Changements sociaux en faveur de la diversité des images corporelles

Initiative réalisée dans le cadre du Programme de promotion de la femme (Condition féminine Canada)

Rapport final mai 1998 - juillet 2001

Réseau québécois d'action pour la santé des femmes (RQASF

PRESENTATION DE L'ORGANISME

Issu du Regroupement des centres de santé des femmes du Québec (1985), le Réseau québécois d'action pour la santé des femmes (RQASF) est un organisme multidisciplinaire dont la mission est de travailler solidairement dans une perspective féministe à l'amélioration de la santé et des conditions de vie des femmes.

Ses objectifs sont de promouvoir et défendre par l'action collective et l'action politique les droits et intérêts des femmes en matière de santé, sur les plans sociétal, politique, législatif et gouvernemental ; d'adopter et faire valoir une approche globale de la santé des femmes ; de regrouper et mobiliser les femmes et les organisations préoccupées par la santé des femmes ; d'agir pour et avec les femmes, dans la reconnaissance de leurs savoirs et la prise en charge de leur santé.

Le Réseau compte une centaine de membres associatifs et individuels à travers toutes les régions du Québec. Il s'adresse à toutes les femmes préoccupées par la santé et ses déterminants ; celles qui travaillent à la dispensation des soins et services, à la planification et la prise de décision, autant qu'au niveau de la recherche ou de l'enseignement. Il s'adresse particulièrement aux intervenantes provenant des groupes de femmes et des organismes communautaires, aux travailleuses du milieu de la santé et des services sociaux et aux militantes du mouvement pour la santé des femmes.

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE

Le présent document constitue le rapport final d'une initiative réalisée sur une période de trois années, dans le cadre d'une subvention du Programme de promotion de la femme de Condition féminine Canada.

Ce document comporte 5 parties. D'abord, l' INTRODUCTION qui présente la mise en contexte du sujet et de l'initiative. Ensuite, les RÉALISATIONS qui relatent l'ensemble des actions réalisées au cours de l'initiative et traitent de l'impact de ces réalisations. Un RAPPORT D'ENQUETE SUR LE COMMERCE DE L'IMAGE CORPORELLE qui présente :

  • I. Le marché de l'esthétisme
  • II. Responsabilité en intervention esthétique
  • II. Inventaires des ressources alternatives (OM/OG) (IC)

Suivent la CONCLUSION et quelques RECOMMANDATIONS pour la poursuite du dossier.

Nous tenons à remercier pour leur collaboration et leur contribution les membres du comité (OM/OG) et les membres du conseil d'administration du Réseau qui, sur une base régulière dans cadre de réunions de suivi, ont encadré ce projet et vu à son bon déroulement.

Nous espérons que ce rapport présentera un intérêt pour toutes celles préoccupées par la question de l'image corporelle.

Bonne lecture.

INTRODUCTION

PRÉSENTATION DU CONTEXTE

L'impasse de l'image corporelle

Le travail des trois dernières années nous a permis d'approfondir le contexte social global de l'image corporelle. Ainsi, les critères concernant l'image corporelle varient considérablement selon l'époque et la culture, tout comme l'importance de s'y conformer pour être acceptée. Mais quel que soit le contexte, on peut quand même admettre que, de tout temps et en tout lieu, être belle s'est avéré un avantage pour la chanceuse qui détient ce titre ; il pouvait même parfois lui permettre d'aspirer à un plus grand pouvoir sur sa vie ou du moins, d'améliorer son sort.

Nous souhaitons toutes être belles ; c'est-à-dire, conformes aux critères de beauté qui régissent notre époque et notre culture. C'est dans notre intérêt, nous le savons bien. Au-delà de la coquetterie, il s'agit du désir de correspondre aux normes établies par notre communauté, ce qui contribue à nous faire accepter par les nôtres ; le contraire nous expose au rejet. Bien des aspects peuvent déterminer la beauté et là n'est pas notre propos ; nous nous limiterons dans ce rapport à ceux qui concernent l'image corporelle.

La relation des femmes à leur corps a presque toujours été une douloureuse recherche de perfection. Une perfection dont les standards sont sans cesse repoussés vers des limites souvent inaccessibles pour un grand nombre d'entre nous, notamment lorsqu'il est question du poids. À notre époque, dans notre société occidentale où l'importance du paraître prévaut sur l'être ; dans une société capitaliste qui se mondialise et où la performance est une vertu et la compétitivité une question de survie, nous sommes toutes plus que jamais tributaires de notre image corporelle. Difficile de nier l'influence qu'elle peut avoir dans certaines sphères de notre vie.

Les technologies de communication et la publicité omniprésente sont des institutions-clés qui nous bombardent d'images. Et le moule auquel on doit se conformer n'échappe à personne. Mais voilà, il est étroit, ce moule, il est ferme, lisse; il nie la diversité des corps des femmes, il nie les transformations qui sont régies par les lois du temps et défie celle de la gravité. Nous sommes donc confrontées à une image plus virtuelle que réelle. À toutes fins pratiques, elle ne nous ressemble, pas, du moins pas longtemps, dans un contexte où, paradoxalement, l'espérance de vie augmente.

Au-delà du stéréotype : Une oppression maquillée

Plusieurs auteures suggèrent que si l'on véhicule socialement un type de silhouette qui ressemble à celui d'une jeune adolescente, c'est entre autres pour imposer une image moins menaçante des femmes. Une image qui les infantilise, nie leur force et leur pouvoir reproducteur. Par ailleurs, la valorisation de ce type de silhouette coïncide curieusement avec l'époque où les femmes commencent à s'affirmer politiquement et à revendiquer leur autonomie économique. Depuis les trois dernières décennies, les femmes ont pris de plus en plus de place dans toutes les sphères de la société et notamment sur le marché du travail. Toutefois, elles ne se sont jamais senties si mal par rapport à leur image corporelle, comme en témoigne, par exemple, l'augmentation spectaculaire du nombre de cas d'anorexie, ou encore l'essor de la chirurgie esthétique, le champ de la médecine qui s'est développé le plus rapidement depuis dix ans.

En fait, n'est-il pas vrai que la majorité d'entre nous sommes insatisfaites de notre poids ; que bon nombre de nos amies ou connaissances ayant un poids normal désirent quand même maigrir; que nos adolescentes considèrent que la minceur est une condition essentielle à leur réussite sociale; et que plusieurs femmes adultes entretiennent la même crainte et insécurité, en regard de leur réussite professionnelle?

Et de fait, malheureusement, les femmes sont surtout jugées selon leur apparence physique. Encore aujourd'hui, n'importe qui déclare publiquement son impression générale d'une femme, par sa façon de l'interpeller, Madame ou Mademoiselle. Quelle femme osera nier le choc de constater que socialement on trouve qu'elle a l'air vieux et qu'on lui fait savoir? Comment se fait-il que les hommes soient épargnés de cet affront? Malgré les acquis au niveau des droits, les femmes n'ont donc jamais perdu leur valeur ornementale. La survalorisation de la beauté engendre ainsi un préjugé favorable envers les femmes qui répondent aux critères. Cette iniquité dans nos rapports aux personnes laisse croire que la beauté est un gage de bonheur et de succès.

Le poids, mesure inconditionnelle de l'échelle de beauté

La minceur est devenue un impératif culturel très largement véhiculé par les médias imprimés et électroniques ainsi que par l'industrie de la mode. Or, l'enquête réalisée sur le commerce de l'image corporelle révèle que de plus en plus de professionnelle-s de la santé, (approches traditionnelles et alternatives confondues), s'engagent dans la voie lucrative de la transformation des corps.

Depuis bon nombre d'années, le moule de l'extrême minceur, le «style anorexique» perdure. Ce modèle entretient les stéréotypes de la femme fragile et infantile, bu même coup, ces images stéréotypées laissent supposer que, étant hors normes, les femmes de forte taille sont anormales ; ces images entretiennent également l'idée que ces femmes ne sont pas séduisantes. Qu'on le veuille ou non, qu'on le fasse consciemment ou non, ce diktat du modèle minceur nous conduit souvent à adopter des attitudes négatives vis-à-vis des personnes de forte corpulence1.

L'absence des femmes de forte taille dans la représentation sociale et culturelle, pour tout ce qui réfère à la beauté et à la santé, tend à faire croire que le poids dépend essentiellement de la volonté individuelle et donc de la capacité de chacune à se conformer, à n'importe quel prix, à un moule unique. En occultant la diversité des formats corporels, on masque la réalité, en plus de créer la confusion en associant grosseur et mauvaise santé. Bon nombre de femmes affectées par les préjugés et les stéréotypes liés au poids s'engagent dans la spirale de l'obsession de la minceur en se soumettant à des régimes draconiens, au point d'hypothéquer leur santé physique. Pour d'autres qui livrent une lutte quotidienne pour se faire accepter, il en va de leur santé mentale.

1 Sur cette question nous vous invitons à prendre connaissance du texte : «Préjugés et discrimination envers les grosses femmes» (Sophie Bellefeuille). Sans préjudice... pour la santé des femmes, hiver 2001, no 23, p. 3-4.

Présentation de l’initiative

À l'encontre du discours dominant, le Réseau soutient que le corps représente la spécificité, l'unicité de chacune. D'une personne à une autre, le corps diffère de par sa taille, ses mensurations, sa couleur, etc. De plus, il change et évolue tout au long de la vie, ce qui est normal. La diversité des formats corporels devrait donc se refléter dans les représentations sociales. Initier un tel changement au niveau de la représentation sociale des femmes n'est pas un mince défi. Entre autres, cela implique de s'attaquer à différentes institutions sociales de pouvoir, qu'il s'agisse d'un pouvoir politique, d'un pouvoir d'influence ou, comme nous avons pu le constater, d'un grand pouvoir économique.

Il est temps d'agir

Concrètement, le Réseau a voulu agir afin de modifier la perception restrictive de la beauté généralement véhiculée. Il s'est également donné comme objectif d'inciter les institutions-clés de notre société à promouvoir la diversité dans la représentation du corps des femmes. Et enfin, il voulait développer des outils pour mieux sensibiliser les femmes sur cette forme de discrimination.

Moyen privilégié

En vue d'obtenir des résultats concrets et d'avoir un impact significatif, il est nécessaire d'agir, à la fois, au niveau de la mobilisation, de la sensibilisation et de la dénonciation. Le Réseau a donc réaliser un plan stratégique pour lui permettre de développer, progressivement, ces trois axes d'intervention. Le compte rendu de l'ensemble des activités réalisées dans le cadre de cette initiative est présenté sous forme de tableau synoptique qui, à notre avis, illustre bien la progression du dossier.

Comité d'encadrement

Durant ces trois années, le Réseau a pu s'appuyer sur l'expertise solide des membres du comité obsession de la minceur et oppression de la grosseur (OM/OG). Fortes d'un engagement de 6 ans, ces femmes ont accepté de partager leurs connaissances et leurs compétences pour nous aider à approfondir le dossier. Leur désir de poser des actes concrets pour mener à des changements sociaux a été une source de motivation constante.

PRINCIPALES REALISATIONS

Tableau synoptique des activités réalisées 1998-2001. Les lettres en italique et entre parenthèses indiquent la thématique liée à chaque réalisation : (OM/OG) = obsession de la minceur et oppression de la grosseur ; (OG) = oppression de la grosseur ;(OM) obsession de la minceur ; (IC) = image corporelle.


* Articles publiés :

dans le Sans préjudice.. pour la santé des femmes:

  • Obsession de la minceur et oppression de la grosseur (hiver 01, no 23)
  • Discrimination et préjugés envers les femmes grosses (hiver 01, no23)
  • Dénoncer, cause parfois des Ondes de chocs (automne 98, no 16)
  • :Féminisme et oppression de la grosseur (printemps 98, no 15)
  • Quand Dieu était femme... elle était grosse (hiver 98, no 14)

dans l'Agenda des femmes 2001 :

•     L'image-magie (mai)

IMPACTS DES ACTIVITES REALISEES

On constate, à partir du tableau synoptique, qu'un travail important de réflexion a été entrepris dès le début du projet pour conduire à la production de matériel concret, soit les différentes grilles thématiques et la publication d'articles dans le Sans Préjudice...

Diffusion

Les différentes grilles thématiques ainsi que le Sans Préjudice... pour la santé des femmes ont été diffusés gratuitement :

  • à nos membres, aux groupes de femmes et communautaires
  •  dans divers milieux ciblés (écoles secondaires, maisons des jeunes, associations professionnelles, organisation syndicales, etc.) *   lors de forums, colloques et autres événements.

La diffusion de ce matériel a eu comme résultat pour le Réseau d'être invité, par divers organismes, à donner des conférences, participer à des ateliers ou à tenir un stand d'informations dans le cadre de leurs événements. Au cours de ces activités, le Réseau a eu l'occasion de sensibiliser pas moins de 1500 femmes sur la question de la discrimination liée à l'image corporelle.

Le fait que Réseau n'ait pas réalisé de telles activités en 2001 s'explique par la conjoncture. En effet, la personne responsable du dossier a quitté le Réseau en février dernier. La subvention se terminant quelques mois plus tard, le Réseau a choisi de mettre l'accent sur l'organisation de la Journée internationale sans diète qui a de plus en plus de retombées, ainsi que sur la réalisation d'une enquête sur le commerce de l'image corporelle.

Journée internationale sans diète

À travers le monde, le 6 mai marque la célébration de la Journée internationale sans diète. Le Réseau souligne cette journée en décernant deux prix qui visent à récompenser (Corps-Accord) ou dénoncer (On s'en balance!) des entreprises qui, par leurs produits ou leurs publicités, favorisent ou défavorisent la promotion et l'acceptation de la diversité des corps. Les prix sont décernés par un jury composé de personnalités de divers milieux.

Récipiendaires des prix au cours de l'initiative

L'événement de la remise des prix n'est pas sans écho. L'activité attirait 35 personnes en 2000 et plus d'une cinquantaine en 2001. En 1998, un des récipiendaires du prix On s'en balance!contestait publiquement sa nomination, par le biais du journal Voir. De plus, une plainte déposée au Conseil des normes de la publicité donnait gain de cause au Réseau ; le bar Le Dogue a dû retirer sa publicité jugée discriminatoire envers les grosses personnes. Dans le cas des Centres de santé minceur, notre plainte au Conseil des normes en publicité a été rejetée, mais bien accueillie par l'Office de la protection de consommateur qui avait déjà un dossier sur eux.

D'un ordre plus réjouissant, le Réseau recevait un remerciement officiel d'un des récipiendaires du prix Corps-Accord 1999, avec l'engagement de poursuivre son action. Surprise, mais flattée, par l'initiative du Réseau, tout nous permet de croire que cette entreprise agit aujourd'hui comme agent de changement dans son milieu.

On remarque que, progressivement, le travail de sensibilisation atteint les régions. Par exemple, quelques écoles secondaires et certains de nos groupes membres soulignent maintenant l'événement. C'est toutefois sur le plan médiatique qu'on peut mesurer l'impact grandissant de cette journée, alors que les médias y accordent de plus en plus d'attention. Fait intéressant, plus les années avancent, plus l'impact médiatique se fait sentir hors Montréal. On observe également que le type de média se diversifie avec le temps, ce qui suppose que le type de public atteint est lui aussi plus diversifié, comme l'indique le tableau qui suit.


La pétition destinée à l'Assemblée nationale pour l'inclusion du poids et de la grosseur comme motifs de discrimination à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne a, elle aussi, capté l'attention des médias et du public. Le Réseau a recueilli un total de 2286 signatures. Le quotidien La Presse a publié un article sur le sujet (cahier A, 23 octobre 2000) et deux entrevues télévisées avec la responsable du dossier ont été réalisées : Citémag, 21 novembre 2000 ; bulletin de nouvelles de TVA/LCN. 13 janvier 2001.

Enfin, le Réseau entend diffuser le Rapport d'enquête sur le commerce de l'image corporelle. confiant qu'il pourra servir d'outil de réflexion et de sensibilisation sur la question de l'image corporelle.

En résumé:

Le Réseau estime avoir rempli son mandat en publiant du matériel d'information critique ; en produisant une trousse d'action afin d'encourager les femmes, notamment les jeunes, à devenir des actrices de changement dans leur propre milieu de vie ; en assurant une présence dans les médias, surtout par le biais de l'organisation de la Journée internationale sans diète ; en réalisant une enquête pour sensibiliser les femmes aux enjeux liés à la transformation de leur image corporelle et au fait que le discours sur le mieux-paraître et le mieux-être n'est rien d'autre qu'une opération cosmétique qui relève essentiellement d'une stratégie mercantile.

INSTITUTIONS-CLÉS DU COMMERCE DE L'IMAGE CORPORELLE : RAPPORT D'ENQUÊTE

De tout temps, les femmes ont tenu compte des normes de beauté qui régissaient leur époque et agi, librement ou sous la contrainte, pour tenter de s'y conformer, quitte à mettre en péril leur santé pour y parvenir. L'histoire sur le sujet est passionnante, horrifiante dans certains cas. Toutefois, nous nous limiterons ici à l'exploration de cette réalité au Québec, à l'heure actuelle.

Le discours dominant impose principalement comme standards de beauté l'extrême minceur et la perfection plastique. Trop maigres ou trop grasses, en totalité ou en partie, trop molles, trop bouffies ou trop ridées, les femmes se font imposer l'image d'un gabarit idéal. Un gabarit idéal basé non pas sur des critères de santé et de bien-être, mais sur les critères volatils de la mode en cours. Nous devons reconnaître que cette pression sociale en amène plusieurs à poser des gestes qui sont non seulement coûteux en temps, en argent et en souffrance, mais parfois dangereux pour la santé. Avec le vieillissement de la population féminine et les progrès technologiques, l'obsession de l'esthétisme plastique risque de prendre des proportions délirantes. Que voulez-vous, avec l'âge on épaissit, on plisse!

En effet, à notre époque, nous n'avons plus à nous résigner, à nous priver des avantages de correspondre à la norme. Plus maintenant. Le rêve qu'on nous fait miroiter à nous les femmes en priorité, et de plus en plus aux hommes, c'est que tout est possible. Les solutions sont là, à notre portée ; il n'en tient qu'à nous, à notre détermination et à notre portefeuille. Nous avons la chance, et l'odieux, d'agir pour parvenir à nous paraître enfin adéquates.

Compte tenu de l'ampleur actuelle du phénomène médiatique et publicitaire, jumelée aux possibilités offertes par les progrès de la science, le Réseau a voulu creuser la question de la transformation du corps des femmes. Toutefois, il a choisi de le faire non pas sous l'angle habituel du phénomène culturel, mois sous l'angle de la commercialisation et même de l'industrialisation d'un phénomène culturel.

Sans aucune prétention scientifique, notre enquête cherchait à connaître ce qui se fait, ou se défait, au niveau de l'image corporelle, au Québec. Nous souhaitions avoir un portrait très large des différents moyens proposés aux femmes pour modifier leur corps ou leur image corporelle.

Afin d'alimenter la réflexion et de mieux évaluer les perspectives de développement du dossier, nous avons cru pertinent de rendre compte de la situation sous trois volets. Dans un premier temps, l'angle de la commercialisation est abordé par un regard critique sur la publicité s'adressant aux femmes et sur les commerces qui subventionnent ce concept promotionnel. Dans un deuxième temps, nous avons demandé la collaboration de la Clinique juridique de l'UQAM pour connaître les recours légaux disponibles aux femmes ayant subi des dommages corporels au cours d'interventions. Et troisièmement, dans un souci d'équilibre, nous avons procédé à l'inventaire des ressources offrant une approche et un discours alternatifs, c'est-à-dire des organismes qui encouragent plutôt l'acceptation de soi.

I. LE MARCHE DE L'ESTHÉTISME

A. LES MÉDIAS, NOTRE MIROIR

En quelques décennies, dans les sociétés occidentales, les médias de masse sont devenus le principal agent de représentations sociales. Un regard critique sur les médias permet de voir les formes insidieuses de pression et de sollicitation que subissent les femmes pour les inciter à modifier leur image corporelle.

Afin d'illustrer l'importance de la sollicitation médiatique pour transformer le corps des femmes dans un dessein esthétique, nous nous sommes livrées à un exercice de repérage, nous limitant à un média. La sollicitation médiatique étant on ne peut plus envahissante et prenant des formes de plus en plus inusitées, les champs d'exploration où l'on expose le modèle corporel prisé ne manquent pas : des panneaux publicitaires des abribus aux émissions de télévision, des photos des tourniquets du métro au catalogue du Canadien Tire, nous avions l'embarras du choix.

Pour les fins de l'exercice, notre choix s'est arrêté sur un média à la fois connu de nous toutes et accessible partout au Québec. Un média qui se retrouve sous nos yeux sans même l'avoir cherché : le magazine dit féminin. Accessible par abonnement jusqu'aux îles-de-la-Madeleine, mais de toute façon incontournable, puisqu'il trône sur les tables dans toutes les salles d'attente dignes de ce nom.

Pour le choix des mensuels, nous avons déterminé les critères suivants : avoir un lectorat significatif, s'adresser prioritairement aux femmes, traiter de sujets variés et représenter une diversité d'âge, quant à la clientèle cible. Nous avons ensuite soumis ces critères à la Fédération professionnelle des journalistes, à deux succursales de la Maison de la Presse Internationale, à la Librairie Champigny ainsi qu'à deux bibliothèques de quartier, ce qui nous a amené aux choix présentés dans le tableau qui suit.


Tableau : Mensuels féminins les plus vendus au Québec*

Pour compléter le tableau présentant le profil de ces mensuels, nous y ajoutons quelques informations complémentaires, car outre l'âge moyen auquel ils s'adressent, les magazines présentent certaines caractéristiques qui les distinguent.

Ainsi, dans Filles d'aujourd'hui on s'intéresse d'abord à la musique et aux garçons. Il est d'ailleurs surprenant de constater que, contrairement aux autres revues, leur publicité est moins axée sur l'image corporelle. Elle Québec, pour sa part, présente un profil de femme très active, surtout sexuellement et qui suit la tendance sexy de la mode. D'influence européenne, les publicités y sont parfois très osées. La lectrice de Clin d'oeil semble la plus friande de mode sous tous ses angles et de loin la plus intéressée par tout ce qui touche l'image corporelle.

Comme son nom le laisse entendre, Coup de pouce est à l'écoute de la femme pratico-pratique qui aime être bien renseignée. Ce souci d'informer se perçoit jusque dans les publicités qui sont souvent plus explicites sur les caractéristiques des produits. Châtelaine présente des sujets d'actualité en général. Par contre, sa publicité ne diffère pas de celle des autres. Ce qui crée des situations étonnantes parfois, tant le contraste est paradoxal entre le contenu des articles et la publicité. Par exemple, un dossier sur la traite des blanches dans le monde voisine une publicité de Nutribar : Pour une silhouette prometteuse. Enfin, Le Bel Âge projette une image de femme sereine qui s'intéresse davantage à sa qualité de vie en général qu'à son image corporelle. Si elle a tout de même un faible pour tout ce qui peut la garder belle, elle veut surtout demeurer en forme et active.

La publicité déformante

Tenant compte du fait que les contenus et la publicité sont davantage déterminés par les périodes de l'année, nous avons traité l'information publiée dans ces six mensuels pour les trois éditions suivantes :

  • novembre 2000 (automne ; préparatifs pour la fête de Noël)
  • février 2001 (fatigue de l'hiver ; St-Valentin)
  • mai 2001 (saison estivale où l'on expose à vu notre corps)

Le dépouillement visait à identifier la proportion du contenu consacré à l'image corporelle, incluant les articles, autant que les annonces pour des produits et des ressources dont le but est de modifier ou d'améliorer notre l'image corporelle.

La sollicitation auprès des femmes québécoises francophones pour modifier leur image corporelle est donc omniprésente. Sans négliger que près de 25 % du lectorat étant des hommes, on peut en déduire que ces revues contribuent également à nourrir leur imaginaire de la beauté et de la féminité. Par ailleurs, dans les publicités vantant les mérites de divers autres produits de consommation, dans la majorité des cas, les mannequins qu'on utilise sont d'une belle plastique. Il s'agit d'une femme jeune, mince, lisse et rayonnante d'assurance ; elle dégage l'attitude sûre d'elle-même d'une gagnante qui sait ce qu'elle veut et qui l'obtient. En la voyant, on se surprend à penser que si on avait ce corps, on dégagerait sans doute la même assurance. Toutes les revues nous mettent en présence de ce corps parfait, véritable culte à la jeunesse.

En effet, même l'âge apparent varie à peine entre les mannequins de Clin d'œil' et du Le Bel âge. Mis à part Filles d'aujourd'hui pour des raisons évidentes, l'âge des femmes représentées, tant dans la publicité que dans les illustrations des articles, a tendance à être inférieur à l'âge du groupe cible de la revue. Ainsi, malgré les quelques nuances qui démontrent le souci de chaque magazine de s'identifier à une clientèle spécifique en cherchant à répondre à des intérêts différents, ce souci ne semble pas s'étendre à la représentation de la diversité de l'image corporelle.

Les produits miracles réformateurs

Pour ajouter encore à la pression, à côté de la représentation des corps idéalisés, une foule de produits nous sont proposés pour nous permettent de nous rapprocher du modèle idéal. Comment refuser la possibilité de nous améliorer? Les industries ne font-elles pas leur part, en investissant dans la recherche et en développant des technologies et des produits qui sont des moyens pour nous permettre de nous «corriger». À l'époque du néolibéralisme et des valeurs individualistes, nous sommes plus que jamais responsables de nos succès comme de nos échecs ou de nos lacunes - n'est-il pas de notre responsabilité d'agir?

Un regard sur les produits nous renseigne sur les différents irritants esthétiques de l'anatomie des femmes occidentales. Encore une fois à partir du contenu de nos six mensuels féminins, le tableau à la page suivante présente les résultats du dépouillement et de la compilation de toutes les publicités sur les différents produits et sur les ressources disponibles pour nous aider à modifier notre image corporelle. Les résultats sont classés par ordre d'importance, la valeur en pourcentage indique la proportion de publicité consacrée au type de produit ou de ressource, par rapport à l'ensemble.


Tableau : Publicités portant sur l'image corporelle

Non seulement les articles ne représentent, en moyenne, que 13 % du contenu des magazines mais, complices, ils contribuent souvent plus à nous faire consommer plutôt qu'à nous informer réellement.

Le vieillissement : nouvel ennemi numéro un

Si on combine les publicités sur les produits et les ressources consacrés à la peau, on constate que jeunesse et minceur sont maintenant à égalité au niveau des critères de beauté. Pour prévenir ou remédier aux signes du vieillissement, on nous dicte la voie à suivre avec la rigueur du petit catéchisme et un vocabulaire assez évocateur, tel que : Quand l'hydratation quotidienne ne suffit plus pour contrer les méfaits du temps, c'est le moment d'adopter des soins haute performance.

Et on continue la leçon, en nous encourageant à contrôler la nature : «Des 30 ans, il est temps de revoir son rituel de beauté. Pourquoi ? Parce que les premiers signes du vieillissement montrent déjà le bout du nez». Voilà la fatalité de la beauté des femmes : Jean-Pierre Ferland nous donnait le choix, au moins, lui!

Les signes du vieillissement sont perçus comme une calamité que l'on doit «corriger». Il ne serait pas étonnant que   l'industrie   du   rajeunissement supplante   avant   longtemps celle   des   régimes amaigrissants. C'est certainement plus payant, car si nous n'avons pas toutes du poids à perdre, toutes, nous vieillissons. La minceur demeure un critère de beauté important, mais sans doute en raison du vieillissement de la population, on sent que l'industrie s'ajuste. Par exemple, on présentait dans Le Bel âge du mois de novembre une collection de vêtements pour femmes rondes sous le titre : Ronde et belle. Bien sûr, la mannequin est à peine enveloppée mais quand même, c'est un changement. Coup de pouce du même mois offrait 30 trucs minceur, non pas pour maigrir mais pour cacher nos courbes. Une annonce de vêtements sportifs allait même jusqu'à affirmer : il y a plus excitant que la minceur et la fragilité (qualités bonnes pour les cellulaires et les serviettes hygiéniques, dit-on). On vante plutôt les mérites de : la force, l'énergie, la fermeté, des qualités propres à la jeunesse. Est-ce un signe que la tende ce commence à changer et que la maigreur perd du terrain? Peut-être. Mais de là à croire que la rondeur sera bientôt acceptée, la route nous semble encore longue.

On constate cependant un changement, soit dans la façon dont on maigrit. Dans l'ensemble des magazines, on peut sentir que le message est passé et on reconnaît que les régimes miracles n'existent pas. Maintenant, on maigrit intelligemment. Mais règle général, on maigrit quand même. L'obsession de la minceur se perpétue avec de nouvelles méthodes.

Les stratégies de transformation L'approche beauté par la santé

Si nous voulons toutes être belles, nous ne sommes pas nécessairement prêtes à nous laisser transformer de n'importe quelle façon. Le marché en tient compte et tente de nous attirer par deux approches. Par le courant que nous appellerons «Pro soins» qui nous promet une allure de Cléopâtre sortant de son bain de lait, avec un discours axé sur la prévention, la détente et les habitudes saines. On joue sur la carte des soins que l'on procure à son corps pour aspirer à plus de beauté. L'industrie «bio» y gagne de plus en plus en popularité.

L'industrie de l'image corporelle récupère cette tendance santé et propose une multitude de produits cosmétiques dits naturels. Et puisque nous n'avons pas de temps à perdre, les produits aux utilisations multiples se développent pour répondre à notre rythme de vie. Par exemple, une crème cosmétique qui promet : une métamorphose instantanée de la peau grâce à son complexe Ageproof et son Optitélomérase qui optimisent la qualité de la peau et l'aident à mieux résister contre les stress quotidiens ; une autre, No Age Défense de vieillir, une crème qui rend la peau plus lisse, plus forte et d'apparence plus jeune ; autre exemple, un hydratant teinté, un «2 pour 1», à la fois crème hydratante et fond de teint.

Cette approche par les produits «bio» montre l'importance qu'on accorde à se conserver le plus longtemps possible en santé. Reste à savoir si ça relève d'une meilleure connaissance de son corps et d'un plus grand respect qu'on lui accorde, ou de la pression d'être et de rester performante pour répondre au rythme de la société. Pour l'instant, cette tendance nous apparaît surtout dangereuse pour notre portefeuille.

L'approche spirituelle par l'intervention extérieure

Un autre courant de sollicitation que nous appellerons cette fois «Pro image» nous semble beaucoup plus inquiétant. Les arguments utilisés laissent supposer que de changer notre image, c'est changer notre intérieur. C'est l'approche des cliniques de chirurgie esthétique : Laissez votre corps refléter votre beauté intérieure ; ou encore : Recherche d'harmonie - Exécutée par un praticien certifié, la chirurgie esthétique des seins peut contribuer à votre bien-être. Une clinique de greffe du cheveu s'est donnée comme slogan : Le cheveu, la peau, l'être.

À l'origine, c'est dans un but correctif que la chirurgie plastique s'est développée. Il s'agissait d'une technologie pouvant permettre la réhabilitation d'accidentés, de grands brûlés, etc. ou encore la «correction» de malformations de naissance. En raffinant le côté esthétique de ces interventions, on allait contribuer à réduire l'exclusion sociale et à améliorer la qualité de vie d'un grand nombre de personnes. Toutefois, on constate que ces progrès ont été récupérés par l'industrie du paraître.

La technologie : les nouveaux miracles

On veut faire croire au rêve, à la magie qui va d'un coup changer notre réalité. De nos jours, la technologie et les progrès de la science nous permettent d'aspirer à la réalisation de nos rêves les plus inaccessibles. Les nouveaux produits conçus avec des ingrédients inconnus jusqu'alors et possédant des propriétés étonnantes sont légion. Par exemple : un produit innovateur pour la perte de poids par thermogénèse provenant de sources entièrement naturelles qui a le pouvoir de brûler nos graisses, d'accélérer notre métabolisme, d'augmenter nos muscles maigres et d'accroître notre énergie. Un autre, sans doute réservé à une clientèle scolarisée nous met au défi : Etes-vous prête pour un nouveau visage ? Neo Strata vous propose la crème de jour adoucissante avec FPS15 qui contient 8% d'acide glycolique, ce qui contribue à atténuer les rides et les ridules. L'acide glycolique étant l'AHA de choix, il agit en exfoliant les cellules mortes à la surface de l'épiderme. Le Complexe de nuit anti-ride au rétinol offre la plus forte concentration de vitamine A sur  le marché (0,15%).   Avec  son procédé Microbistribution révolutionnaire,   les   ingrédients sont libérés progressivement pendant la nuit, ce qui revitalise la peau enprofondeur...

Le danger n'est pas tant dans les promesses de résultats, car les récentes découvertes sur la peau ont réellement permis de créer des produits pour améliorer ses propriétés, prévenir son vieillissement - Merlin peut aller se rhabiller avec sa poudre de perlimpinpin. La technologie repousse toutes les limites. Si on clone des brebis, on peut sûrement faire quelque chose pour remédier à nos imperfections. Voilà le danger : qu'est-ce qu'une imperfection?

Perfection accessible, perfection nécessaire

Comme nous l'avons déjà souligné, il ne suffit pas d'être jeune et mince pour être belle. La cellulite, par exemple, est totalement incompatible avec le concept de beauté occidental. Hantise cellulite, le titre d'une série de produits proposés dans l'édition de mai du magazine Clin d'oeil, introduit son sujet ainsi : Ces petits reliefs sur vos cuisses vous énervent? La solution miracle n'a pas encore été inventée mais il existe des produits de plus en plus efficaces pour lutter. Pas question de capituler devant le capiton.

Les seins aussi doivent répondre à des standards difficiles à soutenir. Mais avec des méthodes révolutionnaires, ils nous sont maintenant facilement transformables dans tous les formats. Une publicité très explicite affiche en gros titre : Si votre poitrine n'a pas suffisamment de volume.... Pas suffisamment pour qui? Il semble exister un produit pour modifier chaque partie du corps, pour nous rapprocher du modèle de perfection que le virtuel permet de visualiser. A celles qui préfèrent le style naturel, on propose des traitements instantanés et temporaires pour les lèvres, les rides, les plis, etc. Des traitements dits naturels parce qu'ils se font par injections, plutôt que par chirurgie.

Le message du message

Les moyens pour transformer notre image corporelle étant de plus en plus accessibles et de plus en plus variés, il apparaît de plus en plus normal et acceptable de les utiliser.

La normalisation, des produits et des procédés d'intervention, contribue à maintenir la pression sociale d'un modèle de beauté pour les femmes. Par ailleurs, si le processus de banalisation se poursuit, qu'adviendra-t-il de celles qui refuseront d'avoir recours aux retouches?


Au delà de se voir exclues des canons de beauté, ne risquent-elles pas, en plus, d'être perçues comme étant anormales?

Autre époque, autres mœurs, mais pour les femmes une constance «Va t'faire soigner, t'es malade».

Nous convaincre qu'on a besoin d'un produit pour être heureuse, c'est le rôle de la publicité. Quand il est question d'un électroménager, on n'est moins porté à se sentir diminué de ne pas posséder celui qu'il nous faut. Mais quand c'est pour répondre à un standard de beauté, qu'est-ce qu'on fait ? On s'accepte quand même, on déprime, on se gave de produits ou on passe au bistouri? Dans une société de choix orchestrée par des entreprises qui cherchent à nous faire consommer, le discernement n'est pas toujours évident.

B. LE COMMERCE DE L'ESTHETIQUE

La première partie de cette enquête nous a permis d'illustrer l'ampleur du phénomène publicitaire lorsqu'il est question de l'image corporelle de la femme. Dans cette partie nous tracerons un portrait de ceux qui font commerce de l'esthétisme, ces gens d'affaires qui gagnent leur vie en modifiant, de façon permanente ou non, le corps et l'image corporelle des femmes.

Nous avons concentré le repérage à la région de Montréal, s'agissant du plus grand centre urbain, le territoire du Montréal Métropolitain nous paraissait assez représentatif de ce qu'on pouvait trouver dans l'ensemble de la province. L'objectif étant d'avoir une vue d'ensemble des différentes entreprises ayant des intérêts dans le vaste marché de la transformation du corps, notre choix s'est arrêté sur un outil qui est plus qu'accessible étant donné qu'on le distribue gratuitement dans tous les foyers de l'île. Un outil certes largement consulté par la population, sinon les commerces cesseraient d'investir dans sa production : l'annuaire des Pages jaunes.

«Faites marcher vos doigts», et vos méninges

Les Pages jaunes sorti conçues de façon à nous permettre de trouver ce que nous cherchons à partir d'un index alphabétique et d'un index par sujets. Pour notre exercice de repérage, nous avons préféré travailler à partir de l'index alphabétique. Celui-ci comporte plusieurs rubriques avec des renvois (voir) et ces références terminologiques sont censées répondre à différentes façons que nous pouvons formuler un besoin.

L'annuaire des Pages jaunes est un outil fascinant d'inconsistance et souvent d'incohérence. Par conséquent, ce qui paraissait un exercice fort simple au début, nous a conduit à de nombreux détours. Ce bottin est essentiellement un outil de promotion qui permet aux entreprises de s'annoncer sous plusieurs rubriques, dépendant du montant qu'elles sont disposées à payer pour être incontournables. On peut ainsi retrouver le même salon d'esthétique sous Oreilles-Services de perçage. Tatouage. Art corporel et perçage. Esthéticienne.

Dans un premier temps, nous avons identifié toutes les rubriques en lien avec le corps, dans sa globalité et en pièces détachées, en lien également avec les interventions pratiquées sur le corps et, enfin, en lien avec l'esthétique dans son sens le plus large. Nous avons ensuite vérifié, sous chacune des rubriques, la pertinence de leur contenu respectif en regard de notre objectif. Et nous avons écarté les rubriques où on ne présentait aucune référence ni aucun lien avec les soins esthétiques. Nous avons également élagué tout ce qui n'était pas de l'ordre d'une entreprise de services, c'est-à-dire les écoles et instituts de formation, les ordres professionnels et autres associations.

Après cette première cueillette, nous avons constaté que les rubriques que nous avions retenues pouvaient se regrouper sous deux grandes catégories :

•    L'esthétique dans son sens large

•    La santé, regroupant les professionnel-le-s qui pratiquent des interventions sur le corps ayant une conséquence évidente sur ''image corporelle (dermatologues, dentistes, etc.) ;les spécialistes qui pratiquent des interventions n'ayant pas, à prime abord, d'impact sur l'image corporelle mais qui annoncent  offrir  des services  dans un  but  esthétique,  parfois  à  notre grand  étonnement (acupuncteurs, O.R.L., etc.).

Nous avons finalement produit une liste des différentes rubriques qui sont comme des portes d'entrées sur ce vaste marché de l'esthétisme à Montréal, bans cette liste, présentée à la page suivante, la rubrique Salon de coiffure et de beauté remporte la palme du nombre de commerces répertoriés, au total 855 : 840 salons de coiffure, 15 instituts de beauté. À Montréal, nous sommes donc particulièrement bien coiffées. Le concept d'esthétisme faisant son oeuvre, la visite chez la coiffeuse a donné place au rendez-vous chez son coiffeur. Ce n'est pas parce qu'une technique existe que nous allons en user, mais plus les gens l'adoptent, plus la pratique se normalise et intègre les mœurs. Rappelons-nous qu'à une époque, les femmes qui se teignaient les cheveux étaient considérées comme «des femmes de mauvaise vie».

Aujourd'hui, se teindre les cheveux est un geste banal, si ce n'est régulièrement, ce sera à l'occasion, pour le plaisir, pour l'expérimentation, sous le charme d'une mode, ou bien sous la pression du nombre croissant de nos cheveux grisonnant. Aujourd'hui, on se teint les cils, les sourcils, le duvet de la lèvre supérieure et du menton, les poils pubiens, la peau au complet.

Le marché de l'esthétisme à Montréal 

  • Acupuncteur
  • Alimentation-Trouble- Information
  • Amaigrissement et surveillance du poids
  • Art corporel et perçage
  • Bronzage-Salon
  • Centre de santé
  • Cheveux greffe et tissage
  • Cheveux traitements
  • Chirurgie-plastique
  • Clinique capillaire
  • Cliniques
  • Cliniques médicales
  • Condition physique-Santé et exercice-Services
  • Corps-Service de perçage exotique Cosmétiques Cuir chevelu
  • Dentistes
  • Denturologistes
  • Dermatologues
  • Détaillants
  • Diètes
  • Diététistes et nutritionnistes
  • Électrolyse
  • Epilation
  • Esthéticiennes
  • Faux-ongles-faux-ciIs
  • Instituts de beauté
  • Laser-Épilation
  • Manucure
  • Maquillage permanent
  • MaquiIlage-ConseiIlers
  • Maquilleurs-Maquilleuses
  • Médecins chirurgiens
  • Naturothérapeute
  • Obésité
  • Ongles artificiels et faux-cils
  • Oreilles-service de perçage
  • Parfums et cosmétiques
  • Perçage exotique du corps
  • Perruques et postiches-Détaillants
  • Pieds, soins
  • Poids-Service de surveillance
  • Produits alimentaires diététiques
  • Produits cosmétiques et parfums
  • Produits de beauté et de toilette
  • Prothèses capillaires
  • Remplacement capillaire
  • Salon de bronzage
  • Salon de coiffure
  • Soins      de      peau-produits
  • Studio de santé
  • Surveillance du poids
  • Tatouage
  • Traitement

Dans un même ordre d'idée, l'épilation est une pratique à ce point intégrée dans notre quotidien que courageuses sont celles qui se permettent d'afficher leurs jambes nues et les aisselles lorsqu'elles sont velues, n'est-ce pas? Combien pensent qu'il s'agit de négligence ou ne comprennent pas qu'on puisse s'exhiber ainsi? Trois portes d'entrées directes pour se faire faire le style glabre : Electrolyse qui regroupe 71 commerces, Epilation qui en compte 16 et Esthéticiennes qui nous offre 197 possibilités. Ajoutons que pour être en mesure de suivre la mode des maillots de bain et des dessous, on doit maintenant se faire faire le bikini et, de plus en plus, le pubis - la forme en cœur serait très prisée semble-t-il.

La rubrique Bronzage-Salon réfère, à 57 commerces. Tatouage, intervention à une époque réservée aux motards et aux marins, regroupe 27 studios ; et pour avoir raison des préjugés, on raffine le processus en parlant plutôt aujourd'hui d'Art corporel et perçage, où l'on retrouve huit artistes.

Bien que l'engouement soit relativement récent chez les jeunes, le perçage corporel est une pratique très ancienne. Ici encore, question de vaincre les préjugés, on raffine, on esthétise avec une terminologie comme Perçage exotique du corps. La mode du perçage se radicalise, on en est maintenant à la scarification (marquage de la peau), et à la pose d'implants cutanés ce qui pour plusieurs relève de la mutilation.


Quelques constats

Le poids, un problème de santé clinique

Les rubriques Obésité. Poids-Service de surveillance. Surveillance du poids et Diète, renvoient toutes à Amaigrissement et surveillance du poids. Avec cinq rubriques pour magasiner son spécialiste, le poids est certainement un domaine très rentable. Il s'agit effectivement du domaine qui compte le plus de portes d'entrées dans ce que nous avons répertorié.

Sous Amaigrissement et surveillance du poids, on retrouve principalement des cliniques médicales privées. Nous les avons contactées pour connaître leur approche. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une approche pour perdre du poids par l'alimentation, avec un suivi médical plus ou moins serré. Elles offrent une diète alimentaire combinée avec un supplément de protéines (sorte de potion magique à payer en sus). Selon le cas, on offre aussi la possibilité de pratiquer le jeûne ou le jeûne mitigé, c'est-à-dire 1, 2 ou 3 repas remplacés par la dite potion magique. Parfois, une clinique complète le traitement avec des séances de motivation ou d'entraînement physique, ou encore avec des traitements complémentaires, contre la cellulite, par exemple. Mais il s'agit d'exceptions.

On nous laisse donc entendre dans ce processus que les rondeurs sont un problème de santé, un problème d'obésité en puissance, lié essentiellement à une mauvaise alimentation. Par conséquent, les solutions proposées passent également par l'alimentation.

Il est surprenant de constater qu'il n'y a pas de rubrique Centres de santé minceur, entreprise à qui le Réseau a déjà décerné le prix On s'en balance!,. On les retrouve sous Clinique de santé ou sous Amaigrissement et surveillance du poids. On en arrive à souhaiter que le mot santé devienne un jour un terme réservé.

Services esthétiques, un marché global

Un constat s'impose, l'esthétique est devenu un concept de mise en marché qui s'étend aux milieux les plus diversifiés. De plus en plus de commerces annoncent des services esthétiques en complémentarité à leurs services spécifiques. Par exemple, sous la rubrique Conditionnement physique-Santé et exercices-Services, six centres de conditionnement physique spécifient offrir des services d'ordre esthétique. Trois d'entre eux sont exclusivement réservés aux femmes.

Les centres de santé offrent des soins dans le but de procurer au corps bien-être et détente. Bien qu'il s'agisse pour l'instant d'une minorité d'entre eux, quelques-uns intègrent divers soins cosmétiques ou utilisent des pratiques venant des médecines douces, comme la pressothérapie, pour contrer la cellulite, par exemple.

La pratique médicale esthétisante

Dans le milieu médical, on fait de l'approche esthétique une surspécialisation :

  • Un ophtalmologiste offre, de la chirurgie esthétique des paupières.
  • Un oto-rhino-laryngologiste, déjà spécialiste en maxilo-facial, s'occupe également de l'extérieur du visage, en ajoutant la chirurgie esthétique à sa spécialité.

Même les médecines alternatives proposent divers services qu'on pourrait qualifier de médecine

douce de la chirurgie esthétique :

  • Un phytothérapeute propose des liftings préventifs par l'herbologie.
  • Deux acupuncteurs offrent des liftings esthétiques.

On peut donc supposer que d'autres ressources professionnelles offrent des services du genre, sans toutefois en faire mention dans leur publicité, du moins dans celle qu'on retrouve dans les Pages jaunes.

La tendance à publiciser l'impact esthétique de leur pratique se trouve même chez certains

spécialistes qui, en raison de leur spécialité, interviennent nécessairement sur l'image corporelle -

comme pour s'en faire une marque de commerce :

  • C'est le cas pour six des 92 denturologistes et pour 17 des 536 dentistes.
  • C'est le cas pour quatre des 16 dermatologues (un offre même un rajeunissement de la peau sans chirurgie, un autre annonce pratiquer de la dermatologie cosmétique, avec service de maquillage paramédical).

Si la chirurgie plastique s'est d'abord développée dans une perspective corrective, ce n'est plus le cas -maintenant. On retrace 34 cliniques capillaires qui, outre les traitements préventifs contre la perte des cheveux, offrent aussi un service de greffes capillaires exécutées par des médecins spécialistes. Pourtant, la calvitie ne présente aucun risque pour la santé, sinon être victime d'une insolation.

On sent que chez plusieurs spécialistes, l'intérêt pour l'art cosmétique se développe au détriment des soins de santé. L'art dentaire semble avoir le vent dans les voiles avec, entre autres, de nouvelles techniques comme les implants dentaires. Il s'agit d'une technologie qui sert bien cette discipline, en ayant souvent un impact remarquable sur le plan esthétique. C'est une solution qui supplante celle popularisée dans les années '60, les dentiers. Mais les dentiers sont des prothèses, si elles sont inadéquates on les enlève, on les fait ajuster ou encore on les fait refaire. Au contraire, les implants et les facettes en viennent à faire partie de notre corps et peuvent causer des dommages importants. Du moins, c'est ce que laisse supposer le grand nombre de poursuites en lien avec ce type d'intervention, comme nous l'apprend le rapport de recherche de la Clinique juridique de l'UQAM.

Quoi qu'il en soit, ces quelques exemples démontrent à quel point l'esthétique prend de l'importance à l'intérieur de plusieurs disciplines, notamment dans le milieu médical.

Les nouvelles technologies

Les progrès technologiques représentent des opportunités financières alléchantes pour l'industrie cosmétique et contribuent assurément à l'engouement pour ce type de «pratique». Au même titre que les nouveaux produits et traitements qui promettent des résultats comparables à la chirurgie esthétique. Compte tenu du vieillissement de la population, qui ne veut pas voir décliner ses capacités et sa qualité de vie, les technologies (injections, implants, laser, etc.) qui permettent la reconstruction du corps, pièce par pièce, ont un avenir prometteur.

Ces facteurs contribuent possiblement à l'intérêt de plusieurs médecins à acquérir des notions élémentaires en chirurgie esthétique. En effet, sous la rubrique Médecins-chirurgiens, parmi les 54 cliniques offrant de tels services, seulement 13 mentionnent que les interventions sont pratiquées par des chirurgiens esthétiques ou des plasticien-ne-s. Pour les autres, il s'agit de médecins généralistes et autres spécialistes de la santé. La chirurgie esthétique peut donc être pratiquée par des personnes non spécialisées.

La pratique esthétique médicalisée

Si les médecins s'intéressent à l'esthétique, à leur tour, les milieux esthétiques s'intéressent au monde médical, ou du moins, à ses techniques. C'est le cas des électrolystes qui peuvent se procurer un laser et l'utiliser comme technique d'épilation, sans aucune formation. D'autres méthodes pour transformer le corps sont également appliquées sans nécessiter de diplôme ou de permis particuliers. C'est le cas des tatoueurs, perceurs et autres artistes du corps. Nous avons fait plusieurs appels et, en résumé, un seul préalable est important pour exercer comme tatoueur : avoir du talent en dessin. L'employeur se charge ensuite de donner la formation nécessaire au futur artiste en tatouage. Il fait pratiquer l'apprenti sur des peaux de cochon jusqu'à ce qu'il considère qu'il est fin prêt à utiliser la nôtre comme canevas.

Nous avons identifié neuf façons d'intervenir pour contrer la cellulite, allant des produits à base d'oligo-éléments aux techniques comme la résonance magnétique, les électrodes, le drainage lymphatique, etc. Nous pouvons opter pour une variété de transformations, temporaires ou permanentes, des plus douces aux plus draconiennes, allant de la crème anti-ride à l'abdominoplastie. En quelques années, les liftings sont devenus disponibles sous différentes options, en passant du monde médical aux soins esthétiques dits naturels, aux produits maintenant disponibles à notre pharmacie. Aujourd'hui, on «se fait les jambes», en viendrons-nous bientôt à «se faire le visage»? Bien sûr, de la crème, au rasoir, au laser, au bistouri, il y a, bien des pas ... Mais l'industrie de la beauté et de la mode, les découvertes scientifiques et technologiques, les méthodes douces qui remplacent les chirurgies - bref, le progrès semble nous y conduire à petits pas. C'est ce qu'on appelle la démocratisation des pratiques de transformation du corps, autrefois réservées aux riches et célèbres.

Quand nous consultons les Pages jaunes, nous sommes déjà prêtes à consommer un produit pour répondre à un besoin. Pour susciter en nous ces besoins, parfois insoupçonnés, les entreprises nous les font connaître, entre autres, par le biais des magazines féminins comme on a pu le constater en première partie de cette enquête. Il s'agit d'une stratégie de mise en marché, un engrenage duquel il est de plus en plus difficile de s'extirper, une fois qu'on y a mis le doigt, le nez, la lèvre, la cuisse...

II. RESPONSABILITE EN INTERVENTION ESTHETIQUE

Devant le constat du peu de réglementation régissant, entre autres, la formation des nombreuses personnes exerçant dans l'industrie des interventions esthétiques, nous avons demandé la collaboration de la Clinique juridique de l'UQAM. Notre intérêt se portait particulièrement sur la question des dommages corporels subis par des femmes au cours d'une intervention esthétique.

Leur recherche a été effectuée à partir des plaintes déposées par des femmes, suite à un préjudice lié à une intervention esthétique. Elle s'est concentrée autour de la notion d'imputabilité des médecins, c'est-à-dire de leur responsabilité en regard des faits et gestes posés dans le cadre de leur pratique. Leur recherche nous informe, entre autres, sur ce à quoi doivent s'attendre les femmes qui voudraient porter plainte.

Nous présentons donc dans cette partie de notre rapport d'enquête, un résumé du rapport de recherche de la Clinique juridique de l'UQAM. Nous vous invitons à consulter le rapport complet, présenté en annexe.

D'abord un point d'éclaircissement

On doit faire une distinction claire entre un statut professionnel et non professionnel. Les personnes détenant un statut professionnel sont toutes soumises à un code de déontologie, tel que spécifié par le Code des professions. Nous appellerons non-spécialistes, les personnes qui n'ont pas besoin de permis pour exercer leur métier.

Il est important de ne pas confondre un ordre professionnel et une association. Des appellations qui ne garantissent absolument rien peuvent facilement nous leurrer. N'importe qui peut mettre sur pied une association et bien que certaines établissent des critères et des normes à respecter, aucune loi ne les y oblige. Les ordres professionnels, par contre, ont comme fonction principale d'assurer la protection du public et se doivent de contrôler l'exercice de la profession par leurs membres.

Il est donc fortement recommandé de vérifier si la personne à qui l'on s'adresse est membre d'un ordre professionnel. Il s'agit d'une façon de prévenir un certain nombre de mauvaises surprises. Membre d'un ordre professionnel, la personne est ainsi soumise au code de déontologie régissant sa profession; ne pas respecter ce code peut mener jusqu'à sa radiation, provisoire ou permanente.

L'imputabilité

Toutefois, depuis les années '80, les non-spécialistes ont également des obligations claires face à leurs actes (détails, voir sections 2 et 3 du rapport de recherche de la Clinique). L'imputabilité de tous et toutes, spécialistes et non-spécialistes, se résume par cette formule : responsabilité = faute commise + préjudice causé + lien clair de causalité entre la faute et le préjudice.

Actuellement, la plaignante a le fardeau de la preuve face aux poursuites et ce, contre une personne de statut professionnel ou non. Il nous faut donc prouver : et la faute, et le préjudice, et le fameux lien de causalité.

Obligations

Au nombre des diverses obligations, il en est une fondamentale qui s'adresse aux spécialistes comme aux non-spécialistes, soit celle des moyens utilisés. C'est-à-dire l'obligation de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour arriver aux résultats attendus. Autant les neurologues que les coiffeur-e-s. Si une intervention ne donne pas les résultats attendus, pour intenter une poursuite, il faut prouver que l'intervention n'a pas été faite selon les règles de l'art.

Dans les domaines non spécialisés, le lien de causalité est en général plus facile à prouver que dans le domaine médical. Par exemple, le lien est clair et il s'agit d'une faute professionnelle de laisser une personne trop longtemps exposée à une session de bronzage, avec des brûlures comme conséquences. Dans le milieu médical, le processus est plus complexe, impliquant souvent un comité de discipline, un syndic et un comité de révision de l'ordre professionnel.

L'imputabilité spécifique aux médecins

Dans notre système juridique actuel, les femmes qui veulent être indemnisées, doivent intenter une poursuite et gagner leur cause. L'idéal serait qu'il y ait indemnisation sans égard à la faute, comme dans le cas des accidents automobiles depuis la loi de l'Assurance automobile du Québec. Mais puisque ce n'est pas le cas et qu'il est très difficile de gagner une cause contre un-e médecin, mieux vaut axer nos efforts sur la prévention en choisissant un spécialiste à la lumière de nos obligations et de nos droits respectifs, et en toute connaissance des risques que nous allons courir.

Spécialistes versus interventions spécialisées

Comme nous avons pu le constater, il n'est pas nécessaire d'être spécialisé en chirurgie pour effectuer des interventions chirurgicales. Ce qui signifie qu'un-e dermatologue pourrait, légalement, pratiquer une chirurgie à cœur ouvert sans risque de poursuite. Les médecins peuvent, semble-t-il, pratiquer toutes les formes de chirurgies qui existent avec un minimum de formation dans le domaine. La règle cependant est de ne pas s'afficher comme spécialiste du domaine, ou de manière à laisser croire qu'il ou elle détiendrait un certificat dans cette spécialité.

Par conséquent, les causes gagnées contre les médecins sont le plus souvent liées à des cas de publicité trompeuse ou de fausse représentation. Toutefois, mis à part le risque d'entacher sa réputation, la punition est minime, même en cas de récidive. On peut en déduire que les profits sont considérables parce que certain-ne-s récidivent plusieurs fois.

Les interventions de nature esthétique

Le domaine de la chirurgie esthétique présente une particularité du fait que son but n'est pas thérapeutique. Dans le cas d'interventions non thérapeutiques, les spécialistes sont soumis à des obligations de moyens supérieures à celles des interventions à visée curative. Il y a une attente logique augmentée envers le résultat, puisqu'il s'agit de l'unique but de l'intervention. Même exigence supérieure en regard du devoir d'information.

Le contrat médical

Le contrat médical prend sa source dans la relation de confiance établie avec notre médecin. Comme usagères, nous avons aussi des responsabilités. Entre autres, celle de collaborer au traitement en fournissant franchement et au meilleur de notre connaissance, toutes les informations qui pourraient avoir une incidence sur le résultat. Une femme qui intente une poursuite doit être certaine d'avoir rempli sa part du contrat car une faille à ce devoir suffit pour perdre sa cause.

Devoir d'information

Le devoir d'information est celui auquel aucun-e professionnel-le ne peut se soustraire. Le devoir d'information signifie fournir suffisamment d'informations pour permettre aux personnes de faire un choix éclairé. L'information doit être objective et claire. Très peu de causes sont gagnées contre les médecins, autrement que par le biais du devoir d'information.

Conclusion

Nous prenons des risques à nous faire soigner, risques supposés inférieurs à ceux que l'on prendrait en refusant un traitement. Or, même s'il ne s'agit pas de la même équation, lorsqu'il est question d'une intervention d'ordre esthétique, plusieurs femmes ont tendance à avoir la même confiance aveugle envers les médecins. Vigilance, mesdames!

III. RESSOURCES ALTERNATIVES (OM/OG) (IC)

Afin de présenter une vision plus complète du dossier et permettre au Réseau de mieux situer son action future, nous avons fait l'inventaire des ressources proposant une alternative au discours dominant, c'est-à-dire axé sur l'acceptation de soi et de la diversité des modèles corporels. Le tableau, à la page 42, présente la liste de ces ressources en indiquant les différents axes de travail développés par chacune. Pour plus d'informations sur ces ressources vous trouverez, en annexe, les fiches techniques indiquant la mission et les coordonnées de chacune.

Il n'est pas très surprenant d'avoir trouver seulement 17 organismes avec une approche alternative. D'abord, les groupes qui travaillent exclusivement sur la question sont rares ; et les initiatives ponctuelles réalisées par d'autres organisations n'ont jamais été répertoriées.

Quelques constats

A partir du graphique qui suit, on observe que la majorité des ressources travaillent sur l'image corporelle.

Précisons toutefois que lorsqu'il est question de l'image corporelle, il est presque toujours question du poids, à l'exception de deux ressources qui traitent de sexisme et des stéréotypes dans les médias.

Le sexisme était une problématique beaucoup plus d'actualité il y a une quinzaine d'années. Aujourd'hui, les deux ressources qui en font leur mission, s'appuient essentiellement sur le travail de bénévoles, n'ayant pas ou trop peu de financement. Comme si la lutte contre le sexisme à la télévision dans les années '80 avait porté fruit et que l'équité dans les rapports homme/femmes était atteinte dans les contenus publicitaires!

Bref survol

Ainsi, au nombre des ressources que nous avons identifiées, celles qui travaillent avec les femmes aux prises avec la boulimie et l'anorexie abordent la question de l'image corporelle dans le cadre de leurs activités de prévention. La pression pour ressembler au modèle médiatique encourage l'obsession de la minceur et est considérée comme un élément souvent en cause dans le développement des troubles alimentaires.

Les ressources qui traitent de l'obésité font le même constat. L'obsession de la minceur conduit à des comportements alimentaires qui ont comme effets pervers de favoriser l'obésité. Il existe un nouveau mouvement en Occident, le «fat acceptante», qui lutte contre l'oppression de la grosseur. Ce mouvement commence à susciter suffisamment d'intérêt au Québec pour qu'un groupe, encore très embryonnaire, soit en formation à Montréal. Un autre serait aussi en train de se mettre sur pied à Québec. Aucune coordonnée n'est disponible pour l'instant.

Nous avons approché le monde universitaire médical pour savoir comment, dans le milieu de la recherche liée au poids, on abordait la question et notamment la dimension de la discrimination liée au poids. Une seule personne a répondu à notre appel, un chercheur qui s'est dit peu intéressé par la question, même s'il admet que ce travail doit être fait. Le monde de la recherche médicale semble davantage préoccupé par des problèmes comme l'obésité morbide. On peut comprendre que ce chercheur qui travaille à résoudre des problèmes d'ordre médical soit plus intéressé à pousser les techniques curatives, et nous pouvons supposer que la réflexion sur l'impact de ces techniques relèvera d'un autre département.

Par contre on retrouve dans notre liste des organisations qui évoluent dans le champ de la santé publique. Elles ont un mandat d'éducation et s'adressent à l'ensemble de la population. Ces organismes travaillent souvent en partenariat et sont bien positionnés pour intervenir auprès de la population, du monde médical et du gouvernement.

Projets en coups

Certains projets en cours méritent d'être suivis :

*Le Conseil du Statut de la femme s'intéresse à la question et l'abordera dans une brochure destinée aux jeunes femmes qui sortira à l'automne 2001.

*Le Groupe de Travail sur la problématique du poids de l'ASPQ veut faire des interventions éducatives auprès des intervenant-e-s du monde médical, afin de les sensibiliser à leur rôle pour contrer l'oppression de la grosseur.

* Le projet pilote «Bien dans sa tête bien dans sa peau» est en évaluation présentement. Ce programme, susceptible d'être implanté dans les écoles à travers le Québec d'ici quelques années, permettrait aux élèves, et aux enseignant-e-s, de faire une réflexion sur leur rapport à leur image corporelle.

INVENTAIRE DES RESSOURCES ALTERNATIVES (OM/OG) (IC)


CONCLUSION

En août 1998, le Réseau obtenait une subvention de trois ans, pour la réalisation d'une initiative intitulée «Changements sociaux en faveur de la diversité des images corporelles». Les images omniprésentes du modèle unique de beauté féminine, largement véhiculées par les médias et l'industrie de la mode, ne sont pas sans conséquence sur la santé physique et mentale des femmes. Analyser ce phénomène social, le remettre en question allait permettre d'en produire une vision d'ensemble et de développer un discours plus conforme à la réalité des femmes.

Notre travail a d'abord porté sur la question du poids. Il était nécessaire de s'attaquer à l'image sociale des femmes qui nous est transmise par les médias. Il fallait aussi intervenir auprès d'institutions-clés afin que leurs actions favorisent l'acceptation de la diversité des formats corporels.

Nous avons donc développé et réalisé un plan stratégique en faveur de l'acceptation des différents formats corporels et y avons associé un grand nombre de femmes. Nous avons répondu au besoin d'intervenir auprès d'institutions-clés pour éliminer les attitudes discriminatoires à l'endroit des femmes de forte corpulence.

Nous avons documenté la discrimination dont sont trop souvent victimes les femmes rondes et les impacts de cette discrimination sur leur santé et leur bien être. Ce faisant, nous avons sensibilisé le public, en tant qu'agent de changements sociaux, à réagir aux préjugés véhiculés.

Nous nous sommes aussi attaquées aux images négatives ou avilissantes des femmes, dans les médias ou ailleurs, qui transmettent des messages contribuant à maintenir les stéréotypes et renforcent les attitudes négatives à l'endroit des femmes de forte corpulence. Il fallait dénoncer les images stéréotypées et contester l'information incomplète véhiculée. Nous avons utilisé la Journée internationale sans diète au Québec comme momentum de notre action. Les deux prix remis par le Réseau font maintenant partie de la tradition printanière et l'intérêt des médias pour la question ne cesse de croître avec les années.

Pour la dernière année, les membres du conseil d'administration ont choisi d'élargir le dossier à celui plus global de l'image corporelle, la question de l'oppression vis-à-vis du corps des femmes ne se limitant pas à la seule question du poids. L'enquête réalisée nous a paru assez révélatrice. Les technologies, les méthodes et les produits pour modifier le corps des femmes se développent à un rythme effarant. Ce qui nous semblait de la science-fiction il n'y a pas si longtemps fait aujourd'hui partie de notre quotidien. Tout porte à croire que les transformations du corps dans un dessein esthétique continueront à gagner en popularité.

* D'après le Collège des médecins, de plus en plus de résident-e-s choisissent de se spécialiser dans la chirurgie esthétique. L'utilisation de la chirurgie esthétique pour régler des problèmes reliés à l'estime de soi fait de cette branche de la médecine un nouvel outil thérapeutique. On doit questionner la pose d'implants mammaires sur une jeune fille de 14 ans, d'autant plus qu'à cet âge une autorisation parentale est requise. Une adolescente peut croire que c'est une question de survie d'être à l'image de Britney Spears. Mais quand le désir d'identification va jusqu'à la transformation de son propre corps, c'est alarmant. Et quand un parent endosse l'idée que sa fille va en retirer un réel mieux-être, c'est déconcertant. On en est au point ou, aux Etats-Unis, des pères offrent des implants mammaires à leur adolescente comme cadeau de graduation.

*On entend souvent dire qu'il s'agit d'un trait naturel chez la femme de se préoccuper de son image. Pourtant, on observe depuis ces dernières années la popularité grandissante des soins de beauté qui s'adressent exclusivement aux hommes, tout comme de la publicité leur étant destinée. Les hommes sont de plus en plus préoccupés par les soins à apporter à leur peau et à leur corps, par leur allure vestimentaire, par leur ventre naissant, leur calvitie, etc. Ils sont eux aussi incités à travailler leur image. L'influence du mouvement gai? Les nouvelles exigences des femmes à leur égard? Le lobby des entreprises? Sans doute un mélange de tout ça, ce qui prouve que sous la pression sociale et l'influence de la publicité, les comportements se modifient.

*À l'image de notre époque sans limite où les athlètes prennent des stéroïdes pour atteindre des performances supérieures, la chirurgie plastique fait maintenant la différence entre gagner ou perdre dans des concours de beauté comme Miss univers. Aucune règle ne fixe les limites des transformations physiques pratiquées sur les candidates pour qu'elles atteignent des records de «perfection». La femme est transformable, améliorable, retouchable - infiniment perfectible -tout comme un produit, tout comme Tide qui lave plus blanc que blanc, d'une formule à l'autre, depuis des décennies. Et il est maintenant question de démocratisation des transformations du corps.

* Société basée sur les profits + Pression exercée sur les femmes pour correspondre à un modèle de beauté plus virtuel que réel + Intérêts des industries concernées, voilà une formule dangereuse pour la santé des femmes. Avec la mondialisation, la tendance aura beau jeu pour poursuivre son développement. Mais l'enjeu de la mondialisation, c'est de produire au moindre coût sans égard à la qualité.

La santé des femmes représente donc un enjeu important des avancées de la science et de la technologie. Un enjeu dont nous débattons à peine, juste assez pour tendre vers sa banalisation. Au nom du progrès et par la fascination qu'il exerce, on expérimente, on transforme l'ordre du vivant : végétaux, animaux, êtres humains. On industrialise : hormones, clonage, OGM, techniques de reproduction dont nous faisons les frais, embryons surnuméraires des mères porteuses, etc. Toutes ces réalités sont en interrelation. La science s'approprie aujourd'hui la beauté, au même titre qu'elle s'est appropriée la grossesse. Les femmes sont plus que jamais chosifiées en produit de consommation.

Louise Vandelac, Indicatif présent, 14 mai 2001 : Pour savoir ce qui va arriver aux femmes, regardons ce qui se passe aujourd'hui avec les vaches. Et les vaches sont folles de répondre Marie-France Bazo.

PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT DU DOSSIER

(Voir également à l'annexe B du rapport de la Clinique juridique les questions qu'on nous suggère d'approfondir)

Les adolescentes étant particulièrement vulnérables à la pression exercée en regard de l'image corporelle et les femmes d'âge mûr étant la cible privilégiée de l'industrie du rajeunissement, on devrait faire de ces deux groupes d'âges une priorité dans la poursuite du dossier.

Obsession de la minceur

  • Produire des outils d'éducation dans le but :
  • de diffuser de l'information sur les risques pour la santé des régimes alimentaires
  • d'interpeller les femmes sur les raisons qui les motivent à maigrir (plus souvent d'ordreesthétique que médical)
  • Dénoncer les nouvelles méthodes d'amaigrissement qui font perdurer l'obsession de la minceur

Oppression de la grosseur

  • Poursuivre le travail de sensibilisation face à la discrimination envers les femmes de forte corpulence
  • Déposer la pétition à l'Assemblée nationale
  • Réaliser une enquête auprès de femmes de forte taille pour connaître leur point sur la qualité et l'accessibilité de services de santé et sociaux
  • Contrer le discours qui associe «rondeurs» à un problème de santé, un problème d'obésité en puissance
  • Faire pression pour l'utilisation d'une terminologie juste, afin qu'on distingue et qu'on cesse de confondre obésité et rondeurs

Image corporelle

  • Étoffer le dossier des interventions pratiquées sur le corps dans un dessein esthétique :
    • inventorier toutes les interventions disponibles,
    • identifier les personnes autorisées à les pratiquer,
    • produire une analyse détaillée de leurs coûts (honoraires, temps de travail perdu, etc.),
    • faire l'évaluation des risques liées à chaque type d'intervention.*   Produire des outils d'éducation sur l'image corporelle dans le but :
    • d'amener les femmes à développer un sens critique vis-à-vis des professionnel-le-s de la santé qui participent à l'industrie de l'esthétique,
    • de développer leur sens critique face aux images que les médias leur envoient
  • Dénoncer la banalisation des interventions pour modifier le corps, sans motivation quant à la santé:
  • Amorcer un travail de réflexion sur les développements technologiques et leur impact sur la notion d'imperfection physique et le phénomène de normalisation qui s'en suit
  • Surveiller ('impacts des tendances «pro image» et «pro soins» sur la santé physique, mentale et économique des femmes
  •  Dénoncer la non reconnaissance du pouvoir de séduction et de la beauté des femmes d'âge mur
  • Favoriser l'acceptation des contraintes physiques inhérentes à l'âge ainsi que la reconnaissance des acquis développés au cours des années

Action sociale : Journée internationale sans diète

  • Étendre les activités réalisées pour souligner la Journée internationale sans diète à l'ensemble du Québec.
  • En élargir le concept et en faire un événement médiatique d'envergure pour la promotion de la diversité des corps. D'autres modèles de beauté pourraient y être mis en valeur, non seulement associés au poids. Il pourrait s'agir d'une parade des «belles de la diversité» où l'on serait en mesure de faire valoir la beauté remarquable de femmes ne répondant pas nécessairement aux critères véhiculés.
  • Associer nos membres et le public dans les mises en nomination, sur une base continue tout au long de l'année.

Protection des droits des femmes

  •  Revendiquer   que   le   mot   santé devienne   un terme   réservé   qui   exclut   les approches essentiellement esthétiques et l'art cosmétique
  • Revendiquer que soient resserrées la formation et l'encadrement des professionnel-e-s qui pratiquent la chirurgie esthétique
  • Revendiquer l'établissement de normes pour assurer la qualité des interventions esthétiques pratiquées par des non-spécialistes pour modifier le corps des femmes et qui peuvent entraîner des préjudices corporels
  • Encourager les femmes à avoir recours à l'avis de plus d'un-e professionnel-le avant d'accepter un diagnostique d'inaptitude esthétique
  • Informer  les femmes sur les risques auxquels elles s'exposent en se soumettant à des interventions sur leur corps dans un dessein esthétique (il existe déjà un livre visant à informer la population sur les risques reliés à la chirurgie esthétique)
  • Informer les femmes des leurs droits et sur les recours dont elles disposent, dans le cas des séquelles suite à une intervention
  • Bien que dans le cadre de sa recherche, la Clinique juridique de l'UQAM n'ait trouvé aucune plainte déposée contre des personnes pratiquant le tatouage, le perçage, la scarification ou la pose d'implants cutanés, l'engouement des jeunes pour cette tendance semble suffisamment important pour donner priorité à l'investigation des risques associés à ce type d'intervention.