariat, comptabilité, réunions, procédures, organisation du travail, aspects juridiques, etc. (à paraître : février 1979)

    •   Cahiers de formation de Martha Harnecker et Ga-
    briela Uribe :

    Chacun $0.75 ; la série $6.00

    Chèque à l'ordre du :

    Centre de Formation Populaire 1750, rue St-Denis Montréal, Québec h2x 3k6

    Un grand nombre de lois sont destinées à encadrer et contrôler nos vies : allocations familiales, assurance-chômage, aide sociale, prestations aux accidentés du travail, pensions de vieillesse, assurance-hospitalisation et bien d'autres... Ces lois, qu'on appelle lois sociales, ont énormément d'importance car elles affectent quotidiennement, du berceau à la mort, l'existence des travailleurs et de leur famille. Ces lois ne sont pas apparues par accident mais constituent des soi-disant "remèdes" que les gouvernements ont apportés à des problèmes sociaux réels.

    Les gouvernements canadien et québécois veulent nous faire accroire que ces lois représentent la fine pointe du progrès social, qu'elles ont été mises en vigueur pour le plus grand bien de tous, qu'elles prouvent que nous vivons dans une société juste où la sécurité de chacun est assurée.

    Mais de quelle "société juste" parle-t-on ? Aurait-on oublié ce million de chômeurs, au Canada, à qui on reproche de ne pas se trouver de travail en dépit des constantes fermetures d'usines ? Aurait-on oublié ces jeunes de moins de 30 ans qu'on pousse à vivre sur le bien-être social avec $92.00 par mois ? Ces millions de travailleurs au Canada qui doivent entretenir leur famille avec le salaire minimum ? Ces milliers de travailleurs grugés silencieusement par les maladies industrielles ? Ces 310,000 personnes âgées au Québec qui s'éteignent dans la solitude et le dénuement après une vie de travail et de privations ?

    Quand on constate encore toute la misère et la pauvreté qui existent au Québec, on est en droit de se demander à quoi servent les lois sociales et à qui elles servent.

    NOTES