Cette recherche a été rendue possible grâce à l'appui
financier et la collaboration du ministère de la Justice du Québec et du Ministre de la Justice et du Procureur général du Québec, du Programme Promotion de la Femme du Secrétariat d'État, de l'Institut canadien de recherches sur les femmes, de la Ministre déléguée à la condition féminine du Québec, du programme des organismes volontaires d'éducation populaire du ministère de l'Éducation.
Comité
d'encadrement:
Lucie Bélanger
Relais-Femmes
Denise Charette
Regroupement québécois des CALACS
Lise Lafrance
Chercheure
Diane Lemieux
Regroupement québécois des CALACS
Marie Letellier
Relais-Femmes
Marie
Malavoy Professeure et chercheure, Université de Sherbrooke
Nicole St-Martin Professeure et chercheure, Université de Sherbrooke Claudette
Vandal Regroupement
québécois des CALACS
Rédaction du cadre de
référence(définition de l'objet d'étude,détermination
de la méthode d'observation et des techniques decollecte
de données): Lise Lafrance
Classification des
informations, analyse des résultats et rédaction durapport
final de recherche: Jasmine Godbout
Démarches pour obtenir le matériel d'étude
et traitement de textes: Monique Dulac
Rédaction du résumé:
Roseline Marceau
Conception graphique
et mise en page du rapport et du résumé:Denyse Lamontagne
Le logo de la page couverture a été
créé par Sylvie Breton du CALCACS
de Sherbrooke
Supervision de l'ensemble des étapes:
Diane Lemieux
Dépôt légal,
1er trimestre 1993 Dépôt
légal, 1er trimestre 1993
Bibliothèque
Nationale du Québec Bibliothèque
Nationale du Canada
ISBN 2-9803350-0-2
Avant-propos
S'interrogeant
sur l'adaptation du système judiciaire québécois àla
suite des modifications législatives d'importance en matièred'agression
sexuelle apportées en 1983, les intervenantes des centresd'aide
et de lutte contre les agressions à caractère sexuel(C.A.L.A.C.S.)
ressentaient le besoin de passer d'une connaissanceintuitive
du traitement judiciaire à une connaissance fondée sur desrésultats
de recherche. Par ailleurs, dans l'éventualité d'une telleétude,
ses résultats permettraient de faire avancer leur réflexion quantà
leurs pratiques comme accompagnatrices, de consolider leurexpertise
et d'orienter leurs mandats vis-à-vis du Regroupement, leurreprésentant.
C'est dans
ce contexte et dans le cadre de ses fonctions commelieu
d'échange, d'information et de formation que le Regroupementquébécois
des centres d'aide et de lutte contre les agressions àcaractère sexuel
(C.A.L.A.C.S.) entreprend, en 1986, toutes lesdémarches nécessaires en vue de concrétiser
un projet de recherche.
Cette
recherche nous a fait vivre des moments d'emballements
et de cauchemars! En effet, la cueillette du matériel d'étude a étéparsemée
d'obstacles quasi insurmontables. Le plus important futl'incompatibilité
entre les données centralisées au ministère de laJustice
et celles disponibles localement auprès des palais de justice.Concrètement,
cela a signifié que nous ne pouvions avoir à notre
disposition qu'une partie seulement du nombre de dossiers identifiés.On
nous a même remis des dossiers dont l'existence formelle n'a puêtre
retracée Puis, la période de transcription des notessténographiques s'est
avérée extrêmement longue et coûteuse. Làencore, le problème technique
d'incompatibilité s'est manifesté puisquenous avons eu droit à des notes
transcrites non réclamées alors que
d'autres étaient manquantes. Nous vous épargnons la suite de nospéripéties. Ces éléments, hors de
notre contrôle, expliquent lalongueur du processus de cette
recherche et le fait que l'échantillon
n'est pas aussi important que nous le souhaitions. Mais, nous avionstrop investi pour reculer. Ces
difficultés n'ont pas ébranlé notre conviction de la pertinence de cette recherche et des
outils que nousavions
développés.
Un comité
responsable de l'encadrement de la réalisation de cetterecherche
sur le traitement judiciaire québécois des causesd'agressions
sexuelles fut donc créé en 1986. Ce comité est composéde
représentantes du Regroupement, Mesdames Diane Lemieux etDenise
Charette (CALACS de Trois-Rivières) remplacée par la suitepar
Claudette Vandal (Maison ISA de
Chicoutimi) ont représenté leRegroupement
tout au cours de la démarche. Les professeures del'Université
de Sherbrooke, Mesdames Marie Malavoy et Nicole St-Martin
ainsi que Lise Lafrance chercheure, nous ont conseillée à toutesles
étapes de la recherche. La contribution de Relais-femmes a étéinestimable.
Mesdames Marie Letellier, puis Lucie Bélanger quireprésentaient
cet organisme ont permis de faire une jonctionharmonieuse
entre les besoins du Regroupement et les ressourcesuniversitaires.
Finalement, soulignons la rigueur de madame JasmineGodbout
en ce qui a trait à l'analyse des données et la rédaction finaledu
document de recherche. Qu'il nous soit permis de les remercier de
cette collaboration soutenue tout au long du processus de recherche.
Par
ailleurs, le Regroupement aimerait également remercier tousceux
qui ont cru en l'importance de la réalisation d'une telle analyse etl'ont
appuyée financièrement. Il s'agit du ministère de la Justice duQuébec
(accès aux notes sténographiques) et du Ministre de la Justice
et du Procureur général du Québec (parution de la recherche), duprogramme
Promotion de la Femme du Secrétariat d'État (soutienfinancier
de toutes les démarches de la recherche, de l'Institut canadiende recherche sur les
femmes(analyse qualitative), de la Ministredéléguée à la condition féminine du
Québec(définition de l'objet del'étude), du programme des organismes
volontaires d'éducationpopulaire du ministère de
l'Éducation(formation) et de Relais-Femmes(soutien tout au cours du projet).
Bonne lecture!
S'il est une
particularité de l'agression sexuelle plus quegénéralement
admise, il s'agit de son caractère distinctif, sans faire dejeu
mot constitutionnel! Suivant la littérature sur le sujet etl'expérience
des intervenantes des groupes qui s'intéressent auphénomène,
l'agression sexuelle se caractérise de la manière suivante:
- la victime est femme, l'agresseur est homme;
- le crime est d'une ampleur incontestable;
- il est gravement sous-dénoncé, sinon le moins dénoncé des
- crimes;
le traitement judiciaire qu'on lui réserve est perméable
aux mythes, préjugés et stéréotypes relatifs à l'agression
sexuelle, aux femmes et aux agresseurs et il entraîne des problèmes psycho-sociaux
susceptibles d'être particulièrement intenses et durables1.
Révélée de
façon plus percutante ces quinze dernières années,l'ampleur
du phénomène est telle qu'elle a justifié les efforts dugouvernement
fédéral pour aménager un cadre législatif plus propice àla
dénonciation, plus efficace pour mieux réprimer ce type de criminalitéet,
espérait-on, moins discriminatoire à l'égard des femmes.2 Contraintpar
des groupes organisés de plus en plus alimentés par des résultatsde
recherche aussi incontournables que nombreux, le législateur avaitdû
agir. Début 1983, des modifications législatives mettaient de l'avantles
éléments suivants:
Une nouvelle définition du crime qui met l'accent sur la
violence del'acte
plutôt que sur l'aspect sexuel et qui reconnaît tous lesgroupes
susceptibles d'en être victimes.Une
nouvelle définition qui reconnaît l'autodétermination des
1 Voir les ouvrages traitant de
l'agression sexuelle cités en
bibliographie.
Notamment : Elizabeth A. Sheehy (1987);
ministère de la Justice du Canada(1990); Brigitte ROULEAU (1991); Regroupement québécois des centres
d'aide etde lutte contre les agressions à caractère sexuel (C.A.LA.C.S.) (1991).
2 Pour une
explication détaillée de l'histoire des modifications législatives de 1983,des buts qu'elles visaient, des mesures qu'elles comportaient et d'un
résumé deleur impact, voir : Ministère de la Justice du Canada (1990).
personnes en matière sexuelle, même à l'intérieur de
relations conjugales.
Une gradation des peines en fonction de la gravité des
actes commis.
L'abrogation de règles de preuve discriminatoires,
notamment la règle de
la "plainte spontanée", la corroboration et
les interrogatoires sur le passé sexuel des victimes.3
La lettre et l'esprit de ces
modifications ont-ils été appliquésdans nos tribunaux québécois?
Poursuivant
leur travail d'accompagnement auprès des victimesd'agressions
sexuelles, les intervenantes des centres d'aide et de luttecontre
les agressions sexuelles (C.A.L.A.C.S.) continuaient, quant àelles,
à s'interroger sur le traitement judiciaire des causes d'agressionssexuelles.
L'un des
rôles dévolus aux C.A.L.A.C.S. est l'accompagnementdes
femmes victimes d'agressions sexuelles à différentes étapes duprocessus judiciaire.
Avec les années, en assumant ce rôle, lesintervenantes des centres ont développé une
connaissance certaine du
processus et du traitement judiciaire de ces cas. Cependant leur savoirquant au phénomène des agressions
sexuelles ne s'arrête pas à cesaspects légaux: elles connaissent
aussi les victimes de même que lesconséquences des agressions et,
nourries par divers types derecherches, elles ont développé une
analyse sociologique féministe dece phénomène de société.
Sur la base
de cette vision sociologique du phénomène del'agression
à caractère sexuel, malgré les modifications législatives de1983,
les intervenantes des centres demeurent insatisfaites dutraitement
réservé aux victimes par le système judiciaire. Notamment,elles
se questionnent sur ce qui leur apparaît comme un manque de lienprobant entre le
sujet des interrogatoires et le délit en cause, surl'ampleur de l'interrogatoire relatif aux
faits et gestes de la victime, sur
3 Pour une explication de l'origine
et de la teneur de ces règles de preuve
discriminatoires, voir : Marilyn G. STANLEY (1985).
la présence
d'attitudes sexistes envers les femmes, sur le supportmitigé
accordé à la victime par la Couronne... Même si elle varie enintensité,
selon les régions et le sujet abordé, cette insatisfaction estgénéralisée
chez les intervenantes des différents centres.
En fait,
examinées de près, ces insatisfactions se traduisent enun
sentiment commun, celui qu'une culpabilité potentielle pend au-dessus
de la tête de toute victime d'agression sexuelle. Dans notresystème
judiciaire, tout prévenu est présumé innocent jusqu'à preuvedu
contraire; dans le cas des agressions sexuelles, il leur semble quel'innocence
du prévenu passe par la culpabilisation de la victime. Laplaignante
n'aurait-elle pas implicitement consenti? Son refus n'était-ilpas équivoque? Eu
égard à son mode de vie, peut-on croire cettefemme? S'agit-il vraiment d'un viol?
Le
questionnement des intervenantes a surgi à un moment oùl'impact
de la nouvelle législation était encore peu connu4 et les
constatations faites par les intervenantes des centres sur différentesétapes
du processus judiciaire animaient leur désir d'en savoirdavantage
sur le traitement judiciaire général.
Dans ce
contexte, il semblait particulièrement intéressantd'établir
un portrait du traitement judiciaire des causes d'actes àcaractère
sexuel.
Sept ans
après les modifications législatives qui devaientchanger
l'esprit du traitement judiciaire des causes d'agressionssexuelles,
l'évaluation de leur impact dévoile des résultats qui donnent
raison aux intervenantes de s'interroger. À la face même des objectifsgouvernementaux,
leur impact est pour le moins insatisfaisant5.
4 Depuis, le Gouvernement fédéral a publié les
résultats d'une évaluation del'impact de ces modifications
législatives. Sous le titre La loi sur les agressionssexuelles au Canada : Une évaluation,
voir les rapports 2 à 5 : RUEBSAAT(1985), ROBERTS (1990) et Ministère de la Justice du
Canada (1990).
5 Ministère de
la Justice du Canada (1990). Les objectifs que visaient cesmodifications législatives sont énumérés en page 17.
S'il n'en
tient qu'aux résultats de cette étude, l'histoire de notresociété
bat toujours dans les veines de nos institutions: les mythes,préjugés
et stéréotypes patriarcaux par rapport au viol, aux femmes etaux
agresseurs traversent le temps. Mais les informations disponiblesmontrent également
des aspects du traitement judiciaire qui ne
s'expliquent que par l'existence d'une société sexiste: l'absence devision du phénomène social qu'est
l'agression sexuelle et la négligencepar rapport à l'application des
droits des témoins. Pourtant, il paraîtimportant de les relever à cause de
l'impact qu'elles pourraient avoirsur les droits collectifs, en
l'occurrence ceux des femmes, et l'intérêtgénéral de la société. Sous cet
angle, le traitement judiciaire sembledevoir être interprété en fonction de
la pensée libérale classique qui ainfluencé l'émergence et l'évolution
du Droit. Selon nous, cette pensée,fondamentalement individualiste, tend
à orienter une interprétation etune application individualistes des
droits qui opposent les droits desuns à ceux des autres et empêchent la
prise en compte de droitscollectifs et de l'intérêt général.
C'est le
jugement dissident de la juge Claire L'Heureux-Dubé6
qui a inspiré les éléments de réflexion avancés pour discuter de cesderniers
points. Nous les soumettons tout au long de notreinterprétation
du traitement judiciaire, tout en considérant que, sous cetangle,
il ne s'agit que d'une amorce de discussion.
Pour mieux
comprendre dans quel cadre cette recherche a étémenée,
nous vous invitons à prendre connaissance des deux premièresparties
de ce rapport. La première explique les éléments qui, dansl'évolution de notre
société et dans ses traits actuels, pourraientinfluencer fondamentalement le traitement
judiciaire des causesd'agressions sexuelles. Il s'agit de
la société sexiste et de la penséeindividualiste. La deuxième résume
l'évolution de la démarche derecherche qui nous a conduit à
définir précisément ce que nous voulionsétudier, comment et selon quelle
étendue.
6 Claire LHEUREUX-DU BE (1991).
Afin de
prendre contact avec la réalité du traitement judiciairedes
causes étudiées, la troisième partie décrit le contenu desaudiences
et en fournit une interprétation.
Finalement,
pour mieux établir la pertinence du cadre d'analysesuggéré
initialement, la quatrième partie consolide les ponts, d'unepart,
entre la société sexiste et la pensée individualiste et, d'autre part,les
résultats de la collecte de données.
Parmi les
personnes qui analysent notre société, plusieurssoutiennent
que la compréhension d'une institution ou d'un phénomènene
peut se passer de la prise en compte du contextesocial7 dans lequelil
existe. En fait, il semble que c'est ce contexte qui crée lesinstitutions
et les phénomènes en même temps que ceux-ci influencentl'évolution
de la société, c'est-à-dire la transportent d'un contexte à unautre.
Selon ce
qu'enseignent, d'une part, les résultats de recherchesantérieures sur
l'agression sexuelle et son traitement judiciaire et,d'autre part, l'observation des expériences
individuelles des victimes, ilapparaît qu'il en va de même pour
l'agression sexuelle et l'institutionqui doit traiter les crimes à
caractère sexuel, c'est-à-dire le systèmejudiciaire pénal.
Selon toute
vraisemblance, deux éléments créeraient etcontribueraient
à reproduire le phénomène de l'agression sexuelle et letraitement
judiciaire qu'on lui réserve. Ayant été une sociétéproprement
patriarcale8, qui a engendré la violence contre les femmes,le
Québec demeure, malgré des changements constitutionnelsimportants,
une société fondamentalement sexiste. C'est le premierélément
qui expliquerait la persistance des crimes violents commis
7 Le contexte social est entendu dans son sens
large, à savoir qu'il réfère à toutes
les dimensions qui
font une société : culturelle, économique, judiciaire, sociale,
politique et psychologique, incluant son évolution historique.
8 Nous croyons qu'il est important de distinguer une
société patriarcale d'unesociété dite démocratique mais dominée
par les hommes, héritage du passépatriarcal. Ainsi, dans la société
patriarcale, le pouvoir de l'homme était valorisé,soutenu par les institutions et
appliqué ; alors que dans une société ditedémocratique, ce pouvoir doit
s'exercer incognito, notamment, en se dissimulantsous des argumentations fallacieuses,
en négligeant les effets de la discrimination
systémique, en s'appuyant sur des institutions encore contrôlées par des
hommes.
contre les femmes et
la façon d'en traiter dans les tribunaux. Ledeuxième
élément résiderait dans l'influence de la pensée libéraleclassique
sur l'évolution de notre société et, Conséquemment, sur le
système judiciaire qu'elle a engendré et qu'elle alimente.
C'est l'objet
de cette partie que d'expliquer à travers quellelunette
le phénomène de l'agression sexuelle est perçu pourcomprendre
ce qui fonde l'analyse ultérieure de son traitementjudiciaire.
En l'occurrence, il s'agit, premièrement, de résumer l'étatactuel
de la société québécoise par rapport aux conditions de vie qu'elleréserve aux femmes en
général. Cette description met en évidence cequi favorise l'émergence et la reproduction
de relations hommes-femmes, où l'homme est pratiquement
toujours agresseur et la femmevictime, lorsqu'il y a violence. De plus, elle aide à mieux cerner dans
quel contexte et par qui sont appliquées les lois.
Mais, pour
mieux saisir ce qui inspire l'administration judiciaire, ilfaut
également s'intéresser à la pensée libérale classique qui sous-tendtoute
l'organisation de notre société et particulièrement celle de sonsystème
judiciaire. Nous croyons que cette pensée nuit aux femmesdans
le traitement judiciaire des causes d'agressions sexuelles, commeelle
défavorise peut-être d'autres groupes sociaux dans le traitementd'autres
types de crimes. Selon nous, cette vision globale duphénomène
de l'agression sexuelle et du traitement qu'on lui réservepermet
de mieux comprendre pourquoi les modifications législatives, a
priori favorables aux victimes, peuvent être impuissantes à transformerl'esprit
et le fonctionnement d'un système judiciaire où, encoreaujourd'hui, des
victimes se sentent accusées.
En général, en
matière d'agression sexuelle, la victime est femmeet
l'homme agresseur: c'est là un phénomène social, non un faitindividuel
accidentel. Pour expliquer pourquoi il en est ainsi, il fautrésumer
le contexte social qui consacre la supériorité de l'homme dans
tous les domaines d'activité. C'est ce contexte qui perpétue l'agressionsexuelle
comme phénomène de société eu égard aux rapports hommes-femmes
qu'il cultive, notamment en matière de relations sexuelles.
Comme d'autres types de violence faite contre les femmes,
lesagressions sexuelles s'expliquent par
l'évolution historique de notresociété, de ses institutions, des
valeurs qu'elles promeuvent, desstatuts et des rôles différenciés qu'elles attribuent selon le sexe.Pourquoi les femmes sont-elles les
principales victimes des actes àcaractère sexuel? La réponse réside
dans notre histoire et l'héritagequ'elle nous laisse.
Depuis plus
de vingt ans maintenant, de par le monde, nombred'études
ont contribué à cerner, définir et expliciter les éléments qui ontcaractérisé les
sociétés comme patriarcales. Le patriarcat était cesystème social édifié par et pour le
pouvoir du père, donc sur le seuldroit de parole et de décision des
hommes. Le patriarcat était cesystème social qui ne reconnaissait
que les perceptions, lesconceptions et les intérêts
masculins, aussi bien dans les relationshommes-femmes et dans la famille que
dans toutes les instancesdécisionnelles de notre société.9
9 Entre
autres ouvrages canadiens et québécois généraux : Florence BIRD, Jacques
HENRIPIN et al, Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation dela femme au Canada, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et ServicesCanada, 1977 (Ire éd. 1970), 540 pages ; Laurette CHAMPIGNY ROBILLARD,
Dû au pouvoir
qu'il avait pour effet de sauvegarder, cet ordre adéfavorisé
l'émancipation psychologique, juridique, sociale, économiqueet
politique des femmes, à cause des conditions de vie qu'il leur
réservait. Tout, des valeurs, des lois et règlements, participait dupouvoir
des hommes sur les femmes et le perpétuait. Partout, dans lesrelations
hommes-femmes, la famille, l'Eglise, l'école, au travail, dansles
associations et les gouvernements, les rôles et fonctions desfemmes ont été
définis en les subordonnant au pouvoir des hommes.Car, selon les patriarches, il relevait
de" l'ordre naturel" des chosesque la femme soit au service de
l'homme, que celui-ci définisse, décide,dirige10 . De l'épouse à la secrétaire, en
passant par la professeure faceau directeur, à l'infirmière face au
médecin, à la militante face au chef,...
Danièle DROLETet al.. Pour les Québécoises : égalité et indépendance,
Québec,Conseil du statut de la femme, 1978, 335 pages + appendices ; MichelineDUMONT, Michèle JEAN et al., L'histoire des femmes au Québec depuis
quatresiècles, Montréal, Le Jour, 1991, 646 pages. A travers l'histoire des
femmes :notamment :
Mona-Josée GAGNON, Les femmes vues par le Québec deshommes - 30 ans d'histoire des idéologies
1940-1970, Montréal, Editions duJour, 1974, 159 pages ; Marie
LAVIGNE et Yolande PINARD, Les femmes dansla société québécoise, Coll. Etudes
d'histoire du Québec, Montréal, BoréalExpress, 1977, 214 pages... A travers leurs luttes : Les Têtes de Pioche
-Collection complète, Montréal, Les Editions
du remue-ménage inc., 1980, 207pages ;
Véronique O'LEARY et Louise TOUPIN, Québécoises deboutte!,Montréal, Les Editions du remue-ménage inc., (Tome 1 ) 1982, 212 pages et(Tome 2) 1983, 374 pages... En traitant d'aspects particuliers,
d'autres ouvragesont également contribué à tisser le portrait de cette société
patriarcale et à mettreen relief les obstacles institutionnels de l'émancipation des femmes,
nommément:
Francine BARRY, Le travail de la femme au Québec - L'évolution de 1940 à1970, Coll. Histoire des travailleurs québécois, Montréal, Les Presses
del'Université du Québec, 1977, 80 pages ; Evelyne TARDY, Anne-MarieGINGRAS et al.. La politique : un monde d'hommes? - Une étude sur lesmairesses au Québec, Cahier du Québec, Coll. Science politique,
Montréal,
Editions Hurtubise HMH, liée, 1982, 111 pages ; Louise VANDELAC, DianeBELISLE et
al., Du travail et de l'amour - Les dessous de la productiondomestique. Coll. Femmes, Montréal, Les
Editions coopératives Albert Saint-Martin, 1985, 416pages...
10 Collette GUILLAUMIN démystifiait "l'ordre naturel" dans
"Pratique du pouvoiret idée de Nature", Partie 1
"L'appropriation des femmes". Questions féministes,
no 2, pp. 5-30 et Partie 2 "Le discours de la Nature", Questions
féministes, no 3,pp. 5-28. Mona-Josée GAGNON (op.
cit.) avait relevé cette conception de l'ordrenaturel dans les discours de nos
élites cléricales et nationalistes du Québec desannées 40 et 50.
les activités sociales, économiques et
politiques des femmes ont étécirconscrites
par des hommes et leur statut a été confiné en marge deschasses
gardées masculines.
Dans cette
société typiquement patriarcale, le corps même d'unefemme
était objet de propriété, marchandable par le père auprès d'unéventuel
intéressé avec qui il monnaierait son droit de propriétéexclusif.
Pour le mari, ce corps devait servir à la production de ladescendance
à laquelle serait transmis le patrimoine familial. Pour unelignée
pure, il fallait donc un contrôle strict sur le corps et la sexualitéde
la femme, la machine reproductive.11
De toute
évidence, principalement depuis un demi-siècle, lepatriarcat
a été erode par les incessantes luttes des femmes
visantleur
affranchissement. Notamment, au Canada et au Québec, lesfemmes
se sont vues reconnaître le statut de "personne"; les hommes
ont perdu leur droit de "juste" correction sur leur épouse; les
femmesont
acquis le droit de voter, de s'adresser à la justice, d'êtrepropriétaire,
de commercer... En matière d'agression sexuelle, lelégislateur
a fini par convenir qu'il s'agissait bel et bien d'une atteinte à
l'intégrité physique et morale de la victime, plutôt que d'une atteinte audroit
de propriété de l'homme ou d'une atteinte aux moeurs.
Cependant, encore aujourd'hui, nos
institutions continuentd'évoluer dans une perspective, sinon
patriarcale, du moins sexiste.C'est ainsi que persistent des
modèles de comportements sexistes quiinfluencent les femmes et les hommes
dans leurs choix; que perdureune division du travail où la
subordination est féminine et l'autorité
11 Voir notamment : Kate MILLET, La politique du mâle.
Editions Stock, 1971,Chapitre 2 ; Susan BROWNM1LLER, Le viol, Montréal,
Editions l'Etincelle,1976, Chapitre 2 ; Collette GUILLAUMIN (op. cit.), Partie
I ; MichelineDUMONT, Michèle JEAN et al. (op. cit.) ; Louise VANDELAC, DianeBELISLE et al. (op. cit.), pp. 115-122.
masculine; que
subsiste les iniquités salariales entre hommes etfemmes;
que tarde une représentation efficace des femmes dans toutesles
instances décisionnelles, cela malgré les compétences reconnuesdes
femmes; que demeurent reléguées au dernier rang des "priorités"les
revendications des femmes...
Pourtant, de toutes parts,
affluent les données qui témoignentdes effets de la discrimination systémique.12
Notamment, en 1990, leConseil national du bien-être social
du Canada a publié un documentqui décrit précisément les
conditions de vie économiques des femmesimputables à cette discrimination.13 Quelques faits
saillants poursingulariser
la situation des femmes en général.
La majorité des
travailleuses se concentre toujours dans descatégories
professionnelles dites "féminines", soit des emploisprécaires,
des emplois subordonnés ou sous-rémunérés parrapport
à des emplois de valeur égale occupés majoritairementpar
des hommes.14
Une majorité de femmes continuent à
assumer seules lesresponsabilités
familiales et domestiques. À ce titre, ladiscrimination
qu'elles subissent au travail est renforcée,ce quiaccroît
la difficulté d'avancement et la précarité en emploi.15
En moyenne, les femmes ne gagnent que 62% du salaire deshommes16
cela, sans compter tous les avantages sociaux dontbénéficient
généralement les travailleurs syndiqués des grandes
12 La discrimination est dite systémique lorsque les lois, les
règlements et le
fonctionnement mêmes des institutions défavorisent un groupe en
particulier.
13 Conseil national du bien-être social
(1990).
14
Ibid pp. 23-44 ;
Francine GAGNON et al. (1991). p. 11 ; Diane PRECOURT(1992), p. 4.
15
Conseil national du bien-être social (1990),
pp. 24 et 51-67.
16
Norman DELISLE (1991), p. A-2.
organisations.
Or, au cours de la dernière décennie, c'est cette partie de la rémunération globale qui a été bonifiée.17
Les femmes dirigent 82% des familles monoparentales.18
Cet état de fait explique d'ailleurs ce que plusieurs
appellent le phénomène
dit de la "féminisation" de la pauvreté19 57% des familles monoparentales dirigées par les femmes tentent
de survivre sous le seuil de la pauvreté; au Québec, 20% des assistés
sociaux sont des
femmes dirigeant des
familles monoparentales.20
Les femmes sont défavorisées dans l'accessibilité au
logement, que ce soit par un propriétaire privé ou par des
programmes gouvernementaux21 en 1989, 40% des mères
seules au Canada avaient "des besoins "impérieux" de
logement".22
La discrimination est encore plus marquée à l'égard des
femmes autochtones, immigrantes et handicapées, dû à des
particularités
17 Conseil national du bien-être social
(1990), p. 32.
18 Francine GAGNON et al. (1991), p. 11.
19 En
réalité, ce concept de "féminisation" de la pauvreté est utilisé
depuis plus de
quinze ans, alors qu'on constatait l'extrême pauvreté de nos
grand-mères et de nosmères. Pourtant le phénomène est loin d'être aussi récent : de tout
temps et àtravers le monde, les femmes forment un groupe sur-représenté dans lespopulations pauvres. Donc, pour être plus précis, il faudrait dire que
la tendancenotée entre 1973 et 1986 est l'accroissement du nombre de famillesmonoparentales dirigées par les femmes parmi les familles pauvres
québécoises.
Et, comme le phénomène de la monoparentalité va croissant ; comme ce sont lesfemmes qui prennent en charge la famille, l'avenir des femmes n'est pas
rose siles politiques sociales et économiques continuent de déresponsabiliser
leshommes et la société vis-à-vis de l'équité en emploi et la prise en charge
de la
famille. Voir, Arnold BEAUDIN, Réjean CHAMARD et al. [s.d.], pp. 59-91.
20
Conseil national du bien-être social (1990),
pp. 2 et 91-92. Défait, les famillesbénéficiant d'une pension alimentaire, nous dit le Conseil, ne reçoivent
enmoyenne que 18% du salaire de l'ex-conjoint ! Partant, rien d'étonnant
à constaterque ce sont les mères seules et leurs enfants qui paient la note des
séparations,(pp. 81-103
21
Ruth PILOTE
(1991), p. B-8
22
Le Conseil national du bien-être social
(1990, p. 92) cite des données de laSociété canadienne d'hypothèques et de logement
auxquelles le pouvoir masculin blanc dit
"normal" ne s'adaptepas.23
Bref, dans
cette société où les hommes sont plus valorisés queles
femmes par rapport à leur statut professionnel ou économique,parce qu'ils sont les
patrons, propriétaires et décideurs, parce qu'ilsgagnent les meilleurs salaires; dans cette
société où les hommes nesont toujours pas responsabilisés
face à leurs obligations familiales, leConseil national du bien-être social
ne peut que confirmer "la véracitédu dicton voulant qu'il n'y ait qu'un
homme entre la plupart des femmes mariées et l'assistance sociale."24
Notre société
cantonne encore les femmes dans une dépendance psychologique
et émotive25 économique26, sociale et politique àl'égard
des hommes, dans les relations hommes-femmes, dans lafamille,
au travail, dans les organisations de toutes sortes. C'est dansce
contexte, qui consacre la supériorité de l'homme sur "sa" secrétaire,sur
l'infirmière, sur la serveuse..., que la violence faite aux femmes parmonsieur-tout-le-monde
émerge comme le prolongement de sadomination.
23
Conseil national du bien-être social (1990),
pp. 130-148.
24
Conseil national du bien-être social (1990),
p. 77.
25
Linda MacLEOD (1987), plus
particulièrement pp. 9-48.
26
Généralement, voir les références bibliographiques ci-haut. Notamment, leConseil national du bien-être social (1990),
qui rappelle que la pauvreté est le lotdes femmes, et Arnold BEAUDIN, Réjean
CHAMARD et al. [s.d.], quiconstatent que l'écart entre le taux de pauvreté des familles
monoparentalesdirigées par des femmes et celui des
familles dirigées par des hommes s'est accruentre 1973 et 1986 : de 2,39 fois
supérieur au taux de pauvreté des famillesdirigées par des hommes, le taux de
pauvreté des familles monoparentales dirigéespar les femmes était, en 1986, 3,76
fois plus élevé, (p. 59)
[TRADUCTION LIBRE] Les hommes ne
tueraient pas lesfemmes de manière presque routinière s'il
n'existait un conditionnementqui sous-tende que de victirniser des
femmes est acceptable.27
L'ampleur de
la violence subie par les femmes, encore de nosjours,
est d'ailleurs révélée par les témoignages recueillis par le Comitécanadien
sur la violence faite aux femmes.
C'est dire que
le principe de l'égalité constitutionnelle desfemmes
n'apparaît pas valoir beaucoup plus que le bout de papier surlequel
il est inscrit. Cette contradiction entre la reconnaissancejuridique
de l'égalité des femmes et la dépendance dans laquellel'organisation
sociale les confine n'est-elle pas due à leur sous-représentation
dans toutes les instances décisionnelles de notresociété?
N'étant pas soumis aux mêmes conditions d'existence que lesfemmes,
peu d'hommes réussissent à développer et promouvoir desperceptions
et conceptions qui en tiennent compte. Or la sous-représentation
des femmes est verifiable dans chacune des
sphères del'activité
humaine, dont le Droit et le système judiciaire.
Effectivement,
selon les données du Bureau du juge en chef de laCour
supérieure du Québec et du Barreau du Québec, en 1990, seuls 35des
465 juges québécois étaient des femmes sur 1212 avocatesqualifiées
pour le devenir. Selon les derniers chiffres, cettereprésentation
s'élèverait à 9%.28 Cette sous-représentation desfemmes
pourrait expliquer que la législation de même quel'interprétation
et l'application des lois et règlements tiennent peucompte
des conditions de vie des femmes, même en matière
27
Janice KENNEDY
(1991), p. D-2.
28
Voir : Francine GAGNON (1991), p. 13 ; Pierre
GRAVEL (1991), p. B2 ;Jocelyne RICHER (1992), p.
A-4.
d'accessibilité au recours judiciaire.29
En matière d'agression sexuelle, les
hommes sont agresseurs et lesfemmes
sont victimes parce que la société continue de valoriser desperceptions
et des conceptions qui donnent lieu à des règles du jeu quisubordonnent
les femmes aux hommes dans toutes ses institutions,
donc dans les relations hommes-femmes à toute heure du jour et entout lieu.
// faut
comprendre que, il y avait entre vous des relations
personnelles. Vous avez vécu ensemble. Ça ne légitime pas, ça ne
permet pas de
battre quelqu'un, ça ne permet pas d'avoir des relationssexuelles, mais c'est moins grave que
quelqu'un qui, sur la rue, enlèveune personne qu'il ne connaît pas du tout, l'enlève, la séquestre pourquelques jours et a des relations sexuelles;
c'est évident qu'il y atoujours des cas plus graves et moins
graves.30
Cette
interprétation du juge Trudel n'en est qu'une parmi d'autresqui
illustrent bien les mythes, préjugés et stéréotypes entretenus parla
pensée dominante à propos de la sexualité en général et au sujet del'agression
sexuelle, des femmes et des agresseurs en particulier.31
29 Francine PARADIS (1992), pp. 15-22.
30I sabelle GAGNON et Micheline LEFEBVRE
(1991, p. 17) citent le juge Luc
Trudel, de la Cour du Québec, qui exprimait son
commentaire dans l'affaire R. c.
Frew, J.E. 90-1625
(C.A.).
31 Sur ce
point, Claire L'HEUREUX-DUBE (1991, p. 22) réfère aux résultatsrévélateurs d'un sondage réalisé en 1988 en Ontario. Il semble qu'un
"nombreétonnant de personnes" croient encore que : "les hommes
agresseurs ne sont pasdes hommes
normaux (...) ; les femmes provoquent
ou s'attirent souventl'agression sexuelle ; les femmes sont
agressées par des étrangers ; les femmes
acceptent souvent d'avoir des rapports sexuels, mais se plaignent ensuite de
violet enfin, existe le mythe connexe que
les hommes sont souvent déclaréscoupables à partir de faux
témoignages de la plaignante (...) que quand une femmedit non, cela ne veut pas
nécessairement dire non. "
Or, cette pensée
dominante est influencée par ceux qui possèdent lesmoyens
de production des biens culturels, notamment les produitspornographiques:
des hommes.
Cette pensée
masculine de la sexualité est effectivementreproduite
à travers des biens culturels et surtout par-delà les produitspornographiques. Or
l'influence de ces produits est telle que nousavons peine à remettre en cause les modèles
sexuels qu'ils
suggèrent32 et les pratiques dites sexuelles que propose lapornographie. Cette confusion,
conjuguée à l'argumentation sur le droit
à la liberté d'expression, débouche, entre autres, sur notre incapacité à
nous entendre sur ce que nous jugerions acceptable d'établir commedifférence entre la pornographie et
l'érotisme.33 Mais, plusgénéralement, elle engendre des
comportements quotidiens sexistesde la blague avilissante, au
harcèlement, au viol ou à tout autre type deviolence faite aux femmes... des
comportements dont les hommes neveulent surtout pas se culpabiliser.
En 1965,
McCaldon affirmait que, sur 30 violeurs, les deux tiers
niaient, d'une manière ou d'une autre, avoir commis un viol.34 En
1977,
32 Par
exemple, loin de renvoyer un portrait de la femme dans toute son intégralité,
l'industrie de la vidéo mise toujours et de plus en plus sur le stéréotype de
la
femme-objet pour vendre : Danielle STANTON (1992), pp. 6-10.
33
Le monde de la pornographie a été conçu et
organisé par les hommes, comme lemonde politique ou le monde économique. Nulle surprise alors de
constater queses produits conviennent principalement aux hommes, puisque la
satisfaction duplaisir sexuel qu'ils mettent en scène est celle du plaisir sexuel
masculin, à lamanière masculine : Marie-Françoise HANS et Gilles LAPOUGE, Les femmes,la pornographie, l'érotisme. Coll. Libre à elles, Paris, Editions du
Seuil, 1978,390 pages. Cette manière
sexuelle masculine suggère que la jouissance d'unefemme passe par la jouissance de l'homme qui utilise son corps. C'est
l'uti-lisation du corps de la femme à la seule fin du désir masculin, à la
manièremasculine, qui dénature l'érotisme. La pornographie se distingue de
l'érotisme ence qu'elle transforme des êtres en choses. De surcroît, lorsque les pornocrateslaissent libre cours àleur
imaginaire sanguinaire, il saute au yeux qu'il ne s'agitplus d'une expression quelconque d'érotisme, mais bien d'actes de
violence quin'ont d'éclat sexuel que celui que voudraient nous imposer ses
commerçants.
34
Marilyn G. STANLEY
(1985, p. 102) résume les données de R.J. McCALDON,
sur 116 cas torontois étudiés, Clark
et Lewis constataient que ladénégation était
encore le fait de la plupart des violeurs.35 À en jugerles résumés des conversations apparaissant
dans les rapportsgénéraux, les auteures notaient que
"la plupart des violeurs n'ont pasle sentiment de faire quelque chose
de mal, grâce à une opération derationalisation qui leur permet de
transformer le viol en "séduction" dela victime".36
Dans la
perspective masculine, l'agression sexuelle n'existe pas,seule
la "séduction" persiste à faire des ravages. Les propos desrépondants
de Fargier37, des hommes n'ayant jamais été inculpés pouragression sexuelle,
sont significatifs: les hommes ne violent pas, maisil leur arrive de "baiser par
force" et les femmes aiment bien, seloneux!38
S'il ne
s'agit plus ici de la vision patriarcale de la femme-machine-reproductive,
la définition des rapports hommes-femmes et de lasexualité
demeure strictement l'oeuvre des hommes. Or leur définitions'oppose
au droit des femmes d'exercer un contrôle absolu sur leurcorps.
Qui donc agira comme arbitre entre les perception et conceptionmasculines
et les droits des femmes? A entendre certains échos, tousles
magistrats n'aident pas nécessairement à imposer aux hommes lerespect
des droits des femmes.
"Rape",
(1967) 9 Canadian Journal of Corrections, 37.35
Ibid., p. 104.
L'auteure renvoie à Lorenne CLARK et Debra LEWIS, Rape : The
Price of Coercive Sexuality, Toronto, Canadian Women's
Educational Press,
1977.3fy
ibid., p. 104. L'auteure renvoie à Lorenne CLARK et Debra LEWIS, Rape : The
Price of Coercive Sexuality, Toronto, Canadian Women's Educational
Press,
1977." Ibid., p. 104.
L'auteure résume la conclusion de Lorenne CLARK et Debra
LEWIS (op. cit.).3° Parmi lesquels on compte
notamment un journaliste, un animateur, un architecte,
un étudiant
universitaire et un éducateur en centre d'accueil auprès de jeunes
hommes
agresseurs.
Cette cause en
soi n'a rien de l'agression sexuelle de typerépugnant. De fait, la plaignante n'a jamais poussé les hauts cris, nes'est pas
enfuie de son logement devant ce qu'elle a qualifié d'abus de
la part de l'accusé, n'a pas été blessée physiquement. En réalité, ellen'a décidé de porter plainte à la police
qu'après deux jours deréflexion (...) Bref, on pourrait
dire que la plaignante a porté plainte àla police au nom de sa liberté et de l'intégrité de sa personne en tantque femme et l'accusé aurait pu parler d'un
scénario intitulé "Les jeuxde l'amour et du hasard"39.
Pour résumer,
c'est au coeur des conditions de vie, différentes en
fonction des sexes, et de la définition masculine de la sexualité que seconçoit
l'agression sexuelle. Encore aujourd'hui, par le biais de sonstatut
professionnel, de la reconnaissance de son travail, des modèlesde
comportements véhiculés dans les biens culturels, la sur-valorisation
de l'homme se répercute sur les relations hommes-femmes
en termes de domination. Comment le système judiciaire gère-t-il lescontradictions
entre, d'une part, les problèmes que cause cette sociétésexiste
et, d'autre part, les droits égalitaires accordés aux femmes?Les
propos des juges cités symbolisent-ils un traitement sexiste descauses
d'agressions sexuelles? Les résultats de la collecte dedonnées, rapportés
ici, donneront sans doute quelques informationssupplémentaires sur le sujet.
39 Marie-Odile FARGIER (1976), chapitre 4.
Toutes les
données le confirment: toutes les instancesdécisionnelles
dans notre société sont encore contrôlées par de trèsfortes
majorités masculines. Il en est de même pour le systèmelégislatif,
qui définit les lois, et le système judiciaire, qui les interprète
et les applique.40 C'est pourquoi la définition des lois et des
règlesrelatives
au traitement judiciaire des causes d'agressions sexuellesdemeure
toujours influencée par des reliquats patriarcaux. Nousdonnerons
des exemples notoires de ces éléments de droitfondamentaux
qui vicient le traitement judiciaire en défaveur desvictimes.
Mais,
superposée à cette discrimination systémique, prend placeune
pensée individualiste qui, dans le traitement des causesd'agressions
sexuelles, pourrait vraisemblablement avoir les effetssuivants:
empêcher une
compréhension plus réaliste
des situationsd'agressions individuelles en faisant fi du
phénomène de société; et
accorder la priorité à des droits et intérêts individuels
particuliersaux dépens d'autres
droits individuels ou collectifs et de l'intérêtgénéral de la société.
Nous
distinguons les types de droits, individuels ou collectifs, etl'intérêt
général de la manière suivante.
Dans le cas
du traitement d'une cause, une personne peut-êtreindividuellement
lésée si ses droits ne sont pas respectés: il s'agit de
40 Pierre GRAVEL (1991), p. B2 ; Francine GAGNON (1991), p. 13 ; JocelyneRICHER (1992), p.
A-4.
droits individuels.
Cependant, si, dans un type de causes particulier,les
droits de personnes identifiées à un même groupe social sonttoujours
mis de côté, le système se trouve à léser la personne à titreindividuel,
mais aussi le groupe auquel elle appartient (ex.: les femmes,pour
les causes d'agressions sexuelles). On réfère alors à des droitscollectifs.
Finalement,
dans notre société, deux rôles principaux incombent
au système judiciaire: l'interprétation et l'application des lois de mêmeque
la protection de la société. S'il arrive que, dans l'exercice de sesfonctions,
il néglige systématiquement l'application de certains droitsindividuels
ou collectifs ou la protection d'un groupe en particulier, nousjugerons qu'il
indispose l'intérêt général. Effectivement, puisque lacohésion de notre société requiert que le
système judiciaire tienne
compte des différents droits dans l'interprétation et l'application deslois, sinon les groupes lésés perdront confiance en lui et en la sociétéqu'il représente.
En d'autres
mots, il nous semble que l'intérêt général de lasociété
commande une interprétation la plus intégrée possible des loispour
donner une application la plus uniforme des différents droits,indépendamment
des personnes impliquées.41 Dans cette optique lajuge
Claire L'HEUREUX-DUBE citait le juge La Forest. Si, d'une part,l'article
11 de la Charte reconnaît le droit pour un accusé à un procès
équitable, d'autre part, l'équité implique, commande même à mon avis,
qu'entrent également en ligne de compte les intérêts de l'Etat en tantque représentant du public. De même, les principes de justicefondamentale ont pour effet de protéger l'intégrité du système lui-
41 Est-il
utile défaire le lien entre une absence d'intégrité et d'uniformité dans l'ap-plication des lois et les récentes émeutes de Los Angeles pour
manifester contrele racisme du système judiciaire étasunien ? Même le président des
Etats-Unis adû se distancier de la décision selon laquelle on a acquitté quatre
policiers blancs
qui avaient tabassé un automobiliste noir.
même, car ils reconnaissent les intérêts légitimes non
seulement del'accusé, mais aussi de l'accusateur.42
En ce qui concerne la législation, l'interprétation et
l'application deslois
en matière d'agression sexuelle, il a été amplement démontré quenotre
société avait erré en discriminant défavorablement lesfemmes43
C'est d'ailleurs pour remédier à la situation que legouvernement fédéral s'est appliqué, depuis
au moins quinze ans, à enrevoir les lois et les règles de
preuve. Mais, visiblement, lesmentalités ne se transforment pas à
coups de décrets. Qu'il suffise derenvoyer à la dernière décision du
plus haut tribunal du pays sur cepoint et à l'application de la
notion de consentement pour illustrerl'état de la situation en ce
domaine.
Amenée à se
prononcer sur la constitutionnalité des articles 276et
277 du Code criminel44, en août 1991, la Cour suprême amajoritairement
déclaré que l'on ne pouvait interdire les interrogatoiressur
le passé sexuel des victimes. Ecartant alors tous les résultatsd'études
qui statuaient sur le préjudice occasionné à la plaignante dansle
cadre d'un tel interrogatoire45 les juges majoritaires ont décrété
quecet
interdit général allait à l'encontre des droits de l'accusé: droits à laliberté et la
sécurité, à un procès juste et équitable ainsi qu'à unedéfense pleine et entière. Cette décision a
été rendue sur laprésomption que la société avait
changé et que les juges ne sauraientplus, dorénavant, tolérer les
diversions sur le passé sexuel des
42 Claire L'HEUREUX-DUBE
(1991) citait le juge La Forest (R. c. Corbett,
1988),p. 71. (Souligné par L'Heureux-Dubé)
43 Marilyn G. STANLEY (1985).
44 Les articles
276 et 277 du Code criminel ont été reproduits à l'annexe 5
45 La juge
dissidente, Claire L'HEUREUX-DUBE (1991, pp. 64-67) réfère àplusieurs études qui ont démontré qu'une telle preuve (axée sur le passé
sexuel dela victime), loin de rationaliser la décision, oriente les décideurs en
fonction del'évaluation qu'ils feront alors de la victime.
victimes.46
Masquant l'enjeu du maintien ou de
l'abrogation de l'article 276,le jugement majoritaire s'est esquivé devant
l'objectif ultime dulégislateur, à savoir l'instauration
d'un droit égalitaire pour les femmes.En dehors de toute référence au
processus judiciaire hautement sélectifdans le cas de plaintes d'agressions sexuelles; en présumant que letraitement judiciaire discriminatoire
n'existait plus; sans égard pour lesdroits des femmes institutionnalisés
dans la Charte47, le jugementconsacre la priorité de protéger les
droits d'un individu menacé d'êtreprivé de liberté.
En fait, il
est à se demander si la position des juges majoritairesne
dissimulait pas en elle-même des croyances populaires en matièred'agression sexuelle.
Malgré que l'article 276 prévoyait des exceptionsà l'interdiction générale; malgré la tendance
antérieure des juges àaccepter une telle preuve; malgré
l'obligation pour la Couronne de faireune preuve hors de tout doute
raisonnable, les juges majoritairessemblent avoir craint l'effet de
plaintes mensongères. Comme sicelles-ci étaient courantes.
Par ailleurs,
n'ont-ils pas versé dans le préjugé et le stéréotypeen
véhiculant que les interrogatoires sur le passé sexuel pouvaient êtreindispensables,
même en dehors des exceptions prévues à l'article276?
46
Rappelons les résultats du sondage rapportés
par la juge dissidente, ClaireL'HEUREUX-DUBE (1991, p. 22) qui confirmaient, au contraire, que lesmythes, préjugés et stéréotypes relatifs à l'agression sexuelle, aux
femmes et auxagresseurs sont toujours vivaces à la fin des années quatre-vingts.
47
Principalement, les droits accordés aux
articles 7, 15 et 28 qui stipulentrespectivement les droits à la vie, la liberté et la sécurité de toute
personne ;l'égalité des droits de toutes et tous devant la loi, y compris les
femmes,plaignantes d'agressions sexuelles. Ce qui signifie que les victimes
d'agressions
sexuelles ont également droit à la liberté et la sécurité de même qu'à des
procèsjustes et équitables.
[TRADUCTION]
Les résultats des recherches en sciencessociales
viennent contredire les allégations que la preuve concernant lecomportement
sexuel contribue à l'appréciation des faits ou àl'application
du critère de la "vérité judiciaire". Loin de garantir une
audience "équitable" ou une défense pleine et entière, la
présentation
d'une preuve sur le comportement sexuel peut favoriser l'accusé d'unefaçon qui n'a aucun lien avec l'innocence. Ce genre de preuve a sur leprocès une incidence qui n'est pas neutre.48
Par sa
décision majoritaire, la Cour suprême du Canada n'a-t-ellepas
réhabilité des mythes, préjugés et stéréotypes auxquels legouvernement
fédéral, à l'issue de plusieurs années d'analyse, avaittenté
de remédier? Quoi qu'il en soit, comme suite à cette décision, la
ministre fédérale de la Justice, Kim Campbell, a déposé un projet de loiqui vise entre autres
à préciser la notion de consentement.
La notion de consentement est au
coeur du traitement judiciairede ce type de criminalité puisque, plus
souvent qu'autrement, l'accuséarguera que la plaignante avait
consenti. C'est en prétextant expliquersa croyance "honnête"49
au consentement qu'il voudra interroger lavictime sur son passé sexuel. Or,
vraisemblablement, comme le notentcertaines études, ce type
d'informations instruit peu ou pas sur lasituation d'agression et risque de
susciter des mythes, préjugés et
48 Principalement,
les droits accordés aux articles 7, 15 et 28 qui stipulentrespectivement les droits à la vie, la liberté et la sécurité de toute
personne ;l'égalité des
droits de toutes et tous devant la loi, y compris les femmes,plaignantes d'agressions sexuelles. Ce qui
signifie que les victimes d'agressions
sexuelles ont également droit à la liberté et la sécurité de même qu'à des
procèsjustes et équitables.
49 La culpabilité
d'un individu ne réside pas que dans la commission d'un actedéfendu ; elle s'évalue aussi à partir de son intention. Autrement dit,
le prévenuest reconnu coupable s'il a eu des contacts sexuels avec une personne
qu'il savaitnon consentante. Or, depuis l'affaire Pappajohn c. R., il suffit au
prévenu dedémontrer que des circonstances, mêmes extérieures à la situation
d'agression,justifient qu'il pouvait croire "honnêtement" au
consentement, même si cette croyance était déraisonnable. Voir Christine BOYLE (1991).
stéréotypes qui
empêcheraient la tenue d'un procès juste et équitablepour
la plaignante. De plus, selon certaines interprétations, letraitement
judiciaire actuel en matière de consentement impliqueraitl'accessibilité
générale des femmes puisque c'est la victime qui doitprouver
qu'elle a exprimé son refus.50
Bref, à la
lumière de ces informations, qui portent sur des pointsfondamentaux,
il apparaît justifié de supposer que l'héritage patriarcalmenace
encore l'évolution vers un Droit égalitaire. Mais il n'y a pasque
les reliquats patriarcaux qui handicaperaient cette évolution: lapensée
libérale classique, qui inspire l'administration de la justice, noussemble
empêcher une meilleure compréhension des types de criminalitéet
passer à côté de l'intégration des droits et de l'intérêt général.
La naissance des
sociétés dites démocratiques a vraisemblablementété
influencée par une philosophie qu'on a ensuite reconnue comme lapremière
pensée libérale, d'où son nom de philosophie "libéraleclassique".
Pour contrer les abus des pouvoirs autocratiques etpromouvoir
la liberté individuelle, les tenants de cette philosophie ontpréconisé
l'instauration d'une société civile où les pouvoirs législatif,exécutif
et judiciaire seraient assumés par des instances différentes.
Dans ce cadre
de référence, la société est mue et agit selon desvaleurs
et des normes qui font consensus. Celles-ci sont codifiéesdans
des lois définies par le législateur et appliquées par des hommesde
droit impartiaux. Et l'individu, qui partage ces valeurs et cesnormes,
s'en remet à la société pour le protéger contre lescontrevenants
au "contrat social". En tout et partout, les droits et
libertés de l'individu doivent être protégés; en revanche, lui seul est
50 Par exemple, c'est l'interprétation qu'en fait Christine
BOYLE (1991).
responsable de ses actes, de ses réussites
et de ses échecs.51
Que le Droit
et le système judiciaire responsabilisent lesindividus
à l'égard de leurs actes n'est pas en cause ici. Ce qui risquede
poser problème dans le traitement judiciaire des agressionssexuelles, ce sont
les bases de cette philosophie libérale classique,axée sur l'individu, le consensus social et
la neutralité du systèmejudiciaire. Ce qui pourrait gêner
dans cette philosophie, ce sont ses
effets possibles. Par exemple,
1)
l'absence d'une vision globale du phénomène de société
qu'estl'agression
sexuelle, ce qui empêcherait une compréhension réalistedes
situations d'agressions individuelles;
2)
la préséance des droits de l'accusé aux dépens de ceux
des autrestémoins;
3)
la préséance des droits et intérêts individuels aux
dépens de droitscollectifs
et de l'intérêt général.
L'individu d'abord
L'individu,
le consensus social et la neutralité de l'Etat, troisaxes
de la pensée libérale classique qui ont bien coloré l'évolution desvaleurs
de notre société de même que de ses modes d'organisation etde
fonctionnement.
Sans trop
insister sur cet aspect, la pensée libérale classique, quia
voulu protéger l'individu contre les abus de pouvoirs autocratiques,est
la source de nos valeurs et de nos modes d'organisation et de
51 Voir notamment Charles de Secondat de
MONTESQUIEU, De l'esprit des lois,Tome 1,1748, 432 pages et Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social,
1764.
fonctionnement, tous
reconnus pour promouvoir l'individualisme.L'individu
a des droits et libertés qu'il faut scrupuleusement protéger;par
ailleurs, il est seul responsable de sa réussite ou de son échec.
Sous cet
angle, la pensée libérale classique pourrait constituerune
embûche à l'accomplissement des deux rôles fondamentaux dusystème
judiciaire, à savoir l'intégration des lois et la protection de la
société civile, cela de deux manières. D'une part, si elle favorise uneadministration
du crime coupée de la réalité sociale. D'autre part, sielle
propose une lecture individualiste des droits, plutôt qu'une lecturedes
droits individuels en fonction des droits collectifs et de l'intérêtgénéral
de la société.
En d'autres
mots, selon nous, la philosophie individualistepourrait avoir pour
effet d'orienter le système judiciaire dans uneanalyse des situations d'agressions
strictement basée sur le faitindividuel, sans considérer la
réalité sociologique qui caractérise cetype de criminalité. En l'occurrence,
cette analyse du "cas-par-cas" netiendrait pas compte des
connaissances accumulées sur le phénomènequi démentent les mythes, préjugés et
stéréotypes véhiculés enmatière d'agression sexuelle.
Par
ailleurs, cette perspective individualiste pourrait engendrerune
administration de la justice qui manquerait de vision globale dansl'interprétation
et l'application des lois. Ce serait le cas si elle avaitpour
conséquences, d'une part, d'opposer des droits individuelsdifférents
et, d'autre part, de négliger les droits collectifs et l'intérêtgénéral.
Il nous semble qu'alors elle contribuerait à édifier une justicequi juxtaposerait des
intérêts individuels au lieu de tisser des liensentre eux en fonction des droits collectifs
des groupes sociaux et del'intérêt général de la société.
D'ailleurs, à cet égard, la dernièredécision de la Cour suprême en
matière d'agression sexuelle est truffée de silences
éloquents.
Dans une
perspective individualiste, la question principale selonles
juges était: acceptons-nous, comme société, de risquer decondamner un innocent,
faute pour lui d'avoir pu établir tous leséléments de preuve nécessaires à sa défense?
En pratique,
en posant la question principale dans ces termes, endehors
de la réalité sociale, les juges majoritaires ont réduit les droitsdes
femmes plaignantes: notamment, leurs droits à la liberté, àl'intégrité
comme témoins et à des procès justes et équitables. Il ontnégligé
l'intérêt général de la société pour promouvoir un droitindividuel
à la liberté, du reste, amplement protégé par l'obligationd'une
preuve faite hors de tout doute raisonnable.
Concrètement,
lorsque les premiers juristes du pays déclarentque
la liberté d'un innocent a préséance sur les droits d'une plaignante
en tant que témoin, ils opposent les droits de l'accusé à ceux de laplaignante.
Lorsqu'ils négligent d'appliquer les droits des plaignantesen
conformité avec ceux des accusés, ils mettent en veilleuse certainsdroits
pour les femmes plaignantes d'agressions sexuelles.Finalement,
considérant les résultats de recherche qui avaient suscitéles
modifications législatives, il semble qu'ils réorientent le systèmejudiciaire
vers un traitement discriminatoire des cas d'agressionssexuelles,
ce qui serait contraire aux droits collectifs des femmes et à
l'intérêt général.
Ce qui précède
illustre déjà quelques écueils que pourrait poser
la perspective individualiste du point de vue de l'intérêt général.Nommément,
parce qu'elle semble favoriser une administration de la
justice plus alimentée aux mythes, préjugés et stéréotypes qu'aux faitsvérifiés.
Egalement, parce qu'elle pourrait inspirer une administration
de la justice qui privilégie les droits d'une partie par opposition à ceux
d'une autre. Et, finalement, parce que ce traitement des
causesd'agressions sexuelles pourrait se
répercuter sur la qualité de laprotection accordée aux femmes.
Cependant, il est d'autres aspects dutraitement judiciaire qui pourraient
faire l'objet de quelquesinterrogations, par exemple, le
fonctionnement de notre systèmejudiciaire.
Dans le
système judiciaire, l'avocat ou l'avocate, comme touttravailleur
ou travailleuse dans un autre champ d'activité, est perçucomme
seul responsable de sa réussite ou de son échec professionnel.Comment
ces personnes conjuguent-elles leur intérêt professionnelindividuel
à l'intérêt général? Il fut un temps où la priorité allait àl'intérêt
individuel.
"J'ai
minutieusement relevé dans le dossier tout ce qui pouvaitconforter la
thèse des inculpés, et avec tous les avocats de la défense,
je me suis lancé dans une explication de l'affaire que je savais tout àfait fausse: je me suis appliqué à démolir
la victime en montrant qu'aufond elle l'avait bien cherché.
"
Ce style de défense (...)
"tous ou presque nous l'avons pratiquéeen priorité, et longtemps, (...) parce que
c'est celle qu'on nous avaitapprise, et nous l'avions apprise
parce que la règle d'or dans ce métier,c'est de dire au juge ce qu'il lui
plaît d'entendre.52"
Ce que certains aspirants avocats
ou avocates retenaient doncde leur formation, ce n'était pas de
faciliter la découverte de la vérité,c'était de savoir quoi dire pour
gagner leur cause, dussent-ils tabler surdes mythes, préjugés et stéréotypes
préjudiciables à toutes lesfemmes. Et, puisque les juges, avocats
et avocates sont entre pairs
52 Marie-Odile FARGIER (1976, p. 112) cite
un avocat de la Défense.
qui comprennent que leur tâche n'est
pas toujours facile, le systèmejudiciaire
se faisait compréhensif. La question sera de savoir s'il enétait
toujours ainsi en 1987 et si cette compréhension du systèmejudiciaire
versait dans le laxisme par rapport au respect des droits desparties
et à l'égard de l'intérêt général
Dans un
autre ordre d'idées, la pensée libérale classique véhiculel'incontestable
légitimité de l'Etat et du Droit sur la base de deuxcroyances:
l'existence d'un consensus parmi tous les citoyens etcitoyennes quant à l'ordre social à
privilégier et, l'impartialité de l'Etatet du Droit, agissant pour le bien
commun. Ces croyances ont-ellesdes effets sur le traitement
judiciaire des agressions sexuelles?
Le consensus social
et l'impartialité de l'Etat et du Droit: mythes ou réalités?
Au sujet du
consensus, nombre d'analyses sociologiques, commenombre
de faits d'actualité, ont mis depuis longtemps en lumière quetous
les citoyens et citoyennes ne s'entendent pas sur les élémentsdevant
définir l'ordre social. C'est ce qui explique les oppositions desgroupes
quel que soit le sujet à l'ordre du jour: en matière d'avortements'opposent
les groupes pro-vie et pro-choix; en
matière dedéveloppement
économique se confrontent les écologistes et lesentrepreneurs;
en matière constitutionnelle se tiraillent souverainisteset
fédéralistes; en matière de légalisation des drogues se confrontentprohibitionnistes
et anti-prohibitionnistes; en matière de libre-échange...
C'est d'ailleurs en remettant en cause ce prétenduconsensus
social que des criminologues ont vu dans la criminalité uneexpression
des conflits sociaux qui surgit dans des situationsd'inégalité
économique, sociale et politique.53
53 Notamment, Ian TAYLOR, Paul WALTON et Jock YOUNG (The newcriminology : For a social theory of deviance, London, Routledge & Kegan Paul,1981, chapitre 8) expliquent cette pensée en référant aux ouvrages qui
lui ont
Constater
l'inexistence du consensus social conduitinéluctablement
à s'interroger du même souffle sur l'impartialité de
l'Etat et du Droit. Le législateur, nous dit-on, est une instance neutrequi
légifère dans "l'intérêt commun"; le système judiciaire, tout aussineutre,
assure la justice et la sécurité et, en son sein, "le droit pénal,en
réagissant aux atteintes aux valeurs fondamentales de la société,protège
l'ordre social".54 Pourtant, si l'état de droit est souhaitableparce
que tout individu a des intérêts à protéger, les femmes et leshommes
d'État et de droit ne doivent pas faire exception.
Dans ce
contexte, que valent les principes, les règles et lescritères
absolus édictés et appliqués par l'Etat et le Droit? Sont-ils sineutres
et impartiaux? Selon nous, leur pertinence se mesure auxeffets
qu'ils ont sur l'application de toutes ces valeurs démocratiquesqu'ils
disent vouloir soutenir.55 À ce titre, l'histoire encore récente dutraitement
judiciaire des causes d'agressions sexuelles nous enseigneque
ni l'Etat ni le Droit ne se sont particulièrement distingués par leurneutralité
et leur impartialité: il a fallu des pressions et desdémonstrations
scientifiques incessantes pendant des décennies de lapart
des groupes féminins et féministes pour que l'Etat convienne quele traitement
judiciaire des causes d'agressions sexuelles étaitdiscriminatoire à l'endroit des femmes et
qu'il se devait d'en changer laphilosophie et les règles. Nous
verrons si, depuis, le systèmejudiciaire a su se montrer plus
neutre, d'une part, en intégrant dans sonanalyse et son traitement des causes
d'agressions sexuelles les donné
naissance et l'ont alimentée.
54 Pierre
LANDREVILLE, Normes sociales et normes pénales ; notes pour uneanalyse socio-politique des normes, Coll.
Les cahiers de l'Ecole de criminologie,Montréal, Université de Montréal,
1983, p. 1.
55 C'est ce que semble affirmer la juge Claire
L'HEUREUX-DUBE (1991),
Comme cela a
été expliqué en introduction, en 1986, trois ansaprès
les dernières modifications législatives d'importance en matièred'agression
sexuelle, il semblait aux intervenantes des centres d'aideque
les nouvelles mesures n'avaient pas fondamentalement transforméle
traitement judiciaire des causes d'agressions sexuelles. Lequestionnement
que continuaient de susciter les pratiques auxdifférentes
étapes du processus judiciaire a incité le Regroupementquébécois
des C.A.L.A.C.S. à rassembler les ressources nécessairespour
la réalisation d'une étude sur le sujet.
Initialement,
l'équipe responsable de la recherche aurait souhaitépouvoir
mener à terme une collecte de données dont les résultats
quantitatifs auraient permis de tracer un portrait représentatif de lasituation
québécoise en cette matière. Toutefois, le manque deressources
financières et le difficile accès aux données ont eu raison dece
projet. Ayant également à composer avec d'autres restrictions,notamment
liées au mode de collecte de données, l'équipe a finalementconvenu
qu'elle s'intéresserait à toutes les causes dont les décisions
finales ont été rendues entre le premier janvier et le 31 mars 1987 et,ce,
dans tous les districts où le Regroupement comptait des centresmembres. Il en
résultait un échantillon de 17 causes, duquel deuxcauses ont été retranchées, faute de n'avoir
pu obtenir lestranscriptions des enquêtes
préliminaires.
Cependant,
même en ayant restreint l'ampleur de l'étude, il fautmentionner
que la difficulté d'obtenir des dossiers complets a largementcontribué
à retarder tout son déroulement. Le fait que cette simpleopération
ait presque relevé de la haute voltige n'est d'ailleurs passans
nous laisser perplexes quant à l'accessibilité des informations en
matière de recherche.
Quoi qu'il en soit,
portant sur un nombre réduit de cas qui ne répondent pas
nécessairement aux critères de représentativité d'unéchantillon,
il va sans dire que les résultats de cette collecte dedonnées
ne sauraient être considérés comme représentatifs d'unesituation
générale. Pas plus, ils ne doivent être considérés commereprésentatifs
de la réalité vécue par les femmes qui s'adressent auxcentres
d'aide membres du Regroupement.
Effectivement,
pour profiler le traitement judiciaire des victimesqui sont accompagnées
par les intervenantes du Regroupement, ilaurait fallu s'en tenir au profil des
personnes qui s'adressentgénéralement à ses membres. Cependant,
ces résultats n'ensoumettent pas moins des éléments de
réflexion pour expliquer lemalaise des intervenantes face au
traitement judiciaire des causesd'agressions sexuelles.
Cette
deuxième partie explique premièrement la méthode detravail
suivie pour la réalisation de cette recherche de typeexploratoire.
En deuxième lieu, elle profile les causes auxquelles lesrésultats
de l'étude s'appliquent.
La
méthodologie suivie par l'équipe de recherche se définit entermes
d'étapes de travail, de méthodes d'observation et de techniquesde
collecte de données. Ces trois aspects sont traités concurremmentpar
le biais de l'explication de chacune des étapes du processus de recherche
suivi.
Essentiellement, la
démarche méthodologique peut se résumer
56 Cette section résume le cadre
de recherche tel qu'il a été formulé par Lise
LAFRANCE dans un document préliminaire intitulé "Proposition d'une
piste derecherche pour le compte du Regroupement des CALACS", [Sherbrooke],septembre 1986.
en quatre étapes: la
définition de l'objet d'étude, la détermination de laméthode
d'observation et des techniques de collecte de données, la
classification des informations, puis l'analyse des résultats.
La définition même
de l'objet d'étude a comporté deux procédures si-d'étude multanées: la
réalisation d'une revue de littérature préliminaire et la consultation des intervenantes de
chacun des centres d'aide membresdu
Regroupement. Des résultats de ces démarches concurrentes,Lise
Lafrance a dégagé une piste et une stratégie de recherche qui ontjeté les bases de
cette étude.57
Eu égard aux
différents aspects touchés par la littérature enmatière
d'agression sexuelle et en considération du questionnement
des intervenantes, le traitement réservé aux femmes au cours duprocessus
judiciaire s'avérait l'objet d'étude tout désigné. Toutefois,compte
tenu des ressources humaines et matérielles disponibles demême
que du temps qu'aurait requis une telle enquête menée à traversl'ensemble
du processus judiciaire, il est apparu pertinent de s'en tenirà
l'examen des enquêtes préliminaires, des procès et de quelquesplaidoiries.
Toujours pour
des raisons de ressources financières etd'accessibilité
des données, l'équipe a décidé de restreindrel'échantillon
selon deux autres critères: d'abord, en privilégiantl'analyse
des causes instruites dans les districts judiciaires oùoeuvrent
les centres membres du Regroupement, puis en se limitantaux
audiences tenues entre les premier janvier et 31 mars 1987.
C'est dire
que l'objet d'étude réside finalement dans l'analyse dutraitement
judiciaire de causes d'agressions sexuelles instruites dans
57 Lise LAFRANCE, "Les femmes
agressées sexuellement et le système judiciairecanadien - Recherche", [Sherbrooke], octobre 1986.
sept districts judiciaires québécois
entre le premier janvier et le 31mars
1987. Cette analyse est basée sur la lecture des enquêtespréliminaires
ou des procès instruits et sur l'examen de troisplaidoiries.
En tout, l'échantillon final comporte 15 causes.58
À l'origine, l'intention était de mener
une recherche-action où lesintervenantes des centres d'aide, dans
l'exercice de leur fonctioncomme accompagnatrices, auraient
recueilli les informations enobservant ledéroulement des procédures. Cependant, malgré tous lesattraits
d'untel mode, la recherche-action était coûteuse
en temps.
Par surcroît, une collecte de données par autant d'observatricesmenaçait
l'uniformité dans la catégorisation des informations.
Bref, il a finalement été résolu
que la lecture des transcriptionsdes enquêtes préliminaires, des procès et des
plaidoiries par uneseule personne permettrait
d'atteindre l'objectif de la recherche tout enrespectant les restrictions
budgétaires et temporelles.Cette lecture devait évidemment
donner prise sur les élémentsimportants qui nourriraient
ultérieurement la description des aspectssuivants:
les
procédures judiciaires: les
informations sur les
chefsd'accusation, les
délais entre chaque étape, le verdict...;
l'échantillon: les informations sur l'agression, la
victime, l'accusé;
le
contenu des interrogatoires et contre-interrogatoires et
la
stratégie mise de l'avant dans quelques plaidoiries.
Les outils de collecte de données
nécessaires, conçus dans ledessein
de mener une recherche-action, demeuraient les mêmes. Il
Voir la liste des causes retenues pour l'étude en annexe 1.
s'agissait de colliger les
informations recherchées en appliquant troisgrilles
de lecture qui mettent en relief chacun des aspectssusmentionnés.
Par ailleurs, histoire d'apprécier l'importance desdifférents
sujets traités par rapport à la stratégie globale adoptée danscertaines
causes, il a été convenu de jeter un coup d'oeil sur quelques
plaidoiries.
La conception et l'application des
grilles de lecture ont étémarquées par la préoccupation première de
fournir une description brutede la réalité, avec le moins
d'interprétation possible. Ce n'est qu'enparallèle qu'une interprétation est
soumise en fonction des élémentsd'analyse expliqués en première
partie. C'est ainsi que le chapitre troisvéhicule cette double image du
traitement judiciaire: d'une part, unedescription brute de la réalité,
principalement profilée par des tableauxet des chiffres et, d'autre part,
l'interprétation, inspirée par la teneur ducontenu des audiences.
Donc, en ce
qui concerne les deux premiers aspects composant leportrait
du traitement judiciaire, soit la description des procédures et del'échantillon,
les informations étant d'ordre factuel, elles ne laissentplace
à aucune interprétation quant à la manière de lesretransmettre.59
Par contre, le relevé des sujets abordés par laCouronne
et la Défense en interrogatoires et contre-interrogatoires
aurait pu donner lieu à des catégorisations diverses. Pour s'en tenir àla
lettre de leurs questions ou commentaires, la grille de lecture
élaborée pour caractériser leurs interventions auprès des témoinsdevait
donc être conçue à partir des questions elles-mêmes. Les typesde
questions ont eux-mêmes été regroupés en catégories en vertu dulien
qu'ils entretiennent avec l'agression. C'est ainsi que cette seulegrille
de lecture comporte sept catégories de sujets et 40 sujets
59 Voir les grilles de lecture des annexes
2 et 3.
types.60
Il est à
noter que cette catégorisation nominale des interventionsempêche
pratiquement toute interprétation dans la classification.Autrement
dit, aucune question ou aucun commentaire n'est classifiépour
ce qu'il vise implicitement à mettre en évidence ni pour lessentiments, préjugés
ou stéréotypes qu'il tente de susciter: il estcatégorisé par le sujet qu'il aborde
nommément. Ce n'est que dansl'interprétation, formulée
parallèlement, que ressort la teneur desinterventions resituées dans leur contexte.
Après avoir été conçues encollaboration avec les intervenantes
et à partir de la consultation dedocuments (plumitifs et enquêtes
préliminaires), les grilles ont subideux pré-tests. Principalement, ceux-ci ont permis d'affiner lesinstruments de collecte de données à
plusieurs égards:
en retranchant toute information qui n'était pas
directement liée àl'objet
d'étude;
en déterminant des catégories et des sujets types
clairementdistincts
et exclusifs les uns des autres;
en
formulant des sujets types qui indiquent à quelle personne onréfère (victime, accusé ou tiers).
En ce qui
concerne les plaidoiries, il s'agissait d'essayer d'avoiraccès
à celles qui concluaient des causes où toutes les informationsavaient
été rendues disponibles afin de dégager la stratégie en
connaissant tous les renseignements qu'avaient pu dévoiler lesprocédures.
C'est dire que les plaidoiries de plusieurs causes n'ont pasété
demandées, soit parce que les procédures avaient avorté, soitparce
que les témoignages des victimes étaient absents. De plus,nous nous sommes
également abstenues de demander les causes où
60 Voir les grilles de lecture des
annexes 2 et 3.
les accusés avaient plaidé coupables. Bref, nous avons réussi à obtenir
la transcription de trois plaidoiries.
Évidemment,
il n'est pas question de soutenir quelque conclusionque
ce soit sur les stratégies générales des avocats et avocates enmatière
de traitement judiciaire des causes d'agressions sexuelles. Auplus,
ces informations fourniront un aperçu de l'importance que peuventavoir
les différentes catégories d'information dans l'argumentationfinale.
Une fois les instruments de collecte
de données fin prêts, plumitifs,enquêtes
préliminaires ou procès des quinze causes ont étédécomposés
suivant deux étapes: la codification de chaque élémentpertinent
en vertu des grilles et leur dénombrement par catégoried'informations
ou par sujet type préalablement déterminé. Partant desrésultats
de cette classification, il devenait possible de dégager leportrait
du traitement judiciaire des causes de l'échantillon. Ceportrait
est présenté sous divers angles dans la troisième partie decet
ouvrage.
Après avoir présenté les résultats de la collecte de
données, noussuggérons
une analyse où seront intégrées les interprétations faitessur
le contenu des audiences. Cette analyse s'articulera autour deséléments
soulevés en première partie, dans la mesure où ilscaractériseront
le traitement judiciaire des causes de notreéchantillon.
Comme en fait
mention l'explication de la démarche
méthodologique, l'équipe responsable de la recherche n'a passélectionné
en tant que tel les causes desquelles elle tire un portraitindicatif du
traitement judiciaire des cas d'agressions sexuelles. Ils'agit simplement de 15 causes dont la
décision finale a été rendueentre le premier janvier et le 31
mars 1987 et ce, dans les districtsjudiciaires québécois où oeuvrent des
centres membres duRegroupement québécois des C.A.L.A.C.S. A ce titre, l'équipe nevisait pas à établir un échantillon dont les
caractéristiquescorrespondraient à celles de
l'ensemble des causes instruites enmatière d'agression sexuelle au
Québec durant cette période.
De plus,
l'absence de statistiques caractérisant cet ensemble decauses
empêche de situer l'échantillon à l'étude par rapport à toutes les
causes de même nature instruites au Québec sur une période donnée.Effectivement,
si les statistiques informent maintenant sur le nombrede
plaintes, leur répartition selon les chefs d'accusation, le taux deplaintes
déclarées fondées, le taux des verdicts d'acquittement...; si lesstatistiques
renseignent également sur les caractéristiques de lavictime,
de l'agresseur et de l'agression, aucune ne décrit le profil descauses
qui sont réellement jugées, ni des personnes qui y sontimpliquées.
Par ailleurs,
il serait hasardeux de tenter de situer cet échantillonpar
rapport à l'ensemble des plaintes étant donné l'ampleur et la naturedu
filtrage de l'appareil judiciaire. Seulement la moitié des plaintes
jugées fondées font l'objet d'une mise en accusation.61
De plus, il est
6l Plus précisément, en 1988, 55%
de plaintes jugées fondées ont fait l'objet d'unemise en accusation au Québec et 48% au
Canada : Julian V. ROBERTS (1990),pp. 41-42.
vraisemblable que les préjugés et
stéréotypes, ayant influencé cefiltrage, confèrent à ces causes des
caractéristiques qui les distinguentde l'ensemble des plaintes déposées.62
Par exemple,
notre échantillon comporte 16 mineures sur 23, cequi
donne une représentation de près de 70% de ce groupe d'âge parmiles
victimes. S'il est vrai que les études antérieures établissentclairement
qu'une forte proportion des victimes seraient âgées entre 12et
25 ans, nulle part ailleurs le pourcentage des mineures n'égale70%.63
Les plaintes impliquant des victimes mineures sont-elles plusfréquemment
jugées fondées? Donnent-elles systématiquement lieu àdes
mises en accusation? La littérature ne fournit pas d'indice à cechapitre,
si ce n'est qu'effectivement l'âge de la victime est l'un desfacteurs
qui influencent le classement par mise en accusation.64
Bref, le tout pour dire que ce que nous
connaissons du filtrage
62
Ce phénomène a été amplement décrit depuis
plus d'une décennie, notammentdans les ouvrages suivants : Célyne LACERTE-LAMONTAGNE et YvesLAMONTAGNE (1980) ; Danièle DROLET (1981) ; Marilyn G. STANLEY(1985) ; Elizabeth
A. SHEEHY
(1987), Claire L'HEUREUX-DUBE (1991) ;Isabelle GAGNON et Micheline LEFEBVRE
(1991). Après avoir adopté lesmodifications législatives de 1983,
qui tentaient de rendre le traitement judiciaireplus objectif, le gouvernement du
Canada est à nouveau interpellé.
Toutes lesétudes qu'il a commandées pour
évaluer l'impact de ces nouvelles dispositionssont unanimes : seul le taux de
signalement des plaintes a augmenté. Le systèmejudiciaire demeure hautement
"sélectif en matière d'agression sexuelle : CiselaRUEBSAAT(1985) et Ministère de la
Justice du Canada (1990).
63
Deux sondages du gouvernement fédéral
indiquent que la majorité des victimessont âgées de moins de 25 ans : Robin F. BADGLEY (1984) et Solliciteurgénéral du Canada (1985). Par ailleurs, Diane KINNON (Rapport sur
l'agressionsexuelle au Canada, Ottawa, Conseil consultatif canadien sur la
situation le lafemme, décembre 1981) évaluait plus précisément à 51,1% le pourcentage
desvictimes âgées de moins de 20 ans et à 31,9% celui des victimes âgées de
15 à 19ans. De son côté, la Table de
concertation sur les services aux victimesd'agression sexuelle du Montréal Métropolitain (Statistiques, 1989)
estimait que24% des victimes étaient mineures.
Toutes ces données sont résumées dans
May CLARKSON (1986), p. 14 et Brigitte ROULEAU (1991), pp. 12-13.
64 Célyne
LACERTE-LAMONTAGNE et Yves LAMONTAGNE (1980), pp. 78-79; Marilyn G. STANLEY
(1985), pp. 39-40.
judiciaire semble
contre-indiquer toute comparaison descaractéristiques
de notre échantillon avec les caractéristiques connuesde
l'ensemble des plaintes. Par ailleurs, cet échantillon ne peut nonplus
être situé par rapport à l'ensemble des causes qui sont instruitespuisque
aucune statistique ne définit les traits de cet ensemble.Malgré
tout, des statistiques relatives à l'ensemble des plaintes seront
parfois rappelées, à titre informatif. Elles permettront de rappeler quenotre
échantillon regroupe plusieurs caractéristiques connues del'ensemble
des causes.
Un autre
trait, qui apparaîtra sans doute singulier, caractérisenotre
échantillon: la présence de deux causes impliquant des victimesde
sexe masculin.
Étant donné
que le questionnement des intervenantes descentres
concernait le traitement de causes opposant une victimeféminine et un
agresseur masculin, c'est cette problématique qui aguidé l'évolution de cette recherche, de la
définition de l'objet d'étude àl'analyse. Dans ce cadre, pourquoi
avoir conservé des causes quiopposent une victime masculine et un
agresseur masculin?
À la lecture
de ces deux causes, et plus précisément encomparant
leur traitement à celui des cas où les victimes étaient desexe
féminin, il est apparu que les différences entre les verdicts et lessentences
nous ont étonnées. Nous avons cru que la réflexion qu'elle asuscitée
s'inscrivait parfaitement dans les termes de la problématique,telle
que nous la percevions, étant entendu que, sous cet aspect,comme
sous les autres, nul résultat ne saurait être généralisé.
Donc, pour
le décrire plus précisément, l'échantillon comporte 15causes,
ayant été instruites dans sept districts judiciaires québécois etimpliquant
23 victimes et 16 accusés. Dans l'ordre, les tableauxsuivants
informent sur la répartition géographique des causes, les chefs
d'accusation retenus en matière d'agression sexuelle de mêmeque sur les victimes, les accusés et les
agressions.
Le tableau 1
montre que l'échantillon comporte des causes quiont
été instruites à travers près de la moitié des seize districtsjudiciaires
québécois, aussi bien dans des centres urbains que desrégions périphériques.
Le tableau 2 indique que, dans la
plupart des cas, le chefd'accusation retenu en matière d'agression
sexuelle est celuid'agression sexuelle dite simple. La
prédominance de ce typed'agressions est également traduite
dans toutes les statistiques sur lesujet.65
65 Julian V. ROBERTS (1990), pp. 24-25; Brigitte ROULEAU (1991),
p. 3
Tableau 1
Répartition
géographique des causes
Tableau 2
Répartition des causes
selon les chefs
d'accusation en matière d'agression
sexuelle
66 Les
numéros des articles auxquels on réfère sont ceux qui apparaissaient sur les
plumitifs. Des changements législatifs ont eu lieu depuis, c'est ainsi
que lesactes anciennement prohibés par les articles 246.1, 246.2 et 246.3 sontmaintenant stipulés aux articles 271, 272 et 273(1). [???????]
exploitation sexuelle, complot. Deux de
ces accusés ont été acquittéssous le chef d'agression sexuelle, mais
reconnus coupables, pour l'un,de grossière indécence et, pour
l'autre, d'exploitation sexuelle.
Comme il en a
été question plus haut, le tableau 3 illustre que
l'échantillon regroupe une proportion de victimes mineures plus élevéeque
celle traduite par les résultats d'études antérieures sur l'ensembledes
victimes. La sous-représentation conséquente des victimes âgéesde
plus de 19 ans laisse d'ailleurs perplexe67: les femmes de cesgroupes
d'âge sont-elles moins enclines à déposer des plaintes? ouest-ce
parce que leur dossier chemine plus difficilement à travers legoulot
du système ?68
67 Rappelons
que selon Diane K1NNON (op. cit.) et la Table de concertation sur les
services aux victimes d'agression sexuelle du Montréal Métropolitain (op.
cit.),les femmes de ces groupes devraient composer entre 50 et 75% des
victimes.
68 Des recherches antérieures ont effectivement dévoilé que
le classement d'uneplainte dépendait largement du profil de la victime pour deux raisons :
à cause desexigences en matière de démonstration de la preuve, lesquelles étaient
empreintesde croyances, préjugés et stéréotypes relatifs au viol, et également à
cause despréjugés et
stéréotypes du corps policier lui-même. Ainsi l'âge, le statutmatrimonial et l'occupation de la victime
constituaient des facteurs importantsdans la détermination de sa
crédibilité. La victime la plus susceptible d'obtenirque sa plainte soit jugée fondée
était une personne vivant sous contrôle parental
ou matrimonial, ayant une occupation "respectable" et un mode de vie
"stable".L'existence d'une relation quelque
peu étroite avec l'accusé, le fait de s'êtrevolontairement rendue sur le lieu de
l'agression ou d'avoir consommé de l'alcool,le fait d'être une femme séparée ou
divorcée, d'être désoeuvrée ou d'être uneadolescente en fugue rendait improbable toute mise en accusation. Voirnotamment : Célyne LACERTE-LAMONTAGNE et
Yves LAMONTAGNE(1980), p. 42 et pp. 77-78 ; Marilyn G. STANLEY (1985), pp. 39-40 et
ClaireL'HEUREUX-DUBE (1991).
Tableau 3
Répartition des victimes selon les groupes d'âge
Autres
particularités de l'échantillon, parmi les victimesmineures,
quatre étaient âgées de moins de 12 ans au moment del'agression.
Cependant aucun de leurs témoignages n'a été rendu
disponible. Dernière précision, parmi l'ensemble des victimes, deux
sont de sexe masculin, des jeunes hommes mineurs. Le témoignaged'un
seul d'entre eux a été rendu disponible.
Au total,
l'échantillon comporte les témoignages de 18plaignantes et un
plaignant dans 13 causes différentes. De cestémoignages, trois ont eu pour effet
d'empêcher toute démonstration de
la preuve de la Couronne. Dans tous ces cas, les plaignantes étaient
conjointe, ex-conjointe ou belle-soeur de l'accusé. L'une d'entre elles ademandé le retrait de sa plainte;
deux autres ont déclaré avoir mentilors de leur déposition.
Au sujet de l'âge
des accusés, hormis le fait que l'échantillon ne met en cause aucun agresseur de moins de 18 ans, il indique que
celui-ci
peut être un homme de tout âge.69 Car, tous les accusés, ici, sont
desexe
masculin, ce qui correspond au portrait de l'agresseur typerapporté
par toutes les statistiques jusqu'à ce jour.70
Sur 16 accusés, 6 ont
témoigné et 2 ont enregistré un plaidoyerde
culpabilité.
Tableau 4
Répartition des accusés
selon les groupes d'âge
Parmi 111 agresseurs, l'échantillon de
Diane KINNON (op. cit.) comptait 38% dejeunes hommes âgés
de 15 à 19 ans et 15% âgés de 20 à 24 ans : Brigitte
ROULEAU (1991), p. 15.
Robin F. BADGLEY (1984, p. 233) évaluait à 98,8 le
pourcentage d'agresseurs
de sexe masculin. Le ministère de la Justice du Canada (1990, p. 47) notait laconstance du fait que, indépendamment des
régions et des périodes étudiées, 99%des agresseurs sont de sexe
masculin.
En ce qui
concerne les faits caractérisant les agressions,plusieurs
commentaires s'imposent soit par rapport à la classificationdes
données, soit au sujet de la réalité qu'ils dépeignent.
A propos du classement des
informations, plusieurs noterontsans doute l'absence de la catégorie
"aucune" sous la rubrique"Conséquences physiologiques ou
psychologiques de l'agression". En
fait, celle-ci avait été prévue lors de la conception des instruments decollecte de données. Cependant la
classification des cas dans cettecatégorie n'a pas résisté à
l'analyse. Deux particularités dudéroulement des procédures marquent
l'impossibilité de différencier les
cas où il n'y a aucune répercussion des autres cas: la quasi-absence detraitement des conséquences
physiologiques ou psychologiques et lestémoignages des victimes.
Parmi les
quinze avocats de la Couronne ayant plaidé les causesà
l'étude, deux seulement ont abordé la question des répercussions
physiologiques ou psychologiques. En d'autres cas, même lorsque derares
victimes évoquent, au passage, des répercussionspsychologiques,
celles-ci ne font l'objet d'aucune demande de précisionde
la part de la Couronne. Conséquemment, elles ne sont pasclairement
identifiées ou définies.
Le deuxième
trait du déroulement des procédures qui rendimpossible
l'application de la catégorie "aucune" est que, en l'absencede questions directes
sur les conséquences physiologiques oupsychologiques de l'agression, il est fort
probable que la victime n'enfera aucune mention. Cette
présomption se fonde sur la forme et lefond des réponses des plaignantes aux
questions qui leurs sontposées. Les témoignages des victimes
se caractérisent généralementpar des réponses brèves qui s'en
tiennent strictement aux questions qui sont posées.
Cet état de
fait influence doublement la classification. D'une part,puisque
la catégorie "aucune" est inapplicable, il faut la retrancher.D'autre
part, s'il est inexact de déduire qu'il y a absence derépercussion
lorsque le sujet n'est pas abordé, la classification la plusjudicieuse des causes
où les conséquences physiologiques ou
psychologiques n'ont pas été discutées serait dans la catégorie"information manquante". Voilà pour
les considérations méthodologiques sur ce classement.
Au sujet de
la réalité profilée par les informations, elle ressembleà
celle décrite par des études antérieures ou s'en distingue,
dépendamment des aspects et des sources bibliographiques. Netenant
compte que des cas où les informations sont disponibles, lesagressions
dont il s'agit ici se caractérisent par les éléments suivants:
Plus souvent qu'autrement, le lieu de l'agression était
le domicile dela
victime ou de l'accusé.
L'agresseur et la victime étaient seuls.71
Toutes les victimes connaissaient leur agresseur et 14
d'entre ellesont
été abusées par des proches.
Huit victimes sur 1972 ont subi des actes de
violence autres quel'agression
sexuelle elle-même, dont une a connu plusieurs types deviolence.73
71
A l'exception d'une cause où il y avait deux
accusés, les autres cas impliquantplusieurs victimes représentent des situations d'abus qui se sont
échelonnées surune longue période à l'encontre de mineures abusées individuellement.
72
Lorsque le témoignage des victimes n'était
pas disponible, les cas ont été classésdans la catégorie "information manquante".
73
Selon les résultats d'études antérieures, il
ressort essentiellement que la majoritédes agressions ont lieu chez l'une des parties en cause et que celles-ci
se connaissaient : Michelle GUAY (1981, pp. 41-42) rapporte les conclusions de
Menachem AMIR, Patterns in Forcible Rape, Chicago, University of ChicagoPress, 1971 ; Isabelle GAGNON et Micheline LEFEBVRE (1991, p. 13)
réfèrentà un sondage publié dans Canadian Journal of Community Mental
Health,"Sexual Assault : Social and Strangers Rape", Halifax, 1986 ; BrigitteROULEAU (1991, p. 15) reprend les statistiques de la Table de
concertation surles services aux victimes d'agression sexuelle du Montréal
métropolitain,Statistiques, 1989.
Cependant le nombre
d'agressions perpétrées par deux ou plusieurs agresseurs estbeaucoup plus élevé que ne le suggère la réalité de l'échantillon à
l'étude. Lestaux rapportés varient entre 25 et 43% des cas : Célyne LACERTE-
LAMONTAGNE et Yves LAMONTAGNE (1980, p. 8) citent les résultatsdévoilés par C.R. HAYMAN, C. FANZA et al., "Rape in the District ofColumbia", American Journal of Obstetrics and Gynecology, 1972 ;
DominiqueFORTIN (1981), pp. 47-48.
Par ailleurs,
l'intimidation physique et l'agression armée seraient plus fréquentesselon Micheline BARIL et al. (1989, p. 51) ; Julian V. ROBERTS (1990,Rapport no 3) p. 39 ; la Table de concertation sur les victimes
d'agressionssexuelles du Montréal métropolitain : Brigitte ROULEAU (1991), p. 14.
Tableau 5
Faits
caractérisant les agressions sexuelles
* La catégorie "autres lieux privés" réfère à
des lieux loués qui nesont
pas accessibles à tous.
Finalement, à
propos des conséquences physiologiques etpsychologiques
de l'agression, la collecte de données laisse dansl'ignorance
puisque le sujet est rarement abordé en cour. S'il estvraisemblable
que le traitement judiciaire actuel suscite destémoignages qui
évoquent quelques types de violence exercée àl'encontre des victimes, il serait
téméraire d'en déduire que, par voie deconséquence, il permet d'en tirer
toutes les répercussions,particulièrement celles qui sont
d'ordre psychologique. Cette omission
du système judiciaire sera discutée plus amplement dans la dernière
section de la troisième partie.
Pour résumer,
en considération des ressources financières et del'accessibilité
des données, la démarche méthodologique adoptée a
favorisé l'étude de 15 causes ayant été instruites dans sept districtsjudiciaires
québécois et impliquant 23 victimes et 16 accusés.
Parmi les
victimes, 16 étaient mineures et les témoignages de 19d'entre
elles ont été rendus disponibles pour la réalisation de cetterecherche.
Trois plaignantes, conjointe, ex-conjointe ou belle-soeur del'accusé,
ont fourni des témoignages qui ont désamorcé les enquêtespréliminaires
à l'avantage des accusés.
En ce qui
concerne les agresseurs, hormis l'absence de mineursdans
l'échantillon, ils sont de tout âge. Souvent, ils sont confrontés àplusieurs
chefs d'accusation.
Quant aux
agressions, elles ont majoritairement eu lieu audomicile
de l'une des parties impliquées. La presque totalité desagresseurs
ont assailli une personne de sexe féminin (21/23),généralement
une connaissance personnelle (14/23) ou uneconnaissance
récente (9/23). En plus de l'assaut à caractère sexuel, 8victimes
sur 19 ont subi d'autres types de violence.
Pour terminer,
il est notable que le contenu d'enquêtespréliminaires
et de procès n'informe que rarement sur les conséquencesphysiologiques
et psychologiques des agressions. Même lorsque lesplaignantes,
d'ordinaire peu volubiles, évoquent de tellesrépercussions,
les procureurs de la Couronne ne les relancent pas surce
thème.
Contrairement aux autres crimes de
nature violente, ces crimessont en grande partie non rapportés. (...)
En ce qui concerne lesagressions sexuelles, les taux de
poursuite et de déclaration deculpabilité sont parmi les moins
élevés de tous les crimes violents.Peut-être plus que dans le cas de tout
autre crime, la crainte et laréalité constante de l'agression
sexuelle influent sur la façon dont lesfemmes organisent leur vie et
définissent leurs rapports avecl'ensemble de la société.
L'agression sexuelle est différente d'un autrecrime. 74
Au début des
années quatre-vingt, le sondage du Solliciteurgénéral
du Canada sur la victimisation en matière d'agression sexuellerévélait
de façon percutante la méfiance d'un fort pourcentage devictimes
à l'égard du système judiciaire. En 1981, 62% d'entre ellesn'avaient
pas déclaré l'agression. Parmi elles, 44% s'étaient abstenuesde
déposer une plainte par crainte des "réactions et attitudes despoliciers
et des tribunaux". 75 A la suite de son évaluation à
l'échellecanadienne
de l'impact des modifications législatives de 1983, leministère
de la Justice du Canada concluait en ces termes:
II y a
généralement consensus chez les personnes que nous avonsinterviewées sur le fait que les agressions sexuelles ne sont pas assezsignalées à la police, et que les raisons en sont la peur de
l'agresseur,la honte, les difficultés physiques et psychologiques auxquelles on est
soumis à l'occasion d'un procès ainsi que l'impression que l'événementne vaut pas la
peine d'être signalé au système judiciaire pénal.76.
Pas la peine,
parce que, encore aujourd'hui, au Canada,seulement
le quart de toutes les plaintes se résolvent encondamnations.77
74
Claire L'HEUREUX-DUBE (1991), p. 10.
75
Le ministère de la Justice du Canada (1990,
p. 2) reprend les résultats duSolliciteur général du Canada (op. cit., p. 4).
76
Ministère de la Justice du Canada (1990), p.
66.
77
Tenant compte du taux de plaintes jugées fondées (85%), du taux de
mises en accusation
(48%) et du taux de condamnations (60%) estimés, il apparaît que
Qu'en est-il
précisément au Québec? Cette partie propose unportrait
indicatif du processus judiciaire des causes d'actes à caractèresexuel
et de la manière dont les tribunaux québécois en disposent àtravers des enquêtes
préliminaires, procès ou plaidoiries. Quatresections décriront la situation: la première
portera sur le processusjudiciaire; la deuxième sur le
profil des interrogatoires et contre-interrogatoires; la troisième sur
les plaidoiries et la quatrième sur lessilences, les incohérences et les
inconséquences du traitementjudiciaire des causes concernées.
Depuis 1982,
nous avons acquis la certitude empirique profonde que
le nombre d'agressions sexuelles au Canada (viols, tentatives deviols et attentats
aux moeurs) dépassait de loin le nombre de ceuxqu'on signalait à la police.78
seuls 25 accusés sur
100 sont condamnés. Il est intéressant de noter, au passage,que ce filtrage des causes d'agressions sexuelles a été comparé à celui
qui prévautdans le cas d'autres types de crimes. Pourtant, une étude réalisée aux
Etats-Unisprescrit plutôt la prudence dans les comparaisons. Selon cette analyse,
le filtragedes causes d'actes à caractère sexuel n'est comparable en ampleur qu'à
celui desplaintes de voies de fait grave ; cependant, l'un et l'autre ne
résultent pas desmêmes causes. Dans le cas de voies defait graves, le filtrage est principalementexercé par la victime ; alors que celui des plaintes d'agressions
sexuelles estl'oeuvre du système judiciaire sur la base de la crédibilité accordée à
la victime.Claire L'HEUREUX-DUBE (1991, pp. 12-13) cite Kristen M. WILLIAMS (TheProsecution of Sexual Assaults, Washington,
Institute for Law and SocialResearch, 1978, p. 42).
78 Tenant compte du taux de plaintes jugées fondées (85%), du taux
de mises enaccusation (48%) et du taux de condamnations (60%) estimés, il apparaît
queseuls 25 accusés sur 100 sont condamnés. Il est intéressant de noter,
au passage,que ce filtrage des causes d'agressions sexuelles a été comparé à celui
qui prévautdans le cas d'autres types de crimes. Pourtant, une étude réalisée aux
Etats-Unisprescrit plutôt la prudence dans les comparaisons. Selon cette analyse,
le filtragedes causes d'actes à caractère sexuel n'est comparable en ampleur qu'à
celui desplaintes de voies de fait grave ; cependant, l'un et l'autre ne
résultent pas desmêmes causes. Dans le cas de voies defait graves, le filtrage est principalementexercé par la victime ; alors que celui des plaintes d'agressions
sexuelles estl'oeuvre du système judiciaire sur la base de la crédibilité accordée à
la victime.Claire L'HEUREUX-DUBE (1991, pp. 12-13) cite Kristen M. WILLIAMS (TheProsecution of Sexual Assaults, Washington,
Institute for Law and SocialResearch, 1978, p. 42).
Estimation
ahurissante, s'il en est: plus de 60%79 des victimesd'agressions
sexuelles s'abstiennent de déclarer l'acte perpétré contreelles;
selon les données de Badgley80, ce chiffre noir pourrait s'élever à 76%!
Tenant
compte des motifs qui expliquent la sous-dénonciation, ilimporte
d'examiner avec quelle rapidité, de quelle manière et avecquels
résultats le système judiciaire dispose des cas qui lui sontsoumis.
Longueur du processus judiciaire, liberté de l'accusé durant lesprocédures
et verdict, les tableaux suivants fournissent un aperçu de la
situation qui tend à donner raison aux victimes d'avoir peur et de croireque
cela ne vaut pas la peine.
Le tableau 6
renseigne sur les délais qui espacent les étapes du
processus judiciaire, de la date de l'infraction81 à la décision finale. Ilressort
que dans 11 causes sur 15, les infractions ont été rapportéesmoins
de deux mois après le fait. Pourtant, seulement huitconnaissaient
leur issue en moins d'un an. Parmi celles-ci sont inclusles
deux causes où les prévenus avaient enregistré un plaidoyer deculpabilité
et les deux cas où les plaignantes ont désamorcé leprocessus
judiciaire dès le début de l'enquête préliminaire.
Nul doute
que cette lenteur du processus judiciaire est source
d'inquiétude pour les victimes qui portent plainte, puisque, par ailleurs,la
plupart du temps, l'agresseur demeure en liberté tout au long duprocessus.
(Tableau 7)
De plus, la méfiance
des victimes à l'endroit du systèmejudiciaire
risque de perdurer, si l'on en juge la réticence à condamner.Huit
accusés de l'échantillon ont été acquittés et 7 condamnés.(Tableau
8) Malgré qu'il s'agisse ici d'un échantillon réduit, cet état defait
n'est pas étranger à la situation décrite par les statistiques
79 Ibid. Le ministère
de la Justice du Canada réfère aux résultats du sondage du
Solliciteur général du Canada sur la victimisation en
matière d'agression sexuelle(op. cit.).
80
Brigitte ROULEAU (1991), p. 8.
81
II s'agit de la date d'infraction identifiée
sur le plumitif.
générales sur les
taux de condamnations. Au Canada, selon lesrégions
et les années, il semble que le taux d'acquittements peutosciller
entre 20 et 54%.82
82 Comme le gouvernement fédéral
ne tient pas de statistiques sur les condamnations,
le ministère de la Justice a tenté d'apprécier la situation par des études sur
leterrain réalisées dans le cadre de son
évaluation nationale. Menées dans six villes
canadiennes, la collecte de données portait sur les années 1981-82 et
1984~1985,soit avant et après les
modifications de 1983. Les résultats indiquent que le taux
de condamnations des prévenus cités à procès n'a pas signifïcativement changé.Sa moyenne est estimé à 60%. A
Montréal, il était de 57% : Ministère de laJustice du Canada (1990), p. 53.
Tableau
6
Délais
entre chaque étape du processus, de l'infraction au
verdict
* Selon les causes, la
catégorie "autres" peut signifier que le délai estindéterminé
ou inapplicable parce que la date de la plainte est inconnueou
parce qu'il n'y a pas eu procès.
Tableau 7
Disposition
relative à la liberté de l'accusé
Tableau 8
Type de procès, verdict et sentence
*I1 s'agit
des cas où il y a eu demande de retrait de plainte dès ledébut
de l'enquête préliminaire ou acquittement du prévenu.
En ce qui
concerne l'échantillon à l'étude, la tendance qu'il illustreest
attribuable aux jugements prononcés par des juges seuls.Effectivement,
si tous les procès par juge et jury ont abouti à unacquittement,
il faut noter, en revanche, que ceux-ci ne se sontprononcés
que dans une cause: dans les deux autres cas, lesplaignantes ont
déclaré avoir déposé une plainte mensongère oudemandé le retrait de la plainte dès le
début de l'enquête préliminaire.
Au sujet des
sanctions, quatre accusés ont écopé d'une sentenceavec
disposition pénale unique: l'emprisonnement pour trois d'entre euxet
une probation pour le dernier.
Dans les deux autres cas, la peined'incarcération
était conjuguée à une période de probation.
Deux
accusés, disculpés sous le chef d'agression sexuelle, ontété
incriminés, dans un cas, pour grossière indécence et, dans l'autrecas,
pour exploitation sexuelle. Le premier a écopé d'une amende de500$
ou deux mois d'incarcération et d'une période de probation; ledeuxième
a été condamné à huit mois de prison.
En ce qui concerne
les agressions sexuelles, les peinesd'incarcération
varient de 60 jours d'emprisonnement discontinu à sept
ans; tandis que les périodes de probation s'échelonnent
sur deux à troisans.
Ces verdicts s'apparentent sensiblement à ceux généralementrapportés,
que ce soit sous l'angle du type de sanction ou celui de sonampleur.83
Inspirées par
des comparaisons qui ont mis en relief unevariation
dans le traitement judiciaire des cas d'agressions sexuelles
ou de violence conjugale84 selon les régions, nous avons vérifiél'influence
de ce facteur dans le cas de notre échantillon.
Le traitement
judiciaire par région a été examiné sous plusieursangles:
longueur du processus, disposition par rapport à l'accusé au
cours des procédures, verdict et sentence. Toutefois, à cause de lapetitesse
de l'échantillon, de sa composition et des nuances auxquellesil
faut soumettre la lecture de chaque cas, il est apparu hasardeux d'entirer
quelque conclusion, toute relative soit-elle. Une seuleconstatation:
le traitement judiciaire des causes d'agressions sexuelles
varie dans des causes apparemment similaires, compte tenu du chef
d'accusation et de la description de la situation d'agression. Cependant,les
informations ne permettent pas d'expliquer ce traitement différencié.
83 Julian
V. ROBERTS (1990,
Rapport no 3), chapitres 5 à 8 et, plusparticulièrement,
p. 90 ; Isabelle GAGNON et Micheline LEFEBVRE (1991) quiréfèrent aux
données du Canadian Sentencing Digest, pp. 28-29.
84 Julian
V. ROBERTS (1990,
Rapport no 4). pour les agressions sexuelles, etLiliane COTE
(1991), pour la violence conjugale.
Tout au plus, une comparaison des cas
similaires suscite-t-elle desconstatations
ou des questions sous divers aspects: la lenteur du
processus; les dispositions prises face aux agresseurs durant lesprocédures;
les différences de verdict selon le sexe de la victime et lesdifférences
de verdict selon les chefs d'accusation et le sexe de lavictime.
Généralement,
les districts judiciaires se distinguent peu les uns
des autres par rapport au temps qu'ils prennent pour traiter les causesd'agressions
sexuelles. En fait, s'il est irréfutable que les délaisvarient
selon les causes, les facteurs d'explication de cette variation ne
transpirent pas des informations disponibles. Quoi qu'il en soit, ce quiretient
l'attention dans la longueur du processus est le fait que, dans
plusieurs districts judiciaires, les enquêtes préliminaires débutent dansles trois mois
suivant l'infraction et les procès dans les trois moissuivant l'enquête préliminaire. (Tableau 6,
item 2) Dans ce contexte, ilapparaît raisonnable d'estimer qu'une
enquête préliminaire instruiteplus de trois mois après l'infraction
se tient tardivement, de la mêmemanière au sujet des procès ayant
lieu plus de trois mois aprèsl'enquête préliminaire.
En ce qui
concerne les dispositions prises à l'égard des accusésdurant les
procédures, trois districts les ont gardés en détention toutau long du processus: Mauricie (1/1),
Montréal (3/4) et l'Outaouais(1/1). Cependant, les motifs qui
fondent les décisions à ce chapitresont inconnus: pour deux causes
comparables, par les situationsqu'elles décrivent, les accusés
connaissent des sorts différents.85
Poursuivant
avec prudence la comparaison cas par cas,l'évaluation
du traitement judiciaire des causes impliquant des victimesde
sexe masculin, par opposition aux autres cas, soulève une question:
le traitement judiciaire différerait-il selon que la victime soit de sexeféminin
ou masculin? Dans les deux causes où les victimes étaient dejeunes
garçons, les accusés ont été reconnus coupables de l'un des
85 R. c. Laflamme, Cour des sessions de la
paix, no 505 01-3050-867 et R. c.Sandro, Cour supérieure, no 550-01-003716-869.
chefs d'accusation
suivants: agression sexuelle ou grossière indécence.Pourtant,
même avec une preuve pour le moins aussi irréfutable quecelle
des plaignants masculins, les victimes féminines voient plussouvent
qu'autrement leur agresseur acquitté. Effectivement, une foisretranchés
les cas où les accusés ont plaidé coupables, seules 3victimes
de sexe féminin sur 18 ont obtenu la condamnation de leuragresseur.
Bien sûr,
encore une fois, la petitesse de l'échantillon commandela
prudence dans l'interprétation, mais les situations décrites durant lesaudiences, elles,
ajoutent à l'intérêt de la question troublante, letraitement différentiel selon le sexe de la
victime. En effet, commentexpliquer l'issue différente des deux
affaires suivantes?
D'une part,
une jeune homme mineur a été abusé sexuellementpar
un adulte inculpé d'agression sexuelle et de grossière indécence.Le
témoignage du plaignant décrit une situation où il a subi descaresses
aux organes génitaux dans une voiture. L'accusé est reconnucoupable
de grossière indécence.
D'autre
part, deux jeunes femmes mineures fournissent destémoignages
apparemment concordants quant aux faits suivants: deux
jeunes adultes les ont séquestrées, amenées dans un motel, menacéesverbalement
ou violentées physiquement et abusées sexuellement.Interpellés pour
agressions sexuelles, séquestration, voie de fait,grossière indécence et complot, les agresseurs
ont été acquittés souschacun des chefs d'accusation.
La
comparaison des sentences laisse aussi perplexe. Il s'agittoujours
de cette affaire où l'agresseur d'un jeune homme mineur a étéreconnu
coupable de grossière indécence par opposition à une causeoù
l'agresseur d'une jeune femme mineure a été incriminé pouragression sexuelle. Dans le premier cas, l'accusé a écopé de
500$
d'amende ou deux mois d'emprisonnement et 20 mois de probation.Dans
le deuxième cas, l'agresseur s'en sort avec 60 jours
d'emprisonnement discontinu et deux ans de probation. Pourtant, lelégislateur,
lui-même, envisage ces deux actes comme différents par leur gravité
respective.
En fait, dans
les causes étudiées, pour un même chefd'accusation, soit
l'agression sexuelle simple, l'agresseur d'un jeunehomme a écopé de trois ans d'emprisonnement
et les agresseurs desvictimes de sexe féminin ont écopé des peines suivantes:
trois ans de probation;
de 60 jours d'emprisonnement discontinu et deux ans de probation;
huit mois de prison;
deux ans moins un jour de prison et trois ans de probation.
Dans ce
dernier cas, l'agresseur avait abusé, pendant deux àtrois
ans, de quatre mineures, filles de sa conjointe de fait.
Évidemment,
les résultats de ces comparaisons ne sont peut-être
que le fruit du hasard. Il faudrait réaliser une analyse comparativeexhaustive
sur le sujet pour savoir vraiment de quoi il retourne. Toutde
même, il demeure que son contenu soulève des questionsauxquelles
il faudrait bien répondre.
Pour
conclure, ces informations préliminaires sur le traitementjudiciaire
portent à s'interroger sur deux aspects: le système judiciairese préoccupe-t-il de
la sécurité des plaignantes et plaignants? Fait-ilpreuve d'un traitement uniforme en fonction
des différents facteurs qu'ildoit prendre en considération?
Déjà que
nombre de femmes organisent leurs déplacements,leurs
sorties, leur environnement, et quoi encore? En fonction de ce
qu'on leur a appris à craindre, il est plus que probable que la menacepèse
lourdement dans la vie d'une victime d'agression sexuelle,particulièrement
face à l'agresseur. La longueur du processusjudiciaire, le fait
que l'accusé demeure en liberté durant les procédureset, finalement, le très grand nombre
d'acquittements donnent toujoursraison aux victimes de craindre et
de se méfier du système judiciaire.
Deuxième
point: le traitement apparemment différent de cassimilaires.
Si cette étude ne permet pas d'en expliquer les facteurs, ildemeure
important d'en souligner l'existence. Ce, d'autant plus que lacomparaison
du traitement des cas en fonction du sexe de la victimedonne des résultats
qui font sourciller: l'agresseur d'un hommerisquerait-il plus de se voir condamné et
d'écoper d'une peine plussérieuse?
Quoi qu'il
en soit, le traitement judiciaire décrit s'apparente àcelui
de l'ensemble des causes en ce qui concerne le verdict et la naturede
la sentence.
Dans un autre
ordre d'idées, l'examen du contenu des enquêtespréliminaires
ou des procès a permis de mieux saisir le traitement
judiciaire des causes d'agressions sexuelles de deux manières:
d'une part, en informant sur le contenu objectif des
questions oucommentaires
adressés aux témoins;
d'autre part, en fournissant un aperçu des types de
stratégies mises
de l'avant par les parties.
En d'autres
mots, au-delà de la longueur des procédures demême
que de la nature des verdicts et des sentences, sous quel anglele
système judiciaire semble-t-il examiner les faits en cause?
Dans son
jugement dissident quant à la constitutionnalité desarticles
276 et 277 du Code criminel86. traitant de la notion depertinence
en ce qui concerne la détermination de l'admissibilité d'unepreuve,
la juge Claire L'Heureux-Dubé affirmait:
Sous le
couvert d'une application conforme aux principes duconcept juridique de la pertinence, la common law [sic] permettait àl'accusé d'examiner à fond la moralité de la plaignante par la
86 Voir annexe 5.
présentation en
preuve d'un comportement sexuel "pertinent".87
Pour établir
la pertinence, le Common Law met de l'avantl'application
de trois critères: l'expérience, le bon sens ou la logique oules
trois à la fois.
Toutefois,
poursuit la juge dissidente, il existe certains domainesoù l'expérience, le bon sens et la logique sont alimentés par des
stéréotypes et des mythes. Comme je l'ai déjà indiqué clairement, on
a été tout particulièrement enclin, dans ce domaine du droit [letraitement des causes d'agressions sexuelles], à utiliser desstéréotypes
aux fins de déterminer ce qui est pertinent et cela, commeje l'ai déjà démontré, paraît aller
malheureusement de soi à l'intérieurd'une société qui, en grande partie,
partage ces préjugés.88
Dans ce
contexte, la juge L'Heureux-Dubé ne pouvait entériner ladécision
majoritaire qui déclarait inconstitutionnel l'article 276 puisqu'ilavait
pour effet de rétablir l'admissibilité en preuve du passé sexueldes
plaignantes.
Quel a été le
traitement judiciaire dans les quinze causes qui
nous concerne? Illustre-t-il une tendance du monde judiciaire àsurmonter
la méfiance qu'il entretenait à l'égard des plaignantesd'agressions
sexuelles? Nous verrons ce qu'il en est en examinant letraitement
judiciaire subséquent aux modifications législatives de 1983.Rappelons
simplement que, par ces modifications, le législateur avaitalors
souhaité enrayer, sinon réduire, le traitement discriminatoire basésur
des mythes, préjugés et stéréotypes sexistes.
Cette
section profile les interrogatoires et contre-interrogatoires
menés dans les quinze causes composant l'échantillon. Ce faisant, ellevise
à donner un aperçu des types de stratégies mises de l'avant parles
parties dans le traitement judiciaire des causes d'agressionssexuelles.
87
Claire L'HEUREUX-DUBE (1991), p. 32.
88
Ibid., p. 48.
Comme nous l'avions
mentionné dans la deuxième partie, la grille delecture
des audiences a été élaborée à partir des sujets nommémentabordés,
ceci pour éviter toute interprétation fondée sur lessentiments
préjugés ou stéréotypes que les interventions peuventsous-tendre
ou viser à susciter. C'est ainsi que 40 sujets types ontété
relevés. Ils ont ensuite été regroupés en catégories selon le lienqu'ils
entretiennent avec l'agression, ce qui a donné lieu à septclasses
de sujets types.89
La première
catégorie d'interventions réunit les sujets quirequièrent
l'identification de personnes (nom, statut, occupation), delieux, d'objets ou de dates qui ont trait à
l'agression de même que letype de relation qu'entretiennent les
personnes impliquées. Ce sontles "sujets
d'identification".
La deuxième
classe est composée des "sujets sans lien direct
avec l'accusation", d'où l'abréviation utilisée pour y référer:
catégorie"sans
lien". En d'autres mots, ce genre de questions ne traite d'aucunaspect relatif à la situation d'agression,
ni même d'aucun aspect relatifà un autre moment où les parties
auraient été en présence l'une del'autre. Il s'agit entre autres de
questions qui portent sur lescaractéristiques personnelles des parties en cause, leurs antécédentsjudiciaires, leurs habitudes de vie. La
sous-catégorie "Autre"rassemble des questions qui traitent
des aspects de la vie des partiesnon prévus par l'un ou l'autre des
sujets types spécifiés sous larubrique sans lien. Par exemple, il
peut s'agir de questions portant surla situation familiale ou conjugale
d'une plaignante.
Le troisième
groupe de sujets réunit les questions relatives àdes
situations où la victime et l'accusé étaient en présence l'un del'autre,
mais à une date antérieure à l'agression. Il s'agit de lacatégorie des "sujets
connexes".
89 Voir annexe 4.
Communément
appelée la catégorie des "sujets en lien", laquatrième
classe d'interventions porte sur des thèmes directement liésà
la situation d'agression et aux personnes qui y sont impliquées. Plusprécisément,
il est alors question du déroulement de l'agression, desactions
respectives des parties de même que de l'habillement despersonnes
impliquées, de leur état et de leur perception de la situation.
Le cinquième
groupe de sujets types, nommé les "suites", réfèreaux
faits conséquents à l'agression. Ici, la Cour se renseignenotamment
sur les actions de la victime après l'assaut, lesconséquences
diverses de l'agression, les relations de la victime avecl'accusé
et les circonstances du dépôt de la plainte.
La sixième
catégorie de sujets, les "confrontations", regroupeles
interventions qui marquent l'opposition des dires ou lescontradictions
entre les témoignages d'une même personne.
Finalement,
la classe des "sujets divers" hérite évidemment de
toutes les interventions qui ne peuvent être autrement classées: parexemple,
les expressions diverses, les questions interrompues, lesconsignes
aux témoins.
Les tableaux
suivants indiquent, tour à tour, la fréquence dessujets
types abordés par catégorie (Tableau 9), puis caractérisent letraitement
judiciaire de la Couronne et celui de la Défense. (Tableaux10
et 11) En d'autres mots, combien de questions sont posées parcatégorie
d'informations et qui, de la Couronne ou de la Défense, lespose?
Comme
l'indique le tableau 9, les questions les plus fréquentesont
trait à des sujets en lien avec le jour de l'agression et l'agressionelle-même.
Cette catégorie est suivie dans l'ordre par: lesinterventions
diverses, les questions d'identification, les questions surles
suites, les sujets sans lien, les confrontations et les demandesd'informations
sur des événements connexes.
Tableau 9
Fréquence des sujets types abordés par catégorie
* Pourcentage par
rapport au total des interventions
Ce portrait
brut fournit déjà une prise sur la réalité étudiée.Notamment,
il indique que plus de 53% des interventions requièrentdes
informations sur la situation d'agression, soit par des questions enlien,
soit par des questions sur l'identification. Il met également enévidence
la fréquence des interventions diverses. Finalement, il attirel'attention
sur l'importance des questions sans lien, particulièrementpar
comparaison à l'intérêt porté aux suites de l'agression.
Dans un autre
ordre d'idées, maintenant que nous savons ce quicompose
l'ordre du jour des audiences et dans quelle mesure,identifions
qui en parle et avec quelle insistance. Pour ce faire, deuxcalculs
ont été réalisés. D'abord, il s'agissait d'établir le pourcentagedes
interventions de la Couronne, puis celui de la Défense par rapportau
total des interventions pour chaque catégorie d'informations.(Tableau
10) Ensuite, a été évalué le pourcentage des interventionspour
chaque catégorie, cette fois-ci, en fonction du total desinterventions
de chacune des parties. (Tableau 11) Le premier tableaudit
qui pose le plus de questions par catégorie et le deuxième identifie les thèmes
privilégiés de chacune des parties.
L'un des
traits marquants de la situation décrite par les deuxtableaux
est certainement que, sauf exception, les deux partiesaccordent
une importance très différente à chacune des classesd'informations.
Seule la fréquence de la catégorie en lien est à peu prèségalement
attribuable à l'une et l'autre des parties.
Plus
précisément, il est notable que la fréquence des questionsqui
pourraient susciter la perplexité est grandement due à la Défense:une
très forte majorité des questions sans lien et des confrontationsproviennent
d'elle. Même par rapport à l'ensemble de sesinterventions,
la Défense accorde deux fois plus d'importance à cestypes
de sujets que ne le fait la Couronne. D'ailleurs, au fur et àmesure
que le profil du traitement judiciaire sera détaillé et commenté,
son intérêt pour ces catégories d'interventions s'expliquera de mieux enmieux.
Pour l'heure, ce qu'il faut noter, c'est que cette différence, entrele traitement
judiciaire de la Défense et celui de la Couronne, nepourrait être qu'apparente.
Effectivement,
il faut tenir compte ici que, dans la plupart des cas,les
accusés n'ont pas témoigné. Lorsque sont isolées les causes où lavictime
et l'accusé ont tous deux témoigné, il est notable que les deuxparties,
Couronne et Défense, formulent autant de questions sans lien
et des confrontations. Autrement dit, l'intérêt pour les questions sanslien
et les confrontations ne serait pas propre à la Défense.
Tableau 10:
Fréquence
des interventions des parties parrapport à l'ensemble des interventions parcatégorie d'informations
Tableau
11
Fréquence des interventions des
parties par rapport à l'ensemble de
leurs interventions respectives
En
définitive, ce qui nous semble primordial de constater, ce n'est
pas tant la provenance des questions que la constatation du fait que lesystème
judiciaire les admette, considérant probablement qu'ellescontribuent
d'une manière ou d'une autre à la découverte de la vérité.
En ce qui
touche les autres écarts de fréquence qui paraissentcaractériser
le traitement différent de la Couronne et celui de laDéfense,
ils peuvent difficilement être commentés. Par exemple, unefois
posées les questions d'identification, la Défense juge peut-êtrequ'il
n'est pas nécessaire d'y revenir. Le même commentaire peutvaloir
en ce qui concerne le traitement des événements connexes. Enrevanche,
l'écart qui prévaut dans le traitement des suites intrigue,puisque,
ici, c'est la Défense qui pose le plus grand nombre dequestions.
Est-ce parce que les interrogatoires ne l'éclairent pas
suffisamment sur les faits conséquents à l'agression? Il est possiblequ'un
examen plus approfondi des audiences en révélera l'explication.
Détaillant le
portrait général, les tableaux suivants disent lafréquence
de chacun des sujets types par rapport à l'ensemble desinterventions
par catégorie.
Les questions
d'identification font l'objet de 15,3% de toutes les interventions (Tableau 9) et près de 60% d'entre elles
proviennent de
la Couronne (Tableau
10).Le tableau 12 informe sur l'objet des
questions d'identification. Il est notable que les parties cherchentsurtout
à faire préciser l'identité des personnes impliquées, des lieuxet
des objets de même qu'à identifier le moment de l'agression.Cerner
le type de relations entre les personnes impliquées constituela
deuxième préoccupation des parties.
Tableau
12
Fréquence
des sujets types d'identification
Voici des exemples de formulations très
courantes.
Est-ce que tu connais le monsieur [l'accusé] qui est
assis au bout de latable?90
Alors, il y avait d'autres personnes à part [G.] et
[l'accusé] à cemoment-là?91
Et tu demeurais à quel endroit à
ce moment-là?92
90
R. c. Girard, Cour des sessions de la paix,
no 150-01-000726-845, p. 23.
91
R. c. Blanchet, Cour des sessions de la paix,
no 505-01-1515-853, p. 20.
92 R. c. Desgagné, Cour des sessions de la paix, no
150-01-001649-863, p. 7.
Je vais ici te montrer un sac qui contient une boucle
d'oreilles.(...)
C'est la boucle
d'oreilles que tu portais ce soir-là?93
Cet
incident-là, dont tu viens de parler, c'est arrivé le 10 août. Est-ce que tu te souviens c'était quelle journée le 10 août, l'incident dont
tu
viens de relater à la Cour?94
A ce moment-là (...), quel genre de
relations tu avais toi avec [les accusés]?
(...)
C'était pas
des amis à toi?95
Dans
l'ensemble, il ressort que ces questions sont formuléesobjectivement,
sans véhiculer aucun préjugé ou stéréotype quipréjudicierait
l'une ou l'autre des parties. Toutefois, la réponse à ladernière
question, si elle est affirmative, pourrait susciter des préjugéssi
le système judiciaire refuse encore de croire qu'une agressionsexuelle
peut-être commise contre une connaissance.
Les questions portant
sur des sujets qui n'entretiennent aucun liendirect
avec la situation d'agression constituent 11,5% de toutes lesinterventions.
(Tableau 9) Sauf une exception où l'accusé avait plaidécoupable,
toutes les plaignantes ont dû répondre à des questions sanslien.
Plus de deux fois sur trois, ces questions provenaient de laDéfense.
(Tableau 10)
Globalement,
ce sont les sujets "autres" qui captent l'attention.(Tableau 13) C'est
d'ailleurs précisément sous cette rubrique qu'il
arrive que des questions puissent aider à clarifier certains aspectsd'une situation. Mais, généralement,
au-delà de 75% n'entretiennentmanifestement aucun lien avec la
cause. Souvent, elles ne semblentviser qu'un but: semer des préjugés
défavorables à la plaignante. Apreuve, les quelques citations
suivantes.
93
R. c. Laflamme, p. 30.
94
Ibid, p. 32.
95
R. c. Richer, Cour des sessions de la paix, no 500-01-000222-874, p.
14.
Mlle (...), vous n'alliez pas à l'école à ce moment-là?96
Pourquoi... Est-ce
que vous faites venir les policiers à toutes les foisque votre concubin vous demande defaire l'amour?97
Quand vous êtes allée
là la deuxième fin de semaine, le samedi et ledimanche, vous
saviez que vous y alliez à l'encontre de l'avis de vos...
de ta mère, à tout le moins?98
N'est-il... n'est-il
pas exact que vous aviez dit que vous-même, vous
étiez fâchée contre votre père, pis, que vous vouliez rien savoir delui?99
Si je comprends, vous avez été élevée par votre mère?(...)
C'est la seule personne qui est responsable de vous
élever?(...)
Est-ce que ça vous
dérange, ça vous perturbe ?100
Est-ce que tu as déjà eu des relations sexuelles avec
[l'un des accusés]? (...)
Alors
tu l'as déjà fréquenté d'une façon assez étroite (...) avant le vingt
et un (21) décembre? (...)
Donc tu devais
connaître son frère [l'autre accusé, dans cettecause]?101
96
R. c. Blanchet, p. 15.
97
R. c. Croteau, Cour des sessions de la paix,
no 615-01-00550-866, p. 14.
98 R. c. M,
p. 95. Cette cause étant frappée
d'une ordonnance de non-publication,
nous y référons sous
une dénomination abrégée,
99 bid., p. 100. Défait, ici, la Défense a
insisté pour faire dire à la jeune plaignante
qu'elle avait exprimé au prévenu qu'elle était en
mauvais termes avec son père,
lequel ne vivait plus avec sa mère.
100
R. c. Sandro, pp. 79-80.
101
R. c. Richer, p. 120.
Tableau 13
Fréquence des sujets types sans lien
En plus de
toutes les insinuations que peuvent sous-tendre lesquestions
relatives aux autres sujets types, les questions sans lienconstituent
un terrain par excellence pour fertiliser les préjugés. Quevoilà
des plaignantes qui ne correspondent pas au modèle de la
personne crédible pour diverses raisons: fréquentation scolaireirrégulière,
indiscipline par rapport aux consignes parentales, relationsfamiliales
perturbées, relations intimes avec l'accusé ou vie sexuelleactive.
Dans une autre cause, la Défense
soutient que si la victimecraignait réellement l'accusé, elle aurait
dû changer ses habitudes devie.
Ça vous a jamais, jamais empêché ça Mademoiselle, votre
peur, d'allerau Chariot [un bar] après le 10 février. Vous avez continué à y aller auChariot?(...)
Non, non, mais vous avez continué à aller au Chariot...(...)
Vous avez changé
aucune de vos habitudes ?102
Il ne faut pas
se méprendre, l'argumentation de la Défense, ici,n'a
rien de singulier: elle ne s'inspire que des leçons que la société sert,plus
particulièrement, aux femmes pour éviter les incidents. Ainsi, il nerelève pas de la
société de protéger les femmes contre la violence, ilrevient à celles-ci de la contourner.
Sauf un cas,
il est notable que dans toutes les causes quiimpliquaient
des victimes mineures, la Défense a tenté de mettre enévidence
soit une situation familiale caractérisée par lamonoparentalité,
soit le fait que la victime ne respectait pas toujours ladiscipline
parentale, soit qu'elle n'était pas une étudiante assidue.
Des questions
sans lien sont également formulées à l'intentionde
témoins de la Couronne, autres que les victimes. Quelquesexemples.
Vous êtes mariée?(...)
Vous avez des
enfants?
(...)
Ils demeurent avec vous?(...)
[En] Placement?103
Sur ce, la
Couronne est intervenue pour dire qu'il ne "faudrait pas
charrier trop trop maître là". Dans la même cause, à l'intention de l'ex-conjointe
de fait qui témoigne sur un acte similaire:
102 R. c.
Bourassa, p. 147.
103 Ibid., p. 43.
C'est exact de dire madame (...)
que vous n'appréciez pas la visite de votre ex-mari vis-à-vis votre
enfant. Vous aimez pas ça que
votre enfant aille avec votre ex-mari durant la période que vous avez été avec [l'accusé]?104
Ou, pour y aller
d'un mythe sur la crédibilité des femmes:
Vous vous
souvenez d'avoir écrit dans ces lettres-là toutes lesactivités sexuelles que vous aviez et que vous étiez pour avoir avec[l'accusé]?105
Rien d'étonnant de constater que
près de 70% des sujets sanslien sont mis de l'avant par la Défense.
(Tableau 10). Cependant, ce
qu'il faut retenir, c'est que cette stratégie défensive semble permise.C'est effectivement ce qui laisse
supposer que le traitement judiciairedes cas à l'étude pourrait refléter
celui du système judiciaire dans lescauses d'agressions sexuelles. Un
système judiciaire apparemmentpermissif dans la latitude qu'il
attribue à la Défense. Bien sûr, l'avocatet l'avocate n'ont pas toujours la
tâche facile et l'accusé a droit à une
défense pleine et entière. Toutefois, si elle singularise le traitementjudiciaire de l'ensemble des causes d'agressions sexuelles, cettepermissivité pourrait nuire à
l'administration de la justice de troismanières:
parce qu'elle dévie de la recherche de la vérité sur les
faits encause,
prétextant pouvoir les juger sur la base d'éléments qui leurs
sont extérieurs;
parce que, ce faisant, elle laisse libre cours à des
mythes, préjugéset
stéréotypes, qui, loin d'éclairer sur la situation en litige,empêchent
peut-être la tenue de procès justes et équitables pourles
plaignantes;
parce que, ce faisant, elle ne tient pas compte du droit
à la
104
Ibid., p. 134.
105
Ibid., p. 139.
protection de la vie
privée et à la dignité pour tous les témoins.
Pour résumer,
la question qui émerge de l'analyse desinterventions
sans lien est de savoir si le système judiciaire joue sonrôle
d'administrateur de la justice de façon judicieuse et s'il applique leslois
dans leur intégralité, étant entendu que tout témoin de la Couronnea
des droits, comme l'accusé a les siens.
En ce qui concerne les événements
connexes, rappelons qu'ils sont
l'objet de 3,3% des interventions (Tableau 9) et, dans plus de 55%
des cas, elles
sont l'oeuvre de la Couronne (Tableau 10).
Celles-ci renvoient à des situations où la
victime et l'accusé étaient enprésence
l'une de l'autre, mais qui ont eu lieu avant le jour de
l'agression. Les questions qui y réfèrent sont souvent objectivesautant
sous l'angle des sujets qu'elles abordent (déroulement général,actions
de la victime et de l'accusé) que de la formulation. Objectives,toujours
en ce sens qu'elles recherchent une description de faits etqu'elles
ne comportent habituellement pas d'insinuations. Quelquesexemples:
(...) Est-ce que
tu pourrais dire à monsieur le Juge, là, la premièrefois... quand, la première
fois, tu l'as rencontré [en parlant del'accusé]?(...)
(...) Et
effectivement, qu'est-ce qui s'est passé quand t'es embarqué
avec
[l'accusé]?
(...)
(...) Quelle sorte de conversation que vous aviez?
Qu'est-ce qui s'est
passé dans ce quatre (4) heures là?106
A quels endroits tu l'avais vu [en parlant de l'accusé]?(...)
Est-ce que tu peux te souvenir d'autres
endroits que tu l'as vu?107
106
R. c. Girard, pp. 23, 29 et 33.
107 R. c.
Laflamme, p. 31.
Comme vous nous avez dit tantôt, il n'y a pas eu aucune
violence quis'est faite là [en parlant d'une rencontre antérieure avec l'accusé]?(...)
Ça s'est fait amicalement? [Lire, la rencontre
s'est dérouléeamicalement?]108
Toutefois,
il arrive que la Défense en profite pour formuler, iciaussi, des questions
tendancieuses. Par exemple, prétextant vouloirs'informer sur les sujets de discussion
ayant été abordés lors d'unévénement connexe, un avocat demande
à une victime:
(...) Il a pas été question d'une montre également?(...)
Une montre que vous
auriez volée. 109
Quelle que
soit la réponse du plaignant à cette question, il est
indubitable qu'elle n'affinait en rien la compréhension de la situation
d'agression. De toute manière, ce n'était visiblement pas le but del'interrogation.
Indépendamment de la réponse, le seul fait de poser laquestion sème des
doutes sur la crédibilité du répondant.
De manière plus subtile, la
Défense peut poser des questionsobjectives qui, mises en relation avec le
reste du contre-interrogatoire,
contribuent tout autant à semer des préjugés à l'égard de la victime. Leplus bel exemple en est cette cause où la Défense:
1.
d'une part, rappelle que la plaignante avait déjà eu une
relationsexuelle consentante
avec l'accusé, puis,
2.
d'autre part, poursuit son contre-interrogatoire sur les
faits en causedans
une formulation des questions et une reformulation desréponses
de la plaignante qui donnent l'impression que la victimecontrôlait
la situation.110
108 R. c. Richer, p. 67.
109 K. c. Girard,
p. 6l.
110 R. c. Doyon,
Cour des sessions de la paix, no 450-01-001912-869.
Bref,
généralement, la formulation des questions peut-être
considérée comme objective. Cependant, située dans l'ensemble d'uncontre-interrogatoire,
il arrive qu'elles soutiennent une stratégiedéfensive
uniquement basée sur des préjugés. Dans ce contexte, lesilence
du juge et de la Couronne nous semble peu propice à une
administration de la justice équitable.
De toutes les
interventions, 38,1% appartiennent à la catégorie en lien
(Tableau 9)
et elles sont également attribuables à la Couronne et à la
Défense (Tableau 10). Ce sont les
sujets d'ordre général qui sont leplus
fréquemment traités. Dans un ordre de fréquence décroissant, ledéroulement
général, les actions générales de l'accusé et de la victimey
sont tour à tour abordés. (Tableau 14).
Tableau 14
Fréquence des sujets types en lien
* Pourcentage par
rapport au total des interventions dans la catégorie
Formulées de
façon globale, ces questions sont la plupart dutemps
objectives parce qu'elles ne comportent pas d'insinuations et nerequièrent
qu'une description de faits strictement relatifs à la cause.Quelques
citations pour illustrer ce qui nous apparaît être un typeobjectif
de formulation:
Conte-nous qu'est-ce
qui s'est passé à ce moment-là.111
Est-ce qu'il y a eu,
essayez maintenant, on va reprendre ça à partir dumoment où vous descendez en bas. Essayez de nous décrire ça avec
tous les détails. Quel est son comportement vis-à-vis vous? Comment vous répondez à ça?112
A l'intention d'un
accusé:
Est-ce qu'il y avait juste vous qui
faisiez les commissions à cemoment-là?113
Il s'agit
donc de questions qui appellent une description des faitsen
cause, sans orienter le contenu des réponses, sans insinuer quoique
ce soit au sujet de la victime ou de l'accusé. Néanmoins, toutes lesinterventions
ne sont pas aussi objectives. Dans cette catégorie desujets,
comme dans toutes les autres, il arrive que la formulation desquestions
ou l'usage des réponses dans l'argumentation globaleapparaisse
tendancieux. Dans les deux cas, le danger est d'aviver desmythes,
préjugés et stéréotypes qui, vraisemblablement, pourraient
défavoriser les plaignantes.
Par exemple,
l'une des stratégies les plus fréquentes est delaisser
entendre que le récit de la plaignante ne décrit pas une "vraie"
agression sexuelle. Cette stratégie est mise de l'avant, notamment, enattirant
l'attention sur l'absence de caractéristiques d'une vraie
agression ou en minimisant les faits et gestes de l'agresseur. Lacitation
suivante sous-tend que si une victime
ne s'est pas débattue,c'est
qu'elle a consenti.
Alors, vous
l'avez pas frappé, y vous a pas retenu? Vous vous...vous vouliez pas dire au Président du Tribunal que vous avez étéobligée de vous débattre, de vous battre ou quelque chose dugenre?114
111
R. c. Girard,
p. 35.
112
R. c. Gélinas,
Cour des sessions de la paix, no 450-01-002848-864, p. CH-8.
113 r..c. P., p. 30. Cette cause étant
frappée d'une ordonnance de non-publication,
nous y référons sous une dénomination
abrégée.114 R. c. N., p. 102-GB.
Ce genre de questions est presque
systématiquement posé parla Défense, histoire de souligner que la
victime n'a pas résisté ou quel'agresseur ne l'a pas explicitement
contrainte. Et, pour bien marquerque les actions de la victime ne
correspondent pas à celles d'une vraievictime, on insiste, l'air de
demander une justification: Vous ne lui avezpas dit de ne pas vous toucher?
Avez-vous tenté de quitter les lieux?Vous n'avez pas crié?...
"Est-ce que vous criiez fort sur la rue?"115 Sila victime n'a pas résisté selon des
attentes spécifiques, il est présuméqu'elle n'a pas manifesté son refus
et, Conséquemment, qu'elle n'a pasréellement été agressée.
Par ailleurs, il se peut que la
Défense tente de minimiser lesgestes posés par l'accusé:
Alors
finalement au Motel, à part les seuls petits touchers quevous nous avez dit tantôt, il ne s'est pas passé d'autres choses vousconcernant,
vous êtes retournée chez Malon par après et c'a finilà?116
Autre
stratégie, il arrive que la Défense pose des questionsd'ordre
général et reformule les réponses de la plaignante d'unemanière
telle qu'elle donne l'impression que celle-ci contrôlait ledéroulement
des faits en cause. Associées à l'accent mis sur l'absencede
menace explicite, ces formulations et reformulations laissententendre
qu'il ne s'agissait pas d'un "vrai" viol.
Q Vous vous êtes assise sur le divan au
début?(...)
Q Vous, est-ce que vous l'avez touché?(...)
115
R. c. Richer, p. 68.
116 Ibid., p. 69.
Q
À ce moment donne-la, est-ce que vous étiez, vous avez toujoursvotre jaquette?(...)
Q .Est-ce que
vous avez fait certains gestes?
R. Y m'a obligée, y m'a obligée à lui toucher.
Q Si je comprends bien, là vous lui avez touché.
R. Oui.
Q Vous l'avez touché à combien de
reprises?(...)
Q Vous l'avez touché à quel endroit?(...)
Q Vous avez fait quoi là ?(...)
Q Bien quand vous l'avez touché au pénis?(...)
Q Quand vous dites qu'il vous a pénétrée,
vous, est-ce que vousaviez encore
votre jaquette ou quoi?
R. Oui je l'avais encore, y l'ajuste levée.
Q Vous l'avez levée?
R. Oui.
Q C'est qui qui a décidé d'aller à terre?
R. C'est lui.
Q (...) C'est qui qui est descendu le premier par
terre?
R. ...Je
crois que c'est moi.
Q C'est vous?
R. Oui. Parce qu'y m'a demandé d'aller par terre.
Q Okay, là vous avez décidé d'aller par
terre?
R Oui.
Q Là il vous a suivie?
R Oui.
Q Là si je comprends bien, vous n 'avez
pas enlevé complètementvotre jaquette?
R Non.
Q Vous l'avez relevée seulement?117
Profitant du
fait que la plaignante soit en terrain inconnu (la
Cour), que, de surcroît, elle doive se remémorer des événementspénibles,
la Défense réussit à lui faire dire qu'elle a elle-même relevésa
"jaquette" et qu'elle a elle-même décidé d'aller par terre dans une
discussion où l'avocat voulait donner l'impression que la plaignantecontrôlait
la situation.
Dans un quatrième cas, celui-là
quasi caricatural, questionsd'ordre général ou pas, la Défense harcèle
carrément la plaignante.Celle-ci a été soumise à un contre-interrogatoire aussi tatillon quefutile exigeant une description,
pratiquement minute par minute, de lasituation d'agression: quand
avez-vous enlevé ou vous a-t-il enlevévotre manteau, vos bottes, votre
gilet, votre pantalon, vos bas, votresoutien-gorge, alouette! ...Au fait,
"Vous aviez des bas, des basculottes ou des bas ordinaires?"
et "Est-ce que le soutien-gorge étaitagrafé à l'avant ou à l'arrière?118
Ici, la
Défense recherchait vraisemblablement la moindre vétille àlaquelle
elle aurait pu s'accrocher pour atténuer la responsabilité del'agresseur.
La victime, elle, a dû s'astreindre à un contre-interrogatoire sur
chaque détail de la séance de déshabillage, surl'endroit où avait été laissé chaque morceau
de vêtement, sur le nombrede minutes pour chaque acte: arrivée
dans la cuisine, dans le salon,dans la chambre de l'enfant, dans la
chambre du délit, retour dans lachambre de l'enfant, retour dans la
chambre du délit... Elle a égalementdû faire l'énumération des endroits
où le prévenu l'avait touchée. Si ellementionnait qu'il avait tenté de
l'embrasser ou de lui toucher les seins,
117 R. c. Doyon, pp. 25-28. [Caractères gras par nous.]
118 R. c. Bourassa, de façon intermittente mais
insistante, pp. 64, 70, 75, 88, 90, 93,99-102.
ce n'était pas suffisant: il fallait
absolument savoir s'il y était parvenu!Et, pour finir, la victime s'est fait
demandé la question suivante: "Vous
avez pas eu de fun un peu
aussi?" 119
II s'agissait
là d'une affaire où la dame, en plus d'avoir étéagressée
sexuellement, avait été menacée psychologiquement ("Tusortiras
pas d'icitte vivante!") et physiquement avec un couteau sous lementon!
Ce n'est qu'avec le troisième témoin de la Couronne, toutesdes
femmes, que le juge a finalement reproché à la Défense de faire duharcèlement.
120 En cours de procédure, il avait tenté de fairecomprendre
à la Défense qu'elle faisait perdre beaucoup de temps avecses
contre-interrogatoires tatillons.121
En ce qui a
trait aux autres sujets dits en lien, ils sont égalementsusceptibles d'être abordés par la Défense de manière tendancieuse àla
défaveur de la victime.
Par exemple,
en ce qui concerne l'habillement de la victime, letraitement
du sujet n'a été utile que dans une seule des cinq causes oùil
en a été question: la victime avait perdu une boucle d'oreilles dans lelogement
de l'accusé, boucle d'oreilles qui fut identifiée durantl'audition.
Ailleurs, il semble que l'intérêt du sujet s'explique autrementque
par la nécessaire recherche de la vérité. Dans deux cas, laDéfense a tenté de
soulever des préjugés quant à l'habillement de lavictime.
Vous étiez habillée de quelle façon cette fois-là?(...)
T-shirt sur le dos?(...)
C'est-à-dire,
c'est un genre de T-shirt là...122
Pas dupe du manège,
la victime s'est obligée à expliquer qu'elle
119
Ibid., p. 151.
120
Ibid., p. 142.
121
Ibid., p. 160.
122
R. c. Doyon, p. CH-20.
s'apprêtait à aller
au lit.
Dans une
autre cause, la Défense a beaucoup insisté pour avoir une
description détaillée des vêtements et des bijoux que portait la victime
et pour faire entendre à la Cour que la jeune fille s'était maquillée
et peignée de manière bien singulière, avant d'aller passer la journée
dans un centre commercial où elle a rencontré l'agresseur. 123
La victime s'est même fait demander:
Est-ce que ça arrive des fois que vous ne portez pas de
caleçons[Entendre petites culottes] en-dessous de vos jeans? 124
Cette
question n'avait rien à voir avec l'agression, mais ne visait qu'à
nourrir les préjugés en défaveur de la plaignante. Pourtant,l'avocat,
lui-même, savait très bien pourquoi certaines personnes s'abstiennent
de porter une petite culotte: il en a lui-même expliqué les raisons
devant la Cour. 125
A l'intérieur
de contre-interrogatoires relatifs aux faits, laDéfense
aborde parfois directement les questions du refus ou duconsentement
de la plaignante et des contraintes exercées par l'accusé.Le
cas échéant, elle adopte les mêmes stratégies que dans lesquestions d'ordre
général: elle suscite des attentes par rapport à untype de comportements qu'aurait dû avoir la
victime; elle minimise lesactions de l'agresseur ou, d'une
manière ou d'une autre, véhicule despréjugés relatifs à l'agression
sexuelle. Voici des illustrations de la
manière dont elle s'y prend pour créer des doutes défavorables à lavictime.
Pourquoi vous l'avez
pas dit à personne que vous aviez peur [del'accusé]?
Ben j'avais peur, j'avais peur.
Mais c'était une raison pour le dire à quelqu'un?
Ben oui, m'ouvrir la gueule pis ri...
123
R. c. Sandro,
pp. 86, 91-93, 107, 148-149.
124
Ibid., p. 148.
125
Ibid., p. 149.
Bon, vous l'avez pas fait?
Ben oui
m'ouvrir la gueule pis risquer d'avoir du trouble ben ça me
tentait pas.(...)
[Référant à la
déclaration qui voulait que l'accusé ait empoigné la
victime à la gorge...]
Vous lui avez rien dit, vous? Vous avez rien dit à [l'accusé]?(...)
Ben oui j'y disais de me lâcher...Vous avez pas crié?
Pis je braillais pis e... mais y avait rien à faire...(...)
Est-ce que
vous avez crié pour qu'on entende au deuxième?
Ben quand tu... quelqu'un dit: "Tu sortiras pas d'icitte vivante."T'oses pas crier trop trop admettons.
Vous pensez pas que
ça peut être une bonne raison pour crier aussi?
Oui, ben admettons
quand tu, tu sais plus qu'est-ce qui arrive là, tusais plus si tu es pour sortir de là vivante ou pas là.126
Dans un autre cas, la
Défense insiste sur l'inexistence demenace
de la part de l'accusé:
En aucun
moment, il vous a fait des
menaces ou des chosessemblables?
Ben y m'a empêchée
d'ouvrir la porte quand je lui ai dit de, quand jelui ai demandé de sortir.
Mais il ne vous a pas fait de menace
verbale comme telle?
Non.
Il ne vous a pas dit: "Ferme la porte sinon...
"
Non.
"Y va t'arriver telle chose. "
126
R. c. Bourassa, pp. 74, 91 et 97.
Y avait pas
besoin de parler Monsieur.127
Cette
dernière citation relate un extrait de contre-interrogatoirequi,
en soi, pourrait paraître objectif: il instruit sur le déroulement de lasituation,
sans vraiment sous-tendre quelque préjugé. Maisl'insistance
sur l'inexistence de menace verbale n'est pas fortuite.Examinée
dans l'ensemble de la stratégie défensive, elle laisseentendre
que la victime, qui avait déjà eu une relation sexuelle avecl'accusé,
contrôlait, encore ce soir-là, la situation. Cette insistancevéhicule
également l'un des mythes de l'agression sexuelle, à savoirque
la contrainte est nécessairement explicite.
Dans un
autre cas, après avoir insisté sur la tenue vestimentairede
la victime, sur ses problèmes à l'école et ses écarts face à l'autoritéparentale,
la Défense s'ingénie à semer le doute sur le comportementde
l'adolescente:
Quelles étaient vos
intentions en allant au [centre commercial]?
(...)
Passer la journée puis la soirée avec eux?
(...)
Mais l'idée que vous aviez derrière la tête (...),
c'était de rencontrer des gens?
(...)
C'est d'avoir du plaisir?
(...)
Est-ce que vous aviez
l'impression qu'il fallait que vous restiez avec
lui là toute
la journée?
(...)
Vous pensiez qu'il
fallait que vous restiez avec lui [l'accusé] toute la journée?
(...)
Pourquoi?128
127 R. c. Doyon,
p. CH-22.
128 R. c. Sandro,
pp. 93-94 et 111.
Dernière
constatation à propos du traitement des sujets dits enlien,
les renseignements disponibles laissent entendre que la Couronneattache
peu d'importance à la description de la perception, dessentiments
et des émotions de la victime au moment de l'assaut.
Comme l'indique le tableau 14,
seules 3,9% des interventions dela catégorie en lien ont porté sur ce type
d'informations. De cesquestions, plus de la moitié
provenaient de la Défense. Celle-ci aabordé le sujet dans neuf causes. La
plupart du temps, elle tentaitainsi de proposer une interprétation
des faits selon laquelle laperception, les sentiments et les
émotions de la victime n'étaient pasobjectivement fondés.
En ce qui
concerne la Couronne, elle n'a abordé ce sujet type quedans cinq causes sur
quinze et près de 90% de toutes ses interventionsen ce domaine ont eu lieu dans deux causes.
C'est dire que, si l'onexcepte les cas où elle a effleuré le sujet, il est permis d'affirmer
que,plus souvent qu'autrement, la Couronne a
négligé de faire clarifier etpréciser la situation d'agression
sous cet angle. Dès lors, la Défense aeu beau jeu de reformuler à ses fins
les bribes d'informations que laplaignante aurait pu laisser échapper
au passage, en répondant àd'autres questions. Voici, malgré
tout, quelques exemples de questions
objectives qui abordent ce thème:
O.K., c'était comment
l'atmosphère là quand ça se passait ça?
(...)
A ce moment-là,
est-ce que tu savais ce que [l'un ou l'autre des accusés] voulait?
(...)
Là, est-ce que tu te rendais compte de ce qui
t'arrivait?(...)
Est-ce que tu sais,
en embarquant dans la voiture, où tu vas aller?129
Et la
Couronne de poursuivre son enquête sur la compréhensionque la victime avait
des propos que lui tenaient les accusés.
129 R. c. Richer,
pp. 16, 17, 19 et
22.
Ailleurs,
c'est la Défense qui questionne la victime sur saperception de la
situation, ses sentiments et ses émotions, mais defaçon tendancieuse: l'accusé n'ayant pas
menacé explicitement laplaignante, semble dire la Défense,
celle-ci n'avait aucune raisonobjective d'avoir peur de lui, donc
de se laisser abuser sexuellement.
Vous ne
vouliez rien savoir? Là, si je comprends bien...
J'me sentais mal à l'aise avec cet homme-là dans
maison. Et pis y m'faisait peur. Parce qu'y avait
son regard là. Y était assez fixe.
Si je comprends bien, la peur que vous avez eue, c'est
par rapport à son regard?
Oui.
En aucun
moment, il vous a fait des menaces ou des choses semblables?
Ben y m'a empêchée d'ouvrir la porte quand je lui ai dit
de, quand jelui ai demandé de sortir.
Mais il ne
vous a pas fait de menace verbale comme telle?130
Peu importe
le regard fixe ou l'attitude générale de l'agresseur quiexplique
que la victime ait perdu sa capacité à s'autodéterminer, peu
importe qu'elle ait été empêchée d'ouvrir la porte et qu'il ait refusé desortir,
ce n'est pas de l'intérêt de la Défense que d'inclure tous cesaspects
dans son interprétation: la victime n'a eu peur que d'un regard...
Dans l'ensemble
des causes de l'échantillon, il ressort doncassez
clairement que la Défense a largement référé soit à des attentespar
rapport à un type de comportements de la part de la victime, soit à
des préjugés relatifs à l'agression sexuelle ou sur les deux aspects à lafois, selon les
déclarations à exploiter dans les témoignages. Lesattentes par rapport à un comportement
stéréotypé incluent égalementles préjugés qu'on a tenté d'éveiller
à l'égard de l'habillement ou, plusgénéralement, de la manière de
penser ou de vivre d'une personne.
130 R. c. Doyon, p. CH-22.
Quant à la
Couronne, le moins qui puisse être dit est qu'elle asouvent
négligé d'établir clairement et précisément la perception, lessentiments
et les émotions de la victime lors de l'agression. De plus,ici
comme ailleurs, elle ne semble pas s'être sentie liée par son rôle dedéfense
de l'intégrité de ses témoins. La Défense peut bien formulerses
interventions ou reformuler les réponses d'une victime de façontrompeuse;
elle peut bien semer des préjugés quant à son habillementau
moment de l'agression; elle peut carrément la harceler, la Couronneintervient
rarement. Tout se passe comme si elle admettait que laDéfense
doit défendre son client, fût-ce aux dépens de l'intégrité de sespropres
témoins, fût-ce en se distançant des faits à juger.
En ce qui concerne
les questions portant sur les événements qui sesont
produits après l'agression et qui entretiennent un lien direct aveccelle-ci,
elles représentent 11,6% de toutes les interventions.(Tableau
9) Près de 69% d'entre elles sont l'oeuvre de la Défense(Tableau
10) qui y accorde près de 14% de ses interventions, alorsque
la Couronne y consacre un peu plus de 9% des siennes (Tableau11),
Ce traitement différencié peut-il être expliqué? Les tableauxsuivants
informent sur la fréquence du traitement de chacun dessujets
types de cette catégorie (Tableau 15) et sur la provenance desquestions
(Tableau 16).
Le tableau 15
indique que les questions les plus courantesréfèrent
au déroulement général des suites: départ du lieu del'agression,
déclaration à la police, arrestation... Suivent les questionssur
des sujets autres et celles qui touchent les discussions que lavictime
aurait entretenues avec des tiers sur la situation d'agression.
Tableau 15
Fréquence
des sujets types relatifs aux suites
* Pourcentage par rapport au total des
interventions dans la catégorie
Dans
l'ensemble, ces sujets types sont abordés objectivement.D'une
question globale à des questions plus précises, les partiess'informent
sur divers points: les actions de la victime aprèsl'agression;
les discussions qu'elle a eues au sujet de celle-ci; lesdémarches
entreprises pour porter plainte; les raisons qui expliquent ledépôt
de celle-ci; le contenu de la plainte... Voici quelques citationspour
en illustrer la formulation et les divers points qu'ils tententd'éclairer.
Okay.
Qu'est-ce
que vous avez fait après que [l'accusé] ait quitté leslieux?131
O.K. Tu as parlé à ton père de tous ces incidents-là?132
Est-ce que vous avez fait quelques démarches, vous, suite
à ça, le lendemain
matin?
(...)
Qu'est-ce qu'elle a fait, [D.], suite à ça?(...)
Quand vous
dites qu'elle a porté plainte, quel geste a-t-elle posé?133
131 R. c. Doyon, p. CH12.
132 R. c. Laflamme, p. 48.
133 R. c. Blanchet, p. 13.
Est-ce que tu te
souviens d'avoir conté ce qui s'était passé à monsieurLaberge?134
Bon, vous nous avez
dit tout à l'heure que vous ne vouliez pas allerporter plainte. Pour quelle raison êtes-vous allée porter plainte par lasuite?135
Qui a appelé les
policiers ?136
Bon. Est-ce que vous
avez indiqué, à un moment donné, à un policier
d'autres paroles concernant le fait, par exemple, que [l'accusé] auraitfait des attouchements sur vous? 137
Toutefois,
dans cette catégorie comme en d'autres, il arrive que letémoin
principal subisse des interventions tendancieuses de la part dela
Défense. Les exemples suivants illustrent des questions quivéhiculent
des croyances populaires.
Est-ce qu'il est pas exact de dire, Mlle
(...), que le matin, quand vousavez effectivement rencontré la soeur de
[P.], vous avez senti lebesoin d'expliquer pourquoi est-ce
qu'il était dans votre chambre à cemoment-là et, que vous avez parlé
effectivement des attouchementsde [l'accusé] sur votre personne de
même que sur ses enfants?(...)
Est-ce que vous avez
pas senti le besoin d'expliquer pourquoi est-ceque M. [P.] a
été couché avec vous ce matin-là?138
Ici, on
insinue qu'il pourrait y avoir eu déclaration mensongère dela
part d'une plaignante. Cause: échappatoire à l'autorité, au contrôleparental
ou social. Cette formulation trahit l'objectif de la Défense: ellen'est
pas vraiment intéressée à enrichir une description factuelle dessuites
de l'agression. Le cas échéant, elle se serait simplementinformée
des raisons qui motivaient la déclaration, sans plus. Mêmesous
forme interrogative, la Défense, ici,
soumet une interprétation desfaits
qui reprend une croyance populaire non fondée et préjudiciablepour
l'ensemble des victimes: les femmes mentent souvent endéposant
des plaintes d'agressions sexuelles.
134
R. c. Desgagné, p. 8.
135
R. c. Gélinas, p. CH-13.
136
R. c. Richer, p. 79.
137
R. c. Girard, p. 73.
138
R. c. Blanchet, p. 59.
Une autre
croyance populaire ressurgit lorsque la Défense sepréoccupe
du fait que les victimes n'ont pas porté plainteimmédiatement
après l'agression.
Pourquoi vous êtes pas partie le soir où ils sont
venus vous reconduire, aller
alerter la police tout de suite?
(...)
Vous avez attendu
trois (3) jours pour porter plainte?139
A une victime d'agression sexuelle armée qui a dénoncé
son agresseurune fois celui-ci sous verrous, un avocat a demandé:
Pourquoi vous avez
attendu aussi longtemps pour porter plainte?140
C'est la subsistance de la
doctrine de la "plainte spontanée",selon laquelle une "vraie"
victime dénonce son agresseur à la premièreoccasion, soit immédiatement après
l'assaut. 141 Or cette règle futabrogée
parce qu'elle avait été jugée discriminatoire, ne s'appliquantque
dans les causes d'agressions sexuelles.
Somme toute,
le traitement judiciaire des suites dans les causesétudiées
révèle trois aspects. Indubitablement, les parties se sontparticulièrement
intéressées à une description du déroulement généraldes
faits suivants l'agression. Du reste, comme le démontrentcertaines
citations, il est arrivé que la Défense véhicule des croyancespopulaires
qui ont pu susciter des préjugés ou stéréotypesdéfavorables
à la victime. De son côté, la Couronne a négligé letraitement
des conséquences physiques et psychologiques del'agression:
seuls deux procureurs ont abordé le sujet desconséquences
physiques ou psychologiques durant les audiences.Cependant,
ces renseignements n'expliquent pas en quoi la Défenseaccorde
beaucoup plus d'importance au traitement des fuitesd'informations
que la Couronne. Les tableaux 16 et 17 fournissentquelques
indices supplémentaires.
139
R. c. Richer, p. 56.
140
R. c. Bourassa, p. 136.
141
Pour une explication de l'origine de cette
croyance, voir Marilyn G. STANLEY
(1985), pp. xi-xii.
Comme en
témoignent les chiffres du tableau 16, la Défensetraite
plus abondamment que la Couronne de chacun des sujets typesrelatifs
aux suites, à l'exception des conséquences de l'agression.L'écart
de traitement entre les parties est particulièrement prononcé en
ce qui concerne les discussions de la victime avec les tiers quant àl'agression
et les délais entre l'agression et la plainte ou l'agression etla
demande de soins médicaux. Par contre, le tableau 17 informe que,par
rapport à l'ensemble des interventions respectives des parties, laDéfense
n'accorderait pas plus d'importance que la Couronne autraitement
des délais.
Le tout
considéré, il semble que l'écart de traitement entre lesparties
soit attribuable au fait que la Défense traite plusexhaustivement
du déroulement général et des discussions de lavictime
avec les tiers: à lui seul, l'écart observé dans le traitement deces
deux sujets explique plus de 90% de l'écart général observé dans le
traitement de cette catégorie d'informations. La Défense a formulé 350questions
relatives au déroulement général, alors que la Couronne enposait
246; 106 interventions relatives aux discussions de la victimeavec
les tiers provenaient de la Défense, alors que la Couronne n'en aformulé
que 19.
Tableau 16
Fréquence des interventions des parties par rapport à l'ensemble des interventions par sujet
type
* Pourcentage par
rapport au total des interventions par sujet
Tableau 17
Fréquence des
interventions des parties par
rapport à l'ensemble de leurs interventionsrespectives par sujet type relatif aux suites
1 Pourcentage
par rapport au total des interventions de la Couronne
2 Pourcentage
par rapport au total des interventions de la Défense
De toutes les
catégories de sujets relevées dans les transcriptionsd'enquêtes
préliminaires ou de procès, il reste à traiter desconfrontations
et des interventions diverses.
Les
confrontations représentent 3,5% de toutes les interventionsdurant
les audiences (Tableau 9) et près de 69% d'entre ellesproviennent
de la Défense (Tableau 10). Généralement, elles sontformulées
de façon objective, c'est-à-dire qu'elles reprennent les proposde
l'un des témoins ou réfèrent directement à l'une des déclarationsantérieures
de la personne interrogée. En voici quelques exemples:
Est-ce que vous avez
pas parlé à l'enquête préliminaire d'un dénomméG. qui était là également?142
C'est exact que vous
avez dit ça?143
Non, mais tu as écrit
le lendemain que tu avais ton chandail sur toi.C'est bien ça?
Tu viens de le lire là.
Oui.
Maintenant aujourd'hui, tu dis que tu avais pas ton
chandail sur toi?
Je me suis trompée.
C'est aujourd'hui
que tu t'es trompée ?144
Par contre, il
arrive, ici aussi, que des questions soient formulées defaçon
tendancieuse.
Si je comprends bien votre témoignage d'aujourd'hui, vous
avez dit quevous êtes allée à l'école jusque vers les dix heures trente (10 h 30),est-ce que c'est ça?(...)
Ceci est une transcription des questions que je vous ai
posées et desréponses que vous m'avez données le 31 octobre '86... lorsque vousétiez sous serment pour dire la vérité.
(...)
Est-ce que vous
pouvez expliquer au Jury la raison pour laquelle, cejour-là [parlant de l'enquête préliminaire], vous avez dit que vous
142
R. c. Blanchet, p. 20.
143
R. c. Girard, p. 63.
144
R. c. Laflamme, pp. 53-54.
n'étiez pas
allée à l'école de la journée?
[Sur ce, la
Cour demande à la Défense de reformuler sa question.]
Pouvez-vous expliquer
au Jury la raison pour laquelle vous n'avez pasmentionné que vous étiez allée à l'école pour une partie de lajournée?145
Ce jour-là,
ce juge n'a pas toléré une insinuation de la Défensepar
trop évidente: entre suggérer qu'un témoin a menti et suggérer qu'ila
oublié de dire, il existe une différence qui pourrait traduire un peu derespect
à l'endroit du témoin.
Tout en
convenant généralement du caractère objectif de laformulation
des confrontations, l'examen d'ensemble rappelle qu'il n'y apas
que la formulation, prise séparément, qui compte dans l'objectivité.En fait, l'insistance
à ressasser tous les menus détails d'une agressionpour ensuite confronter la victime sur des
vétilles laisse perplexe.Comme si une personne vivant une
situation angoissante en retiendranécessairement chaque détail,
justement, dit-on, parce que la situationn'est pas ordinaire. Cliché. Ici, ce
sont les éléments qui ont exprimé lamenace et déclenché l'angoisse qui
retiennent l'attention de laplaignante. C'est pourquoi il arrive
que, de la plainte à l'enquêtepréliminaire ou au procès, les
déclarations de la victime diffèrent surdes éléments qui, pour elle, sont
probablement insignifiants. Avait-elleou non son chandail sur elle à un
moment précis? Portait-elle des
bottes ou des souliers? Où les a-t-elle laissés? S'était-elle assise surun banc ou une chaise?... Faire un
plat des contradictions secondaires
dans les déclarations de la plaignante, n'est-ce pas en soi tendancieux?
En ce qui concerne les
interventions diverses, qui représentent16,7% de tout le contenu des enquêtes
préliminaires ou procès, elles seprésentent sous trois formes: les expressions diverses, les questions
interrompues et les consignes au témoin.
Les
"O.K.", "Oui", "Non", "Ouan",
"Hum, hum", "Bon"... fontpartie
d'un type d'interventions qui, selon toute vraisemblance,
145
R. c. Sandro, pp. 97-99. [Caractères gras par nous.]
encourage le témoin à poursuivre son récit. Elles
forment le groupe desexpressions
diverses.
Les questions
interrompues peuvent porter sur toutes sortes desujets
types. Cependant, comme elles sont incomplètes, elles peuventdifficilement
être analysées sous un angle ou un autre. A ce titre, ellesne
sont d'aucune utilité dans une analyse du traitement judiciaire descauses
d'agressions sexuelles.
En ce qui concerne les consignes à
la plaignante, elles sontdiverses et généralement formulées de façon
strictement descriptiveeu égard à ce qui lui est demandé.
Quelques exemples:
Ecoutez Madame, je vous pose des questions, je vous
demande derépondre.146
(...) Si tu veux
reprendre connaissance de ta déclaration, plusparticulièrement
ici, là.147
Expliquez ça à
monsieur le Juge.148
Les victimes
se passeraient probablement de l'exaspération desavocats
(point d'exclamation de la première citation); elles sepasseraient
sans doute également de leur condescendance: "Racontez-moi
l'histoire comme il faut là."149 Mais il semble qu'il s'agisse
là de
cas d'exception, même s'il arrive que la condescendance transparaissedu
traitement d'ensemble.
Bref, dans le
cadre de cette étude, les confrontations et lesinterventions
diverses sont généralement formulées de façon objectiveou
descriptive. Au demeurant, les confrontations insistantes sur des
faits secondaires nous apparaissent tendancieuses en soi.
Pour
résumer, quatre éléments particularisent le traitementjudiciaire
des causes de l'échantillon. Premièrement, hormis les
146
R. c. Croteau, p. 7.
147
R. c. Desgagné, p. 11.
148
R. c. Gélinas, p. CH9.
149
R. c. Laflamme, p. 15.
interventions diverses, les
informations recherchées durant lesaudiences
sont, dans un ordre de fréquence décroissant: les sujets enlien,
les sujets d'identification, les suites et les sujets sans lien.Ensemble,
ceux-ci regroupent plus de 76% de toutes les interventions.(Tableau
9)
Deuxièmement,
de façon générale, les questions semblentformulées
objectivement, c'est-à-dire qu'elles requièrent unedescription
des faits en cause, sans préjuger quoi que ce soit depréjudiciable
à la victime ou à l'accusé.
Troisième
caractéristique, le traitement judiciaire perd de sonobjectivité
et risque de léser la victime dans son droit à un procès juste
et équitable lorsque sont pris en compte les questions sans lien, lesinsinuations
diverses de la part de la Défense et les liens qui semblentexister
entre toutes les questions dans le contre-interrogatoire.
Quatrièmement,
confrontée à des questions sans lien, qui pour laplupart
risquent de susciter des préjugés qui lui seront défavorables,confrontée
à une stratégie défensive parsemée d'insinuations à sonégard,
la victime apparaît esseulée. Comme s'il n'était pas du rôle de laCouronne
de veiller à ce que ses droits soient respectés.
Ceci dit, pour
mieux cerner le rôle que jouent les mythes,préjugés
et stéréotypes semés à travers les questions sans lien, maisaussi
à travers les insinuations que sous-tendent plusieurs questionsdans
les autres catégories, il est intéressant de vérifier ce queretiennent
les parties dans leur plaidoirie respective. C'est l'objet de la
prochaine section que d'examiner les argumentations finales dans troiscauses,
histoire de se donner un aperçu de la manière dont le touts'articule.
Les
questions posées par la Couronne ou la Défense dans uneenquête
préliminaire ou un procès ne sont pas quelconques: ellesconstituent
autant d'éléments faisant partie de leur stratégie soit pour
défendre
l'application des lois soit pour défendre un accusé. C'est dansleur
plaidoirie que les avocates et avocats font le lien entre toutes lescomposantes
de leur stratégie. Les interrogatoires et contre-interrogatoires
sont clos. Chacune des parties rassemble les élémentsqui
conforteront sa thèse: s'agit-il d'éléments reliés à des faits mis enpreuve
ou d'éléments liés à une interprétation subjective? La lecturede
quelques plaidoiries laisse entendre que la preuve sur la situation
d'agression cède souvent le pas aux faits extérieurs et aux croyancespersonnelles.
Voici un aperçu de la manière dont le tout s'articule.Dans
le premier cas, la Couronne a essentiellement résumé les
principaux
faits démontrant la situation d'agression et a insisté sur l'existence
de la corroboration du témoignage de la plaignante par les autres témoignages apportés en preuve.
Hormis la descriptionobjective
des faits mise de l'avant par la Couronne, c'est l'insistance
sur l'existence d'une corroboration qui a retenu notre attention danscette
plaidoirie.
Si on avait juste le
témoignage de madame [G., la plaignante] et tout...Mais là je
vous dis que le témoignage de madame [G.] est corroborépar le témoignage de madame [S.] (...)
On a madame [B.] qui
dit que ce matin-là [la plaignante] est arrivée,elle était dans un état tel... On a le médecin qui vient dire:
"Ecoutez,c'est une personne qui est comme ça." [En référant aux
conséquences
physiques et psychologiques.]150
C'est précisément pour corriger
cette méfiance entretenue àl'égard des femmes par des règles de droit
discriminatoires en matière
de preuve que le gouvernement fédéral a abrogé, en 1983, l'obligationde la corroboration dans les causes
d'agressions sexuelles. Il sembleque les mentalités tardent à
s'adapter à ces modifications. Entretemps, est encore véhiculée la
croyance que, sans corroboration, il estcompréhensible que la Cour doute du
témoignage d'une plaignante dansdes cas d'agressions sexuelles.
Dans la même
cause, la Défense,
pour sa part,
a
150 R. c. Bourassa, p. 63.
substantiellement basé sa plaidoirie
sur des déclarationscontradictoires
et sur une interprétation subjective des événements,c'est-à-dire
une interprétation qui ne s'appuie sur aucun fait apporté enpreuve.
La Défense a
redit et re-redit les contradictions secondairesentre
la déclaration à la police et les témoignages de la plaignante àl'enquête
préliminaire et au procès. S'était-elle assise sur un banc ou
sur une chaise? L'a-t-elle pris par le bras, oui ou non? Chaussait-elledes bottes ou des
souliers? A-t-elle rencontré les policiers deux outrois fois? Chez elle ou au poste de
police?... Le seul pointd'importance soulevé par la Défense
était que, selon les déclarationsde l'un des témoins de la Couronne,
l'agression ne pouvait avoir étéperpétrée à la date identifiée par
les deux autres témoins de laCouronne. Cependant, le juge a
reconnu qu'à huit mois d'intervalle, ilse pouvait qu'il y ait eu erreur sur
la date.
Le reste du
temps, la Défense a soumis son interprétation desfaits,
une interprétation essentiellement fondée soit sur des préjugés etstéréotypes,
soit sur un dit "sens commun". Les citations suivantesillustrent
des préjugés et stéréotypes de divers ordres et le senscommun
auquel réfère l'avocat.
A propos des
déclarations de la plaignante et de l'ex-conjointe del'accusé,
la Défense les explique pour les motifs suivants: l'une devaitexcuser
son absence auprès de son ami et l'autre souhaitait neutraliserles
droits de l'accusé en tant que père d'un de ses enfants. Dans lepremier
cas, la Défense s'exprime en ces termes:
Une question
que je voudrais aussi que vous vous posiez,lorsqu'elle arrive à six heure et demie (6H-1/2) le matin chez son amiede fille (...). On sait que, normalement, madame [G., la plaignante]avait rendez-vous avec son ami. Lorsqu'elle est partie du bar, son ami
était supposé l'attendre chez elle, son ami de, de coeur là, son
"chum".
Alors, moi, je me pose la question suivante: est-ce que ses pleurs chezmadame [B., l'amie], c'était en fonction d'une agression ou en fonction
du fait qu'elle avait
eu une relation sexuelle avec un autre individuqu'elle voulait pas que son, si jamais l'ami l'apprenait que ce soit...
Jevous demande de vous poser des questions là-dessus.151
Dans le cas
de l'ex-conjointe qui témoignait pour la Couronne, laDéfense
maintient ce qui suit:
Madame [S.]
(...), c'est une personne qui a un problème familialavec [l'accusé] et
c'est une personne qui vient vous dire (...) que, suiteà ça [des actes violents de la part de son
ex-conjoint] (...) elle avaitdécidé de quitter [l'accusé] et le
fait de quitter [l'accusé], elle avaitpeur de ça parce qu'elle avait peur
de la réaction [de l'accusé] face à
son départ avec les enfants. (...) elle en a assez, puis elle veut partir,mais là faut qu'elle prenne le moyen
pour enlever [l'accusé] du décor etelle a pris ce moyen-là: elle est
allée voir les policiers (...)
(...)
Où je veux en
venir, c'est que le témoignage que vous devezregarder
(...), vous devez apprécier la crédibilité de madame [S.]parce
que (...) cette personne-là (...), elle a un intérêt. L'intérêt, c'estde sortir [l'accusé]
du décor (...) c'est que [l'accusé] reste menotté.152
Alors que la
Défense revenait sur cette dernière interprétation, lejuge
l'a interrompue en disant que "tout ça, c'est de la foutaise". 153
Il est
notable ici, qu'à défaut de pouvoir répudier le caractère
violent des gestes posés par l'accusé à l'encontre de ces deux témoins,
la Défense s'en prend aux témoins: elle attaque leur crédibilité. Leproblème est que cet
avocat le fait sur la base de préjugés à l'encontredes femmes en général: il faut se méfier
des déclarations mensongèresdes femmes lors d'une plainte
d'agression sexuelle. D'ailleurs, nel'exprime-t-il pas ouvertement?
151
Ibid., p. 113.
152
Ibid., pp. 68-69 et
70-71.
153
Ibid., p. 134.
Je veux dire
(...) si le droit est rendu où la crédibilité d'un témoin[est admise]
au simple fait qu'un policier porte une plainte, qu'unefemme vient dire je me suis fait violer. Je
vais vous dire une chose:on vit en tant qu'homme dans une situation très dangereuse, trèsdangereuse.154
Le doute que
la Cour doit apparemment entretenir à l'égard destémoignages
des femmes en matière d'agression sexuelle n'estd'ailleurs
pas une nouvelle donnée du traitement judiciaire.L'instauration
de règles de preuve propres à la démonstration de cetype
de criminalité a été légitimée par cette suspicion légendaire que lasociété
patriarcale avait institutionnalisée contre les femmes.L'obligation
de la plainte spontanée et de la corroboration dutémoignage
de la plaignante ont été deux moyens pris par les hommesde
droit pour se prémunir contre des accusations mensongères de lapart
des femmes.
Mais là ne
s'arrêtent pas les préjugés et stéréotypes à proposdes
femmes, du viol et de l'agresseur. Ainsi, la Défense suggère savision
de ce qui semble être une vraie victime et un vrai viol... sansvouloir
médire sur les "barmaid".
(...) y a
une chose qui est certaine: une barmaid qui travaille dans
un bar depuis un an et demi (1½), face aux
hommes, elle est pas lajeune fille (...) qui travaille chez monsieur le curé. Elle a une
expérience des hommes et de la vie différente (...) Ben, VotreSeigneurie, pour moi, une barmaid, c'est pas une femme ordinaire, y ensavent beaucoup plus. Y entendent les hommes à soirée longue leurdemander toutes sortes de choses puis leur parler de leur femme (...).
Je veux dire par là, c'est pas une innocente de la vie cette personne-là.155
Pour tenter
de contrer ce portrait stéréotypé, le juge a informé laDéfense
que la plaignante n'était pas l'accusée dans cette cause. Mais
154 Ibid, p. 93.
155
Ibid., p. 97.
la Défense insistait tant et si bien que voilà ce que le
juge a compris duportrait
de la plaignante:
Est-ce que réellement les affirmations que vous faites au
sujet demadame [G., la
plaignante], puis on peut toujours être d'accord pourdire que c'est peut-être pas (...) une
petite fille de couvent là, maisest-ce que réellement c'est basé
sur, sur la preuve?(...)
Non, mais (...) sur
son caractère: elle est barmaid, puis elle couche
avec les hommes
puis...
(...)
[PAR LA DEFENSE]
Ah! non, non, j'ai jamais dit ça.
PAR LA COUR
Ben!
[PAR LA DEFENSE]
J'ai jamais dit ça.
PAR LA COUR
C'est pas ça que vous avez dit...(...)
mais ça ressemblait à
ça.156
Tout en
convenant que le juge, ici, fait preuve de perspicacité etde
vigilance, notons au passage qu'il semble tout de même accorder dela
crédibilité à certains stéréotypes: bien sûr, la plaignante n'est pasune
"petite fille de couvent", mais il n'est pas prouvé qu'elle coucheavec
tous les hommes. Est-ce à dire qu'une barmaid sexuellement trèsactive
aurait à ses yeux moins de crédibilité qu'une petite fille decouvent?
Quoi qu'il en
soit, les considérations du juge n'empêche pas laDéfense
de poursuivre son portrait de ce qu'est une vraie victime et unvrai
viol.
156
Ibid., pp. 123-124.
Après ça, ça
c'était dans la question de sa (...) personnalité. Là,
faut quand même faire des différences entre la jeune fille tout à faitétudiante qui se fait attaquer par quinze (15) motards puis qui se fait(...) violer sur le coin de la rue. Je veux dire, faut faire desnuances 157
Sur ce, le
juge est intervenu pour demander à la Défense de ne
pas exagérer. Mais, là où la Défense voulait en venir, c'est que:
(...) si, moi,
je vais dans une arène de boxe, y a des bonneschances que je reçoive un coup de poing (...). Moi, je me dis (...) si
cequi s'est passé serait vrai, moi, je vous dis qu'elle a couru pas malaprès, elle l'a cherché un petit peu son trouble.158
Cette
plaignante n'a pas subi un vrai viol, parce qu'un viol, c'estun
crime qui est perpétré dans un court laps de temps, qui laisse desmarques
physiques sur une victime qui devrait avoir réagi de façon
agressive pour exprimer son refus.
Quand elle
nous dit qu'elle était nerveuse puis anxieuse, elleétait nerveuse puis anxieuse pendant deux (2) mois (...) parce qu'elleavait peur de [l'accusé]. Elle était nerveuse puis anxieuse aussi dansla chambre
chez [l'accusé], mais sa nervosité (...) a fait qu'elle estdevenue très apathique parce qu'elle a pas
crié, elle s'est pas débattue
fort, y a pas de "grafignes", elle a pas de bleus, rien. 159
Autre
stéréotype. La plaignante n'a pas subi un vrai viol puisque
la peur l'aurait amenée à changer ses habitudes de vie...
Elle a peur,
elle vous a dit pendant je sais pas comment de tempsqu'elle avait peur. Ben pourquoi, elle a pas changé ses habitudes?Elle continue à aller au Bar Le Chariot; elle continue de passer devantla maison de [l'accusé]; elle a rien changé à ses habitudes. 160
157
Ibid., p. 99.
158
Ibid., p. 145.
159
Ibid., p. 136.
160
Ibid., p. 89.
Tous ces
mythes, préjugés et stéréotypes sont intégrés dans undiscours
qui les hisse au rang du "sens commun". Par exemple, voiciun
passage explicite à propos du souvenir détaillé que les individusgardent
"ordinairement" des expériences traumatisantes.
(...) mais
la femme qui se fait vraiment attaquer (...) elle va sesouvenir du détail. Elle va se souvenir quand y a enlevé ses bas, àmoins qu'il l'ait frappée, qu'il l'ait tirée dans le mur, qu'elle soitinconsciente. Mais, si elle est très consciente, je pense que toutefemme ordinaire et saine d'esprit, si elle est avec un individu pendant
deux (2) heures, elle va être capable de vous décrire tout ce qu'il lui adit (...)je parle dans le cadre ordinaire de psychologie normale.161
Le juge est
encore intervenu, cette fois, pour rappeler à laDéfense
qu'il n'était pas psychologue, insinuant qu'il ne statuerait passur
le cas en vertu de cette perspective. Et, en ce qui concerne le pointde
vue de la Défense sur les comportements humains communs,ordinaires,
normaux ou logiques, le magistrat a été clair avec l'avocat: ilcroit
plutôt que les comportements diffèrent d'une personne à une autre
et il n'a pas l'intention d'appliquer la "logique" de la Défense. 162
Bref, dans cette cause, la
Couronne se fait brève dans une
plaidoirie essentiellement axée sur un résumé objectif des faitsprincipaux. Alors que la Défense fait oeuvre
de prestidigitation envoilant le champ de vision d'un
tissu de petites contradictions, demythes, de préjugés et de
stéréotypes, pour mieux camoufler les faits.Dans l'ensemble, la référence, de la
part de la Couronne, à des règlesde preuve qui n'existent plus en
droit (plainte spontanée et lacorroboration) et l'étalage des
mythes, préjugés et stéréotypes de laDéfense laissent entendre que les
mentalités ne se sont pas ajustéesà l'esprit des modifications
législatives de 1983.
161 Ibid.,
p. 88.
162
Ibid., pp. 91-92 et 132.
Dans une deuxième cause, la nature des
gestes reprochés à l'accusé
préoccupe les avocats:
y a-t-il eu
attouchements sexuels oueffleurements
accidentels?
Comme dans
le premier cas, la Couronne se fait brève enargumentant
sur la nature des gestes posés et en rappelant les critèresqui
prévalent à la détermination de la crédibilité d'un témoignage.
Quant à la
Défense, elle plaide essentiellement sur le manque decrédibilité
des plaignantes. Ce faisant, elle rappelle la nature desgestes
et évoque l'existence de contradictions apparemmentimportantes.
A propos des
faits allégués, la Défense fait valoir qu'ils n'ont paseu
lieu, à preuve les contradictions importantes. Cependant, dansl'éventualité
où la Cour en déciderait autrement, elle maintient que lesactes
décrits sont susceptibles de n'être que des frôlementsaccidentels.
Ici, s'immiscent encore des mythes et des préjugés quisont
d'ailleurs partagés par le juge.
Des mythes.
Selon la Défense, il est possible d'effleurer levagin, les fesses ou
les seins de trois jeunes femmes sans le faireexprès, tout cela à l'intérieur d'un laps de
temps relativement court.
En tout cas,
tout ça pour dire, Votre Seigneurie, que même si oncroit les jeunes filles, ce sont des attouchements qui sont autantcompatibles, Votre Seigneurie, avec un geste voulu qu'avec un gesteaccidentel, compte tenu des activités.163
Loin de
trouver l'interprétation peu sérieuse, le juge l'aconsidérée
plausible... surtout que les personnes interagissaient dansun
petit logement, a-t-il renchéri.
La pièce
(...) était grande comme (...) ma main. Alors, quand unejeune fille dit qu'il était assis sur (...) le bord du lit pis qu'il lui
a
touché au postérieur ou au vagin, (...) est-ce que c'était volontaire
163 R. c. N.,
p. 187.
ou...164
Fondamentalement,
ce que sous-tend cette interprétation, c'estqu'il
est difficile de distinguer des touchers accidentels de touchersvolontaires,
comme il est difficile de différencier une relation sexuellevolontaire
d'une agression sexuelle. Et c'est précisément cettecroyance
qui en nourrit une autre, la croyance de la fabulation chez lesfemmes.
Quoi qu'il en
soit, là "n'est pas le point": les contradictions dansles
témoignages font douter de la véracité des déclarations. Or,particulièrement
dans le cas de plaintes d'agressions sexuelles, nousdit
la Défense, il faut être vigilant et se prémunir contre lesdéclarations
mensongères.
(...) pas plus
tard que v'là deux (2) mois, votre collègue, le jugeDionne, (...) avait accepté les aveux d'une jeune fille qui, après avoiraccusé un gars, (...) un couple [de garçons] de l'avoir violée, elle a
dit àla Cour (...) l'enquête a révélé que c'était pas vrai. (...) Ce à quoi
je
veux que vous soyez sensible, Votre Seigneurie, c'est que c'est (...) dela crédibilité pure.165
Tout est donc
question de crédibilité et les victimes, ici, n'en ontpas,
selon la Défense. Elles ne sont pas crédibles entre autres à causede
leur profil social et familial et à cause du délai qui s'est écoulé entreles
actes et le dépôt d'une plainte.
C'est avant
tout une question de crédibilité. Moi, je n'ai pas àentrer
dans la vie de ces familles-là. Mais une chose est certaine, (...)je
ne pense pas que ces jeunes filles-là ont témoigné de façon à laisservoir
au président du tribunal que c'était un domaine complètementnouveau,
en tout cas par les termes qu'elles avaient employés dansleur
déclaration (...) même une (...), elle a dit clairement: "Je saisqu'est-ce
que c'est ces histoires-là (...) de "arse", pis des seins, pis
164Ibid., p. 207.
165
Ibid., p. 193.
tout ça, pis un
pénis, je sais qu'est-ce que c'est."
(...)
Ecoutez, on peut pas dire que les jeunes filles sont jeunes(...)
pis y connaissent rien de la vie.166
Ici, la
Défense cherche à contrecarrer la question de la Couronnequi
demande pourquoi les jeunes filles auraient tout inventé: les jeunesfilles, semble-t-elle
maintenir, ont pu inventer parce qu'elles ont laconnaissance du sujet. A propos, des
circonstances des déclarations,la Défense ne croit pas que la réaction des parents, décrite par lesplaignantes, corresponde à une attitude
habituelle dans une situationsemblable.
Même plus que ça, (...) ou bien
c'est des parents insouciants oubien c'est pas la vérité qu'elles nous ont
dit. (...) Mais toujours est-ilqu'une jeune fille vous dit à vous:
"Ecoutez, c'est arrivé la premièrefin de semaine, j'en ai parlé à ma mère le samedi soir quand je suissortie, j'y ai dit que lui avait faite des
choses." Je lui demande:"Qu'est-ce que ta mère
dit?" [Elle répond:] "Ah, elle a rien dit" (...)
Ah, les
parents vont leur laisser faire ça complètement pis cen'est que l'autre semaine (...) une fois la fin de
semaine toutecomplétée, que
des parents auraient fait quelque chose.167
Autre aspect
qui surprend la Défense: le comportement desvictimes
n'apparaît pas être celui de personnes traumatisées. Il s'agitd'une
autre raison pour ne pas leur accorder crédibilité.
Pis, vous
l'avez vu d'après le comportement pis d'après letémoignage, ce n'était pas des jeunes filles qui ont été, ou semblaientmême à
l'époque, (...) traumatisées, avoir vécu ça (...) d'une façonvraiment agressante.168
166
Ibid., pp. 188-189.
167
Ibid., p. 190.
168
Ibid., p. 189.
Par contre, le
profil de l'accusé est, quant à lui, tout à faitconforme
à celui d'un homme ordinaire:
Comme y dit:
"J'ai quarante-sept (47) ans. Je suis marié. J'aides enfants.
J'ai pas d'antécédents judiciaires. "169
Bref, les
contradictions importantes n'ont pas été relevées dansla
plaidoirie de la Défense; celle-ci s'est contentée d'en rappelerl'existence,
simplement. Il s'agissait de contradictions dont certainesportaient
pourtant sur des faits principaux; elles opposaient, d'une part,les
déclarations à la police et les témoignages lors de l'audition et,d'autre
part, les témoignages des trois plaignantes entre eux. Plutôtque de se contenter
de rappeler les contradictions d'importance poursemer un doute quant à la culpabilité de
l'accusé, la Défense a misl'accent sur des croyances relatives
à la crédibilité des personnes encause. Ainsi, elle a tenté de
susciter une décision basée sur despréjugés défavorables aux victimes et
favorables à l'accusé, monsieur-tout-le-monde. Le juge a acquitté
l'accusé, entre autres, en notant:
Évidemment, là, vous avez
[l'accusé], qui est un homme (...) deplus de quarante (40) ans, qui n'a jamais
été condamné et qui niecatégoriquement tous ces gestes-là.
Et, en plus, comme le faisait
remarquer le procureur de la Défense, (...) les jeunes filles, qui sont
très jeunes, peuvent fabuler (...) quelque peu. Même les gestes qu'onlui reproche, en prenant pour acquis
qu'il les a posés, peuvent, en fait,être interprétés différemment, vous
savez.170
Le juge a,
lui aussi, versé dans les croyances au lieu de s'en teniraux
règles de droit et aux faits mis en preuve.
169 Ibid.,
p. 191.
170 Ibid., p. 207.
Dans une dernière cause, les deux parties
louvoient entre, d'une
part.les mythes,
préjugés et stéréotypes et, d'autre part, les faits. Enréalité,
on demande au jury d'examiner les deuxièmes sur la base despremiers.
D'un côté comme de l'autre, les avocats font appel auconcept de la
normalité en le truffant de préjugés et de stéréotypesrelatifs aux jeunes, aux femmes, au viol et
aux violeurs.
À propos des
jeunes, la Couronne explique le comportement de lajeune
victime de la manière suivante:
[TRADUCTION LIBRE] Elle avait passé toute la journée,
ellen'était pas allée à l'école (...) elle avait des problèmes. C'était une
fille de quinze (15) ans et elle avait des problèmes. Nous avons touseu quinze (15) ans un jour et nous savons tous ce que c'est quand on aquinze (15) ans: certains problèmes, qui nous semblent mineurs
aujourd'hui, étaient majeurs à ce moment-là.171
Trois préjugés sous-tendent ces propos:
Les jeunes sont volontiers assidus à l'école lorsqu'ils
n'ont pas deproblèmes
personnels.
Les
jeunes réagissent à leurs problèmes d'une manière typique.
Les jeunes perçoivent certains problèmes comme majeurs,
mêmes'ils
ne le sont pas.
En regard du
manque d'assiduité scolaire, l'ampleur dudécrochage, sans
compter tous ces jeunes qui persévèrent bon an malan, a amené la société à constater que
plusieurs ne vont pas volontiersà l'école. C'est pourquoi il est
généralement admis que le décrochage
scolaire ne peut être uniquement attribué à des problèmes personnels:l'école et d'autres intervenants
auprès des jeunes en portent au moinsune part de responsabilité.
171 R. c. Sandro, p. 38.
En ce qui
concerne la perception qu'ont les jeunes de leursproblèmes
et la manière dont ils y réagissent, il semble qu'unehypothèse
différente pourrait être non moins fondée. Chez les jeuneset
chez les adultes, il se peut qu'existent différents types depersonnalités
qui perçoivent différemment des situations de tout ordreet
y réagissent diversement, ayant évolué dans des conditionsd'existence
diverses.
Toujours à
propos des jeunes, la Défense, elle, met en gardecontre
leur tendance à la manipulation172et maintient que
l'agressionn'a
pas eu lieu: la plainte découle plutôt d'un fantasme.
[TRADUCTION
LIBRE] Ça ressemble... Quand j'essaied'imaginer ce
qui s'est passé, il y a un peu de romance dans tout ça.C'est comme un film pour adolescents ou un
drame psychologique surun viol. Tu sais, lui, la transportant dans ses bras et, elle,
s'agrippantau mur... J'imagine un scénario de ce genre.
C'est un scénarioimaginaire. Et c'est une jeune fille
de quinze (15) ans qui est exposéeà beaucoup de fantasmes sexuels et qui
a été exposée, dans cettesociété, à plusieurs scènes de ce type de violence.173
En ce qui
concerne les femmes, la Défense partage la même peurque
plusieurs de ses confrères: elles peuvent avoir cinquante-sixraisons
de déposer une plainte mensongère. Tentant d'expliquer soninterprétation
des faits, l'avocat suggère que le motif de la plainte dans
ce cas-ci est le rejet de la victime par l'accusé.
[TRADUCTION
LIBRE] Je dois me justifier maintenant. (...) Jepense qu'une combinaison de faits a pu l'amener [la victime] à sesentir rejetée par [l'accusé]. Elle a essayé de communiquer avec[l'accusé] par la suite, mais il ne voulait plus avoir affaire avec
elle.
(...) Il y a
eu un sentiment de rejet (...) il y a eu de la
172 Ibid., p. 10.
173 Ibid., p. 16.
frustration. 174
Autrement dit,
la victime avait consenti à l'acte sexuel, mais lerejet
subséquent par l'accusé a semé la rancoeur. De plus, le dépôtd'une
plainte pouvait faire diversion face à l'autorité.
[TRADUCTION
LIBRE] Et, tout ça ensemble, ça fait descirconstances où on a besoin d'une excuse et cela l'a influencée. Elle arepensé à tout ça et elle dit: "Oui, j'ai été agressée
sexuellement"175
C'est dire
que la jeune fille avait deux motifs pour déposer une
fausse plainte: la vengeance et le contrôle parental.
En matière
d'agression sexuelle, ici encore, la Défense n'est pasà
court de clichés.
[TRADUCTION
LIBRE] Une personne n'agit pas de cettemanière sans motif. Pourquoi [l'accusé] aurait-il agressésexuellement cette jeune fille? (...) Je veux dire, si elle est siattrayante qu'il est difficile pour un être humain de résister en étantauprès d'elle; est-ce le cas? Je ne pense pas. Est-il seul, est-il unhomme seul qui
sort de prison complètement frustré et qui doit sesatisfaire d'une manière ou d'une autre? Ce
n'est pas le cas.176
À en croire
la Défense, le viol serait dû à une pulsion masculineincontrôlée
devant une femme irrésistiblement attirante.
En plus de
trahir un mythe relatif à l'agression sexuelle, ladernière
citation véhiculait également que l'agresseur est un homme
anormal. Mais, sur ce, la Défense est plus explicite dans les termessuivants:
[TRADUCTION
LIBRE] Au sujet du motif. Je pense quechaque client a un motif, même les personnes qui écoutent la télé le
174
Ibid., p. 8.
175
Ibid., p. 9.
176
Ibid., pp. 23-24.
savent. Tu n'agis pas, à moins d'être
mentalement malade; si nouspensions que [l'accusé] est déséquilibré,
mentalement malade, undéviant sexuel ou quelqu'un du
genre, peut-être que le motif ne seraitpas important. Mais je ne pense pas
que nous ayons démontré cela.En fait, je pense qu'il est évident
que ce n'est pas le cas. Nous avonsbesoin d'un motif.177
Le violeur
est un être anormal, entendre différent de monsieur-
tout-le-monde. Donc, si l'accusé devant vous ressemble à monsieur-
tout-le-monde et qu'il n'avait aucun motif apparent d'agir, c'est qu'il n'apas
agressé sexuellement. Il est étonnant de constater que cettecroyance
est encore véhiculée dans nos tribunaux malgré qu'elle ait étémaintes fois démentie
par les résultats d'études sur les violeurs. 178
Toujours dans
un discours qui véhicule que l'agresseur n'est pasmonsieur-tout-le-monde,
la Couronne affirme que, ayant été un mauvaiscitoyen
dans le passé, l'accusé ne peut qu'avoir violé la jeune fille.
[TRADUCTION
LIBRE] II faut une personne violente pourcommettre un acte violent et son casier judiciaire met en évidencequ'il est une personne violente. Vols, un vol avec violence. Il a fait
dutrafic de stupéfiants. Tous ces crimes, selon moi, sont tous des actesviolents. Vous n'avez pas besoin de motif, vous savez que vous avezune personne violente devant vous et c'est suffisant.179
Malgré la
tendance à verser dans le préjugé et le stéréotype, ilreste
que, dans toutes les causes étudiées, ce fut l'unique occasion oùla
Couronne a rappelé que l'agression sexuelle est un acte de violence
177 Ibid., p. 23.
178
Référant à des résultats de recherche, Célyne
LACERTE-LAMONTAGNE et Yves
LAMONTAGNE (1980, p.
13) concluent que la gratification sexuelle n'est pas lebut de l'agression sexuelle. Michelle GUAY(1981, p. 41) résume les données deLorenne CLARK et Debra LEWIS (Rape : the Price of Coercitive Sexuality,Toronto, Ed. Women Press, 1977,
pp. 80-92) : "97% des agresseurs sont des
hommes normaux, ordinaires et de tous âges. " Dominique FORTIN (1981, p.48) reprend les résultats d'une enquête de la Sûreté du Québec : 95%
des violeurs,au moment de l'agression, étaient des hommes qui avaient des relations
sexuellesrégulières avec des partenaires consentantes.
et, qu'à ce titre, il pourrait être raisonnable de
s'interroger sur le modèlede
comportements d'un accusé.
Bref, dans
cette cause, comme dans les autres, les deux avocatstentent
de faire valoir une interprétation de la situation d'agression qui
sert leur intérêt respectif. Pour ce, ils soumettent des définitions decomportements
normaux ou rationnels, à travers lesquelles se glissent,nombreux,
les mythes, préjugés et stéréotypes.
Donc, ce qui
caractérise ces plaidoiries, ce n'est pas tant lerésumé
concis des faits en cause que l'étalage de mythes, de préjugéset
de stéréotypes. Ainsi, en référence aux grilles conçues pour releverles
sujets traités durant les audiences, en dernière instance, lesréponses
aux questions en lien et aux questions portant surl'identification
ou les suites de l'agression n'ont pas nécessairement
représenté l'essence des plaidoiries, malgré leur fréquence numériquedans
les interrogatoires et contre-interrogatoires.
En revanche,
les mythes, préjugés et stéréotypes, véhiculés àtravers
les questions sans lien et les questions trompeuses, eux, ontconsidérablement
teinté les argumentations finales. Dans desmesures
variables, les interprétations des situations d'agression enont
toutes été empreintes. Et, comme les mythes sur le violdéfavorisent
les victimes dans la démonstration de leur preuve, commeles
préjugés et stéréotypes sont, pour la plupart, discriminatoires àl'égard
des femmes, nul ne s'étonnera que des victimes se sentent
accusées.
Bref, en
dépit du caractère apparemment objectif de la majoritédes
interventions, les mythes, préjugés et stéréotypes véhiculés ça etlà
ont inspiré, dans trois plaidoiries, des argumentations finalesprincipalement
basées sur des présomptions ou des faits extérieurs àla
situation d'agression.
Pour conclure
sur le traitement judiciaire des causes d'agressionssexuelles
étudiées, deux types d'informations découlent de la lectured'enquêtes
préliminaires, de procès et de plaidoiries. Premièrement,
une description
quantitative (chiffrée) renseigne sur l'importanceaccordée
à chaque catégorie de sujets et à chaque sujet type de mêmeque
sur l'intérêt respectif de la Couronne et de la Défense pour chacunedes
classes d'informations: de quoi parle-t-on? et qui en parle?Deuxièmement,
une analyse de contenu aide à mieux définir la réalitéderrière
les chiffres.
Généralement,
les résultats de la collecte de données révèlentdeux
éléments importants: les sujets sans lien ont pris une placeindéniable
dans le traitement des causes étudiées et les autres sujetsn'ont
pas nécessairement été abordés de façon objective ou descriptive.La
formulation d'une intervention et le lien qu'elle entretenait avecl'ensemble
de l'argumentation sous-tendaient souvent l'un ou l'autre ouplusieurs
mythes, préjugés ou stéréotypes. Selon les personnes qui enont
fait les frais, ces mythes, préjugés et stéréotypes auraient pudiscréditer
l'un ou l'autre des groupes suivants: les femmes, les jeunes,les
groupes socio-économiquement défavorisés, les personnes quiavaient
des antécédents judiciaires et, généralement, tous ceux etcelles
dont l'origine, le passé, les attitudes ou les comportementspouvaient
être questionnés en vertu de mythes, préjugés oustéréotypes
quelconques. Mais, parmi toutes les idées préconçues, cesont
évidemment celles qui ont trait à l'agression sexuelle, la femme oul'agresseur
qui ont été à l'honneur.
Effectivement,
à en juger plusieurs interventions et lesplaidoiries,
il subsiste encore des mythes, préjugés et stéréotypes par
rapport à l'agression sexuelle. Ainsi, selon ce qui a été dit durant lesaudiences,
il serait douteux qu'il y ait eu agression sexuelle,
s'il n'y a pas eu menace verbale ou contrainte physique
explicite;
si l'acte a été perpétré par une personne connue de la
victime;
si la victime avait déjà eu des relations sexuelles avec
l'agresseur,
si la victime avait accepté de rencontrer l'agresseur
chez lui;
si la situation décrite par la victime s'était échelonnée
sur plusieurs heures;
si
la victime n'avait pas tout fait pour se sauver;
si la victime n'était pas à ce point attrayante que
l'homme n'avait purésister
à une pulsion sexuelle irrépressible.
Bref, si le
nombre de cas analysés interdit toute généralisation, ildemeure que de tels
résultats rappellent étrangement cette imageriepopulaire dont on a tenté de réduire les
effets en 1983.
En 1983, le
législateur a voulu court-circuiter les effets desmythes,
préjugés et stéréotypes qui nourrissaient alors la méfiance àl'égard
des femmes. D'une part, il avait abrogé la règle de la plaintespontanée
et l'obligation de corroboration du témoignage de la victime.D'autre part, il
avait généralement interdit les questions sur le passésexuel des victimes, sauf exceptions. Mais,
après l'examen de quinzecauses, il semble que nous soyons en
droit de nous demander si laméfiance à l'égard des femmes n'a pas
survécu.
Les femmes
mentent ou fabulent, dit subtilement ou ouvertementla
Défense. Les femmes ou jeunes femmes mentent principalement:
pour échapper au contrôle parental, social ou
"conjugal" (incluantl'ami
de coeur): la victime n'a pu expliquer autrement son entréetardive, une absence
auprès d'un ami ou d'un conjoint ou tout autrecomportement socialement jugé inadmissible;
ou
par vengeance, parce que l'accusé n'a pas voulu
poursuivre larelation.
Les plus jeunes femmes (12-15
ans), elles, fabulent: elles nedistinguent pas des gestes accidentels de
gestes intentionnels ou,même, la réalité du fantasme! C'est
ainsi qu'une jeune femme de 15ans n'aurait pas été violée, selon la Défense: elle aurait plutôt
consentià des activités sexuelles avec un homme de
30 ans et, se voyant par la
suite rejetée, elle aurait imaginé l'agression à la manière des situationsmises en scène dans les films et
vidéos.
En plus de
ces croyances, qu'aucune étude sérieuse n'appuie, lesavocates
et avocats ont également véhiculé des préjugés etstéréotypes
qui ont peut-être défavorisé les plaignantes dans leur droità
des procès justes et équitables. Quelques exemples.
Une femme qui travaille dans un bar connaît les hommes,
donc saità
quoi s'attendre si elle en rencontre un chez lui.
Le comportement général antérieur (habitudes de vie,
façon depenser)
d'une plaignante, particulièrement d'une jeune femme qui nerépond
pas aux attentes sociales, est en soi un facteur qui indiquele
manque de crédibilité.
Une femme qui a eu des relations sexuelles avec un homme
une foisest
réputée avoir consenti en d'autres temps.
L'habillement
d'une femme peut indiquer sa prédisposition à desactivités sexuelles.
Le refus d'une femme se traduit de façon agressive pendantl'agression et
par sa réaction
immédiate après l'agression(discussion avec
des tiers, traumatisme manifeste, plaintespontanée,
changement d'habitudes de vie...).
En ce qui
concerne l'agresseur, c'est un individu anormal.Conséquemment,
s'il reflète l'image de monsieur-tout-le-monde, il estdifficile
de l'identifier à un agresseur. "Voyez, Monsieur le juge, dira laDéfense,
cet homme de 30, 40, 50 ans vit avec une femme depuis deux,six,
dix ans; il est père de famille; il entretient des relations
"normales"avec
sa femme ou son amie..."
Le tout pour
dire que dans chacune des causes étudiées,plusieurs
de ces mythes, préjugés et stéréotypes ont été relevés.L'usage
de ceux-ci a d'ailleurs constitué un élément important dans lesargumentations
finales servies dans trois plaidoiries.
Jusqu'à
maintenant, la discussion a porté sur ce qui a attirél'attention
dans le traitement des causes étudiées. Tout au plus,avons-nous
souligné, au passage, un manque d'intérêt notable pour dessujets
pourtant directement liés à l'agression. Un manque d'intérêt quijure
à côté de celui qu'on a accordé à des faits tout à fait externes à lasituation
d'agression et qui ne l'éclairent d'aucune façon. Ce sera l'undes
objets de cette section que d'identifier les silences dans letraitement
judiciaire des cas composant l'échantillon. Par la suite, nousdégagerons
les incohérences et les inconséquences que celui-ciimplique
par rapport au rôle que le système judiciaire est censéassumer
dans notre société.
Les données disponibles informent que trois sujets
d'importance ontété
pour le moins négligés, durant les audiences:
les perceptions, les sentiments et les émotions de la
victime parrapport
à l'agression;
les conséquences de l'agression; et
les droits des témoins.
S'ils marquent
l'ensemble du traitement judiciaire des causes
d'agressions sexuelles, il est probable que ces silences affectent laperception
qu'ont les femmes du système judiciaire, puisqu'ils ont trait
soit à des aspects intimement liés à la situation d'agression, soit à leurstatut
en tant que témoin au moment des audiences.
Dans
l'ensemble, le traitement judiciaire des causes étudiées amanifesté
quelques contradictions:
- d'une part, on a peu discuté de tout ce qui est
relatif au vécu de lavictime, alors qu'on a laissé une
grande place à des croyancespopulaires non fondées;
- d'autre part, dans un système qui a pour
mandat d'appliquer les lois,on
n'a pas veillé au respect des droits des témoins.
Ces
contradictions ont marqué le traitement judiciaire des causes
concernées sous le sceau de l'incohérence. C'est ce dont il est questiondans les lignes qui
suivent.
Une description des
faits... en dehors du vécu de la victime
Puis, quand
je suis rentrée dans ma douche, je me suis lavéecomme il faut,
puis j'ai eu des idées qui m'ont fait mal au coeur, desidées comme... J'avais l'intention de... Vu
que personne me croiraitparce que je suis allée là au Doric, moi j'ai pensé que... Je ne voulaispas le dire à
personne, puis, je voulais disparaître, je voulais commeme suicider. Je ne voulais plus rester là parce que je me
sentais tropmal, je me sentais comme si... Je me
sentais pas... Je me sentais
comme coupable. 180
Comme la
Couronne questionne peu les victimes sur leursperceptions
de la situation d'agression de même que sur lesconséquences
de celle-ci, comme les réponses des victimes aux
questions sont généralement brèves, il est rare qu'une plaignantedécrive
en des termes éloquents ses sentiments et émotions parrapport à l'assaut.
Dans ce cas-ci, la Couronne n'a pas cru bon relancer
la victime sur ces propos, échappés au passage. Pourtant, ces aspectssont éminemment pertinents pour démontrer
que la victime n'avait pasconsenti aux activités sexuelles.
Effectivement,
ce qui caractérise une situation comme en étantune
d'agression, ce sont les actes perpétrés contre une personne,certes,
mais c'est aussi la perception que la plaignante avait de lasituation
de même que les sentiments et les émotions ressentispendant
et après l'assaut ainsi que les conséquences de celui-ci. Ceséléments
sont indispensables pour une meilleure compréhension du
180 R. c. Laflamme, p. 27. Le "Doric" a été défini par la victime comme un
bar à "topless ".
[Caractère gras par nous]
déroulement de la situation et des
actions de chacune des parties. Enlieu
et place, dans les causes étudiées, on a préféré juger duconsentement
de la victime à travers des clichés: "Vous voyez bien,Monsieur
le juge, elle n'a pas crié, ne s'est pas débattue... Vousvoyez,
Monsieur le juge, elle ne donne pas l'air d'une personnetraumatisée."
La Couronne a rarement demandé à la victime depréciser
et d'expliciter sa perception, ses sentiments, ses émotions ettoutes
les répercussions de l'agression. Partant, la Défense a eu beaujeu
de tourner en dérision l'affirmation qui veut qu'une victime a craintpour
sa sécurité juste en jaugeant les yeux d'un homme, juste enressentant
le rapport de force qu'il a instauré par ses attitudes.
A propos des conséquences de
l'agression sexuelle sur unevictime, le silence est d'autant plus
inadmissible que les répercussionssont irrécusables.181
La plupart
des victimes d'actes criminels éprouvent dessentiments
et des troubles variables selon les personnes. De tous les
troubles, le traumatisme émotionnel est, de loin, l'effet le plus fréquentchez
les victimes, même dans le cas de crimes perpétrés contre lapropriété
(fraude, vol). De l'avis de plusieurs, l'acte criminel apparaîtcomme
l'une des situations génératrices "d'un stress important":"perturbations
du système digestif (nausées, crampes)","perturbations
du sommeil", "fortes migraines", "peur ou phobie",
"replisur
soi", "rupture dans ses relations", "sentiment de
folie", "perte deliberté"...182
ou même suicide dans le cas des femmes agresséessexuellement.
Ayant subi
l'une des plus graves violations qui puissent êtreperpétrées,
plusieurs des victimes de notre échantillon n'ont pu se voirreconnaître
les torts subis, faute de n'avoir pu les décrire. Nonseulement
les conséquences de l'agression ont rarement été traitées
181 Voir FRANCE (1981). p. 55 ; May CLARKSON (1986), p.
15 ; Elizabeth A.
SHEEHY (1987), p. 24.
182 Samir RIZKALLA, Gisèle BERNARD et al. (1983, p.
30) reprennent les propos
d'Irwin WALLER, "Crime Victims : Needs, Services and Reforms. Orphans ofSocial Policy", Symposium
international de victimologie, Tokyo-Kyoto, 1982.
durant les audiences,
lorsqu'elles ont été évidentes, la Cour ne s'estpas nécessairement
montrée d'une très grande sensibilité à l'endroit dela victime.
[PAR LA COURONNE]
Aimez-vous mieux qu'on
suspende quelques instants Madame. Onpourrait peut-être suspendre quelques instants Monsieur le juge?
[PAR LA COUR]
Que c'est qui marche
pas là?
(...)
Qu'est-ce qui marche pas? Ah! si vous avez
envie de pleurer, pleurez,ça va vous faire du bien.
Psit! Je braillerai pas devant lui certain.
Hein?
J'ai assez braillé astheure, je braillerai plus devant
lui certain.
Bon ben, braillez
pas, puis dites-nous qu'est-ce qui est arrivé.183
Pour tout
dire, ce coup d'oeil sur le traitement judiciaire des
causes d'agressions sexuelles nous laisse avec l'impression que lavictime
n'existe pas: seul tente de survivre un témoin principal dont lesystème
se sert pour emprunter ses propres chemins vers la vérité.Bien sûr, le système
judiciaire ne peut reconnaître l'existence d'unevictime puisque ce serait présumer de la
culpabilité de l'accusé. Maispourrait-il lui reconnaître le droit
de décrire tous les aspects de la
situation d'agression tels qu'elle les a vécus? Pourrait-il prendre actedes conséquences que la victime a subies?
Le témoin,
lui-même, ne semble pas avoir complète existencepuisque
on a pratiquement mis en veilleuse son statut de citoyenprotégé par des
droits constitutionnels. Voilà un troisième élément quia singularisé le traitement des causes
étudiées.
183 R. c. Bourassa,
pp. 20-21.
L'application
des lois... en dehors des droits des témoins
En 1975, le
juge Haines soulignait le pouvoir discrétionnaire d'unmagistrat
dans le contrôle des interrogatoires et contre-interrogatoiresafin d'éviter
"toute question insultante, impertinente, indécente,injurieuse ou qui vise à vexer ou à harceler
le témoin."184 Stanleyfaisait observer qu'avant 1983, peu
de magistrats appliquaient cepouvoir: ils laissaient toute
latitude à la Défense dans ses contre-interrogatoires. Les résultats de
notre collecte de données permettentde douter que la situation ait
changé.
Le juge
Haines rappelait également que la Couronne a laresponsabilité
de veiller à ce que les droits de la victime soientrespectés:
pouvoir de refuser de répondre à des questions vexatoires;pouvoir
d'interjeter appel si, en exerçant ce pouvoir, elle se voitinculpée
d'un outrage au tribunal; droit aux services d'un avocat oud'une
avocate tout au long du procès. Considérant toutes lesinterventions
impertinentes et vexatoires relevées dans les enquêtespréliminaires
et procès de notre échantillon, il est permis d'affirmer que
les protagonistes du système judiciaire concernés ont fait preuve d'uncertain
laxisme dans leur mandat de faire respecter les droits desplaignantes.
Selon nos renseignements, il n'est pas non plus démontré
que les victimes reçoivent les services d'une avocate ou d'un avocat.
Effectivement,
certains incidents lors des audiences laissententendre
que les victimes ne sont pas toujours adéquatementpréparées
à témoigner.
[L'accusé]
m'a dit qu'il avait déjà passé en Cour pour la même choseet puis qu'il s'en était sorti comme rien,
qu'il avait rien eu.
[LA COUR]
Rayez ça des débats.
Je ne vous permets pas de dire ça Madame, laseule chose que je ne vous permets pas de dire.
[LA COURONNE]
Racontez-moi
l'histoire comme il faut là.
184
Marilyn G. STANLEY (1985, p. 70) résume la pensée du juge.
Mais c'est lui qui
m'a dit ça.185
Et la
Couronne d'expliquer qu'elle est tenue à certaines règles dedroit, sans plus. La
plaignante vient de se faire dire de témoignercomme du monde, mais personne ne l'a
informée avant l'enquêtepréliminaire de ce qu'elle ne devait
pas rapporter. Au fait, la Couronnea-t-elle seulement pris le temps de
bien s'informer sur la situationd'agression, pour bien faire
ressortir le point de vue de la victime? LaCouronne a-t-elle pris le temps de
comprendre ce qu'il y avaitd'important à comprendre: les faits,
mais aussi les perceptions, lessentiments et les émotions de la
victime de même que lesrépercussions de l'agression.
Dans une
cause d'agression sexuelle, l'argumentation de l'accusésera
l'une des deux suivantes: aucune activité sexuelle n'a eu lieu avecla
plaignante ou, plus souvent, des relations ont eu lieu, mais avec leconsentement
de celle-ci. La Couronne sait pertinemment ce qu'il ensera.
Pourtant, si l'on en juge les taux d'acquittements, dansl'échantillon
comme dans les causes en général, il semble que laCouronne
ne parvient pas à étayer suffisamment la description del'agression
pour bien défendre le point de vue de la victime, notammentau
sujet de l'absence de consentement. Possible aussi qu'elle neréussisse
pas à contrer les croyances populaires relevées par laDéfense.
Dans les causes étudiées, la Couronne n'a pas combattu cescroyances;
elle a composé avec elles.
D'autres cas,
dont il sera question dans la prochaine section,démontrent
également qu'il est raisonnable de s'interroger sur le rôle
joué par la Couronne auprès des victimes d'agressions sexuelles.
Dans
l'intermédiaire, qu'il suffise de dire que, dans les causesétudiées,
le système judiciaire a manqué de cohérence dans sonencadrement
de la démonstration de la preuve de deux manières:
- d'une part, en admettant qu'une partie de
la preuve s'alimente à desfaits
extérieurs à la cause et ouvre la voie à des décisions qui
pourraient être fondées sur des mythes, préjugés et stéréotypes et,
- d'autre
part, en négligeant des éléments d'information intimementliés
à l'agression: les perceptions, sentiments et émotions desvictimes
lors de l'assaut de même que les conséquences de celui-cisur
leur vie.
Par ailleurs,
le système judiciaire a également manqué decohérence
dans l'application des lois. Il nous semble que tout enappliquant
le droit de l'accusé à une défense pleine et entière, tout en
laissant une marge de manoeuvre à la Défense pour défendre, la Couraurait
pu, à maintes reprises, obliger le respect des droits de laplaignante
comme témoin.
En bout de ligne, eu égard à son
rôle quant à l'administration dela justice et quant à l'application des
lois, le système judiciaire amanifesté des pratiques incohérentes dans le traitement des causesanalysées. Ces incohérences ont pour coût
des inconséquences.
Les inconséquences Les
inconséquences du traitement judiciaire dans les causes résident
dans ses effets par opposition au
rôle qu'est censé remplir le systèmejudiciaire.
Ce rôle s'articule autour de deux grands axes: appliquer les
lois et protéger la société. Or, à en juger ce qui précède, il semble qu'ily
ait lieu de s'interroger sur la manière dont certains mènent à biences
tâches.
Dans la section précédente, il a
déjà été question du laxismemanifesté dans les causes étudiées à l'égard
des droits des témoins.Qu'il suffise d'ajouter ici que les
droits des individus font partie de cetensemble de lois que les tribunaux
doivent faire respecter, dans leurenceinte comme à l'extérieur.
Par ailleurs,
en d'autres cas, il est permis de se demander si laCour
et la Couronne n'ont pas en quelque sorte abdiqué leursresponsabilités.
Nous nous expliquons.
Il est notable que, dans les trois cas où il s'agissait de plaintes
déposées par la
conjointe, une belle-soeur ou l'ex-conjointe d'accusé,
les procédures ont avorté. Dans un premier cas, la conjointe et labelle-soeur,
toutes deux plaignantes, se sont présentées à l'enquêtepréliminaire pour
affirmer qu'elles avaient déposé des plaintesmensongères. Dans une deuxième cause, sans
que la plaignante nenie aucune déclaration antérieure,
sans qu'elle ne demande le retrait desa plainte, la Couronne a renoncé à
faire la démonstration de sa preuve.
Et, dans un dernier cas, l'ex-conjointe a demandé que la Cour retire laplainte contre l'agresseur.
Bien sûr,
une preuve est difficile à établir sans la collaboration dutémoin
principal. Mais le problème, pour indéniable qu'il soit, n'excuse
pas certaines irrégularités face aux rôles qui incombe à la Cour et à la
Couronne. Voici deux exemples.
Dans le
premier cas, une plaignante témoigne que son ex-conjoint
est entré chez elle par effraction et que, trois jours auparavant,il
avait abusé d'elle sexuellement. L'introduction par effraction a étécorroborée
par deux autres témoins. Quant à l'agression sexuelle, lavictime
maintient qu'elle a eu lieu, mais à une date antérieure à celle
reconnue comme date d'infraction. La Couronne tente de savoir ce qu'il
en a été, mais en se limitant toujours à la date de l'infraction identifiée
dans la plainte, ce qui cause une confusion.
Bref, ne
réussissant pas à faire dire à la plaignante qu'elle avaitbel
et bien été assaillie à la date inscrite sur la plainte, la Couronnefinit
par lui demander:
Etes-vous toujours avec votre concubin aujourd'hui?(...)
Vous l'aimez
bien aujourd'hui?186
La plaignante ayant
répondu oui aux deux questions, la causeétait
classée: plus d'introduction par effraction, plus d'agression sexuelle. Comme si les lois en vigueur
ne pouvaient être appliquéesdans
ce cas particulier. Quel message le prévenu en a-t-il tiré?Quelles
conséquences ce traitement judiciaire a-t-il eu sur la viecommune
de ces deux personnes? Quel message la société retient-elled'un
traitement judiciaire semblable?
Ici, la
Couronne et la Cour ont abdiqué. La Couronne a renoncé à
son devoir de faire appliquer la loi dans le cas de l'entrée par effraction.Elle
a également renoncé à essayer d'établir une preuve suffisante ence
qui concerne l'agression sexuelle. Le tout malgré qu'en aucunmoment la victime
n'ait nié la véracité de ses déclarations antérieures.La Couronne s'est déresponsabilisée en
laissant entendre au juge que,
finalement, peu importe les lois en vigueur, ces deux personnes sont à
nouveau ensemble et s'aiment. Et la Cour semble avoir entériné cetteperspective, malgré son mandat
d'appliquer les lois.
Dans une
deuxième cause, la plaignante demande à la Cour de
retirer sa plainte contre son ex-conjoint. Pour faire accepter la requête,la
Couronne et la Défense font valoir que, dans l'intermédiaire, lesparties
ont résolu leurs divergences. Ce faisant, les parties véhiculent
implicitement que la violence peut s'expliquer (s'excuser?) en certainescirconstances.
Or les connaissances sur la problématique de laviolence
conjugale confirment sans équivoque que la violence nes'explique
par aucune circonstance ou aucun motif particulier: laviolence
traduit la volonté d'une personne d'en contrôler une autre.
Mais les préjugés ne s'arrêtent pas là.
En acquiesçant
à cette requête de retrait, parce que, selon lejuge, il devenait
impossible pour la Couronne de faire sa preuve, lemagistrat Denys Dionne s'est adressé à la
plaignante dans les termessuivants:
J'ajouterai à Madame
(...) que, la police et le système judiciaire ne
sont pas là en tout cas qu'il vous prenne le caprice de dénoncer quique ce soit, y compris votre ex-mari ou votre mari. Ça, c'est une chosedont j'aimerais que vous vous rappeliez.
Deuxièmement, je voudrais vous dire que la
prochaine fois que vousvous plaindrez dans des circonstances
peut-être analogues, à la police ou à la Cour, que vous
ne serez pas prise au sérieux parce que cesera la deuxième fois et (...) on se demandera si une fois lesprocédures amorcées vous ne reviendrez pas encore devant le tribunal
demander que la plainte soit retirée. 187
Le même juge
Dionne, qui avait dit que "les règles, c'est commeles
femmes: c'est fait pour être violées", ne se dément pas ici dans lespréjugés
qu'il véhicule à la défaveur des femmes. D'une part, il prétendque
la victime a fait une plainte par caprice, alors que rien ne le laissesupposer.
D'autre part, plutôt que d'essayer de prévenir d'autres
comportements violents, il avise la victime que désormais le systèmene
lui accordera plus la même protection qu'à d'autres citoyennes etcitoyens
parce qu'elle ne bénéficie plus de la même crédibilité.
Étant donné
que les résultats d'études antérieures établissentqu'une
majorité de femmes agressées sexuellement ne portent pasplainte
parce qu'elles se méfient des réactions du système judiciaire, ilest
probable que cette victime fera de même. Alors, l'ex-conjoint de laplaignante
peut maintenant la violenter en toute quiétude, puisqu'ellevient
de perdre son droit de protection, sous prétexte d'une crédibilitéentachée.
Alors même
que, peu avant, le juge avait attiré l'attention sur lanature
de la plainte (agression sexuelle et voies de fait); alors mêmequ'il
avait noté le mandat du ministère public d'être vigilant en matièrede
violence conjugale, il ne lui est pas venu à l'esprit d'adresser des
recommandations à l'intention de l'accusé.
En clair, le
message qu'a laissé le juge Dionne à notre société, ce
n'est pas que tout comportement de violence est interdit, mais que lesfemmes,
encore aujourd'hui, doivent y réfléchir deux fois avant dedéposer
une plainte.
En définitive,
dans ces deux cas, il y a eu une applicationirrégulière
des lois et un message contradictoire quant au mandat deprotection
qui incombe au système judiciaire. Dans le premier
187
Ce sont les commentaires du juge Denys Dionne dans R. c. Dupuis, Cour
dessessions de la
paix, no 505-01-003859-861, p. 13. [Caractère gras par nous.]
exemple, l'introduction par
effraction avait été établie et l'accusé auraitdû
en être reconnu coupable; au sujet de l'agression sexuelle,apparemment
indémontrable, le juge aurait pu souligner à l'accusé lecaractère
criminel des actes allégués dans la déclaration. Dans ledeuxième
cas, voilà un magistrat qui, au lieu d'exprimer le support dusystème
judiciaire en toutes éventualités, signifie à la plaignante que lesystème
judiciaire ne protège pas nécessairement les personnes quimanquent
de crédibilité à ses yeux. Sur ce, il laisse filer l'accusé sanslui
dire un mot sur la plainte déposée contre lui.
Finalement,
dans ces trois cas, la réaction du système judiciaire vis-à-vis des
conjoints, beau-frère et ex-conjoint laisse entrevoirquelques failles dans la protection que
notre société offre aux femmes
face aux hommes de la famille. Dans le cadre familial, les femmesreprésentent-elles encore un groupe
social vulnérable dont le droit à laprotection est difficilement
applicable ou cavalièrement mis enveilleuse?
Conclusion
En bout de ligne, considérant
l'ensemble des résultats de lacollecte de données, il est compréhensible
que peu de femmes portent
plainte par crainte des réactions du système judiciaire. La longueur duprocessus, le fait que l'accusé
demeure en liberté durant lesprocédures, le très grand nombre
d'acquittements de même que lamanière individualiste et sexiste de traiter des agressions sexuelles,en dehors de toute compréhension du
phénomène, ce sont là plusieursaspects qui en dissuaderaient plus
d'une!
Le traitement
discriminatoire des quinze causes a étéfoncièrement
discriminatoire à cause des mythes, préjugés etstéréotypes
qui l'ont ponctués. Ceux-ci défavorisent particulièrementles
femmes puisqu'ils réfèrent à des clichés sur les agressionshétérosexuelles,
les femmes et les agresseurs.
Chapitre 4 LES
VICTIMES c. R.: QUESTIONS POUR LE SYSTEME JUDICIAIRE
En première
partie, nous avons expliqué ce qu'il nous semblaitpertinent
de retenir de la théorie pour mieux saisir le fond du traitement
judiciaire. Ce cadre a influencé notre façon de percevoir, de concevoir etd'analyser
l'administration de la justice en matière d'agressionsexuelle.
Pour démontrer qu'il est justifié, ce rapport a proposé unedouble
description de la réalité étudiée: l'une s'alimentait aux donnéesquantitatives
et aux citations; l'autre établissait des liens entre laforme
et le contenu des interventions et entre les interventions elles-mêmes.
Pour bien
marquer les liens qui existent entre le cadre d'analyseproposé
en première partie et le portrait du traitement judiciaire desquinze
causes concernées, il importe de revenir sur ce cadre en référant
aux éléments essentiels dégagés comme résultats de recherche. Nous terminerons
en rappelant les effets possibles de ce traitement sexiste et
individualiste.
Ce
que nous en disions...
Nous disions
que le traitement judiciaire québécois des causesd'agressions
sexuelles était susceptible d'être influencé par deuxfacteurs:
la nature sexiste de notre société et
la philosophie individualiste qui sous-tend généralement nos modesd'organisation
et de fonctionnement en société et, particulièrement,notre
administration du crime.
Le premier
facteur favorise le contrôle masculin des instancesdécisionnelles,
quelles qu'elles soient. Dans la sphère judiciaire, nouspensons
que ce contrôle ne peut que gêner la mise en cause desperceptions
et conceptions des hommes dans le traitement desagressions
sexuelles, phénomène qui commande la dénonciation de
certains modèles de comportements masculins.
Le deuxième
facteur agirait comme une double barrière enempêchant
également la mise en cause des perceptions et conceptionsmasculines
puisqu'il privilégie le traitement individualiste del'agression
sexuelle, en dehors de toute prise en compte du phénomènesocial.
Or l'agression sexuelle n'est pas que fait individuel, elle a uncaractère
social parce qu'elle est engendrée par les relations hommes-femmes
qu'institué notre société sexiste.
À la lumière
des résultats de recherche, nous croyonsqu'effectivement
ces deux facteurs ont influencé le traitement descauses étudiées. S'il
devait en être de même pour l'ensemble dutraitement judiciaire des causes d'agressions
sexuelles, celui-citraduirait trois lacunes, à savoir
qu'il ne tiendrait pas compte:
des perceptions, des conceptions et de la problématique
féminine
des droits des femmes comme témoins et comme groupe
social; et
de l'intérêt général. 188
Sexiste un jour, sexiste toujours?
Conformes aux
données de la littérature sur le sujet189, lesrésultats
d'analyse des quinze causes composant l'échantillonindiquent
qu'encore en 1987 les protagonistes du système judiciairemanifestaient
une forte tendance à tabler sur les croyances populairespréjudiciables
à toutes les femmes. Pour tout dire, les résultats derecherche
rapportent une forte tendance à miser sur toutes sortes demythes,
préjugés ou stéréotypes qui pourraient orienter les décisionsen
défaveur de plusieurs groupes sociaux: les femmes, les jeunes, lesgroupes
socio-économiquement défavorisés, les personnes ayant des
188 Les notions de droits individuels, de
droits collectifs et d'intérêt général ont été définies dans
l'introduction de la section 2, partie 1.
189 Plusieurs études notent
cette discrimination multidimensionnelle du système judiciaire. A titre d'exemples : Marilyn G. STANLEY (1985), pp. 34-35 ;
Isabelle
GAGNON et Micheline LEFEBVRE (1991), p. 5.
antécédents
judiciaires et, généralement, tous ceux et celles dontl'origine,
le passé, les attitudes ou les comportements pourraient êtrequestionnés
en vertu de croyances populaires quelconques.Cependant,
en matière d'agression sexuelle, opposant un agresseurmasculin
et une victime féminine, les mythes, préjugés et stéréotypes àl'égard
de l'agression sexuelle, des femmes et des agresseurs sontprédominants.
Le traitement
judiciaire des causes analysées a été sexiste soustrois
aspects, par rapport:
à un certain contenu, explicite ou implicite,
à des omissions et
à l'encadrement de la Cour durant les audiences.
Au sujet du
contenu explicite, il faut rappeler que les avocates etavocats
se sont montrés indiscrets et peu respectueux du droit à la vie
privée et à la dignité des témoins en posant un nombre important dequestions
sans lien (Tableau 9), parfois même de façon vexatoire. Il
faut répéter que la plupart de ces interventions n'instruisaient pas surla
situation d'agression. De plus, la plupart d'entre elles sontsusceptibles
de défavoriser les femmes en regard des mythes, préjugésou
stéréotypes qu'elles suscitent. Pourtant, il y en a eu dans presquetoutes
les causes de l'échantillon. Que cette pratique ait été à ce pointcourante
amène à se demander s'il s'agissait d'un manqued'encadrement
de la part de certains juges ou d'une croyance ancrée àl'effet
que ces questions sont effectivement perçues commepertinentes.
Dans l'éventualité où il s'agirait d'une croyance ancrée enla
pertinence de ce type de questions, il est à craindre que le traitementjudiciaire de
l'ensemble des causes d'agressions sexuelles ne soitsexiste.
D'ailleurs,
généralement et essentiellement, soit dans laformulation
des questions soit dans les relations entre toutes les
interventions, la persistance de la
méfiance à l'égard des femmes de
même que des préjugés et des stéréotypes sexistes a caractérisé letraitement
judiciaire des causes décrites dans son contenu implicite etexplicite.
Rappelons les principales croyances populaires véhiculéesdurant
les audiences.
En matière sexuelle, les femmes mentent pour des raisons
qui leur
sont propres (contrôle parental, conjugal ou social, vengeance) oubien
elles fabulent.
Selon
leur statut, petite fille de couvent ou barmaid, les femmessont plus ou moins susceptibles d'être
agressées sexuellement.
Selon leur comportement général antérieur ou leurs conditions
devie (assiduité scolaire,
soumission à l'autorité, situationfamiliale...), les femmes sont des plaignantes plus ou
moinscrédibles.
Une femme qui a eu des relations sexuelles avec un homme
une foisest
réputée avoir consenti à des relations ultérieures.
L'habillement d'une femme indique sa prédisposition à
des activitéssexuelles.
Le refus d'une femme se traduit dans un type de
comportement et
des réactions particulières pendant et après l'assaut.
Si de telles
croyances imprègnent l'ensemble du traitementjudiciaire,
nul doute qu'elles contribuent à alimenter le sentiment desvictimes
qui se sentent jugées. Par ailleurs, l'ampleur de l'examen dela
crédibilité de la plaignante ne peut être que fortement ressentie dufait
de l'absence de confrontation de l'accusé par rapport à ses attitudeset
comportements. D'abord, il est rare qu'un accusé accepte detémoigner
et, dans les causes où il l'a fait, la nature sexiste, violente oudominatrice
de ses attitudes et comportements durant l'assaut apratiquement
toujours été passée sous silence. Les attitudes et
comportements de
l'agresseur sont pourtant des éléments susceptiblesde
caractériser un échange en tant que situation d'agression, c'est-à-dire
une situation où le consentement était absent. Mais tout se passecomme
s'il n'existait aucun lien entre les attitudes et comportementssexistes,
violents ou dominateurs d'un accusé et la commission d'uneagression
sexuelle. On croit plus pertinent de s'intéresser auxhabitudes
de vie, à la situation familiale ou même à l'habillement de lavictime.
La crainte est-elle d'interpeller l'identité masculine dans cequ'elle
comporte d'attitudes et de comportements sexistes, violents ou
dominateurs à l'endroit des femmes?
D'autre
part, le caractère sexiste du traitement judiciaire descauses
étudiées transpire des omissions de ses protagonistes. Lavictime
ici a été au "service de la justice" et a dû se conformer auxrègles
d'organisation et de fonctionnement de la Cour: elle a dûrépondre
aux questions, sans plus, qu'elles soient pertinentes ou non,vexatoires ou non.
Peu nombreux sont ceux qui se sont intéressés àsa perception des faits, aux sentiments et
émotions qu'elle a vécuspendant et après l'agression ni même
aux conséquences physiques oupsychologiques de l'assaut.
A peine 4% des
interventions de la catégorie en lien (Tableau
14), soit au plus 1,5% de toutes les interventions, ont porté sur laperception,
les sentiments et les émotions de la victime par rapport àl'agression.
Parmi elles, plus de la moitié ont été formulées par laDéfense
qui, la plupart du temps, visait à convaincre que la perception,les
sentiments ou émotions évoqués par la plaignante n'étaient pasobjectivement
fondés.
En ce qui
concerne les conséquences physiques oupsychologiques,
la situation est encore plus criante: le sujet ne futabordé
que dans deux causes à travers 30 interventions (Tableau 15),toutes
formulées par la Couronne.
Les protagonistes du
système judiciaire estiment-ils que de
telles informations de la part de la
victime seraient peu objectives?Pourtant,
contrairement aux interventions sans lien ou à toutes cellesqui
pourraient raviver des croyances populaires démenties, ceséléments
d'information nous apparaissent primordiaux par rapport à lasituation
d'agression et, particulièrement, pour démontrer le refus. Enréalité,
il est à se demander si ce n'est encore la méfiance à l'égard desfemmes
qui fait qu'il est plus rassurant d'interpréter une cause enfonction
de mythes, préjugés et stéréotypes que de se fier aux diresd'une
victime.
Dans
l'ensemble, la Cour a témoigné d'un certain laxisme durantles
contre-interrogatoires: ceux-ci ont été par moment aussi vexatoirespour
les témoins qu'inutiles pour la découverte de la vérité. Nous endiscuterons
sous la rubrique de la perspective individualiste. Qu'ilsuffise
de rappeler que ces contre-interrogatoires ont été sexistes enregard
des mythes, préjugés et stéréotypes qu'ils ont suscités.
Il en a été
question précédemment, la notion et la preuve deconsentement
est au centre des causes d'agressions sexuellespuisque,
la plupart du temps, l'accusé alléguera qu'il y avaitconsentement.
Or, dans un contexte, où la Cour a laissé librecirculation
à des croyances populaires préjudiciables aux femmes, sansleur
donner droit de parole pour décrire les situations telles qu'elles lesont
vécues, sans même leur réserver le respect auquel elles ont droit,la
démonstration de la preuve relative au refus de la victime devenaitproblématique.
En clair, inutile d'essayer de faire valoir l'incapacitéd'exprimer
le refus. Avoir craint l'autre à cause de son regard hagard, àcause
de la pesanteur que sa présence avait soudain donné àl'ambiance, à cause
des attitudes qui indiquaient, dès la premièreminute, que le temps, l'espace et le corps
d'une femme ne luiappartenaient plus; s'être sentie à
ce point vulnérable devant l'autrequ'il était apparu même insensé
d'exprimer fermement son refus... Ce
type de considérations ne pouvait être de l'ordre de l'objectivité, ontsuggéré plusieurs protagonistes
durant les audiences.
Tout cela pour dire, que le
traitement judiciaire des causesétudiées s'est articulé avec insistance et
de manière tendancieuseautour de la dite crédibilité des victimes. Dans ce cadre, même lapreuve de leur refus devenait matière à
interprétation, en dehors de laperception et de la conception
qu'elles-mêmes en avaient. Lesperceptions et conceptions des
protagonistes du système judiciaire
prévalaient: celles que les hommes semblent encore avoir aujourd'huide l'agression sexuelle, des femmes et
des agresseurs, mais aussicelles qu'ils ont du Droit et des
règles de preuve.
Dans un autre
ordre d'idées, l'absence même de condamnationclaire
de toute forme de violence contre les femmes, conjointe, ex-
conjointe, amie, belle-soeur, témoigne qu'en certains endroits subsisteune
justice sexiste. Une justice qui ne peut pas croire que, oui, c'estarrivé
même si des conditions d'existence conduisent des victimes àfaire
avorter les procédures. Une justice qui avise ces plaignantesréfractaires
qu'elles n'auront peut-être plus l'appui du systèmejudiciaire
la prochaine fois si elles ne collaborent pas cette fois-ci. Une
justice qui tait le comportement sexiste, violent ou dominateur de ceuxqu'elle
acquitte.
Finalement,
dans ce contexte, n'est-il pas raisonnable desoupçonner
qu'il pourrait exister un traitement différencié des causesd'agressions
sexuelles en vertu du sexe de la victime impliquée?
Les études antérieures le
notaient, les mythes, préjugés etstéréotypes sexistes influencent la
perception que les juges ou jurysont de la victime et de l'agresseur.
Si l'on doute de la moralité de laplaignante, l'accusé est acquitté ou
écope d'une peine moins lourde. Sil'accusé est perçu comme un homme
normal, il est plus difficile del'imaginer coupable.
Or, dans les
cas où la victime était de sexe masculin, les mythes,préjugés
et stéréotypes discriminatoires à l'égard des femmes étaientabsents.
De plus, puisque dans les deux cas étudiés les plaignants avaient été agressés par des personnes
de même sexe qu'eux, il sepourrait
qu'ils aient bénéficié d'un préjugé favorable. L'homosexualitéétant
encore considérée comme anormale, il est possible que peunombreuses
soient les personnes qui croient qu'un plaignant "normal"aurait
pu consentir aux échanges et que peu nombreux soient lesindividus
qui s'identifieraient à un accusé inculpé d'une agression
sexuelle homosexuelle. En d'autres mots, les plaignants de notreéchantillon
pourraient avoir été privilégiés par rapport aux plaignantesà
cause des facteurs suivants:
parce que, étant de sexe masculin, ils étaient à l'abri
des croyancespopulaires
relatives à l'agression sexuelle, aux femmes et auxagresseurs,
par conséquent, ils n'ont pas subi la méfiance réservéeaux
femmes;
parce que, victimes d'une personne de même sexe qu'eux,
ilsauraient
profité des préjugés à l'encontre de l'homosexualité.
Le traitement
judiciaire des causes étudiées a été sexiste.Comment
a-t-il pu l'être en dépit des modifications législatives de1983?
Peut-être parce que, somme toute, le Droit n'est pas neutre ouimpartial
en soi, tel que le sous-tend la pensée libérale
classique?Parce
que le Droit demeure essentiellement l'affaire des hommes, dulégislateur
au policier en passant par le juge et l'avocat, il faut se
demander si la société n'erre pas en s'imaginant que le traitementjudiciaire
des causes d'agressions sexuelles puisse se faire en touteimpartialité.
En matière d'agression sexuelle les femmes et leshommes
sont juges et parties, des juges et parties qui ne partagentpas
la même perception et la même conception de l'agression sexuelle.
Plusieurs des
victimes de l'échantillon ont voulu dire la menacequ'elles avaient senti
peser sur elles juste avant l'agression. Pourimplicite qu'elle ait été, la menace avait
été perçue dans les attitudesou comportements dominateurs de
l'accusé. Les études antérieure sont-elles assez étayé l'affirmation:
l'agression sexuelle est un acte de pouvoir de l'homme
contre la femme. C'est un acte de pouvoir qui est né
et qui subsiste par la subordination des femmes au pouvoir masculindans
tous les champs d'activité: culturel, économique, social, politique...Le
culturel inclut entre autres la définition des rapports hommes-femmes
et de leurs activités sexuelles et amoureuses. Et c'estprobablement
là que réside toute la difficulté pour les hommes dereconnaître
les comportements sexistes, violents ou dominateurs desaccusés et donc, de
les mettre en évidence durant les audiences.Plusieurs hommes, encore aujourd'hui, aiment
penser qu'une minceligne sépare l'agression sexuelle
d'une relation sexuelle, lorsque lesparties sont de sexes différents: il
a essayé; elle ne voulait pas, maisce n'était pas clair; il ne l'a pas
menacée; elle aurait dû... Il semble queplusieurs hommes comprennent bien ce
genre de situations. Toujoursest-il que, ne sachant distinguer l'agression
sexuelle d'une relation
sexuelle, la méfiance à l'égard des femmes semble prescrite. Cetteméfiance a d'ailleurs été colportée
dans les causes étudiées, à traversles mythes, préjugés et stéréotypes
et elle a souvent été trahie parl'importance accordée à l'examen de
la crédibilité de la victime.
Le système judiciaire: entre l'individu, le groupe et la
société
Outre une
forte présomption quant à l'éventualité d'un traitementsexiste, un
aller-retour entre la littérature et les notes d'audienceslaissait entrevoir la présence d'une autre
ligne d'influence dans letraitement judiciaire des causes
d'agressions sexuelles: il s'agissaitpeut-être de cette pensée libérale
classique à la source du Droit. Cetteinfluence a été observée dans le
traitement judiciaire des causesétudiées sous deux aspects:
par l'absence de perspective dans la compréhension du
phénomènedes agressions
sexuelles et
par
l'interprétation et l'application individualistes des droits qu'il sous-tend.
Si elle
s'étendait à l'ensemble du traitement judiciaire des causes d'agressions
sexuelles, cette interprétation et cette application individualistes
des droits pourrait avoir pour effets d'opposer des droitsindividuels
entre eux et de subordonner des droits collectifs et l'intérêtgénéral
à des droits individuels. Si l'ensemble du traitement judiciairedes
causes d'agressions sexuelles se caractérisait par l'absence de perspective
dans la compréhension du type de crime et l'absenced'intégration
des droits en fonction des droits collectifs et de l'intérêt
général, il pourrait gêner le système judiciaire dans l'exercice de ses fonctions,
soit l'interprétation et l'application des lois en général et laprotection
de la société.
Concrètement,
dans les cas composant l'échantillon, laperspective
individualiste a détourné le système judiciaire d'uneadministration
de la justice juste et équitable de différentes manières. D'abord,
il n'a pas tenu compte des facteurs culturels, économiques,sociaux
et politiques qui expliquent le phénomène de l'agressionsexuelle.
Or, avec tous les renseignements disponibles sur letraitement
judiciaire des causes d'agressions sexuelles, cesconnaissances
sont de nature à mettre en cause les croyances populaires
erronées. Ce faisant, elles sont susceptibles d'inspirer unencadrement
plus rigoureux des audiences et des interprétations plusréalistes
des situations d'agressions, en tant que faits individuels.
Deuxièmement, la pensée
individualiste a éloigné d'une
interprétation et d'une application intégratives des droits, où lesdifférents droits individuels peuvent
coexister dans une prise encompte des droits collectifs et de
l'intérêt général. Dans les casdécrits, seuls le droit de l'accusé
à une défense pleine et entière et lapossibilité pour l'avocat ou
l'avocate de défendre son client ont sembléprévaloir. Et ces deux points ne se
résument pas en une seule réalité:soit la défense d'un accusé. Selon
nous, ils indiqueraient deux réalitésséparées: d'une part, celle de
l'accusé et, d'autre part, celle de l'avocatou de l'avocate en tant que personne
ayant des intérêts professionnels.
Les droits
individuels de la victime en tant que témoin, les droits
collectifs des femmes et l'intérêt général de la société n'ont pas eu tribune
dans le traitement des causes concernées.
C'est ainsi
qu'en tant que témoins les victimes se sont astreintesà
répondre à toutes les questions, même impertinentes, mêmevexatoires,
parce que, rarement, on est intervenu pour faire respecterleurs
droits. C'est ainsi que, indépendamment des connaissancesactuelles,
la Cour a admis des interprétations et des contre-interrogatoires
aussi trompeurs que sexistes: il faut bien défendrel'accusé!
Il faut bien que la Défense trouve un moyen de faire sontravail!
C'est ainsi qu'un avocat a pu demander à une victime si elle n'apas
eu un peu de plaisir durant l'agression; qu'il a pu affirmer sansambages
qu'il se contrefichait que la plaignante ait maigri de 18 livres depuis
l'assaut, que cela ne le faisait pas pleurer du tout. C'est ainsi qu'un
autre avocat a pu demander à un jury d'apprécier le corps de la victime
pour évaluer s'il s'agissait bien là d'une femme à ce point irrésistible qu'il
est impossible de faire autrement que de la violer.C'est ainsi qu'un juge s'est empêché de sévir
même en ayant diagnostiqué le harcèlement de la
Défense contre la plaignante et toutes les femmes qui ont témoigné pour
la Couronne...
Finalement,
si la situation décrite ci-haut traduisait les caractéristiques
de l'ensemble du traitement judiciaire des causes d'agressions
sexuelles, il y aurait lieu d'affirmer que le systèmejudiciaire
ne tient pas compte du phénomène social derrière l'acteindividuel.
Or, dans ce contexte, comment pourrait-il interpréter et appliquer
les lois en se préoccupant des droits collectifs et de l'intérêtgénéral?
Effectivement,
il nous semble que, sans la prise en compte du
phénomène social, il sera difficile de démystifier l'agression sexuelle et
de combattre toutes les croyances populaires encore véhiculées sur lesujet.
Sans la prise en compte du phénomène social, il serapratiquement
impossible d'identifier les droits collectifs et l'intérêt
général en jeu dans le traitement judiciaire général des
causesd'agressions
sexuelles.
Ainsi, à
travers la description des situations d'agressionsétudiées,
ont interféré des mythes, préjugés et stéréotypes pourtantdémenties
par l'état actuel des connaissances sur le phénomène. Or, àen
juger des résultats de recherches sociologiques 190 ces mythes,préjugés
et stéréotypes auraient des effets subjectifs sur l'issue desprocès,
de telle façon qu'ils brimeraient le droit des victimes à desprocès
justes et équitables.
C'est dire
que, si elles sont encore largement véhiculées dans lesystème
judiciaire, ces croyances populaires donneraient lieu à untraitement
judiciaire des causes d'agressions sexuelles qui léserait ledroit
des femmes à des procès justes et équitables en matièred'agression
sexuelle. Conséquemment, ce traitement judiciaire léserait
également leur droit à la protection. Le cas échéant, comment ne pass'interroger
sur la manière dont le système judiciaire s'acquitterait deses
fonctions dans l'administration de ce type de criminalité. Voilà unequestion
d'intérêt général. En négligeant les droits des plaignantes etles effets du
traitement judiciaire sur l'application des droits desfemmes, le système judiciaire mettrait de
l'avant une interprétation etune application des lois qui
défavoriseraient son intégrité et sacohésion.
Conclusion
Pour
terminer, vu par la lorgnette de quelques causes, il semble
opportun de s'interroger sur l'ensemble du traitement judiciaire des casd'agressions
sexuelles. Et nous croyons que ce questionnement doitintégrer
les effets de ce traitement sur les droits des femmes en tantqu'êtres
égaux ayant les mêmes droits constitutionnels que les
190 T. Brettel DAWSON (1988, op. cit.), cité
par Claire L'HEUREUX-DUBE(1991), p. 76.
hommes, accusés ou
non: droit à la liberté et la sécurité et droit à desprocès
justes et équitables. Nous croyons également que cettequestion
des droits collectifs des femmes ne peut être dissociée del'intérêt
général d'une société qui se veut démocratique. Dans ce cadre,le
système judiciaire détient un rôle stratégique, notamment, pourdénoncer les valeurs,
les attitudes et les comportements sexistes etpour interpréter et appliquer les lois en
regard des droits individuels detoutes les parties, des droits
collectifs des groupes qu'ellesreprésentent et de l'intérêt général
d'une société qui se définit commedémocratique.
Conclusion
générale
LES
PLAIGNANTES: TEMOINS, VICTIMES
OU ACCUSEES?
Je m'appelle
Anne, Carole, Mylène... Dans ma famille, à l'école,au
bureau et dans mes loisirs, on m'a appris à tenir ma place, sans plus:
être une bonne fille, respectant l'autorité parentale; être une bonne
élève puis une bonne travailleuse, soumise à l'autorité hiérarchique;
être une bonne femme envers mon conjoint, et une bonne mère,
aimante et indulgente.
J'ai grandi
en voyant ma grand-mère et ma mère servir leur époux,
en voyant des femmes servir leurs patrons, en voyant des
femmes baisser les yeux quand elles croisaient des hommes sur larue...
histoire de simuler l'inexistence, histoire d'éviter les actions ou commentaires
désobligeants ou de faire semblant que rien n'a été dit ou fait.
Comprendre la différence des hommes, qu'elle caresse ou qu'elle frappe.
Je pense que j'ai fait comme toutes ces femmes...
...Même ce
jour où Henri, Georges, Paul ou Jacques... (Vous avez le choix, en
autant que le nom soit masculin.), une connaissance,se permette de... Oh! Ça n'a pas été une
grosse affaire: je n'ai pas été menacée avec une arme, ni même
verbalement; je n'ai pas été battue...En réalité, il a fait ce qu'il a
voulu. L'espace d'une éternité, je suis devenue sa chose, une chose méprisée,
une chose sans nom, sans identité, sans dignité...
Je m'appelle
Anne, Carole, Mylène... Je sors du système judiciaire.
En tant que témoin, victime ou accusée? Je ne saurais plus dire...
En réalité, on a fait ce qu'on a voulu de moi: l'espace d'une
éternité, je suis devenue une chose, une chose méprisée, une chose sans
nom, sans identité, sans dignité...
Mon agresseur? Il fait partie des
91 violeurs sur 100 qui restent des citoyens libres. Il est vrai que, dans le
fond, c'est un homme ordinaire, marié, père de deux
enfants... Et, moi, je n'aurais pas dû accepter qu'il me reconduise; je
n'aurais pas dû être fine avec lui, il a cru...; je n'aurais pas dû être
habillée comme ça; j'aurais dû me défendre; j'aurais dû...
Je m'appelle
Anne, Carole, Mylène... Je ne connais pasgrand'chose
aux lois et aux tribunaux, mais pouvez-vous me dire justeune
chose? Pourquoi, est-ce moi que la Cour a jugée?
Quand c'est l'accusé (...), il
faut faire attention sur son mode devie (...)
Si c'était un
autre témoin, ça serait différent.191
Effectivement,
notre société a toujours convenu qu'il étaittéméraire
de juger de la culpabilité d'un accusé sur ses habitudes devie.
Mais l'application de cette règle de conduite associée à un examen
insistant et tendancieux de la crédibilité d'une plaignante donne tout unrelief
au déroulement des audiences en matière d'agression sexuelle: lavictime se sent accusée.
Si l'on en
juge les causes étudiées, il semble bien qu'il soitpermis de penser que
ce qui fait encore le noeud de l'instruction descauses d'agressions sexuelles, c'est la
crédibilité de la victime. A toutle moins, a-t-elle pris une place
importante dans les cas composantl'échantillon. Quel que soit le type
de questions posées, quelle que soitla partie qui la pose, la victime
peut être confrontée à une questionaussi impertinente qu'insidieuse en
vertu des mythes, préjugés etstéréotypes qu'elle véhicule.
D'une part,
le traitement judiciaire décrit pourrait effectivementdonner
l'impression de juger la victime lorsqu'il permet la mise en causeinsistante
et trompeuse de sa crédibilité. Si la crédibilité d'un témoindoit
être évaluée, aucun motif ne justifie qu'elle le soit en étalant sa vieprivée
et dans une méfiance qui préjuge en soi de sa crédibilité. Uneplainte
a été portée; un homme doit répondre d'un chef d'accusation; desfaits
sont allégués par les parties: quelle est la crédibilité destémoignages
en vertu des déclarations et de la description des faits encause?
N'est-ce pas là que devrait résider l'évaluation de la crédibilitéd'un
témoin?
191 Commentaire du juge Lucien Larouche dans l'affaire R. c.
Girard, p. 60.
D'autre part,
le traitement judiciaire analysé pourrait laisser lamême
impression de juger la victime, parce que, à côté de toutes cesinterventions
tendancieuses sur sa crédibilité, rares sont lesprotagonistes
du système judiciaire qui ont interrogé les attitudes etcomportements
sexistes, violents ou dominateurs d'un accusé. Un seulavocat
de la Couronne a souligné le lien qui existait entre descomportements
violents et la commission d'une agression sexuelle.Même
dans les cas où des plaignantes ont fait avorter les procédurescontre
un conjoint ou un ex-conjoint, aucun juge n'a attiré l'attention del'accusé sur le
caractère criminel des gestes allégués dans la plainte,qu'elle soit fondée ou non.
Sauf une
exception, à tour de rôle, les plaignantes ont étécontraintes
à répondre à des questions sans lien direct avec les faits encause.
A tour de rôle, elles ont dû laisser exprimer une interprétationdes
faits qui leur renvoyait une image d'elles et une conception de lasituation
d'agression qui n'étaient pas les leurs. Certaines ont mêmesubi
le mépris de la Défense. Et l'accusé, lui? doivent-elles sedemander.
Un juge a décidé que trois jeunes
plaignantes, âgées de 12 à 16ans, ont confondu gestes accidentels et
attouchements sexuels. Troisjeunes filles disent avoir été
touchées, l'une aux seins, l'autre au vaginet une dernière a subi
l'effleurement du pénis d'un monsieur-tout-le-monde, le tout en un laps de temps
relativement court. Gestesaccidentels? L'accusé a admis avoir
dit à l'une des jeunes filles qu'elleavait un beau corps. Il a admis avoir
embrassé sur la joue ces troisjeunes filles (12 à 16 ans) qu'il connaissait à peine et leur avoir donnéune tape sur les fesses. Le tout en toute
amitié... parce qu'il aime lesenfants, dit-il.
Cette
complaisance des hommes n'a plus sa place dans unesociété
qui dit reconnaître le droit à la liberté. Parce que la liberté, c'estaussi
pouvoir choisir par qui l'on veut être touchée, quand, comment et
où. Qui que l'on soit, barmaid, avocate, prostituée, enfant ou adulte.N'est-ce
pas là le message clair que devrait émettre la Cour, même lorsqu'elle juge
l'accusé innocent?
La pensée
libérale classique prenait pour acquises la neutralité
et l'impartialité des hommes d'État et de Droit. Où logent donc laneutralité
et l'impartialité entre des hommes décideurs et des femmesvictimes
qui ne partagent vraisemblablement pas les mêmesperceptions
et conceptions de l'agression sexuelle? Cet écart entre les
deux camps pourrait être suffisant pour expliquer en quoi des victimesse sentent jugées; en
quoi d'autres se sentent lésées par le traitementactuel des causes d'agressions sexuelles; en
quoi d'autres enfin n'osenttoujours pas déposer une plainte.
11 y a fort
à parier que telle situation demeurera tant et aussilongtemps
que le système judiciaire ne reconnaîtra pas la réalitésociale
derrière l'agression sexuelle de même que l'existence desfemmes
en tant que personnes généralement crédibles et en tant quepersonnes
ayant des droits, comme témoins et comme citoyennes.
Liste des
tableaux
Tableau 1
Tableau 2
Tableau 3
Tableau 4
Tableau 5
Tableau 6
Tableau 7
Tableau 8
Tableau 9
Tableau 10
Tableau 11
Tableau 12
Tableau 13
Tableau 14
Tableau 15
Tableau 16
Tableau 17
Répartition géographique des causes
Répartition des causes
selon les chefs d'accusation en matièred'agression
sexuelle
Répartition des victimes selon les groupes d'âge
Répartition des accusés selon les groupes d'âge
Faits caractérisant les agressions sexuelles
Délais
entre chaque étape du processus, de l'infraction au verdict
Disposition
relative à la liberté de l'accusé
Types de
procès, verdict et sentence
Fréquence des sujets types abordés par catégorie
Fréquence des interventions des parties par rapport à
l'ensemble desinterventions
par catégorie d'informations
Fréquence des interventions des parties par rapport à
l'ensemble deleurs
interventions respectives
Fréquence des sujets types d'identification Fréquence
des sujets types sans lienFréquence
des sujets types en lien
Fréquence des sujets types relatifs aux suites
Fréquence des interventions des parties par rapport à
l'ensemble desinterventions par
sujet type relatif aux suites
Fréquences des interventions des parties par rapport à
l'ensemble deleurs
interventions respectives par sujet type relatif aux suites
iste des
annexes
annexe
1
LISTE DES CAUSES ETUDIEES
R. c. Amyot. Cour des sessions de la paix, no
01-002315-874.
R. c. Blanchet. Cour des sessions de la paix, no 505-01-1515-853.R. c. Bourassa. Cour des sessions de la paix, no
400-01-002170-868.R. c. Croteau. Cour des sessions de la paix, no
615-01-00550-866.R. c. Desgagné. Cour des sessions de la paix, no
151-01-001649-863.R. c. Doyon. Cour des sessions de la paix, no 450-01-001912-869.
R. c. Dupuis. Cour des sessions de la paix, no 505-01-003859-861.
R. c. Gélinas. Cour des sessions de la paix, no 450-01-002848-864.
R. c. Girard. Cour des sessions de la paix, no 150-01-000726-845.R. c. Guillemette. Cour des sessions de la paix, no
450-01-001289-862.
R. c. Laflamme. Cour des sessions de la paix, no 505-01-3050-867.R. c. N. [Ordonnance de non-publication]
R. c. P.. [Ordonnance de non-publication]
R. c. Richer.Cour des sessions de la paix, no
500-01-000222-874.R. c. Sandro. Cour supérieure du Québec, no
550-01-003716-869.
annexe
2
DONNÉES FACTUELLESRecueillies à partir du plumitif -
Chefs d'accusation retenus en matière d'agression sexuelle
1.
Agression sexuelle simple (art. 246.1)
2.
Agression sexuelle armée (art. 246.2)
3.
Agression sexuelle grave (art. 246.3)X. Information
manquante
Autres chefs d'accusation
0.
Aucun
1.
Séquestration (art. 247)
2.
Entrée par effraction (art. 306)
3.
Voies de fait (art. 245)
4.
Autres
X. Information manquante
L'accusé est-il...
1.
Sous arrestation
2.
En liberté
3.
Sous arrestation ou en liberté, selon le momentX. Information
manquante
Type de procès selon le choix final
1.
Juge seul
2.
Juge
et jury
3.
Ne s'applique pas
X. Information manquante
Verdict en matière d'agression sexuelle
1.
Culpabilité
2.
Acquittement
3.
Ne s'applique pas
Sentence en matière
d'agression sexuelle
_____________________________________ Jours_____ Mois______ Années
1.
Emprisonnement ___________ _____
2.
Probation _____ ______
3.
Travaux
communautaires ____ ___________
4.
Autre:__________________ ____ ___________
5.
Ne s'applique pas
Délai entre l'infraction et le début de l'enquête
préliminaire
1.
Moins d'un mois
2.
D'un mois à moins de trois mois
3.
De trois mois à moins de six mois
4.
De six mois et plus
5.
Ne s'applique pas
Délai entre l'infraction et le début du procès
1.
Moins de trois mois
2.
De trois mois à moins de six mois
3.
De six mois à moins d'un an
4.
D'un an et plus
5.
Ne s'applique pas
Délai
entre l'infraction et la décision finale
1.
Moins de six mois
2.
De six mois à moins d'un an
3.
D'un an à moins de deux ans
4.
De deux ans et plus
5.
Ne s'applique pas
annexe
3
DONNÉES
FACTUELLES
Recueillies
à partir des audiences
Lieu de
l'agression
1.
Domicile de l'accusé
2.
Domicile de la victime
3.
Véhicule
4.
Bar, cabaret
5.
Rue
6.
Autre endroit public
7.
Autre endroit privé
8.
Autre
X. Information manquante
Délai entre l'agression et la plainte
1.
Entre 0 et 24 heures
2.
De 24 heures à moins d'une semaine
3.
D'une semaine à moins d'un mois
4.
D'un mois à moins de deux mois
5.
De deux mois et plus
6.
Indéterminé
X .Information
manquante
Nombre
d'accusés
1.
Un accusé
2.
Deux
accusés
3. Plus
de deux accusésX. Information
manquante
Age des accusés
1.
Moins de 18 ans
2.
De 18 à 24 ans
3.
De 25 à 29 ans
4.
De 30 à 34 ans
5.
De 35 à 39 ans
6.
De 40 ans et plus
X. Information manquante
Nombre de victimes
1.
Une victime
2.
Deux victimes
3. Plus de deux victimesX. Information
manquante
Age des victimes
1.
Moins de 18 ans
2.
De 18 à 24 ans
3.
De 25 à 29 ans
4.
De 30 à 34 ans
5.
De 35 à 39 ans
6.
De 40 ans et plus
X. Information manquante
Lien entre la victime et l'accusé (L'accusé est...)
1.
Un inconnu
2.
Une connaissance de vue ou une connaissance récente
3.
Un membre de la famille
4.
Un ami de la famille ou d'un proche
5.
Le conjoint ou l'ex-conjoint (marié ou de fait)
6.
Une connaissance personnelle
7.
Autre
X. Information manquante
Violence physique commise autre que l'agression sexuelle
0.
Aucune
1.
Intimidation physique (ex.: immobilisation)
2.
Menace armée
3.
Voies de fait
4.
Autre
X. Information manquante
Conséquences physiologiques ou psychologiques de
l'agression
0.
Aucune
1.
Maladie transmise sexuellement
2.
Grossesse
3.
Blessures
physiques ne nécessitant pas une interventionmédicale
(ex.: bosses,
ecchymoses...)
4.
Blessures majeures nécessitant une intervention médicale
5.
Conséquences psychologiques
6.
Autres
X Information manquante
annexe 4
LISTE DETAILLEE DES SUJETS TRAITES
DURANT LES
AUDIENCES
Sujets
relatifs à l'identification
1. Identification des personnes impliquées, des lieux
(adresse), desobjets et des dates: nom, statut et
occupation d'une personne;marque d'auto, pièces à
conviction...
Ex.: Reconnaissez-vous le prévenu?Reconnaissez-vous
l'arme?
2. Identification du type de relation entre la
victime et l'accusé
préalable à l'agression
Ex.: Combien de fois l'avez-vous rencontré
avant?Connaissiez-vous
son adresse?Saviez-vous
s'il était marié?
3. Identification du type de relation entre l'accusé
et les tiersEx.: Connaissez-vous un tiers?
Les tiers vont-ils
souvent à cet endroit?
4. Identification du type de relation entre la
victime et les tiers
Sujets
sans lien direct avec l'accusation
5. Caractéristiques personnelles de la victime: type
de relationavec
l'entourage (conjoint, enfants,
parents); traits de
personnalité (jalousie, facilité de contact); santé physique oumentale; idées, conception sur un
sujet général ou particulier
Ex.: Est-ce que ça vous perturbe de vivre
seule avec votremère, sans votre père?
6.
Caractéristiques
personnelles de l'accusé
7.
Démêlés avec la justice de la part de la victime:
dossierjudiciaire,
accusation antérieure, faits relatifs à des accusations
8. Démêlés avec
la justice de la part de l'accusé
9.
Habitudes de vie de la victime: type de loisirs, personnes
etlieux fréquentés;
comportements au travail
ou à l'école;implication
sociale
Ex.: Portez-vous généralement une montre?Changez-vous
votre chèque le vendredi?Habitez-vous
là depuis longtemps?
10.
Consommation d'alcool, de drogue ou de médicaments de la
partde
la victime
11. Habitudes de
vie de l'accusé
12.
Consommation d'alcool, de drogue ou de médicaments de la
partde
l'accusé
13.
Autres: sujets relatifs aux habitudes de vie des
tiers;sujetsrelatifs
à des faits étrangers à l'agression et ayant eu lieu à unedate
antérieure ou postérieure, où les parties n'étaient pas enprésence
l'une de l'autre; sujets relatifs à des faits qui ne sontpas
des suites de l'agression...
Ex.: Comment réagit votre père (ou votre mère)
lorsque vousne
respectez pas les consignes?
Etes-vous retournée
à ce bar par la suite?
Sujets relatifs à des
événements connexes
14. Description d'événements préalables à l'agression
où l'accusé etla victime étaient en présence l'un
de l'autre
Ex.: Ce jour-là, il ne s'est rien passé de
particulier?
Sujets en lien avec
l'accusation
15. Habillement de
la victime: description des vêtements etaccessoires, incluant la coiffure et
le maquillage
Ex.: Vos
boutons étaient attachés ou pas?
16.
Habillement de l'accusé
17.
Habillement des tiers
18.
Consommation d'alcool, de drogue ou de médicaments par la
victime: nombre de consommations, vitesse de la consommation,
description de l'état de la victime
19.
Consommation d'alcool, de drogue ou de médicaments parl'accusé
20.
Consommation d'alcool, de drogue ou de médicaments en
général,incluant
les tiers
Ex.: Vous avez pris chacun une bière?
21. Sentiments, émotions, pensées, perceptions et
compréhensiond'une situation de la part de la
victime
Ex.: Étiez-vous étonnée?Aviez-vous
peur?
Compreniez-vous ce qui
se passait?
22. Sentiments, émotions, pensées, perceptions et compréhensiond'une situation de la part de l'accusé
23. Sentiments, émotions, pensées, perceptions et
compréhensiond'une situation de la part des
tiers
Actions
posées par la victime
24.
En lien avec un refus ou une acceptation de sa part:
gestes,paroles...
25.
Pour lesquelles on demande une justificationEx.: Pourquoi ne vous êtes-vous pas sauvée?
Vous avez décidé de suivre Monsieur dont vous aviezpeur?
26. De façon générale
Ex.: Qu'avez-vous fait à ce moment-là?Étiez-vous
déshabillée?Avez-vous
vu, entendu, eu connaissance de...?
Actions
posées par l'accusé -
27. En
lien avec la contrainte, l'intimidation ou la menaceEx.:
Avait-il le couteau à la main?
Vous tenait-il par le bras à ce moment-là?
Qu'est-ce qu'il a fait avec son arme?
28.
Pour lesquelles on demande une justification
Ex.: Pourquoi a-t-il...?
29.
De façon générale
Ex.: Où
était-il par rapport à vous?
Quels vêtements vous a-t-il enlevés?
Déroulement
général
30.
Déroulement dans le temps et description des personnes, des lieux,
des objets et de la température: déroulement par étape; emplacement
des personnes et des objets; actions des parties defaçon
indéterminée
Ex.:
Où étaient les tiers à ce moment-là?
Où était votre manteau?Quel temps faisait-il?Que s'est-il passé?Avez-vous discuté longtemps ensemble?
1. Autres:
description de faits se déroulant le jour de l'agression,
mais avant celle-ci, et où les parties ne sont pas enprésence l'une avec l'autre
Ex.:
Quelles sortes d'activités y avait-il à cet endroit?
Vous avez quitté le
travail, vous êtes allée à la maison, vousvous
êtes changée et êtes allée à cet endroit pour y rencontrerdes
gens?
Sujets
relatifs aux suites de l'agression
32.
Discussion
de la victime avec des tiers au sujet de l'agression
Ex.: Avez-vous tout raconté à votre
arrivée?
33.
Délais entre l'agression et la plainte ou entre
l'agression et lessoins
médicaux
Ex.: Vous vous êtes rendue directement au
poste de police?
34.
Conséquences physiques, psychologiques, matérielles ou
autres
35.
Relation de la victime avec l'accusé
Ex.: L'avez-vous revu?
36.
Déroulement
général: départ du lieu de l'agression; déclaration àla police, arrestation; consultation
médicale...
37.
Autres:
déclarations de l'accusé à des tiers; demandes dejustification
des actions posées après l'agression
mais enrelation
avec celle-ci; action des parties avant ou durant lesaudiences...
Ex.: Le
prévenu vous a dit avoir...?
Pourquoi n'en parliez-vous pas avec votre mère?Avez-vous
relu votre déclaration avant les audiences?
Vous avez dîné avec le policier un tel; vous a-t-il
suggéréde
dire...?
Divers
38. Confrontations des dires ou de la mémoire
Ex.:
Vous ne le savez pas ou ce n'est pas arrivé?C'est vrai?
Ce ne pourrait pas être...?Vous
le jurez?
39. Confrontations à son propre témoignage antérieur?
Ex.: Pourtant, à l'enquête préliminaire, vous
avez déclaré...
40. Autres:
onomatopées
("Bon",
"Oui",
"Hum"...); questionsinterrompues; paroles ou consignes
aux témoins ou au jury;demandes de répétition ou de
précision
annexe
5
LIBELLÉ DES ARTICLES 276 ET 277 DU CODE
CRIMINEL
article 276
(1)Dans
des poursuites pour une infraction prévue aux articles 151,152, 153, 155 ou 159, aux paragraphes 160 (2) ou (3) ou aux articles
170, 171, 172, 173, 271, 272 ou 273, l'accusé ou son représentant nepeut présenter de preuves concernant le
comportement sexuel duplaignant avec qui que ce soit
d'autre que l'accusé à moins qu'il nes'agisse:
a)
d'une preuve qui
repousse une preuve
préalablementprésentée par la
poursuite et portant sur le comportement oul'absence de comportement sexuel du
plaignant;
b)
de
la preuve d'un rapport sexuel du plaignant présentée dansle but d'établir l'identité de la personne
qui a eu avec leplaignant des rapports sexuels
lors de l'événementmentionné dans l'accusation;
c)
d'une preuve d'actes de conduite sexuelle qui ont eu lieu
enmême
temps que ceux qui sont à l'origine de l'accusationdans
les cas où la preuve porte sur le consentement quel'accusé
croyait que le plaignant avait donné.
(2) Aucune
preuve n'est admissible en vertu de l'alinéa (l)c) àmoins:
a)
d'une
part, qu'un avis raisonnable n'ait été donné par écrit au
poursuivant par l'accusé ou en son nom, de son intention deproduire cette preuve et faisant état des
détails qui s'yrapportent;
b)
d'autre
part, qu'une copie de cet avis n'ait été déposée auprèsdu greffier du tribunal.
(3)
Aucune preuve n'est admissible en vertu du paragraphe (1)
àmoins
que le juge, le juge de la cour provinciale ou le juge de paix,
après tenue d'une audition à huis clos en l'absence du jury et lors delaquelle
le plaignant n'est pas un témoin contraignable, ne soitconvaincu
que les exigences énumérées au présent article ont étérespectées.
(4)
Il est interdit de diffuser dans un journal, à la radio ou
à latélévision,
l'avis donné conformément au paragraphe (2) et la preuvesoumise,
les renseignements donnés ou les observations faites aucours
d'une audition mentionnée au paragraphe (3).
(5)
Quiconque, sans excuse légitime, dont la preuve lui
incombe,contrevient au
paragraphe (4) est coupable d'une infraction punissablesur déclaration de culpabilité par procédure
sommaire.
(6)
Au
présent article, "journal" a le sens que lui donne l'article 297.1980-81-82-83, c. 125, art. 19; L.R.C.
1985, c. 27 (1er suppl), art. 203;[1987, c. 24, art. 12].
article 277
Dans des
procédures à l'égard d'une infraction prévue aux articles151,
152, 153, 155 ou 159, aux paragraphes 160 (2) ou (3) ou auxarticles
170, 171, 172, 173, 271, 272 ou 273, une preuve de réputationsexuelle
visant à attaquer ou à défendre la crédibilité du plaignant estinadmissible.
1980-81-82-83, c. 125, art. 19; 1987, c. 24, art. 13.
Note: Le
gouvernement fédéral a adopté au cours de l'été 1992certains
amendements au Code Criminel, relatifs auxagressions
sexuelles (notamment., en ce qui a trait à la notionde consentement ).
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BULLETIN DE COMMANDE
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