DE L'INSÉCURITÉ DU REVENU À UN PARCOURS VERS L'INCONNU Une réforme qui continue d'appauvrir les femmes assistées sociales

Mémoire présenté à la Commission des affaires sociales

par: la Fédération des femmes du Québec

Janvier 1997


La Fédération des femmes du Québec tient à remercier les personnes suivantes pour leur précieuse collaboration à la production de ce mémoire:

Lucie Bélanger, Relais-Femmes;

Josée Belleau et Isabelle Pépin, l'R des centres de femmes du Québec;

Huguette Labrecque-Marcoux et Lise Tremblay, l'AFEAS;

Claudette Mainguy et Sylvie Lévesque, Fédération des associations de familles monoparentales

et recomposées du Québec;

Françoise Jutras et Caroline Poulin, Regroupement des femmes sans emploi du Nord de Québec;

Thérèse Sainte-Marie, Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail;

Hélène Morin et Michèle Ouimet, Conseil d'administration de la FFQ;

Louise Brassard, Table des groupes de femmes de Montréal;

Ruth Rose, professeure sciences économiques UQAM.

Rédaction:
Françoise David

Mise en page: Maureen Watt

DE L'INSÉCURITÉ DU REVENU A UN PARCOURS VERS L'INCONNU Une réforme qui continue d'appauvrir les femmes assistéessociales



"Sans être désastreux, dans notre coin du monde, les temps sont adverses. Nous y réagissons curieusement avec plus de fatalisme que de résistance comme s'il ne pouvait en aller autrement, c'est-à-dire comme si on ne pouvait penser autrement." (Lise Bissonnette, le Devoir, 31 décembre 1996)

1.  INTRODUCTION

En 1993, la Fédération des femmes du Québec décidait, en congrès d'orientation, de prioriser la lutte contre la pauvreté des femmes. Au cours des années qui suivirent, la FFQ, en lien avec l'ensemble du mouvement des femmes, organisait la Marche des femmes contre la pauvreté, suivie d'une Vigile au printemps 96. Nos revendications sont bien connues:

  • hausse substantielle du salaire minimum;
  • loi pro-active sur l'équité salariale;
  • hausse du nombre de logements sociaux;
  • développement des infrastructures sociales;
  • loi sur la perception automatique des pensions alimentaires;
  • réforme juste et équitable de l'aide sociale, etc...

Nous avons fait des pas, minimes dans certains cas, sur plusieurs revendications. Mais la réforme de l'aide sociale que nous avons devant nous continue de défavoriser les personnes assistées sociales qui ont déjà subi des coupures importantes depuis un an. C'est pourquoi nous entendons intervenir de façon vigoureuse avec l'objectif de rendre cette réforme acceptable et respectueuse des personnes concernées.

Notre mémoire s'attachera particulièrement à la situation des femmes assistées sociales puisque tel est le mandat de la Fédération des femmes du Québec. Nous ne pourrons cependant faire abstraction des effets de la réforme sur l'ensemble des personnes concernées.

Mener une véritable lutte contre la pauvreté, voilà notre but.


2. LE CONTEXTE DE CETTE RÉFORME

"Alors qu'au début des années 70, à peine 33% des ménages à la sécurité du revenu étaient aptes au travail, la situation s'est inversée de telle sorte qu'aujourd'hui, plus de 80% des prestataires de la sécurité du revenu sont aptes à travailler. " (Un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi,page 13).

Le document gouvernemental identifie plusieurs causes en rapport avec cette situation: un chômage persistant et élevé, (chaque point additionnel de chômage amène de nouvelles personnes à la Sécurité du revenu), la précarisation des emplois, la hausse de la monoparentalité, etc...

Des gens se retrouvent aussi sur l'aide sociale parce qu'ils et elles n'ont pas droit aux prestations de l'assurance-emploi ou que les semaines de prestations auxquelles ils et elles ont droit s'épuisent plus rapidement depuis l'introduction de la réforme fédérale.

Le document signale aussi la hausse de la pauvreté chez les enfants - il y en a 250,000 à la sécurité du revenu - et la situation critique des jeunes adultes.

"Le mauvais état de santé et la faible scolarisation sont les principaux motifs de la présence prolongée de ces jeunes à la sécurité du revenu" (Un parcours... page 22).

À tous ces éléments ramenés de façon pertinente par le document gouvernemental, nous aimerions rajouter ceux qui suivent:

Premièrement, le livre vert... n'explique pas les causes d'un chômage persistant malgré la reprise de la croissance économique. Le document est avare d'informations sur la pauvreté réelle qui est vécue par les personnes assistées sociales. Il n'y a pas que les enfants qui sont pauvres; toutes les personnes vivant de l'aide sociale le sont, quels que soient leur âge et leur statut civil. Les coupures effectuées par le gouvernement péquiste depuis un an ont placé beaucoup de personnes assistées sociales dans des situations aussi absurdes que de devoir choisir entre un panier d'épicerie et des médicaments. Les banques alimentaires essaient tant bien que mal de pallier à l'insuffisance de revenus des personnes seules et des familles mais la situation est critique. Les conséquences, nous les connaissons, à commencer par les multiples problèmes de santé liés à la pauvreté. Il faut y ajouter le sentiment d'incompréhension, voire de mépris, qui accable les personnes à l'aide sociale, les dévalorise et les humilie.

Un deuxième élément à rajouter au "dossier", c'est le faible espoir que nous avons de voir surgir des milliers d'emplois additionnels au cours des prochaines années. Nous sommes ici devant un paradoxe: la réforme entend préparer des centaines de milliers de personnes à occuper des emplois qui n'existent qu'à l'état virtuel. Le marché du travail au Québec, au Canada et dans le monde, est en pleine mutation et exige une réflexion approfondie sur la place et le temps du travail rémunéré dans nos vies ainsi que sur la répartition des revenus. Alors que les revenus per capita continuent de croître, les inégalités augmentent. Le plein emploi n'étant pas un objectif atteignable à court et même à moyen termes, il nous incombe de repenser les mécanismes d'insertion sociale et économique de même que la redistribution des revenus.


En troisième lieu, nous ne pouvons manquer de souligner que l'obsession gouvernementale du déficit zéro en l'an 2000 vient interférer dans une réforme qui revendique l'épithète de "progressiste". Des coupures additionnelles dans les revenus des personnes assistées sociales n'ont d'autre but que de pratiquer des économies au Ministère de la Sécurité du revenu, cela pour participer à l'élimination du déficit. On comprend pourquoi le gouvernement du Québec a refusé globalement l'application de la clause d'appauvrissement zéro demandée par les groupes communautaires et féministes au sommet socio-économique! En fait, ce sont tous les programmes sociaux, l'éducation et les services de santé qui sont menacés par cette dangereuse obsession.

Quatrièmement, la réforme de la sécurité du revenu s'effectue dans un contexte où la classe moyenne se sent étranglée par les taxes et les impôts et a l'impression de recevoir de moins en moins de services en rapport avec ce qu'elle paie. Les gens de ce milieu sont aussi atteints par la crise de l'emploi. Ils sont anxieux et inquiets. Les plus vulnérables sont ceux et celles qui survivent avec des revenus proches de l'aide sociale. Voilà un contexte favorable à la recherche de boucs émissaires. Les assistés sociaux sont ciblés comme des personnes qui profitent du système. Par ailleurs, on observe chez les gens aisés de très fortes réticences à partager leurs avoirs. Là-dedans, rien de très nouveau sous le soleil... mais dans le contexte de crise et de pauvreté que nous connaissons, ce constat provoque du ressentiment, voire une colère justifiée chez ceux et celles qui tentent de joindre les deux bouts.

Tous ces éléments doivent être considérés lorsque nous tentons de comprendre et d'analyser la réforme qui nous est proposée.

3. LA PROPOSITION GOUVERNEMENTALE

Les orientations de la réforme sont décrites ainsi dans le Livre vert:

Intégrer la main-d'oeuvre prestataire de la sécurité du revenu à l'ensemble de la main d'oeuvre québécoise;

  • Privilégier les mesures actives;
  • Favoriser le passage vers le statut de travailleur et travailleuse; Intensifier les actions préventives;
  • Améliorer l'équité entre les prestataires et les travailleurs à faible revenu;
  • Redéfinir les obligations de la collectivité au regard de la réinsertion à l'emploi des prestataires;
  • Assurer une plus grande prise en charge des services au niveau local.

Le Livre vert pose aussi une question fort pertinente: " Comment peut-on penser diminuer le taux actuel d'assistance sociale dans un contexte élevé et persistant ?" (page 31) La réponse à cette question, selon le gouvernement se trouve dans la mise en place d'une politique active du marché du travail. Celle-ci comprend deux dimensions: le soutien à la création d'emplois et l'aide à l'insertion en emploi. Dans les deux cas, les responsabilités reviennent avant tout aux communautés locales.


Jusqu'ici, on pourrait croire que l'on se trouve face à une réforme logique, structurée et, comme l'a énoncé la ministre, d'entrée de jeu, progressiste. Il nous faut cependant lire au complet le document et, ce, avec beaucoup d'attention, pour déceler des problèmes majeurs et des mesures qui auront des conséquences dramatiques sur la vie des personnes assistées sociales. Qu'il nous suffise de mentionner ici:

  • les pénalités importantes qui sont prévues en cas de refus d'effectuer un parcours d'insertion;
  • la disparition progressive de l'allocation de non-disponibilité pour les mères d'enfants d'âge préscolaire et pour les personnes de 55 à 60 ans;
  • la suppression de l'allocation de participation (120$ par mois). On prévoit seulement couvrir les frais de participation...
  • le maintien de la coupure pour partage de logement malgré les promesses répétées des candidats-es péquistes lors de la dernière campagne électorale;
  • des barèmes d'aide sociale qui demeurent sous le seuil des besoins essentiels devant être couverts, selon les données gouvernementales;

Ces coupures s'ajoutent à une série de mesures adoptées par le gouvernement du Québec dans la dernière année et qui ont eu pour effet d'appauvrir la majorité des personnes assistées sociales:

  • l'abolition du barème de disponibilité, ce qui a signifié pour bon nombre de gens une diminution mensuelle de 50$ pour les personnes seules et de 100$ pour les couples.
  • La réduction du barème de participation de 30$ par mois.
  • La hausse des pénalités pour refus d'emploi.
  • L'introduction de l'assurance-médicaments qui coûte jusqu'à 200$ par année, par adulte.
  • Plus récemment, l'annonce d'une coupure du supplément pour l'impôt foncier, etc...

On le voit bien, la réforme proposée est traversée de contradictions et de problèmes que nous allons maintenant analyser.

4. L'ANALYSE DE LA FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC

4.1 Des avancées intéressantes

Nous devons tout d'abord mentionner les aspects intéressants de la réforme proposée, même si certains d'entre eux ne débouchent pas sur des mesures conséquentes:

->L'admission (enfin!) que les personnes assistées sociales n'ont pas choisi cette vie de pauvreté mais s'y sont retrouvées à cause du manque chronique d'emploi, de difficultés personnelles ou familiales, d'une maladie, d'une rupture, etc... Cette vision des choses tranche heureusement avec les préjugés couramment véhiculés.

-> Le fait de concentrer en un même lieu l'ensemble des services d'aide à l'emploi pour toutes les personnes qui en ont besoin, qu'elles reçoivent des prestations de l'assurance-emploi, de l'aide sociale, qu'elles soient étudiantes, femmes au foyer, etc... C'est un bon pas en avant


pour redonner un peu de dignité à tous ceux et celles qui ont la malchance de se retrouver prestataires de la sécurité du revenu. "Un parcours" insiste aussi sur la nécessité d'une approche individualisée auprès des personnes, en tenant compte de leur situation et de leurs difficultés.

L'allocation unifiée pour enfants, au niveau du principe. La sortie de l'aide sociale est facilitée par le maintien de cette allocation qui représente un revenu plus stable que le programme APPORT qu'elle remplacera en grande partie. Certaines familles à faible salaire bénéficieront d'une hausse modeste de revenus.

La légère hausse des montants que peuvent gagner les prestataires de l'aide sociale avant que leur prestation ne soit réduite.

Le fait de laisser les parents gardiens conserver une partie de leur pension alimentaire.

Le développement de services de garde répondant aux besoins de l'ensemble des familles et surtout celles qui ont un revenu modeste. Encore faudra-t-il regarder attentivement la politique familiale qui s'annonce pour évaluer l'accessibilité réelle des enfants à ces services. Nous surveillerons aussi les montants qui seront accordés pour le déploiement de places de garde en milieu familial par rapport aux garderies. Celles-ci offrent un service plus complet aux enfants et de meilleures conditions de travail aux éducatrices (des femmes, en majorité).

4.2.  Des critiques majeures

Nous avons maintenant des critiques majeures à formuler à l'égard de la réforme de la Sécurité du revenu.

4.2.1 Des emplois, où ça?

Tout d'abord, elle est plutôt vague en rapport avec les milliers d'emplois qui devront être créés pour accueillir une clientèle qui aura passé au travers du parcours d'insertion. Tant que cette fameuse politique active du marché du travail n'est pas mise en place et que nous n'en voyons pas les résultats, comment croire à l'efficacité des mesures d'insertion? Surtout, comment peut-on justifier les énormes pénalités à ceux et celles qui refuseraient de s'inscrire dans un parcours d'insertion, ne voyant pas où cela les mène?

Et ces mesures, quelles sont-elles? Combien y aura-t-il de places à l'école pour intégrer les jeunes décrocheurs? Comment instruire tous les jeunes de façon convenable tout en opérant des coupures majeures dans le système d'éducation? Combien y aura-t-il de places en apprentissage, en formation professionnelle?

Qu'est-ce qu'on attend, au juste, des organismes communautaires? Qu'ils deviennent des groupes d'insertion? En a-t-on discuté avec eux, leur a-t-on demandé leur avis? Beaucoup d'organismes communautaires ne veulent pas devenir des "gestionnaires de la pauvreté". Ils tiennent à leur autonomie quant à l'orientation de leur travail. Pour ceux, par ailleurs, qui voudront jouer un rôle actif au niveau de l'insertion sociale des personnes, quels moyens leur seront attribués?

Nous nous questionnons de façon particulière sur le rôle que le gouvernement du Québec semble vouloir faire jouer à l'économie sociale. Ce nouveau concept signifie-t-il "aux uns, le véritable travail qui accroît la richesse, aux autres un travail qui accroît au moins la dignité" ? (Lise Bissonnette, éditorial précité).

L'économie sociale sera-t-elle celle des exclu-e-s, uniquement? Voudra-t-on y insérer la plupart des femmes assistées sociales, sans leur demander leur avis sur leur choix de carrière? Ce n'est pas ce qu'a demandé la Marche des femmes contre la pauvreté. Rappelons que des centaines de femmes ont marché pour neuf revendications parmi lesquelles la reconnaissance du travail de celles qui prennent en charge des personnes et des communautés et l'accès des femmes aux métiers non traditionnels. Cela n'a rien à voir avec les mesures d'employabilité mises en place depuis bon nombre d'années ni avec un cantonnement obligé des femmes assistées sociales dans des métiers qu'elles n'auraient pas choisis.

Tout en reconnaissant, en effet, que beaucoup de femmes à cause de leur rôle traditionnel, ont développé des acquis dans la prise en charge des personnes, jamais les groupes promoteurs de la Marche n'ont voulu les cantonner dans ce type de travail. Plus encore, nous avons mentionné dans notre cahier de revendications que la mise en place d'infrastructures sociales devait permettre à n'importe quelle femme d'y chercher un emploi. Nous souhaitions que ces emplois aillent en priorité à celles qui n'ont pas d'emploi ou en occupent un qui est précaire ou à temps partiel, mais pas exclusivement.

Nous demandons donc au gouvernement de clarifier rapidement quel rôle il veut faire jouer à l'économie sociale en rapport avec la réforme de la sécurité du revenu. Nous lui rappelons aussi que le rapport intitulé "Entre l'espoir et le doute" recommande la création d'emplois d'une durée minimale de trois ans, payés au taux minimum de 8.30$ l'heure où les travailleuses et travailleurs, de même que les usagers et usagères participent aux décisions qui entourent l'orientation et l'organisation des services.

4.2.2 Non aux parcours obligatoires

En second lieu, nous nous élevons avec vigueur contre l'obligation qui est faite aux prestataires de suivre un parcours d'insertion. Non pas que nous en avons contre la responsabilité individuelle de chaque personne d'essayer d'améliorer son sort et celui de sa communauté. Mais dans le contexte économique que nous connaissons, il est odieux d'exiger des personnes de participer à un parcours vers l'inconnu, sans aucune garantie de résultat. Depuis 10 ans, les mesures d'employabilité mis en place par le précédent gouvernement n'ont donné aucun résultat tangible sauf de désespérer bien des personnes qui passent d'un programme à l'autre sans accéder à l'emploi. Remplacer "mesures d'employabilité" par "parcours d'insertion" ne crée pas par miracle des milliers d'emplois ou de places à l'école. Étant donné le peu de succès des mesures d'employabilité, en rapport avec l'accès à un emploi durable, le gouvernement doit faire la preuve de l'efficacité de ses programmes avant d'oser exiger une adhésion obligatoire du ou de la prestataire. De toute façon, étant donné les carences des programmes actuels et les coupures appréhendées dans notre système d'éducation, il vaudrait mieux commencer par réorganiser les services gouvernementaux, offrir aux personnes assistées sociales des mesures d'insertion appropriées sur une base volontaire, et évaluer la situation au bout d'un certain temps. Parions qu'il y aura trop de personnes intéressées pour le nombre de places disponibles. C'est déjà le cas actuellement.

Sur cette question des pénalités, rappelons enfin que les personnes assistées sociales vivent déjà dans une pauvreté proche de la misère dans bien des cas. Si certaines refusent de participer à un parcours d'insertion et voient leur chèque amputé de 150 ou 300 dollars, qu'arrivera-t-il? Ou bien elles sombreront dans l'itinérance, ou bien elles auront recours au travail au noir, ou bien elles se débrouilleront avec des moyens plus ou moins légaux. Est-ce vraiment cela que nous voulons?

Enfin, nous insistons pour dire que les parcours d'insertion ne doivent pas viser nécessairement l'emploi tel que nous le comprenons habituellement (un travail à temps plein, rémunéré, soumis aux lois du travail, etc...). Un certain nombre de personnes assistées sociales, parmi lesquelles beaucoup de femmes d'âge mûr, retrouveront rarement ce type d'emploi. Non pas qu'elles soient inactives ou incapables. On retrouve à l'aide sociale beaucoup de femmes qui ont élevé ou élèvent une famille, ce qui demande tout un lot de compétences. Plusieurs de ces femmes ont dû vivre une rupture d'union, leur santé est souvent chancelante, elles ne sont pas très scolarisées selon les normes actuelles. Nous devons cependant reconnaître qu'elles ont fait ou font oeuvre utile en s'occupant de leur famille et ne pas les harceler avec des mesures qui leur ouvrent soi-disant les portes d' un emploi plus qu'hypothétique. Ne pourrait-on pas valoriser leur implication volontaire dans le groupe communautaire, le centre de femmes ou le comité d'école qu'elles ont choisi ? Il faut cesser de voir l'emploi rémunéré comme le seul chemin vers l'insertion sociale. De toute façon, nous n'avons pas le choix. Comme nous le disions au début, il n'y aura pas assez d'emplois durables, à temps plein, pour tout le monde. Pourrions-nous avoir l'honnêteté de le dire et de chercher de nouvelles voies vers l'intégration sociale et communautaire?

4.2.3 Élever des enfants, c'est aussi un travail!

A propos des femmes, il nous faut revenir ici sur la situation particulière de celles qui sont monoparentales et prestataires de la sécurité du revenu. Le Livre vert les identifie comme l'une des deux clientèles prioritaires que l'on va obliger à suivre un parcours d'insertion, l'autre étant les jeunes. Dès la sortie du Livre vert, la FFQ s'est élevée contre cette proposition, rappelant le principe du libre choix des femmes de demeurer ou non un certain temps à la maison pour élever leurs enfants. Il faut clarifier cette question.

La FFQ, comme bien d'autres groupes de femmes, lutte depuis longtemps pour que les femmes acquièrent leur autonomie économique et financière. Nous savons que cet objectif passe généralement par un travail rémunéré convenablement. De là nos batailles pour la hausse du salaire minimum, l'équité en emploi, l'équité salariale, l'accès des travailleuses à la syndicalisation, etc...

Cependant, nous luttons aussi depuis longtemps pour que la fonction parentale, la plupart du temps, exercée par les femmes, soit reconnue et valorisée socialement. De là, des luttes pour des congés de maternité et parentaux, la conciliation travail-famille, le développement de services de garde accessibles et adaptés aux besoins des parents, des avantages fiscaux ou des allocations pour reconnaître la prise en charge des enfants, etc... Il n'est pas question ici de nous lancer dans un plaidoyer en faveur du retour des femmes à la maison, d'autant que nous savons dans quel isolement et dans quelle pauvreté se retrouvent souvent des femmes qui ont élevé une famille et qui doivent survivre à une rupture conjugale.

Nous savons qu'il est difficile pour une mère qui a passé plusieurs années à la maison de retourner sur le marché du travail. En fait, compte tenu des changements rapides dans les technologies et de la compétition féroce pour des emplois de qualité, ce retour devient de plus en plus difficile. Il est donc parfaitement logique que l'on fournisse à toutes les femmes "au foyer", prestataires ou non de l'aide sociale, des moyens pour opérer une réintégration progressive. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille les obliger à travailler à temps plein dès que l'enfant a deux ans.

On nous dira que déjà la majorité des mères de jeunes enfants travaille à l'extérieur du foyer. En fait, 65.5% de ces mères ayant un conjoint sont au travail. Ce chiffre baisse à 39% pour les mères monoparentales. Imagine-t-on quelle énergie doit déployer une mère complètement seule avec un ou deux enfants, qui doit filer à la garderie chaque matin, courir à son travail, revenir épuisée et s'atteler, toujours seule, pour sa deuxième journée de travail, celle-là à la maison? Sept jours et sept nuits par semaine, cette mère est entièrement responsable de ses jeunes enfants. Est-il humain de l'obliger à cette course contre la montre qui risque finalement d'être plus aliénante que le fait de rester un certain temps à la maison?

Le féminisme du début des années 80 a évolué. Nous tentons aujourd'hui d'arrimer ensemble deux concepts en apparence contradictoires: le choix de demeurer à la maison un certain temps sans que cela soit pénalisant et l'importance de l'autonomie financière. Nous parlons ici des femmes, surtout, mais des hommes aussi commencent à se poser ce genre de questions.

Plus concrètement, en ce qui a trait aux mères de jeunes enfants, assistées sociales, nous refusons, comme pour les autres prestataires, l'obligation de participer à un parcours d'insertion. Cependant, nous favorisons une offre de services qui incitera, nous en sommes certaines, la plupart d'entre elles à effectuer une démarche qui les conduira vers une sortie de l'aide sociale. Est-il besoin de rappeler ici que survivre avec les prestations de la sécurité du revenu n'est pas une sinécure et que les femmes sont extrêmement désireuses d'améliorer leur sort? Elles sont déjà plus nombreuses que les hommes à participer aux mesures d'employabilité, rappelons-le. On peut facilement imaginer que des parcours adaptés à leur situation: retour progressif aux études, stages à temps partiel, implication communautaire, etc... faciliteront leur insertion sociale et leur accès à un emploi. Elles auront besoin aussi du soutien de leur communauté car, ne l'oublions pas, elles sont seules avec un ou plusieurs enfants.

4.2.4 Les compressions, c'est assez!

Finalement, une critique majeure que nous adressons à cette réforme, c'est qu'elle continue d'appauvrir une grande partie des personnes assistées sociales. Nous avons déjà signalé au deuxième point plusieurs coupures que le gouvernement se prépare à faire. Le mot "indignation" n'est pas trop fort pour exprimer ce que nous ressentons devant ce déni d'un droit élémentaire à la vie, tout simplement. Les gens qui ont rédigé ce Livre vert, les ministres qui approuvent les coupures en Conseil des ministres semblent incapables d'imaginer ce que serait leur vie à eux dans les conditions dans lesquelles ils placent les personnes assistées sociales.

Celles-ci subissent depuis un an des coupures sans précédent qui les ont laissées désemparées et inquiètes, voire, désespérées, dans plusieurs cas. Mais le couperet s'abat encore, sous toutes sortes de prétextes et parfois sans prétexte. Par exemple, pourquoi supprime-t-on l'allocation de participation de 120$ par mois, un incitatif à s'impliquer dans une mesure d'insertion, tout en disant qu'on couvrira les coûts de participation? En avril dernier, lorsque le gouvernement péquiste a baissé cette allocation de 30$, il disait que les coûts de participation s'élevaient à 120$ par mois. Alors, pourquoi est-ce que l'on refuse maintenant d'allouer ce montant plus que minimal aux personnes participantes à une mesure, sinon parce qu'on a l'intention de leur donner encore moins?

Pourquoi supprime-t-on l'allocation de non-disponibilité aux personnes entre 55 et 60 ans, sinon pour économiser de l'argent en vue de réduire le déficit gouvernemental? On semble croire que les hommes de 55 ans qui ont perdu leur emploi et les femmes seules, suite à une rupture d'union après avoir élevé une famille, pourront améliorer leur sort par le système des gains permis. Ne sait-on pas que ces personnes souvent peu scolarisées, fragiles et dont la santé est chancelante auront toutes les difficultés du monde à se trouver des "jobines" déjà tellement convoitées par les plus jeunes? N'a-t-on donc aucune reconnaissance pour ces femmes et ces hommes qui ont déjà beaucoup donné à la société?

Ne pourrait-on accorder une reconnaissance aussi à ces mères de jeunes enfants qui les élèvent souvent seules? Pourquoi supprimer leur allocation de non-disponibilité de 100$ par mois (en plus de l'allocation pour jeunes enfants), les appauvrissant davantage et hypothéquant la santé de leurs enfants (Ces enfants sur lesquels on disserte en conférence fédérale-provinciale!)? Pourquoi ne pas reconnaître que la charge à temps plein d'enfants en bas âge est un travail, que l'on vive ou non de l'aide sociale? Les femmes en ont assez de se faire dire, selon les époques, les modes et surtout, les impératifs économiques, qu'elles doivent sortir de la maison ou y revenir... Quoiqu'il en soit, nous n' accepterons cette coupure dans l'allocation de non-disponibilité que si elle est remplacée par un montant au moins équivalent sous forme de hausse du barème de base ou de l'augmentation de l'allocation unifiée pour enfants.

Au dernier sommet socio-économique, les groupes communautaires ont réclamé avec vigueur l'adoption d'une clause d'appauvrissement zéro pour les 20% les plus pauvres. Ce qui a été adopté c'est "aux plus démunis, en désespoir de cause, une clause d'appauvrissement zéro qui signifie au fond qu'on renonce à améliorer vraiment leur sort, qu'on se contente d'atténuer les méfaits des nouvelles inégalités" (Lise Bissonnette, éditorial précité). Certains éditorialistes ont appuyé le gouvernement dans son refus de nous accorder intégralement ce que nous demandions, alléguant que celui-ci devait pouvoir faire la chasse aux fraudeurs et encourager le retour à l'emploi. Nous voyons bien (et nous espérons qu'ils le voient aussi), que ce n'était pas là la raison du refus gouvernemental. En fait, les coupures prévues dans la réforme de la sécurité du revenu poursuivent deux objectifs: financer les mesures d'insertion à même les prestations des personnes assistées sociales et diminuer le budget de la sécurité du revenu pour contribuer ainsi à l'élimination du déficit. Même au sein de la prestation unifiée pour enfants, on constate une faible diminution de l'aide financière aux familles monoparentales sur l'aide sociale. Où allons-nous avec de telles coupures, sinon à contraindre la grande majorité des prestataires à la misère? Ne sait-on pas que la pauvreté est en elle-même un frein à l'insertion sociale et au retour au travail?

Nous nous opposons donc résolument à tout appauvrissement des personnes assistées sociales. C'est un devoir moral et social de les soutenir dans une situation de vie qu'ils et elles n'ont pas choisie. Bien plus, nous recommanderons, au prochain point, une hausse des barèmes au niveau de ce que le gouvernement reconnaît lui-même comme le seuil de couverture des besoins essentiels.

5.  NOS RECOMMANDATIONS

Pour bien comprendre nos recommandations, il faut les situer dans le contexte que nous avons décrit au point 2: chômage persistant, difficultés familiales et, particulièrement celles qui affectent les femmes seules cheffes de famille, grande pauvreté des personnes assistées sociales, perspectives d'emplois pour le moins incertaines, etc... Nos propositions vont donc dans le sens d'une reconnaissance de ces états de fait ce qui implique:

  • de cesser de faire croire à la population qu'il y aura des emplois à temps plein pour tout le monde d'ici quelques années;
  • d'imaginer par conséquent un projet de société où toutes les personnes peuvent vivre décemment, qu'elles travaillent ou non au sens où on l'entend habituellement. Valoriser les contributions familiales, sociales et communautaires des personnes sans travail rémunéré. Mettre au coeur de nos préoccupations collectives un partage équitable de la richesse générée par la contribution de tous et toutes.

Bien sûr, on nous dira que nous nageons en pleine utopie. C'est ce qu'on disait dans les années soixante aux premiers souverainistes organisés en parti politique.. .Quoiqu'il en soit, nous savons bien que cette société ne se bâtira pas du jour au lendemain. Il faudrait bien pourtant commencer à en jeter les bases, sinon l'avenir s'annonce bien sombre pour une large part de la population.

En conséquence de ce qui précède, nous adressons au gouvernement du Québec les treize (13) recommandations suivantes:

i) Que le gouvernement et les entreprises mettent en oeuvre les projets de création d'emplois adoptés au dernier sommet socio-économique. Que le développement de l'économie sociale se fasse en tenant compte des revendications de la Marche des femmes pour des infrastructures sociales et que les emplois créés soient des emplois durables et de qualité. Que le gouvernement-employeur cesse de couper des emplois dans le secteur public, secteur où les femmes sont majoritaires.

ii)       Que le salaire minimum soit haussé progressivement et rapidement pour qu'une personne seule, travaillant à temps plein, puisse atteindre le seuil de pauvreté, ce qui veut dire 8.30 $ l'heure.

iii) Que les lois du travail soient revisées de façon à permettre l'accentuation de la syndicalisation des travailleuses et travailleurs à faible revenu et à statut précaire. Les recommandations 2 et 3 visent à rendre les emplois plus attrayants, à préserver la stabilité de la main d'oeuvre et à sortir les personnes de la situation de pauvreté dans laquelle elles se trouvent actuellement.

iv) Considérant que chaque individu a droit à un revenu minimum décent, dans une société dite démocratique, que les barèmes d'aide sociale soient basés sur l'évaluation gouvernementale du seuil minimal de couverture des besoins essentiels (667$ pour une personne seule). Rappelons que les barèmes des personnes assistées sociales aptes au travail n'ont pas été indexés depuis 1994. Soulignons aussi que cette évaluation gouvernementale se situe bien en deçà du seuil de la pauvreté.

v) Qu'aucune personne assistée sociale, quels que soit son âge ou son statut ne subisse une perte de revenu à cause de la réforme de la sécurité du revenu ou de l'objectif du déficit zéro. C'est ce que nous appelons la clause d'appauvrissement zéro. Nous aimerions rappeler ici au gouvernement du parti québécois qu'il aurait certainement combattu à nos côtés lorsqu'il était dans l'opposition pour obtenir cette clause...

vi) Que la prestation ne soit liée en aucune façon à une obligation de participation à quelque mesure que ce soit. L'obligation est illogique dans le contexte actuel de chômage, elle est anti-pédagogique et humiliante pour l'immense majorité des personnes assistées sociales qui ne demandent qu'une chose: sortir de la pauvreté!


vii) Que le gouvernement s'empresse de mettre en place les structures et les moyens concrets qui favoriseront "un parcours vers l'insertion, la formation et l'emploi". Qu'il déploie pour ce faire les ressources nécessaires sans pour autant couper les prestations des personnes. Qu'il offre les services d'insertion (stages en entreprise, études post- secondaires, formation professionnelle, retour à l'école, implication communautaire, etc...) à l'ensemble des personnes assistées sociales, à temps plein ou partiel, en respectant leur cheminement et leur situation spécifique. Les mesures d'insertion doivent être volontaires et inclure toutes les formes de contributions sociales et communautaires que les personnes peuvent apporter. Parions que si les mesures sont intéressantes, il y aura trop de postulant-e-s et pas assez de places...

viii) Qu'il développe le réseau actuel des services de garde en privilégiant l'augmentation des places en garderie et en améliorant les conditions salariales des éducatrices. Que ce développement n'entraîne pas une hausse des frais de garde pour les familles à faible revenu.

ix) Que les organismes communautaires désireux de jouer un rôle au niveau de l' insertion des personnes assistées sociales soient consultés sur le mandat qu'ils sont désireux d'assumer et que l'Etat leur fournisse le soutien financier nécessaire pour remplir ce rôle. Que les organismes communautaires déjà impliqués dans l'insertion au travail de personnes assistées sociales soient reconnus comme de véritables partenaires et consultés sur la mise en oeuvre des politiques gouvernementales.

x) Que l'allocation unifiée pour enfants, particulièrement celle prévue pour les familles monoparentales, soit haussée pour les familles à faible et moyen revenu, incluant celles qui sont à l'aide sociale. Que les familles subissant une baisse de revenu en cours d'année, pour une raison autre qu'un décès ou une rupture (une perte d'emploi, par exemple), puissent demander immédiatement un réajustement de leur allocation pour enfants.

xi) Que la portion de la pension alimentaire pouvant être conservée par le parent gardien bénéficiaire de l'aide sociale ne fasse pas partie des gains permis. Ce montant est donné par le parent non-gardien pour ses enfants. Il ne s'agit pas d'un revenu de travail.

xii) Que le gouvernement du Québec abolisse la coupure pour partage de logement, en commençant par les familles monoparentales, tel que promis lors de la dernière campagne électorale.

xiii) Que les groupes de défense des droits des personnes assistées sociales fassent partie d'office des conseils locaux de partenaires et qu'ils reçoivent un financement gouvernemental pour remplir les mandats qu'ils se sont donnés. Que les personnes assistées sociales jouissent de droits de recours indépendants face aux décisions des fonctionnaires de l'aide sociale.


6. CONCLUSION

Nous aurions pu dans notre mémoire relever beaucoup d'autres aspects de la réforme proposée, certains positifs, d'autres négatifs à nos yeux. Nous avons préféré nous concentrer sur ceux qui nous paraissent fondamentaux. Nous voulons susciter un débat de société sur des questions essentielles:

  • L'aide financière aux personnes sans emploi doit-elle être assortie de conditions? Est-ce moralement défendable et socialement utile et efficace? Nous avons répondu non à ces deux questions.
  • Est-il acceptable que dans le Québec d'aujourd'hui plus d'un million de personnes vivent dans la pauvreté? Nous répondons non et proposons une hausse du salaire minimum et des barèmes d'aide sociale.
  • L'emploi à plein temps rémunéré est-il et sera-t-il la seule forme d'intégration sociale, la seule contribution des individus à leur société? Nous répondons non et invitons la société québécoise à oser penser différemment, à imaginer une société ou diverses formes d'apport social sont reconnues.
  • Le gouvernement, les entreprises, les mouvements sociaux ont-ils une responsabilité vis à vis les plus mal pris d'entre nous? Oui, celle de leur proposer diverses avenues d'insertion et de leur fournir les moyens d' y participer. Nous sommes convaincues que l'immense majorité des personnes assistées sociales seront prêtes à faire leur part pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leur communauté.

Un gouvernement qui prétend vouloir construire un pays avec la participation active de l'ensemble des citoyennes et citoyens devrait faire confiance à ces citoyennes et citoyens quant à leur volonté de changer leur vie.

En plus des organismes cités au début qui ont collaboré à la production du mémoire de la Fédération des femmes du Québec, les groupes suivants tiennent à apporter leur appui au contenu du dit mémoire:

L'Association des collaboratrices et partenaires en affaire;

La Fédération des ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté;

Le Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale;

La Société Elizabeth Fry;

Le Regroupement des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel:

Regroupement Naissance-Renaissance.