Changements sociaux en faveur de la diversité
des images corporelles
Initiative réalisée dans le cadre du Programme
de promotion de la femme (Condition féminine Canada)
Rapport final mai 1998 - juillet 2001
Réseau québécois d'action pour la santé
des femmes (RQASF
PRESENTATION DE L'ORGANISME
Issu du Regroupement des centres de santé des femmes du Québec
(1985), le Réseau québécois d'action pour la santé
des femmes (RQASF) est un organisme multidisciplinaire dont la mission
est de travailler solidairement dans une perspective féministe
à l'amélioration de la santé et des conditions de vie
des femmes.
Ses objectifs sont de promouvoir et défendre par l'action collective
et l'action politique les droits et intérêts des femmes en
matière de santé, sur les plans sociétal, politique,
législatif et gouvernemental ; d'adopter et faire valoir une approche
globale de la santé des femmes ; de regrouper et mobiliser les
femmes et les organisations préoccupées par la santé
des femmes ; d'agir pour et avec les femmes, dans la reconnaissance
de leurs savoirs et la prise en charge de leur santé.
Le Réseau compte une centaine de membres associatifs et individuels
à travers toutes les régions du Québec. Il s'adresse
à toutes les femmes préoccupées par la santé et
ses déterminants ; celles qui travaillent à la dispensation
des soins et services, à la planification et la prise de décision,
autant qu'au niveau de la recherche ou de l'enseignement. Il s'adresse
particulièrement aux intervenantes provenant des groupes de femmes
et des organismes communautaires, aux travailleuses du milieu de la
santé et des services sociaux et aux militantes du mouvement pour
la santé des femmes.
TABLE DES MATIÈRES
Le présent document constitue le rapport final d'une initiative
réalisée sur une période de trois années, dans le
cadre d'une subvention du Programme de promotion de la femme de Condition
féminine Canada.
Ce document comporte 5 parties. D'abord, l' INTRODUCTION qui présente
la mise en contexte du sujet et de l'initiative. Ensuite, les RÉALISATIONS
qui relatent l'ensemble des actions réalisées au cours de
l'initiative et traitent de l'impact de ces réalisations. Un RAPPORT
D'ENQUETE SUR LE COMMERCE DE L'IMAGE CORPORELLE qui présente :
- I. Le marché de l'esthétisme
- II. Responsabilité en intervention esthétique
- II. Inventaires des ressources alternatives (OM/OG) (IC)
Suivent la CONCLUSION et quelques RECOMMANDATIONS pour la poursuite
du dossier.
Nous tenons à remercier pour leur collaboration et leur contribution
les membres du comité (OM/OG) et les membres du conseil d'administration
du Réseau qui, sur une base régulière dans cadre de réunions
de suivi, ont encadré ce projet et vu à son bon déroulement.
Nous espérons que ce rapport présentera un intérêt
pour toutes celles préoccupées par la question de l'image
corporelle.
Bonne lecture.
PRÉSENTATION DU CONTEXTE
Le travail des trois dernières années nous a permis d'approfondir
le contexte social global de l'image corporelle. Ainsi, les critères
concernant l'image corporelle varient considérablement selon l'époque
et la culture, tout comme l'importance de s'y conformer pour être
acceptée. Mais quel que soit le contexte, on peut quand même
admettre que, de tout temps et en tout lieu, être belle s'est avéré
un avantage pour la chanceuse qui détient ce titre ; il pouvait
même parfois lui permettre d'aspirer à un plus grand pouvoir
sur sa vie ou du moins, d'améliorer son sort.
Nous souhaitons toutes être belles ; c'est-à-dire, conformes
aux critères de beauté qui régissent notre époque
et notre culture. C'est dans notre intérêt, nous le savons
bien. Au-delà de la coquetterie, il s'agit du désir de correspondre
aux normes établies par notre communauté, ce qui contribue
à nous faire accepter par les nôtres ; le contraire nous expose
au rejet. Bien des aspects peuvent déterminer la beauté et
là n'est pas notre propos ; nous nous limiterons dans ce rapport
à ceux qui concernent l'image corporelle.
La relation des femmes à leur corps a presque toujours été
une douloureuse recherche de perfection. Une perfection dont les standards
sont sans cesse repoussés vers des limites souvent inaccessibles
pour un grand nombre d'entre nous, notamment lorsqu'il est question
du poids. À notre époque, dans notre société occidentale
où l'importance du paraître prévaut sur l'être ;
dans une société capitaliste qui se mondialise et où
la performance est une vertu et la compétitivité une question
de survie, nous sommes toutes plus que jamais tributaires de notre image
corporelle. Difficile de nier l'influence qu'elle peut avoir dans certaines
sphères de notre vie.
Les technologies de communication et la publicité omniprésente
sont des institutions-clés qui nous bombardent d'images. Et le
moule auquel on doit se conformer n'échappe à personne. Mais
voilà, il est étroit, ce moule, il est ferme, lisse; il nie
la diversité des corps des femmes, il nie les transformations qui
sont régies par les lois du temps et défie celle de la gravité.
Nous sommes donc confrontées à une image plus virtuelle que
réelle. À toutes fins pratiques, elle ne nous ressemble, pas,
du moins pas longtemps, dans un contexte où, paradoxalement, l'espérance
de vie augmente.
Au-delà du stéréotype : Une oppression maquillée
Plusieurs auteures suggèrent que si l'on véhicule socialement
un type de silhouette qui ressemble à celui d'une jeune adolescente,
c'est entre autres pour imposer une image moins menaçante des femmes.
Une image qui les infantilise, nie leur force et leur pouvoir reproducteur.
Par ailleurs, la valorisation de ce type de silhouette coïncide
curieusement avec l'époque où les femmes commencent à
s'affirmer politiquement et à revendiquer leur autonomie économique.
Depuis les trois dernières décennies, les femmes ont pris
de plus en plus de place dans toutes les sphères de la société
et notamment sur le marché du travail. Toutefois, elles ne se sont
jamais senties si mal par rapport à leur image corporelle, comme
en témoigne, par exemple, l'augmentation spectaculaire du nombre
de cas d'anorexie, ou encore l'essor de la chirurgie esthétique,
le champ de la médecine qui s'est développé le plus rapidement
depuis dix ans.
En fait, n'est-il pas vrai que la majorité d'entre nous sommes
insatisfaites de notre poids ; que bon nombre de nos amies ou connaissances
ayant un poids normal désirent quand même maigrir; que nos
adolescentes considèrent que la minceur est une condition essentielle
à leur réussite sociale; et que plusieurs femmes adultes entretiennent
la même crainte et insécurité, en regard de leur réussite
professionnelle?
Et de fait, malheureusement, les femmes sont surtout jugées selon
leur apparence physique. Encore aujourd'hui, n'importe qui déclare
publiquement son impression générale d'une femme, par sa façon
de l'interpeller, Madame ou Mademoiselle. Quelle femme osera nier le
choc de constater que socialement on trouve qu'elle a l'air vieux et
qu'on lui fait savoir? Comment se fait-il que les hommes soient épargnés
de cet affront? Malgré les acquis au niveau des droits, les femmes
n'ont donc jamais perdu leur valeur ornementale. La survalorisation
de la beauté engendre ainsi un préjugé favorable envers
les femmes qui répondent aux critères. Cette iniquité
dans nos rapports aux personnes laisse croire que la beauté est
un gage de bonheur et de succès.
Le poids, mesure inconditionnelle de l'échelle de beauté
La minceur est devenue un impératif culturel très largement
véhiculé par les médias imprimés et électroniques
ainsi que par l'industrie de la mode. Or, l'enquête réalisée
sur le commerce de l'image corporelle révèle que de plus en
plus de professionnelle-s de la santé, (approches traditionnelles
et alternatives confondues), s'engagent dans la voie lucrative de la
transformation des corps.
Depuis bon nombre d'années, le moule de l'extrême minceur,
le «style anorexique» perdure. Ce modèle entretient les
stéréotypes de la femme fragile et infantile, bu même
coup, ces images stéréotypées laissent supposer que,
étant hors normes, les femmes de forte taille sont anormales ;
ces images entretiennent également l'idée que ces femmes ne
sont pas séduisantes. Qu'on le veuille ou non, qu'on le fasse consciemment
ou non, ce diktat du modèle minceur nous conduit souvent à
adopter des attitudes négatives vis-à-vis des personnes de
forte corpulence1.
L'absence des femmes de forte taille dans la représentation sociale
et culturelle, pour tout ce qui réfère à la beauté
et à la santé, tend à faire croire que le poids dépend
essentiellement de la volonté individuelle et donc de la capacité
de chacune à se conformer, à n'importe quel prix, à un
moule unique. En occultant la diversité des formats corporels,
on masque la réalité, en plus de créer la confusion en
associant grosseur et mauvaise santé. Bon nombre de femmes affectées
par les préjugés et les stéréotypes liés au
poids s'engagent dans la spirale de l'obsession de la minceur en se
soumettant à des régimes draconiens, au point d'hypothéquer
leur santé physique. Pour d'autres qui livrent une lutte quotidienne
pour se faire accepter, il en va de leur santé mentale.
1 Sur cette question nous vous invitons à prendre connaissance
du texte : «Préjugés et discrimination envers les grosses
femmes» (Sophie Bellefeuille). Sans préjudice... pour la
santé des femmes, hiver 2001, no 23, p. 3-4.
À l'encontre du discours dominant, le Réseau soutient que
le corps représente la spécificité, l'unicité de
chacune. D'une personne à une autre, le corps diffère de par
sa taille, ses mensurations, sa couleur, etc. De plus, il change et
évolue tout au long de la vie, ce qui est normal. La diversité
des formats corporels devrait donc se refléter dans les représentations
sociales. Initier un tel changement au niveau de la représentation
sociale des femmes n'est pas un mince défi. Entre autres, cela
implique de s'attaquer à différentes institutions sociales
de pouvoir, qu'il s'agisse d'un pouvoir politique, d'un pouvoir d'influence
ou, comme nous avons pu le constater, d'un grand pouvoir économique.
Il est temps d'agir
Concrètement, le Réseau a voulu agir afin de modifier la
perception restrictive de la beauté généralement véhiculée.
Il s'est également donné comme objectif d'inciter les institutions-clés
de notre société à promouvoir la diversité dans
la représentation du corps des femmes. Et enfin, il voulait développer
des outils pour mieux sensibiliser les femmes sur cette forme de discrimination.
Moyen privilégié
En vue d'obtenir des résultats concrets et d'avoir un impact significatif,
il est nécessaire d'agir, à la fois, au niveau de la mobilisation,
de la sensibilisation et de la dénonciation. Le Réseau a donc
réaliser un plan stratégique pour lui permettre de développer,
progressivement, ces trois axes d'intervention. Le compte rendu de l'ensemble
des activités réalisées dans le cadre de cette initiative
est présenté sous forme de tableau synoptique qui, à
notre avis, illustre bien la progression du dossier.
Comité d'encadrement
Durant ces trois années, le Réseau a pu s'appuyer sur l'expertise
solide des membres du comité obsession de la minceur et oppression
de la grosseur (OM/OG). Fortes d'un engagement de 6 ans, ces femmes
ont accepté de partager leurs connaissances et leurs compétences
pour nous aider à approfondir le dossier. Leur désir de poser
des actes concrets pour mener à des changements sociaux a été
une source de motivation constante.
Tableau synoptique des activités réalisées 1998-2001.
Les lettres en italique et entre parenthèses indiquent la thématique
liée à chaque réalisation : (OM/OG) = obsession de la
minceur et oppression de la grosseur ; (OG) = oppression de la grosseur
;(OM) obsession de la minceur ; (IC) = image corporelle.
* Articles publiés :
dans le Sans préjudice.. pour la santé des femmes:
- Obsession de la minceur et oppression de la grosseur (hiver 01,
no 23)
- Discrimination et préjugés envers les femmes grosses (hiver
01, no23)
- Dénoncer, cause parfois des Ondes de chocs (automne 98, no
16)
- :Féminisme et oppression de la grosseur (printemps 98, no 15)
- Quand Dieu était femme... elle était grosse (hiver 98,
no 14)
dans l'Agenda des femmes 2001 :
• L'image-magie (mai)
On constate, à partir du tableau synoptique, qu'un travail important
de réflexion a été entrepris dès le début du
projet pour conduire à la production de matériel concret,
soit les différentes grilles thématiques et
la publication d'articles dans le Sans Préjudice...
Diffusion
Les différentes grilles thématiques ainsi que le Sans
Préjudice... pour la santé des femmes ont été
diffusés gratuitement :
- à nos membres, aux groupes de femmes et communautaires
- dans divers milieux ciblés (écoles secondaires,
maisons des jeunes, associations professionnelles, organisation syndicales,
etc.) * lors de forums, colloques et autres événements.
La diffusion de ce matériel a eu comme résultat pour le Réseau
d'être invité, par divers organismes, à donner des conférences,
participer à des ateliers ou à tenir un stand d'informations
dans le cadre de leurs événements. Au cours de ces activités,
le Réseau a eu l'occasion de sensibiliser pas moins de 1500 femmes
sur la question de la discrimination liée à l'image corporelle.
Le fait que Réseau n'ait pas réalisé de telles activités
en 2001 s'explique par la conjoncture. En effet, la personne responsable
du dossier a quitté le Réseau en février dernier. La
subvention se terminant quelques mois plus tard, le Réseau a choisi
de mettre l'accent sur l'organisation de la Journée internationale
sans diète qui a de plus en plus de retombées, ainsi que sur
la réalisation d'une enquête sur le commerce de l'image corporelle.
Journée internationale sans diète
À travers le monde, le 6 mai marque la célébration
de la Journée internationale sans diète. Le Réseau souligne
cette journée en décernant deux prix qui visent à récompenser
(Corps-Accord) ou dénoncer (On s'en balance!) des
entreprises qui, par leurs produits ou leurs publicités, favorisent
ou défavorisent la promotion et l'acceptation de la diversité
des corps. Les prix sont décernés par un jury composé
de personnalités de divers milieux.
Récipiendaires des prix au cours de l'initiative
L'événement de la remise des prix n'est pas sans écho.
L'activité attirait 35 personnes en 2000 et plus d'une cinquantaine
en 2001. En 1998, un des récipiendaires du prix On s'en balance!contestait
publiquement sa nomination, par le biais du journal Voir. De
plus, une plainte déposée au Conseil des normes de la publicité
donnait gain de cause au Réseau ; le bar Le Dogue a dû retirer
sa publicité jugée discriminatoire envers les grosses personnes.
Dans le cas des Centres de santé minceur, notre plainte au Conseil
des normes en publicité a été rejetée, mais bien
accueillie par l'Office de la protection de consommateur qui avait déjà
un dossier sur eux.
D'un ordre plus réjouissant, le Réseau recevait un remerciement
officiel d'un des récipiendaires du prix Corps-Accord 1999,
avec l'engagement de poursuivre son action. Surprise, mais flattée,
par l'initiative du Réseau, tout nous permet de croire que cette
entreprise agit aujourd'hui comme agent de changement dans son milieu.
On remarque que, progressivement, le travail de sensibilisation atteint
les régions. Par exemple, quelques écoles secondaires et certains
de nos groupes membres soulignent maintenant l'événement.
C'est toutefois sur le plan médiatique qu'on peut mesurer l'impact
grandissant de cette journée, alors que les médias y accordent
de plus en plus d'attention. Fait intéressant, plus les années
avancent, plus l'impact médiatique se fait sentir hors Montréal.
On observe également que le type de média se diversifie avec
le temps, ce qui suppose que le type de public atteint est lui aussi
plus diversifié, comme l'indique le tableau qui suit.
La pétition destinée à l'Assemblée nationale
pour l'inclusion du poids et de la grosseur comme motifs de discrimination
à la Charte québécoise des droits et libertés de
la personne a, elle aussi, capté l'attention des médias et
du public. Le Réseau a recueilli un total de 2286 signatures. Le
quotidien La Presse a publié un article sur le sujet
(cahier A, 23 octobre 2000) et deux entrevues télévisées
avec la responsable du dossier ont été réalisées
: Citémag, 21 novembre 2000 ; bulletin de nouvelles de TVA/LCN.
13 janvier 2001.
Enfin, le Réseau entend diffuser le Rapport d'enquête
sur le commerce de l'image corporelle. confiant qu'il pourra servir
d'outil de réflexion et de sensibilisation sur la question de l'image
corporelle.
En résumé:
Le Réseau estime avoir rempli son mandat en publiant du matériel
d'information critique ; en produisant une trousse d'action afin d'encourager
les femmes, notamment les jeunes, à devenir des actrices de changement
dans leur propre milieu de vie ; en assurant une présence dans
les médias, surtout par le biais de l'organisation de la Journée
internationale sans diète ; en réalisant une enquête
pour sensibiliser les femmes aux enjeux liés à la transformation
de leur image corporelle et au fait que le discours sur le mieux-paraître
et le mieux-être n'est rien d'autre qu'une opération cosmétique
qui relève essentiellement d'une stratégie mercantile.
De tout temps, les femmes ont tenu compte des normes de beauté
qui régissaient leur époque et agi, librement ou sous la contrainte,
pour tenter de s'y conformer, quitte à mettre en péril leur
santé pour y parvenir. L'histoire sur le sujet est passionnante,
horrifiante dans certains cas. Toutefois, nous nous limiterons ici à
l'exploration de cette réalité au Québec, à l'heure
actuelle.
Le discours dominant impose principalement comme standards de beauté
l'extrême minceur et la perfection plastique. Trop maigres ou trop
grasses, en totalité ou en partie, trop molles, trop bouffies ou
trop ridées, les femmes se font imposer l'image d'un gabarit
idéal. Un gabarit idéal basé non pas sur des critères
de santé et de bien-être, mais sur les critères volatils
de la mode en cours. Nous devons reconnaître que cette pression
sociale en amène plusieurs à poser des gestes qui sont
non seulement coûteux en temps, en argent et en souffrance, mais
parfois dangereux pour la santé. Avec le vieillissement de la population
féminine et les progrès technologiques, l'obsession de l'esthétisme
plastique risque de prendre des proportions délirantes. Que voulez-vous,
avec l'âge on épaissit, on plisse!
En effet, à notre époque, nous n'avons plus à nous résigner,
à nous priver des avantages de correspondre à la norme. Plus
maintenant. Le rêve qu'on nous fait miroiter à nous les femmes
en priorité, et de plus en plus aux hommes, c'est que tout est
possible. Les solutions sont là, à notre portée ; il
n'en tient qu'à nous, à notre détermination et à
notre portefeuille. Nous avons la chance, et l'odieux, d'agir pour parvenir
à nous paraître enfin adéquates.
Compte tenu de l'ampleur actuelle du phénomène médiatique
et publicitaire, jumelée aux possibilités offertes par les
progrès de la science, le Réseau a voulu creuser la question
de la transformation du corps des femmes. Toutefois, il a choisi de
le faire non pas sous l'angle habituel du phénomène culturel,
mois sous l'angle de la commercialisation et même de l'industrialisation
d'un phénomène culturel.
Sans aucune prétention scientifique, notre enquête cherchait
à connaître ce qui se fait, ou se défait, au niveau de
l'image corporelle, au Québec. Nous souhaitions avoir un portrait
très large des différents moyens proposés aux femmes
pour modifier leur corps ou leur image corporelle.
Afin d'alimenter la réflexion et de mieux évaluer les perspectives
de développement du dossier, nous avons cru pertinent de rendre
compte de la situation sous trois volets. Dans un premier temps, l'angle
de la commercialisation est abordé par un regard critique sur la
publicité s'adressant aux femmes et sur les commerces qui subventionnent
ce concept promotionnel. Dans un deuxième temps, nous avons demandé
la collaboration de la Clinique juridique de l'UQAM pour connaître
les recours légaux disponibles aux femmes ayant subi des dommages
corporels au cours d'interventions. Et troisièmement, dans un souci
d'équilibre, nous avons procédé à l'inventaire des
ressources offrant une approche et un discours alternatifs, c'est-à-dire
des organismes qui encouragent plutôt l'acceptation de soi.
En quelques décennies, dans les sociétés occidentales,
les médias de masse sont devenus le principal agent de représentations
sociales. Un regard critique sur les médias permet de voir les
formes insidieuses de pression et de sollicitation que subissent les
femmes pour les inciter à modifier leur image corporelle.
Afin d'illustrer l'importance de la sollicitation médiatique pour
transformer le corps des femmes dans un dessein esthétique, nous
nous sommes livrées à un exercice de repérage,
nous limitant à un média. La sollicitation médiatique
étant on ne peut plus envahissante et prenant des formes de plus
en plus inusitées, les champs d'exploration où l'on expose
le modèle corporel prisé ne manquent pas : des panneaux publicitaires
des abribus aux émissions de télévision, des photos des
tourniquets du métro au catalogue du Canadien Tire, nous
avions l'embarras du choix.
Pour les fins de l'exercice, notre choix s'est arrêté sur
un média à la fois connu de nous toutes et accessible partout
au Québec. Un média qui se retrouve sous nos yeux sans même
l'avoir cherché : le magazine dit féminin. Accessible par
abonnement jusqu'aux îles-de-la-Madeleine, mais de toute façon
incontournable, puisqu'il trône sur les tables dans toutes les
salles d'attente dignes de ce nom.
Pour le choix des mensuels, nous avons déterminé les critères
suivants : avoir un lectorat significatif, s'adresser prioritairement
aux femmes, traiter de sujets variés et représenter une diversité
d'âge, quant à la clientèle cible. Nous avons ensuite
soumis ces critères à la Fédération professionnelle
des journalistes, à deux succursales de la Maison de la Presse
Internationale, à la Librairie Champigny ainsi qu'à deux bibliothèques
de quartier, ce qui nous a amené aux choix présentés
dans le tableau qui suit.
Tableau : Mensuels féminins les plus vendus au Québec*
|
Pour compléter le tableau présentant le profil de ces mensuels,
nous y ajoutons quelques informations complémentaires, car outre
l'âge moyen auquel ils s'adressent, les magazines présentent
certaines caractéristiques qui les distinguent.
Ainsi, dans Filles d'aujourd'hui on s'intéresse d'abord
à la musique et aux garçons. Il est d'ailleurs surprenant
de constater que, contrairement aux autres revues, leur publicité
est moins axée sur l'image corporelle. Elle Québec,
pour sa part, présente un profil de femme très active, surtout
sexuellement et qui suit la tendance sexy de la mode. D'influence européenne,
les publicités y sont parfois très osées. La lectrice
de Clin d'oeil semble la plus friande de mode sous tous ses angles
et de loin la plus intéressée par tout ce qui touche l'image
corporelle.
Comme son nom le laisse entendre, Coup de pouce est à l'écoute
de la femme pratico-pratique qui aime être bien renseignée.
Ce souci d'informer se perçoit jusque dans les publicités
qui sont souvent plus explicites sur les caractéristiques des produits.
Châtelaine présente des sujets d'actualité en
général. Par contre, sa publicité ne diffère pas
de celle des autres. Ce qui crée des situations étonnantes
parfois, tant le contraste est paradoxal entre le contenu des articles
et la publicité. Par exemple, un dossier sur la traite des blanches
dans le monde voisine une publicité de Nutribar : Pour une
silhouette prometteuse. Enfin, Le Bel Âge projette une
image de femme sereine qui s'intéresse davantage à sa qualité
de vie en général qu'à son image corporelle. Si elle
a tout de même un faible pour tout ce qui peut la garder belle,
elle veut surtout demeurer en forme et active.
La publicité déformante
Tenant compte du fait que les contenus et la publicité sont davantage
déterminés par les périodes de l'année, nous avons
traité l'information publiée dans ces six mensuels pour les
trois éditions suivantes :
- novembre 2000 (automne ; préparatifs pour la fête de Noël)
- février 2001 (fatigue de l'hiver ; St-Valentin)
- mai 2001 (saison estivale où l'on expose à vu notre corps)
Le dépouillement visait à identifier la proportion du contenu
consacré à l'image corporelle, incluant les articles, autant
que les annonces pour des produits et des ressources dont le but est
de modifier ou d'améliorer notre l'image corporelle.
La sollicitation auprès des femmes québécoises francophones
pour modifier leur image corporelle est donc omniprésente. Sans
négliger que près de 25 % du lectorat étant des hommes,
on peut en déduire que ces revues contribuent également à
nourrir leur imaginaire de la beauté et de la féminité.
Par ailleurs, dans les publicités vantant les mérites de divers
autres produits de consommation, dans la majorité des cas, les
mannequins qu'on utilise sont d'une belle plastique. Il s'agit d'une
femme jeune, mince, lisse et rayonnante d'assurance ; elle dégage
l'attitude sûre d'elle-même d'une gagnante qui sait ce qu'elle
veut et qui l'obtient. En la voyant, on se surprend à penser que
si on avait ce corps, on dégagerait sans doute la même assurance.
Toutes les revues nous mettent en présence de ce corps parfait,
véritable culte à la jeunesse.
En effet, même l'âge apparent varie à peine entre les
mannequins de Clin d'œil' et du Le Bel âge.
Mis à part Filles d'aujourd'hui pour des raisons évidentes,
l'âge des femmes représentées, tant dans la publicité
que dans les illustrations des articles, a tendance à être
inférieur à l'âge du groupe cible de la revue. Ainsi,
malgré les quelques nuances qui démontrent le souci de chaque
magazine de s'identifier à une clientèle spécifique en
cherchant à répondre à des intérêts différents,
ce souci ne semble pas s'étendre à la représentation
de la diversité de l'image corporelle.
Les produits miracles réformateurs
Pour ajouter encore à la pression, à côté de la
représentation des corps idéalisés, une foule de produits
nous sont proposés pour nous permettent de nous rapprocher du modèle
idéal. Comment refuser la possibilité de nous améliorer?
Les industries ne font-elles pas leur part, en investissant dans la
recherche et en développant des technologies et des produits qui
sont des moyens pour nous permettre de nous «corriger». À
l'époque du néolibéralisme et des valeurs individualistes,
nous sommes plus que jamais responsables de nos succès comme de
nos échecs ou de nos lacunes - n'est-il pas de notre responsabilité
d'agir?
Un regard sur les produits nous renseigne sur les différents irritants
esthétiques de l'anatomie des femmes occidentales. Encore une fois
à partir du contenu de nos six mensuels féminins, le tableau
à la page suivante présente les résultats du dépouillement
et de la compilation de toutes les publicités sur les différents
produits et sur les ressources disponibles pour nous aider à modifier
notre image corporelle. Les résultats sont classés par ordre
d'importance, la valeur en pourcentage indique la proportion de publicité
consacrée au type de produit ou de ressource, par rapport à
l'ensemble.
Tableau : Publicités portant sur l'image corporelle
|
Non seulement les articles ne représentent, en moyenne, que 13
% du contenu des magazines mais, complices, ils contribuent souvent
plus à nous faire consommer plutôt qu'à nous informer
réellement.
Le vieillissement : nouvel ennemi numéro un
Si on combine les publicités sur les produits et les ressources
consacrés à la peau, on constate que jeunesse et minceur sont
maintenant à égalité au niveau des critères de beauté.
Pour prévenir ou remédier aux signes du vieillissement, on
nous dicte la voie à suivre avec la rigueur du petit catéchisme
et un vocabulaire assez évocateur, tel que : Quand l'hydratation
quotidienne ne suffit plus pour contrer les méfaits du temps,
c'est le moment d'adopter des soins haute performance.
Et on continue la leçon, en nous encourageant à contrôler
la nature : «Des 30 ans, il est temps de revoir son rituel de beauté.
Pourquoi ? Parce que les premiers signes du vieillissement montrent
déjà le bout du nez». Voilà la fatalité de
la beauté des femmes : Jean-Pierre Ferland nous donnait le choix,
au moins, lui!
Les signes du vieillissement sont perçus comme une calamité
que l'on doit «corriger». Il ne serait pas étonnant
que l'industrie du rajeunissement supplante avant longtemps
celle des régimes amaigrissants. C'est certainement plus payant,
car si nous n'avons pas toutes du poids à perdre, toutes, nous
vieillissons. La minceur demeure un critère de beauté important,
mais sans doute en raison du vieillissement de la population, on sent
que l'industrie s'ajuste. Par exemple, on présentait dans Le
Bel âge du mois de novembre une collection de vêtements
pour femmes rondes sous le titre : Ronde et belle. Bien sûr,
la mannequin est à peine enveloppée mais quand même,
c'est un changement. Coup de pouce du même mois offrait
30 trucs minceur, non pas pour maigrir mais pour cacher nos courbes.
Une annonce de vêtements sportifs allait même jusqu'à
affirmer : il y a plus excitant que la minceur et la fragilité
(qualités bonnes pour les cellulaires et les serviettes hygiéniques,
dit-on). On vante plutôt les mérites de : la force, l'énergie,
la fermeté, des qualités propres à la jeunesse. Est-ce
un signe que la tende ce commence à changer et que la maigreur
perd du terrain? Peut-être. Mais de là à croire que la
rondeur sera bientôt acceptée, la route nous semble encore
longue.
On constate cependant un changement, soit dans la façon dont on
maigrit. Dans l'ensemble des magazines, on peut sentir que le message
est passé et on reconnaît que les régimes miracles n'existent
pas. Maintenant, on maigrit intelligemment. Mais règle général,
on maigrit quand même. L'obsession de la minceur se perpétue
avec de nouvelles méthodes.
Les stratégies de transformation L'approche beauté
par la santé
Si nous voulons toutes être belles, nous ne sommes pas nécessairement
prêtes à nous laisser transformer de n'importe quelle façon.
Le marché en tient compte et tente de nous attirer par deux approches.
Par le courant que nous appellerons «Pro soins» qui nous promet
une allure de Cléopâtre sortant de son bain de lait, avec
un discours axé sur la prévention, la détente et les
habitudes saines. On joue sur la carte des soins que l'on procure à
son corps pour aspirer à plus de beauté. L'industrie «bio»
y gagne de plus en plus en popularité.
L'industrie de l'image corporelle récupère cette tendance
santé et propose une multitude de produits cosmétiques dits
naturels. Et puisque nous n'avons pas de temps à perdre, les produits
aux utilisations multiples se développent pour répondre à
notre rythme de vie. Par exemple, une crème cosmétique qui
promet : une métamorphose instantanée de la peau grâce
à son complexe Ageproof et son Optitélomérase
qui optimisent la qualité de la peau et l'aident à mieux résister
contre les stress quotidiens ; une autre, No Age Défense
de vieillir, une crème qui rend la peau plus lisse, plus forte
et d'apparence plus jeune ; autre exemple, un hydratant teinté,
un «2 pour 1», à la fois crème hydratante et fond
de teint.
Cette approche par les produits «bio» montre l'importance
qu'on accorde à se conserver le plus longtemps possible en santé.
Reste à savoir si ça relève d'une meilleure connaissance
de son corps et d'un plus grand respect qu'on lui accorde, ou de la
pression d'être et de rester performante pour répondre au
rythme de la société. Pour l'instant, cette tendance nous
apparaît surtout dangereuse pour notre portefeuille.
L'approche spirituelle par l'intervention extérieure
Un autre courant de sollicitation que nous appellerons cette fois «Pro
image» nous semble beaucoup plus inquiétant. Les arguments
utilisés laissent supposer que de changer notre image, c'est changer
notre intérieur. C'est l'approche des cliniques de chirurgie esthétique
: Laissez votre corps refléter votre beauté intérieure
; ou encore : Recherche d'harmonie - Exécutée par un praticien
certifié, la chirurgie esthétique des seins peut contribuer
à votre bien-être. Une clinique de greffe du cheveu s'est
donnée comme slogan : Le cheveu, la peau, l'être.
À l'origine, c'est dans un but correctif que la chirurgie
plastique s'est développée. Il s'agissait d'une technologie
pouvant permettre la réhabilitation d'accidentés, de grands
brûlés, etc. ou encore la «correction» de malformations
de naissance. En raffinant le côté esthétique de ces
interventions, on allait contribuer à réduire l'exclusion
sociale et à améliorer la qualité de vie d'un grand nombre
de personnes. Toutefois, on constate que ces progrès ont été
récupérés par l'industrie du paraître.
La technologie : les nouveaux miracles
On veut faire croire au rêve, à la magie qui va d'un coup
changer notre réalité. De nos jours, la technologie et les
progrès de la science nous permettent d'aspirer à la réalisation
de nos rêves les plus inaccessibles. Les nouveaux produits conçus
avec des ingrédients inconnus jusqu'alors et possédant des
propriétés étonnantes sont légion. Par exemple :
un produit innovateur pour la perte de poids par thermogénèse
provenant de sources entièrement naturelles qui a le pouvoir de
brûler nos graisses, d'accélérer notre métabolisme,
d'augmenter nos muscles maigres et d'accroître notre énergie.
Un autre, sans doute réservé à une clientèle scolarisée
nous met au défi : Etes-vous prête pour un nouveau visage
? Neo Strata vous propose la crème de jour adoucissante avec FPS15
qui contient 8% d'acide glycolique, ce qui contribue à atténuer
les rides et les ridules. L'acide glycolique étant l'AHA de choix,
il agit en exfoliant les cellules mortes à la surface de l'épiderme.
Le Complexe de nuit anti-ride au rétinol offre la plus forte concentration
de vitamine A sur le marché (0,15%). Avec son procédé
Microbistribution révolutionnaire, les ingrédients sont
libérés progressivement pendant la nuit, ce qui revitalise
la peau enprofondeur...
Le danger n'est pas tant dans les promesses de résultats, car
les récentes découvertes sur la peau ont réellement permis
de créer des produits pour améliorer ses propriétés,
prévenir son vieillissement - Merlin peut aller se rhabiller avec
sa poudre de perlimpinpin. La technologie repousse toutes les limites.
Si on clone des brebis, on peut sûrement faire quelque chose pour
remédier à nos imperfections. Voilà le danger : qu'est-ce
qu'une imperfection?
Perfection accessible, perfection nécessaire
Comme nous l'avons déjà souligné, il ne suffit pas d'être
jeune et mince pour être belle. La cellulite, par exemple, est
totalement incompatible avec le concept de beauté occidental. Hantise
cellulite, le titre d'une série de produits proposés dans
l'édition de mai du magazine Clin d'oeil, introduit son
sujet ainsi : Ces petits reliefs sur vos cuisses vous énervent?
La solution miracle n'a pas encore été inventée mais
il existe des produits de plus en plus efficaces pour lutter. Pas question
de capituler devant le capiton.
Les seins aussi doivent répondre à des standards difficiles
à soutenir. Mais avec des méthodes révolutionnaires,
ils nous sont maintenant facilement transformables dans tous les formats.
Une publicité très explicite affiche en gros titre : Si
votre poitrine n'a pas suffisamment de volume.... Pas suffisamment
pour qui? Il semble exister un produit pour modifier chaque partie du
corps, pour nous rapprocher du modèle de perfection que le virtuel
permet de visualiser. A celles qui préfèrent le style naturel,
on propose des traitements instantanés et temporaires pour les
lèvres, les rides, les plis, etc. Des traitements dits naturels
parce qu'ils se font par injections, plutôt que par chirurgie.
Le message du message
Les moyens pour transformer notre image corporelle étant de plus
en plus accessibles et de plus en plus variés, il apparaît
de plus en plus normal et acceptable de les utiliser.
La normalisation, des produits et des procédés d'intervention,
contribue à maintenir la pression sociale d'un modèle de beauté
pour les femmes. Par ailleurs, si le processus de banalisation se poursuit,
qu'adviendra-t-il de celles qui refuseront d'avoir recours aux retouches?
Au delà de se voir exclues des canons de beauté, ne risquent-elles
pas, en plus, d'être perçues comme étant anormales?
Autre époque, autres mœurs, mais pour les femmes une constance
«Va t'faire soigner, t'es malade».
Nous convaincre qu'on a besoin d'un produit pour être heureuse,
c'est le rôle de la publicité. Quand il est question d'un
électroménager, on n'est moins porté à se sentir
diminué de ne pas posséder celui qu'il nous faut. Mais quand
c'est pour répondre à un standard de beauté, qu'est-ce
qu'on fait ? On s'accepte quand même, on déprime, on se gave
de produits ou on passe au bistouri? Dans une société de choix
orchestrée par des entreprises qui cherchent à nous faire
consommer, le discernement n'est pas toujours évident.
La première partie de cette enquête nous a permis d'illustrer
l'ampleur du phénomène publicitaire lorsqu'il est question
de l'image corporelle de la femme. Dans cette partie nous tracerons
un portrait de ceux qui font commerce de l'esthétisme, ces gens
d'affaires qui gagnent leur vie en modifiant, de façon permanente
ou non, le corps et l'image corporelle des femmes.
Nous avons concentré le repérage à la région de
Montréal, s'agissant du plus grand centre urbain, le territoire
du Montréal Métropolitain nous paraissait assez représentatif
de ce qu'on pouvait trouver dans l'ensemble de la province. L'objectif
étant d'avoir une vue d'ensemble des différentes entreprises
ayant des intérêts dans le vaste marché de la transformation
du corps, notre choix s'est arrêté sur un outil qui est plus
qu'accessible étant donné qu'on le distribue gratuitement
dans tous les foyers de l'île. Un outil certes largement consulté
par la population, sinon les commerces cesseraient d'investir dans sa
production : l'annuaire des Pages jaunes.
«Faites marcher vos doigts», et vos méninges
Les Pages jaunes sorti conçues de façon à nous
permettre de trouver ce que nous cherchons à partir d'un index
alphabétique et d'un index par sujets. Pour notre exercice de repérage,
nous avons préféré travailler à partir de l'index
alphabétique. Celui-ci comporte plusieurs rubriques avec des renvois
(voir) et ces références terminologiques sont
censées répondre à différentes façons que nous
pouvons formuler un besoin.
L'annuaire des Pages jaunes est un outil fascinant d'inconsistance
et souvent d'incohérence. Par conséquent, ce qui paraissait
un exercice fort simple au début, nous a conduit à de nombreux
détours. Ce bottin est essentiellement un outil de promotion qui
permet aux entreprises de s'annoncer sous plusieurs rubriques, dépendant
du montant qu'elles sont disposées à payer pour être
incontournables. On peut ainsi retrouver le même salon d'esthétique
sous Oreilles-Services de perçage. Tatouage. Art corporel
et perçage. Esthéticienne.
Dans un premier temps, nous avons identifié toutes les rubriques
en lien avec le corps, dans sa globalité et en pièces détachées,
en lien également avec les interventions pratiquées sur le
corps et, enfin, en lien avec l'esthétique dans son sens le plus
large. Nous avons ensuite vérifié, sous chacune des
rubriques, la pertinence de leur contenu respectif en regard de notre
objectif. Et nous avons écarté les rubriques où
on ne présentait aucune référence ni aucun lien avec
les soins esthétiques. Nous avons également élagué
tout ce qui n'était pas de l'ordre d'une entreprise de services,
c'est-à-dire les écoles et instituts de formation, les ordres
professionnels et autres associations.
Après cette première cueillette, nous avons constaté
que les rubriques que nous avions retenues pouvaient se regrouper sous
deux grandes catégories :
• L'esthétique dans son sens large
• La santé, regroupant les professionnel-le-s qui pratiquent
des interventions sur le corps ayant une conséquence évidente
sur ''image corporelle (dermatologues, dentistes, etc.) ;les spécialistes
qui pratiquent des interventions n'ayant pas, à prime abord, d'impact
sur l'image corporelle mais qui annoncent offrir des services dans
un but esthétique, parfois à notre grand étonnement
(acupuncteurs, O.R.L., etc.).
Nous avons finalement produit une liste des différentes rubriques
qui sont comme des portes d'entrées sur ce vaste marché de
l'esthétisme à Montréal, bans cette liste, présentée
à la page suivante, la rubrique Salon de coiffure et de beauté
remporte la palme du nombre de commerces répertoriés, au total
855 : 840 salons de coiffure, 15 instituts de beauté. À
Montréal, nous sommes donc particulièrement bien coiffées.
Le concept d'esthétisme faisant son oeuvre, la visite chez la coiffeuse
a donné place au rendez-vous chez son coiffeur. Ce n'est pas parce
qu'une technique existe que nous allons en user, mais plus les gens
l'adoptent, plus la pratique se normalise et intègre les mœurs.
Rappelons-nous qu'à une époque, les femmes qui se teignaient
les cheveux étaient considérées comme «des femmes
de mauvaise vie».
Aujourd'hui, se teindre les cheveux est un geste banal, si ce n'est
régulièrement, ce sera à l'occasion, pour le plaisir,
pour l'expérimentation, sous le charme d'une mode, ou bien sous
la pression du nombre croissant de nos cheveux grisonnant. Aujourd'hui,
on se teint les cils, les sourcils, le duvet de la lèvre supérieure
et du menton, les poils pubiens, la peau au complet.
Le marché de l'esthétisme à Montréal
-
Acupuncteur
-
Alimentation-Trouble- Information
-
Amaigrissement et surveillance du poids
-
Art corporel et perçage
-
Bronzage-Salon
-
Centre de santé
-
Cheveux greffe et tissage
-
Cheveux traitements
-
Chirurgie-plastique
-
Clinique capillaire
-
Cliniques
-
Cliniques médicales
-
Condition physique-Santé et exercice-Services
-
Corps-Service de perçage exotique Cosmétiques
Cuir chevelu
-
Dentistes
-
Denturologistes
-
Dermatologues
-
Détaillants
-
Diètes
-
Diététistes et nutritionnistes
-
Électrolyse
-
Epilation
-
Esthéticiennes
-
Faux-ongles-faux-ciIs
-
Instituts de beauté
-
Laser-Épilation
-
Manucure
-
Maquillage permanent
-
MaquiIlage-ConseiIlers
-
Maquilleurs-Maquilleuses
-
Médecins chirurgiens
-
Naturothérapeute
-
Obésité
-
Ongles artificiels et faux-cils
-
Oreilles-service de perçage
-
Parfums et cosmétiques
-
Perçage exotique du corps
-
Perruques et postiches-Détaillants
-
Pieds, soins
-
Poids-Service de surveillance
-
Produits alimentaires diététiques
-
Produits cosmétiques et parfums
-
Produits de beauté et de toilette
-
Prothèses capillaires
-
Remplacement capillaire
-
Salon de bronzage
-
Salon de coiffure
-
Soins de peau-produits
-
Studio de santé
-
Surveillance du poids
-
Tatouage
-
Traitement
Dans un même ordre d'idée, l'épilation est une pratique
à ce point intégrée dans notre quotidien que courageuses
sont celles qui se permettent d'afficher leurs jambes nues et les aisselles
lorsqu'elles sont velues, n'est-ce pas? Combien pensent qu'il s'agit
de négligence ou ne comprennent pas qu'on puisse s'exhiber ainsi?
Trois portes d'entrées directes pour se faire faire le style glabre
: Electrolyse qui regroupe 71 commerces, Epilation qui
en compte 16 et Esthéticiennes qui nous offre 197 possibilités.
Ajoutons que pour être en mesure de suivre la mode des maillots
de bain et des dessous, on doit maintenant se faire faire le bikini
et, de plus en plus, le pubis - la forme en cœur serait très
prisée semble-t-il.
La rubrique Bronzage-Salon réfère, à 57
commerces. Tatouage, intervention à une époque réservée
aux motards et aux marins, regroupe 27 studios ; et pour avoir raison
des préjugés, on raffine le processus en parlant plutôt
aujourd'hui d'Art corporel et perçage, où l'on retrouve
huit artistes.
Bien que l'engouement soit relativement récent chez les jeunes,
le perçage corporel est une pratique très ancienne. Ici encore,
question de vaincre les préjugés, on raffine, on esthétise
avec une terminologie comme Perçage exotique du corps. La
mode du perçage se radicalise, on en est maintenant à la scarification
(marquage de la peau), et à la pose d'implants cutanés ce
qui pour plusieurs relève de la mutilation.
Quelques constats
Le poids, un problème de santé clinique
Les rubriques Obésité. Poids-Service de surveillance.
Surveillance du poids et Diète, renvoient toutes à Amaigrissement
et surveillance du poids. Avec cinq rubriques pour magasiner son
spécialiste, le poids est certainement un domaine très rentable.
Il s'agit effectivement du domaine qui compte le plus de portes d'entrées
dans ce que nous avons répertorié.
Sous Amaigrissement et surveillance du poids, on retrouve principalement
des cliniques médicales privées. Nous les avons contactées
pour connaître leur approche. Dans la majorité des cas, il
s'agit d'une approche pour perdre du poids par l'alimentation, avec
un suivi médical plus ou moins serré. Elles offrent une diète
alimentaire combinée avec un supplément de protéines
(sorte de potion magique à payer en sus). Selon le cas, on offre
aussi la possibilité de pratiquer le jeûne ou le jeûne
mitigé, c'est-à-dire 1, 2 ou 3 repas remplacés par la
dite potion magique. Parfois, une clinique complète le traitement
avec des séances de motivation ou d'entraînement physique,
ou encore avec des traitements complémentaires, contre la cellulite,
par exemple. Mais il s'agit d'exceptions.
On nous laisse donc entendre dans ce processus que les rondeurs sont
un problème de santé, un problème d'obésité
en puissance, lié essentiellement à une mauvaise alimentation.
Par conséquent, les solutions proposées passent également
par l'alimentation.
Il est surprenant de constater qu'il n'y a pas de rubrique Centres
de santé minceur, entreprise à qui le Réseau a déjà
décerné le prix On s'en balance!,. On les retrouve
sous Clinique de santé ou sous Amaigrissement et surveillance
du poids. On en arrive à souhaiter que le mot santé devienne
un jour un terme réservé.
Services esthétiques, un marché global
Un constat s'impose, l'esthétique est devenu un concept de mise
en marché qui s'étend aux milieux les plus diversifiés.
De plus en plus de commerces annoncent des services esthétiques
en complémentarité à leurs services spécifiques.
Par exemple, sous la rubrique Conditionnement physique-Santé
et exercices-Services, six centres de conditionnement physique spécifient
offrir des services d'ordre esthétique. Trois d'entre eux sont
exclusivement réservés aux femmes.
Les centres de santé offrent des soins dans le but de procurer
au corps bien-être et détente. Bien qu'il s'agisse pour l'instant
d'une minorité d'entre eux, quelques-uns intègrent divers
soins cosmétiques ou utilisent des pratiques venant des médecines
douces, comme la pressothérapie, pour contrer la cellulite, par
exemple.
La pratique médicale esthétisante
Dans le milieu médical, on fait de l'approche esthétique
une surspécialisation :
- Un ophtalmologiste offre, de la chirurgie esthétique
des paupières.
- Un oto-rhino-laryngologiste, déjà spécialiste en
maxilo-facial, s'occupe également de l'extérieur du visage,
en ajoutant la chirurgie esthétique à sa spécialité.
Même les médecines alternatives proposent divers services
qu'on pourrait qualifier de médecine
douce de la chirurgie esthétique :
- Un phytothérapeute propose des liftings préventifs par
l'herbologie.
- Deux acupuncteurs offrent des liftings esthétiques.
On peut donc supposer que d'autres ressources professionnelles offrent
des services du genre, sans toutefois en faire mention dans leur publicité,
du moins dans celle qu'on retrouve dans les Pages jaunes.
La tendance à publiciser l'impact esthétique de leur pratique
se trouve même chez certains
spécialistes qui, en raison de leur spécialité, interviennent
nécessairement sur l'image corporelle -
comme pour s'en faire une marque de commerce :
- C'est le cas pour six des 92 denturologistes et pour 17 des 536
dentistes.
- C'est le cas pour quatre des 16 dermatologues (un offre même
un rajeunissement de la peau sans chirurgie, un autre annonce pratiquer
de la dermatologie cosmétique, avec service de maquillage paramédical).
Si la chirurgie plastique s'est d'abord développée dans une
perspective corrective, ce n'est plus le cas -maintenant. On retrace
34 cliniques capillaires qui, outre les traitements préventifs
contre la perte des cheveux, offrent aussi un service de greffes capillaires
exécutées par des médecins spécialistes. Pourtant,
la calvitie ne présente aucun risque pour la santé, sinon
être victime d'une insolation.
On sent que chez plusieurs spécialistes, l'intérêt pour
l'art cosmétique se développe au détriment des soins
de santé. L'art dentaire semble avoir le vent dans les voiles avec,
entre autres, de nouvelles techniques comme les implants dentaires.
Il s'agit d'une technologie qui sert bien cette discipline, en ayant
souvent un impact remarquable sur le plan esthétique. C'est une
solution qui supplante celle popularisée dans les années '60,
les dentiers. Mais les dentiers sont des prothèses, si elles sont
inadéquates on les enlève, on les fait ajuster ou encore on
les fait refaire. Au contraire, les implants et les facettes en viennent
à faire partie de notre corps et peuvent causer des dommages importants.
Du moins, c'est ce que laisse supposer le grand nombre de poursuites
en lien avec ce type d'intervention, comme nous l'apprend le rapport
de recherche de la Clinique juridique de l'UQAM.
Quoi qu'il en soit, ces quelques exemples démontrent à quel
point l'esthétique prend de l'importance à l'intérieur
de plusieurs disciplines, notamment dans le milieu médical.
Les nouvelles technologies
Les progrès technologiques représentent des opportunités
financières alléchantes pour l'industrie cosmétique et
contribuent assurément à l'engouement pour ce type de «pratique».
Au même titre que les nouveaux produits et traitements qui promettent
des résultats comparables à la chirurgie esthétique.
Compte tenu du vieillissement de la population, qui ne veut pas voir
décliner ses capacités et sa qualité de vie, les technologies
(injections, implants, laser, etc.) qui permettent la reconstruction
du corps, pièce par pièce, ont un avenir prometteur.
Ces facteurs contribuent possiblement à l'intérêt de
plusieurs médecins à acquérir des notions élémentaires
en chirurgie esthétique. En effet, sous la rubrique Médecins-chirurgiens,
parmi les 54 cliniques offrant de tels services, seulement 13 mentionnent
que les interventions sont pratiquées par des chirurgiens esthétiques
ou des plasticien-ne-s. Pour les autres, il s'agit de médecins
généralistes et autres spécialistes de la santé.
La chirurgie esthétique peut donc être pratiquée par
des personnes non spécialisées.
La pratique esthétique médicalisée
Si les médecins s'intéressent à l'esthétique, à
leur tour, les milieux esthétiques s'intéressent au monde
médical, ou du moins, à ses techniques. C'est le cas des électrolystes
qui peuvent se procurer un laser et l'utiliser comme technique d'épilation,
sans aucune formation. D'autres méthodes pour transformer le corps
sont également appliquées sans nécessiter de diplôme
ou de permis particuliers. C'est le cas des tatoueurs, perceurs et autres
artistes du corps. Nous avons fait plusieurs appels et, en résumé,
un seul préalable est important pour exercer comme tatoueur
: avoir du talent en dessin. L'employeur se charge ensuite de donner
la formation nécessaire au futur artiste en tatouage. Il fait pratiquer
l'apprenti sur des peaux de cochon jusqu'à ce qu'il considère
qu'il est fin prêt à utiliser la nôtre comme canevas.
Nous avons identifié neuf façons d'intervenir pour contrer
la cellulite, allant des produits à base d'oligo-éléments
aux techniques comme la résonance magnétique, les électrodes,
le drainage lymphatique, etc. Nous pouvons opter pour une variété
de transformations, temporaires ou permanentes, des plus douces aux
plus draconiennes, allant de la crème anti-ride à l'abdominoplastie.
En quelques années, les liftings sont devenus disponibles sous
différentes options, en passant du monde médical aux soins
esthétiques dits naturels, aux produits maintenant disponibles
à notre pharmacie. Aujourd'hui, on «se fait les jambes»,
en viendrons-nous bientôt à «se faire le visage»?
Bien sûr, de la crème, au rasoir, au laser, au bistouri, il
y a, bien des pas ... Mais l'industrie de la beauté et de la mode,
les découvertes scientifiques et technologiques, les méthodes
douces qui remplacent les chirurgies - bref, le progrès semble
nous y conduire à petits pas. C'est ce qu'on appelle la démocratisation
des pratiques de transformation du corps, autrefois réservées
aux riches et célèbres.
Quand nous consultons les Pages jaunes, nous sommes déjà
prêtes à consommer un produit pour répondre à un
besoin. Pour susciter en nous ces besoins, parfois insoupçonnés,
les entreprises nous les font connaître, entre autres, par le biais
des magazines féminins comme on a pu le constater en première
partie de cette enquête. Il s'agit d'une stratégie de mise
en marché, un engrenage duquel il est de plus en plus difficile
de s'extirper, une fois qu'on y a mis le doigt, le nez, la lèvre,
la cuisse...
II. RESPONSABILITE
EN INTERVENTION ESTHETIQUE
Devant le constat du peu de réglementation régissant, entre
autres, la formation des nombreuses personnes exerçant dans l'industrie
des interventions esthétiques, nous avons demandé la collaboration
de la Clinique juridique de l'UQAM. Notre intérêt se portait
particulièrement sur la question des dommages corporels subis par
des femmes au cours d'une intervention esthétique.
Leur recherche a été effectuée à partir des plaintes
déposées par des femmes, suite à un préjudice lié
à une intervention esthétique. Elle s'est concentrée
autour de la notion d'imputabilité des médecins, c'est-à-dire
de leur responsabilité en regard des faits et gestes posés
dans le cadre de leur pratique. Leur recherche nous informe, entre autres,
sur ce à quoi doivent s'attendre les femmes qui voudraient porter
plainte.
Nous présentons donc dans cette partie de notre rapport d'enquête,
un résumé du rapport de recherche de la Clinique juridique
de l'UQAM. Nous vous invitons à consulter le rapport complet, présenté
en annexe.
D'abord un point d'éclaircissement
On doit faire une distinction claire entre un statut professionnel
et non professionnel. Les personnes détenant un statut professionnel
sont toutes soumises à un code de déontologie, tel que spécifié
par le Code des professions. Nous appellerons non-spécialistes,
les personnes qui n'ont pas besoin de permis pour exercer leur
métier.
Il est important de ne pas confondre un ordre professionnel et une
association. Des appellations qui ne garantissent absolument rien peuvent
facilement nous leurrer. N'importe qui peut mettre sur pied une association
et bien que certaines établissent des critères et des normes
à respecter, aucune loi ne les y oblige. Les ordres professionnels,
par contre, ont comme fonction principale d'assurer la protection du
public et se doivent de contrôler l'exercice de la profession par
leurs membres.
Il est donc fortement recommandé de vérifier si la personne
à qui l'on s'adresse est membre d'un ordre professionnel. Il s'agit
d'une façon de prévenir un certain nombre de mauvaises surprises.
Membre d'un ordre professionnel, la personne est ainsi soumise au code
de déontologie régissant sa profession; ne pas respecter ce
code peut mener jusqu'à sa radiation, provisoire ou permanente.
L'imputabilité
Toutefois, depuis les années '80, les non-spécialistes ont
également des obligations claires face à leurs actes (détails,
voir sections 2 et 3 du rapport de recherche de la Clinique). L'imputabilité
de tous et toutes, spécialistes et non-spécialistes, se résume
par cette formule : responsabilité = faute commise + préjudice
causé + lien clair de causalité entre la faute et le préjudice.
Actuellement, la plaignante a le fardeau de la preuve face aux poursuites
et ce, contre une personne de statut professionnel ou non. Il nous faut
donc prouver : et la faute, et le préjudice, et le fameux lien
de causalité.
Obligations
Au nombre des diverses obligations, il en est une fondamentale qui
s'adresse aux spécialistes comme aux non-spécialistes, soit
celle des moyens utilisés. C'est-à-dire l'obligation de faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour arriver aux résultats attendus.
Autant les neurologues que les coiffeur-e-s. Si une intervention ne
donne pas les résultats attendus, pour intenter une poursuite,
il faut prouver que l'intervention n'a pas été faite selon
les règles de l'art.
Dans les domaines non spécialisés, le lien de causalité
est en général plus facile à prouver que dans le domaine
médical. Par exemple, le lien est clair et il s'agit d'une faute
professionnelle de laisser une personne trop longtemps exposée
à une session de bronzage, avec des brûlures comme conséquences.
Dans le milieu médical, le processus est plus complexe, impliquant
souvent un comité de discipline, un syndic et un comité de
révision de l'ordre professionnel.
L'imputabilité spécifique aux médecins
Dans notre système juridique actuel, les femmes qui veulent être
indemnisées, doivent intenter une poursuite et gagner leur cause.
L'idéal serait qu'il y ait indemnisation sans égard à
la faute, comme dans le cas des accidents automobiles depuis la loi
de l'Assurance automobile du Québec. Mais puisque ce n'est pas
le cas et qu'il est très difficile de gagner une cause contre un-e
médecin, mieux vaut axer nos efforts sur la prévention en
choisissant un spécialiste à la lumière de nos obligations
et de nos droits respectifs, et en toute connaissance des risques que
nous allons courir.
Spécialistes versus interventions spécialisées
Comme nous avons pu le constater, il n'est pas nécessaire d'être
spécialisé en chirurgie pour effectuer des interventions chirurgicales.
Ce qui signifie qu'un-e dermatologue pourrait, légalement, pratiquer
une chirurgie à cœur ouvert sans risque de poursuite. Les
médecins peuvent, semble-t-il, pratiquer toutes les formes de chirurgies
qui existent avec un minimum de formation dans le domaine. La règle
cependant est de ne pas s'afficher comme spécialiste du domaine,
ou de manière à laisser croire qu'il ou elle détiendrait
un certificat dans cette spécialité.
Par conséquent, les causes gagnées contre les médecins
sont le plus souvent liées à des cas de publicité trompeuse
ou de fausse représentation. Toutefois, mis à part le risque
d'entacher sa réputation, la punition est minime, même en
cas de récidive. On peut en déduire que les profits sont considérables
parce que certain-ne-s récidivent plusieurs fois.
Les interventions de nature esthétique
Le domaine de la chirurgie esthétique présente une particularité
du fait que son but n'est pas thérapeutique. Dans le cas d'interventions
non thérapeutiques, les spécialistes sont soumis à des
obligations de moyens supérieures à celles des interventions
à visée curative. Il y a une attente logique augmentée
envers le résultat, puisqu'il s'agit de l'unique but de l'intervention.
Même exigence supérieure en regard du devoir d'information.
Le contrat médical
Le contrat médical prend sa source dans la relation de confiance
établie avec notre médecin. Comme usagères, nous avons
aussi des responsabilités. Entre autres, celle de collaborer au
traitement en fournissant franchement et au meilleur de notre connaissance,
toutes les informations qui pourraient avoir une incidence sur le résultat.
Une femme qui intente une poursuite doit être certaine d'avoir
rempli sa part du contrat car une faille à ce devoir suffit pour
perdre sa cause.
Devoir d'information
Le devoir d'information est celui auquel aucun-e professionnel-le ne
peut se soustraire. Le devoir d'information signifie fournir suffisamment
d'informations pour permettre aux personnes de faire un choix éclairé.
L'information doit être objective et claire. Très peu de causes
sont gagnées contre les médecins, autrement que par le biais
du devoir d'information.
Conclusion
Nous prenons des risques à nous faire soigner, risques supposés
inférieurs à ceux que l'on prendrait en refusant un traitement.
Or, même s'il ne s'agit pas de la même équation, lorsqu'il
est question d'une intervention d'ordre esthétique, plusieurs femmes
ont tendance à avoir la même confiance aveugle envers les
médecins. Vigilance, mesdames!
Afin de présenter une vision plus complète du dossier et
permettre au Réseau de mieux situer son action future, nous avons
fait l'inventaire des ressources proposant une alternative au discours
dominant, c'est-à-dire axé sur l'acceptation de soi et de
la diversité des modèles corporels. Le tableau, à la
page 42, présente la liste de ces ressources en indiquant les différents
axes de travail développés par chacune. Pour plus d'informations
sur ces ressources vous trouverez, en annexe, les fiches techniques
indiquant la mission et les coordonnées de chacune.
Il n'est pas très surprenant d'avoir trouver seulement 17 organismes
avec une approche alternative. D'abord, les groupes qui travaillent
exclusivement sur la question sont rares ; et les initiatives ponctuelles
réalisées par d'autres organisations n'ont jamais été
répertoriées.
Quelques constats
A partir du graphique qui suit, on observe que la majorité des
ressources travaillent sur l'image corporelle.
Précisons toutefois que lorsqu'il est question de l'image corporelle,
il est presque toujours question du poids, à l'exception de deux
ressources qui traitent de sexisme et des stéréotypes dans
les médias.
Le sexisme était une problématique beaucoup plus d'actualité
il y a une quinzaine d'années. Aujourd'hui, les deux ressources
qui en font leur mission, s'appuient essentiellement sur le travail
de bénévoles, n'ayant pas ou trop peu de financement. Comme
si la lutte contre le sexisme à la télévision dans les
années '80 avait porté fruit et que l'équité dans
les rapports homme/femmes était atteinte dans les contenus publicitaires!
Bref survol
Ainsi, au nombre des ressources que nous avons identifiées, celles
qui travaillent avec les femmes aux prises avec la boulimie et l'anorexie
abordent la question de l'image corporelle dans le cadre de leurs activités
de prévention. La pression pour ressembler au modèle médiatique
encourage l'obsession de la minceur et est considérée comme
un élément souvent en cause dans le développement des
troubles alimentaires.
Les ressources qui traitent de l'obésité font le même
constat. L'obsession de la minceur conduit à des comportements
alimentaires qui ont comme effets pervers de favoriser l'obésité.
Il existe un nouveau mouvement en Occident, le «fat acceptante»,
qui lutte contre l'oppression de la grosseur. Ce mouvement commence
à susciter suffisamment d'intérêt au Québec pour
qu'un groupe, encore très embryonnaire, soit en formation à
Montréal. Un autre serait aussi en train de se mettre sur pied
à Québec. Aucune coordonnée n'est disponible pour l'instant.
Nous avons approché le monde universitaire médical pour savoir
comment, dans le milieu de la recherche liée au poids, on abordait
la question et notamment la dimension de la discrimination liée
au poids. Une seule personne a répondu à notre appel, un chercheur
qui s'est dit peu intéressé par la question, même s'il
admet que ce travail doit être fait. Le monde de la recherche médicale
semble davantage préoccupé par des problèmes comme l'obésité
morbide. On peut comprendre que ce chercheur qui travaille à résoudre
des problèmes d'ordre médical soit plus intéressé
à pousser les techniques curatives, et nous pouvons supposer que
la réflexion sur l'impact de ces techniques relèvera d'un
autre département.
Par contre on retrouve dans notre liste des organisations qui évoluent
dans le champ de la santé publique. Elles ont un mandat d'éducation
et s'adressent à l'ensemble de la population. Ces organismes travaillent
souvent en partenariat et sont bien positionnés pour intervenir
auprès de la population, du monde médical et du gouvernement.
Projets en coups
Certains projets en cours méritent d'être suivis :
*Le Conseil du Statut de la femme s'intéresse à la question
et l'abordera dans une brochure destinée aux jeunes femmes qui
sortira à l'automne 2001.
*Le Groupe de Travail sur la problématique du poids de l'ASPQ
veut faire des interventions éducatives auprès des intervenant-e-s
du monde médical, afin de les sensibiliser à leur rôle
pour contrer l'oppression de la grosseur.
* Le projet pilote «Bien dans sa tête bien dans sa peau»
est en évaluation présentement. Ce programme, susceptible
d'être implanté dans les écoles à travers
le Québec d'ici quelques années, permettrait aux élèves,
et aux enseignant-e-s, de faire une réflexion sur leur rapport
à leur image corporelle.
En août 1998, le Réseau obtenait une subvention de trois
ans, pour la réalisation d'une initiative intitulée «Changements
sociaux en faveur de la diversité des images corporelles».
Les images omniprésentes du modèle unique de beauté féminine,
largement véhiculées par les médias et l'industrie de
la mode, ne sont pas sans conséquence sur la santé physique
et mentale des femmes. Analyser ce phénomène social, le remettre
en question allait permettre d'en produire une vision d'ensemble et
de développer un discours plus conforme à la réalité
des femmes.
Notre travail a d'abord porté sur la question du poids. Il était
nécessaire de s'attaquer à l'image sociale des femmes qui
nous est transmise par les médias. Il fallait aussi intervenir
auprès d'institutions-clés afin que leurs actions favorisent
l'acceptation de la diversité des formats corporels.
Nous avons donc développé et réalisé un plan stratégique
en faveur de l'acceptation des différents formats corporels et
y avons associé un grand nombre de femmes. Nous avons répondu
au besoin d'intervenir auprès d'institutions-clés pour éliminer
les attitudes discriminatoires à l'endroit des femmes de forte
corpulence.
Nous avons documenté la discrimination dont sont trop souvent
victimes les femmes rondes et les impacts de cette discrimination sur
leur santé et leur bien être. Ce faisant, nous avons sensibilisé
le public, en tant qu'agent de changements sociaux, à réagir
aux préjugés véhiculés.
Nous nous sommes aussi attaquées aux images négatives ou
avilissantes des femmes, dans les médias ou ailleurs, qui transmettent
des messages contribuant à maintenir les stéréotypes
et renforcent les attitudes négatives à l'endroit des femmes
de forte corpulence. Il fallait dénoncer les images stéréotypées
et contester l'information incomplète véhiculée. Nous
avons utilisé la Journée internationale sans diète au
Québec comme momentum de notre action. Les deux prix remis
par le Réseau font maintenant partie de la tradition printanière
et l'intérêt des médias pour la question ne cesse de
croître avec les années.
Pour la dernière année, les membres du conseil d'administration
ont choisi d'élargir le dossier à celui plus global de l'image
corporelle, la question de l'oppression vis-à-vis du corps des
femmes ne se limitant pas à la seule question du poids. L'enquête
réalisée nous a paru assez révélatrice. Les technologies,
les méthodes et les produits pour modifier le corps des femmes
se développent à un rythme effarant. Ce qui nous semblait
de la science-fiction il n'y a pas si longtemps fait aujourd'hui partie
de notre quotidien. Tout porte à croire que les transformations
du corps dans un dessein esthétique continueront à gagner
en popularité.
* D'après le Collège des médecins, de plus en plus de
résident-e-s choisissent de se spécialiser dans la chirurgie
esthétique. L'utilisation de la chirurgie esthétique pour
régler des problèmes reliés à l'estime de soi fait
de cette branche de la médecine un nouvel outil thérapeutique.
On doit questionner la pose d'implants mammaires sur une jeune fille
de 14 ans, d'autant plus qu'à cet âge une autorisation parentale
est requise. Une adolescente peut croire que c'est une question de survie
d'être à l'image de Britney Spears. Mais quand le désir
d'identification va jusqu'à la transformation de son propre corps,
c'est alarmant. Et quand un parent endosse l'idée que sa fille
va en retirer un réel mieux-être, c'est déconcertant.
On en est au point ou, aux Etats-Unis, des pères offrent des implants
mammaires à leur adolescente comme cadeau de graduation.
*On entend souvent dire qu'il s'agit d'un trait naturel chez la femme
de se préoccuper de son image. Pourtant, on observe depuis ces
dernières années la popularité grandissante des soins
de beauté qui s'adressent exclusivement aux hommes, tout comme
de la publicité leur étant destinée. Les hommes sont
de plus en plus préoccupés par les soins à apporter à
leur peau et à leur corps, par leur allure vestimentaire, par leur
ventre naissant, leur calvitie, etc. Ils sont eux aussi incités
à travailler leur image. L'influence du mouvement gai? Les nouvelles
exigences des femmes à leur égard? Le lobby des entreprises?
Sans doute un mélange de tout ça, ce qui prouve que sous la
pression sociale et l'influence de la publicité, les comportements
se modifient.
*À l'image de notre époque sans limite où les athlètes
prennent des stéroïdes pour atteindre des performances supérieures,
la chirurgie plastique fait maintenant la différence entre
gagner ou perdre dans des concours de beauté comme Miss univers.
Aucune règle ne fixe les limites des transformations physiques
pratiquées sur les candidates pour qu'elles atteignent des records
de «perfection». La femme est transformable, améliorable,
retouchable - infiniment perfectible -tout comme un produit, tout comme
Tide qui lave plus blanc que blanc, d'une formule à l'autre,
depuis des décennies. Et il est maintenant question de démocratisation
des transformations du corps.
* Société basée sur les profits + Pression exercée
sur les femmes pour correspondre à un modèle de beauté
plus virtuel que réel + Intérêts des industries concernées,
voilà une formule dangereuse pour la santé des femmes. Avec
la mondialisation, la tendance aura beau jeu pour poursuivre son développement.
Mais l'enjeu de la mondialisation, c'est de produire au moindre coût
sans égard à la qualité.
La santé des femmes représente donc un enjeu important des
avancées de la science et de la technologie. Un enjeu dont nous
débattons à peine, juste assez pour tendre vers sa banalisation.
Au nom du progrès et par la fascination qu'il exerce, on expérimente,
on transforme l'ordre du vivant : végétaux, animaux, êtres
humains. On industrialise : hormones, clonage, OGM, techniques de reproduction
dont nous faisons les frais, embryons surnuméraires des mères
porteuses, etc. Toutes ces réalités sont en interrelation.
La science s'approprie aujourd'hui la beauté, au même titre
qu'elle s'est appropriée la grossesse. Les femmes sont plus que
jamais chosifiées en produit de consommation.
Louise Vandelac, Indicatif présent, 14 mai 2001 : Pour savoir
ce qui va arriver aux femmes, regardons ce qui se passe aujourd'hui
avec les vaches. Et les vaches sont folles de répondre
Marie-France Bazo.
(Voir également à l'annexe B du rapport de
la Clinique juridique les questions qu'on nous suggère d'approfondir)
Les adolescentes étant particulièrement vulnérables
à la pression exercée en regard de l'image corporelle et les
femmes d'âge mûr étant la cible privilégiée
de l'industrie du rajeunissement, on devrait faire de ces deux groupes
d'âges une priorité dans la poursuite du dossier.
Obsession de la minceur
- Produire des outils d'éducation dans le but :
- de diffuser de l'information sur les risques pour la santé
des régimes alimentaires
- d'interpeller les femmes sur les raisons qui les motivent à
maigrir (plus souvent d'ordreesthétique que médical)
- Dénoncer les nouvelles méthodes d'amaigrissement qui font
perdurer l'obsession de la minceur
Oppression de la grosseur
- Poursuivre le travail de sensibilisation face à la discrimination
envers les femmes de forte corpulence
- Déposer la pétition à l'Assemblée nationale
- Réaliser une enquête auprès de femmes de forte taille
pour connaître leur point sur la qualité et l'accessibilité
de services de santé et sociaux
- Contrer le discours qui associe «rondeurs» à un problème
de santé, un problème d'obésité en puissance
- Faire pression pour l'utilisation d'une terminologie juste, afin
qu'on distingue et qu'on cesse de confondre obésité et rondeurs
Image corporelle
- Étoffer le dossier des interventions pratiquées sur le
corps dans un dessein esthétique :
- inventorier toutes les interventions disponibles,
- identifier les personnes autorisées à les pratiquer,
- produire une analyse détaillée de leurs coûts
(honoraires, temps de travail perdu, etc.),
- faire l'évaluation des risques liées à chaque
type d'intervention.* Produire des outils d'éducation
sur l'image corporelle dans le but :
- d'amener les femmes à développer un sens critique
vis-à-vis des professionnel-le-s de la santé qui participent
à l'industrie de l'esthétique,
- de développer leur sens critique face aux images que les
médias leur envoient
- Dénoncer la banalisation des interventions pour modifier le
corps, sans motivation quant à la santé:
- Amorcer un travail de réflexion sur les développements
technologiques et leur impact sur la notion d'imperfection physique
et le phénomène de normalisation qui s'en suit
- Surveiller ('impacts des tendances «pro image» et «pro
soins» sur la santé physique, mentale et économique
des femmes
- Dénoncer la non reconnaissance du pouvoir de séduction
et de la beauté des femmes d'âge mur
- Favoriser l'acceptation des contraintes physiques inhérentes
à l'âge ainsi que la reconnaissance des acquis développés
au cours des années
Action sociale : Journée internationale sans diète
- Étendre les activités réalisées pour souligner
la Journée internationale sans diète à l'ensemble du
Québec.
- En élargir le concept et en faire un événement médiatique
d'envergure pour la promotion de la diversité des corps. D'autres
modèles de beauté pourraient y être mis en valeur,
non seulement associés au poids. Il pourrait s'agir d'une parade
des «belles de la diversité» où l'on serait en
mesure de faire valoir la beauté remarquable de femmes ne répondant
pas nécessairement aux critères véhiculés.
- Associer nos membres et le public dans les mises en nomination,
sur une base continue tout au long de l'année.
Protection des droits des femmes
- Revendiquer que le mot santé devienne un
terme réservé qui exclut les approches essentiellement
esthétiques et l'art cosmétique
- Revendiquer que soient resserrées la formation et l'encadrement
des professionnel-e-s qui pratiquent la chirurgie esthétique
- Revendiquer l'établissement de normes pour assurer la qualité
des interventions esthétiques pratiquées par des non-spécialistes
pour modifier le corps des femmes et qui peuvent entraîner des
préjudices corporels
- Encourager les femmes à avoir recours à l'avis de plus
d'un-e professionnel-le avant d'accepter un diagnostique d'inaptitude
esthétique
- Informer les femmes sur les risques auxquels elles s'exposent
en se soumettant à des interventions sur leur corps dans un dessein
esthétique (il existe déjà un livre visant à informer
la population sur les risques reliés à la chirurgie esthétique)
- Informer les femmes des leurs droits et sur les recours dont elles
disposent, dans le cas des séquelles suite à une intervention
- Bien que dans le cadre de sa recherche, la Clinique juridique de
l'UQAM n'ait trouvé aucune plainte déposée contre des
personnes pratiquant le tatouage, le perçage, la scarification
ou la pose d'implants cutanés, l'engouement des jeunes pour cette
tendance semble suffisamment important pour donner priorité à
l'investigation des risques associés à ce type d'intervention.
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