ÉVOLUTION DE LA LOI RELATIVE AUX AGRESSIONS SEXUELLES
Rédaction :
Consultant :
Coordination :
Comité de lecture :
Marie-Claude Hudon
Stéphane Reynolds
Diane Lemieux
Catherine Bérard
Me René Turcotte, professeur
Faculté de Droit, Université de Sherbrooke
Jacynthe Lambert
Diane Lemieux
Linda Bérubé, CALACS de Rimouski
Christiane Ouellet, Point d'appui de Rouyn-
Noranda
Mise en page et
traitement de texte:
Monique Dulac
Isabelle Fontaine
Dans le présent document, le féminin désigne
aussi
bien les femmes que les hommes. Il en est de
même pour la forme masculine. Nous avons
voulu ainsi refléter la réalité des agressions
sexuelles, à l'effet qu'en général ces crimes
sont
commis par des hommes et que les victimes sont
en majorité des femmes.
Ce document a été
réalisé grâce à la contribution
du Programme de soutien aux organismes
communautaires
du ministère de la Justice du
Québec.
Le contenu n'engage que l'organisme.
Dépôt légal, 3e trimestre 1994
Bibliothèque Nationale du Québec
ISBN 2-9803350-4-5
Dépôt légal, 3e trimestre 1994
Bibliothèque Nationale du Canada
TABLE DES MATIÈRES
«L'agression sexuelle est différente d'un autre
crime. Dans la
majorité des cas, la cible est une femme et l'accusé un
homme.
Contrairement aux autres crimes de nature violente, ces
crimes
sont en grande partie non rapportés. Toutefois, il est
reconnu
que les femmes continuent d'être victimisées à un
rythme
alarmant et il existe certaines indications que le taux
déjà
effroyablement élevé d'agressions sexuelles est à
la hausse. En
ce qui concerne les agressions sexuelles, le taux de poursuite
et
de déclaration de culpabilité sont parmi les moins
élevés de tous
les crimes violents. Peut-être plus que dans le cas de tout
autre
crime, la crainte et la réalité constante de
l'agression sexuelle
influent sur la façon dont les femmes organisent leur vie
et
définissent leurs rapports avec l'ensemble de la
société».
L'honorable juge Claire L'Heureux-Dubé
dans l'affaire R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p.
9.
L'enquête sur la violence envers les femmes menée et
rendue publique en 1993 par
Statistique Canada a confirmé le fait que l'agression
sexuelle est Tun des crimes les moins
dénoncés. En effet, cette enquête indique que 39 %
des femmes ont déclaré avoir subi une
agression sexuelle. L'enquête rapporte que seulement 6 % de
ces agressions ont été signalées
à la police. Lorsque vient le temps d'affronter le
système judiciaire, la plupart des femmes,
tant les intervenantes que les femmes agressées, se sentent
démunies devant la complexité de
la loi et du processus judiciaire.
Parmi toutes ces lois, il y a bien sûr le Code
criminel. Cette loi fédérale régit et
sanctionne
les agressions sexuelles. Elle a subi de multiples changements au
fil des années. Plusieurs
documents traitant de cette évolution ont été
rédigés. Cependant, la rédaction des textes
rend souvent ceux-ci complexes pour quiconque veut en
entreprendre la lecture. Et la
quantité considérable de publications sur le sujet rend
souvent leur consultation ardue.
Conscientes de cette réalité, les responsables du
Regroupement québécois des CALACS nous
ont confié le mandat de produire un texte explicatif à
la fois simple et facile à consulter. Le
présent document est le fruit de ce travail. Il se
présente en trois parties, respectant ainsi les
grandes étapes de la réforme du Code criminel en
matière d'agressions sexuelles. Chaque
partie se divise elle-même en plusieurs sections
(définitions, peines, parties à l'infraction,
règles de preuve et publicité). Dans la mesure du
possible, nous avons illustré nos propos
d'exemples tirés de décisions rendues par les
tribunaux. Afin de vous permettre d'avoir une
vue d'ensemble sur les notions abordées dans le texte, nous
avons inclus deux tableaux
synthèse en annexe. Ce document prend tout son sens lorsque
l'on rappelle que les règles
de preuve utilisées au cours d'un procès sont celles
qui étaient en vigueur à la date de
l'infraction alors que les règles ayant trait à la
publicité et les peines imposés (si elles sont plus
douces) sont celles en vigueur au moment du procès.
Dans le présent texte, nous avons préféré
employer le terme «plaignante» plutôt que
«plaignant» (utilisé dans le Code
criminel). À notre avis, cela correspond mieux à la
réalité
sociale actuelle où les victimes d'agressions sexuelles sont
en grande majorité des personnes
de sexe féminin.
Enfin, nous désirons attirer votre attention sur une
«technicalité»: Les numéros d'articles
cités
sont ceux du Code criminel de l'époque concernée. Par
exemple, si quelqu'un recherche
l'article 246.1, qui traitait de l'agression sexuelle
«simple», il devra se référer dans un
Code
criminel édité entre 1983 et 1985. En effet, cet
article n'existait pas auparavant, et après
1985, les articles du Code ont subi un changement de
numérotation (l'article 246.1 est
maintenant l'article 271 C.cr.).
En comprenant l'évolution de la loi et sa situation
actuelle, vous serez plus en mesure d'en
saisir les impacts. Nous souhaitons que la maîtrise de ces
notions devienne un outil fort utile
dans le combat que vous livrez quotidiennement.
Les lois se sont montrées de tout temps
soupçonneuses et méfiantes à l'égard des
femmes et
des victimes d'agressions sexuelles. Les premières lois
adoptées sur le viol visaient la
protection des femmes en tant que propriété du
père et du mari. La question du viol,
lorsqu'elle était criminalisée, était le plus
souvent une question réglée par l'auteur du geste
et la famille de la victime. Les «sanctions»
étaient conséquentes à l'esprit possessif du
crime:
représailles militaires, indemnité au père ou
à l'époux selon le cas, mariage forcé...
À la fin du 13e siècle, le viol change
légèrement de statut: H devient davantage une
question
de sécurité et d'intérêt public. Jusqu'en
1983, d'ailleurs, ce crime est classé dans les crimes
contre les bonnes moeurs.
Au 19e siècle, les lois canadiennes (qui
s'inspirent largement du droit britannique)
commencent, très doucement, à concevoir le viol comme
une violation de la femme. Au
même moment, les tribunaux introduisent les notions de
consentement et de résistance en
insistant sur le fait que la victime devait prouver qu'elle avait
résisté de façon active à l'agres-
sion. À cette même époque également,
apparaît la peur des fausses plaintes; la moralité
et
la réputation de la victime deviennent aussi des questions
cruciales. Ces thèmes obsèdent
tout autant notre système judiciaire un siècle plus
tard... Si bien que les victimes de viol à
l'époque avaient intérêt à être
vertueuses, droites, vierges (sous la protection du père)
ou
mariées (sous la protection du mari)...
Au cours du 19e siècle, on assiste à un
léger glissement. La définition du viol se
rapproche
davantage du droit pour les femmes d'être
protégées contre les mauvais traitements sexuels
et du droit à une autonomie sexuelle. Ainsi les conditions
requises de ('ejaculation, de la
rupture de l'hymen et même de la pénétration
s'estompent.
20e siècle, peu de changements. Les
règles et la procédure spéciales,
exceptionnelles
rappelons-le, élaborées au fil des ans sont
fondées sur les mêmes perceptions et attitudes
qu'au siècle précédent.
Examinons de plus près les dispositions du Code criminel
qui ont donné le ton de
l'intervention judiciaire pour une grande partie du
20e siècle.
- Ils étaient regroupés à la partie IV du Code
criminel sous le titre: Infractions
d'ordre sexuel, actes contraires aux bonnes moeurs et
inconduite.
- Les principaux délits étaient: le viol, la
tentative de viol, l'attentat à la pudeur.
- L'article 143 C.cr. a défini ainsi le viol: «Une
personne du sexe masculin
commet un viol en ayant des rapports sexuels avec une femme qui
n'est pas
son épouse (...)». Le rapport sexuel devait être
obtenu sans consentement
ou suite à un consentement obtenu sous la menace, la
violence (on l'appelle
alors un consentement vicié).
- Pour obtenir une condamnation pour viol, la poursuite devait
établir la
preuve de quatre éléments:
- Un rapport sexuel, soit une pénétration même
à moindre degré
(article 3(6) du Code criminel). On parle ici d'une
pénétration
du pénis dans l'appareil reproducteur féminin.
L'expression
«même à moindre degré» signifie que le
pénis doit pénétrer au
moins les lèvres (petites ou grandes), peu importe le
degré de
pénétration; le rapport sexuel ne nécessite pas la
perforation de
l'hymen, ni la pénétration vaginale (ces critères
furent dégagés
par les tribunaux dans l'affaire R.c. Johns
(1956) 116 CGC
200). Sont donc exclues les pénétrations orale et anale
avec le
pénis ou les pénétrations vaginales avec un doigt
ou un objet.
L'article 3(6) du Code criminel posait de grandes
difficultés de
preuve.
- Absence de consentement de la plaignante aux relations ou
obtenu sous la menace, la violence ou de fausses
représentations
(notion laissée à l'interprétation des
tribunaux).
- La connaissance par l'accusé de l'absence de
consentement.
- L'absence de lien de mariage entre l'accusé et la
victime au
moment des événements.
- La peine maximale pour le viol était l'emprisonnement
à perpétuité.
- L'attentat à la pudeur a été défini
comme un comportement qui constitue
des voies de fait simples visant une atteinte à la
sexualité de la victime. Sa définition, contrairement à celle du viol, ne tient
pas compte du sexe de la
victime. Cet élément est toutefois important au niveau
de la peine.
La peine pour attentat à la pudeur variait selon le sexe
de la victime. Si
l'attentat à la pudeur était perpétré contre
une personne de sexe féminin,
la peine maximale était de 5 ans; s'il s'agissait d'une
victime de sexe
masculin, la peine maximale était de 10 ans.
Une multitude de gestes à connotation sexuelle pouvaient
constituer un
attentat à la pudeur (articles 149 et 156 du Code
criminel). Par exemple,
les tribunaux ont jugé que les comportements suivants
constituaient des
attentats à la pudeur: une fellation, la manipulation du
clitoris par un
médecin de façon non conforme à l'art
médical, des attouchements d'ordre
sexuel, le fait d'exhiber ses organes génitaux et de se
masturber devant
quelqu'un.
L'article 149 (2) prévoyait la question du consentement
vicié (obtenu sous
la menace, la violence ou de fausses représentations), de
façon semblable à
ce qui était édicté à l'article 143
concernant le viol. II revenait donc aux
tribunaux de définir ce qui constituait un consentement
vicié.
Si l'attentat à la pudeur était commis envers une
personne de moins de 14
ans, le consentement de celle-ci ne constituait pas une
défense (article 140
C.cr.).
- La tentative de viol était prévue à l'article
145 C.cr. Le législateur avait
tenu à séparer ce crime afin d'édicter des
sanctions plus graves que celles
généralement prévues pour les autres types de
crimes, mais le Code criminel
ne précisait pas ce qu'était une tentative de viol.
Cependant, les tribunaux
ont conclu que, lorsque l'accusé avait l'intention
avouée d'accomplir l'acte
complet mais qu'il persistait un doute quant à la
pénétration réelle du pénis
dans l'appareil reproducteur féminin, nous étions en
présence d'une
tentative de viol. Il était important que les gestes
posés par l'accusé
constituent plus qu'un simple acte préparatoire.
- La peine maximale pour la tentative de viol
était de dix ans
d'emprisonnement.
- Selon 143 C.cr., le viol et sa dynamique impliquaient un
homme agresseur
et une femme agressée.
- Pour ce qui est de l'attentat à la pudeur, si la victime
était une femme,
l'agresseur pouvait être de sexe féminin ou masculin.
Si la victime était un
homme, l'agresseur ne pouvait qu'être un homme.
- Le mari ne pouvait jamais être poursuivi pour le viol
de son épouse, même
s'ils vivaient séparés. Un homme pouvait être
accusé du viol de son épouse
seulement dans le cas où il participait à l'agression
de celle-ci par un autre
homme.
- Un garçon de moins de 14 ans ne pouvait être
accusé de viol ou de
tentative de viol (article 147 C.cr.).
Des règles de preuve particulières à ce domaine
reflétaient des idées héritées du
19e
siècle. Selon lesquelles une femme accuse un homme
uniquement pour se venger ou
tenter de sauvegarder sa réputation de fille de bonnes
moeurs. Par conséquent,
devant ce danger, il semblait normal au législateur et aux
tribunaux de faire bénéficier
l'homme accusé d'agression de moyens de protection
supplémentaires. De cette
façon, la gent masculine était prémunie contre les
accusations frivoles!
- La corroboration: Corroborer, c'est confirmer une
preuve amenée devant
le tribunal. Jusqu'en 1976, on ne pouvait rendre un
verdict de culpabilité
dans les affaires de viol et d'attentat à la pudeur sans
preuve venant
corroborer le témoignage de la victime. L'affaire
Thomas c. R., [1952]
103 C.C.C. 193, définit les deux attributs de la preuve
corroborante:
- Indépendance: La preuve doit émaner d'une source
autre que le
victime.
- Caractère substantiel: Les éléments
substantiels de l'infraction doivent
être corroborés.
L'article 142, qui édictait cette règle, fut
abrogé en 1976. Cependant,
certains juges continuèrent d'exiger la corroboration.
D'autres servirent au
jury une mise en garde quant au danger de condamner un individu
sur le
seul témoignage de la plaignante, sans confirmation de ce
dernier. La
question fut finalement réglée en 1982 par la Cour
suprême du Canada,
dans la cause Vetrovecc. R., [1982] 1 R.C.S. 811. Le plus
haut tribunal
du pays fit une critique et modifia les techniques de la
règle de la
corroboration, jugée trop complexe. Les tribunaux
commencèrent alors à
s'éloigner de l'application stricte de la règle de la
corroboration.
La doctrine de la plainte spontanée: Ce concept
provient de notre héritage
anglais en matière de lois criminelles. Il ne s'applique
qu'aux procès en
matière d'infractions sexuelles. En vertu de cette
règle, il est souhaitable
que la victime se confie à un tiers le plus tôt
possible après une agression,
ajoutant ainsi de la crédibilité à son
témoignage. En effet, selon la croyance
sous-jacente à cette règle, une femme vertueuse et de
bonnes moeurs
subissant une agression sexuelle va s'en plaindre à la
première opportunité
raisonnable. Si au contraire, elle ne porte pas plainte
immédiatement, on
peut présumer qu'elle a consenti aux relations. Les
tribunaux ont dégagé
des critères quant à l'admissibilité de cette
preuve. Par exemple, l'affaire
Timm c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 315, énonce
les critères suivants:
- La plainte ne doit pas avoir été obtenue par des
questions suggestives,
comme: «Avez-vous été violée?». La
victime doit avoir parlé
spontanément.
- Les témoignages de la victime et de la personne qui a
reçu la plainte
doivent être compatibles.
- Avant d'admettre une preuve de plainte spontanée, le
juge doit
l'analyser et vérifier si elle rencontre les conditions
énumérées
(moment, questions suggestives, compatibilité).
- Le jury détermine quelle valeur donner à la plainte
(en d'autres mots,
les jurés ont le choix de croire ou non la plaignante).
Le comportement sexuel de la plaignante: Notre
héritage anglais en matière
de lois criminelles permettait à un accusé de mettre en
preuve le passé de
la victime avec d'autres personnes. Cette preuve visait à
ébranler la
crédibilité de la plaignante et à tenter de
démontrer le consentement. Elle
est admissible sans autres formalités que la règle de
la pertinence, ce qui
signifie que l'avocat de l'accusé pouvait poser toutes les
questions qu'ils
souhaitait mais devait toutefois prouver la pertinence de ces
dernières au
procès en cours afin qu'elles soient admissibles. En 1976,
le législateur vint
toutefois restreindre ce moyen de preuve en imposant certaines
conditions
d'application. Ainsi, l'article 142 spécifiait que
l'accusé devait produire un
avis écrit s'il désirait poser des questions sur le
passé sexuel de la plaignante.
Le juge entendait, en l'absence des membres du jury et du public
(à huis
clos), les questions et décidait de leur pertinence dans le
procès. L'article
142 C.cr. permettait d'interroger la plaignante sur son
passé sexuel lors de
ce huis clos, mettant ainsi l'emphase sur la relation entre le
passé sexuel de
la plaignante et sa crédibilité. Voici deux causes
illustrant ce principe:
R.. c. Moulton, [1979] W.W.R. 82
La crédibilité de la plaignante est une question de
fait. La plaignante
peut donc être contre-interrogée et on peut
réfuter (contredire) ses
réponses au sujet de sa conduite sexuelle avec d'autres
personnes.
Forsythe c. La Reine, [1980] 53 C.C.C. (2nd)
225
Définit les deux objectifs de l'article 142:
- Alléger le traumatisme, l'humiliation et l'embarras
causés à la
plaignante par le dévoilement de son comportement sexuel
avec
d'autres personnes.
- Équilibrer les droits de l'accusé.
- L'article 442(1) C.cr. autorisait l'exclusion du public dans
certaines
circonstances. L'alinéa (3) du même article permettait
l'obtention d'une
ordonnance de non-publication couvrant l'identité de la
plaignante et le
contenu de sa déposition.
En 1983, le législateur canadien a amendé le Code
criminel. En fait, les féministes
réclamaient cette réforme depuis longtemps. L'objectif
avoué de cette réforme était de faire
de la loi un instrument plus efficace de répression contre
les agressions sexuelles, d'améliorer
l'expérience des femmes victimes vécue au sein de
l'appareil judiciaire et d'éliminer la
discrimination sexuelle dans le traitement des infractions
sexuelles. Sans faire l'unanimité, ces
modifications ont reçu un large appui du mouvement
féministe et de la population.
Le projet de Loi C-127 modifiait assez substantiellement les
règles de fond et de preuve
applicables aux infractions sexuelles:
- Les crimes de viol, de tentative de viol, d'attentat à
la pudeur sont abolis pour être
remplacés par une structure d'infractions d'agression
sexuelle à trois paliers. Les
nouvelles infractions sont introduites dans la partie du Code qui
concerne les infrac-
tions contre la personne.
- Le crime d'agression sexuelle n'est plus lié au sexe des
personnes en cause.
- Il n'est plus nécessaire de prouver la
pénétration pour obtenir une condamnation.
- Plusieurs règles de preuve spéciales sont
abolies:
- suppression de la plainte spontanée;
- suppression de la nécessité de la
corroboration;
- interdiction de présenter toute preuve relative à
la réputation sexuelle;
- interdiction également en ce qui concerne les
antécédents sexuels sous réserve
de certaines exceptions.
- Un homme peut être accusé d'agression sexuelle
à l'endroit de son épouse.
- Le pouvoir discrétionnaire des juges est
limité.
Les amendements de 1983 ont atteint en partie les objectifs
initiaux. Le taux de signalement
des agressions sexuelles a augmenté à l'échelle
nationale. Il semble toutefois qu'on peut
attribuer ce changement davantage aux efforts d'information sur
le phénomène. Malgré ce
«succès», l'agression sexuelle demeure l'un des
crimes contre la personne les moins dénoncés
(1/5 si on est optimiste, 1/10 si on est pessimiste...). Par
ailleurs, le taux de mise en
accusation est semblable à celui avant les modifications.
Quant au taux de condamnation,
il n'y a pas véritablement de moyen de le vérifier
faute de système statistique fiable.
Finalement, le type d'accusation portée est le plus souvent
celui d'agression sexuelle «simple».
Entrée en vigueur le 4 janvier 1983, voyons comment la
Loi modifiant le Code criminel en
matière d'agression sexuelle a transformé le
traitement de ce crime.
- Les crimes de viol, tentative de viol et attentat à la
pudeur sont abrogés.
- On les remplaça par le concept d'agression sexuelle,
présentant trois niveaux de
gravité: l'agression sexuelle «simple»,
l'agression sexuelle «armée» et l'agression
sexuelle «grave».
- Par ces nouvelles distinctions, on veut soustraire le crime
à son contexte sexuel pour
faire reconnaître son caractère violent. Ces nouvelles
infractions sont insérées à la
Partie VI du Code criminel: Infractions contre la
personne et la réputation.
(N.B.: Aujourd'hui (1993), nous retrouvons ce titre à la
Partie VIII du Code
criminel.)
- Le sens à donner au mot agression est déjà
connu, mais la définition de sexuelle ne
se retrouve nulle part dans le Code criminel. Après une
période d'incertitude, la
Cour suprême du Canada a finalement établi les
critères permettant de distinguer
le caractère sexuel d'une agression (Affaire R. c.
Chase, [1987] 2 R.C.S. 293).
Le critère adopté est objectif. La question à se
poser est: «Compte tenu de toutes
les circonstances, une personne raisonnable pouvait-elle
percevoir le contexte sexuel
ou charnel de l'agression?». Parmi les circonstances, on
peut noter, par exemple:
la partie du corps touchée, la nature du contact, la
situation, les paroles et gestes
accompagnant l'acte, les autres circonstances (incluant menaces
ou emploi de la
force), le dessein ou l'intention de la personne qui commet
l'acte (tirer un plaisir
sexuel); ce dernier mobile demeure un facteur parmi plusieurs
autres et son
importance varie selon les circonstances.
- L'agression sexuelle implique deux éléments: une
agression et une atteinte
simultanée à la sexualité de la victime provenant
de l'agression.
- Cette infraction englobe une très grande
variété d'actes. Elle n'est pas
limitée à l'ancien concept de viol
(pénétration de l'appareil reproducteur
féminin par le pénis). Ainsi, l'agression
sexuelle inclut autant les
attouchements que le viol collectif. Bien sûr, comme nous
le soulignions
auparavant, le degré de violence détermine si
l'agression est simple, armée
ou grave. L'agression sexuelle «simple» peut se
définir de la façon suivante:
Toute agression sexuelle ne présentant pas le degré de
violence requis pour
la qualifier d'agression sexuelle armée ou grave.
L'agression sexuelle
«simple» est donc celle présentant le
caractère le moins violent.
La peine maximale pour l'agression sexuelle «simple»
est de 10 ans (article
246.1 C.cr.).
- On retrouve à l'article 246.2 C.cr. plusieurs types
d'actes qui, combinés à
une agression sexuelle, présentent un degré de violence
plus grand que celui
de l'agression sexuelle simple.
- Sont regroupées dans ce type d'infraction, les
agressions sexuelles présentant
l'un des caractères suivants:
- Port, utilisation ou menace d'utilisation d'une arme;
- Menace d'infliger des lésions corporelles à une
autre personne
que la plaignante (par exemple, à son enfant);
- Infliction de lésions corporelles à la
plaignante;
- Commission de l'agression avec la complicité d'une
autre
personne.
- Par exemple, le tribunal a considéré les
agressions suivantes comme entrant
dans la catégorie des agressions sexuelles armées:
L'accusé en état d'ébriété s'est
introduit dans l'appartement de la
victime. Armé d'un couteau, il a forcé la victime
à avoir des relations
sexuelles (R. c. Boulanger, Cour des Sessions de la
paix, Abitibi, 615-
01-000665-888, 615-01-000669-880, J.E. 88-1150).
La plaignante a fait la connaissance de l'accusé dans une
discothèque.
Elle s'est ensuite rendue à l'appartement de l'accusé
pour y boire de la
bière. Elle a refusé les avances de l'accusé, mais
a finalement dû s'y
soumettre lorsque ce dernier a menacé de faire usage d'une
arme à feu
L'accusé a agressé son ex-épouse en la
menaçant avec un couteau. Elle
n'a subi aucune blessure physique, mais elle conserve
d'importantes
séquelles psychologiques (Rajotte c. R., Cour
d'appel, Montréal, 500-
10-000217-917, J.E. 92-327).
L'accusé a forcé la plaignante à le suivre chez
lui. En route, il l'a
menacée avec un couteau. Par la suite, ils ont eu des
relations
sexuelles. Cependant, elle n'a subi aucune blessure physique
(Tait c. R.,
Cour d'appel, Montréal, 500-10-000020-923, J.E.
92-930).
- Le terme lésions corporelles (246.2 b)) est
défini à l'article 245.1 (2)
C.cr.: Blessure qui nuit à la santé ou au
bien-être du plaignant et qui n'est
pas de nature passagère ou sans importance.
- La peine maximale d'emprisonnement pour le crime d'agression
sexuelle
armée est de 14 ans.
- Dans l'agression sexuelle grave, l'accusé, en
commettant l'agression sexuelle,
blesse, mutile, défigure la plaignante ou met sa vie en
danger. Par exemple:
L'accusé a commis une agression sexuelle de façon
préméditée et à
caractère très violent, causant des traumatismes graves
chez la femme
agressée (Pronovost c. R., [1987] R.J.Q. 1485,
J.E. 87-815).
L'accusé a commis deux agressions sexuelles. La
première, sur une
adolescente, fut précédée d'une séquestration
et accompagnée de
blessures. Dans la deuxième, l'accusé s'est introduit
de nuit chez une
inconnue pour la séquestrer, proférer des menaces
à son endroit,
l'agresser sexuellement et avoir avec elle des relations anales.
Les
séquelles sont importantes chez les deux plaignantes,
particulièrement
dans le cas de la deuxième qui venait de subir un traitement
médical
pour un cancer du sein (R. c. Bélanger, [1992]
R.J.Q. 2710, J.E. 92-
1679).
- Le terme blessure implique l'infliction de
lésions corporelles, mais d'une
gravité supérieure à celle rencontrée dans
l'agression sexuelle armée.
- La peine maximale pour l'agression sexuelle grave
est l'emprisonnement à
perpétuité.
- La tentative d'agression sexuelle n'est plus une infraction
expressément
prévue au Code criminel. Tout emploi de la force
contre une autre
personne suffit pour constituer une agression, si l'auteur est
(ou semble être)
en mesure d'accomplir son dessein. Par conséquent, une
personne tentant
d'agresser sexuellement quelqu'un devrait être accusée
d'agression sexuelle,
même si l'agression n'est pas «réussie».
- Le législateur a délaissé le schéma
homme agresseur - femme agressée.
L'agression sexuelle n'est pas définie comme la
pénétration du pénis dans
l'appareil reproducteur féminin. L'accusé et la
plaignante peuvent donc être
de l'un ou l'autre des sexes.
- L'époux peut être inculpé d'agression
sexuelle sur la personne de sa
conjointe. La cohabitation des deux conjoints au moment de
l'infraction
importe peu (article 246.8 C.cr.).
- La personne de moins de 14 ans n'a plus d'immunité
face aux agressions
sexuelles, elle peut être accusée.
La corroboration; Corroborer, comme nous l'avons vu
auparavant, c'est
confirmer une preuve amenée devant le tribunal. La
corroboration n'est
plus nécessaire pour déclarer une personne coupable
d'agression sexuelle.
De plus, le juge doit s'abstenir d'aviser le jury qu'il est
imprudent de
déclarer l'accusé coupable en l'absence de
corroboration (article 246.4
C.cr.).
La doctrine de la plainte spontanée: Les
règles concernant la plainte
spontanée sont abolies en matière d'agression sexuelle
(article 246.5 C.cr.).
Rappelons qu'en vertu de cette règle, il était
souhaitable pour la victime de
se confier à un tiers le plus tôt possible après
une agression, ajoutant ainsi
de la crédibilité à son témoignage.
Malgré son retrait au Code criminel, un
préjugé subsiste toujours à l'effet qu'une femme
agressée sexuellement
devrait s'en plaindre immédiatement.
La réputation sexuelle de la plaignante: II est
maintenant interdit d'interroger
la plaignante sur ce sujet (article 246.7 C.cr.), si cette preuve
vise
seulement à attaquer ou à défendre sa
crédibilité. La constitutionnalité de
cet article a été reconnue dans l'affaire
Seaboyer (voir à la section suivante
intitulée DE SEABOYER À LA RÉFORME DE 1992
pour de plus amples
détails). La réputation sexuelle est l'impression
générale qui se dégage d'une
personne. Ce n'est pas un geste ou un acte particulier.
Le comportement sexuel antérieur de la plaignante;
Les circonstances dans
lesquelles le tribunal peut accepter les preuves sur le
comportement sexuel
antérieur de la plaignante ont été limitées
(article 246.6 Ccr.). Les
antécédents sont des actes précis (pas une
réputation générale) posés par la
plaignante avec l'accusé ou d'autres personnes et que la
défense désire
amener en preuve. Cela est admis dans les trois cas suivants:
a) La défense désire réfuter la preuve d'un
comportement sexuel
présentée par la poursuite. Par exemple, fa
poursuite tente
d'établir la chasteté de la plaignante (ou sa morale
sexuelle sans
reproche). La défense peut alors tenter de discréditer
cette
réputation en amenant devant le tribunal la preuve du
comportement sexuel antérieur de la plaignante. Cela
peut
permettre d'établir que cette dernière n'est pas de
moeurs
chastes.
b) L'activité sexuelle passée
peut permettre d'établir l'identité de
la personne ayant eu avec la plaignante des rapports sexuels
lors de l'événement mentionné dans
l'accusation. Par
exemple, l'accusé prétend qu'il n'y a pas eu de
relation sexuelle
entre lui et la plaignante, mais entre la plaignante et
quelqu'un
d'autre. Pour cela, il désire mettre en preuve les
relations
sexuelles antérieures entre la plaignante et ce même
individu.
Ainsi, l'accusé tente par ces faits d'établir la
probabilité que la
relation sexuelle qui fait l'objet de l'acte d'accusation a eu
lieu
entre la plaignante et cet autre individu.
c) Une activité sexuelle a eu lieu en
même temps que celle à
l'origine de l'accusation et la preuve porte sur le
consentement
apparemment donné par la plaignante, selon les
prétentions de
l'accusé. Selon la défense, le comportement de la
plaignante a
amené l'accusé à croire au consentement de cette
dernière. Par
exemple, dans l'affaire R. c. Bresse, Vallières et
Théberge,
[1978] 48 C.C.C. (2d) 78, (Cour d'appel), la plaignante
s'est
rendue chez l'un des accusés. Le premier accusé,
laissé seul avec
elle, l'a menacée, agressée et a eu une relation
sexuelle avec la
plaignante. Par la suite, les deux autres accusés eurent
des
relations avec celle-ci, sans résistance ni tentative de sa
part de
quitter les lieux. Peu de preuves viennent soutenir une
manifestation du désaccord de la victime aux relations
sexuelles
avec ces deux accusés. Ces derniers n'étaient pas
présents
lorsque les menaces furent proférées à la jeune
fille ni lorsqu'elle
fut assaillie par le premier accusé. Il est donc possible
qu'en
l'espèce ils aient eu une croyance honnête mais
erronée au
consentement de la plaignante à avoir des relations avec
eux.
Il y a des règles techniques à respecter avant de
présenter cette preuve; une
demande à cet effet doit être présentée au
juge (article 246.6 al. 2, 3 fit
4 C.cr.). La constitutionnalité de cet article fut
abordée dans l'affaire
Seaboyer (voir à la section suivante intitulée
DE SEABOYER À LA
RÉFORME DE 1992 pour de plus amples détails).
- Comportement de l'accusé; En règle
générale, les actes antérieurs illégaux
d'un accusé sont irrecevables pour prouver l'accomplissement
probable de
l'acte illégal faisant l'objet du procès en cours.
Cependant, une telle preuve
peut être admise si elle est jugée pertinente et
importante. Les tribunaux
ont accepté la preuve de faits similaires, c'est-à-dire
que l'accusé a fait la
même chose ou quelque chose de semblable à la victime
elle-même ou à une
autre personne. L'utilité d'un tel argument est de venir
confirmer les autres
éléments de preuve présentés contre
l'accusé. Ce principe est confirmé
dans l'affaire R. c. Green, [1988] 1 R.C.S. 228:
Un homme de 46 ans, célibataire et professeur, est
accusé de deux
agressions sexuelles sur une fille et un garçon. Son
comportement
envers d'autres enfants a été jugé admissible en
preuve, puisqu'il
revêtait un caractère identique (systématique).
Les gestes posés étaient
similaires dans tous les cas. Ici, le tribunal ne cherche pas
à savoir si les
actes commis avec d'autres enfants constituaient des
agressions
sexuelles; cette preuve de faits similaires est admissible pour
juger
uniquement de l'acte reproché.
Notons que la décision finale quant à
l'admissibilité de cette preuve
appartient au juge qui a entière discrétion.
- L'article 442 C.cr. permet le huis clos (exclusion des
membres du public de
la salle d'audience). Cela survient lorsque le juge est d'avis
que les
circonstances de la cause peuvent amener chez le témoin une
tension le
rendant incapable de témoigner, risquant ainsi de nuire
à l'administration de
la justice (Lefebvre c. La Reine, RJ.Q.P. 84-366
(C.A.Q.)).
- L'article 442(3) C.cr. permet d'obtenir une ordonnance de
non-publication
couvrant l'identité de la plaignante et le contenu de sa
déposition.
- Les tribunaux ont accordé, en de rares occasions, la
non-publication des
renseignements relatifs à l'accusé. Une telle
permission est justifiée si les
données fournies permettent également d'identifier la
plaignante. Elle ne
peut pas être arbitraire; elle doit reposer sur un fondement
rationnel.
- Ces dispositions confèrent au juge un pouvoir
discrétionnaire très grand.
C'est à lui de décider s'il accorde ou non le huis clos
ou l'ordonnance de
non-publication, selon son appréciation des
circonstances.
1991, quelques jours après l'annonce d'une Commission
d'enquête sur la violence faite aux
femmes, la Cour suprême provoque un revirement par son
jugement dans l'affaire Seaboyer.
Elle décide que limiter les preuves sur le comportement
sexuel d'une plaignante contrevenait
au droit de l'accusé à une défense pleine et
entière. Ce jugement est un retour en arrière
puisqu'il réintroduit l'utilisation judiciaire du passé
sexuel des femmes (en étirant la liste des
circonstances donnant lieu à des preuves sur le comportement
sexuel). De plus, le plus haut
tribunal du pays rétablit le pouvoir discrétionnaire
des juges pour évaluer l'admissibilité de
ces preuves. Pourtant, la réforme de 1983 avait voulu
limiter ce pouvoir discrétionnaire
justement pour stopper son utilisation discriminatoire et
abusive.
Les critiques de ce jugement ont été virulentes.
Cette décision laisse entendre que si une
femme a déjà consenti à une relation sexuelle avec
l'accusé ou avec d'autres partenaires, la
Cour sera autorisée à en tenir compte pour
démontrer que l'accusé a cru à un
consentement.
Distinction d'autant plus subtile quand on sait que cette
croyance n'a pas à être
«raisonnable», elle doit être tout au plus
«sincère». Pire encore, le décision permet
de
présenter des preuves concernant le passé sexuel
même si elles n'étaient pas connues de
l'accusé (la preuve d'actes similaires). C'est une
façon détournée de faire allusion à la
«réputation» sexuelle d'une femme. La Cour
suprême a ainsi permis de faire indirectement
ce qu'elle prétend vouloir empêcher.
Dans son jugement, la Cour suprême du Canada déclara
donc certains articles du Code
criminel inopérants (sans effet). Jetons donc un
coup d'oeil sur cette cause (R. c. Seaboyer,
[1991] 2 R.C.S. 577).
La question soulevée était: Les articles 276 et 277
du Code criminel portent-ils atteinte aux
droits fondamentaux de l'accusé (droit à un procès
équitable et à une défense pleine et
entière) garantis par la Charte canadienne des droits et
libertés? L'article 276 interdit
l'admission de preuve concernant le comportement sexuel de la
plaignante. L'article 277
prohibe la preuve de réputation sexuelle visant uniquement
à attaquer ou à défendre la
crédibilité de la plaignante.
La réputation ne se rapporte pas à un geste ou un
acte particulier, mais concerne plutôt
l'impression générale se dégageant d'une personne
(exemple: réputation d'être une fille
«facile»). Le comportement, contrairement à la
réputation, n'est pas une impression générale
des gens au sujet de quelqu'un. Il est constitué par les
actes précis posés par la plaignante
avec l'accusé ou d'autres personnes que l'accusé.
Le plus haut tribunal du pays a maintenu la validité de
l'article 277 (c'est-à-dire
l'inadmissibilité de la preuve de réputation sexuelle
pour attaquer la crédibilité). Il a jugé que celui-ci ne violait pas les droits fondamentaux
protégés par la Charte, tels le droit à un
procès
équitable et à une défense pleine et entière.
Selon les juges, il n'existe aucun lien rationnel
entre la réputation sexuelle d'une femme et sa
crédibilité comme témoin.
La décision ne fut pas la même dans le cas de
l'article 276 (preuve de comportement
sexuel). Ainsi, il fut jugé que cet article pouvait
empêcher l'admission d'arguments
susceptibles d'être pertinents et utiles pour la
défense. Si l'on refuse ces preuves, on risque
de voir condamné un innocent, allant ainsi à l'encontre
des principes de notre système de
droit. Même si le but visé par cet article (abolir
l'usage sexiste et dépassé de preuves
concernant le comportement sexuel) est très important, cela
porte trop atteinte aux droits
fondamentaux protégés par la Charte. La disposition a
donc été déclarée invalide (sans
effet).
Par la suite, les juges ont tenu à édicter quelques
principes de base destinés à remplacer la
règle écrite qu'ils venaient d'abroger. Ils voulaient
éviter le vide juridique causé par
l'abolition d'une disposition qui n'est pas remplacée par
une autre. H fallait suppléer à
l'absence de règle jusqu'à ce que le législateur
adopte un nouvel article.
La réponse ne tarda pas à venir: Des changements
furent apportés au Code criminel l'année
suivant le jugement, soit en 1992 (Loi modifiant le Code
criminel (agression sexuelle),
Chapitre 38 des lois fédérales de 1992). Le texte
de ces changements est précédé par un
préambule1 (introduction) spécifiant le
contexte et les buts de cette nouvelle législation
(à
noter que ce préambule ne se retrouve pas dans le Code
criminel, mais seulement dans le
texte de la nouvelle loi). Le législateur y souligne que la
preuve relative au comportement
sexuel antérieur de la plaignante est rarement pertinente
lors d'un procès pour infraction
d'ordre sexuel.
Regardons maintenant l'état des infractions relatives aux
agressions sexuelles au lendemain de
l'entrée en vigueur des nouveaux articles du Code
criminel. II faut prendre note que les
dispositions concernant la nature des délits, les peines,
les parties à l'infraction n'ont pas été
modifiées. Seules certaines règles relatives à
la preuve ont subi un changement.
le texte de ce préambule apparaît à la
page 49.
Les règles concernant les délits et les peines sont
les mêmes qu'avant les modifications.
Le seul changement est la numérotation des articles,
modifiée en 1985. Nous
effectuons un bref rappel des concepts vus précédemment
(voir section A de la partie
DE 1983 ÀSEABOYER (1991)).
- Les crimes de viol, tentative de viol et attentat à la
pudeur n'existent plus depuis
leur abrogation en 1983. Ils ont été remplacés par
le concept d'agression sexuelle,
présentant trois niveaux de gravité: l'agression
sexuelle «simple», l'agression sexuelle
armée et l'agression sexuelle grave.
- Par ces nouvelles distinctions, on veut soustraire le crime
à son contexte sexuel pour
faire reconnaître son caractère violent.
- La Cour suprême du Canada a établi les
critères permettant de distinguer le
caractère sexuel d'une agression (Affaire R. c.
Chase [1987] 2 R.C.S. 293). Le
critère adopté est objectif. La question à se
poser est: «Compte tenu de toutes les
circonstances, une personne raisonnable pouvait-elle percevoir le
contexte sexuel
ou charnel de l'agression?».
- Ces infractions se retrouvent à la Partie VIII du
Code criminel: Infractions contre
la personne et la réputation.
- Le concept est le même depuis 1983; il se retrouve
à l'article 271 C.cr.
- L'agression sexuelle implique deux éléments: une
agression et une atteinte
simultanée à la sexualité de la victime provenant
de l'agression.
- Cette infraction englobe une très grande
variété d'actes. Elle n'est pas
limitée à l'ancien concept de viol
(pénétration de l'appareil reproducteur
féminin par le pénis). Ainsi, l'agression
sexuelle inclut autant les
attouchements que le viol collectif. Bien sûr, comme nous
le soulignions
auparavant, le degré de violence détermine si
l'agression est simple, armée
ou grave. L'agression sexuelle «simple» peut se
définir de la façon suivante:
Toute agression sexuelle ne présentant pas le degré de
violence requis pour
la qualifier d'agression sexuelle armée ou grave.
L'agression sexuelle
«simple» est donc celle présentant le
caractère le moins violent.
De l'arrêt
Seaboyer à la réforme de
1992
La peine maximale pour l'agression sexuelle «simple»
est de 10 ans (article
27l (t)a)C.cr.).
A-2 L'agression sexuelle armée
- On retrouve à l'article 272 C.cr. plusieurs types
d'actes qui, combinés à
une agression sexuelle, présentent un degré de violence
plus grand que
l'agression sexuelle simple.
- Sont regroupées dans ce type d'infraction, les
agressions sexuelles présentant
l'un des caractères suivants:
- Port, utilisation ou menace d'utilisation d'une arme;
- Menace d'infliger des lésions corporelles à une
autre personne
que le plaignant (par exemple, à son enfant);
- Infliction de lésions corporelles au plaignant;
- Commission de l'agression avec la complicité d'une
autre
personne.
- Par exemple, le tribunal a considéré les
agressions suivantes comme entrant
dans la catégorie des agressions sexuelles armées:
L'accusé en état d'ébriété s'est
introduit dans l'appartement de la
victime. Armé d'un couteau, il a forcé la victime
à avoir des relations
sexuelles (R. c. Boulanger, Cour des Sessions de la
paix, Abitibi, 615-
01-000665-888, 615-01-000669-880, J.E. 88-1150).
La plaignante a fait la connaissance de l'accusé dans une
discothèque.
Elle s'est ensuite rendue à l'appartement de l'accusé
pour y boire de la
bière. Elle a refusé les avances de l'accusé, mais
a finalement dû s'y
soumettre lorsque ce dernier a menacé de faire usage d'une
arme à feu
(Gervais c. R., [1990] R.L 305, j.E. 90-991).
L'accusé a agressé son ex-épouse en la
menaçant avec un couteau. Elle
n'a subi aucune blessure physique, mais elle conserve
d'importantes
séquelles psychologiques (Rajotte c. R., Cour
d'appel, Montréal, 500-
10-000217-917, ].E. 92-327).
L'accusé a forcé la plaignante à le suivre chez
lui. En route, il l'a
menacée avec un couteau. Par la suite, ils ont eu des
relations
sexuelles. Cependant, elle n'a subi aucune blessure physique
(Tait c. R.,
Cour d'appel, Montréal, 500-10-000020-923, J.E.
92-930).
Le terme lésions corporelles (272. b)) est
défini à l'article 267 (2) C.cr.:
Blessure qui nuit à la santé ou au
bien-être du plaignant et qui n'est pas
de nature passagère ou sans importance.
La peine maximale d'emprisonnement pour l'agression sexuelle
armée est de
14 ans (article 272 C.cr.).
- Dans l'agression sexuelle grave (article 273 Ccr.)
l'accusé, en commettant
l'agression sexuelle, blesse, mutile, défigure la plaignante
ou met la vie de
celle-ci en danger. Par exemple:
L'accusé a commis une agression sexuelle de façon
préméditée et à
caractère très violent, causant des traumatismes graves
chez la femme
agressée (Pronovost c. R., [1987] R.J.Q. 1485, J.E.
87-815).
L'accusé a commis deux agressions sexuelles. La
première, sur une
adolescente, fut précédée d'une séquestration
et accompagnée de
blessures. Dans la deuxième, l'accusé s'est introduit
de nuit chez une
inconnue pour la séquestrer, proférer des menaces
à son endroit,
l'agresser sexuellement et avoir avec elle des relations anales.
Les
séquelles sont importantes chez les deux plaignantes,
particulièrement
dans le cas de la deuxième qui venait de subir un traitement
médical
pour un cancer du sein (R. c. Bélanger, [1992]
R.J.Q. 2710, J.E. 92-
1679).
- Le terme blessure implique l'infliction de
lésions corporelles, mais d'une
gravité supérieure à celle rencontrée dans
l'agression sexuelle armée.
- La peine maximale pour l'agression sexuelle grave est
l'emprisonnement à
perpétuité (273 (2) C.cr.).
- La tentative d'agression sexuelle n'est plus, depuis 1983,
une infraction
expressément prévue au Code criminel. Tout
emploi de la force contre une
autre personne suffit pour constituer une agression, si l'auteur
est (ou
semble être) en mesure d'accomplir son dessein. Par
conséquent, une
personne «tentant» d'agresser sexuellement quelqu'un
devrait être accusée
d'agression sexuelle, même si l'agression n'est pas
«réussie».
Les règles concernant les parties à l'infraction
sont les mêmes qu'avant les
modifications.
- Depuis 1983, le législateur a délaissé le
schéma homme agresseur - femme
agressée. L'agression sexuelle n'est pas
définie comme la pénétration du
pénis dans l'appareil reproducteur féminin.
L'accusé et le plaignant peuvent
donc être de l'un ou l'autre des sexes.
- L'époux ou l'épouse peut être inculpé
d'agression sexuelle sur la personne
de son conjoint. La cohabitation des deux conjoints au moment
de
l'infraction importe peu. Le seul changement est le numéro
d'article, en
1985 (article 278 C.cr.).
- La personne de moins de 14 ans n'a plus d'immunité
face aux agressions
sexuelles, elle peut être accusée.
C'est à ce sujet
que la réforme de 1992 a apporté des
modifications. Elles sont identifiées dans le
présent
document par /.
- La corroboration; (Aucun changement depuis la
réforme de 1983, sauf la
numérotation de l'article en 1985) Corroborer, comme nous
l'avons vu
auparavant, c'est confirmer une preuve amenée devant le
tribunal. La
corroboration n'est plus nécessaire pour déclarer
coupable une personne
accusée d'agression sexuelle. De plus, le juge doit
s'abstenir d'aviser le jury
qu'il est imprudent de déclarer l'accusé coupable
en l'absence de
corroboration (article 274 C.cr.).
- La doctrine de la plainte spontanée: (Aucun
changement depuis la réforme
de 1983, sauf la numérotation de l'article en 1985) Les
règles concernant
la plainte spontanée sont abolies en matière
d'agression sexuelle (article 275
C.cr.). Rappelons qu'en vertu de cette règle, il
était souhaitable pour la
victime de se confier à un tiers le plus tôt possible
après une agression,
ajoutant ainsi de la crédibilité à son
témoignage. Malgré son retrait au Code
criminel, un préjugé subsiste toujours à l'effet
qu'une femme agressée
sexuellement devrait s'en plaindre immédiatement.
- La réputation sexuelle de la plaignante: (Aucun
changement depuis la
réforme de 1983, sauf la numérotation de l'article en
1985) II est interdit
d'interroger la plaignante sur sa réputation sexuelle
(article 277 C.cr.), si
cette preuve vise seulement à attaquer ou à
défendre sa crédibilité. La
validité constitutionnelle de cet article a été
reconnue dans l'affaire Seaboyer
(voir ci-dessus en introduction pour de plus amples
détails). Un rappel: La
réputation sexuelle ne se rapporte pas à un geste ou un
acte particulier, mais
concerne plutôt l'impression générale se
dégageant d'une personne
(exemple: réputation d'être une fille
«facile»).
S Consentement de la
plaignante;Les modifications tentent de préciser
ce
concept. En effet, l'article 273.1 est ajouté au Code
criminel et définit la
notion de consentement comme un accord volontaire à
l'activité sexuelle.
La disposition énuméré ensuite les cas
où l'on ne peut déduire le
consentement:
- L'accord est manifesté non par la plaignante, mais par
des
paroles ou le comportement d'une tierce personne.
- La plaignante est incapable de former un consentement.
- L'accusé incite la plaignante à l'activité
sexuelle par abus de
confiance ou de pouvoir.
- La plaignante manifeste, par ses paroles ou son
comportement,
l'absence d'accord à l'activité sexuelle.
- Après avoir consenti à l'activité, la
plaignante manifeste, par ses
paroles ou son comportement, l'absence d'accord à la
poursuite
de celle-ci.
Cette liste n'est pas limitative et d'autres circonstances
peuvent permettre
d'en arriver à une conclusion d'absence de consentement:
/ La croyance au consentement; (Article 273.2
C.cr.) Désormais, l'accusé
ne pourra plus se défendre en affirmant qu'il croyait que la
plaignante
consentait à l'acte sj:
- Cette croyance provient de l'affaiblissement (volontaire)
des
facultés de l'accusé. Par exemple, si
l'accusé a bu de l'alcool
ou a consommé des drogues affaiblissant ses facultés.
Il est fort
probable que cette disposition ait été
édictée pour contredire la
position adoptée par la Cour suprême dans l'affaire
R. c. Varsil,
[1981] 1 R.C.S. 469. Les juges du plus haut tribunal du pays
avaient alors émis l'opinion que l'ivresse de l'accusé
pouvait être
pertinente pour déterminer la connaissance que celui-ci
avait des
circonstances. Cet arrêt n'a jamais été
plaidé par la suite dans
d'autres causes et son principe fut complètement
renversé en
1992 par l'introduction de l'article 273.2 C.cr.
- Cette croyance provient de l'insouciance de l'accusé
ou de son
aveuglement volontaire (il refuse de
percevoir le non-
consentement de la plaignante). Voici quelques exemples:
Un homme s'est introduit dans l'appartement de son ex-
amie, la menaçant, l'insultant et la blessant. Elle a
laissé
l'homme avoir des relations sexuelles avec elle, tout en
pleurant. L'accusé a plaidé la croyance honnête
mais
erronée au consentement. Cette défense fut
rejetée,
puisqu'il y a eu aveuglement volontaire de la part de
l'accusé (Gélinas c. R., ).E. 91-25,
non-répertorié
(C.A.)).
L'accusé et la plaignante ont vécu ensemble pendant
une
année. Cette dernière mis fin à la relation. Plus
tard,
l'accusé s'introduit chez elle par effraction. Devant
ses
menaces et son comportement violent, la plaignante a eu
des rapports sexuels avec l'accusé. Elle a agi ainsi dans
le
but de le calmer et d'éviter d'autres actes de violence.
Accusé d'agression sexuelle, l'accusé a soutenu
qu'il
croyait sincèrement au consentement de la victime. Sa
défense fut rejetée, car l'accusé s'est
«fermé les yeux»
devant la réalité. Il a fait preuve d'ignorance
volontaire,
car il savait ou aurait dû savoir que le consentement de
la plaignante était forcé (Sansregret c.
R., [1985] 1
R.C.S. 570).
L'accusé ne pourra pas invoquer la croyance au
consentement s'il n'a pas
pris des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour
s'assurer de
celui-ci. Le terme «mesures raisonnables» est un
concept difficile à cerner,
mais ces deux causes démontrent l'application qu'en font
jusqu'à maintenant
les tribunaux. Ce concept n'étant pas clairement
défini, il est possible de
croire qu'il pourrait être contesté dans le futur.
la distinction entre l'absence de consentement et
ta croyance au consentement se résume ainsi: II
est possible que même s'il ressort clairement qu'il
n'y a pas eu de consentement de ta part de la
plaignante, l'accusé prétende que tes circonstances
l'ont amené à croire au consentement de celle-cl
te tribunal évaluera alors si la croyance était
sincère et honnête,
/ Le comportement sexuel antérieur de la
plaignante: Le comportement,
contrairement à la réputation, n'est pas une impression
générale des gens au
sujet de quelqu'un. Il est constitué par les actes
précis posés par la
plaignante avec l'accusé ou d'autres personnes que
l'accusé. La défense
peut, si elle le désire, amener ces actes en preuve.
Cette disposition constitue le changement majeur de la
réforme de 1992.
L'article 276 (ancien) est remplacé par l'article 276 C.cr.
(nouveau). En
vertu de ce nouveau texte, la preuve d'une activité sexuelle
antérieure de
la plaignante avec l'accusé ou une autre personne est
irrecevable si, par ce
moyen, la défense tente de démontrer que:
- Par son activité sexuelle antérieure, la plaignante
est plus
susceptible d'avoir consenti à l'acte à l'origine de
l'accusation;
on tenterait de prouver que, puisqu'elle avait
consenti
antérieurement, elle a consenti aussi lors de l'acte
reproché à
l'accusé.
- Par son activité sexuelle antérieure, la plaignante
est moins digne
de foi; on veut établir ainsi que, vu le comportement
sexuel
antérieur de la plaignante, on peut difficilement la
croire
lorsqu'elle soutient avoir été victime d'une
agression.
Cependant, cette preuve d'activité sexuelle
antérieure de la plaignante peut
être admise si l'accusé en fait la demande au juge. La
procédure à suivre est
prévue aux articles 276.1 à 276.5 C.cr. La demande doit
être formulée
par écrit et le juge tient une audience à huis clos (en
l'absence du jury et du
public). La plaignante n'est pas un témoin contraignable
lors de cette
demande d'audition (elle ne peut être forcée à
témoigner). Dans l'intérêt
de la justice et pour préserver la vie privée de la
plaignante, le contenu de
la demande d'audition ne peut être rendu public.
Dans le processus de décision, le juge tient compte des
facteurs suivants:
- L'intérêt de la justice, incluant le droit de
l'accusé à une défense
pleine et entière;
- L'intérêt de la société à
encourager la dénonciation des
agressions sexuelles;
- La possibilité, dans de bonnes conditions, de parvenir
à une
décision juste grâce à cette preuve;
- Le besoin d'écarter de la recherche des faits toute
opinion ou
préjugé discriminatoire;
- Le risque de susciter abusivement chez le jury des
préjugés, de
la sympathie ou de l'hostilité;
- Le risque d'atteinte à la dignité de la plaignante
et à son droit à
la vie privée;
g) Le droit de la plaignante et de chacun à la
sécurité de leur
personne, ainsi qu'à la pleine protection et au
bénéfice de la loi;
h) Tout autre facteur jugé pertinent selon les
circonstances.
La preuve deviendra admissible si, au cours de l'audition, le
juge en arrive
à la conclusion que:
- La preuve porte sur des activités sexuelles
particulières (des faits
précis et non une réputation générale);
- Elle a un lien avec la présente cause;
- Son importance est plus forte que le risque d'effet
néfaste sur la
bonne administration de la justice.
- Aucun changement depuis la réforme de 1983, sauf la
numérotation de
l'article en 1985.
- L'article 486 C.cr. permet le huis clos (exclusion des
membres du public de
la salle d'audience). Cela survient lorsque le juge est d'avis
que les
circonstances de la cause peuvent amener chez le témoin une
tension le
rendant incapable de témoigner, risquant ainsi de nuire
à l'administration de
la justice (Lefebvre c. La Reine, R.J.Q.P. 84-366
(C.A.Q.)).
- L'article 486(3) C.cr. permet d'obtenir une ordonnance de
non-publication
couvrant l'identité de la plaignante et le contenu de sa
déposition.
- Les tribunaux ont accordé, en de rares occasions, la
non-publication des
renseignements relatifs à l'accusé. Une telle
permission est justifiée si les
données fournies permettent également d'identifier la
plaignante.
- Comme nous l'avons vu auparavant (partie DE 1983 À
SEABOYER), ces
dispositions confèrent au juge un pouvoir
discrétionnaire très grand. C'est
à lui de décider s'il accorde ou non le huis clos ou
l'ordonnance de non-
publication, selon son appréciation des circonstances.
- L'accusé soutient que la plaignante a consenti aux
actes sexuels. Par
exemple:
L'accusé prétend que la plaignante n'a opposé
qu'une résistance timide
et qu'il y a eu plusieurs rapports sexuels avec le consentement
de celle-
ci. La plaignante soutient au contraire qu'elle a protesté
et résisté. Le
tribunal a retenu la version de la plaignante et
déclaré l'accusé coupable
de viol. Dans un tel cas, le tribunal décidera quelle
version lui semble
la plus plausible et retiendra celle-là pour rendre sa
décision.
- L'accusé soutient qu'il croyait
sincèrement mais erronément au
consentement de la plaignante aux actes sexuels. D'après
les tribunaux,
cette croyance doit seulement être honnête; elle n'a
pas à être raisonnable.
Si l'accusé prouve sa conviction sincère au
consentement de la victime, il y
a acquittement. Par exemple:
L'accusé et la plaignante ont vécu ensemble pendant
une année. Cette
dernière a mis fin à la relation. Plus tard,
l'accusé s'introduisit chez elle
par effraction. Devant ses menaces et son comportement violent,
la
plaignante a laissé l'accusé avoir avec elle des
rapports sexuels. Elle a
agi ainsi dans le but de le calmer et d'éviter d'autres
actes de violence.
Accusé d'agression sexuelle, l'accusé a soutenu qu'il
croyait sincèrement
au consentement de la victime. Sa défense fut rejetée,
car l'accusé s'est
«fermé les yeux» devant la réalité. Il a
fait preuve d'ignorance
volontaire, car il savait ou aurait dû savoir que le
consentement de la
plaignante était forcé (Sansregret c. R., [1985]
1 R.C.S. 570). La
croyance au consentement n'était pas honnête.
- La preuve de l'accusé quant à sa croyance
honnête doit cependant rendre
un tel argument vraisemblable, réaliste. Par exemple:
L'accusé a réussi à pénétrer dans
l'appartement de la plaignante, qui ne
le connaissait pas, en prétendant être un ami de sa
compagne de
chambre. Une fois à l'intérieur, il a menacé la
victime et lui a donné
un coup. Puis il a eu avec elle des rapports sexuels. En
défense, il a
plaidé sa croyance au consentement de la plaignante à
avoir des
relations sexuelles. Cette défense fut rejetée; il
n'existait aucune
circonstance pouvant rendre cette croyance vraisemblable. En
d'autres
mots, rien dans le comportement de la plaignante, dans les
paroles
échangées, n'aurait pu lui laisser croire que celle-ci
consentait à avoir
des rapports sexuels (R. c. Robertson, [1987] 1
R.C.S. 918).
- La personne acceptant de se soumettre à l'acte sexuel
sous la menace ne
fournit pas un consentement volontaire. L'accusé ne peut
donc se défendre
en soutenant que la plaignante consentait. Par exemple:
La femme agressée a affirmé ne pas avoir
résisté à son agresseur, car
elle avait été forcée de se soumettre aux
relations sexuelles. Le juge,
après avoir entendu les divers témoins, a conclu à
la véracité de la
version de la plaignante. Le consentement donné n'était
pas volontaire
et l'accusé le savait, donc il y a eu agression
(Daigneault c. R., J.E. 90-
992, non-répertorié (C.A.)).
- Tel que vu précédemment, la croyance au
consentement ne peut provenir
(article 273.2):
a) de l'insouciance ou l'aveuglement volontaire.
Par exemple,
l'affaire Sansregret (ci-dessus) illustre bien ce
principe. Un autre
exemple:
Un homme s'introduit dans l'appartement de son ex-amie, la
menaçant, l'insultant et la blessant. Elle a laissé
l'homme avoir
des relations sexuelles avec elle, tout en pleurant.
L'accusé a
plaidé la croyance honnête mais erronée au
consentement.
Cette défense fut rejetée, puisqu'il y a eu aveuglement
volontaire
de la part de l'accusé (Gélinasc. R.,
).E. 91-25, non-répertorié
(ÇA.)).
b) de l'affaiblissement (volontaire) des facultés
de l'accusé.
c) du fait de ne pas avoir pris les mesures raisonnables
pour
s'assurer du consentement de la plaignante.
D-3 Défense d'automatisme non démentiel
(blackout)
- L'accusé peut prétendre qu'un abus d'alcool ou de
drogue l'a rendu
inconscient de ce qu'il faisait. Notons que c'est le seul cas
où un accusé
pourra invoquer son intoxication. L'état d'automatisme non
démentiel est
très rare. Cela peut parfois arriver à des
personnes très endurcies à l'alcool,
tel les alcooliques. Seule une ingestion énorme d'alcool ou
encore de
drogue peut entraîner un tel état. Cela peut permettre
à l'accusé d'être
déclaré non responsable criminellement, étant
donné qu'il ne savait pas ce
qu'il faisait.
- L'accusé peut parfois établir de façon
prépondérante son aliénation mentale.
Si ces troubles mentaux le rendent incapable de juger de la
nature et de la
qualité de l'acte commis ou de savoir que cet acte est
mauvais, il ne peut
être déclaré coupable. Dans ces conditions,
l'aliénation mentale constitue
une cause d'irresponsabilité en matière criminelle
(article 16 C.cr.).
- Un accusé ne pourra invoquer son état d'ivresse
pour démontrer qu'il ne
savait pas ce qu'il faisait. (À moins, tel que vu
précédemment, que l'état
d'ivresse soit extrême et que l'accusé soit en
«blackout».) Par exemple:
L'accusé, ivre, a forcé la plaignante à avoir
des relations sexuelles et à
accomplir d'autres actes humiliants, sous la menace d'un
couteau.
L'accusé a plaidé que, par son ivresse, il avait
été incapable de savoir
qu'il commettait un viol. Sa défense fut rejetée
(Leary c. R., [1978]
1 R.C.S. 29).
L'accusé a été reconnu coupable d'avoir
forcé la plaignante à avoir des
relations sexuelles et de lui avoir causé des lésions
corporelles. Il a
soutenu qu'il avait attaqué la plaignante à cause de
son état d'ivresse.
Cette défense fut jugée irrecevable (R. c.
Bernard, [1988] 2 R.C.S.
833).
- Selon l'article 273.2 C.cr., un accusé ne peut plaider
l'intoxication
volontaire (ivresse) pour soutenir son ignorance du
non-consentement, de
sa croyance erronée au consentement de la plaignante.
Jusqu'à présent,
personne n'a contesté la validité de cette disposition.
De l'avis de certains
juristes, elle pourrait être contestée sous l'angle de
la Charte des droits et
libertés comme violant le droit fondamental de
l'accusé à une défense pleine
et entière, droit garanti par l'article 7.
- L'accusé prétend qu'il a commis l'acte
reproché sous l'effet d'une contrainte
«extérieure» exercée par menace de mort
immédiate ou de lésions
corporelles. La défense de contrainte ne peut être
soulevée dans les cas
d'agression sexuelle (article 17 C.cr.).
Un tableau synthèse des diverses défenses possibles
est présenté à la page suivante.
La loi relative aux agressions sexuelles a subi d'importantes
modifications au fil des années.
Ainsi, on a abrogé les crimes de viol, tentative de viol et
attentat à la pudeur, pour les
remplacer par le concept d'agression sexuelle, crime
présentant trois niveaux de gravité.
Plusieurs règles de preuve ont été modifiées
ou abolies: plainte spontanée, corroboration,
antécédents sexuels de la plaignante, et autres. De
plus, l'immunité dont bénéficiait le
conjoint agressant sexuellement son épouse a été
supprimée; un mari peut désormais être
accusé d'un tel crime. Quant à la réforme de 1992,
elle modifie essentiellement les règles
relatives à la preuve. Ainsi, elle clarifie la notion de
consentement et elle précise la
procédure applicable qui régit la preuve de
comportement sexuel antérieur.
De telles modifications législatives ne surviennent
jamais par hasard. La loi relative aux
agressions sexuelles a évolué en grande partie
grâce aux pressions constantes des groupes de
femmes. Malgré ces gains incontestables, les critiques
exprimées quant à la réponse judiciaire
aux cas de violence sont sérieuses. En d'autres mots, nous
n'en sommes plus à une question
de législation, mais plus globalement à des questions
d'interprétation et d'administration de
la justice.
En fait, les bévues du système judiciaire relatives
à la réalité de la violence faite aux femmes
sont liées à la fois aux difficultés
associées au statut de «victime» dans le
système et à
l'inadaptation plus généralisée aux questions qui
concernent les femmes. En effet, le
traitement des victimes et des témoins par l'appareil
judiciaire a fait l'objet de débats ces
dernières années. Ont été soulevées,
entre autre, des questions ayant trait à la
réparation,
à la protection, à l'indemnisation, aux délais,
aux services d'aide, aux conditions générales de
participation des témoins et victimes à
l'administration de la justice. Les femmes, en tant que
victimes et témoins de crimes, partagent donc la
réalité commune de l'ensemble des victimes
et témoins d'actes criminels. Mais elles sont également
piégées par une autre réalité: celle
d'être femme, victime de gestes qui soulèvent
impuissance, ignorance et quelques fois
incompréhension pouvant aller jusqu'au mépris. Le
système judiciaire, à toutes ces étapes,
n'est pas exempt de ces attitudes et comportements.
Les quelques progrès constatés ces dernières
années ne nous permettent certainement pas de
conclure que notre système de justice soit plus rationnel et
plus juste envers les femmes. La
justice n'est pas neutre. Comme le signalait les documents de
préparation au Colloque
national sur la femme, le droit et la justice en 1991
à Vancouver: «On applique aux
femmes un droit pénal, des règles de preuve et de
procédure conçus par des législateurs
masculins, appliqués par une magistrature masculine afin de
contrôler des actes commis
en grande majorité par des hommes. Toute personne ayant le
pouvoir de décision est non
seulement munie de textes juridiques, mais également de tout
un lot de valeurs,
d'expériences et d'hypothèses qui sont
profondément ancrées en e//e».
Notre société doit avoir un message clair:
Lorsqu'une personne a des attouchements sexuels
avec une autre personne sans obtenir le consentement de celle-ci
ou sans prendre les mesures
raisonnables pour assurer qu'il v a consentement, il
s'agit d'un comportement coupable sur
le plan social et pénal.
Le système judiciaire est une institution fondamentale
dans notre société. Ce n'est pas le seul
instrument pour prévenir la violence des hommes envers les
femmes. Mais il doit, lui aussi,
combattre la tolérance à ce phénomène. Toute
loi ou règle de preuve qui favorise ou
entraîne la non-dénonciation de crimes devient
forcément une mesure anti-sociale et dans ce
cas-ci, discriminatoire puisqu'elle vise particulièrement
les femmes.
«J'ai honte de dire en tant que juriste et ex-juge
que le système juridique a
laissé tomber les femmes [...]. Les femmes
perçoivent souvent le système
juridique comme étant aliénant et oppressif [...].
Espérons que les années 90
mettront fin au visage cruel de
l'inégalité».2
Extrait d'un discours prononcé par l'honorable juge
Bertha Wilson à Toronto le 26 mal 1991 lors de la convention
nationale de l'Association
«B'nal Brlth Women of Canada».
JURISPRUDENCE
Notion de corroboration:
Thomas c. R., [1952] 103 CGC 193
Vetrovecc. R., [1982] 1 R.C.S. 811
Notion de plainte spontanée:
Timm c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 315
Notion de comportement sexuel antérieur de la
plaignante:
R. c. Moulton, [1979] W.W.R. 82
Forsythe c. La Reine, [1980] 53 C.C.C. (2nd)
225
53
Notion de contexte sexuel de l'agression:
R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293
Notion d'agression sexuelle armée:
R. c. Boulanger, Cour des Sessions de la paix,
Abitibi, 615-01-000665-888, 615-
01-000669-880, J.E. 88-1150
Gervais c. R., [1990] R.L. 305, J.E. 90-991
Rajotte c. R., Cour d'appel, Montréal,
500-10-000217-917, J.E. 92-327
Tait c. R., Cour d'appel, Montréal,
500-10-000020-923, J.E. 92-930
Notion d'agression sexuelle grave:
Pronovostc. R.f [1987] R.J.Q. 1485, J.E.
87-815
R. c. Bélanger, [1992] R.J.Q. 2710, J.E.
92-1679
Notion d'admission du comportement sexuel antérieur de
la plaignante:
R. c. flresse, Vallières et Théberge,
[1978] 48 C.C.C. (2d) 78, (Cour d'appel)
Notion de comportement de l'accusé:
R. c. Green, [1988] 1 R.C.S. 228
Notion de huis clos:
Lefebvre c. La Reine, R.J.Q.P. 84-366
(C.A.Q.)
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
R. c. Varsil, [1981] 1 R.C.S. 469
Notion de défense d'erreur de fait:
Célinas c. R., J.E. 91-25,
non-répertorié (ÇA.)
Sansregret c. R., [1985] 1 R.C.S. 570
R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918
Daigneaultc. R., J.E. 90-992, non-répertorié
(ÇA.)
Notion de défense d'ivresse:
Learyc. R., [1978] 1 R.C.S. 29
R. c. Bernard, [1988] 2 R.CS. 833
BARIL, Micheline, Marie-Josée BETTEY et Louise VIAU,
Les agressions sexuelles avant et
après la réforme de 1983; Une évaluation
des pratiques dans le district judiciaire de
Montréal. Université de Montréal,
Centre International de Criminologie Comparée et
Faculté
de Droit, Montréal, mars 1989.
BOILARD, Jean-Guy, Manuel de preuve pénale.
Éd. Yvon Biais, Cowansville, 1991.
MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Section de la
Recherche, Vue d'ensemble. La
loi sur les agressions sexuelles au Canada: Une
évaluation, Rapport #5, Ottawa, 1990.
MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, Section de la
Recherche, Examen de la
jurisprudence en matière digression sexuelle.
1985-1988. La loi sur les agressions
sexuelles au Canada: Une évaluation. Rapport #6,
Ottawa, 1992.
RUEBSAAT, Gisela. Les nouvelles infractions en matière
digression sexuelle: Question
juridique d7actualité. La loi sur
les agressions sexuelles au Canada: Une évaluation,
Rapport
#5, Ministère de la Justice du Canada, Ottawa, 1990.
STANLEY, Marilyn G. Les victimes de viol et la justice
pénale avant le projet de loi C-l 27.
La loi sur les agressions sexuelles au Canada: Une
évaluation, Rapport #\, Ministère de
la Justice du Canada, Ottawa, Juillet 1985.
57
L'ÉVOLUTION DE LA LOI RELATIVE AUX AGRESSIONS
SEXUELLES
Le Regroupement québécois des CALACS (centres d'aide
et de lutte contre les agressions
à caractère sexuel) vous annonce la parution du
document «L'évolution de la loi relative aux
agressions sexuelles». Ce document se veut un guide pratique
pour toute personne qui côtoie
la réalité des agressions sexuelles.
II se présente en trois parties, respectant les grandes
étapes de la réforme du Code criminel
en matière d'agressions sexuelles:
1° De 1976 à 1983
2° De 1983 à l'arrêt Seaboyer (
1991)
3° De l'arrêt Seaboyer à la
réforme de 1992
Chaque partie se divise elle-même en plusieurs sections
(définitions, délits et peines, parties
à l'infraction, règles de procédure et
publicité, et moyens de défense pour la
troisième
partie).
Document
55 pages 20.00 $
chacun
Les frais d'expédition sont inclus dans le
prix.
BULLETIN DE COMMANDE
L'ÉVOLUTION DE LA LOI RELATIVE AUX AGRESSIONS SEXUELLES
Nom
________________________________________________
Adresse
______________________________________________________________
Code postal _________________________ Tél.;
( )________ :___________________
Nombre de copies______ X 20.00 $ = _________ $
Veuillez adresser votre commande et joindre un chèque ou
un mandat-poste au nom du
Regroupement québécois des CALACS
C.P. 605
Sherbrooke (Québec)
J1H 5K5
Tél.: (819) 563-9940
|