L'INTERVENTION FEMINISTE DANS LES CENTRES D'AIDE ET DE LUTTE CONTRE LES AGRESSIONS A CARACTÈRE SEXUEL (CALACS) DU QUÉBEC

Mai 1997

Rédaction: Claudette Vandal

Coordination:Marie Drouin

Comité de lecture:Marie Drouin Ginette Naud Ginette Paiement Christine Pruneau

Ce document a été réalisé grâce à la contribution du Programme Promotion de la femme de Condition féminine Canada.

Le contenu n'engage que l'organisme.

Dépôt légal, 2etrimestre 1997                                    Dépôt légal, 2e trimestre 1997

Bibliothèque Nationale du Québec                        Bibliothèque Nationale du Canada

ISBN: 2-9803350- 7-X

Merci à toutes celles qui ont participé à l'élaboration de ce document. Un merci spécial à toutes les travailleuses des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel qui nous ont consacré du temps et qui nous ont fait part de leur grande expérience. Cette générosité fût très appréciée et contribue à la qualité de cette publication.

Table des Matières

  • 6. Techniques d'intervention
  • Conclusion
  • Bibliographie
  • Annexe 1 Liste des CALACS

    Introduction

    Au Québec, la documentation écrite sur les pratiques des groupes de femmes en général est passablement rare et dispersée. C'est également le cas des pratiques des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et ce, même si plusieurs d'entre eux existent depuis plus de 1 5 ans déjà. On commence à peine à consigner par écrit leurs pratiques, à les systématiser afin de mieux les connaître et les transmettre.

    C'est pour pallier à ce manque que le Regroupement québécois des CALACS a décidé d'entreprendre la production de publications se rapportant aux pratiques développées par les centres d'aide. La présente publication sur l'intervention féministe dans les CALACS a donc été réalisée dans ce contexte au même titre que deux autres publications portant sur les pratiques de prévention et de lutte, ainsi que sur les groupes de soutien, soit:

    «Les pratiques de prévention et de lutte dans les Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) du Québec: un monde à découvrir»

    «Les groupes de soutien dans les Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) du Québec».

    Les ouvrages québécois portant sur l'intervention féministe articulée à la violence faite aux femmes, ont jusqu'à maintenant principalement traité de violence conjugale. En ce qui concerne les écrits sur l'intervention féministe transposée à la problématique des agressions à caractère sexuel, ils proviennent surtout des Etats-Unis et rarement du Québec. La présente publication est un premier pas dans ce sens1.

    Cette publication se présente en six parties. Les deux premières concernent la problématique des agressions à caractère sexuel et les CALACS. Le contexte d'émergence de l'intervention féministe et ses fondements sont ensuite exposés dans la troisième partie. On retrouve dans la partie suivante la mise en pratique de l'intervention féministe dans les CALACS. En cinquième place, il sera question des emprunts faits par les centres d'aide à d'autres approches et domaines. Finalement, la dernière partie porte sur les techniques d'intervention.

    1     Le contenu de cette publication provient en grande partie d'un mémoire de maîtrise en Intervention sociale (UQAM), réalisé par Claudette Vandal (Vandal, 1997).

    1.      Les agressions à caractère sexuel

    1.1      DE LA PROBLEMATIQUE DU VIOL À CELLE DES AGRESSIONS À CARACTÈRE SEXUEL

    Le viol a longtemps été considéré comme un problème marginal et individuel. Benoîte Groult précisait2 que le viol était «une fatalité, regrettable certes, mais inhérente à la condition féminine, un "accident" dû à la guerre, à une perversion sexuelle, à une "imprudence" ou à un malheureux concours de circonstances» (Brownmiller, 1975:8). Toutefois, ce grand malheur incombait aux victimes surtout, c'est-à-dire aux femmes. L'état des connaissances sur cette problématique reposait sur un ensemble de mythes et de préjugés se résumant ainsi: une femme non-consentante ne pouvait pas se faire violer; le viol n'arrivait qu'aux femmes provocantes et faciles; la plupart du temps les femmes portaient des plaintes jugées non-fondées; les violeurs avaient des problèmes mentaux ou psychologiques; les violeurs étaient des inconnus et étaient poussés à commettre ces gestes par pulsions sexuelles incontrôlables (Les Presses de la santé, 1993).

    La problématique du viol a occupé une place importante au sein du mouvement féministe américain pendant les années 70 (Donat, D'Emilio, 1992; Koss, Harvey, 1991 ): des débats, des conférences et des ateliers s'organisent sur ce sujet; des femmes témoignent de leur expérience de viol; des centres d'aide sont mis sur pied pour venir en aide aux victimes3, bref un véritable mouvement contre le viol s'organise et donne lieu à une évolution de la compréhension du viol (Kinnon, 1981; Brownmiller, 1975).

    Plusieurs auteures (Hanmer, 1984; Griffin, 1972; Russel, 1975; Brownmiller, 1975) dénoncent l'analyse individuelle du viol et proposent une lecture sociologique et politique du phénomène. Elles définissent le viol en partant du point de vue des victimes, c'est-à-dire les femmes, et le considèrent comme un acte de violence plutôt que comme un acte sexuel. Selon cette perspective, le viol est «la conséquence inévitable du type de socialisation que reçoivent dans la société patriarcale les hommes et les femmes.» (Griffin, 1972: 28). Le viol se situe au coeur des rapports hommes-femmes et il est la manifestation ultime de la domination masculine. La violence envers les femmes est un moyen de

    Dans sa préface du livre de Brownmiller (1975).

    3    Le premier centre d'aide (Rape crisis center) aux Etats-Unis a été créé à Washington en 1972. On en compterait aujourd'hui 550 (Donat et D'Emilio, 1992).

    contrôle social (Hanmer, 1988), une façon pour les hommes de mettre les femmes «à leur place». Brownmiller (1975) définit le viol comme étant «un processus conscient d'intimidation par lequel tous les hommes maintiennent toutes les femmes en état de peur.» (23) Ainsi donc, le viol ne sera plus considéré comme un accident individuel dans la vie d'une femme - accident dont elle est en grande partie responsable - mais comme un problème social dont l'ampleur est occultée et dont les causes s'inscrivent dans les rapports de domination hommes-femmes.

    Au Québec, les années 1974-75 sont aussi des moments forts en ce qui concerne les luttes contre la violence faite aux femmes (Brodeur et al., 1981 ). Se sentant mieux documentés grâce aux analyses développées par les féministes américaines, les groupes de femmes oeuvrant auprès des femmes victimes de viol contribuent à lever le voile sur cette problématique et mènent plusieurs batailles pour des changements législatifs. Ces luttes donnent lieu en 1983 à une réforme majeure du Code criminel canadien en matière de délits sexuels. Un des changements importants est l'élargissement des définitions qui concernent les délits sexuels. Ainsi aujourd'hui, la loi ne parle plus de viol, de tentative de viol et d'attentat à la pudeur, mais d'agression sexuelle et reconnaît l'existence d'autres formes de violence sexuelle.

    Souscrivant aux analyses développées par les féministes radicales américaines, les CALACS vont opter pour cette définition de l'agression à caractère sexuel:

    L'agression à caractère sexuel est un acte de domination, d'humiliation, d'abus de pouvoir, de violence principalement commis envers les femmes et les enfants. Agresser sexuellement, c'est imposer des attitudes, des paroles, des gestes à connotation sexuelle contre la volonté de la personne et ce en utilisant l'intimidation, la menace, le chantage, la violence verbale, physique ou psychologique.

    Les agressions à caractère sexuel peuvent prendre différentes formes. L'exhibitionnisme, le harcèlement sexuel, l'inceste, la pornographie, le viol, le voyeurisme en sont toutes des manifestations.!...]

    [Les] agressions à caractère sexuel sont au coeur même d'une société patriarcale, qui perdure depuis des siècles. Une société à l'intérieur de laquelle les structures sociales, politiques et économiques sont érigées par des hommes qui détiennent le pouvoir et en abusent, maintenant ainsi les femmes dans la vulnérabilité et la dépendance. (Regroupement québécois des CALACS, 1993a: 2)

    1.2 L'AMPLEUR DE LA PROBLÉMATIQUE

    La plupart des recherches effectuées démontrent que parmi l'ensemble des victimes d'agression à caractère sexuel, les femmes le sont dans une plus grande proportion. Par exemple, parmi les agressions sexuelles déclarées, près de 85% des victimes sont de sexe féminin (Roberts, 1994, cité dans Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel, 1995). Ainsi, selon l'enquête nationale de Statistique Canada sur la violence faite aux femmes:

    3% des femmes du Québec ont été victimes d'une agression sexuelle au cours des douze mois qui ont précédé l'enquête;

    34% des Québécoises ont été victimes d'au moins une agression sexuelle depuis l'âge de 16 ans;

    21% des Québécoises ont été victimes d'attaques sexuelles; 20% d'attouchements importuns; 6% des femmes ont subi les deux types d'agression.

    Ainsi, en appliquant le taux d'incidence4 de 3% avancé par l'enquête de Statistique Canada (Statistique Canada, 1993) à la population féminine du Québec en 1991, on estime qu'environ 86 952 Québécoises âgées de 15 ans et plus seraient victimes d'agressions sexuelles chaque année (Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel, 1995).

    Au niveau des enfants, approximativement huit (8) filles seraient agressées sexuellement pour deux (2) garçons. Par ailleurs, les filles seraient plus souvent victimes d'agressions intrafamiliales, alors que les garçons subiraient davantage d'agressions extrafamiliales (l'étude de Pauzé et Mercier (1994), citée dans Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel, 1995).

    Du côté des adolescentes, on estime qu'une adolescente sur six aurait vécu un viol, et que la moitié d'entre elles auraient été victimes de coercition sexuelle (Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel, 1995).

    Comme nous l'avons souligné plus avant, les agressions à caractère sexuel touchent davantage les personnes de sexe féminin. Ainsi, au niveau des adolescents, le pourcentage varie entre moins de 1% et 13% selon la méthodologie utilisée. Chez les hommes, on parle de coercition sexuelle (pression psychologique) et le pourcentage se situe à moins de 10% (l'étude de Tourigny et Lavergne (1995), citée dans Groupe de travail sur les agressions

    Incidence: le nombre de nouvelles personnes reconnues par différentes sources (services de police, services sociaux, enquêtes) comme ayant été agressées sexuellement sur une période donnée, habituellement une année (Groupe de travail sur les agressions à caractère sexuel, 1995).

    1.3     LES CONSÉQUENCES

    Les victimes d'agressions à caractère sexuel doivent faire face à de multiples conséquences découlant de la violence qu'elles ont vécue. Le fait pour chaque femme d'avoir été agressée sexuellement implique qu'on a mis sa vie en danger, qu'on a porté atteinte à son intégrité et à son intimité. La peur, la honte, l'humiliation, l'angoisse et la colère sont les émotions et les sentiments les plus fréquemment évoqués par les victimes à la suite d'une agression à caractère sexuel. Elles doivent réapprendre à vivre avec le fait d'avoir été agressées sexuellement, s'engager sur la voie du rétablissement en composant au mieux avec les conséquences psychologiques qui peuvent se présenter suite à l'événement dramatique: panique, «flash-back», insomnie, cauchemars, problèmes au niveau de la sexualité, problème de concentration, dépression, idées suicidaires, etc. Pour traverser ces moments difficiles, certaines auront recours à des «mécanismes d'adaptation» leur causant également d'autres problèmes, par exemple l'alcoolisme et la toxicomanie. Pour plusieurs, les conséquences physiques viennent s'ajouter à la liste du mal qu'on leur a déjà fait: blessures, lésions, MTS, sida.

    Finalement, mentionnons que les agressions à caractère sexuel entraînent également des conséquences au niveau social: sur les femmes en général, car la peur fait partie de leur vie et les contraint à «aménager» leur mode de vie de manière à accroître leur sécurité ou leur sentiment de sécurité; aussi, sur les parents qui ont peur pour la sécurité de leurs enfants.

    2.      Les  centres  d'aide  et de lutte  contre  les agressions  à caractère sexuel

    2.1      OBJECTIFS ET APPROCHE

    En 1975 se met sur pied à Montréal le premier Centre d'aide aux victimes de viol (CAVV) (Brodeur et al., 1981). Aujourd'hui, il existe 23 centres d'aide pour les victimes d'agression à caractère sexuel. De ce nombre, 17 sont membres du Regroupement québécois des CALACS. Leur mission: aider les femmes et les adolescentes victimes d'agression à caractère sexuel; sensibiliser et conscientiser la population à la problématique des agressions à caractère sexuel et lutter pour obtenir des changements sociaux, légaux et politiques (Regroupement québécois des CALACS, 1993a).

    L'approche des CALACS vise à changer les conditions sociales qui font que les femmes sont vulnérables. Le but poursuivi est donc de réduire la vulnérabilité des femmes aux agressions à caractère sexuel. Cette vulnérabilité est attribuée à trois facteurs: le manque d'information sur la problématique du viol (présence de mythes et de préjugés); la dépendance politique, économique, physique et psychologique des femmes envers les hommes et finalement l'isolement. Ainsi donc, les stratégies favorisées par les centres d'aide sont: la diffusion d'une information sur les faits relatifs à la problématique des agressions à caractère sexuel; favoriser des changements au niveau des rapports hommes-femmes, des structures sociales et de la socialisation des femmes et finalement le développement d'une plus grande solidarité entre les femmes (Pratte, 1 987).

    Outre des batailles menées pour faire modifier le Code criminel en matière de viol et de délits sexuels, un travail de concertation et de formation a été réalisé par les CALACS afin que les femmes agressées sexuellement soient reçues et traitées avec respect, justice et compétence et ce, au niveau des intervenant-e- s des divers secteurs concernés (police, médecins, hôpitaux, système judiciaire). Des protocoles d'accueil et d'entente entre différents services ont été élaborés, des activités de sensibilisation ont été organisées pour amener la population et les intervenant-e-s mis-es en contact avec les femmes victimes d'agression à caractère sexuel, à changer de mentalité et d'attitude à l'égard de celles-ci.

    2.2     L'ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE D'INTERVENTION

    Au début de leur développement et ce, jusqu'aux années 1980 environ, les CALACS reçoivent principalement des femmes qui ont vécu une agression à caractère sexuel récente. L'intervention est surtout axée sur la situation de crise. On organise un système de garde permettant d'offrir un service 24 heures par jour, 7 jours par semaine (service ou ligne 24\7). On se limite à l'intervention individuelle et les suivis sont d'assez courte durée. Les intervenantes accompagnent aussi les femmes dans leurs différentes démarches judiciaires, médicales ou autres. L'intervention est alors traversée par le souci de défendre le droit des femmes au respect de leur intégrité, aux bons traitements et à la justice.

    Dans le processus même de l'intervention, l'accent était mis sur l'analyse sociale de la situation. L'important était de faire prendre conscience aux femmes que l'agression à caractère sexuel était un problème collectif. Le but était de les sensibiliser aux rapports de pouvoir vécus entre hommes et femmes et de les aider à briser l'isolement.

    Au fil des ans, certains facteurs ont contribué à changer la pratique d'intervention dans les centres d'aide. Tout d'abord l'augmentation du volume de demandes d'aide. Aujourd'hui, la plupart des CALACS ont des listes d'attente. Cette situation a contraint plusieurs centres à fixer une limite dans la durée des suivis. Cette limite se situe entre 15 et 24 rencontres.

    Depuis le milieu des années 80, les centres composent avec de nouvelles clientèles, de nouvelles réalités (Regroupement québécois des CALACS, 1994, 1993b, 1992; Vandal, 1994, De Koninck et Savard, 1992). De plus en plus de femmes ayant été agressées sexuellement dans l'enfance sortent du silence et demandent de l'aide5. Leurs besoins diffèrent sur certains points de ceux des femmes qui ont été agressées dans un contexte où la violence ne s'est pas répétée. Elles n'ont généralement pas besoin d'accompagnement (police,

    5    Le total des demandes d'aide pour l'année 1995-96 se chiffre à 1322 et se répartit ainsi: Agression sexuelle: 539 Inceste: 561

    Harcèlement sexuel, appel obscène, exhibitionnisme: 100 Non divulgué: 122

    Les demandes d'aide pour «Inceste» représentent donc 42% de la clientèle dans les CALACS (Regroupement québécois des CALACS 1995). hôpitaux, cour) et les suivis sont plus longs. Les sentiments, les émotions et les blessures gardés longtemps sous silence requièrent de la part des intervenantes de nouvelles habiletés pour permettre à ces femmes de les exprimer.

    Un autre trait de la clientèle est l'alourdissement des problèmes vécus par celle- ci. Les femmes agressées sexuellement qui demandent de l'aide sont aux prises également avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie, etc. Bien que ces réalités difficiles ne soient pas nouvelles en soi, ce n'est que depuis quelques années que les centres d'aide en sont alertés de façon plus fréquente, probablement parce que les femmes en parlent davantage.

    Cette évolution de la clientèle a entraîné dans la plupart des centres d'aide la suspension de la ligne 24\7. Aujourd'hui, seulement 2 CALACS (sur 17) maintiennent encore ce service. Plusieurs raisons motivent le choix d'interrompre ce service: le manque de ressources financières, le changement dans la clientèle, l'utilisation de la ligne pour des motifs différents que ceux qui avaient présidé à sa mise en place, la diminution de la fréquence d'utilisation et l'exigence au niveau du recrutement et de la formation de militantes pour assurer son fonctionnement.

    L'intervention est donc de moins en moins orientée vers la situation de crise et davantage vers les suivis de moyen et long terme.

    2.3     QUI VIENT DANS LES CALACS

    Les CALACS viennent prioritairement en aide aux femmes et aux adolescentes victimes d'agression à caractère sexuel. Des femmes de tous âges consultent les centres d'aide. L'aide offerte se traduit par une réponse d'urgence6, des suivis individuels et de groupe, ainsi que par des accompagnements dans les diverses démarches (médicales, judiciaires, etc). Le volume de demandes d'aide est considérable7. Rappelons qu'une grande partie de la clientèle des centres sont des femmes qui ont été agressées sexuellement dans l'enfance.

    6        Pour les centres qui ont encore une ligne 24\7.

    7        Pour l'année 1995-96, les CALACS ont répondu à 2109 nouvelles demandes d'aide (Regroupement québécois des CALACS, 1995).

    Depuis quelques années, on signale une augmentation des demandes d'aide de la part d'adolescentes. Elles ne restent pas longtemps et les suivis ne semblent pas être la formule qui leur convient. Elles viennent plutôt de façon sporadique, ponctuelle, lorsqu'il y a une montée d'émotions ou une situation de crise. Les adolescentes consultent surtout pour des agressions à caractère sexuel récentes. Certaines viennent parfois pour vérifier si la situation qu'elles ont vécue est bel et bien une agression. Elles demandent aussi à être accompagnées dans les démarches médicales ou à la cour.

    Les CALACS sont également soucieux d'apporter leur support à l'entourage des femmes victimes d'agression à caractère sexuel. Cette aide peut prendre des formes différentes: soirées d'information, rencontres individuelles avec le ou la conjoint-e ou une personne proche d'une victime, groupes (conjoint, soeur ou mère d'une femme agressée), remise d'un texte tiré de l'ouvrage The Courage to Heal de Bass et Davis (1988) qui porte sur les partenaires des personnes agressées sexuellement. C'est une autre façon d'aider les victimes, c'est-à-dire en aidant leurs proches à leur manifester une plus grande compréhension et à leur fournir un meilleur support.

    Tout récemment, les CALACS ont été interpellés par des demandes d'aide provenant d'hommes et d'adolescents qui ont été victimes d'agression à caractère sexuel. Lorsque ces demandes leur sont adressées, les centres d'aide tentent dans la mesure du possible de les référer aux ressources du milieu.

    2.4     LES   AUTRES   PROBLÈMES   VÉCUS   PAR LES   FEMMES   QUI S'ADRESSENT AUX CENTRES D'AIDE

    Nous avons parlé précédemment de la lourdeur du vécu des femmes. Les femmes qui demandent de l'aide arrivent dans les centres d'aide avec d'autres problèmes en plus de ceux qui les amènent à consulter ce type de ressource (soit les agressions à caractère sexuel). Les difficultés les plus souvent rencontrées sont: les problèmes de santé mentale, de pauvreté, de toxicomanie (drogues légales et illégales) et d'alcoolisme, ou d'autres types de dépendance (au travail ou à la nourriture), d'idées suicidaires, de violence conjugale, de prostitution et les problèmes reliés à certaines sectes religieuses. De plus, comme le précisait une des répondantes: «Elles ont tous les autres problèmes de femmes!», faisant référence aux difficultés rattachées au conditionnement de vie des femmes, c'est-à-dire: estime de soi, confiance en soi, culpabilité, relations interpersonnelles, sexualité, intimité.

    Les femmes qui vivent des problèmes de santé mentale, particulièrement celles qui ont un suivi en psychiatrie, soulèvent des questionnements dans les centres d'aide. Les rapports sont souvent tendus avec ce milieu car ils sont marqués par des conflits d'approches, par des perspectives d'intervention différentes. On évalue au cas à cas l'acceptation des femmes qui sont en suivi psychiatrique. Les intervenantes avisent les femmes que le CALACS travaille différemment du milieu psychiatrique et que dans l'éventualité où elles voudraient être à la fois suivies par le centre d'aide et par un psychiatre, cela pourrait leur faire vivre des contradictions. Le choix appartient aux femmes. On est d'avis que les femmes vont chercher ce dont elles ont besoin dans chacune des ressources.

    Le travail avec les femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale comporte son lot de difficultés. Il s'agit d'une démarche exigeante qui confronte les intervenantes à leurs propres limites. Elles sont tiraillées entre le fait de ne pas vouloir mettre d'étiquette aux femmes, comme le veut l'intervention féministe, et le fait d'être confrontées à la réalité et aux manifestations des problèmes de santé mentale de ces femmes. La solution facile serait de les référer à d'autres ressources parce que leur situation dépasse parfois les limites de ce qu'un CALACS peut offrir, mais la tendance est actuellement de s'en remettre à la philosophie d'intervention féministe, c'est-à-dire de les aider malgré tout, de ne pas les voir à travers une étiquette psychiatrique et de les considérer dans leur globalité. La question du respect du rythme et des limites de ces femmes prend ici toute son importance.

    La plupart des centres d'aide ont pris des dispositions concernant les femmes qui sont aux prises avec des problèmes d'alcool ou de toxicomanie. Ces femmes ne sont pas refusées, mais on leur demande d'entreprendre des démarches pour traiter leur problème de dépendance, d'adhérer à un programme (par exemple ceux du mouvement Alcooliques Anonymes, Narcotiques Anonymes, etc) de manière à disposer d'un lieu et d'un temps spécifique pour travailler cette dimension. On demande également aux femmes d'être à jeûn lors des rencontres de suivi.

    2.5     LA DIVERSITÉ...PAS TANT QUE ÇA

    La clientèle des CALACS est principalement constituée de femmes blanches francophones. Quelques centres d'aide seulement ont dans leur clientèle des femmes autochtones et des femmes anglophones. Certains CALACS reçoivent

    des femmes d'autres ethnies, mais la plupart du temps elles sont référées à des organismes qui sont plus prêts de leur culture. Certains centres sont d'avis qu'elles ne sont pas à l'aise dans une ressource comme un centre d'aide, qu'elles vivent des réalités différentes des femmes d'ici et que l'intervention des CALACS est basée sur la réalité des femmes d'ici. Les grands principes de l'intervention féministe sont souvent confrontants pour les femmes, peut être encore plus pour celles de cultures différentes de la nôtre. Les intervenantes tentent le plus possible d'adapter leur intervention à la réalité de ces femmes en gardant une attitude d'humilité et d'ouverture pour apprendre sur la culture de ces dernières. Mentionnons que le fait pour ces femmes de ne pas pouvoir parler leur langue maternelle au cours d'un suivi est une limite importante dans la libre expression de leurs émotions.

    Quelques CALACS seulement ont dans leur clientèle des femmes de religions différentes. Les valeurs et les principes prônés par la plupart des religions sont souvent incompatibles avec ceux mis de l'avant par l'intervention féministe.

    Pour contourner ces limites, les centres d'aide initient et entretiennent des liens avec des organismes et des groupes représentant et travaillant auprès de femmes d'autres cultures, ou qui vivent d'autres réalités (les femmes aux prises avec un handicap par exemple). Ces liens permettent aux CALACS de s'ouvrir et de se sensibiliser à la diversité du vécu des femmes, mais aussi, de connaître les ressources afin de référer les femmes adéquatement.

    2.6     LES INTERVENANTES DES CALACS

    Les personnes qui travaillent dans les organismes communautaires proviennent généralement de trajectoires variées. Les CALACS ne font pas exception à ce niveau. Ainsi, l'intervention féministe dans les centres d'aide a été développée par des femmes provenant de trajectoires différentes: des travailleuses salariées et des militantes avec des formations académiques rattachées au domaine de l'aide, des sciences sociales ou de la santé et surtout des femmes autodidactes dont l'expérience en intervention s'est acquise sur le terrain et sur la base d'une implication sociale continue dans les groupes.

    La plupart des intervenantes reçoivent une formation de base à leur arrivée dans un CALACS. Généralement, cette formation porte sur la problématique des agressions à caractère sexuel, l'intervention féministe, ainsi que sur le fonctionnement de l'organisme (notamment sur le fonctionnement en collective8). Elles sont ensuite supervisées dans leur travail pendant une période déterminée, qui varie d'un centre à l'autre. C'est au cours de cette période d'encadrement qu'on va apprécier comment les nouvelles intervenantes ont intégré et mis en pratique les connaissances reçues en formation, qu'on va estimer leurs capacités et leurs aptitudes pour la relation d'aide et qu'on leur apporte du support dans l'intervention.

    8Collective: instance décisionnelle du CALACS.

    3. L'intervention féministe

    3.1 EMERGENCE DE LA «THÉRAPIE» FÉMINISTE AUX ETATS-UNIS

    La thérapie féministe apparaît aux Etats-Unis vers la fin des années 60 (Corbeil et al., 1983), au moment où émergent de nouvelles valeurs portées par de nombreux mouvements sociaux tels: le mouvement pour la paix, pour les droits civils, les mouvements étudiants, celui du «Black Power», le mouvement humaniste et le mouvement de psychiatrie radicale. C'est sur une toile de fond de contestation des modèles et des schemes traditionnels imposés aux femmes que naît le féminisme américain de la deuxième vague9 (Corbeil, 1979; Corbeil et al., 1983). Il est le résultat de l'action de deux courants: le courant égalitaire et le courant radical.

    Le courant égalitaire10 est «Héritier de la tradition libérale, des suffragettes et des mouvements anti-racistes américains, [...] il revendique l'égalité de droit et de fait pour les femmes» (Descarries-Bélanger, Roy, 1988: 9). Il dénonce le sexisme attribué aux pratiques de socialisation différenciées pour les hommes et les femmes, ainsi qu'aux contraintes légales, économiques et culturelles qui limitent l'accès des femmes aux différentes opportunités et aux différents rôles (Enns, 1993: 45).

    L'autre courant, qu'on nomme radical11, prend sa source dans les mouvements sociaux de gauche. Après avoir vécu des déceptions et du sexisme dans leur implication au sein de ces mouvements, des militantes décident de s'organiser sur la base de groupes autonomes de femmes (Corbeil et al., 1983). Ce courant a introduit le concept de société patriarcale12 et a

    En Europe, aux Etats-Unis et au Québec, la première vague du mouvement des femmes correspond à la période entre 1850 et 1960 - caractérisée entre autres par la lutte pour le droit de vote - tandis que la deuxième vague correspond à la période entre 1960 et aujourd'hui (Collectif Clio, 1992; Castro, 1984; Corbeil et al., 1983).

    On le nomme aussi réformiste ou libéral. 11   On le nomme aussi culturel.

    Société patriarcale: c'est le pouvoir des pères: un système socio-familial, idéologique, politique dans lequel des hommes, par la force, par pression directe, ou à travers les rites, la tradition, la loi, le langage, les habitudes, l'étiquette, l'éducation et la division du travail, décident du rôle que jouera la femme, ou qu'elle ne jouera pas, et dans lequel la femme subit partout le joug du mâle. (Rich, 1980: 53)

    reconnu le rôle de celle-ci dans le maintien des femmes en position d'infériorité. Il attribue principalement les différences entre les hommes et les femmes à l'inégalité de pouvoir et reconnaît les répercussions de cette inégalité sur la vie de ces dernières (Worell et Remer, 1992). Le courant radical «[met] l'accent sur l'oppression commune de toutes les femmes et [soutient] que l'oppression de la femme n'est pas simplement le résultat de l'oppression économique mais de l'intériorisation des attitudes et des croyances sexistes.» (Sturdivant, 1980:60).

    3.2     EMERGENCE DE L'INTERVENTION FÉMINISTE AU QUÉBEC

    Au Québec, les années 60 et 70 ont aussi été marquées par l'action de divers mouvements sociaux (Bélanger, Lévesque, 1992; Favreau, 1989). La Révolution tranquille, la transformation du rôle de l'Etat, ainsi que les diverses réformes touchant les bases économiques et sociales de notre société ont créé des conditions favorables à l'émergence de tels mouvements (étudiant, syndical, groupes culturels et politiques (Brodeur et al., 1981).

    Le mouvement des femmes fait partie de cette vague de contestation. Le féminisme égalitaire reprend un deuxième souffle pendant les années 6013. Des groupes tels la FFQ, l'AFEAS exercent des pressions politiques afin d'obtenir des changements au niveau des institutions, dans une visée d'égalité entre hommes et femmes (Lamoureux, 1992: 702). Pendant les années 70, cette tendance côtoie le féminisme radical. Ce courant dénonce l'oppression spécifique faite aux femmes et ce, dans toutes les dimensions de leur vie. Il donne naissance à divers collectifs de femmes qui tentent par l'action directe, de changer les conditions d'existence des femmes (Lamoureux, 1992: 702).

    Inspirés par le féminisme radical qui dénonce l'absence de réponse adéquate du réseau institutionnel face aux besoins des femmes, plusieurs groupes autonomes de femmes se mettent sur pied au cours de cette décennie. Ces besoins sont reliés à des problématiques nouvellement rendues publiques et pour lesquelles les féministes avaient proposé des analyses basées sur les rapports de sexes (Lamoureux, 1992). Des centres de femmes, des maisons d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, des centres de santé et des centres d'aide pour les victimes de viol développent des pratiques

    13 Rappelons que la première vague du mouvement des femmes en Europe, aux Etats-Unis et au Québec s'inscrit surtout dans le courant égalitaire (1850-1960) et est caractérisée, entre autres, par la lutte pour le droit de vote (Collectif Clio, 1992; Castro, 1984; Corbeil et al., 1983).

    alternatives de type féministe. Comme le précisent De Koninck et Savard (1992), ces ressources «avaient déjà une approche féministe clairement identifiée comme telle mais on ne parlait pas encore d'intervention féministe, appellation pour un temps réservée à l'intervention en santé mentale.» (13)

    L'intervention14 féministe fait son apparition dans le réseau institutionnel des affaires sociales au début des années 1980, sur le terrain de la santé mentale (GRAFS, 1983; De Koninck et al., 1983; Guyon et al. 1980) et de la violence conjugale (Larouche, 1987, 1985).

    3.3     FONDEMENTS ET PRINCIPES DE L'INTERVENTION FÉMINISTE

    Au coeur de l'intervention féministe se trouve une lecture socio-politique des problèmes vécus par les femmes. L'intervention féministe considère que leurs difficultés sont principalement causées par des facteurs sociaux, des conditions sociales qui les oppriment. Les manifestations de ces problèmes (la détresse, l'anxiété, le stress) ne sont pas interprétées comme des pathologies mais considérées comme le résultat logique, de leur statut inférieur et de leur manque de pouvoir dans les différentes sphères de la société, ainsi que de leur socialisation. Par conséquent, l'intervention féministe ne vise pas à aider les femmes à s'adapter aux conditions sociales qui contribuent à les opprimer, mais vise plutôt à remettre en question ces conditions et à les changer, ainsi qu'à aider les femmes à faire des choix sur leur propre base (Legault, 1980; Sturdivant, 1980; Greenspan, 1980; Corbeil et al., 1983; Larouche, 1987, 1985).

    L'intervention féministe est surtout orientée vers l'atteinte des objectifs suivants: aider les femmes à prendre conscience de leur oppression; les aider à briser leur dépendance psychologique face aux rôles sexuels; travailler à leur resocialisation; les aider à reprendre du pouvoir dans leur vie personnelle comme dans la société en général (Legault, 1980; Sturdivant, 1980; Greenspan, 1980; Corbeil et al., 1983; Larouche, 1987, 1985).

    14 Au Québec, très rapidement le terme de «thérapie féministe» utilisé par les américaines est remplacé par celui d'«intervention féministe», expression plus large et moins rattachée à une lecture pathologisante des problèmes vécus par les femmes (Bourgon et Corbeil, 1990).

    3.4     L'INTERVENTION FÉMINISTE DANS LES CALACS

    L'intervention féministe dans les CALACS a été développée en réponse aux besoins des femmes victimes d'agression à caractère sexuel. Aujourd'hui, les CALACS parlent d'«intervention féministe» pour désigner leur travail auprès des femmes. Leur approche d'intervention mise sur le potentiel des femmes et se fait dans une perspective qui tient compte de leur analyse sociale et politique de la problématique. Leurs pratiques d'intervention sont basées sur une analyse féministe radicale de la problématique. Ainsi, on reconnaît le rôle de la société patriarcale dans la perpétuation des agressions à caractère sexuel. Les CALACS placent les agressions à caractère sexuel au coeur des rapports sociaux entre les sexes, des rapports de pouvoir, de domination hommes-femmes (Regroupement québécois des CALACS, 1993).

    L'intervention tient compte des conditions de vie des femmes et de la place qu'elles peuvent occuper dans la société. Pour une des intervenantes, cela se traduit de la manière suivante: «Je [ne] suis jamais déconnectée de l'unicité de ce que la femme a vécu et de ce qu'elle est, mais aussi de ce qu'elle est parce qu'elle fait partie du groupe femme.»

    Dans leur intervention auprès des femmes, les centres d'aide poursuivent les mêmes objectifs que ceux qui sont exposés dans le premier ouvrage québécois portant sur les fondements de l'intervention féministe, soit celui de Corbeil et al. (1983). Les auteures présentent une synthèse des principaux écrits de féministes américaines sur la thérapie féministe. Articulé à la santé mentale ainsi qu'aux problématiques vécues par les femmes clientes du réseau institutionnel de la santé et des services sociaux, cet ouvrage présente ainsi les objectifs visés par l'intervention féministe:

    Faire prendre conscience aux femmes de leur conditionnement social, des stéréotypes sexuels et des rôles limitatifs auxquels la société les confine;

    Amener les femmes à ne plus se sentir seules responsables (encourager les femmes à exprimer leur insatisfaction face à leur «rôle féminin»);

    Aider les femmes à croire en elles-mêmes (estime de soi);

    Amener les femmes à développer leurs habiletés affirmatives et à exprimer leur colère;

    Encourager les femmes à prendre des décisions de façon autonome;

    Faire prendre conscience aux femmes de leur corps, leur sexualité et de leur droit au plaisir;

    Favoriser l'implication sociale et le militantisme (86-94).

    4.      L'intervention féministe et les agressions à caractère sexuel: mise en pratique dans les CALACS

    Travailler à partir des besoins des femmes.  Partir de son vécu, nommer les choses et fixer des objectifs.

    Permettre l'expression des émotions, des sentiments, du vécu et valider cette expérience.

    Démystifier le rôle de l'intervenante, remettre le pouvoir aux femmes, briser la victimisation.

    L'intervenante propose des outils et les femmes choisissent les outils qui leur conviennent.

    Partager le vécu. Parler de son vécu pour démystifier le fait que le cheminement se fait avec le temps, (une intervenante)

    Pour présenter la mise en pratique de l'intervention féministe «CALACOISE», nous aurons recours au modèle d'intervention féministe développée par Worell et Remer (1992). Ces dernières s'appuient sur les trois principes suivants:

    • Prendre conscience que «le personnel est politique»
    • Favoriser des relations égalitaires
    • Valoriser la perspective des femmes

    4.1      PRENDRE CONSCIENCE QUE «LE PERSONNEL EST POLITIQUE»

    Le principe voulant qu'on fasse prendre conscience aux femmes que «le personnel est politique» réside au coeur de l'intervention féministe. Il réfère à la reconnaissance des causes sociales reliées aux problèmes vécus par les femmes. Il consiste à: distinguer les sources externes des sources internes des problèmes vécus par les femmes; recontextualiser les réactions dites «pathologiques» des femmes; et à initier des changements sociaux.

    En accord avec ce principe, Worell et Remer établissent les objectifs suivants:

    Faire prendre conscience aux femmes des limites du processus de socialisation au rôle féminin et des messages et croyances qu'elles ont intégrés à propos des rôles sexuels;

    Les amener à remettre en question ces messages et ces croyances, afin qu'elles développent des comportements choisis librement et non dictés par ces rôles sociaux;

    Amener les femmes à évaluer l'influence des facteurs sociaux sur leur vie personnelle;

    Leur faire prendre conscience de leur oppression et de la dimension collective rattachée aux problèmes qu'elles vivent;

    Aider les femmes à reconnaître les pratiques sociales sexistes et patriarcales et à développer des habiletés pour initier des changements dans leur environnement;

    Contribuer aux changements sociaux dans les différentes sphères et institutions de la société (famille, école, travail, religion, économie, lois, politique, structure, etc);

    Développer un sens du pouvoir personnel et social.

    4.2     MISE EN PRATIQUE DU PRINCIPE «PRENDRE CONSCIENCE QUE "LE PERSONNEL EST POLITIQUE"»

    4.2.1  Démystifier, informer, déculpabiliser

    La mise en pratique de ce premier principe se traduit dans les CALACS par la place accordée au travail sur le sentiment de culpabilité. Ce thème est central lorsqu'on parle d'agression à caractère sexuel. Le sentiment de culpabilité est presque toujours présent chez les femmes. Elles se croient responsables, globalement ou en partie, de l'agression dont elles ont été victimes. Que ce soit celles qui ont vécu une agression à caractère sexuel récente ou celles qui en ont été victimes dans l'enfance. Aux dires de plusieurs intervenantes, le cheminement dans le suivi avec les femmes ne peut pas avancer tant que cette dimension du vécu des femmes n'a pas été travaillée.

    Travailler sur la culpabilité consiste à amener les femmes à comprendre qu'elles ne sont pas responsables de l'agression qu'elles ont vécue. Une bonne partie du travail d'intervention à ce niveau vise à défaire les mythes et les préjugés sur les agressions à caractère sexuel, que les femmes ont intégrés et qu'elles «se servent» à elles-mêmes en guise d'explications aux événements difficiles qu'elles ont vécus. Dans leur ouvrage portant sur la thérapie féministe, Worell et Remer (1992) présentent le processus d'intervention auprès des femmes victimes d'agression à caractère sexuel et soulignent l'importance de tenir compte de la perception qu'ont les femmes des agressions à caractère sexuel, avant que ne survienne l'agression. Cette perception s'est construite au fil de leur propre expérience comme femmes et de leur socialisation aux rôles sexuels, mais s'est également consolidée par l'ensemble des mythes et des préjugés sur l'agression à caractère sexuel, par la peur de chaque femme de se faire agresser et par le sexisme institutionnalisé qu'on retrouve dans la société. Les auteures précisent que les conceptions erronées sur les agressions à caractère sexuel contribuent à culpabiliser la victime (206). Ainsi, une partie de l'intervention auprès des femmes dans les CALACS consiste d'abord à leur donner de l'information sur la problématique et à les aider à mieux comprendre le contexte social qui contribue à faire en sorte que des agressions à caractère sexuel se commettent.

    Cette démarche amène les intervenantes à sensibiliser les femmes à la dimension sociale et politique de la problématique des agressions à caractère sexuel, à relier le vécu individuel au vécu collectif des femmes.

    On essaie de leur faire prendre conscience de la situation des femmes dans la société. Du fait que, comment elles se sentent là, c'est à cause de ce qu'elles ont vécu, mais qu'elles ont vécu ça à cause de la situation des femmes dans notre société. C'est la démarche qu'on essaie de faire. Pour qu'elles sortent en se disant: «ça n'a pas de bon sens, ma fille ne vivra pas ça, ça ne se peut pas. Moi je ne veux plus vivre de chose comme ça», (une intervenante)

    Sensibiliser les femmes à la dimension sociale de leur situation est un souci constant dans l'intervention des CALACS, mais cela exige des ajustements. Parler de féminisme, des rapports de pouvoir hommes-femmes peut parfois faire peur ou choquer. Ainsi, la mise en pratique du principe «le personnel est politique» se réalise dans le respect des limites des femmes et de leur degré de conscientisation.

    Plusieurs intervenantes conviennent qu'aborder la dimension sociale de la problématique des agressions à caractère sexuel avec les femmes en suivi individuel est plus difficile. Les prises de conscience se font plus lentement et demeurent au niveau du discours. Par contre, dans les suivis en groupe les femmes réalisent elles-mêmes les aspects communs de leur expérience. La dimension sociale et collective est donc plus évidente, plus visible.

    Cette analyse sociale de la problématique des agressions à caractère sexuel est également très difficile à mettre en pratique lorsqu'on traite de certains thèmes comme celui des relations mère-fille. Ce thème est particulièrement délicat à aborder avec les femmes qui ont été agressées sexuellement dans l'enfance. Les intervenantes doivent composer avec, d'une part la légitime colère exprimée par les femmes à l'égard de leur mère pour ne pas les avoir protégées de leur père et d'autre part, l'importance de considérer le manque de pouvoir et l'oppression également vécue par la mère au sein de la famille. Deux dimensions à considérer et qui ne sont pas au départ très «conciliables». Il est néanmoins essentiel que l'intervenante reconnaisse la légitimité de cette colère, qu'elle la valide. Elle doit la laisser s'exprimer. Plus tard, l'intervenante pourra ramener la question du manque de pouvoir de la mère au sein de la famille. Cela doit se faire dans le respect des limites des femmes.

    4.2.2 Remettre    dans    leur    contexte     les réactions    dites «pathologiques» des femmes

    Travailler en faveur du principe voulant que «le personnel est politique», consiste également à recontextualiser les réactions dites «pathologiques» des femmes, telles les réactions dépressives, les crises de colère, etc. Worell et Remer (1992) soutiennent que les personnes ne doivent pas être blâmées ni étiquetées de «malades» parce qu'elles pensent, se sentent et agissent d'une manière congruente avec le fait de vivre dans une société opprimante15. A l'instar d'autres auteures (Greenspan, 1983; Sturdivant, 1980), elles considèrent ces réactions (ou «symptômes») comme des stratégies développées par les femmes pour composer avec un environnement malsain.

    Dans les CALACS, les intervenantes aident les femmes à comprendre leur situation, à nommer et à démêler leurs émotions, leurs sentiments. Il s'agit de faire prendre conscience aux femmes que leurs réactions étaient conséquentes

    Traduction libre.

    et «normales» compte tenu des situations opprimantes dans lesquelles elles se sont retrouvées.

    Les intervenantes rassurent les femmes sur la normalité de leurs réactions en les recontextualisant aux événements vécus et aux étapes difficiles qui leur ont succédé. Il est également important de faire prendre conscience aux femmes de tout ce qu'elles ont déployé comme efforts, comme compétences et comme stratégies de survie pour traverser les moments difficiles qui ont suivi l'agression qu'elles ont vécue. Cette mise en lumière permet dans un deuxième temps d'évaluer ces compétences, comportements et stratégies en lien avec leurs besoins actuels et de les soutenir dans les changements qu'elles décident d'entreprendre. Car certains comportements, stratégies ou compétences peuvent être devenus inutiles ou même nuisibles à leur bien-être actuel.

    4.2.3 Initier des changements sociaux et impliquer les femmes

    Aborder la dimension politique et sociale des problèmes vécus par les femmes ne se fait généralement pas dans les débuts d'un suivi individuel. Les premières rencontres servent surtout à ventiler, à laisser place à l'expression des émotions, des sentiments et des difficultés. Cette démarche se prête davantage à certains moments plus propices par exemple lors d'un bilan ou à la fin du suivi ou encore lorsque les femmes prennent conscience de leur non responsabilité dans l'agression et de l'ampleur de la problématique. Il est possible alors pour l'intervenante: de parler de la mission du CALACS et plus particulièrement des volets prévention et lutte; de donner de l'information sur le travail qui se réalise à d'autres niveaux (social, légal, politique) pour que des changements s'opèrent en faveur des victimes d'agression à caractère sexuel; et de sensibiliser les femmes aux changements positifs déjà survenus, afin de présenter un portrait plus nuancé et moins pessimiste de la situation. Cela contribue par le fait même à redonner de l'espoir aux femmes, qui sont parfois découragées de prendre conscience de l'ampleur de la problématique.

    Des intervenantes abordent parfois la dimension sociale de façon concrète en proposant aux femmes de faire une action qui sort un peu du cadre du suivi individuel ou de groupe. Par exemple, elles peuvent proposer aux femmes d'écrire une lettre ouverte dans un quotidien sur une dimension qui les préoccupe de façon particulière (ex: l'importance du soutien de l'entourage après avoir vécu une agression à caractère sexuel). C'est une bonne façon de rejoindre le «social» par l'intervention.

    Les CALACS sont des groupes autonomes de femmes qui favorisent l'implication des femmes qui ont déjà reçu de l'aide au sein de l'organisme, que ce soit à titre de membre de la collective16, dans divers dossiers et activités ou au niveau des services. Des intervenantes soutiennent que même si les femmes ne s'impliquent pas de façon explicite au CALACS ou dans un autre organisme, ce qu'elles sont venues chercher au centre d'aide fait «son petit bonhomme de chemin». La nature et le degré de leur implication vont dépendre de leur cheminement personnel par rapport à la conscientisation. Pour certaines femmes, l'implication va se réaliser au niveau privé. Ce qu'elles sont venues chercher au centre d'aide va leur permettre d'aborder certains sujets avec leurs enfants. D'autres vont agir davantage dans leur cercle familial, auprès de leurs ami-e-s ou dans leur milieu de travail. N'oublions pas que certaines femmes ont parfois peine à imaginer être capable d'intégrer un groupe pour la première fois, ou entreprendre des démarches pour réintégrer le marché du travail.

    4.3     FAVORISER DES RELATIONS EGALITAIRES

    Le principe voulant que l'on favorise des relations égalitaires découle en tout premier lieu de la volonté des féministes de ne pas reproduire dans l'intervention, des rapports de pouvoir tels que ceux vécus par les femmes dans la société en général et particulièrement dans leurs rapports avec les hommes. C'est également pour minimiser les aspects de «contrôle social» de l'intervention. De cette manière, les intervenantes ont moins de pouvoir pour imposer leurs propres valeurs. Ce souci fait suite aux dénonciations faites par le mouvement des femmes à l'égard de la thérapie traditionnelle qui encourageait les femmes à s'adapter à l'environnement opprimant plutôt qu'à le contester (Worell, Remer, 1992).

    Le deuxième principe, favoriser des relations égalitaires, réfère à trois éléments. Tout d'abord, il consiste à redonner du pouvoir aux femmes dans la démarche d'intervention. L'intervenante peut y parvenir par des moyens tels que: informer les femmes sur ses valeurs; partager ses connaissances et ses convictions sur la société; encourager les femmes à «magasiner» une intervenante; enseigner des habiletés thérapeutiques; déterminer les buts et objectifs du suivi en collaboration avec les femmes. Le deuxième élément est la volonté de partager le pouvoir avec les femmes par une implication personnelle de l'intervenante dans la démarche d'intervention. Enfin le troisième élément, c'est celui d'aider les femmes à développer un équilibre entre l'indépendance et la dépendance

    16 Collective: instance décisionnelle du CALACS.

    dans leurs relations, soit l'interdépendance (Worell et Remer, 1992).

    4.4     MISE EN PRATIQUE DU PRINCIPE «FAVORISER DES RELATIONS ÉGALITAIRES»

    4.4.1  Informer, nommer et être partenaire

    Dans les CALACS, favoriser des relations égalitaires c'est d'abord informer les femmes. Lorsqu'elles se présentent dans un centre d'aide, les intervenantes prennent connaissance de leurs besoins et évaluent si le CALACS est en mesure d'y répondre. Elles expliquent aux femmes en quoi consiste un suivi. Elles donnent de l'information sur l'organisme, son fonctionnement (en collective) et sur l'orientation féministe. Ces informations sont données à des rythmes variés, selon les femmes, leur état et leur cheminement.

    On travaille ensuite à l'établissement d'un contrat. Toutes les répondantes ont mentionné travailler à partir des objectifs personnels que les femmes déterminent au début de la démarche de suivi, avec l'aide de l'intervenante. Avec certaines femmes, l'établissement d'un contrat semble être plus difficile. On garde tout de même une certaine souplesse dans l'utilisation de cet outil. Le contrat fournit dans la mesure du possible, une base de travail, un canevas qui sert à l'ensemble de la démarche.

    Favoriser des relations égalitaires consiste également à dire ouvertement aux femmes à qui on vient en aide, qu'on souhaite établir de tels rapports. Il s'agit d'offrir la possibilité aux femmes de dire ce qui leur convient et ce qui ne leur convient pas dans la démarche, de montrer de l'ouverture à ce niveau pour qu'elles expriment leur avis, leur désaccord avec les propositions de l'intervenante.

    Il est nécessaire aussi d'équilibrer le pouvoir et les responsabilités de chacune dans l'intervention. Certaines femmes arrivent parfois avec l'espoir que l'intervenante va leur «arranger ça», trouver le remède, la solution miracle à leur détresse. L'intervenante doit donc préciser son rôle, qui est celui de la soutenir dans la recherche de solution, de moyens pour parvenir à ses objectifs, ainsi que de mettre en lumière le potentiel et les ressources dont disposent les femmes.

    Pour favoriser des relations égalitaires, l'intervenante peut décider de s'impliquer personnellement lorsqu'elle le juge à propos pour aider à la démarche. Des intervenantes partagent des aspects de la situation d'inceste qu'elles ont vécue, si c'est le cas bien entendu. On exprime cependant une mise en garde concernant cette façon de faire. Etre en alliance avec les femmes ne veut pas dire devenir leur amie. Il s'agit ici de s'impliquer personnellement dans la démarche d'intervention sur la base de son expérience sociale de femme.

    Bien que favoriser des relations égalitaires demeure encore un principe auquel tiennent les centres d'aide, certaines intervenantes expriment quelques réserves sur l'atteinte de véritables relations égalitaires entre intervenantes et clientes. A ce sujet, Simard (1986) rappelle qu'une relation d'aide n'est pas en soi une relation égalitaire. Tout d'abord, parce qu'il existe au départ une inégalité entre une personne en besoin d'aide et une autre qui a la volonté et des ressources pour l'aider. Ensuite, parce que la société et les institutions confèrent aux intervenant-e-s un certain pouvoir. Et finalement, parce que les différences en termes économiques et sociaux créent des inégalités entre les personnes. Simard insiste donc sur la nécessité, pour les intervenantes, de reconnaître ces inégalités de pouvoir et de mettre au clair cet état de fait avec les personnes à qui elles viennent en aide.

    4.5     VALORISER LA PERSPECTIVE DES FEMMES

    Le troisième principe de l'intervention féministe concerne la valorisation de la perspective des femmes et ce, d'un point de vue tant individuel que social. De façon plus spécifique, il s'agit de: mettre en lumière les forces et les acquis des femmes; valoriser positivement les caractéristiques et les valeurs traditionnellement rattachées aux femmes (par exemple l'empathie, la capacité à prendre soin des autres, la coopération, l'intuition, l'interdépendance, l'importance accordée aux relations, etc17); valider leur expérience et leur façon de concevoir le monde qui les entoure; et finalement reconnaître la valeur des femmes comme groupe social apportant une contribution à la société.

    17   Qualités considérées souhaitables chez les personnes en général, femmes et hommes, et qui sont nécessaires aux transformations sociales.

    4.6      MISE EN PRATIQUE DU PRINCIPE «VALORISER LA PERSPECTIVE DES FEMMES»

    En accord avec ce principe, les intervenantes dans les centres d'aide encouragent les femmes à choisir en fonction d'elles mêmes, à s'accorder une place et du temps pour prendre soin d'elles. On les encourage à faire place et confiance à leur intuition. Une place est également faite au thème de l'affirmation. Ainsi, les intervenantes aident les femmes à prendre leur place, dans leurs relations avec les autres (couple, famille, entourage), à faire des demandes qui répondent à leurs besoins et éventuellement à élargir leurs horizons.

    L'intervention féministe a redonné ses lettres de noblesse à la colère des femmes, en lui reconnaissant sa légitimité, mais aussi sa nécessité face aux oppressions et aux injustices vécues. L'expression de la colère est perçue comme une réponse saine et comme un moteur essentiel à l'action. La colère peut conduire à faire des choix et à poser des actions constructives. Les intervenantes dans les CALACS laissent place à l'expression de la colère. Elles aident aussi les femmes à analyser leur colère, à en identifier la source, de manière à permettre un recul, une prise de conscience. Les femmes sont ensuite davantage en mesure d'identifier leurs besoins, de faire des choix et de reprendre du pouvoir dans les différentes dimensions de leur vie.

    Les intervenantes des centres d'aide sont par ailleurs soucieuses d'amener les femmes à apprécier la valeur des autres femmes, ainsi que leurs relations avec elles. Mais aussi, de les encourager à développer des liens avec d'autres femmes afin de mieux comprendre le caractère social de leurs conditions de vie. Cela se réalise, notamment en favorisant les groupes.

    La première étape est celle au cours de laquelle les femmes prennent conscience et expriment leur douleur. C'est une phase difficile. Les femmes ont peur de ne plus arrêter de pleurer. C'est comme un grand lavage, les femmes "lavent leur douleur".

    La deuxième étape est celle des prise de conscience, de l'action et de la reprise du pouvoir. A cette étape, les femmes ont une impression de force, elles sont encouragées et ont de l'espoir. C'est une période de travail intense qui se réalise dans le chagrin. C'est là que l'intervenante travaille à briser les préjugés, les fausses croyances. Ce/à exige beaucoup de patience. A un certain moment, quand les femmes ont beaucoup travaillé, elle passent par un espèce de recul ou de régression. Comme un funambule qui recule d'un pas ou deux pour retrouver l'équilibre.

    La troisième étape est celle de la consolidation. C'est une période pour tester. Les femmes apprennent à s'analyser, à prendre du recul face à elles-même. Ensuite c'est la séparation d'avec l'intervenante, (une intervenante)

    4.7     THEMES DE TRAVAIL

    La pertinence de discuter de thèmes particuliers ou de travailler certaines dimensions s'impose souvent d'elle-même en cours de suivi avec les femmes, que ce soit en intervention individuelle ou dans les groupes de soutien. Ainsi, les thèmes suivants peuvent être traités dans le cours d'une démarche d'aide: la culpabilité, la honte, la peur, la colère, les relations mère-fille, la victimisation, la confiance en soi et aux autres, les relations interpersonnelles et de couple, l'estime de soi et la sexualité. Ils peuvent être décidés à l'avance ou se présenter pendant le déroulement d'un suivi.

    5.      Des pratiques d'intervention sous le signe de la diversité

    La partie précédente a présenté une vue d'ensemble de la mise en pratique de l'intervention féministe dans les CALACS. Le cadre de cette publication ne permet pas toutefois de rendre compte de la diversité des pratiques. Il est pertinent de souligner que chaque intervenante aborde l'intervention féministe avec son propre bagage de connaissances et son intervention se réalise dans un centre d'aide qui a sa propre histoire et qui s'inscrit elle aussi dans une réalité économique, géographique et politique. Tout ça donne lieu à la diversité. Toutefois, il y a de la diversité dans les pratiques des centres d'aide, en raison également des emprunts faits à différentes approches, des influences en provenance d'autres domaines, d'autres écoles de pensée, etc.

    Comme nous l'avons déjà mentionné plus tôt, les centres d'aide sont passés d'une clientèle en majorité composée de femmes victimes d'agression à caractère sexuel récente à une clientèle de plus en plus composée de femmes ayant été agressées sexuellement dans l'enfance. Il semble que ce soit surtout à ce moment là que les intervenantes aient cherché à parfaire leurs connaissances, à s'outiller davantage au niveau de l'intervention, à s'intéresser un peu plus à la dimension psychologique. Elles ont voulu mieux comprendre les réactions psychologiques vécues par les femmes en lien avec les conséquences des agressions survenues dans le passé. L'analyse sociale et politique de la problématique n'a pas été mise de côté pour autant. Il y a de la place et un souci accordé à celle-ci. On semble plutôt avoir cherché à mieux articuler cette analyse, qui est au coeur même de l'intervention féministe dans les CALACS, à la dimension individuelle et psychologique.

    On peut supposer également, que la lourdeur des problèmes vécus par les femmes qui viennent en suivi dans les CALACS est venue confirmer cette nécessité de s'ouvrir davantage à d'autres approches. Ainsi, les intervenantes demeurent toujours soucieuses de garder à vue les conditions sociales qui contribuent à ce que des agressions à caractère sexuel se commettent et saisissent les opportunités et les ouvertures qui leur permettent de conscientiser les femmes en suivi à cette dimension. Mais elles sont conscientes que plusieurs femmes sont encore loin des préoccupations sociales et politiques mises de l'avant par l'intervention féministe. On semble y aller de petits pas en petits pas.

    5.1      LA THÉRAPIE RADICALE

    Parmi les emprunts à d'autres approches, celui fait à la thérapie radicale est sans doute le plus important. Dans bon nombre de CALACS, la thérapie radicale est amalgamée à l'intervention féministe. Cette approche a une grande parenté avec l'intervention féministe. Les deux approches ont beaucoup de compatibilité au niveau des valeurs et des analyses qu'elles avancent. L'approche radicale s'est développée en Californie au cours des années 1960-70, en réaction à la psychiatrie traditionnelle18. Elle s'oppose à l'idée que la détresse des gens est uniquement de source personnelle. Elle soutient qu'elle prend sa racine dans les inégalités sociales créées par le système capitaliste et patriarcal dans lequel nous vivons. Les structures sociales, politiques et culturelles ont un impact important sur la structure psychique des individus. Elle reconnaît que le manque de pouvoir de certains groupes dans la société - notamment les femmes - est cause de leur aliénation et même de leur détresse psychologique. Cette analyse se résume dans la formule suivante:

    Oppression   +   mystification19 6   + Isolement   =   Aliénation

    Ainsi, le but de la thérapie radicale est de redonner du pouvoir aux personnes en les aidant à combattre l'oppression intériorisée. Pour se faire, la thérapie radicale propose une démarche qui se résume de la manière suivante:

    Prise de   +   Contacts avec   +   Action   = Libération conscience       les autres (solidarité)

    La thérapie radicale fait des emprunts aux approches humanistes, notamment à l'analyse transactionnelle. Elle utilise surtout le concept du triangle du sauvetage (ou triangle de protection) pour analyser les rôles joués par une personne dans ses relations. Le triangle du sauvetage réfère à trois rôles spécifiques qu'il nous arrive de jouer dans le courant de notre vie, soit celui de

    18        Les informations qui suivent sont tirées de l'article de Tremblay et Tremblay (1996) et de Steiner (n.d.).

    19        Mystifier les causes et les conditions d'oppression. Mystifier: tromper en donnant de la réalité une idée séduisante, mais fausse.

    la victime, de la sauveuse et de la persécutrice. Tenir un de ces rôles nous amène nécessairement à jouer les deux autres. La «victime» se sent impuissante et obtient l'aide d'une «sauveuse». En aidant la «victime», la «sauveuse» fait plus que sa part, dépasse ses limites. Elle devient alors irritée, en colère et agit comme «persécutrice». Se sentant coupable d'avoir agit de la sorte elle devient «victime» à son tour ou encore «sauveuse». Le but est donc de briser cette dynamique qui maintient des relations inégalitaires.

    Le concept central de la thérapie radicale est celui des oppressions intériorisées - ou communément appelé les «flics». Les «flics» sont des discours moralisateurs basés sur des idées fausses que nous avons intégrées à propos de nous-mêmes. Comme le précise Steiner (n.d.): «L'oppression intériorisée est définie comme la force qui fait que nous avons des jugements de valeurs nuisibles, inexacts - à propos de nous-même et du monde en général. Ces idées et sentiments se manifestent sous forme de comportements ou d'attitudes constamment renforcés par la culture qui nous entoure.» (2) Par exemple, les «flics» les plus souvent intériorisés par les femmes occidentales comportent les messages suivants: t'es folle, malade, paresseuse, stupide, méchante, laide, sans valeur (suicide). Le travail en thérapie radicale consiste donc à détecter les «flics», les isoler, les dénoncer et à les combattre. Pour y parvenir, la thérapie radicale favorise une stratégie orientée sur la coopération et les relations égalitaires, par l'adoption des trois règles suivantes: pas de secret, pas de mensonge; pas de sauvetage; pas de jeu de pouvoir.

    La thérapie radicale fournit également des outils de communication permettant d'établir des communications claires et honnêtes, ainsi que des consignes précises pour les utiliser dans le respect des personnes qui sont impliquées dans une relation. Le premier outil est la communication de sentiments retenus. Il consiste à communiquer à une personne l'impact qu'ont eu sur nous certains de ses gestes, attitudes ou paroles. Le deuxième outil concerne les pensées retenues (ou impressions, paranoïas). Ces pensées sont des intuitions et\ou des impressions que nous avons et qui se rapportent aux sentiments ou aux pensées d'une autre personne. Ce sont des hypothèses qui doivent être d'abord validées par les personnes à qui ces pensées se rapportent. Le dernier outil concerne la communication d'appréciations. Il s'agit de compliments, de qualités reconnues et formulées aux personnes entre elles en guise d'antidote aux oppressions intériorisées (nourriture affective).

    L'ensemble des centres d'aide font des emprunts à la thérapie radicale. Certains adhèrent aux fondements de la thérapie radicale. Plusieurs utilisent les outils: les concepts - surtout le concept de «flics», les outils de communication ou le triangle du sauvetage pour situer le rôle tenu par les femmes dans leurs relations. En groupe, plusieurs CALACS travaillent avec la thérapie radicale.

    5.2     L'APPROCHE COURAGE TO HEAL

    Les CALACS s'inspirent également de l'approche d'intervention développée par Laura Davis et Ellen Bass dans leur ouvrage 777e Courage to Heal - Workbook (1988)20. Laura Davis est une survivante d'inceste et Ellen Bass dirige depuis plusieurs années des ateliers d'écriture pour les femmes qui ont été agressées sexuellement dans l'enfance. Bien que cette dernière n'ait pas de formation académique, elle a développé des habiletés au niveau de l'intervention. Leur ouvrage est un guide qui s'adresse aux adultes qui ont été abusé-e-s sexuellement dans l'enfance. Leur approche est axée sur la guérison et l'écriture est le moyen privilégié pour permettre de retourner en arrière, pour revivre les sentiments rattachés aux événements vécus et pour favoriser le processus de deuil. La démarche proposée dans le guide n'est pas basée sur des théories psychologiques, mais s'appuie sur les expériences de femmes qui ont été agressées sexuellement dans l'enfance.

    Le processus de guérison comporte quatorze étapes qui peuvent se résumer ainsi:

    20

    Les informations qui suivent sur l'ouvrage de Davis et Bass (1988) sont tirées du rapport de recherche «Survivre à l'inceste - Mieux comprendre pour mieux intervenir» (1989), de la Collective Par et Pour Elles.

    • Prendre la décision de guérir
    • Affronter les moments de crise provoqués par la résurgence des souvenirs et des sentiments reliés à l'abus
    • Retrouver ses souvenirs et les sentiments associés à l'abus.
    • Reconnaître ce qui est arrivé
    • Briser le silence afin de chasser la honte
    • Déculpabiliser
    • Reprendre contact avec sa propre vulnérabilité
    • Apprendre à se faire confiance
    • Prendre le temps de pleurer ses souffrances

    • Exprimer sa colère
    • Confronter directement l'agresseur et\ou la famille (selon chaque femme).
    • Se pardonner à soi
    • Faire place à la spiritualité
    • Résolution et action

    D'autres parties du guide visent également à changer certaines attitudes ou comportements: estime de soi, intimité, sexualité, etc. Le cahier d'exercices vise à mettre les femmes en action et à leur faire reprendre du pouvoir sur leur vie. L'approche développée par Bass et Davis est très près de l'intervention féministe dans les CALACS.

    5.3     OUVERTURE À LA DIMENSION PSYCHOLOGIQUE

    Les intervenantes se sont tournées vers d'autres sources d'informations, d'autres écoles de pensée, d'autres approches, celles-là mêmes qui avaient été sévèrement critiquées à l'époque où l'intervention féministe faisait émergence. Il semble toutefois que les intervenantes des CALACS aient décidé comme le dit le proverbe, «de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain!» et de réexaminer certaines approches d'intervention jadis critiquées, pour tenter d'y dénicher des éléments qui seraient utiles à leur pratique d'intervention. Les centres d'aide se sont ouverts aux approches d'intervention qui sont davantage rattachées au domaine de la psychologie, afin de mieux comprendre certains processus ou manifestations psychologiques dont elles étaient témoins dans leur travail auprès des femmes et aussi pour y emprunter des techniques d'intervention.

    Certaines intervenantes se sont sensibilisées par exemple à la psychanalyse ou à l'humanisme (notamment la gestalt). Elles ont aussi acquis de nouvelles connaissances sur le développement humain, les facteurs inconscients, les mécanismes de défense. Des intervenantes ont recours à des outils ou techniques d'intervention provenant d'autres approches comme la visualisation, l'interprétation des rêves, la démarche émotivo-rationnelle de Lucien Auger. Sans adhérer nécessairement aux fondements mêmes de ces approches, elles tentent ainsi de retenir les meilleurs éléments pour enrichir leur intervention.

    Les intervenantes tentent donc de faire des emprunts judicieux, qui s'accordent à l'intervention féministe et probablement à leur façon de voir le monde. Comme le soutient Sturdivant (1980): «on a des croyances, conscientes ou inconscientes, sur la nature des êtres humains, et en conséquence, on développe ou l'on choisit des théories ou des techniques qui s'accordent à ces croyances.» (23)

    5.4     OUVERTURE A LA DIMENSION SPIRITUELLE

    En dernier lieu au chapitre des emprunts faits à d'autres approches et à d'autres domaines, on remarque chez quelques intervenantes une ouverture à la dimension spirituelle. Elle est motivée par le besoin de supporter et de faire avancer la démarche d'intervention et par la nécessité de donner de l'espoir aux femmes. Cette tendance est bien entendu aussi reliée aux croyances de l'intervenante en une spiritualité, c'est-à-dire à la nécessité de s'en remettre à quelqu'un d'autre, à croire à un être (pas nécessairement Dieu) qui peut donner de l'espoir et de l'énergie pour traverser les souffrances et les moments difficiles.

    Les pratiques d'intervention dans les CALACS ne sont pas seulement diversifiées de par le fait qu'elles diffèrent d'un centre à l'autre, elles sont aussi éclectiques21. En effet, une intervenante peut travailler à la fois avec la thérapie radicale et des notions de gestalt. On ne se limite donc pas à une seule approche, mais on puise dans quelques-unes pour construire son intervention.

    21   Eclectisme: sélectionner et utiliser ce qu'on considère comme les meilleurs éléments dans chacune des théories et des écoles de pensée existantes.

    6.      Techniques d'intervention

    Les intervenantes des CALACS utilisent des outils et des techniques d'intervention dans leur travail auprès des femmes. Sturdivant (1 980) décrit les techniques d'intervention comme «des échanges spécifiques entre le thérapeute et le client mis en oeuvre pour atteindre plus facilement les buts thérapeutiques.» (24) Ces moyens sont utilisés à plusieurs fins, soit: pour permettre l'expression des émotions, des sentiments, ou d'idées; pour favoriser la réflexion, l'analyse d'une situation; pour aider les femmes dans la prise de décision, dans l'action; pour favoriser l'acquisition de nouveaux comportements (estime de soi, confiance, affirmation, etc); et pour reprendre du pouvoir dans certaines dimensions de leur vie. Le choix des outils se fait en fonction des besoins des femmes et\ou de la façon de travailler de l'intervenante.

    6.1      LA PAROLE

    Le principal outil d'intervention est la discussion, l'échange. C'est par la parole que le travail se fait, que les objectifs d'intervention sont mis en oeuvre. Même lorsque les intervenantes proposent d'autres outils ou façons de faire, la parole reste le «véhicule principal» de la démarche de suivi.

    Pour certaines femmes, le fait de raconter à d'autres l'histoire de leur agression peut revêtir un caractère libérateur. Raconter l'agression vécue favorise parfois une meilleure compréhension des conséquences de l'agression en permettant de faire un aller-retour entre les événements du passé et les difficultés actuelles.

    D'autres intervenantes tentent parfois de trouver et d'expérimenter différentes façons pour les femmes qui ne s'expriment pas beaucoup par la parole. Certaines femmes ayant vécu l'inceste dans l'enfance ont appris à contrôler leur parole, afin de cacher le fait d'avoir été agressées. Le contrôle de la parole était en quelque sorte un moyen de survie. La parole ne leur sert donc plus à exprimer des émotions ou des sentiments, mais à contrôler une situation. Il faut donc trouver d'autres outils d'intervention pour ces femmes afin de leur permettre d'exprimer leurs émotions.

    6.2     LE CORPS

    Plusieurs intervenantes mettent à la disposition des femmes du matériel leur permettant d'exprimer physiquement le trop plein de colère. Par exemple, des coussins ou un matelas, des bâtons de baseball ou des raquettes peuvent être utilisés par les femmes pour défouler leur colère en toute sécurité. D'autres intervenantes acceptent d'accompagner certaines femmes dans les bois pour qu'elles crient leur détresse, leur douleur, leur colère. D'autres s'intéressent à des moyens qui permettraient aux femmes d'exprimer des émotions et des souvenirs avec leur corps.

    6.3     L'ART

    De façon générale les CALACS possèdent du matériel d'art plastique (peinture, pâte à modeler, crayons de couleur, argile, etc) pour les femmes qui voudraient s'exprimer autrement que par la parole. Certaines intervenantes ont été sensibilisées à l'Art-thérapie. Plusieurs utilisent les collages ou le dessin (par exemple demander aux femmes d'illustrer par un collage comment elles perçoivent leur père). Le but reste toujours le même, trouver un véhicule adéquat pour transmettre une émotion, une parole, une pensée.

    6.4     L'ÉCRITURE, L'ANALYSE, LA RÉFLEXION

    L'écriture est un autre moyen très populaire auprès des intervenantes des CALACS. Plusieurs s'inspirent de l'approche développée par Laura Davis et Ellen Bass dans leur ouvrage Courage to Heal22 et proposent l'écriture aux femmes comme moyen d'exprimer leurs pensées et leurs sentiments en regard de ce qu'elles vivent. La lecture en est un autre utilisé par les intervenantes, que ce soit sur la problématique ou sur des thèmes spécifiques rattachés aux différentes étapes dans la démarche d'intervention. Les intervenantes demeurent ouvertes et assez souples pour trouver des façons de faire qui permettent d'avancer dans l'expression des émotions et des sentiments, dans la réflexion ou dans l'action.

    22 Voir le chapitre sur la diversité des pratiques dans les CALACS.

    Conclusion

    Cette publication a permis de mieux faire connaître et comprendre les pratiques d'intervention dans les CALACS. Qu'il nous soit permis cependant d'espérer que d'autres ouvrages du même type viennent s'ajouter à celui-ci. Il est essentiel pour les centres d'aide, de continuer d'écrire sur leurs pratiques.

    Rappelons brièvement de quelle manière les principes de l'intervention féministe se traduisent dans la pratique et comment ils s'articulent à la problématique des agressions à caractère sexuel. Tout d'abord, la mise en pratique du principe se rapportant à la prise de conscience que «le personnel est politique» prend une grande place dans l'intervention des CALACS. Il se traduit principalement dans l'intervention par l'importance accordée à la dimension de la culpabilité et est abordé par le travail sur les mythes et préjugés entourant les agressions à caractère sexuel; la démystification et la normalisation des réactions et des émotions exprimées par les femmes; la conscientisation des femmes à la dimension sociale et collective de leur situation et enfin l'implication des femmes dans les centres d'aide ou à d'autres sphères de leur vie.

    Le deuxième principe quant à lui est celui de favoriser des relations égalitaires. Pour le mettre en pratique dans leur intervention, les intervenantes des CALACS: informent les femmes à propos de la mission du centre d'aide et des suivis; expriment leur volonté d'établir des rapports égalitaires; montrent de l'ouverture et encouragent les femmes à exprimer leurs besoins et à questionner le processus d'intervention; et sont partenaires dans la démarche d'intervention.

    Le dernier principe qui concerne la valorisation de la perspective des femmes, se concrétise dans l'intervention par l'attention accordée à: l'importance pour les femmes de s'accorder une place et de faire des choix en fonction d'elles- mêmes; la nécessité de mettre en lumière leur potentiel; l'importance de travailler sur l'affirmation de soi et sur l'expression de la colère.

    Depuis leur mise sur pied, les CALACS ont toujours affirmé leur volonté de travailler auprès des femmes victimes d'agression à caractère sexuel dans une perspective qui reconnaît le rôle du contexte social, culturel et politique permettant des manifestations de violence envers les femmes et ceci, avec une approche qui tienne compte également de la réalité et des conditions de vie des femmes. La réponse à l'affirmation de cette volonté a été et reste encore aujourd'hui l'intervention féministe. Celle-ci n'est pas statique. Elle a évolué au gré des besoins des femmes, de l'expérience des intervenantes, du contexte organisationnel et des ressources disponibles.

    Cet ouvrage a pu rendre compte, entre autres, de l'évolution de la pratique d'intervention dans les centres d'aide. L'ouverture des intervenantes à d'autres approches et domaines est un des aspects relié à cette évolution. Les intervenantes sont allées «voir ailleurs» afin d'élargir leurs possibilités d'intervention. Le défi actuel des CALACS réside dans la nécessité de mettre en commun leurs trouvailles, de poursuivre leur réflexion, de questionner les valeurs et les conceptions sous-jacentes rattachées aux emprunts qu'ont effectués les intervenantes tout au cours du développement et de l'évolution de leur pratique d'intervention. Il s'agit de faire place à l'ouverture et à l'innovation, sans perdre de vue les valeurs et les principes de l'intervention féministe. Les centres doivent trouver des moyens pour échanger sur leurs «bons coups», comme sur les dimensions où l'intervention féministe soulève des questionnements. Ils doivent également faire connaître leurs réflexions.

    L'analyse féministe, pas plus que sa mise en pratique, ne saurait s'enfermer dans une perspective qui ne reposerait que sur le vécu des femmes blanches, francophones, catholiques. Elle doit continuer de s'ouvrir à la diversité des expériences de vie de toutes les femmes: femmes d'ailleurs, d'autres ethnies, vivant un handicap, femmes âgées, lesbiennes etc. A cette étape de l'évolution de l'intervention des centres d'aide, ces derniers ne devraient-ils pas intégrer à leur réflexion et à leur analyse certaines de ces réalités?

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    WORELL, Judith, REMER, Pam (1992). Feminist Perspective in Therapy - An Empowerment Model for Women, West Sussex, England, John Wiley and Sons Ltd.

    ANNEXE 1

    LISTE DES CALACS MEMBRES

    CALACS région Côte-Nord C.P. 2232

    BAIE-COMEAU (Québec) G5C 2S9 (418) 589-1714

    CAPAS Châteauguay C.P. 47030

    CHÂTEAUGUAY (Québec) J6K 5B7 (514) 699-8258

    La Maison ISA C.P. 1551

    CHICOUTIMI (Québec) G7H 6Z5 (418) 545-6444

    La Passerelle

    C.P. 93

    DRUMMONDVILLE (Québec)

    J2B 6V6

    (819) 478-3353

    CALACS La Borne C.P. 1907 GASPÉ, Qc GOC 1 RO (418) 368-6686

    CAPAS Granby

    C.P. 63

    GRANBY, (Québec)

    J2G-8E2

    (514) 375-3338

    CALAS Hull

    C.P. 1872, Suce. B

    HULL (Québec)

    J8X 3Z1

    (514) 756-4999

    (819) 771-1773   urgence

    CALACS Lanaudière

    C.P. 31

    JULIETTE (Québec)

    (819) 771-6233   information

    J6E 3Z3

    Trêve pour Elles

    C.P. 51119

    3365 Granby

    MONTRÉAL (Québec)

    H1N 3T8

    (514) 251-0323 C

    CALACS Rimouski 115 Ste-Thérèse RIMOUSKI (Québec) G5L 4C3 (418) 725-4220

    Point d'appui - Rouyn C.P. 1274

    ROUYN-NORANDA (Québec) J9X 6E4 (819) 797-0101

    CALACS Laurentides C.P. 202

    ST-JÉRÔME (Québec) J7Z 5T9 (514) 565-6231

    CALACS Chaudière-Appalaches

    11980, 2e Avenue

    ST-GEORGES-DE-BEAUCE

    (Québec)

    G5Y 1X3

    (418) 227-6866

    CALACS Sherbrooke C.P. 1594

    SHERBROOKE (Québec) J1H 5M4 (819) 563-9999

    CALACS Trois-Rivières C.P. 776

    TROIS-RIVIÈRES (Québec) G9A 5J9 (819) 373-1232

    Assaut Sexuel Secours

    C.P. 697

    VAL D'OR (Québec)

    J9P 4P6

    (819) 825-6968

    La Vigie

    C.P. 295

    VALLEYFIELD (Québec)

    J6S 4V6

    (514) 371-4222

    Regroupement québécois des CALACS

    C.P. 267, suce. De

    Montréal (Québec)

    H2H 2N6 (514) 529-5252

    59