Table des matières

Liste des tableaux

Tableau I. Les stades du développement de la foi, selon le modèle de Fowler (1981; 1982)

Tableau II. Les stades du développement du jugement religieux, selon la théorie d'Oser et Gmunder (1991)

Tableau III. Buts, objectifs et questions de recherche

Tableau IV. Évolution des contacts religieux des sujets au cours de leur vie

Tableau V. Les expériences importantes

Tableau VI. Les déséquilibres vécus négativement

Tableau VII. Les déséquilibres vécus positivement

Tableau VIII. Les déséquilibres ambivalents

Tableau IX. Les déséquilibres spirituels

Tableau X. Les motivations sous-jacentes au processus d'apprentissage

Tableau XI. Les actions entreprises par les sujets dans le processus d'apprentissage

Tableau XII. Les opérations mentales mobilisées dans le processus d'apprentissage

Tableau XIII. Les savoirs investis dans le processus d'apprentissage

Tableau XIV. Les réactions subjectives ayant une incidence sur le processus d'apprentissage

Tableau XV. Les conditions d'apprentissage

Tableau XVI. Les apprentissages transformateurs d'ordre spirituel

Tableau XVII. Les apprentissages relatifs à l'identité personnelle

Tableau XVIII. Les apprentissages d'ordre conceptuel

Tableau XIX. Les apprentissages relatifs aux attitudes

Tableau XX. Les apprentissages d'ordre relationnel

Tableau XXI. Autres apprentissages

Tableau XXII. Les désapprentissages

Résumé

Desrochers, S. (2009). Les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique. Mémoire de maîtrise. Montréal : Université de Montréal. 216 pages.

La recherche présentée dans ce mémoire propose une approche andragogique du développement spirituel, à partir du point de vue d'adultes qui commencent ou recommencent un cheminement dans la religion catholique. Alors que le développement spirituel est le plus souvent examiné à partir des postulats modernes d'une évolution de l'humain qui serait orientée vers un progrès, la perspective adoptée ici emprunte un point de vue centré sur les expériences de vie et les apprentissages existentiels des adultes, permettant de mieux prendre en compte l'intérêt post-moderne pour la fluidité et la complexité du développement de l'adulte contemporain.

Dans cette perspective, l'analyse qualitative des propos de six adultes engagés dans une démarche d'éducation catholique a permis de dégager les déclencheurs, les processus et les résultats des apprentissages qui ont jalonné leur cheminement spirituel. Par cette approche, le développement spirituel est saisi en relation avec le développement de l'identité. Il consiste non seulement en la réappropriation personnelle de l'héritage religieux et culturel reçu, mais également en l'élaboration créatrice et jamais achevée de son identité spirituelle, à partir de diverses sources et influences, religieuses ou non. Plus encore, le développement spirituel s'inscrit dans le dynamisme intersubjectif inhérent aux différents processus d'apprentissage, mu autant par la recherche de sens qui est au cœur de l'identité individuelle, que par les relations sociales qui interagissent et par les contextes dans lesquels elles s'inscrivent. Le développement spirituel emprunte ainsi une trajectoire sinueuse, intégrant autant les avancées que les blocages qui peuvent survenir au fil des apprentissages.

Mots clés : adulte, apprentissage, andragogie, développement de l'adulte, développement spirituel, spiritualité, éducation catholique, expériences de vie, apprentissage transformateur, analyse qualitative.

Abstract

Desrochers, S. (2009). Les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique. Master's thesis. Montréal : Université de Montréal. 216 pages.

The research presented in this thesis proposes an andragogical approach to spiritual development from the standpoint of adults who undertake to discover or rediscover the Catholic faith. While spiritual development is usually examined from the modernist angle that views human evolution as geared toward progress, the perspective adopted here is centered on adult life experiences and existential learning, better allowing for the postmodern interest in the fluidity and complexity of contemporary adult development.

From this perspective, the qualitative analysis of interviews conducted with six adults seriously pursuing a path of Catholic education has allowed to uncover the triggers, the processes, and the results of learning throughout their spiritual quest. Through this approach, spiritual development is grasped in relation to identity development. It not only consists of the personal reappropriation of a religious and cultural heritage, but also of the creative, ongoing pursuit of one's spiritual identity based on various sources and influences, whether religious or not. Furthermore, spiritual development appears as intimately related to the intersubjective dynamics inherent to all learning processes, and is spurred as much by the search for meaning, which is at the heart of personal identity, as it is by interactive social relations and their contexts. Spiritual development thus follows a sinuous path, incorporating the advances as well as the obstacles that appear along the way.

Keywords : adult, learning, andragogy, adult development, spiritual development, spirituality, Catholic education, life experiences, transformative learning, qualitative analysis.

Introduction

Malgré la nette et constante diminution de leurs membres, les paroisses et les divers organismes de l'Église catholique assistent à une demande persistante, parfois même en croissance, d'accompagnement spirituel ou d'éducation religieuse d'adultes. Parmi ces adultes, certains sont des parents qui, au cours de la démarche de préparation aux sacrements de l'initiation chrétienne de leur enfant, découvrent pour eux-mêmes des questions et des besoins spirituels pour lesquels ils sont prêts à consacrer du temps. D'autres personnes vivent une épreuve ou un passage majeur qui touche des valeurs fondamentales ou des questions existentielles : elles cherchent un lieu pour les explorer avec d'autres, des gens pour les accompagner et les soutenir. Certaines personnes se retrouvent sur le chemin de la foi après un long temps de distance avec la religion catholique dans laquelle elles ont été éduquées; elles cherchent à mieux comprendre ce qu'elles vivent ou à renouer avec cette dimension de leur vie. D'autres encore, suite à un événement ou une rencontre, découvrent la religion catholique qu'elles ne connaissaient pas; il s'agit pour elles d'un tournant, certaines ayant reçu une éducation dans un autre univers religieux, d'autres n'ayant jamais été en contact avec une religion spécifique.

Ces adultes désirant entreprendre un cheminement religieux ou spirituel dans une perspective catholique s'adressent à différents organismes qu'ils connaissent ou qu'ils découvrent dans leurs recherches, soit une paroisse, un groupe catholique d'entraide ou de réflexion, un mouvement, une communauté religieuse, etc. Devant cette demande d'éducation religieuse, très personnelle et multiforme, les intervenants pastoraux proposent des démarches, certaines structurées et d'autres informelles, pour accompagner ces personnes selon le cheminement qu'elles désirent entreprendre. Ils créent des parcours de formation ou s'appuient sur les instruments pédagogiques qu'ils connaissent. Toutefois, malgré plusieurs décennies d'expérience et de pratique pastorales dans ce domaine, les initiatives d'éducation catholique des adultes semblent être encore éclatées et peu développées (Routhier, 1996). Une grande partie des énergies de l'Église est plus que jamais consacrée à l'éducation religieuse des enfants, alors que les paroisses l'assument désormais sans le concours de l'école. La formation religieuse des adultes se trouve donc, encore aujourd'hui, en recherche de repères et de voies de réalisation.

De plus, le point de vue à partir duquel l'Église catholique s'intéresse aux adultes désirant entreprendre un processus d'apprentissage religieux ou spirituel est intra-religieux. Ainsi, les intervenants pastoraux reçoivent une formation théologique ou religieuse catholique pour se préparer à l'accompagnement spirituel ou à l'éducation religieuse d'adultes. La littérature utilisée pour la formation initiale ou continue de ces intervenants est essentiellement théologique, proposant un point de vue catholique sur le cheminement spirituel et sur les adultes eux-mêmes. Or, dans la société québécoise actuelle, les trajectoires spirituelles d'adultes sont plus que jamais exogènes à la religion catholique, ou composées d'un amalgame plus ou moins diversifié d'expériences religieuses et spirituelles. Même chez les adultes qui commencent un cheminement de foi catholique, leur développement spirituel n'en présente pas nécessairement les traits. Les personnes qui désirent entreprendre un tel chemin ont déjà une vie spirituelle dont la théologie catholique n'a pas toujours la grammaire.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la recherche présentée dans ce mémoire. Elle permettra d'éclairer, dans une perspective andragogique, les interventions des personnes accompagnant des adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique. Elle vise à mettre davantage en évidence le rôle des expériences de vie et des apprentissages dans le développement spirituel de ces adultes et qui constituent le tremplin à partir duquel ils entreprennent cette démarche catholique. La recherche s'attache donc, d'une part, à repérer les apprentissages qui ont marqué la vie spirituelle de ces adultes au seuil d'une démarche d'éducation catholique : quels apprentissages se profilent dans l'itinéraire qui a conduit ces adultes à entreprendre une démarche d'éducation catholique? D'autre part, il s'agit d'analyser le processus de développement spirituel en relation dynamique avec ces apprentissages : quel processus de développement spirituel se dessine à partir de ces apprentissages?

Pour répondre à ces questions, la recherche est conduite dans une approche exploratoire, empruntant l'itinéraire suivant :

  1. Le premier chapitre, consacré à la problématique, propose une lecture critique de la perspective théologique et catéchétique à partir de laquelle s'effectue l'accompagnement spirituel des adultes : quelle conception de l'adulte et du cheminement spirituel s'en dégagent? Quels sont les points d'appui pour la recherche et quels problèmes appellent un éclairage andragogique?
  2. Le problème étant posé, trois dimensions-clés de la question de recherche sont explorées à partir des écrits recensés sur le sujet : l'adulte et son développement, la spiritualité dans une perspective développementale et les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes. Le deuxième chapitre s'applique donc à cerner les bases théoriques de la recherche dans ces trois champs et à en définir les principaux concepts.
  3. Le troisième chapitre présente le cadre conceptuel à partir duquel s'effectue la recherche. Il est consacré à la formulation d'une synthèse opératoire des définitions retenues pour chacune des dimensions-clés à la suite de la recension des écrits. Les questions spécifiques de la recherche en découlent.
  4. Le quatrième chapitre précise le cadre méthodologique de la recherche, c'est-à-dire l'approche selon laquelle celle-ci est conduite, l'échantillon retenu, la méthode de cueillette des données et le processus par lequel s'est effectuée l'analyse de ces données.
  5. Les résultats de recherche sont présentés et discutés dans le cinquième chapitre, répondant aux questions de départ et mettant en évidence les déplacements opérés au regard du cadre conceptuel.

En conclusion, les apports et les limites de la recherche sont mis en évidence, comme autant d'ouvertures vers d'autres pistes à explorer.

1. Problématique

En catéchèse des adultes, tant dans les écrits théologiques que dans les propositions catéchétiques elles-mêmes, le point de vue andragogique est pris en compte pour l'accompagnement spirituel ou religieux des adultes (Routhier, 2002). Alors que les termes de «catéchèse des adultes», d'«éducation religieuse catholique» ou d'«éducation de la foi des adultes» sont employés comme des expressions équivalentes pour désigner l'ensemble des pratiques d'accompagnement des adultes dans l'apprentissage ou l'approfondissement de la foi catholique, la notion d'«andragogie religieuse» (Bellefleur-Raymond, 2005; Office de catéchèse du Québec, 1983) se rapporte à un processus d'apprentissage dont les contours religieux sont moins nettement définis. De plus, cette notion marque une plus grande insistance sur l'adulte et son cheminement, alors que le terme «catéchèse» évoque traditionnellement l'éducation catholique des enfants. Ainsi, l'andragogie religieuse renvoie à «l'ensemble des théories et des pratiques qui favorisent l'apprentissage centré sur la personne de l'apprenant et l'aident à devenir l'agent principal de ce qu'il cherche à s'approprier dans le domaine spirituel et religieux (Bellefleur-Raymond, 2005, p. 18).» Toutefois, si l'andragogie religieuse adopte un point de vue davantage centré sur l'adulte, elle le fait dans un cadre théologique, intégrant les apports de la psychologie et de l'andragogie à partir des mêmes postulats théologiques que l'ensemble de la catéchèse contemporaine. En outre, la théologie de la catéchèse a intégré l'andragogie religieuse comme un autre synonyme de la catéchèse des adultes, la signification de cette dernière s'étant considérablement élargie, en théologie du moins, depuis les années '60.

Dans cette perspective, ce chapitre cherchera d'abord à discerner, dans l'andragogie religieuse et la catéchèse des adultes, les postulats théologiques sur lesquels s'appuie l'éducation catholique : quelle conception de l'adulte et de son cheminement s'en dégagent? En second lieu, ces postulats seront questionnés à partir du point de vue spécifique de l'andragogie : quelles sont les limites de l'approche théologique du développement spirituel des adultes et quelles questions restent ouvertes? Cette problématique conduira à préciser les buts de la recherche.

1.1 Présupposés théologiques sous-jacents aux pratiques d'éducation catholique

Dans le contexte des efforts que l'Église catholique consacre aux personnes désirant entreprendre un cheminement religieux ou spirituel, la recherche théologique et la formation des intervenants pastoraux ont fourni un certain nombre de balises, destinées à éclairer leurs pratiques. Ainsi, si l'on considère les principales références francophones actuelles sur la catéchèse des adultes et l'andragogie religieuse (Alberich & Binz, 2000; Bellefleur-Raymond, 2005; Centre national de l'enseignement religieux, 1986; Fossion & Ridez, 1987; Giguère, 2002, 2005; Office de catéchèse du Québec, 1983), l'accompagnement des adultes dans la foi s'appuie sur deux principes fondamentaux : 1) l'adulte est le premier responsable de son cheminement religieux et des transformations qu'il veut opérer dans ses manières de croire et de vivre; 2) la foi catholique s'inscrit dans la trame de l'expérience humaine, qui touche tout à la fois l'intelligence, l'affectivité, le corps, les relations, l'agir et la culture; la catéchèse des adultes doit honorer toutes ces dimensions de l'apprentissage. On retrouve donc, dans les principaux ouvrages en éducation catholique des adultes en usage au Québec, deux points de vue complémentaires, articulés l'un à l'autre : le point de vue théologique, soutenant une représentation existentielle et dynamique de la foi, et la perspective andragogique, considérant l'adulte en tant que sujet de son cheminement religieux et spirituel toujours en devenir.

1.1.1 La foi vue dans une perspective de maturation

Du point de vue théologique, la foi catholique articule deux pôles (Villepelet, 2003, référant à St-Augustin, De Trinitate, 13,2) : le pôle objectif (fides quae creditur) renvoie aux dogmes et aux contenus de foi transmis et formulés par la tradition de l'Église; le pôle subjectif (fides qua) consiste en une posture existentielle, l' «attitude fondamentale de la personne» (Giguère, 2002, p. 50) qui oriente toute sa vie, ses manières de voir et son agir. Or, si elle est une «disposition intérieure stable (p. 51)» et durable, la foi en tant qu'attitude fondamentale est également un dynamisme qui met la personne en cheminement spirituel : le premier mouvement de la foi est celui de la conversion qui, peu à peu, se transforme en adhésion toujours à approfondir et à revisiter (Giguère, 2005). Ainsi en est-il des deux pôles de la foi catholique, qui se caractérise tant par sa stabilité que par son dynamisme. Même dans sa dimension objective, les contenus de la foi catholique que sont ses dogmes, ses rites, ses normes et ses pratiques se sont élaborés et transformés au fil des siècles, selon les contextes socio-religieux et culturels. Dans sa dimension subjective, la foi est vue comme un processus constant de transformation intérieure qui sera représenté, selon les traditions spirituelles, tantôt comme une échelle, tantôt comme des étapes, ou comme l'ascension d'une montagne (Giguère 2005).

Autrefois étroitement associée à l'enfance, la catéchèse d'aujourd'hui, dans les écrits théologiques du moins, concerne tous les âges de la vie, à partir d'une conception dynamique de la foi appelée à croître, à se développer et à mûrir dans toutes ses dimensions. Toutefois, dans cette perspective, l'attitude de foi relève d'abord de l'adulte, non pas à l'exclusion des autres groupes d'âge, mais elle se déploie davantage dans toutes ses dimensions et ses caractéristiques chez l'adulte, dans l'autonomie, la liberté, un projet de vie, des valeurs, des relations, etc. (Alberich, 2006; Derroitte, 2001; Fossion, 1997). À l'instar des orientations officielles de l'Église catholique (Assemblée des évêques du Québec, 2004; Congrégation pour le clergé, 1997), la théologie catéchétique s'intéresse à la foi mûre comme un phare pour guider l'éducation de la foi à tout âge de la vie.

Ainsi, nombreux sont les auteurs qui tentent de définir ce qu'est une foi mûre ou encore qui proposent des caractéristiques de la maturité de la foi. Dans un ouvrage consacré à cette notion, Giguère (2002) classe plusieurs de ces «listes des traits» de la maturité de la foi ou de la foi mûre, selon les points de vue auxquels elles se rattachent : les unes, moins nombreuses, se réclamant de la psychologie, les autres proposant un point de vue à partir de la Bible ou de la théologie. Après avoir tracé les grandes lignes de ces différentes propositions, l'auteur montre les limites de cette diversité, qui trahit la difficulté à cerner une notion aussi floue que peu opératoire pour inspirer les pratiques. Comment le concept de maturité de la foi, cher aux théologiens et aux responsables de la catéchèse, peut-il éclairer les pratiques? C'est la question à laquelle Giguère (2002) s'attache à répondre, considérant la foi dans sa dimension subjective, soit comme expérience de croire et non comme contenu ou référent religieux.

Montrant les limites des modèles existants qui induisent une représentation de la maturité de la foi conçue comme un point d'arrivée ou un idéal à atteindre, Giguère (2002) déconstruit également le concept de «foi adulte» qui présuppose une adéquation trop directe entre l'âge adulte et la maturité. Le développement de la foi ne serait pas orienté vers une maturité qui se trouverait au terme d'un cheminement, ce qui serait en contradiction avec une conception dynamique de la foi dont le terme n'est jamais atteint. Plutôt, «...la maturité peut venir qualifier le processus lui-même du développement. Nous proposerons plus loin que chaque stade est appelé à trouver sa maturité et que la capacité de quitter un stade pour s'engager vers un autre est également un indice de maturité (Giguère, 2002, p. 64).» Ainsi le modèle de Giguère, s'appuyant sur le concept de «maturités successives», propose un développement dont chaque étape — et chaque période de la vie — peut conduire à une maturité qui lui corresponde. Au processus de maturation psychique correspond un processus de maturation de la foi, processus dans lequel une personne peut trouver — ou non —, à chacune des étapes, une manière adéquate de répondre aux défis de sens qui lui sont posés, manifestant ainsi de la maturité. Celle-ci est alors considérée «comme le degré d'intégration suffisant pour faire face d'une manière convenable aux défis de sens de son monde et de sa vie à ce moment précis de son existence (Giguère, 2002, p. 113).»

Cependant, comme il sera montré plus loin dans ce chapitre, cette proposition de Giguère, malgré son apport substantiel au débat, ne remet pas en cause les fondements théoriques sur lesquels reposent les concepts de maturité et de maturation de la foi. En effet, à l'instar des théologiens de la catéchèse qui privilégient une approche «psychoanthropologique» (Alberich, 2006) de la foi, Giguère considère celle-ci comme un processus dont le développement suit une trajectoire ascendante, vers des stades de plus en plus développés correspondant plus ou moins à certaines tranches d'âge, dans la foulée de modèles ayant exercé une influence déterminante sur la catéchèse des adultes et l'andragogie religieuse, notamment ceux de Fowler (1981) et d'Oser et Gmunder (1991). Toutefois, avant de considérer les limites et les questions posées à cette approche du développement spirituel, un aperçu de l'apport appréciable de ces modèles au regard de la théologie catéchétique sur l'adulte s'impose.

1.1.2 L'adulte considéré à partir d'une reprise théologique des modèles classiques du développement humain

En congruence avec une conception dynamique et anthropologique de la foi, l'approche développementale traverse le domaine de la catéchèse des adultes. D'une part, l'adulte lui-même est d'emblée considéré comme un être en devenir. En effet, du point de vue de l'andragogie religieuse, l'apprenant est vu

  • «comme sujet croyant adulte à telle étape de son développement psychoreligieux;
  • comme sujet croyant adulte aux prises avec les défis spirituels et/ou religieux spécifiques aux divers âges de la vie adulte et à leurs rôles évolutifs;
  • comme sujet croyant adulte en marche dans le processus de maturation de sa foi, qu'elle soit humaniste ou religieuse, notamment chrétienne;
  • comme sujet croyant adulte vivant des temps de crise, des dilemmes, des transitions pouvant favoriser ou non la maturation de sa foi (Bellefleur-Raymond, 2005, p. 18).»

Ainsi, selon la plupart des théologiens francophones de la catéchèse intéressés par l'adulte, celui-ci se développe dans l'ensemble des dimensions de sa vie, dont la dimension spirituelle, humaniste ou religieuse fait partie intégrante. Chez certains auteurs (Alberich & Binz, 2000; Bellefleur-Raymond, 2005; Giguère 2005) on trouve des références explicites aux travaux d'Erikson, de Jung, de Levinson et de Kegan. L'adulte est considéré à partir de ses besoins, dans la foulée de la théorie de Maslow, de l'avancée en âge et des problèmes de la vie (Bellefleur-Raymond, 2005); il est vu comme étant caractérisé par l'autonomie, l'expérience, les rôles sociaux et son rapport au temps (Giguère, 2005). Dans cette perspective, le point de vue de la théologie catéchétique sur l'adulte se nourrit à même les principaux modèles classiques de la psychologie du développement humain, considérant l'adulte comme un être en constante évolution au cours de sa vie.

Toutefois, malgré cet appui sur les modèles théoriques développementaux, les théologiens de la catéchèse ne s'attardent pas longtemps sur l'adulte en lui-même. L'attention est davantage portée sur le cheminement de foi, sur le développement religieux et sur l'adulte que cette foi construit. On pourrait dire que si l'adulte est considéré comme un être en devenir, il l'est particulièrement à partir de la foi et de la quête spirituelle qui l'habitent. Une telle perspective se manifeste en particulier dans les travaux des théologiens américains Whitehead et Whitehead (1990) qui proposent une relecture théologique, voire même biblique du modèle développemental d'Erikson, établissant un parallèle entre le processus de maturation psychologique et celui de la foi chrétienne, c'est-à-dire entre «les problèmes psychologiques prévisibles qu'un adulte rencontre et les invitations religieuses souvent déguisées qui se présentent même dans ces problèmes (p. 22).» Cette corrélation entre les étapes et les défis du développement psychosocial et les étapes de l'expérience religieuse catholique a stimulé et inspiré plusieurs théologiens de la catéchèse, dont les travaux ont eu des répercussions sur les pratiques catéchétiques d'ici et d'Europe.

D'autre part, dans la foulée des modèles précurseurs, les théories du développement spirituel ou religieux de Fowler (1981) et d'Oser et Gmunder (1991) sont particulièrement présents dans la littérature francophone sur l'éducation catholique des adultes (Alberich & Binz, 2000; Bellefleur-Raymond, 2005; Centre national de l'enseignement religieux, 1986; Fossion & Ridez, 1987; Giguère, 2002, 2005; Office de catéchèse du Québec, 1983). Ces modèles proposent une compréhension du développement de la foi ou du jugement religieux de l'adulte en relation avec le développement cognitif et socio-affectif montrant l'interdépendance de ces dimensions. Ils décrivent les phases ou stades successifs du développement religieux ou spirituel, permettant d'éclairer les interventions qui se veulent le plus adaptées possibles aux divers cheminements. Ces théories ont également exercé une influence prégnante sur la conception «psycho-anthropologique» (Alberich, 2006) de la foi, telle que nous l'avons esquissée dans la section précédente.

Dans cette perspective, la catéchèse des adultes vise à former des personnes qui assument librement et de manière responsable leur foi : non seulement se préoccupe-t-on d'une catéchèse qui soit adaptée aux adultes, mais également d'«une catéchèse qui rend adulte» (Fossion & Ridez, 1987, p. 76), c'est-à-dire d'une éducation catholique qui permette aux adultes de progresser dans la foi, de devenir des croyants dont la foi est plus mûre, mieux intégrée aux différentes dimensions de leur être. Le point de vue théologique et catéchétique sur l'adulte se trouve donc principalement déterminé par une représentation de ce qu'est la foi catholique lorsqu'elle se manifeste dans un être humain accompli, celui-ci étant considéré à partir des modèles classiques du développement.

1.2 De la théologie à l'andragogie : des voies à explorer

Les pratiques d'éducation catholique des adultes sont résolument inscrites dans un paradigme développemental, tant du point de vue théologique, présentant la foi comme un dynamisme en croissance dans la vie des personnes, que du point de vue andragogique, présentant l'adulte comme une personne en processus de développement, de maturation, d'évolution. Cette perspective développementale présente de nombreux avantages pour l'éducation catholique, soit une conception holistique de celle-ci et une prise en compte des différentes dimensions de la vie de l'adulte, considérée comme un processus dynamique. Toutefois, cette approche présente des apories : elle induit dans le modèle de l'andragogie religieuse une conception du développement spirituel qui relève d'une théologie s'appuyant sur une approche moderne de l'humain. Au cours des pages suivantes, les limites d'une approche moderne du développement spirituel en théologie seront mises au jour, dans un premier temps; les objectifs et les retombées de la recherche seront ensuite présentés, proposant d'apporter un autre point de vue sur le développement spirituel de l'adulte, soit celui de l'andragogie.

1.2.1 Les limites d'une approche «moderne» du développement spirituel

Dans la foulée de ce qui précède, on peut dire que l'andragogie religieuse sur laquelle s'appuient de nombreuses pratiques d'éducation catholique d'adultes s'inscrit dans une conception linéaire, voire hiérarchique du développement de la foi, orienté vers un progrès, voire un idéal, soit une foi mûre. Certes, certains auteurs se montrent critiques envers une telle conception du cheminement de foi qui, le plus souvent, a peu à voir avec ce que vivent les personnes concrètes. Pour leur part, Alberich et Binz (2000) soulèvent le risque d'une utilisation des modèles développementaux «pour prédire et prescrire, voire pour classer (p. 106)» les cheminements personnels dans cette perspective du progrès. Ils décrivent différents écueils qui peuvent survenir dans l'apprentissage de la foi et qui sont à considérer en catéchèse : «Les barrières et les défenses contre l'apprentissage dans la foi sont toujours à gérer à partir de l'histoire d'apprentissage de chaque personne (p. 131).»

Les travaux de Giguère (2002) sur les concepts de maturité et de maturation de la foi apportent un point de vue critique encore plus approfondi sur la tendance à considérer le caractère dynamique de la foi comme étant orienté vers un point de perfection, situé en dehors ou au-dessus des personnes elles-mêmes. Cependant, le modèle de maturités successives et de processus de maturation qu'il propose reproduit cette même représentation linéaire et évolutive du développement de la foi, présupposant un développement par stades, dont la succession suit une trajectoire ascendante, des stades moins développés vers des stades de développement supérieurs ou plus adéquats. La proposition de Giguère (2002) vise certes à qualifier les étapes du processus de développement de la foi, cherchant à éviter les pièges inhérents aux concepts de foi mûre ou de maturité de la foi. Toutefois, elle s'inscrit de manière non critique dans la perspective du développement spirituel ou religieux modélisé par Fowler (1981) et Oser et Gmunder (1991), sans que ces modèles eux-mêmes, ni leurs propres présupposés théoriques sur l'humain, ne soient questionnés.

Or, ces modèles ont été élaborés dans une approche moderne de l'humain, présupposant que celui-ci, considéré autant comme individu que comme humanité, est en constante évolution vers un état mieux adapté, plus développé, ou encore plus près de son accomplissement. Ainsi, d'un point de vue théologique, ils sont en parfaite congruence avec une représentation de la foi qui est constamment appelée à mûrir, tendue vers le meilleur de l'humain et de l'humanité. Cependant, cette congruence peut s'avérer un piège autant qu'un avantage : elle peut masquer trop facilement les questions laissées ouvertes par la foi ou la vie spirituelle elles-mêmes et qui sont plus que jamais exprimées par nos contemporains devant les absurdités et les souffrances de l'humanité. Dans cette foulée, la critique apportée par la perspective post-moderne sur ces modèles mérite d'être mieux prise en compte, car elle met davantage en évidence les contradictions, la diversité et la complexité de l'expérience humaine.

Ainsi, non seulement les adultes ne correspondent pas toujours aux profils de développement sur lesquels s'appuient les interventions catéchétiques, mais ils entreprennent leur cheminement avec un bagage spirituel tissé d'expériences diverses, certaines positives et constructives, d'autres négatives, aliénantes ou encore insignifiantes. Comment ont-ils composé avec ces expériences? Quels apprentissages en ont-ils retirés? Quelle incidence ces expériences et ces apprentissages ont-ils eues sur leur développement spirituel? Parmi ces personnes, les unes ont fréquenté des groupes de diverses religions ou spiritualités, d'autres ont reçu une éducation religieuse qu'elles ont délaissée, cherchant ailleurs. D'autres encore n'ont jamais été en contact avec quelque référence religieuse jusqu'à tout récemment. Qu'est-ce qui les a conduits à entreprendre une démarche catholique? quels savoirs ont contribué à leur trajectoire spirituelle et quels savoirs ont du être abandonnés en cours de route? Bref, ces personnes présentent des profils divers, des cheminements tissés d'expériences et de savoirs qui ont contribué, d'une façon ou d'une autre, à un développement spirituel. Celui-ci a certes conduit ces personnes à désirer entreprendre une démarche religieuse catholique, mais on ne peut présumer qu'elle suivra une trajectoire de maturation vers un idéal théologique de la foi et de la spiritualité catholiques. Comment rendre compte de la complexité et de la diversité inhérente au développement spirituel de ces adultes? Qu'est-ce qui se dégage du point de vue des personnes qui sont elles-mêmes engagées dans un tel itinéraire, à partir des expériences de vie et des apprentissages qui l'ont jalonné?

1.2.2 Les objectifs et les retombées anticipées de la recherche

Dans ce contexte, la recherche a pour visée générale d'examiner le développement spirituel de l'adulte du point de vue des personnes qui entreprennent un processus d'apprentissage de la foi catholique, selon une approche andragogique. Parmi les divers facteurs qui peuvent exercer une influence sur le développement spirituel de l'adulte, le rôle des expériences de vie et des apprentissages auxquels elles ont donné lieu reçoit une attention particulière, correspondant à l'angle choisi pour la recherche, soit celui de l'andragogie. Ainsi, l'intérêt est davantage porté sur la trajectoire spirituelle qui a conduit des adultes à commencer ou à recommencer une démarche d'éducation catholique, en relation avec les apprentissages qui ont marqué cette trajectoire. Le processus d'apprentissage de la foi catholique qui s'amorce est considéré comme le contexte présent à partir duquel les sujets peuvent relire leur cheminement spirituel antérieur, permettant de tracer une délimitation plus précise de l'objet de recherche. Dans cette foulée, la recherche poursuit deux buts principaux, dont découlent cinq objectifs spécifiques :

1er but : La recherche a pour but d'analyser, dans le récit des sujets qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique, les apprentissages qui ont marqué leur cheminement spirituel. Plus précisément, il s'agit :

a) de décrire les expériences qui ont été importantes dans le cheminement spirituel des sujets;
b) de dégager les processus d'apprentissage qui se sont engagés à partir des expériences importantes;
c) d'identifier les apprentissages ou les savoirs qui en ont résulté et qui ont marqué le cheminement spirituel des sujets.

2e but : En second lieu, la recherche a pour but d'analyser le processus de développement spirituel qui se dessine à partir de l'analyse des apprentissages. Pour cela, il s'agit :

a) de décrire le rôle des apprentissages dans le développement spirituel compris dans son ensemble;
b) de dégager les configurations particulières du processus de développement spirituel des sujets.

Se voulant complémentaire au point de vue théologique le plus souvent emprunté pour aborder le développement spirituel de l'adulte, l'approche andragogique propose un déplacement de perspective. En effet, les trajectoires spirituelles ne sont plus considérées à partir de la foi ou de la spiritualité, mais plutôt à partir de la manière dont les adultes composent avec les tribulations de leur existence et dont ils y cherchent un sens. Ainsi, d'une part, la recherche s'inscrit dans un dialogue critique avec la théologie à partir du point de vue spécifique de l'andragogie, non pour se substituer à elle, mais pour apporter un éclairage sur ce qui contribue à façonner le processus de développement lui-même, soit les expériences de vie et les apprentissages auxquels elles donnent lieu. Dans la perspective de la formation des personnes qui interviennent dans la catéchèse ou dans l'accompagnement spirituel des adultes, une telle approche met en évidence les apprentissages qui sous-tendent le développement spirituel et dont l'éducation religieuse catholique doit tenir compte, tout autant que des enjeux théologiques.

D'autre part, la recherche propose également un point de vue critique et complémentaire sur les modèles de développement spirituel qui ont jusqu'à maintenant exercé une influence déterminante sur l'éducation catholique des adultes tout autant qu'en andragogie. Il ne s'agit pas, toutefois, de démontrer leur caducité ou d'en prouver la validité. Le caractère exploratoire de la recherche se situe sur un autre plan que celui de la preuve : il contribue plutôt à attirer l'attention sur des aspects du développement spirituel qui mériteraient d'être mieux considérés en andragogie, soit les expériences, les processus et les apprentissages ayant une incidence sur ce développement, mettant davantage en évidence la complexité de celui-ci.

2. Recension des écrits

Le problème et les objectifs de la recherche ayant été posés, il s'agit maintenant de puiser dans les acquis de l'andragogie les ancrages théoriques sur lesquels s'appuie l'examen des apprentissages impliqués dans le développement spirituel des adultes. Ce chapitre s'y emploiera en explorant les trois grandes dimensions sous-jacentes à la question de départ, soit : 1) l'adulte et son développement, 2) la spiritualité examinée dans une perspective développementale et 3) les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes.

2.1 L'adulte et son développement

Cette section s'attachera à définir l'adulte dans une perspective développementale, puisqu'il s'agit de l'angle choisi pour la recherche. En premier lieu, la notion d'âge adulte ou de vie adulte sera examinée à partir des représentations qui se sont transformées au cours des dernières décennies : comment parler de l'adulte contemporain? Dans un deuxième temps, une analyse comparative des principaux courants développementaux, de leurs apports et de leurs limites permettra de poser les jalons pour le troisième temps, qui présentera la perspective développementale de l'adulte dans laquelle s'inscrit cette recherche.

2.1.1 L'adulte contemporain aux multiples visages

Employé comme adjectif, le mot adulte désigne l'arrivée à maturité, le point d'équilibre qui marque le terme de la croissance avant le déclin. Comme substantif, il évoque l'analogie biologique pour désigner l'humain, homme ou femme, qui a quitté l'adolescence sans être encore entré dans la vieillesse. Mais l'analogie a ses limites, puisque l'âge adulte est «socialement déterminé» (Boutinet, 2004a, en référence à Bourdieu, 1980) et que ses frontières, tout autant que ses caractéristiques, ne sont pas les mêmes selon les époques et les cultures. Ainsi, l'intérêt moderne pour l'âge adulte, tardif dans l'histoire des sciences humaines et sociales, s'est d'abord manifesté dans les théories de la personnalité, s'appuyant sur une représentation stable de l'adulte, et s'attachant à en dégager les régularités (années '50-65). Les recherches se sont ensuite intéressées au développement de l'adulte, considéré, dans une perspective constructiviste et humaniste, comme un sujet en devenir à partir du modèle de développement vocationnel, en écho à l'idéologie du progrès imprégnant les sociétés occidentales des années '60-80. «Par vocation on entend cette perspective dynamique de prise de décision, d'adaptation professionnelle, d'adoption de nouveaux rôles, d'acceptation positive de l'incertitude menant à la réalisation de soi (Boutinet, 2004a, p. 25).» Mais depuis les années '80, on assiste à la naissance d'un paradigme post-moderne où domine une représentation fragile, éclatée de l'adulte vu comme immature, dans une culture technologique valorisant la performance et la consommation.

En effet, le monde du travail, soumis aux fluctuations économiques, aux exigences technologiques et aux impératifs de la communication planétaire, place l'adulte dans une mobilité constante, recherchée ou subie. Recherchée, la mobilité permet de se différencier, de «faire la preuve de soi-même» dans des expériences limites — exploits sportifs, médiatiques ou professionnels —, de se construire comme individu unique et, par là, d'être reconnu. Mais trop de mobilité conduit au «chaos vocationnel», c'est-à-dire l'impossibilité de construire un projet pour le moyen et le long terme : le passage d'un projet à un autre, sans continuité, conduit à l'éclatement de l'identité, des appartenances et des repères (Boutinet, 2004a, 2004b). Ainsi, l'adulte d'aujourd'hui est confronté à la perte ou à la crise des repères traditionnels ou institutionnels que Boutinet (2004b, p. 211) désigne par les «ensembles structurels régulateurs de la vie adulte» que sont les cadres de référence fournis par la famille, l'éducation scolaire, le travail et les systèmes idéologico-religieux : ces repères sont désormais marqués par le provisoire, le fluctuant, le transitoire.

Parler de l'adulte aujourd'hui suppose donc d'être attentif à la complexité de son existence, de son environnement et des relations qu'il entretient avec lui. Dans une note de synthèse des recherches effectuées sur l'adulte depuis les années 80, Boutinet (2004a) montre la transformation importante opérée dans les représentations de l'adulte, qui ne peut plus être considéré à partir d'un modèle unique et englobant. Ainsi, les trois représentations de l'adulte évoquées précédemment, si elles sont apparues successivement, cohabitent aujourd'hui : l'adulte contemporain est considéré comme un être mature et responsable, sommé de répondre de ses choix, de conquérir sa reconnaissance sociale et professionnelle, de performer et de faire la preuve de ses compétences; mais devant la rapide obsolescence des savoirs, les défis d'une mobilité recherchée ou subie selon les mutations économiques, l'adulte est aussi un éternel apprenant; plus encore, l'adulte d'aujourd'hui éprouve l'incertitude et l'instabilité de sa vie personnelle et professionnelle, sources d'épuisement et d'impuissance, de même que l'«effacement des repères» (Boutinet, 2004a, p. 31) sociaux et institutionnels le confrontant à un sentiment d'inadéquation, à ses fragilités, voire à son immaturité. Adulte compétent, apprenant et en déficit coexistent donc, résultant en des identités plurielles ou composites de l'individu contemporain (Boutinet, 2004a).

2.1.2 Le large spectre des modèles de développement de l'adulte

L'intérêt pour l'adulte dans l'histoire récente s'est traduit notamment par le foisonnement des modèles qui ont tenté de décrire son développement au fil de la vie. Ces modèles cherchent à rendre compte du caractère dynamique de la vie adulte, identifiant à la fois différents facteurs de changement ou d'évolution, ainsi que certains «invariants» ou certaines continuités dans le cours de la vie. De ces modèles, on peut dégager des points communs et des divergences qui conduisent, d'une part, à explorer la richesse de la notion même de développement et, d'autre part, à identifier des limites et des questions qui donnent lieu à la recherche d'autres voies pour comprendre l'adulte et son développement aujourd'hui.

a. La notion de développement et ses facteurs : convergences et disparité

Les modèles du développement de l'adulte cherchent à rendre compte de la tendance à la maturation (growing) ou à la transformation (changing) de l'adulte (Taylor, 1996), selon diverses modulations de l'une et l'autre. Ils s'appuient sur des facteurs physiologiques, socioculturels ou psychologiques (Courtenay, 1994; Merriam & Caffarella, 1991), tentant de décrire la progression par laquelle un adulte fait face aux défis qu'il rencontre durant sa vie au fur et à mesure que ceux-ci se complexifient (Courtenay, 1994; Taylor, 1996). Les modèles de développement psychologique de l'adulte dominent, s'intéressant à la construction de l'identité ou de la personnalité (self), en relation avec l'environnement social ou les événements (Courtenay, 1994; Merriam & Caffarella, 1991). Ils proposent une progression selon des stades ou des phases par lesquels s'effectueraient des passages d'un état stable à une transition ou à une période de déséquilibre (Courtenay, 1994; Tennant, 2005).

Présentant une synthèse critique des principaux modèles développementaux, depuis les précurseurs (Jung, Biihler et Kiihlen, Erikson, Neugarten et Havighurst) jusqu'aux contemporains (Levinson, Gould, Vaillant, Colarusso et Nemiroff), Houde-Sauvé (1999) dégage cinq axiomes sur lesquels repose le paradigme développemental :

  1. «Il y a un schème inhérent au développement de tout adulte (p. 282)», schème représenté tantôt par la courbe biologique d'une ascension vers un sommet ou un point d'équilibre, suivie d'un déclin (Jung, Biihler, Kiihlen), tantôt par un schéma évolutif (Erikson, Neugarten et Havighurst, Levinson, Gould, Vaillant, Colarusso et Nemiroff), se rapprochant parfois d'une perspective humaniste selon laquelle «le passage à travers les phases conduit vers une plus grande actualisation de soi (Houde-Sauvé 1999, p. 286).» Dans cette perspective, le modèle de Jung lie le développement psychologique au développement spirituel, processus qui atteint rarement son accomplissement. En effet, un tel processus suppose une attention, voire une confrontation aux forces psychiques inconscientes qui comportent des dimensions positives et créatrices, mais également des dimensions négatives, des manques, voire «la noirceur, le vil, l'inadmissible qui existent à l'intérieur de la personne (Houde-Sauvé, 1999, p. 31).»
  2. «Le schème est une séquence (Houde-Sauvé 1999, p. 286)», proposant une compréhension du changement tantôt comme étant intégré au soi (self) ou à la structure de l'organisme (type structural, tels les modèles de Jung, Erikson, Gould, Vaillant, Colarusso et Nemiroff), tantôt comme étant lié aux rôles sociaux ou aux événements de la vie (type événementiel, tels les modèles de Neugarten et Havighurst). Levinson (1980), dont le modèle de l'évolution de la structure de vie se situe au centre de ce spectre, classe ces modèles en trois catégories, soit a) les modèles du développement de la personnalité, qui comprennent le changement comme étant épigénétique, c'est-à-dire un processus programmé de l'intérieur de l'organisme, b) les modèles de la socialisation par le rôle, selon lesquels les rôles sociaux sont des facteurs de changements individuels, et c) les modèles adaptatifs, qui tentent de faire la synthèse entre les influences intérieures (psychologie) et extérieures (sociologie), à partir du rôle des événements de vie (Houde-Sauvé 1999, p. 122-124). À l'instar de Levinson (1980), Houde-Sauvé (1999) souligne la difficulté, dans les modèles, à proposer une analyse des interactions entre l'individu et son environnement, tenant en équilibre le point de vue psychologique ou psychanalytique, centré sur l'individu (l'organisme, l'ego, le self) et le point de vue sociologique, intéressé à l'environnement (rôles sociaux, événements de vie, horloge sociale).
  3. Cette séquence implique des «portions de temps» (Houde-Sauvé 1999, p. 289), qui sont désignées comme des phases (Jung, Bihler, Havighurst, Gould), des stades (Erikson, Vaillant), ou des saisons (Levinson), et dont le nombre, la durée et la signification varient considérablement selon les auteurs. Ainsi en est-il du passage d'une période à une autre qui n'est pas décrit de la même manière selon les modèles. Houde-Sauvé (1999) propose de désigner ces portions de temps par l'expression «transitions de la vie adulte» (p. 290) et de les décrire, à la suite de Murray Stein (1983), par leur «caractère de liminalité», c'est-à-dire «l'espace de l'entre-deux, des frontières (Houde-Sauvé, 1999, p. 290)», caractérisé «par un sens d'identité en suspension, par un degré de vulnérabilité accru et par un état de fluidité (p. 290).»
  4. «Les phases reposent sur des changements liés à l'âge (Houde-Sauvé, 1999, p. 291).» Si la plupart des auteurs insistent pour que les âges associés aux stades, aux phases ou aux saisons soient considérés comme des points de repères ou des indices approximatifs, le rôle de l'âge dans leurs modèles a souvent été l'objet de confusion : «soit qu'on a isolé la variable âge, soit qu'on en a fait une variable causale, soit qu'on a rigidifié l'horloge sociale (Houde-Sauvé, 1999, p. 291).» Houde-Sauvé (1999) propose plutôt de considérer l'âge comme un facteur parmi d'autres, tels le genre — dont l'impact est plus significatif que l'âge, selon Lowenthal (1977, cité par Houde-Sauvé, 1999, p. 294) —, la race, la génération, la classe sociale (selon Lacy & Hendricks, 1980), de même que la santé, les ressources financières, le statut professionnel et le statut matrimonial — que Neugarten (1973) considère plus importants que l'âge —. En outre, l'âge ne peut être considéré que «comme une variable-indice et absolument pas comme une variable causale» (Houde-Sauvé, 1999, p. 294, citant Riverain-Simard, 1984, p. 164) dont l'importance tend à s'effacer, alors que la société actuelle présente de moins en moins d'attentes liées à l'âge.
  5. «Le déroulement de la séquence est nécessaire (Houde-Sauvé, 1999, p. 282).» Houde-Sauvé (1999) dégage cinq points d'ancrage à partir desquels les auteurs décrivent le déroulement de la séquence développementale : les rôles sociaux, les événements de la vie, les tâches développementales, les changements intra-psychiques et les changements physiologiques. Pour chacun d'eux, l'auteure apporte le point de vue de recherches qui remettent en question le caractère de nécessité de la séquence, affirmé plus ou moins explicitement selon les modèles. Ainsi, les rôles sociaux sont à regarder comme des occasions possibles de développement plutôt que comme des conditions nécessaires à celui-ci. Les événements de la vie ne sont pas à considérer indistinctement et ils sont souvent imprévisibles et idiosyncrasiques, c'est-à-dire vécus de manière unique selon les individus. Les tâches développementales, qui revêtent diverses acceptions selon les auteurs, sont parfois confondues avec leur contenu ou leur forme, ou encore avec les événements de vie ou ce qu'il faut faire pour composer avec ces événements. Houde-Sauvé propose plutôt de considérer la tâche développementale comme «un travail, une besogne de croissance» (p. 301) qui se rapproche d'une «tâche existentielle» (p. 300), à considérer dans une perspective systémique selon laquelle les tâches sont concomitantes et en interaction : «Cette piste permettrait peut-être de retrouver la fluidité du cycle de vie en donnant plus de souplesse à la séquence. Un telle idée-hypothèse jetterait de l'ordre, de la lumière et du sens sur le processus développemental et inscrirait le corpus théorique du développement adulte dans une perspective humaniste (Houde-Sauvé, 1999, p. 300).» Enfin, concernant les changements intra-psychiques, ils sont davantage à considérer comme des changements lents et continus, qui se produisent non pas selon des phases ou des étapes, mais plutôt au fil de l'avancement en âge, ce que suggérait déjà Neugarten (1979), nuançant ses premières positions. Quant aux changements physiologiques, ils n'ont pas été suffisamment étudiés pour qu'on puisse se prononcer sur leur impact sur la séquence développementale.

Parmi les principaux apports de ces théories et modèles, mentionnons leur valeur heuristique, qui est un avantage non seulement pour les chercheurs et les éducateurs, mais également et surtout pour les adultes en formation eux-mêmes, leur permettant de comprendre l'étape où ils se trouvent et de mieux en saisir les défis (Taylor, 1996). En outre, ces approches sont d'autant plus pertinentes qu'elles s'intéressent à l'adulte dans la culture actuelle, marquée par le changement : non seulement les adultes changent et évoluent tout au long de leur vie, mais les contextes professionnels, relationnels et culturels dans lesquels ils vivent sont en constante mutation (Danis & Solar, 1998b). Les approches développementales permettent de saisir l'adulte dans sa relation dynamique avec son environnement et son contexte à partir de différents points de vue, souvent articulés les uns aux autres, ou en débats.

b. La remise en cause des modèles universels et prévisibles

Si ces modèles développementaux sont largement utilisés dans le domaine de l'andragogie, offrant une compréhension dynamique de la vie adulte, soutenant une perspective holistique de l'apprentissage et fournissant des traits ou caractéristiques qui deviennent autant de repères pour l'intervention auprès d'adultes, ils ne manquent pas non plus de détracteurs qui se sont employés à en montrer les limites et les pièges. Parmi les principales critiques adressées à ces théories du développement, rappelons les suivantes, parmi lesquelles certaines ont déjà été évoquées plus haut :

  1. La compréhension du développement en termes de séquence composée de phases ou de stades est problématique. D'une part, la progression évolutive ou hiérarchique, passant de stades «inférieurs» à des stades «supérieurs», plus évolués, présentant des caractéristiques de plus grande complexité, souplesse et ouverture, induit un jugement de valeur sur le processus, voire sur les personnes (Courtenay, 1994; Schuller, 1992) et véhicule l'optimisme d'une idéologie du progrès qui mériterait d'être questionnée (Boutinet, 2004a). Par ailleurs, la représentation du développement empruntant la courbe biologique néglige les facteurs propres à l'humain (Houde-Sauvé, 1999). D'autre part, la compréhension du développement comme processus prévisible et linéaire ne rend pas compte de la complexité du développement et de son caractère idiosyncrasique. Houde-Sauvé (1999) présente un certain nombre de modèles alternatifs qui ont proposé diverses manières de saisir cette complexité à partir de la «spirale de vie» (Stein & Etzkovitz, 1978), du cycle de vie dans une approche environnementale (Weick, 1983) ou, dans une perspective dialectique, le modèle du croisement (Giele, 1980), ou encore le «modèle multi-causal et interactif» (Baltes et al., 1980).
  2. La prétention à l'universalité de ces stades ou phases pose également problème. En effet, elle repose sur de très faibles bases empiriques (Courtenay, 1994; Houde-Sauvé, 1999) et elle véhicule sans les interroger des présupposés culturels, centrés sur une vision le plus souvent masculine, blanche et occidentale de l'adulte de classe moyenne, reproduisant les divisions sociales existantes (Schuller, 1992). On sait même que ces modèles de développement par stades ou phases ont été élaborés à partir d'échantillons relativement homogènes, à majorité masculine voire uniquement composés d'hommes et que, dans la plupart des cas, ces recherches ont été conduites par des chercheurs masculins (Belenky et al., 1986; Boutinet, 2004a; Caffarella & Olson, 1993; Houde-Sauvé, 1999; Sheehy, 1978).
    Cependant, plusieurs femmes ont mené des recherches visant à décrire le développement à partir du point de vue féminin, déconstruisant du même coup l'apparente universalité des modèles précurseurs. Parmi ces recherches, certaines, s'appuyant sur les modèles traditionnels de développement, mettent davantage en évidence ce qui est particulier aux femmes. Ainsi, le modèle de Sheehy (1978) propose une lecture comparée des rythmes de développement des hommes et des femmes, selon les âges de la vie. D'autres proposent des modèles développementaux alternatifs aux schémas masculins, faisant écho à la voix spécifique des femmes, alors que celle-ci se trouve trop souvent en position désavantageuse dans les schémas traditionnels. Ainsi, le modèle de Gilligan, qui a entraîné plusieurs recherches dans son sillage, propose une séquence des stades propre aux femmes à partir de processus de développement relevant de l'attachement et de l'intimité alors que le développement masculin relèverait de processus de séparation-individuation (Boutinet, 2004a; Caffarella & Olson, 1993; Houde-Sauvé, 1999; Schuller, 1992). Dans cette foulée, Belenky, Clinchy, Goldberger & Tarule (1986) ont élaboré un modèle du développement épistémologique féminin à partir du modèle de Perry — formulé dans une perspective exclusivement masculine —, mettant davantage en évidence les rapports des femmes au savoir, à l'autorité et à la vérité dans une perspective développementale (Belenky et al., 1986; Solar, 1998). D'autres modèles présentent une vision féministe du développement, sans contrepartie masculine. Le modèle de Peck (1986) est de ceux-là, proposant une approche dialectique et féministe du développement de la conscience de soi des femmes dans lequel l'attachement est le principe organisateur (Caffarella & Olson, 1993, p. 136). En somme, ces recherches féministes ont contribué à mettre en évidence une plus grande diversité et fluidité du développement de l'adulte (Caffarella & Olson, 1993). Toutefois, ces travaux ont été conduits avec des groupes relativement homogènes de femmes : «young or middle aged Caucasian middle-class females» (Caffarella & Olson, 1993, p. 144). D'autres recherches sont à poursuivre avec des profils plus diversifiés d'adultes, provenant d'origines culturelles, de niveaux économiques et de groupes d'âges davantage hétérogènes.
  3. L'âge est un facteur sur lequel s'appuient la plupart des théories développementales traditionnelles, s'inscrivant ainsi de manière non-critique dans les présupposés culturels — et les pratiques sociales, notamment l'éducation — fondés sur l'âge (Schuller, 1992). Or, en contexte post-moderne, le critère de l'âge offre une explication précaire, voire illusoire, au regard du développement de l'adulte qui peut, tout au plus, être considéré à partir des grandes périodes de sa vie et de son histoire (Boutinet, 2004b). Dans cette perspective, il est plus pertinent de s'intéresser à l'avancée en âge, c'est-à-dire «l'expérience du temps et la prise de conscience progressive de cette expérience (Boutinet, 2004a, p. 17).» À l'instar de Boutinet et à la suite de Riverain-Simard (1984), Houde-Sauvé (1999) propose de considérer le «passage du temps» ou la «marche continue du temps», «en tant que facteur déterminant différentes significations accordées aux divers événements (intérieurs ou extérieurs) de la vie vocationnelle (p. 301, citant Riverain-Simard, 1984, p. 167).» Toutefois, cette représentation continue du temps se trouve bousculée par le paradigme post-moderne du temps discontinu, de l'immédiat, voire de l'urgent, introduisant une brèche dans cette perspective développementale (Boutinet, 2004a).
  4. Le rôle des apprentissages et de l'expérience dans le développement de l'adulte mériterait plus d'attention (Pineau, 2004; Solar & Danis, 1998). En effet, Solar et Danis (1998) montrent que l'étude des relations entre développement et apprentissage permet de sortir de la simple considération linéaire et hiérarchique du développement, dans lequel interviennent différents types d'apprentissage, différents types de savoirs; elle permet également d'inscrire l'apprentissage dans la complexité des facteurs qui entrent en jeu dans le développement d'une personne et ce de diverses manières, planifiées ou non. Une telle perspective conduit, d'une part, à considérer l'apprentissage de manière décloisonnée, à être plus sensible à la fluidité des différents processus d'apprentissage et entre différents types de savoirs, du point de vue de l'adulte apprenant (Solar & Danis, 1998, p. 316). D'autre part, l'intérêt pour les relations entre apprentissage et développement permet de considérer ce dernier comme un processus et non seulement à partir de ses différents états ou stades. Plus encore, cela signifie également que le développement n'est plus simplement considéré comme un processus linéaire et continu qui intègrerait les apprentissages positifs, mais comme un processus qui inclut également des expériences ou des apprentissages négatifs, voire neutres (Pineau, 2004; Solar & Danis, 1998).
    La proposition de Solar et Danis (1998), qui consiste à examiner les interrelations entre les apprentissages et le processus de développement, est particulièrement intéressante pour aborder la perspective développementale en y intégrant les critiques et objections qui lui sont adressées au regard de la prétention à l'universalité, de la linéarité et de la prévisibilité du développement de l'adulte. En fait, maintes invitations à revisiter la notion classique du développement de l'adulte sont lancées tant pour y intégrer le point de vue critique des femmes que pour mieux mettre en évidence la complexité, la diversité et la fluidité du développement, comme processus inscrit dans la trame de l'expérience humaine.

2.1.3 L'adulte et son développement : définition pour la recherche

En réponse aux invitations lancées par les points de vue critiques apportés aux modèles développementaux existants, la présente recherche considère le développement comme un processus de transformation (changing) de l'adulte en interaction avec un environnement fluctuant, interaction pouvant se traduire en apprentissages et qui n'est pas pré-déterminée ni de manière épigénétique ni de manière sociologique. Plutôt, le développement est considéré comme étant à la fois idiosyncrasique et influencé par l'environnement et ses mutations avec lesquels l'individu doit composer. Une telle approche s'inscrit dans une perspective post-moderne, selon laquelle l'adulte est engagé dans un itinéraire dont l'issue est incertaine et toujours mouvante (Edwards & Usher, 2001). Ainsi, l'adulte contemporain et son développement ne sont pas saisis à partir de traits ou de caractéristiques généralisables ou prévisibles; le développement de l'adulte n'est pas non plus appréhendé selon un schéma linéaire et progressif ni à partir de la courbe biologique d'un processus de maturation/déclin. Il est plutôt considéré comme un processus complexe qui peut tantôt prendre forme de spirale, tantôt s'apparenter aux graphiques des cardiologues ou des volcanologues, avec leurs crêtes et leurs creux d'inégale hauteur, ainsi que leurs plateaux plus ou moins longs.

Dans le cadre de la recherche, l'intérêt pour une approche développementale ne s'appuie pas sur sa capacité à décrire des phases ou des stades en termes de tâches psychosociales, de rôles ou de conflits à résoudre. C'est plutôt sa capacité à rendre compte des facteurs qui interviennent dans le développement et de leurs différents impacts sur celui-ci dans une perspective systémique qui rendent une telle approche pertinente. Celle-ci considère, d'une part, les différents facteurs environnementaux qui ont une incidence sur le développement, tels les conditions de vie (conditions physiques, économiques, physiologiques ou biologiques, etc.), les relations intimes (conjugales, amoureuses ou familiales) et sociales, la vie professionnelle et ses tribulations, de même que les événements qui surviennent. D'autre part, le rôle des facteurs subjectifs sur le développement est pris en compte, tels l'image de soi, les perceptions liées à l'avancée en âge, l'interprétation des événements, les expériences positives, négatives ou de liminalité, ainsi que les apprentissages auxquels ces expériences donnent lieu. En outre, plutôt que de considérer l'âge chronologique comme facteur temporel de développement, c'est le «passage du temps» et surtout les perceptions subjectives de ce «passage du temps» qui retiennent l'attention.

En somme, la perspective développementale dans laquelle s'inscrit la présente recherche porte sur le processus de changement ou de développement lui-même, les facteurs internes et externes qui contribuent à ces transformations et leurs interrelations. Plus précisément, la recherche s'intéresse en particulier aux conditions et au rôle des apprentissages dans le processus de développement au regard des facteurs subjectifs et environnementaux qui l'influencent. Il s'agit donc d'examiner le développement du point de vue des processus d'apprentissage et de leur rôle dans l'itinéraire spirituel des adultes. Dans ce cadre, la notion d'expérience, en relation avec les apprentissages, est centrale et fera l'objet d'une attention particulière dans la troisième section de ce chapitre. Elle sera considérée comme ce qui, dans l'interrelation entre un sujet et son environnement, provoque une rupture avec les automatismes et convoque l'individu à s'engager dans un processus d'apprentissage.

2.2 La spiritualité dans une perspective développementale

L'intérêt de la recherche pour le développement spirituel des adultes suppose que soit d'abord définie la notion de spiritualité qui, tout en étant riche et polysémique, s'avère difficile à manipuler dans le cadre d'une démarche scientifique. Dans un premier temps, différentes acceptions attribuées au concept de spiritualité seront présentées à partir du champ de l'andragogie afin d'en dégager les apports ainsi que des questions, des problèmes ou des difficultés à prendre en compte dans le cadre de la recherche. Dans un deuxième temps sera proposée une brève recension des écrits sur la spiritualité du point de vue de la théologie catholique, d'où origine ce concept, afin d'en faire ressortir les points de comparaison et d'appui pour aborder la spiritualité dans une perspective andragogique. Le développement spirituel de l'adulte sera ensuite exploré à partir des principaux modèles qui en ont proposé une représentation, tant en théologie qu'en andragogie. Il sera enfin défini à partir des éléments à retenir pour l'élaboration du cadre conceptuel de cette recherche.

2.2.1 L'intérêt pour la spiritualité en andragogie

En andragogie, la reconnaissance de la spiritualité comme une dimension de l'apprentissage est l'objet de débats toujours ouverts. Au point de départ, on peut dire que la spiritualité est reconnue par plusieurs auteurs non seulement comme une dimension de l'apprentissage à prendre en compte, comme les autres dimensions que sont l'affectivité, l'intelligence, le comportement, etc., mais aussi et surtout comme le lieu, chez l'apprenant, de l'intégration de toutes les dimensions de l'apprentissage (English, 2000). Aussi la spiritualité est-elle d'emblée une notion fluide, ce qui en atténue les frontières (Lauzon, 2001).

a. Les acceptions et les apports de la spiritualité

Considérée comme une posture existentielle, la spiritualité est comprise comme l'attention, la vigilance ou la conscience qu'a une personne d'exister, d'être en relation avec autre que soi, voire plus grand que soi (English & Gillen, 2000b). Elle consiste en une disposition intérieure de respect, voire de considération pour l'autre; cette disposition oriente le jugement, les manières de voir et de comprendre, les attitudes et les actions concrètes (Vella, 2000). Elle est porteuse de vie (life-giving) (Vogel, 2000), établissant une relation constructive entre soi, les autres et le sacré, le transcendant ou ce qui donne un sens à la vie (Lauzon, 2001; Sinnott, 2001; Vogel, 2000). Aussi la spiritualité est-elle reconnue comme une dimension de l'humain qui peut tout autant s'exprimer dans une expérience religieuse, que dans une expérience non religieuse.

Dans cette perspective, la dimension spirituelle est tout autant impliquée dans la production de sens (meaning making), dans la poursuite d'un idéal humanitaire que dans la réalisation du meilleur de soi (English, 2000; Fenwick, 2001; Hunt, 2001; Tisdell, 2002; Tisdell & Tolliver, 2001; Vogel, 2000). Elle est intimement liée à la culture, tant comme processus de construction de l'identité, individuelle et collective, que comme manière d'exprimer et de produire du sens (Tisdell, 2002; Tisdell & Tolliver, 2001). Or, à cet égard, la spiritualité, comme la culture, s'appuient sur des processus où l'inconscient joue un rôle fondamental : «people construct knowledge and make meaning in powerful and unconscious ways through symbol, music, art, metaphor, and ritual (Tisdell & Tolliver, 2001, p. 13).» Ainsi, la spiritualité relève, d'une part, de la «pratique réflexive» par laquelle une personne élabore le sens de son expérience et élargit sa pensée (Hunt, 2001). D'autre part, la spiritualité fait appel au «travail de l'âme» (work of soul), par lequel une personne accède à ses émotions et aux forces de l'inconscient par l'expression de ses images intérieures (Dirkx, 2001b). La dimension spirituelle implique donc la complexité de l'expérience humaine et de l'acte d'apprendre, qui relèvent de processus à la fois conscients et inconscients, volontaires et chaotiques.

En somme, la préoccupation pour la spiritualité en andragogie soutient une approche holistique de l'apprentissage et de l'apprenant, celui-ci étant considéré comme sujet du processus d'apprentissage, en interrelation avec l'autre (autrui), voire l'Autre (finalité, absolu, transcendance) : apprendre est un processus inscrit dans la trame de sa vie — avec ses enjeux individuels, sociaux et existentiels —, orienté vers une finalité ou un absolu. En outre, l'introduction de la spiritualité en andragogie soutient un type de relation entre apprenants et intervenants qui relève du respect, de l'intégrité, de la réciprocité et du dialogue (Vella, 2000), voire d'une «éthique du soin» (ethic of care) de soi et de l'autre (Lauzon, 2001). Enfin, la préoccupation pour la spiritualité en éducation traduit l'intérêt pour les dimensions de l'esprit qui échappent à la conscience, à l'intentionnalité et au contrôle des individus sur leur trajectoire, alors que l'éducation des adultes a souvent mis en lumière, à la suite de Knowles (1990), l'adulte en tant que sujet apprenant, autonome et responsable de ses apprentissages : «finally, spiritual experiences often happen by surprise (Tisdell & Tolliver, 2001, p. 13).»

b. Les difficultés et les questions que soulève la notion de spiritualité en andragogie

Malgré ses avantages pour l'andragogie, le terme spiritualité est loin de faire consensus, tant chez les chercheurs en éducation que chez les praticiens et les apprenants eux-mêmes. Le définir est une entreprise nécessaire, mais également risquée : non seulement aucune définition ne réussit à s'imposer, mais les traits qu'on lui attribue souvent sont eux-mêmes larges, imprécis.

Les définitions livrées par les auteurs cités plus haut sont certes éclairantes, mais elles laissent des questions ouvertes sur ce qu'est l'expérience spirituelle, la dimension spirituelle de l'apprentissage et le rôle de la personne formatrice à l'égard de cette dimension. Ainsi, de nombreuses questions éthiques se posent : à quelles conditions la dimension spirituelle peut-elle être intégrée dans une situation formelle d'apprentissage? quel peut être le rôle spécifique de la personne formatrice, à cet égard, et quelles en sont les limites? Plusieurs auteurs tentent d'apporter des réponses à ces questions, certains les laissant ouvertes (English, 2000, 2001; English & Gillen, 2000a; Fenwick, 2001; Vella, 2000; Vogel, 2000).

En outre, peu a été dit sur le «côté obscur» de la spiritualité, notamment en ce qui a trait à l'angoisse de la mort, les questions de sens qui se posent à partir de la souffrance et sur les différents états de l'expérience spirituelle : doutes, solitude existentielle, impression profonde d'insensibilité, etc. Pourtant, la spiritualité rejoint l'expérience humaine dans toute sa densité, même — surtout — dramatique : elle ne saurait être considérée du seul point de vue d'un idéal tranquille et serein (Fenwick, 2001).

Enfin, une difficulté a été soulevée par plusieurs auteurs quant à l'ambiguïté du rapport entre spiritualité et religion. D'une part, la spiritualité est souvent définie comme une relation avec ce qui est plus grand que soi : l'humanité, la création, le sacré, la transcendance (English & Gillen, 2000a, 2000b; Fenwick, 2001; Lauzon, 2001;

Sinnott, 2001; Vogel, 2000). En cela, spiritualité et religion peuvent se rejoindre, mais les religions constituent une manière particulière de se situer en rapport avec la transcendance, lui donnant un contenu (une doctrine et des normes) et une forme (des rites et des pratiques). Si la plupart des auteurs établissent explicitement cette distinction, plusieurs mentionnent la confusion qui se manifeste encore dans plusieurs écrits et évoquent l'influence encore prégnante d'un auteur du début du XXe siècle, Basil Yeaxlee (1925), selon lequel spiritualité et religion ne font qu'un (English, 2000; English & Gillen, 2000a). D'autre part, l'expérience spirituelle des adultes s'inscrit soit dans une expérience religieuse, soit dans une expérience clairement a-religieuse ou encore dans une expérience qui se cherche en rapport au religieux. Autrement dit, même dans un effort de conceptualiser la spiritualité en dehors du religieux pour des fins de recherche ou de communication, on ne peut faire l'impasse sur l'ambiguïté souvent vécue, chez les adultes, du rapport entre spiritualité et religion (Fenwick, 2001). Les frontières ne sont pas toujours étanches et cette fluidité de l'expérience spirituelle, non seulement dans son rapport au religieux, mais en rapport aux autres dimensions de l'expérience humaine — donc de l'apprentissage! — doit être prise en compte.

2.2.2 L'intérêt pour la spiritualité dans la théologie catholique

Le terme spiritualité trouve son origine dans le christianisme et a évolué à l'intérieur de ce cadre, catholique surtout, jusqu'au XIXe siècle, où il s'est peu à peu affranchi de son contexte — et de sa signification — d'origine (Schneiders, 1986). Son étymologie latine (spiritualitas) est la traduction d'un mot grec employé dans la Bible pour parler du souffle (de vie), de l'esprit, de l'âme (Breton, 2006; Solignac, 1990). Chez les premiers chrétiens, l'adjectif «spirituel» désigne ce qui est sous l'influence de l'Esprit Saint; l'étymologie chrétienne du substantif «spiritualité» évoque donc la vie dans l'Esprit du Christ (Schneiders, 1986, 2003; Solignac, 1990).

Aujourd'hui, chez les catholiques, le terme spiritualité est encore souvent confondu avec l'expérience religieuse, comprise comme vie intérieure, «foi vécue au quotidien», expérience de la foi qui traverse toutes les dimensions de l'existence, y compris le corps et les émotions — «spiritualité holistique», «spiritualité du corps» — voire comme l'engagement social et politique auquel conduit la foi catholique : la spiritualité est vue comme la «réalisation positive de soi» associée à une visée ou un idéal social, planétaire, humanitaire (Schneiders, 1986). Toutefois, s'il est longtemps demeuré dans le giron catholique, le terme spiritualité a progressivement suscité l'intérêt — d'abord marginal, jusqu'à un véritable engouement aujourd'hui — d'autres religions, de philosophies ou de mouvements de sagesse proposant une compréhension non-religieuse, voire anti-religieuse de la spiritualité. Dans ce contexte, des théologiens catholiques et d'autres confessions chrétiennes cherchent à préciser cette notion, intégrant l'élargissement de ses frontières et proposant des points de repères pour les débats ainsi ouverts sur les rapports entre spiritualité et religion.

a. Une approche anthropologique de la spiritualité en théologie

En théologie catholique contemporaine, le développement d'une discipline spécifiquement consacrée à la spiritualité, dont Schneiders est une figure de proue, contribue à préciser les contours de cette notion dans une perspective anthropologique. Ainsi considérée, la spiritualité est non seulement définie en relation avec la religion catholique, mais également en relation avec d'autres confessions chrétiennes, notamment les traditions orthodoxes, luthériennes, réformées ou anglicanes qui participent à cet intérêt pour la spiritualité et contribuent à la définir (Collins, 2000) et avec d'autres courants religieux et non religieux. Dans cette perspective, la spiritualité est vue comme une «option fondamentale et [un] horizon signifiant de l'existence» (De Fiores, 2001, p. 1067) : «Au-delà des structures confessionnelles, il existe une spiritualité commune à tous les hommes parvenus à une option fondamentale de renoncement à l'égoïsme et d'ouverture à l'amour (p. 1068).» Précisant encore davantage cette notion, Schneiders (1998; Schneiders, 2003) la définit comme «the experience of conscious involvement in the project of life-integration through self-transcendance toward the ultimate value one perceives (Schneiders, 2003, p. 166).» Ce dépassement de soi orienté vers une finalité, un absolu, peut être religieux ou non, selon l'expérience personnelle. Quel que soit son contenu, cette finalité oriente la personne vers un plus, une croissance, un progrès (Breton, 2006; Schneiders, 2003). Dans cette perspective, ajoute Schneiders, une démarche spirituelle implique toujours un discernement : si elle conduit à l'aliénation, elle n'est pas spiritualité, car celle-ci est toujours libératrice (De Fiores, 2001). Elle est «souffle de vie» (Roy, 2000), recherche de sens (Michaud, 1996), «quête d'une vie vraie», «toujours plus authentiquement humaine» (Breton, 1988, p. 101). Elle est «ce mouvement profond de l'être humain, mouvement qui le maintient dans son désir de vivre» (Gebara, 1998, citée par Marleau, 2000, p. 21) et qui produit des fruits tels l'amour, la joie, la paix, la liberté, l'espérance (Dupuy, 1990).

En tant qu'expérience, la spiritualité est «réalité vécue personnellement» (Schneiders, 2003, p. 167) et comporte une part consciente, un engagement de soi dans une démarche qui implique durée et cohérence, à la différence des expériences fortuites, des émotions passagères ou des affects artificiels (Schneiders, 2003) : «la spiritualité implique une démarche personnelle, une expérience au sens large, une prise de position du sujet (Dupuy, 1990, p. 1169).» En ce sens, elle «est route d'accès à l'identité (Michaud, 1996, p. 296).» Mais elle n'est pas qu'une activité, une démarche consciente ou volontaire : elle fait également appel à l'inconscient, à l'indicible, à la passivité de l'expérience (Bourgeois, 1991; Schneiders, 2003; Solignac, 1990).

Dans cette foulée, plusieurs auteurs insistent sur la dimension subjective et très personnelle de la vie spirituelle, qui «se construit à même l'expérience des grandes préoccupations : la vie, la mort, le bonheur, mais aussi des occupations quotidiennes : le travail, l'organisation du temps et les rapports sociaux, pour ne nommer que les plus visibles (Breton, 1988, p. 101, note 5).» Toutefois, cette dimension subjective de la spiritualité, propre à chaque individu et donc toujours spécifique, voire idiosyncrasique, est en même temps toujours relationnelle : la spiritualité, dans son acception la plus large, est capacité de «sortir de soi» pour entrer en relation avec autrui, par l'amour et la connaissance (Schneiders, 2003). Aussi la spiritualité ne se réduit-elle pas à la vie intérieure ou à l'intériorité individuelles : la communion avec d'autres et l'engagement dans le monde, notamment, sont des manifestations de la vie intérieure; intériorité et manifestations (extériorisation) constituent les deux faces d'une même réalité (Breton, 2006; De Fiores, 2001; Dupuy, 1990).

b. L'inter-spiritualité féministe

Dans cette perspective, la spiritualité intègre les différentes dimensions de la vie et de l'humain. Si, dans l'histoire, elle a souvent été définie en opposition à la matière, au corps, à la vie terrestre (le présent), la compréhension contemporaine de la spiritualité se veut unificatrice, réconciliatrice de tout ce qui concerne la vie, y compris la vie quotidienne (Breton, 1988, 2006; De Fiores, 2001; Schneiders, 2003). Cette perspective holistique de la spiritualité, voire réconciliatrice des dualismes est particulièrement présente dans la littérature féministe «inter-spirituelle», proposant un point de vue inter-religieux — ou «inter-confessionnel», dans une perspective chrétienne — sur la spiritualité (Couture, 2003). Selon l'approche féministe, en effet, la spiritualité a trop longtemps été pensée de manière dualiste, dans la culture occidentale et le christianisme, traduisant une perspective patriarcale (Melançon, 1996). Aussi la théologienne Rosemary Radford Ruether (1992) a-t-elle initié un courant de spiritualité écoféministe qui tente

«de réconcilier de manière symbolique ce qui a été pensé de la manière dualiste et séparée — à la fois le féminin et le masculin, la terre et le ciel, l'humain et le divin... Et surtout la perspective écoféministe de Radford Ruether nous propose une éthique qui s'appuie sur une interrelation complexe de toutes nos relations, met de l'avant une " spiritualité de la guérison " où la conversion intérieure est jumelée à un processus de transformation sociale (Melançon, 1996, p. 274).»

Dans la théologie contemporaine, et plus explicitement encore dans l'inter-spiritualité féministe, la spiritualité se définit comme une relation «à soi, aux autres et à Dieue (Couture, 2003, p. 195).» Une relation non seulement de communion et d'ouverture, mais également une relation qui transforme les structures sociales et le monde, au-delà des appartenances et des représentations religieuses, dont la théologie féministe s'emploie à déconstruire les rapports de domination et d'aliénation : «une des spécificités les plus marquées des théologies féministes est le lien inextricable entre la spiritualité, la réflexion critique, et l'engagement. C'est une autre manière de dire l'interaction entre l'âme, l'esprit et le corps (Parmentier, 2003).»

Ainsi, si la théologie considère la spiritualité à partir d'un point de vue religieux et si la notion de spiritualité est née du christianisme, la réflexion contemporaine ne peut plus faire l'impasse sur la distinction entre spiritualité et religion. La théologie féministe s'inscrit dans le mouvement d'une critique radicale de la religion qui véhicule une représentation dualiste et patriarcale de l'humain et du divin, proposant une spiritualité qui est «force transformatrice» (Parmentier, 2003, p. 97). À l'instar du point de vue féministe, d'autres théologiens catholiques font écho à la nécessité de distinguer, à partir de la diversité des expériences personnelles, spiritualité et religion. Plusieurs proposent ainsi une définition anthropologique de la spiritualité qui peut se vivre à l'intérieur d'un cadre religieux ou non, rejoignant en plusieurs aspects les définitions proposées par les andragogues.

c. L'ambiguïté des rapports entre spiritualité et religion

Toutefois, malgré ces distinctions académiques, les théologiens catholiques constatent, à l'instar des andragogues intéressés à la spiritualité, l'inévitable ambiguïté des rapports entre spiritualité et religion. D'autant plus que le christianisme lui-même était, à l'origine, un courant spirituel en rapport critique avec la religion dans laquelle il est né, soit le judaïsme. Cette ambiguïté traverse donc l'histoire du christianisme et particulièrement celle du catholicisme qui, tout au cours de son itinéraire, a connu cette tension, voire un antagonisme entre spiritualité et religion (Jacques, 1999). Cette tension n'est d'ailleurs pas l'apanage du christianisme, puisque toute religion est née et s'appuie sur une expérience spirituelle du numineux, une révélation divine ou cosmique. Cette expérience fondatrice, pour se transmettre à d'autres et pour traverser le temps, s'institutionnalise tôt ou tard dans un système de croyances, de normes, de rites, autour d'une certaine organisation sociale avec des rôles et des statuts (Schneiders, 2003). Or, en contexte post-moderne, l'institution religieuse — et catholique en particulier — heurte les sensibilités de nos contemporains qui rejettent non seulement la religion mais également toute idéologie ou utopie totalisante, «impuissante à soutenir les interrogations des humains sur le sens de leur existence dans un monde désenchanté (Jacques, 1999, p. 94).» Toutefois, postulant que spiritualité et religion ont besoin l'une de l'autre pour éviter les dérives, narcissique, pour la spiritualité, ou institutionnelle, pour la religion, Schneiders (2003) et Jacques (1999) proposent pour leur part une interrelation critique entre elles, affirmant que cette interrelation critique est une des conditions essentielles au développement spirituel.

En somme, l'acception anthropologique de la spiritualité en théologie — qui la distingue de l'expérience religieuse, sans l'opposer ni la confondre — se trouve, à plusieurs égards, en consonance avec le point de vue andragogique. En effet, pour les théologiens, à l'instar des andragogues, la notion de spiritualité présente des contours fluides et se trouve au cœur de l'expérience humaine dont elle intègre, voire réconcilie, toutes les dimensions y compris, pour plusieurs personnes, la dimension religieuse. En tant que relation à soi, à autrui et à l'Autre, la spiritualité est dynamisme, recherche de sens, «itinéraire plutôt que chemin, projet à inventer plutôt que modèle à suivre (Daviau, 2004, p. 139).» Orientée vers un progrès, un «mieux-être», une «vie de qualité», non seulement pour soi-même, mais dans la perspective d'un monde meilleur, la spiritualité est une «force transformatrice», qui, pour se développer en tant que telle, requiert discernement, réflexion critique et confrontation avec autrui, voire engagement social.

2.2.3 Le développement spirituel d'adultes

L'intérêt pour la spiritualité et pour le développement spirituel s'étend à plusieurs domaines professionnels concernés par l'adulte contemporain (Lefebvre, 2001). Ainsi, à l'instar de l'andragogie et des sciences de l'éducation, les sciences infirmières intègrent la dimension spirituelle dans une approche holistique de l'humain, tout comme les domaines de l'intervention psychosociale et de la gestion des organisations, pour ne nommer que ceux-là. Le soin des personnes malades ou souffrantes et la perspective d'une guérison faisant appel à toutes les dimensions de la personne incitent en particulier le monde médical à une réflexion théorique et à la recherche empirique sur la spiritualité dans une perspective développementale (Doucet, 2001; Pépin & Cara, 2001). De même, plusieurs modèles de développement psychosocial de l'adulte examinés dans la section précédente de ce chapitre intègrent la dimension spirituelle ou la recherche de sens dans le processus de développement ou dans les étapes plus avancées du développement adulte, alors que la perspective de la fin de la vie se fait plus préoccupante : Jung et Erikson sont les plus représentatifs de cette sensibilité.

Certains auteurs se sont explicitement intéressés au développement spirituel considéré en lui-même : les prochaines pages seront consacrées à la présentation de différents modèles de développement spirituel d'adultes. En premier lieu, les modèles exerçant une influence déterminante en andragogie religieuse seront résumés; d'autres travaux en sciences sociales et de l'éducation seront ensuite examinés afin d'analyser les dimensions retenues pour la recherche.

a. Apports et limites des modèles de développement en andragogie religieuse

Considérées comme des phares pour guider l'éducation religieuse catholique, deux propositions de développement «spirituel» seront présentées : le modèle du développement de la foi de Fowler et la théorie du développement du jugement religieux d'Oser et Gmunder, traduite en français par Ridez.

Le modèle du développement de la foi selon Fowler

Pasteur méthodiste et théologien américain, James W. Fowler propose une théorie du développement de la foi, à l' «intersection de la théologie et de la psychologie du développement, dans un effort pour éclairer notre intelligence de la formation et de la transformation de la foi vécue (Fowler, 1982, p. 145).» Son modèle repose sur une conception anthropologique de la foi, largement influencée par le théologien Niebuhr ainsi que Tillich et Smith : la foi est l'opération la plus vitale et la plus fondamentale chez l'humain, en deçà de sa religion ou de ses croyances; elle est orientation de toute la

personne, volonté, cœur, action, vers un but, l'enjeu ultime de sa vie.

«Faith is a person's or group's way of moving into the force field of life. It is our way of finding coherence in and giving meaning to the multiple forces and relations that make up our lives. Faith is a person's way of seeing him or herself in relation to others against a background of a shared meaning and purpose (Fowler, 1981, p. 4).»

En tant qu'opération vitale et fondamentale, la foi est donc d'abord à considérer comme «acte de croire». Fowler se montre conscient des pièges du substantif «foi» qui peut évoquer les «contenus de foi» ou les référents religieux, alors qu'il s'agit ici d'un mouvement de l'être, d'une manière de se situer dans le monde et en rapport avec lui. Ainsi, la foi est une posture existentielle dynamique (Fowler, 1981, p. 92) dont la condition de possibilité est la relation de confiance qui s'établit dès la naissance entre le sujet, les autres et leur environnement commun. Elle est donc essentiellement relationnelle, se situant au cœur de la structuration de l'identité de soi en rapport avec les autres et avec l'Autre : «There is the self, there are the primal and significant others in the self's relational matrix, and there is the third center of relational engagement — the ultimate Other, or the centre(s) of value and power in one's life structure (Fowler, 2001, p. 163).»

Pour Fowler, l'acte de croire articule deux formes de rationalité, soit la rationalité formelle (logic of rational certainty) et la rationalité de conviction (logic of conviction). À la différence des modèles de Piaget et de Kohlberg qui portent davantage leur attention sur les opérations de pensée formelle, Fowler présente la foi comme une manière de voir et de comprendre qui fait appel au cognitif, à l'affectif, au jugement et à la valorisation, au symbolique. Croire est un processus de construction d'«images» en constante recherche d'adéquation avec le réel, tel qu'il est reçu existentiellement et culturellement (représentations). Cet ensemble d'images est l'horizon à partir duquel une personne apprend, se comprend, appréhende le monde et ses relations, décide et agit. Il s'agit ici d'un «savoir senti», implicite, voire esthétique ou poétique, comparable à l'imagination.

Ces «représentations de foi» évoluent, se transforment au cours de la vie, au gré de l'évolution physique, affective et cognitive de la personne et des événements de sa vie. Fowler, inscrivant son modèle dans la foulée de ceux de Piaget et de Kohlberg, souligne que des moments de crises sont prévisibles et que certaines caractéristiques de l'acte de croire sont repérables, chez les personnes, au fil de leur développement. Il soutient que ces moments de crises et ces caractéristiques sont généralisables — l'auteur hésite toutefois à les considérer comme étant universels —, peu importe les expériences qui les provoquent ou le contenu des représentations qu'elles sous-tendent : il s'agit en quelque sorte de «structures» de la foi comprise comme acte de croire, comparables aux opérations cognitives modélisées par Piaget ou par Kohlberg, mais qui intègrent toutefois les dimensions affectives ou subjectives laissées de côté par ces derniers. Ces «structures» évoluent selon une trajectoire prévisible et prennent des formes repérables chez tous les sujets, même si tous n'atteignent pas les mêmes stades en même temps, ni ne parviennent nécessairement aux stades supérieurs. Ce développement est constitutif du développement de l'identité, compris dans l'horizon du modèle de développement d'Erikson et se rapprochant en plusieurs points du modèle de développement du soi de Kegan.

Chaque configuration ou structure repérable et prévisible de l'acte de croire est formée des sept dimensions constitutives suivantes (Fowler, 2001, p. 161) : 1) les formes logiques, inspirées des opérations de pensée formelle du modèle de Piaget, 2) la représentation du point de vue d'autrui (perspective taking), 3) les formes de jugement moral, inspirées du modèle de Kohlberg, 4) les référents sociaux, 5) l'instance d'autorité, 6) les formes de cohérence et de consistance données à l'expérience, comprise dans son ensemble et 7) les représentations symboliques ou la fonction symbolique.

Fowler propose une vision très large, anthropologique, de la foi. Pour cela, il essuiera de nombreuses critiques, dont il fait état dans son ouvrage Stages of Faith : the Psychology of Human Development and the Quest for Meaning (Fowler, 1981) : un concept flou et donc pas crédible, d'un point de vue scientifique, diront les uns; une acception trop anthropologique, trop englobante et pas assez exclusive aux religions, diront d'autres; ou au contraire une notion trop associée aux religions, par l'utilisation du terme «foi», selon certains détracteurs. Toutefois, malgré ses inconvénients et assumant les risques qu'elle comporte, l'auteur insiste sur les avantages d'une telle conception : cette approche holistique de la foi permet de mieux montrer le caractère englobant, total de la foi pour l'humain; elle permet de mieux rendre compte d'une réalité complexe, qui touche l'humain dans toutes ses dimensions :

«There simply is no other concept that holds together those various interrelated dimensions of human knowing, valuing, committing and acting that must be considered together if we want to understand making and maintaining of human meaning (Fowler, 1981, p. 92).»

Dans cette perspective, Fowler propose un modèle du développement de la foi en six stades, auxquels il ajoute un stade préalable correspondant au tout début de la vie. Chaque stade se caractérise par une structure particulière, configurée par une articulation des sept dimensions évoquées plus haut et évoluant selon une séquence qui sera d'abord présentée dans un tableau synoptique, puis dans un court résumé (pour chaque stade, la traduction française est tirée de Fowler, 1982, p. 148-150).

Tableau I. Les stades du développement de la foi, selon le modèle de Fowler
(1981; 1982)

StadeDénomination originale (anglaise)Traduction françaisePériode de la vie ou âge correspondant

Préalable

Undifferentiated faith

«La foi indifférenciée»

Dès la naissance.

1

Intuitive-projective faith

«La foi intuitive-projective»

Âge pré-scolaire (2-6 ans).

2

Mythic-litteral faith

«La foi mythico-littérale»

Âge scolaire (enfance); parfois adolescence, ou âge adulte.

3

Synthetic-conventional faith

«La foi synthético-conventionnelle»

Adolescence et âge adulte.

4

Individuative-reflective faith

«La foi individuante-réflexive»

À partir du début de la vie adulte, plus souvent vers le mitan de la vie.

5

Conjunctive faith

«La foi conjonctive»

Rarement avant le mitan de la vie.

6

Universalizing faith

«La foi universalisante»

Pas de spécifications sur l'âge; stade rarement atteint et pas encore observé dans les recherches scientifiques.
Certains grands personnages tels Gandhi, Martin Luther King et Teresa de Calcutta, vers la fin de leur vie, en présentent les caractéristiques.

Stade préalable : la foi indifférenciée (Undifferentiated faith). Dès la naissance, la disposition de confiance du bébé est éveillée, confirmée par la réponse que les personnes prenant soin de lui apportent à ses besoins essentiels : être nourri, être en sécurité et être regardé, touché avec amour. La manière dont cette disposition de confiance est favorisée sera déterminante pour le développement de la foi.

1er stade : la foi intuitive-projective (Intuitive-projective faith). Ce stade est dominé par l'imagination qui ne se trouve pas encore inhibée par la pensée logique; les structures cognitives de l'enfant d'âge préscolaire (2-6 ans) sont extrêmement malléables et souples, laissant une large part à l'imaginaire. C'est là que se forment une grande partie des représentations, à même celles des adultes signifiants, qui seront plus tard réorganisées et reconstruites. La force de ce stade est la capacité de construire une vision unifiée du monde, tel que le vit l'enfant, et ce, par des images puissantes ou en des récits. Le passage à l'étape suivante peut être provoqué par l'atteinte du stade cognitif opératoire concret (Piaget).

2e stade : la foi mythico-littérale (Mythic-litteral faith). Ce stade est surtout associé à l'âge scolaire (enfance), mais il peut parfois être observé à l'adolescence, voire à l'âge adulte. Il se caractérise par la capacité de distinguer entre le réel et l'imaginaire, entre sa pensée et celle des autres : la personne est capable de voir du point de vue d'un autre, de construire le point de vue d'autrui et de se représenter le point de vue de Dieu (le transcendant). Ce stade est également caractérisé par une compréhension littérale des récits et des symboles, une capacité de raconter — séparation entre le récit et soi — , sans pour autant réfléchir sur ces récits : le sens est dans le récit. La personne se représente l'existence et le monde comme étant régis par un ordre, une loi : un ordre pensé d'avance, selon lequel la conformité avec lui est récompensée et la non-conformité est punie — justice rétributive, du «donnant-donnant». Cette structure d'ordre dépasse même le vouloir de Dieu, régissant le monde et Dieu; Fowler en parle comme de l' «environnement ultime». Le passage au stade suivant peut être provoqué par la perception de contradictions ou d'incompatibilité entre des récits fondamentaux; en outre, l'atteinte de la pensée formelle peut favoriser la transition vers le stade 3.

3e stade : la foi synthético-conventionnelle (Synthetic-conventional faith). Observé à l'adolescence et à l'âge adulte, ce stade se manifeste par la capacité de prendre un recul critique par rapport aux récits : la pensée formelle permet de généraliser, de formuler une image synthèse ou idéale formée des significations qui étaient emprisonnées dans les récits au stade 2. Elle rend capable d'anticiper ce que l'avenir sera, de construire le «mythe» de ce que l'on deviendra, du rôle que l'on jouera et des relations qui s'établiront. À ce stade, le regard des autres joue un rôle important dans la construction d'une image de soi : l'adolescent est capable de s'imaginer ce que les autres voient de lui, sa quête d'identité et de reconnaissance s'exprime dans la relation, voire l'intimité avec l'autre. Ainsi, l'adolescent est capable de se représenter Dieu qui le connaît profondément, jusque dans des profondeurs inconnues de l'adolescent lui-même, et qui l'accepte tel qu'il est.

Le stade 3 a un grand potentiel de stabilité : de nombreux adultes continueront de s'y retrouver. Un adolescent ou un adulte qui appartient à une communauté ou dont l'environnement social est caractérisé par le stade 3 n'aura pas nécessairement les conditions favorables à une transition au stade suivant. En effet, son système de valeurs et de représentations est tacite, c'est-à-dire qu'il est construit à même son environnement social. L'adolescent ou l'adulte peut rendre compte de ses valeurs et de ses conceptions, mais ne peut en rendre compte comme système, c'est-à-dire réfléchir sur ce qui préside à ces valeurs et conceptions.

Pour résumer ce qui caractérise le stade de la foi synthético-conventionnelle et qui contribue à sa grande stabilité, Fowler écrit ceci :

«The stage 3 individual' s faith system is conventional, in that it is seen as being everybody's faith system or the faith system of the entire community. And it is synthetic in that it is nonanalytical; it comes as a sort of unified, global wholeness (Fowler, 1981, p. 167).»

Le passage au stade suivant peut être provoqué par plusieurs facteurs touchant la relation à l'autorité, un changement important dans la relation avec la communauté d'appartenance, l'apparition d'éléments critiques qui suscitent une profonde remise en question du système des valeurs et des idées.

4e stade : la foi individuante-réflexive (Individuative-reflective faith). Si ce stade ne peut être atteint qu'à partir du début de la vie adulte, il l'est plus souvent vers le mitan de la vie. La nécessité de prendre en mains sa vie peut provoquer une remise en question des appartenances et des systèmes de valeurs qui leur sont reliés. Le fait qu'ils soient portés par des personnes signifiantes ne suffit plus. Leur validité en elle-même sera réexaminée. L'identité personnelle se trouve à prendre une consistance propre, sans le soutien du regard des autres, elle devient une identité capable de décision et d'action par elle-même, ce que Fowler appelle «le moi exécutif». À ce stade, on assiste à une entreprise de démythologisation des symboles et des idéologies, en s'intéressant à leur inscription sociale et institutionnelle. Les symboles sont compris en tant que tels et la perspective que leur signification soit portée par un autre symbole est envisagée. De même pour les idées et les systèmes de valeurs : l'intérêt pour les groupes sociaux, politiques ou culturels qui les portent, pour leur inscription dans la trame de l'histoire, permet de rendre compte du système lui-même, soit pour mieux le comprendre, soit pour l'invalider. On passe ainsi d'un système de sens tacite, ou implicite, à un système de sens explicite. Le passage au stade suivant peut s'amorcer par une insatisfaction croissante devant les explications logiques et la compréhension du monde et de soi. Une ouverture à la complexité du monde, de même que la résurgence des symboles, mythes et images de l'enfance peuvent caractériser un passage vers le stade 5.

5e stade : la foi conjonctive (Conjunctive faith) Ce stade est rarement atteint avant le mitan de la vie. La logique binaire du stade 4 se transforme en une capacité de penser le monde dans sa complexité, voire son organicité, en intégrant même ses contradictions. Plus encore, alors que le sujet, au stade 4, développe une réflexion par laquelle il «contrôle» le réel par la démythologisation des symboles et l'explication des systèmes, il est enclin, au stade 5, à laisser le «monde lui parler à sa façon». Fowler désigne cette manière de se situer en rapport au réel par la notion de «savoir dialogique» (dialogical knowing) :

«In dialogical knowing the known is invited to speak its own word in its own language. In dialogical knowing the multiplex structure of the world is invited to disclose itself. (...) Stage 5's dialogical knowing requires a knower capable of dialogue. Epistemologically, there must be sufficient self-certainty to grant the known the initiative. What the mystics call 'detachment' characterizes Stage 5's willingness to let reality speak its word, regardless of the impact of that word on the security or self-esteem of the knower. (.) Stage 5's willingness to give reality the initiative in the act of knowing, however, is not merely a function of the knower's self-certainty. It also has to do with the trustworthiness of the known. In this sense Stage 5 represents a kind of complementarity or mutuality in relation (Fowler, 1981, p. 185).»

Alors qu'au stade 4, la tâche est de rendre explicite la vision du monde, la foi du stade 5 s'attarde à réconcilier le conscient et l'inconscient, l'explicite et le tacite, le symbole et le «symbolisé», la souffrance et le bien-être, qui subsistent toujours en soi et dans le réel. Au stade 5, on perd l'illusion de tout rendre explicite par les seuls moyens de la raison critique. Fowler associe ce stade à ce que Ricoeur (1967) appelle la «seconde naïveté» : non pas la première, qui n'a pas traversé l'étape de la déconstruction critique des mythes et symboles des premiers stades, mais la seconde, qui consiste en l'intégration, la réappropriation personnelle de ces mythes et symboles, ainsi que de l'effort de compréhension critique. Il s'agit donc d'un stade de réappropriation de ce qui a tissé sa vie jusque dans les profondeurs de soi (deeper self).

Le stade 5 présente une recherche de compréhension du réel plus globale, plus complexe, prête à entendre des points de vue différents du sien, acceptant le risque d'en être transformé. Non pas relativisme ou syncrétisme, mais plutôt conscience que le réel ne peut être capté, enfermé dans un seul point de vue. La «vérité» ne pourrait être trouvée que grâce au concours de plusieurs chemins, complémentaires les uns des autres.

«Stage 5 accepts as axiomatic that truth is more multidimensional and organically interdependent than most theories or accounts of truth can grasp. Religiously, it knows that the symbols, stories, doctrines and liturgies offered by its own or other traditions are inevitably partial, limited to a particular people's experience of God and incomplete. Stage 5 also sees, however, that the relativity of religious traditions that matters is not their relativity to each other, but there relativity — their relateivity [sic] — to the reality to which they mediate relation (Fowler, 1981, p. 186; l'italique est de l'auteur).»

Comprenant avec perspicacité la complexité du monde et des points de vue possibles, la personne a besoin de réaffirmer sa loyauté envers les institutions et les représentations dont elle a hérité comme étant le point de vue particulier qu'elle adopte, son identité particulière. Ce stade est complexe et multiforme. Il assume un monde difficile à changer, en même temps qu'il est parvenu à développer une vision transformée de soi et du monde. Le stade suivant, si toutefois il est atteint, permet de faire fructifier le potentiel ici développé.

6e stade : la foi universalisante (Universalizing faith). La personne dont la foi présente les caractéristiques de ce stade «personnalise» sa vision universalisante, sa conception «idéale» du monde comme communauté universelle où la justice et la non-violence sont des critères de vérité. Elle n'a plus à sauvegarder son identité ou son intégrité personnelle; elle épouse avec sa vie la cause qu'elle défend et ce au risque de la mort. Elle bouscule les idées reçues et la vision du monde tel que se le représentent la plupart des gens : sa vie et son action sont subversives de l'ordre établi, qu'il soit social ou religieux, exerçant un leadership par son action et sa pensée. Soulignant que ce stade, correspondant à la «sainteté» — ce qui lui a valu la critique de théologiens (Alberich & Binz, 2000; Giguère, 2005) — est rarement atteint, Fowler n'a toutefois pas observé de sujet en présentant les caractéristiques.

En somme, le modèle de développement de la foi de Fowler propose une perspective développementale résolument constructiviste, dont le schéma hiérarchique et prévisible n'échappe pas aux nombreuses critiques adressées aux théories du développement dans lesquelles il s'inscrit. En effet, ce modèle repose sur une conception de l'humain selon laquelle son développement suit une trajectoire ascendante, irréversible et généralisable, liée à l'évolution en âge. Or, la vision de l'humain sous-jacente à ces modèles constructivistes se trouve aujourd'hui profondément remise en question, d'abord par le féminisme, mais également par la perspective post-moderne selon laquelle l'individu contemporain échappe toujours aux normes sociales et scientifiques qui tentent d'en tracer un profil typique et cohérent. Telle que présentée dans la section précédente, la perspective développementale de la présente recherche ne s'inscrit donc pas dans la foulée du modèle proposé par Fowler : la vision de l'humain et de son développement ne sont pas ici considérés comme étant prévisibles et généralisables ni comme empruntant une trajectoire ascendante et irréversible. En outre, l'approche de Fowler considère le développement à partir de l'individu lui-même, dans un mouvement qui part de l'intérieur vers l'extérieur s'inscrivant dans la foulée des pionniers du constructivisme sur lesquels il s'appuie. Or malgré l'intérêt incontestable de ce point de vue, la recherche s'intéresse tout de même aux interactions entre l'individu et son environnement physique et social, interactions qui restent au second plan dans le modèle de Fowler.

Malgré ses inconvénients, la proposition de Fowler a permis de cerner des traits de différents stades du développement de la foi, décrivant les conditions subjectives du passage de l'un à l'autre et intégrant les différentes dimensions impliquées dans ce développement alors que les auteurs dont il s'inspire les traitent séparément. À ce titre, cette théorie a exercé une influence déterminante non seulement dans le domaine de l'andragogie religieuse mais également dans les domaines de l'andragogie et de la psychologie. Aussi un disciple de Fowler propose-t-il, alors que la séquence des stades en elle-même est contestée, de considérer plutôt ces stades comme des types ou des profils spirituels qui, en tant que tels, garderaient leur pertinence encore aujourd'hui : une option que Fowler écarte, réaffirmant la validité externe et interne de son modèle (Fowler, 2001). En outre, un des apports principaux de cette théorie est d'avoir mieux mis en évidence le rôle des fonctions non rationnelles, voire inconscientes, dans l'apprentissage, telles l'imagination et le recours aux symboles (Tisdell, 2002, p. 129, citant son article dans Caffarella & Clark, 1999, p. 103).

Dans cette foulée, la présente recherche tire un profit non négligeable de l'approche de Fowler, en ce qui a trait au point de vue intégral adopté sur l'acte de croire. Une telle perspective met en évidence le rôle et l'articulation des différentes dimensions impliquées dans la «foi» et désenclave celle-ci d'une approche trop uniquement rationnelle ou cognitive. Cependant, la formalisation de différentes «structures» ou «représentations de foi», formant chacune une articulation spécifique et cohérente entre des dimensions cognitives, morales et symboliques, n'est pas adoptée ici. D'une part, la notion même de structure est remise en cause, c'est-à-dire un ensemble organisé, cohérent, commun et repérable chez les individus, dont les dimensions cognitives, morales et symboliques suivraient une même trajectoire développementale ascendante, reposant sur une capacité similaire à se représenter le réel et à se situer en rapport avec lui. La complexité de l'humain contemporain ne s'y trouve pas suffisamment honorée, alors que l'on est aujourd'hui davantage sensible à la diversité inhérente à son identité et aux contradictions qui en découlent. D'autre part, si l'articulation entre les différentes dimensions de l'humain dans l'acte de croire et si l'influence qu'elles exercent entre elles sont bien mises en lumière par Fowler, elles ne sont pas considérées, dans la présente recherche, comme un système dont le développement est prévisible. Plutôt, le caractère fondamentalement dynamique de la spiritualité est vu comme le moteur d'un développement dont la trajectoire est à la fois irréductible à chaque individu et influencée par ses interactions avec le monde social dans lequel il s'inscrit.

Enfin, le point de vue de Fowler apporte une contribution fort appréciable au débat sur la distinction entre spiritualité et religion, proposant d'adopter un point de vue anthropologique, voire psychologique, plutôt que théologique sur l'acte de croire. La foi est examinée non comme contenu et comme référent mais comme disposition, posture existentielle et essentiellement relationnelle de l'humain, constitutive de son identité et de son rapport au monde et à la transcendance, quels qu'en soient les manifestations dans des représentations, des pratiques ou des attitudes. Toutefois, si l'on examine la description de chacun des stades, on est frappé par leur inscription dans un point de vue chrétien, en particulier sur la transcendance : celle-ci est souvent identifiée à un Dieu personnel, avec lequel on entre en relation intime, ce qui n'est pas commun à toutes les religions, encore moins aux spiritualités non religieuses. Si un tel point de vue conforte une approche théologique du développement de la foi, ce que le premier chapitre mettait en évidence, il se trouve remis en question par la présente recherche qui propose d'adopter une perspective andragogique pour aborder le développement spirituel.

La théorie d'Oser et Gmunder sur le développement du jugement religieux

Reprochant à Fowler de proposer une théorie s'appuyant sur une acception trop large et englobante de la foi, Fritz Oser et Paul Gmunder (1991) ont élaboré eux aussi une théorie constructiviste dans la foulée des travaux de Piaget et de Kegan. À l'instar de Fowler, ils proposent un modèle de développement en cinq stades présentant des structures caractéristiques et universelles, indépendamment de la religion ou de la culture des individus, et qui évoluent selon les étapes de leur vie mais, cette fois, à partir du concept de «jugement religieux» :

«Parler de développement du jugement religieux, c' est dire que, au cours de l'histoire de leur vie, les personnes donnent, à chaque étape, des interprétations " religieuses " plus différenciées de leurs expériences personnelles et sociales. Au plan des contenus, ce développement se reflète dans la façon de fonder religieusement une recherche de sens, une vision politique, une cosmologie et une métaphysique, une éthique, un engagement à l'égard des autres. Quant au plan structural, le sujet, confronté à une nouvelle situation, se relie, à chaque étape, de façon nouvelle, à l'Ultime, à l'Inconditionnel (p. 21).»

Pour les auteurs, le jugement religieux est l'interprétation qu'une personne donne aux situations concrètes de sa vie, à partir de la manière dont elle se situe en relation avec l'Ultime (réalité dernière) ou l'Inconditionnel — «condition de possibilité ou ce qui est toujours donné quand nous établissons une relation à l'Ultime (p. 26-27)» —, ces deux expressions étant équivalentes. Chaque étape du développement du jugement religieux présente une «structure-mère», indépendante des contenus et des situations particulières et qui constitue un équilibre entre des éléments bipolaires, constitutifs du jugement religieux, soit le sacré et le profane, la transcendance et l'immanence, la liberté et la dépendance, l'espérance (le sens) et l'absurdité, la confiance et la peur, la durée ou l'éternité et la précarité, le mystérieux ou l'inexplicable (le magique) et l'intelligible fonctionnel (p. 42).

Ces éléments constitutifs du jugement religieux ont été formulés à partir des réponses que les auteurs ont recueillies auprès des personnes auxquelles ils ont soumis des dilemmes religieux à résoudre, mais elles font également écho aux dimensions qui se retrouvent dans les différentes théories de sociologie, d'anthropologie et de psychologie religieuses sur lesquelles les auteurs s'appuient (Durkheim 1912; Éliade 1965; Grimal, 1967; Izard 1981; Krings 1979; Schibilsky 1978; Simons 1974). Ainsi, Oser et Gmunder (1991) ont décrit le processus de «reconstruction religieuse de la réalité» qui est «le processus de construction d'un équilibre entre les différentes dimensions polaires» (p. 57) de la conscience religieuse. À la suite de Piaget et de Kegan, «sources directes» de cette théorie, les auteurs ont voulu contribuer à «décrire l'ontogenèse de la personne» (p. 33), postulant que «le développement du jugement religieux est une partie du développement de la personnalité (p. 34).»

La théorie du développement du jugement religieux présente cinq stades, que les auteurs désignent également par le terme «perspectives», dont la séquence est d'abord présentée dans un tableau synoptique puis dans un bref résumé (la traduction française est de Ridez et renvoie aux pages 113-127).

Tableau II. Les stades du développement du jugement religieux, selon la théorie d'Oser et Gmunder (1991)

StadesDénomination en français (d'après Oser, Gmunder et Ridez, 1991)Période de la vie ou âge correspondants

1

«La perspective du Deus ex machina»

Petite enfance.

2

«La perspective du Do ut des»

Enfance (6-13 ans), parfois jusqu'à l'âge adulte.

3

«La perspective de l'autonomie absolue et du déisme»

À partir de l'adolescence, pouvant se prolonger jusqu'à l'âge adulte.

4

«La perspective de l'autonomie religieuse et du plan de salut»

Âge adulte.

5

«La perspective d'autonomie religieuse par l'intersubjectivité absolue»

Âge adulte.

1er stade : La perspective du Deus ex machina. Ce stade se manifeste dans la petite enfance, alors que l'enfant se situe en relation de dépendance avec l'Ultime. Celui-ci est tout-puissant et intervient selon son bon vouloir dans le monde, récompensant ou punissant les humains : «il faut sans cesse accomplir la volonté de l'Ultime de peur de briser la relation avec lui (Oser, Gmunder & Ridez, 1991, p. 23).»

2e stade : La perspective du Do ut des. Se manifestant à partir de l'enfance, de 6 à 13 ans, parfois même jusqu'à l'âge adulte, ce stade conçoit la relation avec l'Ultime comme un marchandage : l'Ultime peut répondre à une demande, se montrer sensible à une promesse ou récompenser une bonne conduite; l'humain peut donc influencer l'intervention de l'Ultime.

3e stade : La perspective de l'autonomie absolue et du déisme. Observé à partir de l'adolescence et pouvant se prolonger à l'âge adulte, ce stade se caractérise par la prise de conscience de l'autonomie, voire de la séparation entre le domaine de l'Ultime — «ordre fondamental de la vie et du monde» (p. 24) — et celui de l'humain, qui se comprend comme étant pleinement libre et responsable de ce qui lui arrive. Ce stade peut parfois se traduire par l'agnosticisme, voire l'athéisme.

4e stade : La perspective de l'autonomie religieuse et du plan de salut. L'Ultime est la condition de possibilité de la liberté et de la responsabilité de l'Humain, qui s'exerce pleinement dans un «plan divin», ou dans un fondement transcendant. Aussi l'humain accepte-t-il librement de participer à l'élaboration d'un monde meilleur, établissant une corrélation entre les domaines qu'il considérait auparavant comme séparés.

5e stade : La perspective d'autonomie religieuse par l'intersubjectivité absolue. La transcendance de l'Ultime se manifeste dans l'immanence, dans l'Humain qui s'engage envers autrui. La relation qui s'établit entre l'Ultime et l'Humain est donc caractérisée par l'amour réciproque dans la liberté de l'autre, ouvrant l'Humain à une perspective et une solidarité universelles : «Le "Royaume de Dieu" devient garant pour l'homme qui s'engage pour les autres, qui ainsi crée le sens et qui ne peut penser le divin sans l'homme (Oser, Gmunder & Ridez, 1991, p. 25).»

Ce modèle de développement du jugement religieux d'Oser et Gmunder (1991) a l'avantage de décrire de manière assez précise l'évolution des trois pôles relationnels qui caractérisent la spiritualité, soit les relations entre soi, les autres et la transcendance. En cela, malgré les questions que soulève la perspective constructiviste de ce modèle, les stades permettent d'en saisir les différentes articulations au fil des étapes de la vie. Toutefois, à l'instar du modèle de Fowler, le traitement de la notion de jugement religieux qui se dégage de la séquence du développement introduit des représentations proprement religieuses dans la description : ainsi les expressions «plan divin» et «Royaume de Dieu» qui sont employées dans le christianisme. Si les auteurs définissent la «conscience religieuse» comme la structure de relation entre soi, autrui et l'Ultime, en deçà de ses contenus religieux, son déploiement dans la description des stades de développement montre le plus souvent une relation qui se présente sous un mode interpersonnel, à la manière dont le christianisme comprend les relations entre Dieu et l'Humain. Opposant à la notion trop large de la foi de Fowler une acception plus précise et plus opératoire, la notion de jugement religieux se présente alors sous des traits qui risquent de réduire le «spirituel» au «religieux», se moulant malgré tout aux représentations de l'Ultime que s'en font les religions, le christianisme en particulier.

En outre, le modèle d'Oser et Gmunder (1991) propose une perspective nettement plus centrée sur les dimensions cognitives et morales à partir de la notion de «jugement» religieux, laissant dans l'ombre la dimension symbolique et affective mieux mise en lumière par Fowler. Prenant une distance critique avec l'approche de la foi de ce dernier, jugée trop large et englobante, les auteurs ont réduit celle-ci à ses manifestations les plus facilement repérables et manipulables d'un point de vue scientifique. Si une telle perspective présente des avantages certains, elle n'est pas adoptée dans le cadre de la présente recherche, moins attachée à proposer un modèle cohérent et universel du développement spirituel qu'à en explorer la complexité à partir des diverses influences, tant subjectives que sociales, intégrant le conscient et l'inconscient, le culturel et le symbolique, constitutifs de la dimension spirituelle.

b. Le développement spirituel en andragogie et en sciences sociales

Outre les travaux de Fowler — la théorie d'Oser et Gmunder ne semble pas avoir traversé l'Atlantique — connus aussi bien dans l'univers théologique que dans les domaines de l'andragogie, de la psychologie et des sciences sociales, les recherches portant spécifiquement sur le développement spirituel se font rares (Tisdell, 2002). Plus rares encore sont les études du développement spirituel en relation avec le contexte culturel, ce à quoi veut contribuer Tisdell (2002). Sa recherche vise à examiner les relations entre le développement spirituel, le contexte culturel et l'engagement de femmes en éducation, dans une perspective de transformation sociale.

La définition de la spiritualité sur laquelle l'auteure s'appuie est inspirée des travaux de Hamilton et Jackson (1998) sur les conceptions de la spiritualité chez les femmes : «the further development of self awareness, the interconnectedness of all things, and a relationship to a higher power that is related to how they construct meaning in their lives (Tisdell, 2002, p. 127).» Si ces trois dimensions de la spiritualité constituent un dénominateur commun généralement accepté à propos de cette notion, l'auteure souligne toutefois l'apport de Lerner (2000), qui distingue entre «spiritualité réactionnaire» et «spiritualité émancipatrice», cette dernière se définissant par «a sense of wonder, the cultivation of mindfulness, a love and care for the universe manifested in working for environmental sustainability, and a focus on the transformation of the world (Tisdell, 2002, p. 128).» Une telle approche de la spiritualité rejoint la perspective de l'inter-spiritualité féministe évoquée plus haut, proposant une acception de la spiritualité qui est ouverture et engagement envers autrui, une spiritualité qui est force transformatrice de soi et du monde, tendue vers un idéal, une utopie à réaliser.

Dans cette perspective, Tisdell (2002) a interrogé des femmes engagées dans des pratiques d'éducation visant la transformation sociale et dont la spiritualité joue un rôle important dans cet engagement. Une analyse qualitative des données a révélé quatre thèmes ou aspects du développement spirituel : 1) Le développement spirituel est un processus en spirale, qui consiste à questionner, à s'éloigner ou à revisiter l'héritage religieux ou culturel (attitudes et symboles) reçu dans son enfance (p. 133). 2) Particulièrement dans des situations de détresse ou d'épreuve, la spiritualité se manifeste par le sentiment d'être en communion «avec tout», de toucher au mystère de la Vie, voire d'être saisi par une Force de vie (Lifeforce) qui guérit ou libère. 3) Ces expériences de guérison et de communion sont vécues comme étant des sources du développement de son «identité authentique», synonyme de développement spirituel : celui-ci est en effet un chemin de découverte et d'approfondissement de ce que l'on est en vérité, au-delà des changements auxquels on a à faire face, se traduisant parfois par la réconciliation avec certains aspects de son héritage, ou encore par l'affranchissement de certaines traditions héritées qui ne correspondent plus à soi. 4) Enfin, la spiritualité est en étroite relation avec l'engagement dans la transformation sociale : si cette quatrième assertion concernant le développement spirituel présidait d'emblée au choix des sujets interrogés, l'analyse des données révèle tout de même que la spiritualité est à la fois à la source de l'engagement social, en tant qu'ouverture et conscience planétaire, en même temps qu'elle est un soutien, voire une force pour tenir bon dans cet engagement; ainsi, spiritualité et action sociale s'appellent mutuellement.

Les itinéraires spirituels analysés par Tisdell (2002) manifestent une reprise personnelle, voire un affranchissement de son bagage religieux ou culturel, en vue de l'élaboration d'une identité personnelle qui soit authentique. Ce processus suppose non seulement la traversée courageuse des épreuves et des difficultés, la réconciliation de certaines relations blessées, la résolution de deuils, ou la persévérance dans l'engagement social, mais également l'expérience d'être guéri ou libéré par une force plus grande que soi, un dynamisme de vie auquel on se rend disponible, à la fois par la prise de conscience et par des processus inconscients : «Thus what may fuel spiritual development is the integration of symbolic knowing and spiritual experiences with the rational process of thinking about those experiences (p. 139).» Ainsi, la proposition de Tisdell (2002) rejoint la théorie de Fowler sur ces aspects, sans toutefois proposer une approche constructiviste du développement. Dans cette perspective, l'apport de Tisdell (2002) fournit des points de repères fort utiles pour aborder le développement spirituel dans le cadre de la présente recherche. Notamment, les trois premiers thèmes ou aspects du développement spirituel sont particulièrement inspirants, puisqu'ils mettent en évidence l'interaction entre l'identité individuelle et la dimension sociale, culturelle et religieuse dans le processus de transformation spirituelle.

2.2.4 Le développement spirituel d'adultes : définition pour la recherche

Il ressort de cette analyse de la notion de spiritualité que celle-ci, tant en sciences sociales et en andragogie qu'en théologie, relève d'une attitude anthropologique, distincte du contenu des croyances, des pratiques et des normes (religieuses ou non) qui la sous-tendent. Dans une perspective andragogique, la spiritualité articule trois pôles, soit 1) la conscience, voire la réalisation de soi, la recherche constante de son identité authentique qui, pour être vraie, ne peut se limiter au regard égocentrique sur soi; 2) la relation avec autrui ou la solidarité avec l'humain, se traduisant dans l'agir et les manières de vivre et 3) l'orientation vers ou l'aspiration à une finalité, un absolu, une dimension transcendante qui constitue un dynamisme unificateur et mobilisateur, une force de vie, de guérison et de libération.

Le développement spirituel se manifeste, du point de vue de l'individu, comme une trajectoire évolutive, une recherche subjective du meilleur en soi, en relation avec le monde, formé des autres (autrui) et de l'Autre (finalité, absolu). On peut donc dire du développement spirituel qu'il est un dynamisme intérieur, une motion qui pousse l'individu vers un «mieux-être», indissociable d'un «mieux vivre ensemble», dans l'horizon d'une transcendance. Toutefois, ce dynamisme peut prendre diverses formes et articule différemment, selon les individus, le conscient et l'inconscient, l'identité individuelle et collective, le personnel et le culturel, la volonté et ce qui lui échappe. Autrement dit, cette tension subjective vers un «plus de sens», un idéal, une transcendance, ne se manifeste pas nécessairement dans une trajectoire de développement linéaire ou ascendante et universelle.

Dans cette foulée, le développement spirituel d'une personne s'appuie sur une recherche et une production de sens, impliquant à la fois les processus réflexifs, soit le «travail conscient» et les processus inconscients, ou le «travail de l'âme». Il consiste en une sorte d'action, un «travail» personnel d'intégration et de production du sens de son existence en relation avec les autres et le monde, c'est-à-dire le monde concret et les représentations de ce monde. Un tel «travail» conduit tantôt à s'affranchir des influences ou des relations qui empêchent le développement authentique de soi (identité vraie), tantôt à intégrer de manière toute personnelle la culture sans laquelle cette identité ne peut accoucher d'elle-même. Aussi, le développement spirituel est-il un processus profondément existentiel et unificateur de la complexité de l'expérience humaine, dans toutes ses dimensions. C'est pourquoi il est considéré non seulement à partir de cette aspiration à un «plus» de sens, à un idéal ou à une réalisation de soi, mais également à partir des expériences de «non sens», des questions qui ne trouvent pas de réponses sur l'existence, la souffrance, la mort, l'amour. Le développement spirituel est examiné comme un processus dynamique qui parfois se manifeste en des avancées, des passages d'une question à une «réponse» qui consiste à donner du sens à une expérience, ou parfois se traduit par une recherche ou une expérience du «manque» de sens qui mobilise la personne, la met en chemin.

Dans le cadre de cette recherche, le développement spirituel est considéré distinctement mais en rapport à l'expérience religieuse, qui présente différentes formes de «savoirs» ou de représentations de l'absolu, de la transcendance et des idéaux vers lesquels tend l'humain et qui se manifestent dans des énoncés ou des dogmes, des normes, des conduites et des rites concrets. Ces expressions religieuses, lorsqu'elles sont repérables chez certains sujets, sont considérées comme des éléments constitutifs du développement spirituel. Toutefois, leur rôle dans ce développement comporte une valeur subjective, selon les itinéraires spirituels de chacun : chez certains sujets, des expériences religieuses auront contribué positivement ou de manière constructive à leur développement spirituel; chez d'autres, certaines expériences religieuses auront provoqué des difficultés, voire des blocages dans leur développement spirituel, et d'autres types d'expériences, qui ne sont pas nécessairement religieuses, auront contribué à dénouer des impasses ou à réorienter leur cheminement spirituel. Si le développement spirituel peut avoir été configuré à partir de l'expérience religieuse ou en opposition à elle, il peut également se manifester sans influence religieuse, quelle qu'elle soit : la recherche considère toutes ces possibilités.

2.3 Les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes

L'intérêt porté à l'apprentissage, dans cette recherche, s'inscrit dans une approche holistique et dynamique de l'adulte en cheminement spirituel. Dans cette foulée, l'apprentissage est considéré comme un processus, en interrelation avec le développement dans lequel il s'inscrit et sur lequel il produit un effet. Il est également considéré comme le résultat de ce processus, sous forme des savoirs ainsi développés ou acquis sur lesquels s'appuieront de nouveaux apprentissages et qui confèrent au développement spirituel une trajectoire particulière. Après avoir exploré, dans un premier temps, différentes approches de l'apprentissage à partir des principaux auteurs qui l'ont défini dans une perspective existentielle, la seconde partie de cette section effectuera une synthèse des dimensions de l'apprentissage qui sont considérées dans le cadre de cette recherche.

2.3.1 L'apprentissage de l'adulte comme processus existentiel

Dans un court article encyclopédique consacré à la notion d'apprentissage de l'adulte, Merriam introduit son propos par la définition suivante, empruntée à Jarvis (1992, p. 11) : «learning 'is of the essence of everyday living and of conscious experience; it is the process of transforming that experience into knowledge, skills, attitudes, values, and beliefs' (Merriam, 2005, p. 42).» Cette définition de Jarvis (1992) pose l'apprentissage dans une perspective existentielle, dénonçant par le fait même que cette notion soit encore trop souvent considérée à partir du seul point de vue de l'éducation formelle. Adoptant à la fois un regard philosophique et sociologique sur l'apprentissage, l'auteur conçoit celui-ci comme une activité intimement liée à l'expérience, à la vie et à l'existence humaines. Ainsi, selon Jarvis (1992), l'apprentissage est un processus de transformation de l'expérience pour la comprendre et lui donner du sens (Jarvis, 1992, p. 11).

Alors que cette recherche s'intéresse au développement spirituel, le processus d'apprentissage est considéré dans une perspective existentielle, c'est-à-dire dans le cadre de la vie des adultes. Ainsi, deux orientations particulièrement fécondes dans l'exploration de l'apprentissage seront examinées, soit comme processus de transformation de l'expérience et comme processus de production du sens. Il s'agit, chez les auteurs recensés, des deux faces d'un même processus, qui seront traitées ici distinctement, mais en interrelation l'une avec l'autre, afin de mettre en lumière deux dimensions constitutives de l'apprentissage soulevées dans les sections précédentes, soit l'expérience et le sens. En troisième lieu, quelques travaux ayant exploré les articulations entre apprentissage et développement de l'adulte seront brièvement résumés et leur apport particulièrement lumineux au regard des questions de recherche sera mis en évidence.

a. L'apprentissage, un processus de transformation de l'expérience

Situant l'apprentissage — et l'existence humaine — dans une perspective résolument sociale, Jarvis (1992) le décrit dans la trame du processus d'intériorisation/extériorisation qui se joue dans la relation entre l'individu et la culture. Dès le début de sa vie — et même dès le sein maternel —, l'individu est plongé dans le monde social dont il intériorise le langage, les valeurs, les connaissances, les comportements. Le premier enjeu de l'apprentissage consiste en cette intériorisation des éléments de la société et de la culture par lesquelles se construit l'individu, qui en reproduit le langage, les valeurs et les conduites, notamment. Cependant, il ne s'agit jamais d'une simple reproduction de la culture : au fil du processus de maturation, c'est-à-dire du moment où l'individu devient capable de penser et d'agir par lui-même, il entre en relation active, voire proactive et créative avec le monde social, y investissant avec sa propre personnalité ce qu'il en a appris (extériorisation).

L'expérience est au cœur de cette interaction entre l'individu et le monde social, impliquant le corps, l'intelligence (mind), le soi (self) et l'identité, ces trois dernières dimensions étant socialement apprises. À partir de l'interprétation et de la mémorisation des expériences, l'intelligence, la conscience de soi et l'identité se développent, constituant une «biographie» à partir de laquelle les expériences ultérieures seront interprétées. Pour Jarvis (1987), l'apprentissage résulte d'une synthèse personnelle entre le «bagage de savoirs» (store of knowledge ou stock of knowledge), inscrit dans l'histoire de la personne, et l'interprétation subjective d'une expérience inédite.

Cette approche de l'apprentissage rejoint celle de Mezirow (2001) pour qui l'apprentissage est un «processus d'interprétation à caractère dialectique» (p. 31), c'est-à-dire qu'il met en rapport l'expérience antérieure avec une expérience nouvelle ou encore un contexte nouveau. L'expérience déjà acquise peut être mieux comprise, réinterprétée, conscientisée, donnant ainsi lieu à un nouvel apprentissage, si elle est mémorisée. La théorie de la transformation de perspectives élaborée par Mezirow (2001) s'appuie sur le concept de «perspectives de sens», inspiré par les travaux de plusieurs théoriciens, dont Popper est une figure marquante. En effet, pour celui-ci, le point de départ de toute démarche scientifique se situe dans l'«horizon d'anticipations» du chercheur qui consiste en des hypothèses, inconscientes ou explicites, sur le réel. Ce sont donc des savoirs acquis par l'expérience antérieure et par la socialisation qui, organisés en une «structure de présomptions», un «cadre de référence», servent de base pour les nouveaux savoirs et les conduites. Dans cette perspective, l'apprentissage consiste moins en l'accumulation de nouveaux savoirs qu'en la remise en cause des savoirs anciens par de nouvelles expériences, qui conduisent à la formulation de nouvelles hypothèses, celles-ci corrigeant les premières. L'apprentissage est ainsi conçu comme un processus de résolution de problèmes par lequel l'individu, bousculé par une nouvelle expérience qui ne cadre pas avec ses manières de voir actuelles («dilemme perturbateur»), devient conscient de ses présupposés et élargit ses horizons par la réflexion critique, pour adopter une perspective plus ouverte, plus perspicace et plus perméable aux nouvelles expériences et aux différents points de vue.

Pour Jarvis et Mezirow, l'expérience est donc au cœur ou à la base de l'apprentissage. Ils conçoivent l'apprentissage de l'adulte comme une transformation du «bagage de savoirs» (Jarvis, 1992) ou du «cadre de référence» (Mezirow, 2001), construits par la socialisation (Mezirow, 2001) ou par l'intériorisation du monde social (Jarvis, 1992) et qui constituent le lieu à partir duquel s'effectuent les nouveaux apprentissages. À l'instar de Jarvis et Mezirow, de nombreux auteurs s'entendent sur le fait que l'expérience est une dimension constitutive de l'apprentissage de l'adulte, dans la foulée des travaux de Dewey et de Lindeman, au début du siècle dernier, puis de Knowles, considéré comme le père de l'andragogie en Amérique du Nord (Balleux, 2000). Toutefois, cette entente demeure fragile, car elle repose sur des acceptions différentes de la notion d'expérience selon les auteurs, qui conduisent à l'élaboration de diverses approches de l'apprentissage en relation avec l'expérience, dont les pages suivantes donneront un bref aperçu.

La notion polysémique d'expérience

On doit à Knowles d'avoir mis en valeur le mode particulier d'apprentissage des adultes, soit à partir de leur expérience plutôt qu'à partir des savoirs enseignés par un maître. En effet, pour les adultes, l'expérience définit ce qu'ils sont, alors que pour les enfants, l'expérience est ce qui leur est arrivé — rapport hétérogène à l'expérience — (Knowles, 1990, p. 72). L'expérience est le lieu à partir duquel les adultes apprennent, mais elle peut également freiner, voire bloquer de nouveaux apprentissages, par les préjugés ou les habitudes qui se sont forgés à même cette expérience.

Pour Jarvis (1992, 2006), l'expérience se définit comme la relation entre l'individu et son environnement. Elle se manifeste selon deux types, en étroite interrelation : les expériences primaires, qui résultent des relations directes avec l'environnement, par les sens, et les expériences secondaires, qui résultent des relations médiatisées par le langage et la communication. Ces expériences construisent le «bagage individuel» à partir duquel l'individu entre en relation avec le monde social : l'expérience ainsi «emmagasinée», c'est-à-dire intégrée par l'interprétation et la mémorisation, devient une sorte de «savoir» (stock of knowledge) sur lequel s'appuieront les nouveaux apprentissages ou encore à partir duquel seront interprétées les nouvelles expériences. Aussi les expériences primaires ne sont-elles jamais de simples sensations qui seraient les mêmes pour tous les individus : une expérience est toujours subjective, les sensations sont toujours interprétées à partir des significations reçues du monde social (expériences secondaires), en interaction avec les significations construites au fil des apprentissages. Ainsi, par exemple, la vue d'un coucher de soleil peut s'avérer une expérience esthétique pour une personne et une expérience religieuse pour une autre (Jarvis, 2006, p. 84).

Chez Mezirow (2001), la notion d'expérience est associée aux objets et aux événements (p. 26; p. 31) auxquels est confronté l'individu et qui sont perçus et interprétés à partir du cadre de référence. Cette notion n'est pas explicitement définie par l'auteur, mais elle sous-tend l'apprentissage. La théorie de la transformation de perspectives repose davantage sur la notion de perspectives de sens ou de cadre de référence. Celui-ci est à la fois façonné par la socialisation, qui correspond à ce que Jarvis (1992) désigne par le processus d'intériorisation du monde social, et par les expériences auxquelles est toujours confronté l'individu et qui sont assimilées. Ce cadre de référence, aussi désigné par la notion de «perspectives de sens», consiste en une «structure de présomptions», un «ensemble d'habitudes d'anticipation qui constitue un cadre de référence directeur» (Mezirow, 2001, p. 62) codifiant le rapport au réel de l'individu et canalisant ses perceptions. Cependant, ce cadre de référence, s'il n'est pas soumis à l'examen critique, devient inadéquat pour l'intégration de nouvelles expériences : aussi, pour Mezirow, l'apprentissage a-t-il une fonction d'émancipation au regard des présomptions forgées à partir de l'assimilation des expériences antérieures.

La notion d'expérience, chez Jarvis et Mezirow, renvoie donc à ce sur quoi porte l'apprentissage, ou ce à partir de quoi un apprentissage est possible ou sollicité. Plus explicitement chez Jarvis, la notion d'expérience évoque à la fois le contact direct ou médiatisé d'un individu avec son environnement, en même temps que l'interprétation personnelle et sociale qui est donnée à cette sensation. Mezirow considère l'expérience comme «événement» qui, pour être perçu, est déjà interprété, c'est-à-dire repéré à partir des habitudes d'anticipation. Pour ces deux auteurs, si l'expérience est en quelque sorte la matière première de l'apprentissage, elle en est également le résultat : les expériences antérieures qui ont fait l'objet d'un apprentissage — ce que Knowles (1990) désigne par l'expérience — constituent le bagage des savoirs ou le cadre de référence à partir desquels de nouvelles expériences peuvent être appréhendées.

Un autre point de vue est apporté par Kasl et Yorks (2002), qui, s'appuyant sur les travaux de Heron, proposent de considérer l'expérience comme un acte d'apprentissage dans lequel l'apport spécifique de la dimension affective est mis en évidence. En effet, dans son ouvrage Feeling and Personhood, Heron (1992) développe une théorie de la personne à partir de laquelle il décrit différentes formes de savoirs, auxquels correspondent autant de formes d'apprentissage : l'apprentissage expérientiel (experiential), l'apprentissage évocatif (presentational ou imaginal), l'apprentissage propositionnel (propositional), et l'apprentissage pratique (practical) (Heron, 1992, p. 224-225). Chacun de ces apprentissages ou savoirs articule un processus d'individuation (fonction de centration ou de focalisation sur soi, comme entité distincte) et un processus de participation (fonction d'expansion, d'ouverture et d'interaction à tout ce qui est). Or, selon Kasl et Yorks (2002), le modèle d'Heron permet de considérer l'expérience comme une forme d'apprentissage spécifique, un savoir s'appuyant sur les émotions et sentiments (affective mode), d'une part, et sur l'intuition et les images (imaginal mode), d'autre part. Une telle perspective permet de désenclaver l'apprentissage d'une approche trop cognitive et conative — ce que Kasl et Yorks (2002) reprochent à Mezirow, notamment — et de l'inscrire dans une vision globale dans laquelle la dimension affective est mieux mise en valeur. Toutefois, il faut souligner que cette proposition de Kasl et Yorks (2002) s'appuie davantage sur la notion d'«apprentissage — ou de savoir — expérientiel» de Heron (1992) que sur la notion d' «expérience» proprement dite. En effet, le terme «expérience» n'est pas défini explicitement chez Heron (1992). Il est cependant mis en rapport avec le terme «être» (being), laissant supposer une approche existentielle et très large de cette notion qui devient, en tant que «savoir ou apprentissage expérientiel», une forme de présence au monde, une manière empathique d'appréhender les choses : «Experiential learning is acquiring knowledge of being and beings through empathic resonnance, felt participation» (Heron, 1992, p. 224).

Dans cette foulée, mais examinée selon une approche différente, la notion d'expérience, chez Pineau (2004), est traitée comme «apprentissage expérientiel», rejoignant la notion de «savoir» ou de «bagage» (stock of knowledge) de Jarvis (1992). En effet, à la suite de Bateson, Pineau (2004) propose une approche écologique s'appuyant sur les histoires de vie, par laquelle le «bagage expérientiel d'apprentissage des adultes», d'abord tacite et construit dans l'action, est explicité puis communiqué ou transmis à d'autres, pour enfin être intériorisé, contribuant au développement de l'adulte, considéré comme sujet social apprenant. Dans ce modèle, la notion d' «apprentissage expérientiel» s'oppose à celle d'apprentissage formel : elle réfère aux apprentissages de la vie, qui se déroulent de manière chaotique (référant à Solar & Danis, 1998) et diffuse. Dans sa proposition de modèle pour analyser les histoires de vie et pour y déceler les processus d'apprentissage et de développement, Pineau (2004) associe l'apprentissage expérientiel aux savoirs d'action et aux connaissances tacites de Schôn qui seront ensuite explicités pour faire l'objet d'un apprentissage formel. Cette perspective rejoint également celle de Mezirow (2001) qui désigne par «interprétation présentielle» une forme d'apprentissage qui se présente sous un mode pré-langagier et qui relève de l'intuition.

En résumé, retenons que le concept d'expérience, en relation avec l'apprentissage, renvoie, d'une part, aux relations directes ou médiatisées entre l'individu et son environnement, interprétées ou perçues — filtrées — à partir du cadre de référence ou du bagage des savoirs. D'autre part, l'expérience est également ce qui résulte d'un apprentissage : elle devient un savoir lié à l'histoire individuelle et socialisée, voire une structure de savoirs ou un système d'anticipations à partir duquel l'individu entre en relation avec le monde et interprète les nouvelles expériences. Enfin, comprise comme «apprentissage ou savoir expérientiel», l'expérience peut être considérée comme un mode particulier d'apprentissage, une manière tacite d'appréhender le réel par les émotions et les sentiments, par la perception intuitive ou «présentielle», ou encore par l'action. Toutefois, cette dernière acception ne sera pas développée davantage, puisqu'elle s'inscrit dans une autre approche de l'apprentissage que celle choisie dans le cadre de cette recherche.

À la suite de Mezirow et surtout de Jarvis, l'expérience est donc comprise comme contact ou relation «filtrée» d'un individu avec son environnement, constituant la «matière première» de l'apprentissage, ce sur quoi il porte. Plus encore, l'expérience est ce qui convoque l'individu, à certaines conditions toutefois, nous le verrons, à apprendre. Or, cette acception est intimement liée à la seconde, qui est l'expérience antérieure, résultant des apprentissages et de la socialisation. Ainsi, cette double acception de la notion d'expérience a l'avantage d'inscrire l'apprentissage non seulement dans une perspective existentielle, mais également de le comprendre comme un processus à la fois individuel et social, dans lequel l'individu est toujours considéré en relation avec son environnement ou dans une situation concrète. Mais une telle approche large et ouverte à la complexité de la notion d'expérience comporte également l'inconvénient de manquer de précision. C'est pourquoi les pages suivantes seront consacrées à en définir encore davantage les contours.

Les conditions de l'apprentissage à partir de l'expérience

Si, pour plusieurs auteurs, l'expérience est à la base de tout apprentissage, toute expérience ne conduit pas nécessairement à un apprentissage. En effet, dans un article consacré à la notion d'expérience en relation avec l'apprentissage, Jarvis (1987) souligne que lorsqu'il y a continuité dans la relation entre le bagage de savoirs (stock of knowledge) d'une personne, s'appuyant sur ses expériences antérieures, et le contexte socio-culturel et temporel dans lequel s'inscrit une nouvelle expérience, cette continuité ne conduit pas à un apprentissage : la personne réagit avec automatisme à toute nouvelle expérience qui s'ajoute harmonieusement à celles antérieures; elle reproduit, sans y réfléchir, ce qu'elle a intériorisé du monde social. Or, certaines expériences provoquent une «disjonction» entre l'histoire individuelle (individual biography) et le monde socio-culturel et temporel intériorisé, devenant ainsi l'occasion d'un apprentissage. Le potentiel d'apprentissage se concrétise lorsqu'une personne entre dans un processus de réflexion pour donner du sens à une expérience, un processus qui s'effectue en rupture avec la temporalité des automatismes, comme si le temps devait s'arrêter et prendre une autre vitesse, celle de la réflexion et de l'examen conscient de ce qui survient ici et maintenant. Dans un ouvrage ultérieur, Jarvis (2006, p. 73) désigne de telles expériences par la notion d'«expérience épisodique» (episodic experiences), qu'il définit comme l'attention (being aware) qu'une personne porte au monde extérieur avec lequel elle entre en contact, lorsqu'un tel décalage se produit :

«An episodic experience we have may be direct encounter with the external world or it may be mediated to us. However, the significant point is that a moment we become conscious and aware of the external world — which I have called disjuncture — when my biography and my interpretation of the immediate world are not in harmony and I cannot take my actions for granted, then I am forced to ask questions — why? how? and so on. It is at this moment we become aware of the world and have an episodic experience (Jarvis, 2006, p. 73).»

Par ailleurs, certaines expériences peuvent également avoir lieu dans des conditions qui rendent impossible tout apprentissage, voire même qui peuvent contribuer à l'aliénation ou à l'oppression des individus. C'est le cas, notamment, lorsque des expériences sont vécues dans un milieu ou une société où l'individu est forcé de vivre en totale conformité avec le monde social : son individualité est alors niée, empêchant ainsi toute opportunité de recul réflexif sur son expérience. Au contraire, une expérience peut avoir lieu dans un contexte où la discontinuité est telle qu'il y a un véritable fossé entre le bagage de savoirs d'un individu et le monde social dans lequel il se trouve, rendant tout aussi impossible un processus réflexif. Par exemple, dans une société qui change rapidement, certaines personnes renoncent à suivre le rythme; un sentiment d'étrangeté les envahit, pouvant même les conduire au désespoir : un phénomène que Jarvis (1987) désigne par «anomie», à la suite de Durkheim.

Mezirow (2001), quant à lui, distingue plutôt différentes formes d'apprentissage, selon le rapport qui s'établit entre l'expérience, le cadre de référence et le processus de réflexion qui s'enclenche. Les trois premières formes sont des apprentissages qui ont en commun de s'effectuer sans que le cadre de référence (les perspectives de sens) ne soit remis en question par la nouvelle expérience. Celle-ci peut conduire au raffinement d'un savoir déjà acquis, à l'ajout d'un nouveau savoir ou encore à la remise en question de certains savoirs qui se révèlent inadéquats au contact de la nouvelle expérience. Cependant, lorsque celle-ci introduit un déséquilibre dans la structure de présomptions, lorsqu'une nouvelle expérience ne peut plus être intégrée, interprétée ou appréhendée à partir du cadre de référence et si ce déséquilibre déclenche un processus de réflexion critique sur ce cadre de référence, alors un apprentissage transformateur peut se produire. Un tel apprentissage résulte en la restructuration du cadre de référence qui devient plus ouvert et plus perméable aux nouvelles expériences.

Ce sentiment de profond bouleversement et de déséquilibre rejoint la perspective de Pineau (2004), lorsqu'il évoque les expériences qui conduisent à des «désapprentissages» ou à ce qu'il appelle des «passages à vide». En effet, à l'instar de Solar et Danis (1998), Pineau considère que les «passages à vides», présents dans les histoires de vie, sont souvent les lieux les plus significatifs de l'apprentissage et que ces expériences mériteraient d'être mieux explorées dans les recherches sur l'apprentissage :

«L'émergence du sujet social apprenant n'est donc pas une simple actualisation naturelle de potentialités innées. Elle semble rencontrer des temps et des contretemps et des mouvements multiples d'apprentissages, de désapprentissages et de réapprentissages différents. L'approcher nécessite de revisiter les théories éducatives et entre autres de prendre en compte les passages à vide des acteurs et la façon dont ils en sortent : qu'apprennent-ils et comment apprennent-ils de ces passages qui paradoxalement ensuite deviennent souvent des temps forts de référence? (Pineau, 2004, p. 325).»

Ainsi, pour qu'il y ait apprentissage, une nouvelle expérience doit introduire un déséquilibre, voire une rupture, avec le «bagage de savoirs» (Jarvis, 1987) ou le cadre de référence (Mezirow, 2001), provocant un «passage à vide» (Pineau, 2004). Cette rupture se produit à l'intérieur de l'individu, lorsqu'une nouvelle expérience le pousse «hors de ses retranchements». Ainsi, chez Jarvis et dans les travaux plus récents de Mezirow, l'expérience est considérée dans la perspective de la nouveauté : l'apprentissage est provoqué par une nouvelle expérience et c'est son caractère de nouveauté — par rapport au cadre de référence ou à la biographie individuelle — qui provoque le déséquilibre. Ce caractère de nouveauté ou de rupture inhérent à la notion d'expérience comporte toutefois le risque de réduire l'expérience à l'événement, c'est-à-dire à ce qui survient, dans un rapport d'extériorité à soi. Ainsi pour Jarvis, la notion d'expérience épisodique renvoie à une plus grande attention au «monde extérieur» à partir de la rupture qui s'introduit dans la relation entre ce «monde extérieur» et l'interprétation spontanée qu'en fait le sujet à partir de son histoire individuelle.

Or, une proposition de Roelens (1989) permet de préciser davantage non seulement le rapport de l'expérience à la nouveauté, mais elle met également mieux en évidence l'interrelation étroite entre la dimension subjective et le «monde extérieur» qui se joue dans l'expérience. En effet, Roelens (1989) propose une définition qui intègre à la notion d'expérience celle de confrontation ou de rupture : «l'expérience comme confrontation à quelque chose de nouveau pour la personne, comme rupture du cours habituel des choses (acception employée quand on dit qu'untel fait l'expérience de la solitude, du travail en entreprise, de la vie de couple... ) (p. 68).» Cette notion d'expérience («faire l'expérience de»), que l'auteure distingue de «l'expérience déjà constituée» («avoir de l'expérience» ou «avoir l'expérience de»), rejoint celle d'«expérience épisodique» de Jarvis (2006), mais pour Roelens,

«l'expérience est pour un sujet la problématisation d'aspects encore inconnus du monde et d'aspects encore inconnus de lui-même, par leur irruption dans une situation. Cette irruption se produit par la faille de l'inadéquation de ses représentations antérieures pour interagir et trouver une place dans cette situation (p. 70).»

La situation est le cadre dans lequel une expérience a lieu : l'auteure emprunte au Larousse la définition du terme «situation» qui est l'«ensemble des relations concrètes qui, à un moment donné, unissent un sujet ou un groupe social au milieu et aux circonstances dans lesquels il doit vivre et agir (p. 69).» L'expérience établit un rapport dialectique, problématique entre un individu et la situation dans laquelle il se trouve. Or, pour qu'il y ait problématisation, la rupture qui s'introduit dans une situation se conjugue à ce que l'auteure désigne par la «quête» du sujet, qui consiste en la recherche inconsciente et souvent «agie» de ce qui, dans le sujet, n'a pas encore été intégré et qui s'exprime pourtant à son insu :

«La quête passe donc par la recherche de cet autre qui pourrait devenir interlocuteur significatif pour interpeller et reconnaître des aspects du sujet pour le moment non intégrés et non intégrables à son identité. La quête est irreprésentable, sous-jacente paradoxalement aux motivations et aux projets. Elle ne peut s'exprimer que de façon métaphorique par les symboles, les mythes, la poésie. (... ) La vitalité de la quête, outre son incidence dans la conjonction de situation, est la condition de possibilité de l'expérience, parce qu'elle permet une présence à soi-même et une présence au monde... (p. 71-72; l'auteure souligne).»

L'apport de Roelens (1989), qui semble s'inscrire dans une approche jungienne, permet de situer l'expérience en relation avec la situation dans laquelle elle se déploie, sans toutefois l'y confondre : toute situation n'est pas expérience. À l'instar du concept d' «expérience épisodique» de Jarvis (2006), la définition que propose Roelens (1989) s'appuie sur la rupture qui est introduite dans la situation lorsqu'un individu éprouve l'inadéquation de ses représentations et de ses comportements, et qu'il entre dans un processus de problématisation : «Pour qu'il y ait expérience, il ne suffit pas que le sujet ait l'occasion de se trouver dans une situation qui requerrait de nouveaux comportements et de nouvelles représentations. Encore faut-il qu'il "évite l'évitement" (p. 70).»

Cette acception de l'expérience enrichit ou précise encore davantage la notion d'«expérience épisodique» de Jarvis (2006). En effet, la proposition de Roelens (1989), dans une autre approche que celle de Jarvis, toutefois, articule trois conditions de possibilité de l'expérience : 1) la situation, qui est le cadre concret — social, temporel et circonstanciel — des interrelations entre l'individu et son environnement, 2) la rupture, provoquée par l'inadéquation des représentations antérieures ou de ce que Jarvis (1987; 1992; 2006) désigne par le «bagage des savoirs» et 3) la quête, c'est-à-dire la mise au jour de la «nécessité intérieure d'existence» qui mobilise une telle rupture : «Il n'y a problématisation pour un sujet que si quelque chose d'encore insu en lui-même saisit là l'opportunité d'advenir (Roelens, 1989, p. 71).» Ainsi, pour Roelens (1989), si l'expérience est considérée comme «nouveauté», à l'instar de Jarvis ou de Mezirow, cette nouveauté réside moins dans l'événement ou la situation elle-même — «une nouvelle expérience», selon l'emploi qu'en font Jarvis et Mezirow —, que dans la rupture que provoque la situation en relation avec l' «impératif d'existence» (Roelens, 1989, p. 71). Alors que Jarvis (2006) met en évidence, dans la notion d' «expérience épisodique» l'attention que porte soudain le sujet au «monde extérieur», Roelens (1989) met en lumière l'attention portée au «monde intérieur», c'est-à-dire à ce qui se révèle en soi et qui était jusqu'alors inconnu, dans la confrontation avec une situation.

Dans cette foulée, la notion d'expérience ainsi comprise se trouve à être employée dans le sens de «faire l'expérience de» et non d' «avoir l'expérience de». Ce dernier sens se retrouve davantage dans les notions de cadre de référence ou de bagage des savoirs qui rendent mieux compte du rôle spécifique de «l'expérience antérieure» dans les apprentissages et de son caractère à la fois personnel et culturel. Malgré l'interrelation intime entre «faire l'expérience de» et «avoir l'expérience de», le terme expérience sera dorénavant réservé à la première acception, de façon à éviter la confusion. Cette acception de «faire l'expérience de» met non seulement en évidence le caractère très subjectif de l'expérience, elle comporte également l'avantage de rendre compte, au regard de l'apprentissage, du processus subjectif déclenché à l'intérieur de l'expérience même, permettant du même coup de dépasser le simple événement ou les éléments factuels du cours de la vie. Ainsi, dans le cadre de la présente recherche, le terme expérience renvoie à ce que Jarvis (2006) désigne par «expérience épisodique», mais avec une plus grande insistance sur ce qui se joue dans la rupture ou la nouveauté subjective introduite dans cette expérience, à partir de ce que Roelens (1989) désigne par l'«impératif d'existence».

De plus, selon cette acception, non seulement le déséquilibre provoqué ou la nouveauté subjective sont des conditions pour que l'expérience donne lieu à un apprentissage, mais également le processus de production du sens, en potentiel dans l'expérience elle-même, est tout aussi essentiel à l'apprentissage. En effet, pour Roelens, la «quête» («éviter l'évitement»), qui est la présence ou l'attention à ce qui cherche à advenir en soi, est constitutive de l'expérience. Pour Jarvis, Mezirow et leurs disciples, la réflexion dans laquelle s'engage l'individu est nécessaire pour que l'expérience conduise à un apprentissage : «For learning to occur, the experience must be attended to and reflected on (Merriam & Clark, 1993, p. 136).» C'est ce processus de production du sens à partir de l'expérience que la section suivante s'emploiera à élucider.

b. L'apprentissage, un processus de production de sens

Merriam et Heuer (1996) empruntent à Wong (1989) la définition de production de sens (meaning making) suivante : «an individually constructed cognitive system, that is grounded in values and is capable of endowing life with personal significance and satisfaction (Wong, 1989, p. 517, cité par Merriam & Heuer, 1996, p. 244).» Cette définition porte sur la production de sens liée à la vie de tous les jours et non à celle qui traverse l'histoire de l'humanité en tant que recherche du «Sens de la Vie». Proposant un rapide tour d'horizon des principaux auteurs ayant cherché à décrire comment l'humain produit du sens, Merriam et Heuer (1996, p. 247) dégagent les quatre affirmations suivantes : 1) une expérience n'a pas de sens en soi : il s'agit toujours du sens que confère quelqu'un à son expérience; 2) le sens donné à une expérience est différent d'un individu à un autre, en fonction de l'expérience antérieure et des savoirs personnels; 3) les significations sont socialement construites et sont tributaires du contexte dans lequel elles sont élaborées; 4) donner du sens à son expérience est un besoin fondamental de tout humain.

Telle que définie par Wong, la production de sens sous-tend trois dimensions (Merriam & Heuer, 1996) : 1) la dimension cognitive, qui renvoie aux croyances et aux interprétations que donne l'individu à ses expériences et à son existence, 2) les motivations, c'est-à-dire ce qui concerne la poursuite de buts personnels et 3) la dimension affective, qui confère à l'existence personnelle sa valeur (p. 244). C'est dans cette perspective que s'inscrira, dans les paragraphes suivants, la présentation des différents points de vue sur l'apprentissage comme production de sens : quelles dimensions, fonctions ou opérations y sont engagées? Dans un premier temps, le rôle de la réflexion dans l'apprentissage sera exploré, à partir des deux principaux théoriciens de l'apprentissage qui en ont proposé une compréhension approfondie. Dans un deuxième temps, l'attention sera davantage portée sur la contribution des fonctions émotives et imaginatives à l'apprentissage, dimensions moins souvent explorées, mais qui suscitent de plus en plus d'intérêt dans une perspective de production de sens.

La réflexion dans la production de sens à partir de son expérience

Tant chez Jarvis que chez Mezirow, donner ou produire du sens à partir de son expérience implique un processus réflexif, qui peut se moduler différemment selon les individus ou les contextes. Pour Jarvis (1987), la réflexion est un processus personnel d'interprétation par lequel les expériences antérieures se trouvent interrogées et réexaminées dans la confrontation avec une nouvelle expérience. La réflexion est d'autant plus personnelle qu'elle est provoquée par une rupture dans l'harmonie entre l'interprétation individuelle des expériences et celle du milieu social : les réponses disponibles dans la culture ne peuvent plus être reproduites par l'individu, qui est alors confronté à la création de nouvelles interprétations. Ainsi différents niveaux de réflexivité se manifestent en fonction des individus, de la simple conscience d'une perception, d'une signification ou d'un comportement particulier, à la réflexivité critique, voire théorique, selon une échelle que Jarvis (1987, p. 168) emprunte à Mezirow (1981, p. 12-13).

Pour Mezirow (2001) l'apprentissage est une activité de production de sens, portant le plus souvent sur les «schèmes de sens», c'est-à-dire les contenus ou les manifestations concrètes des perspectives de sens : «Un schème de sens est le savoir spécifique, les croyances, jugements de valeur et sentiments qui se trouvent être mis en relation dans une interprétation (Mezirow, 2001, p. 64; l'auteur souligne).» L'apprentissage peut également devenir émancipateur, s'il implique une transformation des perspectives de sens (cadre de référence). Mezirow propose trois formes de réflexion, sur le contenu, sur les processus et sur les prémisses. Les deux premières peuvent conduire à la transformation des schèmes de sens, mais c'est par la troisième, la réflexion critique, que s'effectue la transformation des perspectives de sens.

Le concept de réflexion critique est au cœur de la transformation de perspectives. Inspiré de Dewey, ce concept évoque «l'examen efficace, constant et minutieux de toute croyance ou forme supposée de connaissance, à la lumière des fondements sur lesquels elle repose et de la conclusion à laquelle elle tend (Mezirow, 2001, p. 118, citant Dewey, 1933, p. 9).» La réflexion critique est donc la réflexion sur les prémisses. Elle ne se limite pas à la métacognition, qui concerne la connaissance et le contrôle des «états cognitifs». Elle est comparable à ce que Schôn désigne par la «réflexion en cours d'action et sur l'action (Schôn, 1983, p. 50).» Elle s'apparente également à la «tension cognitive élevée» de Langer (1989), qui correspond à la conscience (being aware). Elle «s'accompagne d'une plus grande réceptivité aux informations nouvelles, implique une vision autre qu'unilatérale, est focalisée davantage sur le processus que sur les résultats, sur la maîtrise du contexte et la création de catégories (Mezirow, 2001, p. 132).»

Ainsi l'apprentissage se déroule selon le processus suivant : 1) L'individu entre en relation avec le monde en y projetant les modèles symboliques acquis par la socialisation, c'est-à-dire les schèmes de sens formés par les relations interprétatives entre des éléments de la culture, des signes et des symboles, des règles et des conduites appris. 2) L'apprentissage pré-réflexif implique la perception, c'est-à-dire la sélection ou la reconnaissance des expériences («objet, événement, acte ou émotion» Mezirow, 2001, p. 36) qui rappellent ou ressemblent à l'expérience antérieure et que le cadre de référence permet d'interpréter. «Le balayage implique un travail d'exploration, de différenciation et de reconnaissance où la sensibilité, l'intuition et l'imagination jouent un rôle (Mezirow, 2001, p. 43).» Il s'agit d'une «interprétation présentielle», associée à la perception; elle s'opère à un niveau pré-linguistique. 3) La compréhension est une opération interprétative qui consiste en un décryptage du sens par le langage : elle devient une «interprétation cognitive» ou «propositionnelle», quand elle engage la rationalité, c'est-à-dire qu'elle implique l'évaluation de la validité d'une interprétation, par la réflexion critique et par le dialogue. L'apprentissage réflexif consiste en la révision d'une interprétation, la résolution d'un problème ou la modification d'une conduite à la lumière d'une compréhension nouvelle.

En somme, la réflexion joue un rôle incontournable dans l'apprentissage en tant que production de sens à partir de l'expérience. Il s'agit d'une opération à la fois cognitive et volontaire dans laquelle s'engage l'individu et qui peut se moduler selon divers degrés de réflexivité, résultant en des types d'apprentissages correspondants. Toutefois, pour Mezirow, la dynamique d'apprentissage est dialogique et intersubjective. Une condition essentielle de l'apprentissage transformateur repose en effet sur la rationalité de l'agir communicationnel — référant à la théorie d'Habermas — qui suppose l'interaction entre individus : l'apprentissage émancipateur n'est pas considéré que comme une activité purement individuelle, mais plutôt comme une activité qui a une visée de transformation sociale par la conscientisation des individus en interaction les uns avec les autres.

Le rôle des émotions et de l'imagination

Les points de vue de Jarvis et de Mezirow, s'ils ont largement influencé les recherches contemporaines sur l'apprentissage comme processus de production de sens à partir de l'expérience, ont toutefois été critiqués au regard du rôle central qu'ils accordent à la réflexion, au détriment d'autres dimensions. Ainsi, Merriam et Heuer (1996) proposent plutôt de considérer l'apprentissage à partir de la notion d' «engagement» :

«We prefer the notion of "engagement" which can include reflection before, during and/or after the experience; it can also include emotional and/or physical reactions. Any or all theses responses can be intentional or unintentional. At some level and in some way, one engages the experience in order to make sense of it (p. 251).»

Poussant encore plus loin la critique, Dirkx (2001b) met en évidence le rôle essentiel, voire prépondérant des émotions et de l'image (imaginal) dans le processus de donner du sens à son expérience. En effet, à la suite de Heron (1992), il soutient que la construction de sens repose d'abord sur l'attention aux émotions, non pour les analyser ou les comprendre rationnellement, mais plutôt pour les laisser émerger, les identifier et les laisser parler. Peu à peu, des images se construisent à partir de ces émotions et sentiments : «As we recognize, name, and work these images, we move toward a deeper, more conscious connection with these aspects of ourselves (p. 69).» Ainsi, dans une perspective jungienne et post-jungienne, les émotions sont des interfaces entre le monde intérieur et le monde extérieur; elles révèlent différents aspects contradictoires de soi souvent méconnus qui, lorsque explorés, permettent une compréhension plus profonde de soi et une meilleure intégration des contradictions ainsi mises au jour par ce que l'auteur appelle le «travail de l'âme» (soul work).

Or, cette approche de Dirkx rejoint ce que Mezirow appelle l'«interprétation présentielle», s'appuyant sur la sensibilité, l'intuition, l'imagination. Dans cette foulée, plusieurs recherches ont exploré et mis en évidence la place décisive des émotions et de l'imagination dans l'apprentissage transformateur (Dirkx, 1998, 2001a, 2001b; Taylor, 1994, 1997), alors que Mezirow accorde un rôle prépondérant, voire exclusif à la réflexion critique pour la transformation de perspectives et soutient que l' «interprétation présentielle» conduit à un apprentissage pré-réflexif. Le point de vue de Dirkx, ainsi que d'autres disciples de Mezirow, consiste à accorder aux émotions et à l'imagination un rôle capital dans les apprentissages existentiels et à mettre en évidence que de profondes transformations ne peuvent avoir lieu sans un «travail de l'âme».

À l'instar de ce point de vue et à la suite de Merriam et Heuer (1996), nous retiendrons pour la présente recherche qu'apprendre à partir de l'expérience consiste à lui donner du sens, une opération qui suppose un engagement de la personne dans un «travail» à partir de cette expérience, parfois malgré elle et avec difficulté, voire dans la souffrance, parfois à partir d'une motivation plus claire, tantôt par la réflexion, tantôt par l'attention, voire la présence aux émotions et aux images suscitées par cette expérience. Or, les résultats de tels processus d'apprentissage peuvent avoir un impact plus ou moins déterminant sur l'apprenant et sur son développement, ce que certaines recherches ont permis d'élucider.

c. Apprentissage et développement

La première section de ce chapitre, consacrée à la présentation des modèles de développement adulte, avait déjà évoqué l'invitation de Danis et Solar (1998a) à explorer davantage les rapports entre apprentissage et développement. Il s'agit ici, au terme de cette analyse de la notion d'apprentissage dans une perspective existentielle, de mettre en évidence un certain nombre de recherches sur l'apprentissage qui, s'inscrivant dans une perspective développementale, mettent en lumière les articulations entre ces deux notions.

L'impact développemental des apprentissages signifiants

D'emblée, Danis et Solar (1998b) constatent que si, de toute évidence, «développement et apprentissage (sont) deux mots étroitement interreliés puisque le développement commande des apprentissages et que les apprentissages interviennent dans le développement» (p. 13), les recherches portant explicitement sur leurs relations sont peu nombreuses. Parmi elles, l'étude de Merriam et Clark (1991) s'est intéressée aux interrelations entre la vie active (travail), la vie affective (amour) et l'apprentissage : quel rôle l'apprentissage joue-t-il dans le développement de la capacité à travailler et à aimer (Merriam & Clark, 1991)?

À la suite de ces travaux, Merriam et Clark (1991, 1993) ont fait ressortir l'impact des apprentissages signifiants (significant learning) sur le développement de l'adulte. Elles montrent qu'un apprentissage est signifiant s'il produit un impact personnel sur l'apprenant et s'il est considéré subjectivement comme tel. L'impact produit peut consister, d'une part, en un accroissement ou un élargissement des habiletés, de l'autonomie, de la capacité de relation avec autrui ou de la vision du monde; d'autre part, il peut également consister en une transformation de perspectives telle que l'entend Mezirow, une transformation profonde du système des valeurs ou des relations. En outre, les auteures soulignent que, si la plupart des apprentissages signifiants se produisent lorsque travail et relations vont bien (moments favorables), les transformations les plus soudaines se sont toutefois produites à partir d'expériences particulièrement difficiles, de deuils ou de souffrance.

La transformation de perspectives et le développement

Sans avoir décrit de manière aussi précise l'impact des apprentissages sur le développement, la théorie de la transformation de perspectives s'inscrit également dans un paradigme développemental, que Mezirow définit ainsi :

«Le développement de l'adulte apparaît comme un accroissement progressif de son aptitude à valider son acquis antérieur grâce au dialogue réflexif et à se conduire en conformité avec les 'insights' qui en résultent. Tout ce qui pousse l'individu vers une perspective de sens plus englobante, plus intégrée, plus différenciée, plus perméable, c'est-à-dire plus ouverte à d'autres points de vue, et dont la validité a été établie à travers le dialogue rationnel contribue au développement de l'adulte (Mezirow, 2001, p. 27; l'auteur souligne).»

La théorie de la transformation de perspectives conçoit l'adulte cherchant à s'adapter aux nouvelles expériences et à les intégrer tout au cours de sa vie. Or, si le développement se produit de manière progressive — quoique non linéaire — au fil des apprentissages et si Mezirow ne le conçoit pas comme une succession hiérarchique d'étapes ou de stades, les apprentissages transformateurs y jouent toutefois un rôle déterminant : «Le processus d'apprentissage transformateur aussi incertain et exposé aux déviations et illusions qu'il soit, est irréversible une fois arrivé à son terme (Mezirow, 2001, p. 169).» Ainsi, au fil des apprentissages transformateurs, l'adulte s'affranchit de la structure de présomptions forgée par la socialisation au cours de l'enfance et qui s'avère désormais inadéquate. En outre, la perspective développementale du modèle de Mezirow se situe à l'intersection de l'individuel et du social (Tennant, 1993) : dans ce modèle, d'une part, le développement personnel considère l'individu en interrelation avec le monde social, et, d'autre part, ce développement personnel a des retombées de transformation sociale par la transformation des individus.

L'apprentissage et le développement dans la démarche féministe

Dans cette foulée, les travaux de Solar (1998) ont cherché à définir les apprentissages inhérents à la transformation du cadre de référence, dans la démarche féministe comprise dans une perspective développementale :

«La démarche féministe est une démarche complexe qui inscrit l'apprentissage et le développement dans une interrelation constante en lien avec le social. Elle peut impliquer un changement radical dans la façon de comprendre le monde et nécessite l'acquisition de connaissances multiples étrangères aux savoirs officiels (Solar, 1998, p. 129-130).»

L'auteure montre que le développement de l'identité des personnes vivant l'inéquité sociale requiert en premier lieu un travail de désapprentissage, qui consiste en la déconstruction des savoirs aliénants reçus, suivi d'un «travail de reconstruction du sens» (Solar, 1998, p. 139) ou du cadre de référence. Le processus d'apprentissage — et de désapprentissage — est existentiel, c'est-à-dire qu'il est lié aux «savoirs existentiels qui parlent de l'expérience de vie des femmes dans leur contexte culturel» (p. 130) et non aux savoirs institutionnalisés, qui véhiculent l'idéologie dominante. Dans cette perspective l'attention au contexte dans lequel se produisent les apprentissages et le développement est centrale, en particulier la violence — non seulement physique ou psychologique, mais également culturelle et symbolique — qui y est présente. Cette attention au contexte permet de considérer non seulement les expériences de vie positives, mais également celles qui sont négatives et qui appellent une rupture (Solar, 1998, p. 134) conduisant à «des changements importants liés à l'identité, aux connaissances, aux croyances et aux valeurs (p. 140).»

Reprenant le modèle de Belenky et al. (1986), Solar (1998) montre l'articulation entre la notion d'apprentissage, comprise comme les «différents chemins du savoir» et la notion de développement, à partir de l'identité. Posant dès le départ que l'identité personnelle est toujours intimement liée à l'identité sociale et que le développement personnel inclut tant la dimension cognitive qu'affective, différentes articulations entre apprentissage et développement se déploient dans les catégories ou types de savoirs suivants : 1) «le silence du savoir» lié à la négation de l'identité personnelle des «sans voix»; 2) «le savoir des autres» lié à une identité qui se définit par l'écoute des autres, considérés comme les détenteurs du savoir et de l'autorité; 3) «le savoir subjectif» relatif à une identité qui repose sur la confiance en sa propre voix, chemin d'émancipation du «carcan social» (Belenky et al., 1986, p. 55, cité par Solar, 1998, p. 147); 4) «le savoir procédural», par lequel les femmes s'engagent plus systématiquement dans la recherche du savoir, soit à partir des savoirs institutionnalisés ou impersonnels, soit à partir des savoirs «personnalisés», ancrés dans leur expérience personnelle et dans celle d'autrui; 5) «le savoir intégré», qui repose sur une identité se construisant en interdépendance avec les autres, instaurant un rapport critique et créatif au savoir par lequel «les femmes peuvent construire et déconstruire un cadre de référence (p. 153).» Ainsi, chaque rapport au savoir, ou «chemin du savoir», devient un chemin de construction de l'identité personnelle et chaque chemin développemental peut conduire à un autre rapport au savoir, établissant un réseau complexe et dynamique entre apprentissage et développement (Solar, 1998, p. 159).

En tant que démarche de rupture avec une identité personnelle socialement façonnée par l'inéquité, le développement féministe se traduit par un processus d'apprentissage inductif et créatif, sans direction prédéfinie :

«S'il y a rupture avec la définition traditionnelle des rôles féminins, il y a alors démarche de rupture d'identité conduisant à la recherche de savoirs existentiels dans le désordre de la pensée et dans l'errance créatrice. Ces démarches existentielles aux apprentissages souvent spontanés s'inscrivent davantage dans une perspective d'autoformation inductive dans laquelle l'objectif se précise au fil du parcours et le sens se saisit au fil des connaissances acquises. On s'éloigne ici des projets, ou trajectoires, intentionnels ou volontaires, souvent plus instrumentaux et déductifs qu'existentiels et inductifs (Solar, 1998, p. 138).»

En résumé, retenons que le développement repose, d'une part, sur des apprentissages subjectivement considérés comme ayant un impact positif sur les compétences, les savoirs et l'identité personnels, même si de tels apprentissages se sont produits à partir d'expériences négatives ou dans un contexte difficile. Toutefois, comme le font remarquer Merriam et Clark (1993), certains apprentissages peuvent également nuire au développement, contribuant à restreindre, voire à rigidifier les savoirs ou les perspectives, ou encore conduisant à l'isolement social et à la résignation. En effet, une autre recherche, menée par Merriam, Mott et Lee (1996), étaie ce point de vue, montrant que certaines expériences peuvent être interprétées comme une telle menace à l'identité personnelle, qu'elles conduisent à d'importants blocages dans le développement, blocages qui sont toutefois réversibles, à certaines conditions. C'est également ce que montre Solar (1998), à la suite de Belenky et al. (1986), lorsqu'elle évoque le «silence», qui est la négation du savoir chez les «sans voix» ayant intériorisé la domination, à un point tel que le développement est compromis : «pour briser la situation, il faut pouvoir nommer, donc être capable de percevoir sa capacité de savoir (Solar, 1998, p. 144).» Ainsi compris, le développement suit une trajectoire imprévisible et très personnelle, tout en étant inscrit dans un tissu social et un contexte qui tantôt imposent des savoirs et des chemins d'apprentissage, tantôt provoquent une rupture et des désapprentissages.

D'autre part, et particulièrement dans cette perspective de ruptures et de désapprentissages, le développement peut se traduire par une transformation profonde du cadre de référence, de l'identité et de la manière de se situer socialement. Ainsi, en rapport avec les apprentissages, on peut constater que le développement, s'il peut se produire en s'appuyant sur le bagage de savoirs et d'expériences ou sur les apprentissages, peut également se produire en rupture avec eux, condition parfois essentielle à de nouveaux apprentissages, en suivant des chemins inexplorés et sinueux.

2.3.2 Les apprentissages impliqués dans le développement spirituel : définition pour la recherche

En interaction dynamique avec le développement spirituel, l'apprentissage dont il est question dans cette recherche est considéré, d'une part, comme un processus de transformation et de production de sens à partir de l'expérience, par lequel un individu se construit en relation avec le monde social, contribuant à son développement; d'autre part, les apprentissages sont considérés comme les résultats de ce processus, formant le bagage de savoirs ou le cadre de référence à partir duquel l'individu interprète ses expériences et se construit par elles.

Comme processus, l'apprentissage est le «travail» dans lequel une personne s'engage pour donner sens à son expérience et qui résulte en une transformation plus ou moins profonde de son bagage de savoirs, de son cadre de référence, voire de son identité. Ainsi, il s'agit d'un processus d'apprentissage existentiel, soit l'apprentissage lié à l'expérience de vie des personnes, inscrit dans leur contexte à la fois socio-culturel et circonstanciel.

Au cœur de ce processus, l'expérience est comprise, à la suite de Jarvis (2006) et de Roelens (1989), comme «expérience épisodique», ou comme «quelque chose de nouveau», c'est-à-dire ce qui, dans le cadre concret et circonstanciel des relations entre une personne et son environnement, provoque un certain déséquilibre, une remise en question, voire une rupture dans le bagage des savoirs ou le cadre de référence. Cette expérience présente un caractère de nouveauté, non pas comme événement en soi — une expérience peut être suscitée par le cumul de plusieurs événements, la répétition de certains faits anodins ou encore se produire dans une situation familière —, mais plutôt par le déséquilibre qui se produit dans l'interaction entre l'interprétation de l'événement — ou d'un ensemble de «faits divers» — et l'histoire individuelle (Jarvis, 2006), ou encore l'«impératif d'existence» qui ne demande qu'à s'actualiser (Roelens, 1989). Une telle expérience peut consister en une découverte stimulante, s'avérer une épreuve ou une perte; qu'elle soit positive ou difficile, choisie ou subie, l'expérience est considérée comme convocation à apprendre. En certains cas l'expérience, même pénible, est l'occasion de transformations positives, d'avancées ou d'un enrichissement; en d'autres cas, elle peut provoquer la déconstruction du cadre de référence, entraîner un désapprentissage, et susciter un processus d'apprentissage qui consiste moins en l'accumulation des savoirs qu'en la transformation ou la restructuration de ceux-ci.

Dans cette perspective, à la suite de Solar (1998), la notion d'apprentissage sous-tend à la fois le travail de «construction» — ce qui est habituellement évoqué par le terme «apprentissage» — et le travail de «déconstruction» inhérent à la production du sens, désigné par le terme «désapprentissage». Ce terme met en évidence, dans le processus d'apprentissage, la nécessité, en certains cas, de se «déprogrammer», de «déconstruire», voire d'abandonner ce qui a été appris, un processus qui implique un travail souvent pénible et aussi ardu que celui de «construire» à partir d'une expérience. Ce travail de désapprentissage est souvent nécessaire lorsqu'une expérience comporte un enjeu d'inéquité sociale — au regard du genre, de la race, de la capacité physique, de l'orientation sexuelle, etc. —. Mais on peut également considérer, dans la perspective du développement spirituel, les enjeux d'aliénation religieuse ou idéologique qui peuvent entraîner un travail de désapprentissage tout aussi important.

Ainsi, le travail de production de sens à partir de l'expérience implique la possibilité, pour la personne, de prendre du recul par rapport à cette expérience, pour la percevoir et la nommer; cela implique aussi la possibilité d'établir une distance entre soi et le monde dont on reçoit les interprétations, tout en interagissant avec lui. Cette mise à distance peut prendre plusieurs formes et impliquer non seulement la réflexion propositionnelle et volontaire («interprétation propositionnelle» ou réflexion critique), mais également une présence ou une attention aux perceptions, aux émotions et aux sentiments, une disponibilité aux images intérieures et à l'intuition («interprétation présentielle» ou «travail de l'âme»). Aussi le processus d'apprentissage existentiel est-il un processus éminemment personnel, qui suppose, même lorsqu'il n'est pas d'emblée volontaire ou intentionnel, un engagement de la personne par une prise de conscience, par la présence à ses émotions ou images, ou par l'expression de celles-ci. En ce sens, l'apprentissage ressemble le plus souvent à un chemin sinueux et inductif, sur lequel la personne avance souvent à tâtons, sans en connaître l'issue.

Ce travail intérieur résulte en un nouveau «savoir», compris non seulement comme une connaissance rationnelle, mais comme expérience de vie ou comme histoire personnelle. Il s'agit ici des apprentissages, compris comme le bagage de savoirs résultant de l'apprentissage. D'une part, ces apprentissages sont des contenus, c'est-à-dire ce qui a été appris et que Mezirow appelle les schèmes de sens, référant aux connaissances, croyances, conduites, etc. D'autre part, ces apprentissages forment le cadre de référence ou d'interprétation, à partir duquel les nouvelles expériences sont interprétées, intégrées ou rejetées. Ainsi, l'emprunt à Mezirow de l'expression «cadre de référence» a l'avantage d'éviter de ne considérer le bagage de savoirs que comme une accumulation ou un enrichissement de contenus d'expérience. La notion de cadre de référence renvoie à la «structure de présomptions» ou aux «habitudes d'anticipation» forgées par les connaissances, les images et les croyances, les perceptions de soi et des autres, les valeurs et les normes, les conduites et les attitudes appris, tant dans la culture que par les expériences personnelles antérieures. Il s'agit donc de ce à partir de quoi l'individu appréhende les expériences auxquelles il est confronté, apprend et se comprend en rapport avec elles.

Toutefois, dans la perspective de cette recherche, l'emploi de la notion de cadre de référence n'implique pas que cette structure de présomptions soit d'emblée inadéquate, voire sujette à émancipation, alors que la socialisation aurait nécessairement conduit à des présomptions erronées sur le réel, que l'adulte, pour se développer, serait appelé à déconstruire pour reconfigurer un cadre plus «adéquat» ou plus ouvert aux nouvelles expériences. À la différence de Mezirow, la transformation du cadre de référence ne s'inscrit pas dans une approche du développement selon laquelle une nouvelle structure de présomptions serait irréversiblement plus perspicace, plus ouverte et plus perméable que la précédente. À l'invitation de Merriam, Mott et Lee (1996), la recherche considèrera également les apprentissages qui peuvent résulter en un cadre de référence devenu plus rigide ou plus fermé aux nouvelles expériences. Ainsi la notion d'apprentissage signifiant (significant learning) de Merriam et Clark (1993) désignera les apprentissages qui ont un impact important sur la trajectoire développementale, soit, d'une part, ceux qui sont subjectivement considérés comme ayant un impact personnel positif (accroissement ou élargissement) sur les attitudes, les compétences, la vision du monde, les connaissances, l'identité et les relations, ou encore comme contribuant à une transformation profonde de l'identité personnelle, des valeurs ou du cadre de référence. D'autre part, de tels apprentissages peuvent avoir un impact négatif sur le développement, principalement les apprentissages qui résultent en un cadre de référence plus rigide, une conscience ou une image de soi moins épanouie ou encore des relations sociales caractérisées par la méfiance ou l'isolement.

Dans cette perspective, le cadre de référence s'inscrit en étroite relation avec l'expression «bagage de savoirs» qui, chez Jarvis, désigne les différents savoirs acquis tant par l'intériorisation de la culture que par les expériences antérieures, et l'histoire personnelle ainsi configurée, à partir de laquelle une personne produit du sens à partir de nouvelles expériences. Cette production de sens peut se manifester de manière créative, résultant en de nouvelles ressources personnelles; elle peut également se manifester par de profondes remises en question, par lesquelles une personne cherche de manière chaotique, ou encore elle peut, en certains cas, se manifester de manière défensive, résultant en un repli sur soi. Le développement qui résulte des divers apprentissages signifiants est donc considéré dans une perspective dynamique, tantôt en spirale, tantôt en méandres, dont on ne peut présupposer à l'avance de la trajectoire.

2.4 Bilan critique de la recension des écrits

Au cours de ce chapitre, la recension des écrits a permis d'explorer la richesse et la complexité des ancrages théoriques qui sous-tendent les trois dimensions-clés de la recherche, soit l'adulte, considéré dans une perspective développementale, le développement spirituel et les apprentissages impliqués dans ce développement. En outre, ce chapitre s'est attaché à préciser les contours de ces dimensions au regard des buts de la recherche, proposant pour chacune une définition par laquelle des choix ont été effectués parmi les divers points de vue explorés. Au terme de cet exercice, il est utile de tracer un court bilan critique des convergences qui apparaissent dans l'ensemble des écrits recensés.

D'emblée, les convergences entre les différents points de vue théoriques explorés sont commandées par les questions de recherche, qui appellent une perspective andragogique à la fois développementale et existentielle, c'est-à-dire s'intéressant au développement de l'adulte considéré dans le cadre de tout ce qui tisse son existence. Toutefois, on observe également des convergences dans les fondements épistémologiques qui soutiennent un certain nombre de théories explorées. En effet, les modèles précurseurs, tant du développement humain que de l'apprentissage chez l'adulte, ont été pensés dans un paradigme «moderne», selon lequel l'humain tend à progresser vers une plus grande autonomie et une identité mieux définie, une plus grande capacité à appréhender le monde de manière rationnelle et ouverte, et une plus grande capacité à entrer en relation constructive et créative avec lui. Dans cette foulée, plusieurs des théories recensées ont cherché à rendre compte de cette progression selon des étapes ou des stades prévisibles, généralisables, voire universels, tels les modèles d'Erikson et de Fowler, ou encore à partir de la notion d'apprentissage transformateur, tel le modèle de Mezirow, pour ne reprendre que les figures de proue de chaque dimensions-clé abordée dans ce chapitre.

Cependant, et il s'agit d'une autre convergence entre les différents points de vue explorés, ces approches «modernes» de l'humain ont toutes fait l'objet d'un travail de déconstruction critique, dans lequel la perspective féministe a joué un rôle majeur. Non seulement les présupposés et les cadres conceptuels dans lesquels ont été élaborées les théories «traditionnelles» ont été déconstruits, mais le féminisme a également montré que la prétention à l'universalité de ces modèles s'enracine dans un point de vue partiel et homogène qui ne rend pas compte de la diversité et de la complexité de l'expérience humaine. Ainsi, à l'instar des recherches féministes, les approches «post-modernes» du développement, de la spiritualité et de l'apprentissage visent à mieux mettre en évidence les multiples facettes, voire les paradoxes de l'expérience humaine, dont les transformations ne suivent pas toujours une trajectoire orientée vers une amélioration, voire un idéal.

On peut toutefois faire remarquer que ces efforts laissent encore de nombreux chantiers ouverts, notamment en ce qui a trait à l'intégration, dans les recherches, d'autres points de vue sur le développement, la spiritualité et l'apprentissage. Même si les approches féministes ont ouvert la voie à l'exploration des points de vue discrédités par l'idéologie dominante masculine, blanche, de classe moyenne et de tradition chrétienne, leurs travaux demeurent encore surtout représentatifs de la réalité des femmes blanches de classe moyenne en Amérique du Nord. Alors que certaines de ces recherches intègrent le point de vue de femmes nord-américaines de milieux populaires, voire défavorisés, de diverses appartenances culturelles, il reste encore beaucoup de travail à faire, notamment au regard de la spiritualité, pour rendre compte de points de vue non chrétiens et non occidentaux sur l'expérience humaine et spirituelle.

En outre, si quelques travaux ont cherché à comprendre le développement en comparant des profils masculins et féminins, il serait intéressant de vérifier si, dans la culture nord-américaine actuelle, ces différences de genre apparaissent encore aussi clairement que dans les années 80 et 90. De plus, un grand nombre de recherches recensées ont été menées aux États-Unis et au Canada anglophone. À la suite de Danis et Solar (1998a), il serait opportun d'explorer davantage le développement de l'adulte dans la culture québécoise des années 2000, qui est de plus en plus éclatée et qui intègre davantage une certaine diversité sociale et religieuse. Non seulement l'incidence du genre sur les trajectoires de développement pourraient être étudiées, mais également les répercussions des différences culturelles, qui intègrent souvent aussi des différences spirituelles, voire religieuses, plus ou moins profondes.

De plus, parmi les recherches sur l'apprentissage, plusieurs ont mis en lumière le rôle de l'affectivité et de l'imagination, alors que l'on s'était d'abord intéressé aux dimensions rationnelle et volontaire de l'esprit humain. Or l'intérêt actuel pour la spiritualité dans le développement et l'apprentissage est tributaire de cette ouverture à des dimensions de l'humain qui sont plus évanescentes, plus fluides, mais également plus difficiles à manipuler dans le cadre de recherches scientifiques. Si les travaux de Fowler et de Mezirow ont contribué de façon magistrale à proposer des approches qui intègrent davantage les diverses dimensions impliquées dans le développement et l'apprentissage, il reste encore beaucoup de travail à faire pour explorer la dimension spirituelle et la diversité de ses manifestations dans le développement et l'apprentissage, et ce, dans d'autres contextes culturels que ceux déjà investis.

En sciences humaines et sociales, le défi des recherches contemporaines est de mieux rendre compte de l'extrême complexité de l'expérience humaine, de se méfier des prétentions à l'universalité ou à la prévisibilité des modèles, sans toutefois se résigner à ne plus pouvoir rendre compte que du particulier et de trajectoires individuelles. La recension des écrits a permis d'explorer plusieurs recherches qui, s'appuyant sur un modèle précurseur, ont permis d'en proposer une relecture critique et d'en élargir les horizons. La présente recherche s'inscrit dans cette perspective, quoique plus modeste. En intégrant trois dimensions souvent explorées en parallèle, soit le développement, la spiritualité et l'apprentissage, elle s'inscrit dans la foulée de certains travaux recensés dont elle propose une relecture critique, en les mettant, cette fois, en relation les uns avec les autres.

3. Cadre conceptuel de la recherche

Le présent chapitre est consacré à la définition des concepts et de leurs interrelations au regard des buts et objectifs de la recherche, d'abord dans une synthèse théorique, puis dans un cadre opératoire précisant les questions de recherche et les catégories anticipées pour l'analyse des données.

3.1 Les concepts et leurs interrelations au regard des buts de la recherche

D'emblée, il est utile de rappeler la visée générale de la recherche, soit d'examiner le développement spirituel à partir du point de vue d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique. Cette visée se traduit par la poursuite des deux buts principaux et des cinq objectifs spécifiques déjà annoncés au premier chapitre, soit :

1. Analyser, dans le récit des sujets qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique, les apprentissages qui ont marqué leur cheminement spirituel.

1.1 Décrire les expériences qui ont été importantes, dans le cheminement spirituel des sujets.
1.2 Dégager les processus d'apprentissage qui se sont engagés à partir des expériences importantes.
1.3 Identifier les apprentissages ou les savoirs qui en ont résulté et qui ont marqué le cheminement spirituel des sujets.

2. Analyser le processus de développement spirituel qui se dessine à partir de l'analyse des apprentissages.

2.1 Décrire le rôle des apprentissages dans le développement spirituel compris dans son ensemble.
2.2 Dégager les configurations particulières du processus de développement spirituel des sujets.

Pour atteindre ces buts et objectifs, la recherche s'appuie sur deux concepts centraux en interrelation dynamique, soit le développement spirituel et l'apprentissage, qui se définissent comme suit :

Le développement spirituel est le processus de transformation personnelle intégrant toutes les dimensions de l'identité individuelle et sociale d'une personne qui aspire à une plus grande authenticité de soi, en solidarité avec autrui et le monde, dans l'horizon de ce qu'elle considère comme l'absolu, la finalité de son existence ou la transcendance (Fowler, 1981; Tisdell, 2002).

D'une part, ce processus de développement est existentiel, c'est-à-dire qu'il concerne tous les aspects de l'existence individuelle, celle-ci étant en interaction avec la culture et le monde social dans lequel elle est inscrite, dans un environnement et un contexte concrets (Houde-Sauvé, 1999; Solar, 1998). En tant que processus existentiel, le développement spirituel suit une trajectoire personnelle qui n'est pas socialement déterminée, mais qui est plutôt configurée de manière inductive et souvent chaotique par les expériences tissées à même ces interactions entre un individu et son monde, plus spécifiquement à partir des désapprentissages et des apprentissages qui résultent de ces expériences (Solar & Danis, 1998). Si la présente recherche s'intéresse spécifiquement au rôle de l'apprentissage dans le développement spirituel, plusieurs autres facteurs peuvent y contribuer de manière plus ou moins directe, tels l'environnement socioculturel, le passage du temps, le processus de vieillissement, etc. En cohérence avec le point de vue particulier qui a été choisi, ces facteurs seront toutefois examinés soit comme des composantes de certaines «expériences importantes», soit comme des éléments contextuels des apprentissages, soit encore comme des questions posées au cadre conceptuel déployé ici.

D'autre part, le développement spirituel se caractérise par un dynamisme qui pousse la personne vers un «mieux-être» intrinsèquement lié à un «mieux vivre ensemble», orienté vers une transcendance ou une finalité (English, 2000; Fenwick, 2001; Hunt, 2001; Tisdell, 2002; Tisdell & Tolliver, 2001; Vogel, 2000). Si la trajectoire de développement elle-même ne suit pas nécessairement un tracé ascendant au fil de ses étapes, elle est tout de même traversée par un désir, elle est subjectivement orientée ou tendue vers un idéal, elle est habitée par un dynamisme unificateur et mobilisateur, voire une force de vie, de guérison ou de libération (Tisdell, 2002). Aussi le développement spirituel d'une personne consiste-t-il autant à s'affranchir de ce qui aliène son identité et ses relations, qu'à produire du sens de manière créative à partir de son héritage et de ses expériences (Tisdell, 2002).

En relation avec le développement spirituel, l'apprentissage est compris dans son acception existentielle et non formelle, c'est-à-dire qu'il est inscrit dans le cadre de la vie des personnes, dans leur contexte culturel et social (Solar, 1998). En outre, l'apprentissage est considéré à partir de ses répercussions sur le développement, positives ou négatives : c'est de l'apprentissage signifiant ou important qu'il s'agit, au regard du développement spirituel (Merriam & Clark, 1991, 1993).

Dans cette perspective, d'une part, l'apprentissage désigne le processus par lequel une personne donne du sens à son expérience pour la comprendre et se comprendre à partir d'elle (Jarvis, 1992; Mezirow, 2001). Aussi l'expérience est-elle considérée comme le point de départ de l'apprentissage, en tant qu'interaction entre la personne et son environnement subjectivement interprétée comme «quelque chose d'inédit», provoquant un déséquilibre ou une rupture avec les automatismes (Jarvis, 2006). En relation avec le développement spirituel, l'expérience peut être considérée à partir de l'«impératif d'existence» (Roelens, 1989), ou, plus largement, ce qui, en soi, est appel à quelque chose d'autre, à une transcendance. Ainsi comprise, l'expérience, qu'elle soit source de satisfaction ou de souffrance, positive ou difficile, peut être occasion d'apprentissage (Merriam & Heuer, 1996).

Le processus d'apprentissage suppose toutefois que le déséquilibre, voire le bouleversement ou la rupture introduite dans l'expérience convoque la personne à s'engager dans un «travail» plus ou moins conscient ou volontaire de production de sens à partir de cette expérience (Jarvis, 1992; Mezirow, 2001; Merriam & Heuer, 1996; Solar, 1998). Ce «travail» s'effectue à partir du cadre de référence de la personne, qui est l'ensemble organisé des savoirs reçus et appris, tant dans la culture que par les expériences antérieures, par lequel une personne appréhende le réel, l'interprète et interagit avec lui (Mezirow, 2001). Ainsi, le processus d'apprentissage implique, selon des dosages variables, tantôt la réflexion et la prise de conscience, tantôt la disponibilité ou la présence aux images et aux émotions, par la communication ou l'action avec autrui, ou encore par l'introspection (Dirkx, 1998; Merriam & Heuer, 1996; Mezirow, 2001). Toutefois, apprendre suppose aussi que le contexte dans lequel se trouve la personne et que son bagage de savoirs fournissent des conditions minimalement favorables (Jarvis, 1992; Solar, 1998).

En outre, ce travail, s'il s'effectue à partir du cadre de référence qu'il peut enrichir ou consolider davantage, peut également conduire à la déconstruction de celui-ci ou encore à l'abandon de certains savoirs (Mezirow, 2001; Solar, 1998). Ce processus de désapprentissage implique un «passage à vide» ou une expérience de liminalité plus ou moins intense, par laquelle une personne peut éprouver le sentiment d'être dans le vide, en suspension, plus vulnérable et sans repères (Pineau, 2004; Houde-Sauvé, 1999). De cette déconstruction peut résulter un apprentissage signifiant, si celui-ci est subjectivement considéré comme ayant produit un effet personnel d'enrichissement ou d'accroissement des savoirs (attitudes, compétences, connaissances, etc.), ou encore s'il conduit à une transformation profonde de l'identité personnelle ou du cadre de référence (Merriam & Clark, 1991, 1993). Toutefois, certains apprentissages peuvent produire un effet négatif ou inhibiteur sur le développement, s'il résulte en un cadre de référence plus rigide ou fermé aux nouvelles expériences, en une image de soi blessée, ou en des relations sociales marquées par la méfiance ou le rejet (Merriam & Clark, 1993; Merriam et al., 1996).

D'autre part, la notion d'apprentissage renvoie également aux savoirs qui résultent des processus d'apprentissage. Ces savoirs sont compris comme «bagage» lié à l'identité personnelle et sociale et non seulement comme des connaissances ou des compétences (Jarvis, 1992). Employé au pluriel, le concept d' «apprentissages» évoque donc les contenus, soit ce qui a été appris, autant que le cadre de référence qui est l'ensemble systémique de ce qui est appris, ce que Mezirow (2001) désigne également par «système d'anticipations». Ainsi, ces savoirs formant le cadre de référence, par les apprentissages antérieurs en relation avec la culture, sont liés aux images (image de soi, représentations d'autrui ou de son environnement, symboles), aux émotions et sentiments, aux connaissances, aux intentions et motivations, aux conduites et attitudes, aux pratiques et compétences, aux relations avec les autres, aux valeurs et normes, aux croyances et à la vision du monde — transcendance, sens — (Dirkx, 2001; Fowler, 1981; Heron, 1992; Mezirow, 2001; Merriam & Heuer, 1996). Dans la perspective du développement spirituel, d'une part, ces différents savoirs peuvent se manifester autant dans des expressions ou des représentations religieuses que non religieuses (Fenwick, 2001). D'autre part, le cadre de référence se rapproche de la «foi» que définit Fowler (1981) comme étant la manière de voir, de comprendre et de se situer en rapport au réel, aux autres et à la transcendance, faisant appel au cognitif, à l'affectif, au conatif et au symbolique.

3.2 Opérationnalisation des concepts et des objectifs de recherche

Les concepts d'apprentissage et de développement spirituel et leurs interrelations composent le cadre théorique à partir duquel les questions de recherche sont posées et les données sont recueillies, sélectionnées et analysées. Comme tels, ces concepts n'ont pas de résonance concrète dans l'existence des sujets auxquels s'intéresse la recherche. Cependant, le point de vue des sujets sur les apprentissages impliqués dans leur développement spirituel ne peut avoir de sens pour la recherche s'il n'est pas interrogé à partir d'un cadre théorique qui s'en trouve enrichi ou déconstruit. Ainsi, pour atteindre les objectifs visés par la recherche, le cadre conceptuel se traduit dans une articulation opératoire entre 1) les questions de recherche qui découlent de chaque objectif, mettant en relief une ou plusieurs dimensions impliquées, 2) les questions posées aux sujets, qui traduisent les questions de recherche en des termes visant à solliciter l'expérience des personnes et 3) les variables ou les catégories anticipées pour l'analyse qualitative des données recueillies, à partir des concepts présentés dans la section précédente.

Dans les pages suivantes, ce cadre opératoire sera d'abord présenté par une description du processus par lequel ont été opérationnalisés les concepts et leurs interrelations dans les questions de recherche, à partir des catégories anticipées pour l'analyse des données; un tableau résumera ensuite les buts, objectifs et questions à partir desquels la recherche a été mise en œuvre.

3.2.1 Les questions de recherche et les catégories anticipées pour l'analyse

Les interrelations entre apprentissage et développement spirituel sont étudiées à partir du point de vue d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique. La recherche s'intéresse à l' «histoire spirituelle» à partir de laquelle les sujets entreprennent une telle démarche. Plus précisément encore, ce qui est examiné, c'est le récit subjectif des expériences qui ont marqué ce cheminement spirituel et qui ont donné lieu à des apprentissages ou à des désapprentissages. En tant que cheminement, la vie spirituelle ou l'histoire spirituelle des sujets est considérée dans sa trame dynamique et non statique. Le terme cheminement évoque une marche progressive, une trajectoire dont le tracé peut prendre diverses formes, alors que le terme «vie spirituelle», souvent employé comme synonyme de spiritualité, est plus large et donc plus ambigu : il peut autant évoquer une vitalité, avec ce que cela suppose de dynamisme ou de mouvement, qu'une stabilité, un état — une attitude fondamentale — dont on chercherait les caractéristiques. Dans cette perspective, le cheminement spirituel des sujets est considéré à partir de l'existence concrète des personnes, avec tout ce qui la tisse, les événements, les conditions de vie matérielles, l'environnement socio-culturel, les relations intimes et sociales, la vie active et ses tribulations, les rôles sociaux, la santé ou les changements physiologiques liés à l'âge, etc. Toutefois, en tant que «cheminement spirituel», cette existence concrète est d'emblée interprétée comme «spirituelle», c'est-à-dire qu'elle est subjectivement vécue dans une interrelation entre soi, autrui et la transcendance, mue par une recherche de «mieux-être» et d'un «mieux vivre ensemble» dans l'horizon d'un absolu ou d'une finalité pouvant parfois s'exprimer dans des représentations religieuses ou dans une appartenance à un groupe religieux.

Le cheminement spirituel est donc examiné à partir des expériences qui l'ont marqué, dans l'horizon des processus d'apprentissage — ou de désapprentissage — auxquels elles ont donné lieu. Ce cheminement spirituel n'est considéré comme «développement spirituel» que lorsqu'il est analysé en tant que processus, à partir de son déroulement et des configurations qui se dessinent, suite à l'analyse des apprentissages et de leur rôle développemental.

Dans un premier temps, l'analyse des apprentissages cherche à décrire les expériences qui ont été importantes, dans le cheminement spirituel des sujets : quelles sont les expériences jugées importantes, dans le cheminement spirituel des sujets? Le récit de ces expériences peut révéler des éléments liés à un ou des événements, au contexte ou aux circonstances tels les conditions de vie matérielles, l'environnement socio-culturel, les relations (intimes ou sociales), la vie active et les rôles sociaux, la santé ou les changements physiologiques liés à l'âge, etc. En outre, des éléments liés à la quête existentielle ou spirituelle des sujets peuvent apparaître dans les récits : un questionnement, une aspiration, de l'insatisfaction, des perceptions de soi liées à l'avancée en âge, à la santé, à son genre, à sa race ou à toute autre composante de son identité personnelle et sociale, etc. Le récit des expériences importantes peut également présenter des éléments d'interprétation spirituelle ou religieuse de l'une ou l'autre expérience.

Pour chacune, il s'agit de repérer les déclencheurs d'apprentissage, soit ce qui est considéré comme un «déséquilibre» : qu'est-ce que ces expériences ont déclenché, chez les sujets? Ce «déséquilibre» est interprété différemment, selon les personnes : comment les sujets interprètent-ils le déséquilibre déclenché ou provoqué dans leur cheminement spirituel? Il peut être interprété tantôt comme une remise en question ou un ébranlement des repères, c'est-à-dire la déstabilisation de certains savoirs ou du cadre de référence, tantôt comme une véritable rupture, une crise majeure, un effondrement des repères. Le déséquilibre vécu peut parfois se manifester dans le surgissement d'une nouvelle question ou l'impression d'un manque de sens se traduisant notamment dans l'absence de repères pour faire face à une situation inédite. Enfin, le déséquilibre provoqué peut être vécu comme une transformation plus ou moins soudaine, un changement important, une expérience de conversion ou de révélation. Le déséquilibre provoqué est également interprété à partir des images, des émotions ou des sentiments auxquels il a donné lieu. Ces images et émotions peuvent être positives se manifestant par de la satisfaction, de l'espoir, de l'excitation, de la joie, etc. Elles peuvent au contraire être négatives, se traduisant par de la souffrance, une démobilisation, ou encore elles peuvent avoir un caractère de liminalité, se manifestant par une impression de vide ou de ne plus savoir ce que l'on ressent, une vulnérabilité ou une sensation d'être dans un entre-deux.

Dans un deuxième temps, l'analyse cherche à dégager les processus d'apprentissage qui se sont engagés à partir des expériences importantes : comment les sujets ont-ils composé avec les expériences importantes ou comment les personnes ont-elles résolu les crises ou les difficultés qui sont survenues? Ainsi posée, la question de recherche porte sur les opérations mobilisées par la personne, seule ou avec d'autres, soit par un «travail réflexif» (prise de conscience, réflexion), par un «travail de l'âme» (disponibilité aux émotions ou aux sentiments; présence aux images intérieures, à la symbolique, à l'intuition, aux souvenirs, etc.), ou encore par l'action. Pour mieux comprendre les processus d'apprentissage ainsi engagés, une attention est également portée au «bagage de savoirs» sur lequel s'est appuyé le sujet : sur quels savoirs ou sur quel bagage de savoirs les sujets se sont-ils appuyés dans ces processus d'apprentissage? Ainsi, les savoirs mobilisés peuvent être liés aux images (image de soi, représentations d'autrui ou de son environnement, symboles), aux émotions et sentiments, aux connaissances, aux intentions et motivations, aux conduites et attitudes, aux pratiques et compétences, aux relations avec les autres, aux valeurs et normes, aux croyances et à la vision du monde (transcendance, sens). Chez certains sujets, ces savoirs peuvent contenir des représentations ou des référents religieux. Enfin, l'analyse des processus d'apprentissage porte sur les conditions dans lesquelles les personnes ont composé avec ces expériences de vie : quelles conditions ont favorisé ou ont nui aux apprentissages? Pour cette raison, des éléments contextuels favorables ou défavorables aux apprentissages peuvent être repérés dans les récits des sujets, liés aux personnes et aux relations, au temps ou à la durée, au lieu ou à l'espace, à des facteurs socio-culturels, à des conditions matérielles ou physiologiques.

En troisième lieu, l'analyse cherche à identifier les apprentissages ou les savoirs qui ont résulté de ces processus et qui ont marqué le cheminement spirituel des sujets : quels apprentissages les sujets ont-ils retirés de ces expériences? Quels savoirs les sujets ont-ils développés, au regard de leur cheminement spirituel? Dans les propos des sujets, d'une part, on peut reconnaître les apprentissages, soit ce qui a été appris, au regard des images (image de soi, représentations d'autrui ou de son environnement, symboles), des émotions et sentiments, des connaissances, des intentions et motivations, des conduites et attitudes, des pratiques et compétences, des relations avec les autres, des valeurs et normes, des croyances et de la vision du monde (transcendance, sens). D'autre part, on peut également déceler des désapprentissages, soit ce qui a été déconstruit ou abandonné, au regard des mêmes catégories. Cette analyse des apprentissages et des désapprentissages permet de faire apparaître, en certains cas, des transformations plus ou moins profondes de l'identité personnelle et sociale, ou du cadre de référence.

À partir de ces trois niveaux d'analyse des apprentissages, le processus de développement spirituel est ensuite examiné. Dans un premier temps, il s'agit de décrire le rôle des apprentissages sur le développement spirituel compris dans son ensemble, à partir de l'interprétation que s'en font eux-mêmes les sujets : comment les sujets interprètent-ils les impacts ou les effets de ces apprentissages sur leur développement spirituel? Le rôle développemental peut être interprété comme positif (élargissement, consolidation, approfondissement, libération, guérison, etc.) ou, plus rarement, comme négatif (fragilisation, perte, abandon, blocages, etc.). En second lieu, le rôle développemental perçu est mis en relation avec les représentations que se font les sujets de leur développement spirituel : comment les sujets se représentent-ils leur développement spirituel? Quelles configurations du développement spirituel se dégagent de leurs propos? Ainsi, on cherche à dégager, d'une part, les représentations que se font les sujets de la dimension spirituelle de leur vie, représentations qui peuvent parfois contenir des référents religieux, ou s'appuyer sur des contenus religieux. D'autre part, on s'intéresse aux configurations du développement spirituel qui se dégagent des propos des sujets, qui tantôt expriment une progression vers un plus, en ligne droite ou en spirale, tantôt se manifestent dans un tracé plus ou moins irrégulier où se succèdent des crêtes (vers un plus) et des creux (vers un moins), tantôt exprimant des détours ou des méandres, sur un plan qui ne comporte ni haut, ni bas.

3.2.2 Résumé des buts, objectifs et questions de recherche

Avant d'entamer le prochain chapitre, consacré à la présentation de la méthodologie de recherche, voici un résumé des questions de recherche relatives à chaque but et objectif spécifique, énoncées ci-haut et présentées dans le tableau suivant :

Tableau III. Buts, objectifs et questions de recherche

ButsObjectifs spécifiquesQuestions de recherche

1er but : Analyser, dans le récit des sujets qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique, les apprentissages qui ont marqué leur cheminement spirituel.

1.1. Décrire les expériences qui ont été importantes, dans le cheminement spirituel des sujets.

1.1.1. Quelles sont les expériences jugées importantes, dans le cheminement spirituel des sujets?

1.1.2. Qu'est-ce que ces expériences ont déclenché, chez les sujets?

1.1.3. Comment les sujets interprètent-ils le déséquilibre déclenché ou provoqué dans leur cheminement spirituel?

1.2. Dégager les processus d'apprentissage qui se sont engagés à partir des expériences importantes.

1.2.1. Comment les sujets ont-ils composé avec les expériences importantes ou comment les personnes ont-elles résolu les crises ou les difficultés qui sont survenues?

1.2.2. Sur quels savoirs ou sur quel bagage de savoirs les sujets se sont-ils appuyés dans ces processus d'apprentissage?

1.2.3. Quelles conditions ont favorisé ou ont nui aux apprentissages?

1.3. Identifier les apprentissages ou les savoirs qui en ont résulté, et qui ont marqué le cheminement spirituel des sujets.

1.3.1. Quels apprentissages les sujets ont-ils retirés de ces expériences?

1.3.2. Quels savoirs les sujets ont-ils développés, au regard de leur cheminement spirituel?

2e but : Analyser le processus de développement spirituel qui se dessine à partir de l'analyse des apprentissages.

2.1. Décrire le rôle des apprentissages dans le développement spirituel compris dans son ensemble.

2.1.1. Comment les sujets interprètent-ils rôle des apprentissages dans leur développement spirituel?

2.2. Dégager les configurations particulières du processus de développement spirituel des sujets.

2.2.1. Comment les sujets se représentent-ils leur développement spirituel?


2.2.2. Quelles configurations du développement spirituel se dégagent de leurs propos?

4. Méthodologie de la recherche

Les objectifs et les questions de la recherche appellent une approche qualitative, qui recèle de nombreux avantages pour l'étude des apprentissages impliqués dans le développement spirituel des personnes. En effet, elle permet de rendre compte de l'expérience, qui est déjà une interprétation subjective de ce qui est perçu, vécu et éprouvé, s'exprimant dans le langage. Elle met ainsi en valeur la richesse et la complexité des récits d'expériences et des cheminements spirituels. Cette approche qualitative s'inscrit une démarche exploratoire, par laquelle les propos des sujets contribuent à enrichir, à approfondir ou à préciser davantage le cadre conceptuel, mais également donnent lieu à des découvertes, voire des déplacements de perspective plus ou moins importants au regard des questions de recherche.

Dans le cadre d'une recherche scientifique, la richesse d'une approche qualitative s'accompagne toutefois de nombreux risques et écueils, justement liés à la subjectivité de l'expérience et à sa complexité (Van der Maren, 1996). Pour les réduire au minimum, certaines conditions ont été réunies afin de préserver le caractère scientifique de l'échantillonnage, de la cueillette des données et du traitement de celles-ci. Pour chacune des étapes de la mise en opération des objectifs de recherche, ce chapitre présente les procédures par lesquelles s'est déployée la méthode qualitative de façon à en tirer les meilleurs fruits, ainsi que les difficultés rencontrées et les moyens pris pour les surmonter.

4.1 L'échantillonnage

Les données ont été recueillies auprès d'un échantillon restreint de six (6) adultes inscrits dans des activités individuelles ou collectives offertes par un organisme d'éducation catholique. Les pages suivantes rendent compte des critères qui ont présidé à la sélection des sujets, des moyens employés pour constituer cet échantillon, des difficultés rencontrées et des résultats obtenus.

4.1.1 Les critères de sélection des sujets

Les sujets ont été recrutés à partir de critères déterminés à la fois par les objectifs de la recherche et par son caractère exploratoire. Ainsi, le premier critère visait à recruter des adultes qui commencent une démarche au sein d'un organisme d'éducation catholique, alors qu'ils avaient antérieurement rompu avec l'héritage catholique de leur enfance, ou alors que leur cheminement antérieur était étranger à la religion catholique. Afin de créer des conditions favorables au déroulement des entrevues et au traitement des données, la maîtrise de la langue française et le consentement éclairé pour participer à la recherche ont présidé à la sélection des sujets. Les personnes recherchées étaient des adultes d'âge mûr, soit entre 30 et 65 ans. Cette période correspond au temps de la vie active, avant l'anticipation immédiate de la retraite (Houde-Sauvé, 1999), alors que l'adulte a déjà accumulé des expériences de vie signifiantes à partir desquelles son identité s'est forgée, tout en étant encore en devenir. Étant donné le nombre très restreint des sujets, les critères de sélection tels que la participation récente à des activités d'éducation catholique, la maîtrise du français et un écart relativement restreint quant à l'âge ont imposé une certaine homogénéité de l'échantillon des sujets, nécessaire pour examiner des cheminements spirituels déjà très diversifiés. Toutefois, on a cherché à recruter autant d'hommes (3) que de femmes (3), afin de faire apparaître, éventuellement, des différences de genre dans les trajectoires spirituelles.

4.1.2 Les moyens de sélection des sujets

La sélection des sujets selon ces critères s'est effectuée avec la collaboration de personnes intervenant dans des organismes catholiques qui offrent des démarches d'éducation de la foi à des adultes dont le cheminement antérieur est étranger à la religion catholique, ou à des adultes qui avaient rompu avec l'héritage catholique de leur enfance et qui souhaitent renouer avec cette religion — que les intervenants pastoraux appellent les «recommençants» (Bourgeois, 1993, 2001). La lettre adressée à tous ces organismes pour leur présenter le projet de recherche et pour solliciter leur collaboration se trouve en annexe 1 («Lettre aux organismes catholiques»). Ainsi, les quatre organismes suivants ont d'abord été sollicités, donnant des résultats variables, en raison de certaines difficultés rencontrées :

  • Le Service Nouveaux Espaces, situé à Montréal, est un organisme proposant un lieu de partage et d'accompagnement de personnes qui, ayant rompu leurs liens avec l'Église catholique ou s'en étant éloignées, souhaitent renouer ou reprendre un cheminement spirituel catholique. Trois personnes fréquentant cet organisme ont accepté de participer à la recherche. Toutefois, le premier critère, qui concerne le caractère récent de la démarche entreprise au sein de l'organisme, n'a pas pu être honoré : ces sujets avaient déjà entrepris une démarche au sein de l'organisme depuis plus de deux (2) ans. Les personnes qui cheminaient depuis moins longtemps se sont avérées soit réticentes, soit trop méconnues de la responsable de l'organisme, qui avait peu de repères pour les approcher ou pour les recommander.
  • La Maison Chemin de Vie est un organisme catholique de Longueuil proposant un accompagnement personnel et des activités collectives pour toute personne désirant commencer ou recommencer un cheminement spirituel catholique. Une personne a accepté de participer à la recherche. Toutefois, pour les mêmes raisons que celles invoquées relativement à l'organisme Nouveaux Espaces, il n'a pas été possible de recruter plus d'une personne; de plus, celle qui a accepté de collaborer chemine depuis déjà plusieurs années au sein de cet organisme, soit cinq (5) ans.
  • Le Catéchuménat de Montréal est un organisme qui offre, à des personnes intéressées à la foi catholique, un accompagnement personnel et des activités collectives les conduisant à clarifier leurs motivations, à s'initier aux différentes dimensions de la foi et éventuellement à devenir catholiques. Cependant, il n'a pas été possible de recruter des personnes acceptant de participer à la recherche. Les raisons invoquées relèvent principalement des craintes et des réticences des personnes qui hésitaient à confier leur cheminement spirituel à une inconnue, raisons en partie liées à la différence culturelle. Le défaut de maîtrise de la langue française a également été, pour certains, un facteur de refus.
  • Le Centre St-Pierre, situé à Montréal, est un centre catholique de formation personnelle, intellectuelle et spirituelle pour toute personne engagée socialement, offrant en particulier des ateliers et des parcours «aux personnes en démarche de développement personnel et spirituel» (site Internet : www.centrestpierre.org). Là non plus, il n'a pas été possible de recruter des personnes acceptant de participer à la recherche, alors que les activités du centre étaient plus ou moins suspendues pendant l'été, et que les personnes le fréquentant étaient peu connues des responsables, en raison du nombre relativement élevé des participants et du caractère plus ou moins sporadique de leur fréquentation du centre.

Dans ce contexte, deux paroisses ont été sollicités pour le recrutement de deux autres sujets, par l'entremise de la personne responsable de la catéchèse, à Montréal, et de la responsable du catéchuménat paroissial, à Brossard. Au moment de l'entrevue, les deux personnes ainsi recrutées avaient récemment entrepris une démarche dans leur paroisse, soit respectivement 1 an à Montréal et 6 mois à Brossard. Il est à noter que la personne cheminant à Brossard est un peu plus jeune que l'âge visé pour la sélection des sujets, ce qui est assez représentatif des personnes qui entreprennent pour la première fois une démarche catholique et qui sont, le plus souvent, de jeunes adultes.

4.2 La cueillette des données

Dans la foulée des considérations méthodologiques esquissées en introduction de ce chapitre, le processus de cueillette des données visait à maximiser les chances de réunir un matériel riche et éloquent, tout en minimisant les risques de biais au regard des objectifs de la recherche (Tisdell, 2002). Cette section présente les instruments élaborés à cette fin, les précautions déontologiques prises, ainsi que les faits saillants du déroulement de la cueillette des données.

4.2.1 Les instruments élaborés pour la cueillette des données

L'instrument par lequel un premier contact direct avec les adultes dont la collaboration était sollicitée est une lettre qui leur a été transmise par envoi électronique ou postal, avec leur consentement. Cette lettre présente les buts et le déroulement du projet de recherche, apportant des précisions sur la collaboration demandée et ses implications, ainsi que sur l'engagement éthique et déontologique de la chercheure; elle se termine par un formulaire de consentement à signer par les deux parties (cf annexe 2 : «Formulaire de consentement»).

La cueillette des données auprès des sujets ainsi recrutés s'est effectuée, d'une part, au moyen d'un bref questionnaire écrit visant à recueillir des informations relatives aux variables de genre, d'âge, de situation familiale et professionnelle, d'origine culturelle et religieuse des sujets (cf annexe 3 : «Questionnaire écrit»). D'autre part, les propos des sujets ont été recueillis de telle sorte que l'expression subjective de leur expérience soit maximale, sans toutefois que les objectifs de la recherche ne soit perdus de vue. Dans cette perspective, un protocole a été élaboré pour la conduite des entrevues semi-dirigées, d'une durée d'environ 1h30, au cours desquelles les sujets interrogés étaient invités à faire le récit des expériences et des apprentissages qui ont marqué leur cheminement spirituel. Ce protocole, inspiré de différents questionnaires d'entrevues effectuées dans une perspective développementale (Belenky et al., 1986; Fowler, 1981; Giguère, 2002; Kimmel, 1990), prévoyait un cadre souple pour le déroulement de l'entrevue, formulant une même question de plusieurs manières et dont l'ordre pouvait être interverti, au besoin, pour mieux s'ajuster aux propos des sujets (cf annexe 4 : «Protocole d'entrevue»). Enfin, une fiche de notes était consacrée à la consignation des observations de la chercheure au cours de l'entrevue et après, portant sur le contexte de l'entrevue, soit, par exemple, des propos tenus avant l'enregistrement par un sujet et qui traduit son état d'esprit, les circonstances entourant l'interruption momentanée de l'entrevue et qui peuvent avoir un impact sur la suite, etc. Ces observations avaient pour but de faciliter l'audition des propos enregistrés et de contribuer éventuellement à éclairer la sélection ou l'analyse des données.

Enfin, une pré-enquête auprès d'une personne, dont le profil correspondait aux mêmes critères que les sujets, a permis de vérifier la validité et d'effectuer des ajustements à ces différents instruments de cueillette des données.

4.2.2 Les précautions éthiques et déontologiques prises

Le traitement confidentiel des données a été assuré par un ensemble de moyens répondant aux exigences éthiques de l'Université de Montréal. Ainsi, chaque document concernant un participant ou une participante (réponses écrites au questionnaire préparatoire, enregistrement audio de l'entrevue et fiches de notes de la chercheure sur le déroulement de l'entrevue) a été identifié par une lettre, que seuls le directeur de recherche et la chercheure pouvaient relier aux informations originales. Dans la transcription des entrevues, tout indice nominatif a été remplacé par une identification fictive. Tous les documents concernant les sujets ont été conservés au domicile de la chercheure, dans un classeur réservé à la recherche.

Aucun renseignement personnel, ni aucune information permettant d'identifier les sujets ne seront publiés, en tout ou en partie, ni dans le mémoire de maîtrise, ni dans toute autre communication pouvant résulter de cette recherche. Ces renseignements personnels seront détruits 7 ans après la fin du projet, tandis que les enregistrements seront détruits dès que le mémoire sera approuvé. Au besoin, et avec le consentement des sujets, seules les données ne permettant pas l'identification des sujets seront conservées après cette date, le temps nécessaire à leur utilisation.

4.2.3 Les faits saillants du déroulement de la cueillette des données

Les données invoquées pour la recherche reposent sur l'expression personnelle des sujets, à la fois par la narration de leur cheminement et par l'interprétation réflexive de celui-ci. Afin de permettre aux personnes approchées de bien se situer en rapport avec le projet de recherche et de s'y engager avec confiance, le tout premier contact s'est effectué par l'intermédiaire de la personne responsable de l'organisme sollicité. Après avoir reçu le feu vert de la part de cette dernière, la chercheure a par la suite engagé une conversation téléphonique avec chacune des personnes approchées, permettant de clarifier les informations relatives à la recherche et de répondre aux questions sur la visée et le déroulement de l'entrevue. Comme il s'agissait tantôt de rassurer, tantôt de favoriser une bonne préparation à l'entrevue tout en préservant une certaine spontanéité, cette information est toutefois restée discrète concernant les objectifs spécifiques et le cadre conceptuel, afin de ne pas trop influencer l'expression personnelle des sujets sur leur expérience. Enfin, le choix du moment et du lieu s'est effectué à la convenance de chaque personne, afin de donner les meilleures conditions possibles à leur collaboration.

Les sujets recrutés ont montré qu'ils connaissaient les buts et les moyens concrets utilisés pour recueillir le récit des expériences de vie ayant marqué leur cheminement spirituel. Tous se sont présentés à l'entrevue avec intérêt, certains avec confiance et enthousiasme, d'autres manifestant au début de la rencontre le besoin d'être rassurés quant à leur capacité à répondre correctement aux questions. Toutefois, ces craintes se sont rapidement évanouies une fois l'entrevue commencée. La chercheure a cherché à favoriser un climat de confiance, propice à l'expression subjective, voire intime, tout en respectant la pudeur ou les limites que se sont imposées les sujets dans cette expression. Ainsi, selon l'attitude des sujets devant leur propre récit, la chercheure a tantôt encouragé le sujet à poursuivre, à clarifier ou à approfondir son récit, tantôt renoncé à creuser une expérience ou un aspect du récit, lorsque la personne interrogée laissait deviner des limites à ne pas franchir.

Si les bonnes dispositions des sujets, l'ambiance et les conditions généralement favorables des entrevues ont contribué à recueillir un matériel très riche, elles ont toutefois conduit à une telle abondance, pour certains sujets, que le traitement des données s'est avéré une tâche colossale, dont il sera question ci-bas. À titre indicatif, le tableau présenté en annexe 5 («Taille du matériel recueilli dans les entrevues») donne un aperçu de l'ampleur du matériel ainsi recueilli. Les sujets ayant généreusement livré plusieurs pages importantes de leur cheminement spirituel, les propos recueillis n'ont toutefois pas échappé aux risques et aux écueils de toute expression de la subjectivité, notamment les pièges inhérents au jeu de la mémoire et de l'inconscient : oublis ou mémoire sélective, distorsions dans le récit dues à certains blocages, idéalisation de certains aspects du cheminement, incohérences ou contradictions entre certaines parties du récit, etc. En relation avec ce qui précède, la relecture de l'histoire spirituelle antérieure était déjà plus ou moins interprétée à la lumière des événements récents ou à partir des aspirations et des attentes que les sujets nourrissent envers la démarche d'apprentissage catholique qu'ils avaient entreprise depuis un certain temps. L'entrevue a suscité chez certains sujets des souvenirs douloureux ou pénibles, sans toutefois conduire à un blocage dans la suite du récit; certains ont plutôt manifesté des signes d'une nouvelle intelligence de ces souvenirs ou expériences, d'autres ont exprimé les limites de leur compréhension ou de leur interprétation de ces expériences ou souvenirs.

Dans ce contexte, la propre subjectivité de la chercheure a été canalisée, d'une part, par sa concentration sur les objectifs et le bon déroulement de l'entrevue, ce qui a permis d'établir une relation cordiale avec les sujets, tout en maintenant une certaine distance émotive. D'autre part, l'écart entre le début des entrevues et le début du traitement des données, qui correspond à la transcription des verbatims, a également favorisé une distanciation subjective avec les récits. Toutefois, l'analyse des données elle-même a été l'étape la plus décisive d'objectivation, même si la subjectivité de la chercheure reste toujours engagée et ce, dans toutes les étapes du processus de recherche : elle en est le point de départ et, si elle constitue le plus souvent un avantage, elle demeure un risque permanent de biais à encadrer méthodologiquement.

4.3 L'analyse des données

Le processus d'analyse qualitative des données s'est principalement inspiré du «modèle général» proposé par L'Écuyer (1990). Ce modèle s'appuie sur une synthèse comparative et critique entre les approches de six auteurs, parmi lesquels Bardin (1977) et Mucchielli (1974, 1979), choisis pour la valeur de leurs ouvrages synthèse, Unrug (1974), pour la réflexion critique qu'il propose, Clapier-Valladon (1980) et Poirier, Clapier-Valladon et Raybaut (1983), pour l'application de l'analyse de contenu au domaine de la psychosociologie, Van Kaam (1959), pour la proposition d'une méthodologie brève et Giorgi (1975), pour sa contribution critique à l'approche en psychologie (L'Écuyer, 1990, p. 53). Outre ce modèle général proposé par L'Écuyer, les notes du cours «L'analyse des données qualitatives» (Van der Maren, 2006), ainsi que l'ouvrage de Miles et Huberman (1991) ont inspiré les ajustements apportés au modèle de L'Écuyer en fonction des besoins de la présente recherche. Toutefois, si l'approche de Miles et Huberman (1991) a été fort utile pour préciser certains aspects du codage, elle se situe dans la perspective d'une analyse effectuée pendant une cueillette des données se déroulant sur une longue période (plusieurs mois, voire plusieurs années). Il s'agit donc d'une cueillette cyclique des données, effectuée en interaction avec l'analyse, ce qui n'a pas été l'approche de la présente recherche, dont la portée et le cadre sont beaucoup plus restreints. Dans cette perspective, l'analyse qualitative des données recueillies après la cueillette des données s'est déroulée en quatre étapes, soit : 1) les lectures préliminaires, 2) le choix des unités d'analyse et la segmentation du corpus, 3) la catégorisation et la classification, 4) la synthèse et la formulation des concepts émergeant de l'analyse des données.

Avant de présenter le déroulement de chacune de ces étapes, il faut noter qu'elles ont été précédées de la transcription du verbatim des propos enregistrés en entrevue pour chaque sujet, permettant déjà d'effectuer une réduction préliminaire du matériel. En effet, certains passages des récits ont été ignorés lorsqu'il était manifeste qu'ils constituaient une diversion par rapport aux objectifs de la recherche : par exemple, le récit exhaustif de la célébration du mariage et du voyage de noces, des détails sur la personnalité ou sur l'expérience d'un proche n'ayant pas d'incidence sur le cheminement spirituel du sujet lui-même, ou encore une réflexion nourrie sur l'avenir de la planète ou sur les difficultés de l'Église catholique, etc. Au cours des étapes subséquentes, le processus de réduction des données s'est poursuivi, à mesure que l'analyse permettait de discerner plus clairement les données pouvant servir directement à répondre aux questions de recherche. La prudence a toutefois présidé à chaque phase de réduction, afin de garder l'équilibre entre deux attitudes commandées par une démarche exploratoire, soit l'attitude d'ouverture à ce que le matériel apporte de nouveau au regard du cadre conceptuel, incitant à porter attention aux données qui peuvent introduire des découvertes et des déplacements, et une capacité à maintenir le cap au regard des objectifs et des questions précises de la recherche, incitant à porter un regard discriminatoire sur un matériel livré par des sujets ayant leurs propres intentions d'énonciation.

4.3.1 Les lectures préliminaires

Le modèle général de L'Écuyer (1990) propose une première série de lectures de l'ensemble du matériel, que Bardin (1977) appelle la lecture flottante (L'Écuyer, 1990, p. 58). La première étape de l'analyse a donc consisté en un premier parcours de l'ensemble du corpus constitué par la transcription des entrevues. Cette première lecture poursuivait les objectifs suivants :

a) Vérifier si toutes les questions de recherche trouveront une réponse : dès la fin de chaque entrevue et au moment de la transcription, cette vérification s'était effectuée en comparant le matériel recueilli avec les objectifs et les questions de recherche. Toutefois, la lecture flottante a donné lieu à une vérification plus systématique, qui s'est effectuée à l'aide de la grille dont il est question pour les premiers essais de codage, évoquée ci-après.

b) Anticiper la segmentation des unités d'analyse et effectuer les premiers essais de codage : une première grille de lecture très sommaire a été rédigée à partir des principaux concepts issus du cadre conceptuel. Cette grille sommaire se trouve présentée en annexe 6 («Grille d'analyse provisoire»).

c) Noter les passages qui sont susceptibles de poser des problèmes d'interprétation : esquisser des hypothèses de nouvelles catégories à ajouter à celles issues du cadre conceptuel et identifier le matériel qui risque d'être considéré comme étant résiduel.

4.3.2 Le choix des unités d'analyse et la segmentation du corpus

Une fois l'ensemble du matériel parcouru une première fois, le choix de l'unité d'analyse est apparu évident, en raison des objectifs de la recherche et du type de données, soit l'unité de sens, «liée à l'identification des éléments du texte possédant un 'sens complet' en eux-mêmes» (L'Écuyer, 1990, p. 61). La deuxième lecture de l'ensemble du matériel a donc consisté en deux tâches principales :

a) la segmentation du corpus et la numérotation de chaque unité de sens : pour chaque entrevue, les unités de sens ont été identifiées par la lettre correspondant au nom fictif des sujets, suivie d'un chiffre correspondant à l'ordre dans lequel l'unité de sens apparaît dans le cours du texte (exemple : «A 12» correspond à la douzième unité de sens retenue dans l'entrevue d'Aline), afin d'en faciliter le repérage par la suite;

b) un travail plus approfondi d'identification et d'organisation des catégories pouvant servir au codage, en même temps qu'une attribution préliminaire et exploratoire des codes était appliquée aux unités de sens.

4.3.3 La catégorisation et la classification

La production d'une grille de codage plus substantielle a résulté de cette deuxième lecture, associant les abréviations à une brève définition opérationnelle de chacun des codes. Cette grille, proposant une organisation des catégories dont certaines sont issues du cadre conceptuel et d'autres induites à partir des données, que L'Écuyer (1990, p. 76) désigne par «catégories mixtes», se trouve présentée en annexe 7 («Grille d'analyse définitive»). À partir de cette grille, la troisième étape a donné lieu aux opérations suivantes :

a) la vérification, puis la condensation des unités de sens, soit la transformation de chacun des segments de verbatim retenus en énoncés plus succinct et classifiables, énoncés dont la formulation reste toutefois encore très près des expressions du verbatim;

b) le codage proprement dit, soit l'attribution d'un code de la grille à chaque énoncé; ce codage s'est accompagné d'une identification plus précise du matériel résiduel;

c) la classification de chaque énoncé dans des listes constituées à partir de la grille des codes : cette classification s'est effectuée au moyen d'un système de fiches, chacune regroupant les énoncés identifiés par un même code. À cette étape, ces listes ont été constituées de manière verticale ou longitudinale (Van der Maren, 2006), en établissant des relations entre certaines unités de sens, là où cela s'avérait pertinent : par exemple, pour une unité de sens classée dans la fiche correspondant à un code, un renvoi à une ou quelques autres unités de sens classées sous d'autres codes était noté, lorsqu'un lien direct entre ces unités de sens pouvait être établi à la lecture du corpus.

4.3.4 La synthèse et la formulation des concepts émergeant de l'analyse des données

La quatrième étape a consisté à effectuer une analyse transversale ou horizontale (Van der Maren, 2006), résultant en la synthèse et la réorganisation, au besoin, des catégories retenues pour répondre aux questions de recherche et en la formulation de définitions formelles pour chacune. De manière plus détaillée, les tâches suivantes ont été accomplies :

a) constitution des listes regroupant tous les énoncés correspondant à chacun des codes de la grille, tous sujets confondus;

b) formulation d'une définition formelle de la catégorie correspondant au code, en retravaillant la définition de départ à partir des énoncés de la liste : ce travail s'est accompagné d'une réorganisation du classement des catégories, de manière à mieux rendre compte des concepts émergeant de l'analyse et des liens s'établissant entre eux;

c) classement des énoncés de chaque liste en sous-catégories (ou thèmes), chacune étant à nouveau définie à partir des énoncés ainsi regroupés;

d) enfin, une élimination des catégories de la grille ne répondant pas directement aux questions de recherche a été effectuée, pour des raisons qui seront explicitées dans le chapitre suivant, portant sur la présentation des résultats.

5. Présentation et interprétation des résultats

L'analyse des données a conduit à préciser davantage le cadre conceptuel, voire à opérer certains déplacements dans la manière d'envisager les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes. Cette perspective s'inscrit dans la visée exploratoire de la démarche de recherche, qui se situe à mi-chemin entre deux pôles sur le continuum des approches de l'objet de recherche (Lessard-Hébert et al., 1995), soit entre une approche déductive («fermée»), cherchant à valider ou invalider une théorie («contexte de la preuve») et une approche inductive («ouverte»), cherchant à élaborer une théorie à partir de l'objet («contexte de la découverte»). Dans le cadre restreint de la recherche, les résultats ne proposent donc ni une preuve ni une théorie, mais permettent plutôt de mieux cerner l'objet de recherche, répondant aux questions de départ et soulevant d'autres avenues à explorer ultérieurement.

En relation avec ce qui précède, la structure du chapitre reprend la structure générale du cadre conceptuel, soit les buts principaux et les objectifs spécifiques annoncés au chapitre 3 (Cadre conceptuel»), tout en apportant des modifications à certains concepts et à leurs interrelations, suite à l'analyse des données. Cette dernière ayant donné lieu à une exploration approfondie du premier but de la recherche, à savoir l'analyse des apprentissages qui ont marqué le cheminement spirituel des sujets, une importante partie du chapitre y sera consacrée : les résultats seront à la fois brièvement présentés dans un tableau et commentés, formulant une définition des concepts et déployant l'articulation des catégories qui en découlent, proposant une interprétation de ces résultats au regard des questions de recherche et indiquant leur relation au cadre conceptuel. Le deuxième but de la recherche sera ensuite abordé, conduisant moins à une présentation systématique de résultats, qu'à une interprétation du processus de développement spirituel qui se dessine à partir de l'analyse des apprentissages, présentée antérieurement. Au préalable, une brève présentation du profil des sujets ayant participé à la recherche s'impose, permettant de situer les résultats en relation avec des personnes réelles et certaines caractéristiques déterminant le récit de leur cheminement spirituel.

5.1 Profils des sujets ayant participé à la recherche

Les sujets qui ont accepté de participer à la recherche sont trois hommes et trois femmes, dont l'âge varie entre 27 et 57 ans. Tous sont nés au Québec, de parents québécois, hormis une personne, née au Québec de parents haïtiens, ayant vécu une partie de son enfance et son adolescence en Haïti. Cette personne est également la seule à n'avoir pas reçu une éducation catholique étant jeune, quoique ses parents et sa famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, cousins, cousines) aient été ou soient encore catholiques. Tous les autres sujets ont reçu une éducation catholique durant l'enfance, de laquelle ils ont par la suite pris une distance plus ou moins radicale, pendant une période variable selon les personnes. Le tableau «Profils des sujets» (annexe 8) présente les principales informations recueillies sur chacun des sujets au moyen du questionnaire écrit. Par souci de confidentialité, rappelons que les noms des personnes sont fictifs et ont été attribués selon l'ordre alphabétique qui correspond à l'ordre dans lequel les sujets ont été rencontrés en entrevue.

À l'examen de ces profils, on remarque que quatre sujets rencontrés sont des recommençants, soit des personnes qui reprennent contact avec la religion catholique qu'ils avaient délaissée : il s'agit de Bernard, Claire, Daniel et Félix. Seule Aline entreprend pour la première fois une démarche religieuse catholique formelle; toutefois, l'entrevue montre que cette personne a été en contact avec des catholiques tout au long de son cheminement. Trois sujets ayant renoué avec la religion catholique de leur enfance, soit Bernard, Claire et Félix ont fréquenté, pendant une période plus ou moins longue ou stable, des personnes et des groupes religieux non chrétiens ou des activités spirituelles non religieuses, alors que Daniel a mentionné qu'il n'a jamais cherché d'autres contacts religieux ou spirituels que dans la religion catholique. Enfin, Élise n'a jamais mentionné, au cours de l'entrevue, de rupture explicite avec la religion catholique. Toutefois, on peut déduire que pendant une dizaine d'années, correspondant approximativement à la période de la vingtaine, la dimension religieuse ait été moins présente : en effet, pour cette période, le récit met davantage l'accent sur une série d'expériences difficiles liées au dénouement de problèmes familiaux sans allusion à la dimension religieuse. L'entrevue évoque toutefois de manière explicite des contacts avec la religion catholique correspondant à la période de la trentaine, par le biais de rencontres interpersonnelles et d'activités. Le tableau suivant donne un aperçu de l'évolution des contacts religieux des sujets au fil de leur cheminement spirituel, montrant que si ces contacts religieux se manifestent sous diverses formes, ils sont toutefois fortement marqués par la religion catholique :

Tableau IV. Évolution des contacts religieux des sujets au cours de leur vie

Nom fictif du sujetÉducation reçue dans l'enfance en rapport avec la religionContacts religieux à l'adolescencecontacts religieux durant la vie adulteDébut de la démarche d'éducation catholique

Aline

Éducation non religieuse

Influence paternelle : fréquentation d'une entreprise basée sur des croyances et des pratiques religieuses (Amway Quickstar).

Contact avec des membres de la famille élargie : religion catholique.

Démarche catéchuménale en paroisse depuis février 2008 (baptême prévu : avril 2009).

Bernard

Éducation catholique

Influence familiale : abandon de la religion catholique. Influence maternelle : contact avec le nouvel âge.

Contact avec divers organismes et personnes de religion catholique, accompagnés d'une prise de distance par rapport au nouvel âge.

Fréquentation de Nouveaux Espaces depuis 2005 (3 ans).

Claire

Éducation catholique

Abandon de la religion catholique (malgré l'influence familiale).

Fréquentation d'une grande variété de groupes et de personnes appartenant à divers univers religieux et spirituels, suivie de contacts avec la religion catholique par l'intermédiaire de groupes et de personnes.

Fréquentation de Nouveaux Espaces depuis 2000 (8 ans).

Daniel

Éducation catholique

Fréquentation d'organismes catholiques (principalement par le réseau scolaire).

Fréquentation d'organismes catholiques, puis abandon pendant une période d'une dizaine d'années (pas d'autre démarche religieuse ou spirituelle). Reprise des contacts avec la religion catholique par la suite.

Fréquentation de Nouveaux Espaces depuis 2006 (2 ans).

Élise

Éducation catholique

Pas de mention particulière sur le rapport personnel à la religion reçue : famille toujours catholique.

Fréquentation d'organismes religieux catholiques.

Fréquentation de Chemins de Vie depuis 2003 (5 ans).

Félix

Éducation catholique, puis abandon (influence familiale)

Influence d'un enseignant de l'école secondaire : fréquentation de la Société Théosophique (mouvement philosophique intégrant divers courants religieux).

Abandon de la Société Théosophique au début de l'âge adulte (25 ans). Fréquentation de divers mouvements de croissance psycho-spirituelle pendant une dizaine d'années. Contacts sporadiques avec la religion catholique avant et pendant la fréquentation des mouvements de croissance psycho-spirituelle, s'intensifiant avec l'abandon de ces mouvements.

Fréquentation d'une paroisse depuis 2007 (1 an).

Ces informations sommaires permettront d'éclairer certains aspects de l'interprétation des résultats, présentés dans les pages suivantes. Retenons pour le moment que ce profil donne consistance à la représentation de ceux qui, dans les questions de recherche, étaient désignés comme des adultes qui commencent ou recommencent une démarche catholique. En raison des difficultés évoquées dans le chapitre présentant la méthodologie de recherche, seulement deux sujets avaient récemment commencé (ou recommencé) une démarche d'éducation catholique au moment de l'entrevue, alors que les autres avaient déjà entrepris une telle démarche depuis un certain temps. En outre, les cheminements spirituels analysés ont été fortement influencés par la religion catholique, non seulement par l'éducation reçue, mais également par les contacts qui ont été établis avec cette religion durant la vie adulte. Un tel contexte infléchit déjà l'interprétation des résultats de la recherche dont les pages suivantes rendront compte.

5.2 Analyse des apprentissages impliqués dans le cheminement spirituel des sujets

L'analyse des apprentissages impliqués dans le cheminement spirituel des sujets se déploie en trois temps correspondant aux objectifs spécifiques annoncés au chapitre 3 («Cadre conceptuel de la recherche»). Afin de mieux rendre compte des trois dimensions de l'apprentissage qu'évoquent ces objectifs, les résultats de la recherche seront présentés à partir de la structure suivante : 1) Les déclencheurs d'apprentissage, soit les expériences importantes et les déséquilibres qui ont marqué le cheminement spirituel des sujets; 2) les processus d'apprentissage auxquels les déclencheurs ont donné lieu; 3) les résultats du processus d'apprentissage, soit les apprentissages et les désapprentissages auxquels le processus a conduit.

5.2.1 Les déclencheurs d'apprentissage

Les déclencheurs d'apprentissage correspondent à ce qui provoque ou suscite un processus d'apprentissage. Dans le cadre de la présente recherche, ce sont les expériences importantes et les déséquilibres auxquels ces expériences ont donné lieu qui retiennent surtout l'attention, à partir des questions formulées au départ de la recherche : «Quelles sont les expériences jugées importantes, dans le cheminement spirituel des sujets?» «Qu'est-ce que ces expériences ont déclenché, chez les sujets?» «Comment les sujets interprètent-ils le déséquilibre déclenché ou provoqué dans leur cheminement spirituel?» L'analyse des données permet d'apporter trois points de vue complémentaires sur les déclencheurs d'apprentissage, qui sont a) les expériences importantes, b) le déséquilibre introduit dans les expériences et c) les déséquilibres spirituels, ce dernier point de vue proposant un certain déplacement dans les réponses anticipées par le cadre conceptuel. Une brève synthèse des éléments de réponse à retenir au regard des questions de recherche sur les déclencheurs de l'apprentissage sera proposée au terme de cette section.

a. Les expériences importantes

Le cadre conceptuel fournissait déjà un point de vue particulier sur les expériences dont il s'agit ici, considérant les expériences importantes comme étant le point de départ de l'apprentissage. Ainsi, toute interaction entre la personne et son environnement, subjectivement interprétée ou vécue comme quelque chose d'important ou de marquant (qui sort de l'ordinaire ou du banal), provoquant ainsi une rupture avec les habitudes, est désignée comme «expérience importante». L'analyse des expériences importantes s'est d'abord intéressée à leur description et à leur contexte, soit la situation ou l'ensemble des circonstances spatiales, temporelles et sociales dans lesquelles elles ont été vécues par un sujet, telles le lieu, le moment, les personnes impliquées et les relations du sujet avec elles, etc. Si plusieurs expériences sont décrites dans des circonstances ou une situation délimitées, un certain nombre d'entre elles relèvent de plusieurs expériences et circonstances s'additionnant ou se combinant.

À partir de la description qu'en font les sujets, quatre types d'expériences ont été recensés : 1) Les expériences événementielles, dont les principaux faits se rapportent à ce qui est arrivé, survenu à un moment précis : par exemple, la mort de personnes proches, un accident, la participation à une activité religieuse ou la rencontre avec un religieux. 2) Les expériences situationnelles, dont les principaux faits se rapportent à un ensemble défini de circonstances se prolongeant dans un temps plus ou moins long, ou se produisant de manière récurrente, telles le retour d'un séjour à l'étranger, un enchaînement de plusieurs expériences d'abandon et de trahison familiales, un cumul de circonstances difficiles en contexte scolaire ou liées à l'articulation entre une surcharge de travail et la vie de famille, la pratique régulière de la confession pendant l'enfance («expérience du confessionnal»), etc. 3) Les expériences relationnelles, dont les principaux faits se rapportent à la relation avec une ou plusieurs personnes : ainsi, la séparation d'avec un conjoint ou une conjointe, des changements vécus dans la relation avec la mère, la naissance d'une amitié, la réconciliation avec le père, etc. 4) Les expériences psychologiques ou spirituelles, dont les principaux faits se produisent dans l'esprit du sujet : des rêves, une extase dans un monastère, une chaleur ressentie pendant la prière, etc.

Ce classement des expériences a été effectué à partir des circonstances et des situations racontées, mais la description qu'en ont faite les sujets comporte également une dimension subjective de première importance. Pour rendre compte de la diversité de ces expressions de la subjectivité plus ou moins élaborées par chaque récit, l'analyse a également cherché à identifier le rapport subjectif à l'expérience relatée comme ayant marqué le cheminement spirituel. Ainsi, parmi ces expériences, certaines sont positives (+), c'est-à-dire qu'elles impliquent surtout des sentiments heureux de joie, de satisfaction, d'apaisement (la rencontre avec un religieux, la réconciliation avec son père, une extase, etc.), d'autres sont négatives (-), impliquant surtout des sentiments malheureux, tels la souffrance, l'angoisse, la solitude (la mort de personnes proches, l'expérience du confessionnal, la séparation d'avec le conjoint, etc.), alors que quelques unes sont mixtes (±), impliquant à la fois des sentiments heureux et des sentiments malheureux (un grave accident de voiture avec blessures mineures, le début d'un séjour au monastère ou un rêve). Le tableau V («Expériences importantes») présente une vue d'ensemble des différents types d'expériences illustrés par quelques éléments de contenu des entrevues, avec une indication de la connotation subjective que les sujets ont attribuée à chacune de ces expériences.

Tableau V. Les expériences importantes

Types d'expériencesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Expériences événementielles

  • (-) Mort : deux suicides successifs dans la famille (B 51); proximité avec la mort pénible de plusieurs personnes (D 192); morts successives de proches (F 274)
  • (-) Blessure accidentelle grave (B 6)
  • (+) Rassemblements de jeunes catholiques : à l'université (B 49); à Rome (E 22, 24; B 109)
  • (+) Participation à une fin de semaine pour recommençants (C 68)
  • (+) Entretien avec un religieux : avec un moine (C 72); avec un père franciscain (D 205)

Expériences situationnelles

  • (-) Retour d'un séjour à l'étranger (A 1)
  • (-) Enchaînement de plusieurs expériences d'abandon et de trahison familiale (E 75-78, 81, 83)
  • (-) Cumul de circonstances difficiles en contexte scolaire (F 39, 40, 41, 42, 52, 54)
  • (-) Cumul de circonstances difficiles concernant le rapport entre la vie de famille et une surcharge de travail (F 151, 152, 154, 155); succession de pertes : emploi, conjointe (F 166)
  • (-) Confessionnal : confessions régulières pendant l'enfance (C 137)
  • (-) Séjour transitoire en maison d'hébergement (E 90)
  • (±) Début d'un séjour au monastère (F 180)

Expériences relationnelles

  • (-) Séparation d'avec le conjoint (E 190); plusieurs disputes avec la conjointe actuelle (F 255, 286)
  • (-) Attitudes humiliantes d'enseignants du secondaire (F 47)
  • (-) Changement dans la relation avec la mère, suite à une séparation (A 104)
  • (+) Rencontres humaines dans un mouvement anonyme (C 39)
  • (+) Naissance d'une amitié aux Journées Mondiales de la Jeunesse (B 114)
  • (+) Réconciliation avec le père (B 138)

Expériences psychologiques ou spirituelles

  • (-) Maintien «volontaire» d'une extase en présence des enfants (F 221)
  • (±) Rêve sur l'amour insoutenable de Jésus (C 214)
  • (+) Chaleur ressentie lors d'une prière à la chapelle de la Famille Myriam (E 51)
  • (+) Extase lors de séjours au monastère (F 199, 293)

Expériences positives (+), négatives (-), mixtes (±).

Dans le cadre de cette recherche, toute expérience ayant donné lieu à un apprentissage et racontée comme ayant une incidence, directe ou indirecte, sur le cheminement spirituel a été considérée, et non seulement les expériences de nature religieuse ou spirituelle. Ainsi, si quelques expériences peuvent être plus spécifiquement identifiées à un cadre religieux (participation à une activité religieuse, rencontre d'un religieux, pratique régulière de la confession pendant l'enfance, chaleur ressentie pendant la prière), toutes ont été racontées comme ayant marqué le cheminement spirituel, même si les circonstances ou le contexte ne sont pas d'emblée spirituels ou religieux. De même, une expérience se déroulant dans un contexte religieux, telle la participation à un rassemblement de jeunes catholiques, a été racontée par un sujet comme son premier contact d'adulte avec la religion catholique, tandis qu'un autre sujet interprète le même type d'événement comme une expérience de convivialité avec d'autres jeunes, une interprétation qui n'est pas immédiatement religieuse ou spirituelle. C'est pourquoi le critère du caractère religieux ou spirituel des expériences n'a pas été retenu pour le classement, afin de ne pas donner la fausse impression que certaines expériences seraient plus «spirituelles» ou «religieuses» que d'autres, ce qui n'est pas le cas.

Par ailleurs, toutes les expériences racontées par les sujets n'ont pas nécessairement été sélectionnées : les expériences qui n'ont pas déclenché de processus d'apprentissage ou qui n'ont pas eu d'incidence sur le cheminement spirituel n'ont pas été considérées dans les résultats de recherche. Ainsi, les circonstances entourant la demande en mariage d'un sujet ou la description de la célébration du mariage n'ont pas été retenus comme des expériences ayant eu une incidence sur le cheminement spirituel, ou ayant déclenché un processus d'apprentissage.

Répondant à la question de recherche «quelles sont les expériences jugées importantes, dans le cheminement spirituel des sujets?», on retient d'abord qu'un grand nombre d'expériences racontées comme importantes sont liées aux événements, aux situations et aux relations qui tissent le cours de la vie des sujets. Aussi le cheminement spirituel est-il intimement lié à l'existence concrète et affective des personnes, que ces expériences se rapportent directement ou non à la dimension religieuse ou spirituelle. On retrouve toutefois une catégorie d'expériences, racontées par trois sujets, qui sont plutôt vécues comme une «sortie» de l'existence concrète, classées comme des «expériences psychologiques ou spirituelles». Il existe donc certaines expériences importantes se rapportant plus spécifiquement et plus exclusivement à la dimension spirituelle de l'existence et qui se manifestent davantage dans des «faits subjectifs», alors que, dans l'interaction entre un sujet et son environnement, ce dernier s'estompe au profit de ce qui se produit dans l'esprit du sujet. Dans de telles expériences, l'inconscient joue un rôle plus important, alors que la dimension consciente et volontaire se retrouve au second plan. C'est ce qu'expriment les sujets par l'absence ou la difficulté à trouver les mots pour décrire ces expériences : «c'est après que je suis capable d'en parler comme ça, parce qu'il y avait pas de mots, puis il n'y avait pas de nécessité de mots à ce moment-là (F 200).»

b. Le déséquilibre introduit dans les expériences

Les expériences racontées par les sujets sont indissociables des déséquilibres auxquels elles ont donné lieu. Ces déséquilibres se définissent comme l'état de déstabilisation touchant certains savoirs du sujet, son cadre de référence ou son identité et qui suscite un processus d'apprentissage. Les déséquilibres dont il s'agit ici sont donc liés à une expérience ou à un cumul d'expériences, tantôt racontés dans l'expérience même, tantôt racontés dans la suite du récit, précisant l'impact déstabilisateur de l'expérience ou de plusieurs expériences et circonstances sur le sujet. L'analyse des déséquilibres liés aux expériences met en évidence trois rapports subjectifs aux déséquilibres, soit les déséquilibres vécus négativement, positivement ou de manière ambivalente. Chacun présente divers états de déstabilisation, impliquant tantôt le cadre de référence ou l'identité du sujet dans son intégralité, tantôt certains savoirs particuliers.

Les déséquilibres vécus négativement

Les déséquilibres les plus souvent évoqués ont été vécus négativement, c'est-à-dire qu'ils ont été vécus comme une perte, une souffrance ou une impasse, ou encore ils se sont manifestés par des pensées ou des actes de retrait. Ces déséquilibres se présentent sous sept formes, selon ce qu'ont vécu les sujets : 1) la détresse, souvent synonyme de souffrance, liée aux sentiments d'abandon, de solitude, d'impuissance, d'angoisse; 2) la rage, se manifestant par une colère intense, une violence intérieure associées à la souffrance; 3) le désarroi, se présentant comme un sentiment de désorganisation, d'égarement ou un effondrement des repères; 4) une remise en question, se traduisant tantôt par un questionnement, tantôt par le rejet d'un savoir ou d'une situation vécue, en l'absence de solution ou de réponse; 5) une révélation douloureuse, soit une impression ou un sentiment soudain de voir une souffrance ou une difficulté sous un angle nouveau; 6) un abandon ou une rupture se manifestant par le fait de renoncer à un désir, voire de mettre fin à une action, une situation, une ou plusieurs relations; 7) enfin, plus rarement, le déséquilibre vécu négativement s'est traduit par un acte (tentative de suicide) ou une série d'actions («fuite de la vie») entrepris par désespoir et qui ont échoué, désignés comme des tentatives vouées à l'échec.

Tableau VI. Les déséquilibres vécus négativement

Formes de déséquilibresExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Détresse

  • «ça a craqué (A 7)»
  • Perte du goût de vivre (B 7, 36)
  • Angoisse et souffrance (B 32, C 159)
  • Réveil de la souffrance (B 38)
  • Mort intérieure (D 62); sentiment d'échec, de désespoir, de solitude, d'impuissance terrible (D 140)
  • Désespoir profond : «j'étais comme dans un fond de baril, sans voir comment on sort du baril (F 155)»; espoir à zéro (F 164)
  • Longue période de dépression (D 135) : envahissement de la compulsion (D 136); grande noirceur, traversée du désert (D 139); dépression (F 49, 166)

Rage

  • Violence psychologique, honte et souffrance intérieures très importantes, nécessitant des soins (F 148)
  • Rage, souffrance profonde (D 54, E 99, F 151); violence verbale (F 150)

Désarroi

  • Crise majeure (E 43), perte de contrôle (E 45), sentiment d'échec (E 47, 199), perte du rythme (E 140)
  • «entièrement démuni (D 42)»; «j'étais défait (F 255)»
  • La vie arrête de tourner (B 30)
  • Sentiment de se perdre : dans le nouvel-âge (B 34); dans la sexualité (D 17); contradiction avec soi, ses croyances, l'éducation reçue (D 18)
  • Perte des repères : «Là, tu décroches tout. Là tu tombes des nues, t'as besoin de t'accrocher à quelque chose parce que... (E 88)»
  • Perte de l'enracinement communautaire (D 10)
  • Sentiment d'impasse (F 194)

Remise en question

  • Questionnement sur des situations difficiles : pourquoi? (F 56)
  • Critique d'un savoir religieux reçu dans l'enfance : «ça n'a pas de bon sens (...) pour moi ça n'avait aucun sens (C 142).»
  • Remise en question profonde, rejet des croyances apprises dans la Société Théosophique : «c'est de la frime (F 158)»

Révélation douloureuse

  • Se rendre compte du fait de ne pas avancer, de ne pas vivre pour soi (B 14)
  • Se rendre compte de ses problèmes avec la sexualité (D 121)
  • Se rendre compte du fait que son conjoint n'investit plus dans la relation de couple (E 197)
  • Découvrir que la situation vécue est de l'inceste, lors du visionnement d'une vidéo sur le sujet (E 104)

Abandon, rupture

  • Décrochage de la religion (C 5)
  • Abandon de toute tentative de rapprochement de l'Église pendant longtemps (D 39); abandon de la pratique de la messe (D 43)
  • Abandon d'une aspiration à devenir prêtre (D 122)
  • Décrochage scolaire (F 57)
  • Abandon des habitudes de séjour chez la mère (A 104)
  • Rupture dans la relation avec le conjoint (E 198); la conjointe (F 236)
  • Rupture avec toutes les relations (E 89, F 157)

Tentatives vouées à l'échec

  • Fuite de la vie : «j'allais vivre dans ça comme quelqu'un qui se gèle dans la drogue, ben moi j'allais me geler dans ça [dans le nouvel âge]... j'assumais pas de vivre (B 35)»
  • Tentative de suicide (E 97)

Un second niveau d'analyse permet de dégager, dans chacun de ces types de déséquilibres, les dimensions touchées par la déstabilisation. Le cadre conceptuel envisageait déjà d'identifier les repères touchés par le déséquilibre, soit certains savoirs antérieurs ou le cadre de référence. En effet, l'analyse des données révèle que certains déséquilibres vécus négativement touchent tout l'être ou atteignent le sujet dans sa globalité, impliquant le cadre de référence, et que d'autres touchent une ou certaines dimensions particulières, ou encore certains savoirs du sujet, impliquant tantôt la dimension conceptuelle, tantôt les aspirations ou les relations.

Ainsi, la détresse, la rage et le désarroi, de même que les tentatives vouées à l'échec, impliquent généralement le cadre de référence ou l'identité de la personne. Dans ces déséquilibres, d'une part, c'est l'émotion ou le sentiment qui exprime le mieux l'état dans lequel se trouve le sujet. La détresse, la rage et le désarroi ne sont plus simplement des émotions accompagnant le déséquilibre, ils sont à considérer comme l'état de déstabilisation lui-même, à forte teneur émotive. D'autre part, les tentatives vouées à l'échec expriment des états de déséquilibre tout aussi intégraux, mais se manifestant dans un acte ou une série d'actions qui mettent en œuvre les émotions vécues : la psychologie emploie fort judicieusement l'expression «agir ses émotions». Toutefois, certaines expressions de déséquilibre, plus marginales, sont classées comme «désarroi» ou «détresse», mais sans que ces sentiments ou émotions n'expriment un état de déstabilisation intégral : par exemple, la perte d'un enracinement communautaire, exprimée comme désarroi, traduit un effondrement des repères relationnels, certes importants, mais sans que tout le cadre de référence ne soit impliqué; de même, la détresse exprimée dans l'expérience d'une extase se prolongeant en présence des enfants du sujet, toute intense et pénible qu'elle soit, ne met pas en jeu le cadre de référence.

Les déséquilibres vécus positivement

Un certain nombre de déséquilibres ont été vécus comme un gain ou avec des sentiments heureux, ou encore se sont manifestés dans des pensées ou des actes tournés vers de nouvelles possibilités. Ces déséquilibres vécus positivement ont été classés en trois types, soit : 1) le bouleversement, la confusion, l'exaltation ou les sentiments intenses et difficiles à préciser; 2) la surprise, soit une émotion ou un sentiment provoqué par quelque chose d'inattendu; 3) la révélation, vécue positivement comme une impression ou un sentiment soudain de voir quelque chose sous un angle nouveau.

Tableau VII. Les déséquilibres vécus positivement

Formes de déséquilibresExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Bouleversement

  • Bouleversement à l'écoute des paroles du père franciscain (D 206)
  • Bouleversement lié à la découverte de la signification de son nom (E 133)
  • Confusion provoquée par la question du père Théophile : «je suis bouche bée, il me désarçonne complètement (...) il m'a complètement court-circuitée dans ma façon de penser (C 73)»; pleurs incontrôlables : «il s'est passé quelque chose, je sais pas trop quoi (C 74)»
  • Sentiment d'exaltation lié à une expérience spirituelle : absence de mots (F 200); perte de la notion du temps (F 202); perte de contact avec l'environnement (F 252)

Surprise

  • Sentiment d'étrangeté devant une nouvelle pratique religieuse du père (A 19)
  • Surprise provoquée par la conjonction de deux conseils déjouant les attentes (A 81)

Révélation

  • Prise de conscience de sa mission, sans l'avoir trouvée (E 147)
  • Identification d'un besoin religieux (B 50)
  • Prise de conscience du fait de retrouver ses racines religieuses (C 68)
  • Prise de conscience de la nécessité de se comprendre soi-même (C 36)
  • Prise de conscience du fait que l'on porte tous les mêmes questionnements, les mêmes aspirations (C 40)
  • Découverte de la proximité du pape (E 17), de l'amour du pape (E 22)
  • Découverte du lien entre la signification de son nom et des rêves prémonitoires (E 135)
  • Découverte d'un appel intérieur (F 295, 296)

À la différence des déséquilibres vécus négativement, peu de ces états de déstabilisation touchent le cadre de référence, à l'exception d'une révélation désignée comme un appel intérieur et exprimée clairement comme un état de déstabilisation touchant l'être tout entier. On peut également interpréter les expressions de certains états de bouleversement comme des déséquilibres atteignant le sujet intégralement (telle, par exemple, la confusion provoquée par la question d'un moine, touchant à la fois la dimension conceptuelle et affective), mais, en l'absence d'une analyse longitudinale approfondie, une telle affirmation relève de l'hypothèse, en raison de l'imprécision caractérisant cette catégorie de déséquilibres, intenses et difficiles à exprimer pour les sujets eux-mêmes.

Les autres déséquilibres vécus positivement touchent davantage une dimension particulière ou des savoirs spécifiques. Ainsi, un certain nombre de ces déséquilibres sont liés à l'image de soi : le bouleversement provoqué par la découverte de la signification de son nom; des révélations telles la conscience imprécise d'une mission à accomplir, la prise de conscience du besoin de se comprendre soi-même, l'identification d'un besoin religieux ou la prise de conscience de ses racines religieuses retrouvées. D'autres déséquilibres vécus positivement touchent la compréhension d'une réalité d'ordre conceptuel : des sentiments de surprise, tels le sentiment d'étrangeté face à la nouvelle pratique religieuse du père, la surprise provoquée par la conjonction de deux conseils reçus; des révélations telles le lien entre la signification de son nom et les rêves prémonitoires, la compréhension du fait que tout être humain porte les mêmes aspirations et les mêmes questionnements. Enfin, certains déséquilibres sont liés à la dimension relationnelle (des révélations telles l'amour du pape ressenti et l'impression de proximité avec le pape) ou affective (un bouleversement se manifestant par une exaltation).

Les déséquilibres ambivalents

Enfin, certains états de déstabilisation sont vécus de façon ambiguë, mélangeant le positif et le négatif. On les désignera comme des déséquilibres ambivalents, se manifestant sous deux formes : 1) Les dilemmes, qui correspondent aux crises d'identité, aux remises en question de plusieurs aspects de sa vie ou aux indécisions, vécues sur une durée plus ou moins longue; ces dilemmes peuvent être interprétés comme des états de liminalité, celle-ci étant caractérisée «par un sens d'identité en suspension, par un degré de vulnérabilité accru et par un état de fluidité (Houde-Sauvé, 1999, p. 290).» 2) Les révélations d'une nouvelle possibilité surgie dans la souffrance, indiquant le terme de celle-ci : ces états de déstabilisation se caractérisent paradoxalement par la découverte soudaine, à la fois prometteuse et douloureuse, de ce qui peut mettre fin à la souffrance et au déséquilibre, telle la révélation d'une nouvelle image de soi, associée à la décision de ne plus être «gentil garçon», ou encore une révélation sur soi («tu vaux plus qu'eux autres»), surgie au cœur d'une tentative de suicide, indiquant la fin de ce déséquilibre. Se comparant aux déséquilibres vécus négativement désignés comme abandon ou rupture, ces révélations introduisent une rupture dans l'esprit du sujet, mélangeant toutefois l'espoir à des sentiments de souffrance. Elles seront désignées comme des révélations ambivalentes.

Tableau VIII. Les déséquilibres ambivalents

Formes de déséquilibresExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Dilemme

  • Incertitude devant une décision à prendre (F 276)
  • Déchirement entre l'attrait et les dangers de l'extase (F 224, 225)
  • Remise en question à 20 ans : «qu'est-ce que je fais de ma vie? (F 100)»; à 30 ans(C 28)
  • Questionnement, bilan : «qu'est-ce que je réalise dans ma vie? (F 224)»
  • «Crise d'adolescence» à l'âge adulte (B 41); recherche, questionnement lié à cette crise : «j'ai cherché, comme ma mère. Je me questionnais beaucoup (B 76)»
  • Crise d'identité (D 154)

Révélation ambivalente

  • Décision de ne plus être «gentil garçon» (B 10)
  • Sentiment d'urgence : «il faut s'occuper de cette colère-là (D 53)»
  • Révélation sur soi, provoquant l'interruption de la tentative de suicide : «tu vaux plus qu'eux autres (E 98)»
  • Sentiment de ne plus pouvoir vivre avec l'inceste (E 102)
  • Abandon au moment présent dans une expérience d'extase (F 199)

On peut observer que les dilemmes impliquent davantage les sujets dans leur intégralité, alors que les révélations ambivalentes portent surtout sur une ou l'autre dimension des sujets, telles l'image de soi et la dimension émotive ou affective. Si la dimension conceptuelle ne se trouve pas touchée par ces révélations ambivalentes, elle est toutefois impliquée dans certains dilemmes, tels l'incertitude devant une décision précise à prendre (réflexion) et le déchirement entre l'attrait de l'extase et ses dangers : ce dernier dilemme intègre également la dimension affective, introduisant une tension entre un désir et la compréhension d'une réalité. Par ailleurs, la révélation ambivalente vécue au cœur de la tentative de suicide est plus difficile à interpréter, le sujet n'ayant pas donné beaucoup de détails : implique-t-elle toute l'identité du sujet, comme on serait porté à le croire, étant donné que la tentative de suicide elle-même correspond à un déséquilibre mettant en jeu le cadre de référence, ou encore cette révélation porte-t-elle plus spécifiquement sur l'image de soi? Il s'agit ici d'un état complexe, dont la personne elle-même ne possède probablement pas toutes les clés pour le comprendre.

En somme, on retient de l'analyse de ces états de déstabilisation liés aux expériences que ceux-ci peuvent être vécus de manière négative, positive ou ambivalente, impliquant tantôt le sujet dans son intégralité, tantôt certains savoirs liés à l'image de soi, aux aspirations, à la dimension conceptuelle, affective ou relationnelle. En effet, si certains déséquilibres se sont parfois exprimés avec difficulté et de manière floue («ça a craqué», «tu décroches»), nécessitant une mise en contexte dans le récit, on peut toutefois noter une grande diversité des états de déstabilisation mise au jour par l'analyse et une plus grande précision quant à la portée subjective de ces déséquilibres. Ainsi, les résultats contribuent à enrichir le cadre conceptuel, mettant davantage en évidence l'articulation entre les sentiments ou émotions, les états de déstabilisation et les dimensions ou repères touchés par le déséquilibre.

En outre, un examen de l'ensemble de ces états de déstabilisation liés aux expériences permet de dégager deux aspects complémentaires du déséquilibre, déclencheur de l'apprentissage :

En premier lieu, le déséquilibre consiste en un choc intérieur, se manifestant en l'effritement, la déconstruction ou la disparition de ce qui, dans le cadre de référence ou certains savoirs, était auparavant clair, familier, sûr ou acquis. Qu'il s'accompagne de sentiments de souffrance, de joie intense ou de sentiments contradictoires, cet état de déstabilisation crée un inconfort ou, plus positivement, un désir qui peut mettre la personne en mouvement d'apprentissage. Toutefois, ce mouvement n'est pas toujours immédiat : un certain nombre de ces déséquilibres, surtout ceux vécus avec de forts sentiments de souffrance ou de détresse, ont eu un effet paralysant chez les sujets, pendant une période de temps plus ou moins longue. Certains ont vécu une véritable descente aux enfers, cumulant les expériences et les déséquilibres de plus en plus pénibles, avant qu'un processus d'apprentissage ne soit déclenché. En ce sens, on peut dire qu'ils se caractérisent par un état de liminalité, à l'instar des déséquilibres plus spécifiquement désignés comme des dilemmes.

En second lieu, un certain type de déséquilibre s'est manifesté autant avec des sentiments négatifs, que positifs ou contradictoires; il s'agit de l'état désigné comme une révélation. À la différence des autres déséquilibres, ces révélations, qu'elles soient heureuses, douloureuses ou ambivalentes, consistent en la découverte ou la compréhension soudaine d'une dimension de l'expérience en relation avec soi, le plus souvent par une prise de conscience. Toutefois, même si elles se manifestent par l'apparition subite d'un nouveau savoir ou une compréhension nouvelle sur soi-même, ces révélations sont considérées comme des déséquilibres, car elles créent chez le sujet le même effet déstabilisateur et de mobilisation à s'engager dans un processus d'apprentissage. On peut même dire que ces types de déséquilibres orientent plus directement le sujet vers ses motivations à apprendre : la révélation est un savoir sur soi-même qui émerge soudainement de l'expérience et qui indique déjà la voie à suivre pour y donner du sens.

c. Le déséquilibre spirituel

Dans les propos qui précèdent, les déséquilibres évoqués sont relatifs à une expérience ou à un cumul d'expériences particulières. Toutefois, l'analyse des récits des sujets nous a conduit à déterminer une classe de déséquilibres qui ne se trouvent pas dans le cadre conceptuel, que l'on désignera comme des déséquilibres spirituels. Ceux-ci portent sur le sens de l'existence en lien avec ce qui la dépasse et ont une incidence sur l'ensemble du cheminement spirituel. Ces états de déstabilisation sont donc au cœur du cheminement spirituel et s'inscrivent dans ce que l'on pourrait appeler un «contexte subjectif», c'est-à-dire des circonstances déterminées par l'identité même du sujet, en relation avec autrui et ce qui le dépasse. Dans cette perspective, l'analyse a permis d'identifier trois contextes subjectifs de ces déséquilibres spirituels, soit la «quête», l'expérience et les savoirs reçus.

En effet, parmi ces déséquilibres, certains concernent des états de déstabilisation exprimés par les sujets en termes absolus, c'est-à-dire comme ayant toujours fait partie de leur existence ou remontant au plus jeune âge : «j'avais toujours cette quête-là d'équilibre, de bonheur, de bien-être, de paix intérieure (C 9)»; «J'ai toujours eu un grand besoin d'amour (F 357)»; «je me suis toujours sentie toute seule (E 68).» Ces déséquilibres sont alors considérés comme étant relatifs à la «quête», c'est-à-dire ce qui, en soi, est appel à quelque chose d'autre, à une transcendance, ou encore ce qui dépasse les situations concrètes de l'existence. Cette notion de quête s'inspire de l'«impératif ou la nécessité d'existence» que Roelens (1989) désigne comme l'inconnu ou l'autre en soi qui fait irruption dans l'expérience, provoquant une rupture. Toutefois, le terme «quête» est ici employé de manière analogique, moins dans la perspective de la recherche inconscience et agie de ce qui dans le sujet n'a pas encore été intégré (Roelens, 1989) que dans une recherche liée à son identité fondamentale, conscientisée comme ayant toujours fait partie de l'existence du sujet, sans considération pour les conditions concrètes ou sociales auxquelles elle se rattache. C'est pourquoi le terme «quête» sera employé ici avec des guillemets, pour marquer à la fois sa parenté avec l'expression employée par Roelens et le déplacement conceptuel qu'il opère.

Certains déséquilibres spirituels sont plutôt exprimés comme ayant été révélés ou éveillés par une expérience particulière, tout en dépassant le cadre particulier de cette expérience : par exemple, une urgence de vivre ou la recherche d'un sens à l'existence, un questionnement sur la vie — y a-t-il «quelqu'un qui m'écoute quelque part? (F 23)» — ou encore un sentiment de vide existentiel et religieux, etc. Ici, même provoqué par une expérience spécifique, l'état de déstabilisation la transcende, étant vécu par le sujet dans la perspective du sens de l'existence en lien avec ce qui la dépasse et ayant une portée sur toute la trajectoire spirituelle. Enfin, d'autres déséquilibres spirituels sont suscités par certains savoirs reçus, surtout religieux, qui sont d'emblée interprétés par le sujet comme n'ayant pas de sens ou n'apportant pas de réponse pour l'existence. À titre d'exemple, on peut évoquer des savoirs relatifs à la notion d'éternité ou à la vie éternelle, des savoirs reçus au catéchisme ou dans des cours de philo, ou, encore plus généralement, ce qui n'a pas de sens : «Quand je vous dis, quête de sens, c'est ça, des choses qui ne faisaient pas de sens (C 143).» Ces savoirs deviennent le contexte subjectif d'un déséquilibre spirituel, puisqu'ils provoquent un état de déstabilisation touchant les relations entre le sujet, autrui et la transcendance et que cet état de déséquilibre est interprété par les sujets comme ayant joué un rôle déterminant dans leur cheminement.

L'analyse de ces déséquilibres spirituels s'est attachée à un second point de vue, complémentaire au premier : il s'agit des formes dans lesquelles les déséquilibres spirituels se présentent, tel qu'illustré dans le tableau ci-dessous.

Tableau IX. Les déséquilibres spirituels

Formes de déséquilibres spirituelsExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Aspiration

  • Recherche d'équilibre, de bonheur, de bien-être, de paix intérieure (C 9)
  • Désir d'être aimé, accepté (D 97); besoin d'amour : «J'ai toujours eu un grand besoin d'amour (F 359)»
  • Besoin de se rattacher à quelqu'un (E 70)
  • Urgence de vivre (B 13)
  • Volonté de sortir de l'angoisse de la mort (D 60); volonté de vivre (D 61) : «un sursaut d'instinct de vie qui me fait dire : la vie a pas nécessairement à être comme ça (D 63)»
  • Recherche d'un sens à l'existence (D 59); recherche de sens provoquée par des savoirs religieux qui n'ont pas de sens (C 143)

Questionnement

  • Questionnement sur sa vie : «qu'est-ce que je fais encore ici [dans ce monde]? (E 137)»
  • Questionnement sur la vie : y a-t-il «quelqu'un qui m'écoute quelque part? (F 23)»
  • Questionnement angoissant sur la notion d'éternité (C 3, 4) par rapport à soi : «comment je vais être dans ça? (C 115)» ou en rapport à l'enfer (C 160)
  • Questionnement récurrent et angoissant sur la vie éternelle (D 195)
  • Questionnement angoissant sur la trinité (C 194)
  • Questionnement philosophique et existentiel lié au catéchisme (C 2)
  • Questionnement provoqué par les savoirs reçus dans les cours de philo (C 11)

Souffrance

  • Sentiment de solitude, d'abandon : «je me suis toujours sentie toute seule» (E 68)
  • Sentiment de vide existentiel et religieux (D 57)
  • Angoisse d'une mort pénible (D 192); peur de mourir enragé (D 55, 190); peur de mourir tout seul (199)

Chacune de ces formes de déséquilibres présentées dans ce tableau présente des caractéristiques distinctives, ainsi qu'une inscription particulière dans certains contextes subjectifs :

  1. L'aspiration est exprimée comme un élan, un mouvement de l'être vers ce qui est considéré comme étant essentiel à l'existence ou au fondement de celle-ci : un désir d'être aimé, une volonté de sortir de l'angoisse de la mort, un «sursaut d'instinct de vie (D 63)», un besoin de se rattacher à quelqu'un, etc. Ces aspirations se rattachent tantôt à la «quête», tantôt à une expérience les ayant mises au jour ou encore, pour un sujet, à des savoirs religieux qui, considérés dans leur globalité, sont considérés comme n'ayant pas de sens. On remarquera que ce qui est exprimé dans ces aspirations touche principalement au désir d'être aimé ou de se rattacher à quelqu'un, à l'enjeu de vie et de mort et à la recherche d'un sens.
  2. Le questionnement consiste en une interrogation existentielle ou en un ensemble de questions posées sur certains savoirs religieux ou spirituels qui n'apportent pas de réponse ou de sens pour l'existence, suscitant de l'inquiétude, voire de l'angoisse : «qu'est-ce que je fais encore ici? (E 137)», «comment je vais être dans ça [l'éternité ]? (C 115)», «[je me souvenais toujours de la parole de Jésus qui disait 'Je suis venu pour que vous ayez la vie en abondance'. (D 157)] Moi j'étais pas dans l'abondance, là, en tous cas sur le plan affectif, là, pantoute. Mais là, je me disais, à qui est-ce qu'il parle, quand il dit ça? Il parle-tu pour les autres, ou si je suis concerné aussi? Donc, cette interrogation-là finalement c'était jamais résolu, là, puis plus ça allait, plus j'étais dans le trou (D 159).» Il est intéressant de noter que les contextes subjectifs de ces questionnements sont soit une expérience particulière, soit un savoir plus ou moins spécifique, ayant suscité un déséquilibre spirituel les dépassant. La nature de ces déséquilibres explique peut-être que les sujets ne les aient pas exprimés comme ayant toujours fait partie de leur existence et qu'ils se soient davantage manifestés à l'âge adulte. En effet, ces déséquilibres font davantage appel à la dimension conceptuelle, même si la dimension affective est souvent fortement engagée dans les questionnements, se traduisant notamment par l'angoisse. Ils peuvent être interprétés à la lumière de ce que Tisdell (2002) évoque comme première caractéristique du développement spirituel, soit un processus en spirale qui consiste à questionner, à s'éloigner puis à revisiter l'héritage religieux et culturel reçu. Les questionnements relatés par les sujets s'inscrivent tout à fait dans cette perspective.
  3. La souffrance se manifeste comme un malaise, voire une douleur plus ou moins intense, reliés à ce qui est considéré comme étant essentiel à l'existence ou au fondement de celle-ci : un sentiment de solitude et d'abandon, un sentiment de vide spirituel et religieux ou encore l'angoisse liée à la mort. Cette forme de déséquilibre spirituel renvoie aux déséquilibres liés à une expérience, vécus comme détresse, rage ou désarroi : à l'instar de ces derniers, ce déséquilibre spirituel se manifeste par un sentiment intense de malaise ou de souffrance atteignant toutes les dimensions de l'existence. Ces déséquilibres se rattachent soit à la «quête», soit à une expérience l'ayant révélé, mais pas à des savoirs. Il s'agit ici d'une sorte de «mal de vivre» tantôt lié au besoin de se rattacher à quelqu'un ou d'être aimé, tantôt lié à l'enjeu de la vie et de la mort, à l'instar des aspirations.

Ces déséquilibres spirituels jouent un rôle particulièrement décisif dans les cheminements spirituels où ils ont été recensés. En effet, ils sont à considérer comme le principal moteur de ces cheminements, conduisant à des apprentissages transformateurs d'ordre spirituel, décrits en 5.2.3. («Résultats de l'apprentissage»). Plus encore que les déséquilibres directement liés à une ou plusieurs expériences, ces déséquilibres spirituels se sont manifestés sur une longue durée du cheminement ou de manière récurrente à plusieurs périodes de la vie. Ainsi, à la différence des déséquilibres présentés dans la section précédente, ces états de déstabilisation ont non seulement suscité un processus d'apprentissage particulier, mais ils sont exprimés comme ayant déclenché un grand processus dans lequel se sont inscrits les processus d'apprentissages particuliers, mus par la même aspiration, le même questionnement ou la même souffrance spirituels. Un sujet exprime ce phénomène en des termes très éloquents :

«mais ce que je peux dire c'est que, depuis que je suis très, très, très jeune, quand je dis très jeune, mon premier souvenir c'est cinq ans, donc il y a quelque chose, il y a un élan, il y a quelque chose de très, très profond chez moi pour chercher tout ça, pour mettre cet équilibre-là, puis bon aujourd'hui (...) cinquante ans après, c'est encore là, ça été je dirais mon chemin... j'ai été comme poussée à vivre ça, dans le sens, c'était de répondre à ce que je sentais. Il y a personne d'autre qui peut nous mettre sur le chemin d'une quête spirituelle ou quoi que ce soit, mais faut croire qu'il y avait un élan, il y avait un désir, il y avait une force, une attraction, je sais pas quel mot employer, qui m'a mis en chemin, qui m'a fait chercher, qui m'a fait fouiller, qui m'a fait persévérer, tout le temps, tout le temps. (C 212)»

d. Synthèse des résultats sur les déclencheurs d'apprentissage

Au terme de cet examen des déclencheurs d'apprentissage à partir du point de vue des personnes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique, on retient un certain nombre d'éléments de réponse, au regard des questions posées au départ de la recherche :

Les expériences considérées comme ayant une incidence sur le cheminement spirituel et qui ont déclenché un processus d'apprentissage ont donné lieu, d'une part, à des déséquilibres liés directement tantôt à l'une ou l'autre de ces expériences, tantôt à un cumul de circonstances et d'expériences. Dans ce contexte, on peut dire que expérience et déséquilibre sont les deux faces d'un même phénomène qui ont été décrites de manière différenciées dans une visée heuristique, mais qui ne sont pas distinctes dans les propos des sujets eux-mêmes. En effet, l'analyse a conduit à la description du déséquilibre en mettant davantage en évidence la dimension subjective qui se joue dans l'expérience, alors que la description de cette dernière s'est attachée surtout aux circonstances spatiales, temporelles et sociales. Or, si toutes ces dimensions se trouvaient présentes dans les propos des sujets, elles étaient souvent entremêlées, certaines étant implicites ou confuses, nécessitant un effort de clarification. Ainsi, l'analyse a permis de mieux mettre en évidence non seulement la dimension subjective qui se joue dans l'expérience, se manifestant dans des sentiments et des interprétations, mais aussi et surtout de décrire les états de déstabilisation auxquels elle donne lieu, tantôt en créant un inconfort ou un désir qui met le sujet en mouvement d'apprentissage après un temps plus ou moins long de vulnérabilité et d'errance, tantôt par une révélation qui aiguillonne déjà un processus d'apprentissage.

D'autre part, un certain nombre d'expériences ont donné lieu à des états de déstabilisation spirituels dont la portée s'est non seulement répercutée sur l'ensemble du cheminement spirituel, mais elle s'est inscrite dans la recherche d'un sens à l'existence, en lien avec ce qui la dépasse. Plus encore, les déséquilibres spirituels ont permis de considérer, comme déclencheurs de cheminement spirituel et d'apprentissage, des savoirs reçus dans l'éducation, surtout religieux, en plus des expériences particulières. En outre, chez certains sujets, on peut dire que les processus d'apprentissage particuliers ont été conduits dans une même direction par la «quête», c'est-à-dire ce qui, en soi, est un élan, une motion vers ce qui dépasse les situations concrètes de l'existence, un sens, une transcendance.

5.2.2 Les processus d'apprentissage

Le cadre conceptuel définit l'apprentissage comme le processus par lequel une personne s'engage dans un «travail» plus ou moins conscient et volontaire à partir de son expérience pour lui donner du sens, mobilisant le cadre de référence. Ce «travail» est considéré comme les opérations mentales effectuées par soi-même ou en interaction avec autrui, impliquant tantôt la réflexion ou la prise de conscience, tantôt la disponibilité ou la présence aux images et aux émotions. Dans cette foulée, la recherche envisageait apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : «Comment les sujets ont-ils composé avec les expériences importantes ou comment les personnes ont-elles résolu les crises ou les difficultés qui sont survenues?» «Sur quels savoirs les sujets se sont-ils appuyés dans le processus et quelles conditions ont favorisé ou nui aux apprentissages?»

L'analyse des données a permis de dégager six principales composantes du processus d'apprentissage, apportant sur celui-ci un point de vue plus détaillé : a) les motivations sous-jacentes au processus; b) les actions entreprises par les sujets; c) les opérations mentales mobilisées; d) les savoirs investis; e) les réactions subjectives ayant une incidence sur le processus d'apprentissage; f) les conditions d'apprentissage. Afin de mieux rendre compte des précisions apportées par le point de vue des sujets sur le processus d'apprentissage, celui-ci sera défini de façon préliminaire comme l'ensemble des opérations mobilisées ou des actions entreprises par la personne pour résoudre le déséquilibre déclenché et donner du sens à son expérience. Toutefois, à la suite de la présentation de ces six composantes du processus d'apprentissage, une synthèse permettra de proposer une définition plus complète, mettant en évidence l'articulation de ces composantes entre elles.

a. Les motivations sous-jacentes au processus d'apprentissage

L'analyse des données a conduit à identifier diverses expressions de ce qui pousse les sujets à s'engager dans un processus d'apprentissage, ou de ce qu'ils anticipent plus ou moins clairement comme résultats de ce processus. En effet, les motivations sous-jacentes au processus d'apprentissage se présentent sous sept formes, présentées dans le tableau ci-dessous, selon l'ordre décroissant du nombre d'occurrences de chacune dans l'ensemble du corpus.

Tableau X. Les motivations sous-jacentes au processus d'apprentissage

Formes de motivationsExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Motif

  • Tenter de comprendre, de faire du sens (C 14)
  • Comprendre son cheminement : «pour voir, qu'est-ce que j'ai pas compris... comment ça se fait que j'ai décroché, alors que dans le fond, j'ai tellement envie d'y croire (D 162)»; se comprendre, mettre de l'ordre dans son histoire (C 37)
  • Se rebâtir (D 64)
  • Rattraper le temps perdu par rapport aux relations avec les pairs (B 59)
  • Recherche d'une relation paternelle (B 61); trouver un modèle masculin (B 66)
  • Combler un manque de relations familiales (B 67)
  • Briser l'isolement (D 50)
  • Avoir du silence et de la paix (C 38)
  • Se sentir bien (A 39)
  • Passer du temps pour soi (C 58)

Décision

  • Entreprendre une démarche religieuse ou spirituelle : demander le baptême (A 40); s'inscrire à Nouveaux Espaces (C 85); accepter la démarche proposée par Nouveaux Espaces (D 52); entreprendre une démarche spirituelle (D 161); entreprendre un séjour à la communauté de la Famille Myriam (E 40); aller au monastère (F 287); poursuivre la préparation au mariage (F 281)
  • Entreprendre un stage en théologie (E 30)
  • Déposer une plainte à la police (E 100); choix du moment (E 106)
  • Suivre les conseils reçus (A 82)
  • Mettre un terme à une thérapie infructueuse (F 261)

Volonté

  • Rester jusqu'à la fin d'une rencontre du mouvement anonyme (C 168)
  • Ne pas répéter les expériences d'extase déjà vécues au monastère (F 291)
  • Vouloir la paix (F 262, 264)

Besoin

Besoins liés à une nécessité :

  • Autonomie (B 21); «Vivre sans le regard de mes parents (B 26)»; se détacher de la famille (B 88)
  • En finir avec la situation d'inceste : «pour moi c'était clair qu'il fallait que ça se règle, là, d'une façon ou d'une autre (E 109)»
  • Amour, acceptation : «j'étais aussi en terrible besoin d'amour, d'acceptation (D 65)»
  • Continuité de l'expérience de l'extase (vécue au monastère) dans la vie quotidienne : «Peu importe la forme que ça prenait, fallait que ça soit présent dans ma vie (F 208)»

Besoins liés à un désir :

  • Trouver un lieu ou une appartenance spirituelle : «Ben pour nourrir aussi ce désir de... revenir mais de revenir, mais je savais pas trop comment (...) j'avais besoin de... bon de parler, de partager, d'échanger (C 129).»
  • Vivre quelque chose de plus adapté à son âge d'adulte (C 130)
  • Revenir aux sources (spirituelles/religieuses) (D 155)
  • Être accompagnée (E 160), être interrogée par quelqu'un sur son cheminement (E 165), mettre dans des mots ce qu'elle sait de son cheminement (E 166)

Intention

  • «Je voulais faire une expérience de témoigner en groupe (...) je cherchais un endroit (B 3)»
  • «... je veux continuer un cheminement (C 69)»
  • «[je suis ressortie de cette semaine-là... je dirais avec l'impression d'avoir repris quelque chose, d'avoir repris un fil que... un genre de fil d'Ariane... (C 75)]... que je désire prendre puis continuer. Mais, je sais pas trop comment (C 76).»
  • «je voulais faire une démarche. J'avais aucune idée quelle sorte de démarche... puis... je savais pas exactement ce que je voulais, mais, bon» (D 3)

Objectif

  • Joindre une communauté existante (D 7), la Famille Myriam (E 41)
  • Voir l'affiche confectionnée au réveil (E 128)

Attente

  • Attente envers une personne appelée : qu'elle me donne une solution (A 31); qu'elle me dise quoi faire (A 79)
  • Attente envers la démarche commencée : «je voulais déboucher sur quelque chose de permanent (D 79)»

Ambition

  • Changer le monde avec la Société Théosophique, recruter des gens (F 96)

Sur chacune des formes que prennent les motivations recensées, on peut relever les observations suivantes :

  1. Les motifs, soit les raisons d'ordre psychologique directement liées à un agir, sont les plus nombreux : ainsi, les sujets peuvent s'engager dans un processus d'apprentissage pour se comprendre ou se rebâtir, pour comprendre son cheminement ou faire du sens, pour rattraper le temps perdu par rapport à aux relations avec des pairs ou chercher une relation paternelle, pour combler un manque relationnel ou briser la solitude, pour se sentir bien ou passer du temps pour soi, etc. Ces motifs sont invoqués en relation étroite avec une action ou une démarche entreprise, le plus souvent de nature religieuse ou spirituelle.
  2. Des sujets ont exprimé des motivations qui relèvent de la décision, soit le fait d'arrêter, de déterminer, de fixer une action ou un choix. Parmi les décisions évoquées, un certain nombre se rapportent à une démarche religieuse ou spirituelle à entreprendre : demander le baptême, accepter la démarche proposée par Nouveaux Espaces, aller au monastère, etc. D'autres décisions concernent des actions telles suivre les conseils reçus (prier), entreprendre un stage en théologie ou déposer une plainte à la police. Par contre, une décision concerne l'arrêt d'une action, soit mettre un terme à une thérapie conjugale infructueuse. Enfin, chez certains sujets, ce sont plutôt des expressions de la volonté qui sont exprimées, soit «ce que veut quelqu'un et qui tend à se traduire par une décision effective (Robert, 2006)» : ainsi la volonté de rester jusqu'à la fin d'une rencontre du mouvement anonyme après d'autres tentatives infructueuses, la volonté de ne pas répéter des expériences d'extase antérieures lors d'un séjour dans un nouveau monastère, ou encore le fait de vouloir la paix, associé à la décision de mettre fin à une démarche de thérapie conjugale vouée à l'échec.
  3. Legendre (2005) définit le besoin comme le «sentiment de nécessité ou de désir qu'éprouve une personne dans une réalité présente particulière au regard d'une situation différente qu'elle juge davantage souhaitable ou indispensable (Legendre, 2005, p. 165 : 3. Spéc.)». Les besoins répertoriés ont été classés selon qu'ils se rapportent davantage à une nécessité ou à un désir. Ainsi, ceux qui se rapportent à la nécessité concernent surtout les relations avec des proches, tels le besoin d'autonomie par rapport à la famille, ou le besoin d'en finir avec une relation incestueuse; par ailleurs, un sujet a exprimé un besoin lié à la dimension religieuse, soit celui de la continuité d'une expérience extatique dans la vie quotidienne, un besoin ressenti comme quelque chose de nécessaire, voire d'impérieux : «Peu importe la forme que ça prenait, fallait que ça soit présent dans ma vie (F 208)». Les besoins davantage exprimés en termes de désir sont tous liés à la dimension spirituelle ou religieuse, tels le désir de trouver un lieu ou une appartenance spirituelle, de vivre «quelque chose» qui soit plus adapté à son âge adulte, le besoin de revenir aux sources ou d'être accompagnée par quelqu'un. À la différence des motifs, qui sont directement liés aux actions entreprises, ou des décisions, liées à des actions à entreprendre, les besoins expriment davantage ce que les sujets projettent comme résultat ou aboutissement du processus d'apprentissage, sans que les actions à entreprendre ou les moyens d'y arriver ne soient encore clairement déterminés.
  4. L'analyse des données révèle l'expression d'un certain nombre d'intentions, c'est-à-dire le fait de se proposer un certain but, sans que les moyens ne soient clairement identifiés, tels, par exemple : l'intention de témoigner d'une expérience vécue à un groupe, alors que ni l'identité d'un tel groupe, ni la manière d'en trouver un ne sont déterminés; l'intention de poursuivre un cheminement, suite à une fin de semaine vécue dans un centre religieux, alors que les moyens de le faire restent flous; l'intention d'entreprendre une démarche spirituelle, sans avoir une idée claire du type de démarche ou même des objectifs poursuivis. Ainsi, ces intentions se comparent aux décisions par le fait qu'elles concernent une action à entreprendre, mais la volonté investie dans les intentions est moins ferme et les contours de l'action à entreprendre sont plus flous.
  5. Par ailleurs, un petit nombre d'objectifs ont été exprimés, traduisant un but précis à atteindre, par un moyen déterminé : ainsi, deux sujets ont entrepris des contacts avec un organisme religieux, ayant pour objectif de joindre une communauté; une personne a mentionné avoir posé sur le mur de sa chambre une affiche représentant ce qu'elle a retenu d'une expérience importante, afin de la voir au réveil.
  6. On trouve également la mention de deux attentes, tantôt envers la personne à qui le sujet s'est adressé («peut-être qu'elle va me donner un truc (A 31)»), tantôt envers la démarche commencée dans un organisme religieux («je voulais déboucher sur quelque chose de permanent (D 79)»). De telles attentes, investies dans une action entreprise, expriment «le fait de compter sur quelqu'un ou sur quelque chose (Robert, 2006)», afin que cette action produise le résultat souhaité.
  7. Enfin, une motivation s'exprime comme une ambition, que Legendre définit comme un «désir élevé qui semble hors d'atteinte (Legendre, 2005, p. 379 : «Désir»)» : en effet, un sujet a exprimé le désir de changer le monde et de recruter des gens, une ambition associée à son engagement sans réserve dans la Société Théosophique et qui, d'emblée, relève davantage d'un idéal ou d'une utopie, que d'un véritable objectif à atteindre.

En somme, les diverses expressions de ces motivations investies dans le processus d'apprentissage mettent en évidence que non seulement le processus d'apprentissage est déclenché par des expériences donnant lieu à des déséquilibres, mais qu'il est également conduit par un dynamisme subjectif plus ou moins fort, sans lequel le sujet peut rester dans une position passive de déséquilibre. Ainsi les motivations sont l'expression plus ou moins ferme de l'investissement du sujet dans le processus d'apprentissage, tantôt lié à une action entreprise ou à entreprendre, tantôt dirigé vers les résultats du processus, avec ou sans moyens clairs pour y arriver.

b. Les actions entreprises par les sujets dans le processus d'apprentissage

Plus concrètes et plus faciles à identifier, les actions entreprises pour résoudre le déséquilibre déclenché ou pour donner du sens à son expérience ont été évoquées avec éloquence, donnant lieu à une liste impressionnante, présentée dans le tableau XI suivant. Elles ont été classées selon qu'elles sont spécifiquement religieuses ou spirituelles ou non, les actions de nature religieuse ou spirituelle étant plus nombreuses que les autres.

Tableau XI. Les actions entreprises par les sujets dans le processus d'apprentissage

a) Les actions spécifiquement religieuses ou spirituelles

Actions spécifiquement religieuses ou spirituellesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Lire sur des sujets spirituels ou religieux.

  • Nombreuses lectures en général (B 75, C 14)
  • Lecture de revues : lecture de la revue chrétienne (A 70); Abonnement au Guide Ressources (revue québécoise sur la santé, la spiritualité alternatives) (C 32)
  • Lectures sur des sujets particuliers : la psychologie transpersonnelle (C 26), le nouvel âge (C 27), le zen, le bouddhisme (C 30), la spiritualité amérindienne (C 31), la méditation chrétienne (C 60), la spiritualité chrétienne (C 119); lecture de textes théosophiques (F 85, 89, 91).

Chercher des informations religieuses ou spirituelles par soi-même.

  • Fréquentation régulière de la librairie diocésaine (C 120)
  • Recherche de prières sur Internet (A 35)
  • Recherches sur Dom Guéranger (F 299)
  • Informations sur le taoïsme (C 21), la médecine parallèle (C 22)

Fréquenter un lieu religieux.

  • Fréquentation de l'église du quartier (A 38), de plusieurs églises (C 53)
  • Fréquentation de monastères (C 38); retraites au monastère ((B 52; F 178, 211, 290)
  • Fréquentation du centre œcuménique Unitas (C 58), souvent seule, les fins de semaine (C 66)

Fréquenter des personnes ou des groupes religieux.

  • Fréquentation de différents groupes religieux (B 60)
  • Fréquentation de religieux (B 68)
  • Fréquentation de Chemins de Vie (E 3)

Participer à des activités dans des organismes religieux ou spirituels.

  • Centre Unitas : certaines activités (C 65); activités de méditation (C 67); rencontres de recommençants (C 71)
  • Nouveaux Espaces : une rencontre de témoignage particulière (C 83); plusieurs rencontres de témoignages (C 86)
  • Famille Myriam (Montréal) : soirées de prière (E 39)
  • Monastères : fréquentation des offices lors de retraites (C 54, F 185)
  • Société Théosophique : rencontres (F 92)
  • Paroisse catholique : démarche de préparation au mariage (F 277)
  • Exploration de plusieurs démarches de croissance psychologique et spirituelle dans différents organismes (F 226)

Vivre un séjour dans une autre ville, dans un groupe religieux.

  • Départ pour les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) à Cologne (B 105)
  • Préparatifs et départ pour séjourner un mois dans la communauté de la Famille Myriam, sur la Côte-Nord (E 42)

Joindre un mouvement spirituel.

  • Fréquentation d'un mouvement anonyme (C 41, 163, 168)
  • Fréquentation de la DASA (fraternité de dépendants affectifs et sexuels) (D 25)
  • Intégration à la Société Théosophique (F 86)
  • Implication dans le groupe porteur de Nouveaux Espaces (C 90)

Produire un document.

  • Consignation d'une prière dans un journal de bord (E 65)
  • Projet d'écriture (écrire ses mémoires) (B 24)
  • Confection d'une affiche représentant une expérience importante (E 128)

Autres

  • S'adonner à un ensemble de pratiques de méditation au monastère (F 192)
  • Suivre des cours de yoga (C 19)

b) Les actions non spécifiquement religieuses ou spirituelles

Actions non spécifiquement religieuses ou spirituellesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Consulter un psychologue.

  • Fréquentes consultations psychologiques (D 137)
  • Fréquentation d'un psychologue pendant ±10 ans (E 154)
  • Thérapie (F 167)
  • Consultation d'un psychologue (F 153)

Demander conseil à quelqu'un.

  • Appel lancé à la belle-sœur du copain (A 26b)
  • Appel d'une amie (A 30)

Parler avec quelqu'un.

  • Conversation avec une personne inconnue dans un mouvement anonyme (C 171)
  • Question adressée à sa mère : pourquoi? (A 11); pourquoi tu ne crois pas? (A 23)

Procéder à des changements importants dans sa vie

  • Changement radical d'amis (B 16)
  • Partir (vivre) vers une autre ville ou à l'étranger (B 20, 87)

Entreprendre l'exploration de diverses voies.

  • Exploration de plusieurs domaines professionnels (B 73)
  • Exploration de diverses relations (amicales, sexuelles) (F 237)

Autres

  • Entreprendre diverses actions pour reconstruire sa santé (sports, taïchi) (B 15)
  • Achever ses études de cégep (B 17)
  • Déposer une plainte au poste de police (E 107)

À la lecture de cette liste d'actions entreprises, on remarque que parmi celles qui sont spécifiquement religieuses ou spirituelles, un bon nombre sont liées à la lecture et à la recherche d'informations. On remarque également que la moitié de ces actions centrées sur la recherche d'informations sont le fait d'un même sujet, permettant déjà de nuancer la place relative à accorder à ce type d'actions, par rapport à d'autres. Malgré cette nuance, on peut toutefois penser que certains sujets se sont d'abord dirigés vers une recherche conceptuelle de sens, pour comprendre, connaître, enrichir, voire ajouter de nouveaux savoirs. Or, cette abondance d'actions liées à la lecture et à la recherche d'informations est principalement liée à un contexte de solitude, voire d'isolement des sujets devant le besoin de comprendre et de connaître. Dans un tel contexte, lire et chercher des informations par soi-même révèle une prise en mains par le sujet de son apprentissage, par un moyen sur lequel le sujet peut avoir une emprise, malgré le dénuement auquel il fait face : «alors j'ai cheminé comme ça avec des lectures, parce que j'étais toute seule (C 121).»

Certaines actions se traduisent plutôt par la fréquentation de lieux tels l'église, un monastère ou un centre spirituel, ou par la fréquentation de personnes ou de groupes identifiés à la religion catholique. On peut penser que ces actions sont davantage dirigées vers la recherche de conditions favorables au processus d'apprentissage, soit un cadre, un soutien ou un modèle inspirant, que vers une activité d'apprentissage en tant que telle. Parmi elles, la fréquentation de lieux s'inscrit dans le même contexte de solitude que celui évoqué précédemment, à la différence que cette solitude est, cette fois, choisie plutôt que subie, tel que l'exprime Bernard : «parce que je suis pas à l'aise dans une église quand c'est plein de monde. Je suis pas à l'aise avec un prêtre, moi je suis à l'aise dans la solitude dans une église (B 53).»

Toutefois, un plus grand nombre encore d'actions se caractérisent par la participation à des activités formelles d'apprentissage de nature religieuse ou spirituelle, telles des rencontres de recommençants ou de témoignage, des soirées de prière, des offices religieux, une démarche de préparation au mariage, ou encore à un séjour dans une ville éloignée ou à l'étranger, au sein d'un groupe religieux. En outre, certains sujets disent avoir intégré un mouvement spirituel offrant tantôt des activités formelles, tantôt un lieu informel de solidarité et d'échanges, tels un mouvement anonyme, la Société Théosophique ou Nouveaux Espaces. Ainsi, on observe que les processus d'apprentissage sont fortement marqués par des activités formelles et que malgré une certaine diversité, les activités catholiques dominent. Ce constat est à relier avec le profil des sujets tracé dans la première section de ce chapitre. D'une part, la moitié d'entre eux avaient déjà entrepris depuis un bon moment une démarche d'éducation catholique, ce qui se reflète ici. D'autre part, cette démarche est loin d'être la première pour la plupart d'entre eux, ce que l'on voit plus clairement dans les actions décrites plus haut. Ainsi, on peut dire que, en plus des efforts d'autoformation spirituelle ou religieuse déployés par les sujets, la recherche d'activités plus ou moins formelles de formation traduit l'importance, voire la nécessité, pour les sujets, de se donner des conditions et un cadre favorable aux apprentissages.

Parmi les actions qui ne sont pas spécifiquement spirituelles ou religieuses, plusieurs se caractérisent par la relation avec une personne, surtout liée à un besoin d'aide, soit la consultation d'un ou une psychologue ou le fait de demander conseil à quelqu'un. À l'instar des actions de nature religieuse ou spirituelle évoquées précédemment, ces divers moyens traduisent, du point de vue des sujets, le caractère éminemment social et interactif, voire dialogique de l'apprentissage, même dans un cadre informel, ce que Mezirow a déjà contribué à mettre en lumière. Par ailleurs, certains sujets évoquent plutôt une série d'actions entreprises, les unes relevant de l'exploration de plusieurs domaines professionnels ou de diverses relations, les autres regroupant des changements liés au lieu de vie, aux relations d'amitié, à l'ensemble de sa vie ou au lieu géographique. Ce type d'actions montre que si la dimension sociale ou interactive de l'apprentissage se manifeste de manière dialogique, dans la conversation avec quelqu'un, elle peut également se manifester dans des comportements.

c. Les opérations mentales mobilisées dans le processus d'apprentissage

Tel qu'anticipé dans le cadre conceptuel, l'analyse des données révèle des opérations mentales mobilisées dans le processus d'apprentissage, seul ou en interaction avec d'autres. Ces dernières sont davantage développées par les sujets, sans doute en raison du caractère plus explicite de l'interaction avec autrui mais également en raison de l'importance des interrelations dans les actions entreprises. Rappelons que les opérations mentales sont définies comme étant le «travail» de l'esprit plus ou moins conscient ou volontaire, par lequel une personne s'engage dans la confrontation à son expérience pour lui donner du sens. Ce «travail» s'effectue à partir du cadre de référence de la personne, seule ou en interaction avec d'autres, impliquant tantôt des fonctions conceptuelles ou cognitives, tantôt des fonctions psychologiques ou spirituelles.

Tableau XII. Les opérations mentales mobilisées dans le processus d'apprentissage

a) Les opérations mentales mobilisées seul (introspection)

Opérations mentales mobilisées seul (introspection)Exemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Opérations faisant appel à des fonctions conceptuelles ou cognitives

  • Écouter des messages livrés à l'église (A 62)
  • Réfléchir : faire le point sur sa conduite et ses attitudes (A 93); réfléchir sur son passé et sur ce qui a conduit à l'expérience présente (A 42)
  • Observer ce qui se passe dans la réunion d'un mouvement anonyme (C 169)

Opérations faisant appel à des fonctions psychologiques ou spirituelles

«Travail» surtout psychologique :

  • Porter attention aux émotions vécues dans la détresse (A 36)
  • Se confronter, se remettre en question (B 44)
  • Se regarder sans mensonge (D 112); regard lucide sur soi-même (D 175)
  • Attention aux rêves (F 175)
  • Se recentrer sur ses convictions et ses motivations (F 278)

«Travail» surtout spirituel ou religieux :

  • Répéter des prières chaque soir avant de dormir (A 37)
  • Formuler des prières et des pensées positives pour soi-même : se parler (B 23)
  • Méditer, intérioriser : succession de prières, pensées, émotions (F 189, 190)
  • Se concentrer sur le silence pour calmer les pensées, les émotions (F 191); prière par le silence (F 186)

b) Les opérations mentales mobilisées en interaction avec d'autres

Opérations mentales mobilisées en interaction avec d'autresExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Opérations faisant appel à des fonctions conceptuelles ou cognitives

En relation avec une personne :

  • Discuter du projet de demander le baptême avec d'autres personnes (accompagnatrice, amie croyante) (A 66)
  • En thérapie, faire des liens entre la foi et l'expérience vécue (E 155)

Dans une démarche de groupe :

  • Déconstruire des représentations de Dieu (D 87) : «on a regardé comment on avait bâti l'idée de Dieu dans nos vies (D 88) puis là on l'a confrontée (D 89)»
  • Transformer l'image de Dieu reçue de l'enfance (juge) en image de Dieu amour (C 147)

Opérations faisant appel à des fonctions psychologiques ou spirituelles

En relation avec une personne :

  • Exprimer de la détresse à la belle-sœur du copain (A 27)
  • Exprimer des motivations : à des proches de la famille, exprimer le projet de demander le baptême (A 67); en thérapie, exprimer sa volonté de mettre un terme aux comportements compulsifs (D 84)
  • Raconter : ses rêves à un psychologue (F 177); une expérience à son accompagnatrice spirituelle (E 20)
  • En thérapie, aborder de front la dépendance sexuelle (D 24)
  • En thérapie, se «prendre avec compassion» (D 92)

Dans une démarche de groupe :

  • Exprimer, en groupe, ses blessures, ce qui a conduit à s'éloigner de la religion : «c'est vraiment un débroussaillage, là, on fait sortir le méchant (C 88)»
  • Parler de soi («me dire») à d'autres membres du groupe anonyme (D 176)
  • Attention à soi (introspection) dans trois démarches concomitantes avec d'autres : «Dans les trois endroits, je suis parti de moi, aujourd'hui, à cette époque-ci de ma vie. Qu'est-ce que je ressens? Quelles sont mes conceptions? Qu'est-ce que je veux? C'est quoi mes combats? C'est quoi mes limites? C'est quoi mes échecs? Donc on partait de moi (D 101).»
  • Au contact des membres d'un mouvement anonyme, se rendre compte, à propos de soi-même : «j'en arrache comme tout le monde (C 44)»
  • Dans une démarche, abandonner ses résistances envers le groupe (D 181)
  • Avec le groupe DASA, remettre sa vie à une puissance supérieure (D 93)

Parmi les opérations mentales introspectives, un petit nombre fait appel à des fonctions plus spécifiquement conceptuelles ou cognitives, impliquant surtout la réflexion : écouter des messages livrés à l'église, faire le point sur sa conduite et ses attitudes ou dresser un bilan des moments difficiles de sa vie; l'observation de ce qui se passe au cours d'une réunion s'est également avérée une opération mentale permettant de mieux comprendre et de vaincre des résistances. Toutefois, un plus grand nombre de ces opérations introspectives mobilisent des fonctions tantôt psychologiques, tantôt spirituelles. Ainsi, d'une part, porter attention aux émotions vécues dans la détresse, se confronter et se remettre en question, porter un regard lucide sur soi ou se recentrer sur ses convictions et ses motivations, relèvent surtout d'un travail psychologique. D'autre part, le travail évoqué comme étant surtout spirituel ou religieux se manifeste sous différentes formes de prière, qui peuvent également intégrer une fonction psychologique d'apaisement (répéter des prières avant de dormir, formuler des prières et des pensées positives pour soi-même), voire de concentration, intégrant le spirituel, le conceptuel et le psychologique (méditer dans une succession de prières, de pensées et d'émotions ou se concentrer sur le silence).

Les opérations mentales mobilisées en interaction avec une personne ou avec un groupe sont davantage explicitées par les sujets. Parmi les expressions recueillies, on trouve des opérations mobilisant des fonctions conceptuelles ou cognitives, mais en moins grand nombre que celles touchant la dimension psychologique ou spirituelle. En effet, deux opérations d'ordre plutôt conceptuel sont mentionnées en interaction avec une personne, soit discuter d'un projet de demander le baptême avec des personnes de son entourage, tantôt avec une amie, tantôt avec une accompagnatrice et faire des liens entre la foi et l'expérience vécue en thérapie. Il est intéressant de noter que ces opérations, classées comme faisant appel à des fonctions d'ordre conceptuel, portent toutes deux sur des contenus à teneur religieuse pour l'un, ou spirituelle, pour l'autre. Deux autres opérations du même ordre ont été mobilisées en groupe et portent également sur des contenus religieux : déconstruire ses représentations de Dieu et transformer une image négative de Dieu reçue dans l'enfance en image positive.

Plus nombreuses sont les opérations mobilisées en interaction avec autrui et faisant appel à la dimension psychologique ou spirituelle. D'une part, en relation avec un membre de la famille, un psychologue ou une accompagnatrice spirituelle, les sujets mentionnent des opérations qui relèvent tantôt de l'expression — exprimer des sentiments (détresse), faire part de ses motivations (projet de demander le baptême ou volonté de mettre un terme à des comportements compulsifs), raconter des rêves ou une expérience —, tantôt de l'attention portée à soi ou du regard porté sur soi — aborder de front la dépendance sexuelle ou se «prendre avec compassion». La plupart de ces opérations ne portent pas directement sur un contenu religieux ou spirituel, à l'exception de deux, où la dimension psychologique peut également intégrer la dimension spirituelle ou religieuse. D'autre part, des opérations sont évoquées en interaction avec un groupe, dans le cadre d'une démarche formelle : exprimer en groupe ses blessures religieuses, parler de soi à d'autres membres d'un groupe, vivre plusieurs démarches concomitantes permettant une introspection (conscientisation de plusieurs aspects de soi et de sa vie), se rendre compte de ses difficultés personnelles ou abandonner ses résistances, remettre sa vie à une puissance supérieure. Si la plupart de ces opérations font davantage appel à des fonctions psychologiques portant sur des souffrances ou des difficultés liées à soi, cette dernière implique une relation de soi à une transcendance, rejoignant plus explicitement la dimension spirituelle.

Dans la foulée du cadre conceptuel, le travail dans lequel s'engagent les sujets pour donner du sens à leurs expériences fait appel à des fonctions cognitives et conceptuelles, ainsi qu'à des fonctions psychologiques et spirituelles, désignées comme le «travail de l'âme». Toutefois, on remarque une certaine insistance sur ces dernières auxquelles les sujets semblent avoir eu davantage recours pour les apprentissages. Ce «travail de l'âme» domine-t-il en raison de la relation qui est faite entre les processus d'apprentissage et le cheminement spirituel? D'une part, une telle interprétation peut mettre en évidence le fait que, dans le cadre d'un cheminement spirituel, donner du sens à son expérience s'avère non seulement une entreprise pour comprendre son expérience, enrichissant ses savoirs ou transformant son cadre de référence, mais également, sinon davantage, une entreprise par laquelle les sujets tentent de se relier à autrui et à ce qui les dépasse, et que pour cela, ils ne peuvent se soustraire à un travail sur eux-mêmes, sur leur propre identité. D'ailleurs, les opérations relevant du «travail de l'âme» ne pouvaient pas toujours être départagées entre le travail spirituel et le travail psychologique, l'un et l'autre se superposant souvent, surtout dans les opérations menées en interaction avec d'autres. D'autre part, les opérations relevant de fonctions cognitives ou conceptuelles ne sont pas à comprendre comme de pures opérations rationnelles, puisque, dans le travail sur les représentations de Dieu, notamment, mais également celui de faire le point sur sa conduite et ses attitudes, ce travail réflexif implique également la dimension affective et psychologique. Ainsi, si pour des besoins d'analyse il a fallu départager les opérations en catégories selon leurs caractéristiques, celles-ci ont été mobilisées, chez les sujets, en intégrant souvent le rationnel et l'irrationnel, le conscient et l'inconscient, le volontaire et l'involontaire.

d. Les savoirs investis dans le processus d'apprentissage

Le processus d'apprentissage s'appuie sur le cadre de référence de la personne, qui est le lieu à partir duquel s'élaborent de nouvelles significations ou se réorganisent les acquis. Plus accessibles à la conscience, certains savoirs ont été identifiés par les sujets, soit ce qui a été intégré des expériences antérieures ou de la socialisation et qui a été mobilisé dans le processus d'apprentissage. Ces savoirs sont principalement liés à l'image de soi ou aux perceptions de sa personnalité; d'autres sont d'ordre spirituel, c'est-à-dire qu'ils impliquent la relation avec une transcendance — croyance en un être suprême ou en Dieu, soif d'une relation avec Dieu — ou d'ordre conceptuel, se traduisant notamment en des représentations de la puissance supérieure ou de Dieu, des idées sur la signification du mariage religieux, sur la complexité de l'être humain ou sur les vertus du silence, des vues sur la présence de la psychologie dans l'accompagnement spirituel; certains savoirs sont dirigés vers une personne ou un groupe, sous forme d'une hypothèse sur les compétences d'une personne à qui un conseil sera demandé, un préjugé défavorable sur les membres du groupe anonyme ou une idée préconçue sur l'organisme contacté pour une démarche spirituelle; d'autres se présentent comme des savoirs informatifs, tels la connaissance d'une prière ou le souvenir d'une parole de Jésus. Enfin, un savoir pratique ou d'ordre comportemental porte sur des mécanismes pour résoudre des conflits dans la relation de couple. Le tableau XIII (pages suivantes), donne un aperçu de ces différents savoirs mobilisés dans le processus d'apprentissage, mettant en évidence ceux qui impliquent la dimension religieuse (r).

Tableau XIII. Les savoirs investis dans le processus d'apprentissage

Types de savoirsExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Savoirs sur soi

Savoirs sur soi diffus ou intuitifs :

  • Savoir diffus sur ses comportements compulsifs : «Tout ce que je savais c'était que c'était intense, que quand ça me pognait, là, je pouvais plus m'arrêter, mais qu'en même temps, que quand c'était fini je me disais ben je recommencerais pas, ça vaut pas la peine, ça donne rien (D 169).»
  • Contenus des rêves : «et mes rêves me racontaient des choses aussi, assez curieuses, des choses qui parlaient de moi, des espèces on dirait d'expériences initiatiques en rêve, qui me questionnaient, puis qui me donnaient des enseignements, si on veut, des compréhensions plus intuitives que dans ma tête (F 176)»
  • Mauvaise estime de soi : «j'avais pas une très bonne relation avec moi-même, au début (D 78)»

Perceptions de soi ou de sa personnalité :

  • (r) À l'aise dans la solitude d'une église (B 53)
  • «j'ai toujours été quelqu'un de curieux (E 163)»
  • «Moi je suis très bon... pour m'intégrer dans quelque chose qui existe déjà (D 73).»
  • «MOI, je suis éduquée, MOI, j'ai deux bacc. MOI, j'ai une maîtrise, Moi, j'ai lu, moimoimoimoi (C 43)»
  • Différences entre sa famille et soi : «c'était trop dans une zone de confort, c'était pas mes valeurs à moi tout à fait, c'était pas ma façon de voir, c'était pas... c'était pas Bernard (B 89)»

Savoirs d'ordre conceptuel

  • (r) Représentation de la puissance supérieure : «pour moi, c'est Dieu (D 94)»
  • (r) Représentation de Dieu : «[le silence est] comme une caractéristique de Dieu, qui est immuable, toujours présente, qui contient tout (F 188).»
  • (r) Significations du mariage religieux : «c'est devant Dieu que je me marie, c'est pas devant les hommes (F 279)»
  • Complexité de l'être humain (C 24)
  • Vertus (qualités, pouvoirs) du silence (F 187)
  • Présence de la psychologie dans l'accompagnement spirituel (E 164)

Savoirs d'ordre spirituel

  • Croyance en un Etre suprême, une force suprême (C 33)
  • (r) Croyance en Dieu, même si ce n'est pas présent concrètement dans sa vie (C 52)
  • (r) Soif d'une relation avec Dieu : «Puis je sais pas un moment donné, je me suis dit mais la seule chose que je traîne, d'une époque à une autre de ma vie, sur le mode positif ou sur le mode négatif, c'est quand même cette soif d'une relation avec Dieu, puis avec d'autres personnes qui disent croire en Dieu. Mais au départ, c'était plus une relation avec Dieu. Et... parce que je pense que c'est tout ce qui restait. Je pense que c'est ce qui... j'ai jamais pensé à ça en ces termes-là, hein, mais je pense que véritablement c'était la chose à laquelle je me suis agrippé (D 156)»

Savoirs diffus, concernant une personne ou un groupe

  • Hypothèse sur la compétence de la belle-sœur à donner un conseil : «En fait, je me suis adressée à elle parce que je me suis dit elle vit avec lui, avec mon copain, parce qu'ils habitent dans la même maison, elle vit avec lui, elle le connaît, elle va peut-être savoir, c'est dans ce sens-là, elle va peut-être savoir quoi me dire quoi faire (A 78)»
  • Préjugés envers les membres du mouvement anonyme (C 42)
  • Idée préconçue sur l'organisme contacté (D 72)

Savoirs informatifs

  • (r) Connaissance d'une seule prière (A 34)
  • (r) Souvenir d'une parole de Jésus (D 160)

Savoir pratique ou d'ordre comportemental

  • Mécanismes de résolution des conflits dans la relation de couple (F 266)

Savoirs impliquant la dimension religieuse (r)

Les savoirs sur soi étant les plus nombreux à être évoqués par les sujets, on peut supposer que de tels savoirs soient davantage impliqués dans des processus d'apprentissage relatifs à un cheminement spirituel, impliquant une recherche de mieux-être ou une attention particulière portée sur soi ou son identité. Toutefois, si ces savoirs ont été plus spontanément évoqués, on peut également supposer qu'ils sont plus facilement repérables ou davantage conscientisés par les sujets. Quoiqu'il en soit, si l'on regarde les choses dans leur ensemble, on retient que les savoirs mobilisés dans les processus d'apprentissage sont liés à soi, aux idées et représentations dont plusieurs portent sur la dimension religieuse, à la relation avec une transcendance et avec autrui.

Une observation sur le rôle de ces différents savoirs dans le processus d'apprentissage mérite d'être soulignée. En effet, si la plupart de ces savoirs ont joué un rôle positif dans le processus d'apprentissage, c'est-à-dire qu'ils ont contribué à faire avancer le processus, certains l'ont freiné ou se sont révélés insuffisants, voire un obstacle à surmonter. Ces savoirs problématiques se retrouvent notamment parmi les savoirs sur soi, telle l'image négative de soi évoquée plus haut; en outre, une perception de soi comme d'une personne éduquée, associée à des préjugés négatifs sur les membres d'un groupe anonyme (savoir concernant une personne ou un groupe évoqué plus haut), a constitué un frein au processus d'apprentissage pendant un certain temps. Parmi les savoirs informatifs, la connaissance d'une prière s'est révélée être un savoir insuffisant pour le processus d'apprentissage, tout en étant un point de départ : «là je me suis dit mais tu sais je connais une seule prière c'est plate (A 34).»

En outre, il est intéressant de noter que parmi ces savoirs, un certain nombre sont diffus, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas tout à fait conscientisés par les sujets, se rapprochant d'intuitions, d'impressions jouant tout de même un rôle dans le processus d'apprentissage. Ces savoirs diffus sont parfois relatifs au sujet lui-même, concernant un comportement compulsif, le contenu de rêves ou une image négative de soi; les autres concernent tous une personne ou un groupe, soit les savoirs évoqués plus haut dévoilant une hypothèse sur les compétences de quelqu'un, un préjugé défavorable sur un groupe ou une idée préconçue sur un organisme. Ainsi, la présence de tels savoirs et le nombre relativement restreint des savoirs qui ont été explicitement mentionnés, montrent que le processus d'apprentissage s'appuie à la fois sur des savoirs identifiables, voire précis en certains cas, et sur des savoirs difficiles à repérer par les sujets, voire mobilisés à leur insu.

e. Les réactions subjectives ayant une incidence sur le processus d'apprentissage

Les récits que les sujets ont livrés des processus d'apprentissage ayant marqué leur cheminement spirituel sont truffés de détails sur les réactions subjectives qui ont ponctué ces processus. Ces réactions subjectives sont les réponses des sujets au processus d'apprentissage lui-même, soit ce qu'ils ressentent, pensent ou éprouvent au cours de l'apprentissage et qui a une incidence sur la suite du processus. Le tableau XIV (page suivante) présente ces réactions subjectives selon leur incidence sur le processus, soit une incidence positive, c'est-à-dire donnant un élan ou activant davantage le processus, ou une incidence négative, freinant le processus.

Tableau XIV. Les réactions subjectives ayant une incidence sur le processus d'apprentissage

Types de réactions subjectives selon leur incidence sur le processus d'apprentissageExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Réactions subjectives activant le processus

  • Interprétation de la similitude entre deux conseils reçus : un signe (A 82)
  • Interprétation du message livré à l'église : un exemple à suivre (A 64)
  • Signification des démarches entreprises : «Je me dis ben oui, ça me parle (D 109)»; signification de la proposition du psychologue : «Ça fait du sens (F 174).»
  • Assentiment à une croyance en la puissance supérieure véhiculée dans le mouvement anonyme fréquenté (C 51)
  • Vif intérêt suscité par le premier contact avec la Société Théosophique (F 82); intérêt, curiosité à l'égard de la méditation chrétienne (C 59)
  • Sentiment d'être à l'aise, d'être à sa place dans les démarches entreprises (D 108)
  • Investissement personnel très important dans la Société Théosophique (F 97); dans l'Ordre de la Table Ronde (F 123)
  • Forte identification au professeur d'éducation physique (F 68)
  • Sensibilité à l'encens, à la beauté d'une église (C 53); sensibilité au chant grégorien et aux chants religieux en général (C 54)
  • Réaction dubitative devant un conseil donné par la belle-sœur (A 29)

Réactions subjectives freinant le processus

  • Résistances à une démarche se traduisant dans des délais : délai de trois à quatre mois entre la connaissance de DASA et la participation à une première réunion (D 173); décalage d'une année avant d'entrer dans la démarche proposée par Nouveaux Espaces (D 178); résistances très fortes au premier contact avec le mouvement anonyme (C 162)
  • Difficulté de faire confiance à des inconnus aux premiers contacts avec Nouveaux Espaces (D 76); appréhensions sur l'accueil que le groupe réserverait à ses propos (D 77)
  • Difficulté, au début des démarches entreprises, à se regarder tel (D 113); incapacité à reconnaître la dépendance affective et sexuelle, en début de thérapie (D 168)
  • Scrupules sur la persistance des comportements compulsifs alors que s'amorce une démarche spirituelle (D 179)
  • Incertitude quant à ce qui va se passer dans un monastère inconnu (F 292)
  • Méprise sur l'organisme à qui il s'adresse pour entreprendre une démarche spirituelle (D 6); déception par rapport à la démarche proposée (D 7); questionnement sur la pertinence de la démarche proposée (D 82)

Réaction subjective déclenchant un déséquilibre

  • Grande difficulté à partir du monastère : «Après trois jours je voulais plus partir de là. Je serais resté là (F 193)»

Les réactions subjectives sont au cœur de l'interaction des sujets avec les personnes, les groupes ou les organismes qui sont mis à contribution dans le processus

d'apprentissage, soit par les actions entreprises par les sujets, soit par les conditions favorables ou défavorables qui déterminent l'apprentissage. Les réponses ayant une incidence positive sur le processus relèvent, pour une part, de l'interprétation qui est donnée à l'intervention de personnes — des conseils reçus, une proposition faite par le psychologue — ou à des démarches entreprises, qui sont reçues par le sujet tantôt comme un signe ou un exemple à suivre, tantôt comme quelque chose qui fait du sens, qui parle, investissant ainsi une plus grande motivation dans le processus d'apprentissage. D'autres réactions positives se manifestent par l'assentiment, l'intérêt ou le sentiment d'aise que suscitent un groupe ou une activité et qui incitent à poursuivre le processus d'apprentissage. Un certain nombre s'expriment comme le prolongement ou l'écho d'un trait de personnalité — la sensibilité à la beauté d'une église ou aux chants religieux — voire de l'identité du sujet, tels l'investissement personnel très important dans un organisme ou l'identification forte à une personne incarnant une figure paternelle, une idole. Enfin, une réaction dubitative à un conseil reçu a une incidence positive sur le processus, le relançant par une deuxième action.

Les réactions subjectives ayant une incidence négative se manifestent, d'une part, par des résistances ou des difficultés liées à l'image de soi, en relation avec d'autres. Par exemple, les résistances à une démarche se traduisant par le temps écoulé entre les premiers contacts et le début d'une démarche, les résistances manifestées au premier contact d'un groupe, la difficulté de faire confiance à des inconnus et les appréhensions sur l'accueil réservé par le groupe. D'autres difficultés liées à l'image de soi se manifestent dans la relation avec soi-même, c'est-à-dire le regard porté sur soi, l'incapacité à reconnaître une dépendance ou les scrupules sur la persistance de comportements compulsifs, difficultés qui peuvent constituer un frein, voire un obstacle à l'apprentissage. D'autre part, certaines réactions subjectives impliquent une représentation ou une image que le sujet s'est forgée de l'organisme contacté ou de la démarche proposée, provoquant de l'incertitude, une méprise, de la déception ou un questionnement. Ces réactions subjectives, si elles ont eu une incidence négative sur le processus d'apprentissage, n'ont toutefois pas bloqué ou entravé celui-ci à long terme : tôt ou tard, les sujets ont réussi à surmonter les difficultés, soit avec l'aide de quelqu'un, soit avec un recul permettant de mettre les difficultés en perspective, ou encore poussés par la situation de déséquilibre dans laquelle ils étaient toujours et qui appelait une solution, coûte que coûte.

Se présentant différemment des autres, une réaction a eu pour effet de déclencher un nouveau déséquilibre, interrompant en quelque sorte ce processus d'apprentissage, ou, plus précisément, le conduisant vers une autre direction. En effet, cette réaction est d'abord une réponse positive au processus en cours : le séjour au monastère, commencé difficilement, a finalement produit un effet de bien-être et d'apaisement chez le sujet. Mais cet effet apaisant a paradoxalement provoqué une réaction de panique chez le sujet, lorsque est venu le moment de quitter le monastère, conduisant à une remise en question de ses choix de vie : un nouveau déséquilibre était déclenché, suivi d'une expérience d'extase qui réorientera le processus d'apprentissage.

Cette réaction, à l'instar des autres, illustre le caractère dynamique du processus d'apprentissage, dans lequel se joue une interaction constante entre, d'une part, les motivations, les actions, les opérations et les savoirs que le sujet investit plus ou moins volontairement ou consciemment dans le processus, et d'autre part les émotions, les sentiments et les interprétations qui sont à la fois suscités et investis dans le processus, tantôt le relançant, tantôt le ralentissant ou le réorientant.

f. Les conditions d'apprentissage

D'emblée, le cadre conceptuel avait formulé une question portant sur les conditions de l'apprentissage, soit l'ensemble des circonstances concrètes ou sociales qui exercent une influence favorable ou défavorable sur le processus d'apprentissage. L'analyse des données révèle que les conditions favorables se démarquent nettement des circonstances défavorables par leur nombre et leur diversité, ce à quoi on pouvait s'attendre, puisqu'il s'agit ici de processus ayant effectivement conduit à des apprentissages. À l'instar des réactions subjectives, toutefois, il est intéressant de noter que, même si les processus dont il s'agit ont bénéficié de conditions permettant leur dénouement positif, des difficultés et des entraves se sont tout de même présentées. Ainsi, en plus des motivations et de l'investissement subjectif des sujets dans l'apprentissage, celui-ci est en partie déterminé par l'environnement dans lequel il se déroule et celui-ci peut tantôt le faciliter ou le stimuler, tantôt le gêner, voire le contrecarrer. Le tableau XV rend compte des différentes catégories de conditions qui ont jalonné les processus d'apprentissage.

Tableau XV. Les conditions d'apprentissage

a) Les conditions favorables

Conditions favorablesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Intervention de personnes

  • Établissement d'un contact ou d'un lien avec un organisme religieux : proposition de l'animateur d'une maison d'art-thérapie (B 2); invitation à une rencontre de témoignage par la cuisinière du Centre œcuménique Unitas (C 81); suggestion de la superviseure de stages (E 5), de l'accompagnatrice spirituelle (E 38); influence du professeur d'éducation physique du secondaire (F 76); contact par la thérapeute (D 172); suggestion du psychologue (F 170, 173); invitation par une cliente (C 57)
  • Établissement, par la première thérapeute, d'un contact avec une ressource psychologique plus adéquate : thérapeute actuelle (D 171)
  • Conseils : donné par la belle sœur du copain (A 28, 77), par l'amie consultée (A 32); conseil de l'accompagnatrice spirituelle (E 20)
  • Soutien du père et de la belle-mère (A 68)
  • Accompagnement spirituel (E 7, 8)
  • Réponse adéquate de la responsable de Nouveaux Espaces : «[elle] a perçu mon besoin (D 4)»
  • Reconnaissance, par la/le psychologue : de la volonté d'entreprendre une démarche spirituelle : «validation de mon désir de rapprochement (D 5)»; de la maturité psychologique du sujet (E 157); d'un besoin spirituel (F 171)
  • Intervention d'enseignants (F 58); intervention déterminante du professeur d'éducation physique : «qui m'a sauvé la vie, psychologiquement j'entends (F 59)»; perspicacité par rapport à un besoin (F 63), «adoption» (F 64); sollicitude sans jugement (F 73)
  • Abonnement à une revue chrétienne par la belle-mère (A 69)

Image ou exemple donné par une personne

  • Exemple de vie réussie donné par la belle-sœur du copain (A 76)
  • Divers aspects de la personnalité du professeur d'éducation physique : intérêt pour le plein air (F 60), relationnel (F 61), vécu spirituel (F 62)
  • Figure paternelle du professeur d'éducation physique (F 65)
  • Personne vue lors de la rencontre du mouvement anonyme : «puis là j'ai vu une personne. Puis j'ai dit bon elle, elle a l'air intelligente. Elle a l'air tu sais, pas je veux pas dire elle a l'air intelligente! (rire) mais je l'avais entendue parler, j'ai dit elle a l'air rebelle, elle a l'air, j'ai dit elle à l'air à me ressembler, elle (C 170).»
  • Image positive du prêtre qui a accompagné la préparation au mariage (F 282); image positive du prêtre directeur du centre Unitas (C 63, 204)
  • Modèle donné par des accompagnateurs et accompagnatrices religieux (B 68)
  • Amie religieuse ayant une accompagnatrice spirituelle (E 161)

Contextes

  • Lieu propice : Montréal (B 74)
  • Durée favorable : un an de thérapie avant d'être capable de reconnaître sa dépendance affective (D 170); une année à DASA avant de s'y sentir bien (D 174)
  • Contexte professionnel riche en contacts humains (C 55)
  • Imposition d'un suivi psychologique à la maison d'hébergement (E 153)
  • Similitudes et simultanéité entre trois démarches (D 90)
  • Acceptation du groupe DASA (D 177); création de liens avec les gens à Nouveaux Espaces (D 180)

Démarches, activités

  • Existence de rencontres ou groupes pour les recommençants (C 70, 84, 87)
  • Efficacité de la démarche proposée à Nouveaux Espaces : «puis l'expérience a montré qu'elle m'a proposé un outil qui fonctionne (D 66)»; efficacité de l'accompagnement spirituel (E 172)
  • Activités ou aspects particuliers des démarches proposées par un organisme religieux ou spirituel : «on a plein de formules, pour des petits pep talks (D 231)»; invitation à se confier à Marie (E 63); activités et textes proposés par la Société Théosophique (F 93, 121); rituels de l'Ordre de la Table ronde dans la Société Théosophique (F 122)

b) Les conditions défavorables

Conditions défavorablesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Contextes relationnels difficiles

  • Trop grande proximité de l'accompagnatrice spirituelle (E 9)
  • Contexte de solitude vécue suite à la rencontre du père Théophile (C 121)
  • Composition du groupe cheminant à Nouveaux Espaces (D 75, 80)

Imprécision de la démarche proposée

  • Imprécision de la démarche et du format proposé à Nouveaux Espaces (D 74)
  • Caractère temporaire de la démarche proposée à Nouveaux Espaces (D 81)

Les conditions favorables liées à l'intervention de personnes ou à l'exemple donné par quelqu'un dominent. D'une part, parmi les interventions, figure au premier chef le rôle d'intermédiaire ou de lien que des personnes ont joué entre le sujet et un organisme religieux : ces contacts sont surtout favorisés par des personnes exerçant formellement une fonction éducative ou thérapeutique auprès des sujets, telles une accompagnatrice spirituelle, un professeur d'éducation physique du secondaire, un psychologue, etc., à l'exception de deux personnes, une cliente et la cuisinière d'un centre religieux. D'autres interventions de personnes se rapportent à la proposition de conseils ou d'un soutien, à un accompagnement ou à une réponse adéquate à une demande, à la reconnaissance d'une motivation ou d'une aptitude du sujet, etc. La plupart de ces personnes sont familières et proches des sujets, exerçant une fonction éducative ou thérapeutique, ou encore sont des membres de la famille. Toutefois, une d'entre elles, responsable d'un organisme religieux, était inconnue du sujet lorsqu'il lui a adressé une demande, à laquelle elle a apporté une réponse adéquate.

D'autre part, l'image ou l'exemple donné par quelqu'un a également joué un rôle important dans l'apprentissage de certains sujets, tels l'exemple de vie réussie d'un proche, la personnalité du professeur d'éducation physique du secondaire ou la figure paternelle qu'il incarne, l'image positive projetée par des religieux ou des prêtres, etc. Plusieurs de ces personnes sont proches des sujets, à l'instar de celles dont l'intervention a joué un rôle favorable dans l'apprentissage. Cependant, l'exemple ou l'image d'un certain nombre d'entre elles a eu un impact tout aussi important, tout en étant le fait de personnes moins familières, voire totalement inconnues — une personne aperçue lors d'une rencontre d'un groupe anonyme, ou l'amie de l'accompagnatrice spirituelle, que le sujet n'a jamais rencontrée.

Outre ces conditions favorables, un certain nombre se rapportent aux contextes d'apprentissage, soit un lieu propice, une durée favorable, un contexte professionnel stimulant en contacts humains, une règle salutaire imposée par la maison d'hébergement, une coïncidence profitable entre plusieurs démarches, des réseaux relationnels bénéfiques, etc. D'autres conditions ayant soutenu, voire stimulé les apprentissages se rapportent soit aux démarches spirituelles ou religieuses entreprises, telles la proposition de rencontres pour recommençants, l'efficacité d'une démarche vécue à Nouveaux Espaces ou d'un accompagnement spirituel, soit à des activités ou des aspects particuliers de ces démarches, telles un rituel, des textes à lire, etc. Celles-ci sont considérées comme des conditions d'apprentissage lorsque, en plus de l'investissement personnel ou de l'initiative prise par les sujets, ces démarches ou activités proposées ont apporté une contribution importante ou décisive à l'apprentissage, à l'initiative des personnes ou organismes contactés par les sujets.

En plus petit nombre, certaines conditions ont exercé une influence défavorable sur les processus d'apprentissage, les unes relevant de contextes relationnels, les autres de démarches ou d'activités spirituelles. En effet, la trop grande proximité d'une accompagnatrice spirituelle, si elle a joué un rôle favorable au début, s'est avérée à la longue une entrave au cheminement spirituel d'un sujet; pour un autre, c'est le contexte de solitude, c'est-à-dire la difficulté de nouer des relations interpersonnelles avec d'autres catholiques, qui a freiné pendant un certain temps le processus d'apprentissage, malgré plusieurs tentatives et efforts entrepris pour reprendre contact avec la dimension religieuse récemment redécouverte. Enfin un sujet a d'abord éprouvé des difficultés relatives à la composition du groupe cheminant à Nouveaux Espaces, formé de gens qui ne se connaissaient pas et qui avaient peu de choses en commun. Toutefois, ces contextes relationnels défavorables ont par la suite été surmontés, dans le premier cas par l'abandon de la relation d'accompagnement spirituel, dans le second cas par l'entreprise d'actions solitaires alternatives de la part du sujet, afin de poursuivre le processus d'apprivoisement de la religion catholique, et dans le dernier cas par l'effet bénéfique du temps pour l'apprivoisement mutuel des personnes du groupe.

Enfin, l'imprécision et le caractère temporaire de la démarche proposée à Nouveaux Espaces ont d'abord ralenti le processus d'apprentissage d'un sujet, qui nourrissait des attentes auxquelles cette proposition ne semblait pas correspondre aux premiers abords. Mais la fréquentation persévérante, quoique souvent accompagnée de doutes pendant un certain temps, ont eu raison de ces difficultés qui se sont atténuées au fil du temps. Ainsi, on retient que ces conditions défavorables, si elles ont freiné ou entravé le processus d'apprentissage, ont été accompagnées, voire supplantées par des conditions favorables, ou par l'attitude des sujets eux-mêmes qui ont déployé de nouvelles stratégies ou un surcroît de motivations pour les surmonter.

En somme, l'insistance des sujets sur les conditions qui ont facilité ou entravé leurs apprentissages met en lumière, d'une part, l'inévitable inscription de ces processus dans un environnement et des relations sociales, dans la foulée des observations faites à propos des actions entreprises par les sujets. D'autre part, l'importance des interventions plus ou moins formelles de diverses personnes dans les processus donne à penser que la toute première condition à considérer pour favoriser les apprentissages se rapporte à diverses formes de relations interpersonnelles, allant du simple soutien de proches, à l'intervention professionnelle ou thérapeutique. Toutefois, la valeur des interventions de personnes ne doit pas jeter dans l'ombre l'importance des autres conditions, liées aux différents contextes ou aux démarches. Si les sujets les ont évoquées avec moins de détails ou d'insistance, c'est peut-être qu'elles sont plus difficilement repérables de manière spontanée, sauf lorsqu'elles nuisent à l'apprentissage.

g. Synthèse des résultats sur les processus d'apprentissage

Le cadre conceptuel envisageait les processus d'apprentissage à partir des questions suivantes : «Comment les sujets ont-ils composé avec les expériences importantes ou comment les personnes ont-elles résolu les crises ou les difficultés qui sont survenues?» «Sur quels savoirs ou sur quel bagage de savoirs les sujets se sont-ils appuyés dans ces processus d'apprentissage?» «Quelles conditions ont favorisé ou ont nui aux apprentissages?» Si, au départ, trois dimensions de l'apprentissage étaient considérées, à savoir les opérations mentales ou le «travail» dans lequel s'engagent les sujets, les savoirs mobilisés et les conditions dans lesquelles se déroule le processus, l'analyse des données a mis en évidence d'autres dimensions tout aussi importantes de l'apprentissage, permettant d'enrichir la définition de départ. Dans cette foulée, le processus d'apprentissage peut maintenant être défini comme l'ensemble des actions entreprises et des opérations mobilisées par un sujet à partir de ses savoirs et de ses motivations, en interaction constante avec l'environnement social, spatial et temporel l'influençant.

Faisant le bilan de ce qui ressort de cette section, on retient que le processus d'apprentissage est à la fois résolument subjectif, impliquant les motivations, les opérations mentales et les savoirs, et interactif, tant par les actions entreprises que par les conditions qui l'influencent. Les réactions subjectives se situent à l'intersection du «travail intérieur» et des circonstances sociales dans lesquelles se déroule l'apprentissage, étant la réponse du sujet à ces circonstances, freinant ou accélérant le processus d'apprentissage. Ces réactions mettent en évidence le jeu constant de la subjectivité dans cette interaction de l'individu avec son environnement dans l'apprentissage, une subjectivité qui peut avoir un impact tantôt positif, tantôt négatif sur l'apprentissage, tout autant que les conditions concrètes ou sociales dans lesquelles se déroule le processus.

5.2.3 Les résultats du processus d'apprentissage

Outre les déclencheurs et les processus, la recherche s'est intéressée aux résultats, c'est-à-dire les apprentissages et les désapprentissages auxquels les processus ont conduit. L'analyse des données a permis de dégager une grande diversité d'apprentissages et un certain nombre de désapprentissages, dont les pages suivantes rendent compte.

a. Les apprentissages

À partir du cadre conceptuel, les apprentissages se définissent comme les résultats du processus d'apprentissage qui consistent soit en la transformation ou le développement de certains savoirs, soit en la transformation du cadre de référence ou de l'identité des personnes. Le point de vue des sujets a apporté une riche contribution, précisant davantage les apprentissages qui ont jalonné les cheminements spirituels, regroupés selon les catégories suivantes : 1) les apprentissages transformateurs d'ordre spirituel; 2) les apprentissages relatifs à l'identité personnelle; 3) les apprentissages d'ordre conceptuel; 4) les apprentissages relatifs aux attitudes; 5) les apprentissages d'ordre relationnel; 6) autres : les apprentissages d'ordre comportemental, les apprentissages d'ordre informatif, les apprentissages relatifs aux valeurs et un apprentissage d'ordre affectif.

Les apprentissages transformateurs d'ordre spirituel

L'analyse des données a conduit à identifier un certain nombre d'apprentissages se présentant comme le résultat du processus déclenché par le déséquilibre spirituel. Ils se manifestent par la transformation du cadre de référence, dans l'horizon d'une recherche d' «identité authentique» en relation avec autrui et ce qui est considéré comme une transcendance. Dans la foulée de ce que le cadre conceptuel avait anticipé, ces apprentissages transformateurs s'inscrivent dans la «foi» que définit Fowler (1981) comme étant la manière de voir, de comprendre et de se situer en rapport au réel, aux autres et à la transcendance, faisant appel au cognitif, à l'affectif, au conatif et au symbolique. Dans cette perspective, les apprentissages d'ordre spirituel sont exprimés par les sujets comme une sorte de point d'arrivée ou de point de non retour, au regard des déséquilibres spirituels ayant déclenché un processus d'apprentissage. Ainsi, les expressions des sujets font apparaître quatre points de vue sur ces apprentissages, présentés dans le tableau XVI, soit les apprentissages d'ordre spirituel exprimés comme un sens donné à sa vie, les apprentissages évoqués en termes relationnels, ceux vécus comme l'adoption d'une vie et d'une identité spirituelles ou religieuses, ou encore comme une sortie de la mort ou de la souffrance.

Tableau XVI. Les apprentissages transformateurs d'ordre spirituel

Expressions des apprentissages d'ordre spirituelExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Apprentissages exprimés comme l'adoption d'une vie et d'une identité spirituelles ou religieuses

  • Reprise d'une vie spirituelle : «Ça m'a amené, il y a des vagues qui m'ont amené dans ma vie à me rapprocher de ma spiritualité ou de reconnaître mon besoin spirituel (F 332)»; «j'ai renoué avec le spirituel (F 75)»
  • Retour à la religion catholique : «je suis revenu vers l'Église catholique (B 82)»; «j'ai l'impression d'être rentrée à la maison (C 210).»; «J'ai rechoisi la religion catholique romaine (F 337)»
  • Traduction de l'identité catholique dans toutes les dimensions de sa vie (F 310)

Apprentissages exprimés comme un sens donné à sa vie

  • Réponse apportée au désir de vivre la transcendance (C 101)
  • Continuité entre sa vie et le sens donné à la mort (D 203)
  • Fondement donné à sa vie (C 209); direction donnée à sa vie (D 184)
  • Conscience encore imprécise d'une mission à accomplir, liée au fait d'être encore vivante : «parce que tu sais quand je t'ai dit je devrais plus être là pour différentes expériences que je t'ai racontées, et le mot mission pour moi est important, si je suis sur la terre j'ai une mission à accomplir (E 173)»; «et si je suis encore là aujourd'hui, c'est parce que lui a décidé que je serais encore là aujourd'hui, et que... j'ai quelque chose à vivre ici encore (E 209)»

Rassemblement des morceaux du casse-tête de sa vie :

  • apparition d'un sens : «il y a des carrefours dans la vie, hein, où on a l'impression que tous nos morceaux de vie finissent par se rejoindre à quelque part, puis ils forment un casse-tête, puis là on comprend quelque chose (F 301)»
  • unité de morceaux différents, même direction : «Fait qu'il s'est placé au moins quatre morceaux de puzzle dans ma vie. Qui sont tous conséquents, qui viennent d'histoires, de traditions de pensée différentes, puis qui vont tous dans la même direction, le centre de quelque chose, peu importe comment c'est appelé, nommé, imagé, puis à travers quel véhicule... (F 308)»
  • fécondité du casse-tête formé (fruits spirituels) : «aujourd'hui, je suis capable de voir que ça se place à l'intérieur, comme étant un... un puzzle ou un véhicule, ou une façon d'être, un modèle, un modèle plus conséquent avec le respect de la vie, la possibilité de grandir, et de rester sain, équilibré, heureux (F 329).»

Apprentissages d'ordre spirituel exprimés en termes relationnels

  • Amour de Dieu pour soi : «Je découvrais qu'il y avait un Dieu qui m'aime, pour ce que je suis (D 91).»
  • Nouvelle relation à Dieu (D 220)
  • Certitude, confiance de n'être pas seule (E 32)
  • Solidarité, sentiment de partager une aspiration avec autrui (F 390)
  • Amour : «Puis ça part encore de mon besoin d'être aimé (...) j'ai appris à aimer (F 392)»

Apprentissage exprimé comme une sortie de la mort ou de la souffrance

  • Sentiment d'exister : «Mais tout à coup je sens qu'en partant de ce que je suis, là où je suis, que pour la première fois dans ma vie, j'ai l'impression d'exister» (D 114); début de la vie (D 200)
  • Sentiment d'être sorti de la situation de déséquilibre profond : «J'avais l'impression d'avoir... hein d'être sorti d'Égypte (D 126).»
  • Transformation de l'enfermement dans la souffrance en élan (D 186)
  • Retour à la vie avec l'acceptation de la mort (D 197)
  • Transformation du rapport à la mort (D 201)

D'emblée, les cheminements spirituels des sujets choisis pour la recherche étaient dirigés vers la découverte ou la réappropriation de la religion catholique, ce qui se profile derrière ces apprentissages d'ordre spirituel. On pouvait donc s'attendre à ce que parmi ces apprentissages, un certain nombre, voire la totalité, s'expriment en des termes plus spécifiquement religieux, référant à la religion catholique. Dans cette foulée, on trouve des apprentissages se rapportant à l'adoption d'une identité religieuse, qui s'expriment comme un retour à la religion catholique, un retour à la maison — manière d'évoquer un «chez soi» catholique, lié à l'éducation reçue et réappropriée — ou le fait de «rechoisir» la religion catholique; certains apprentissages évoqués en termes relationnels se réfèrent à «Dieu», compris en des termes plus ou moins catholiques; de même, l'expression d'un apprentissage vécu comme une sortie de la mort reprend une image biblique, celle de la sortie d'Égypte, qui évoque la fin de l'esclavage du peuple hébreu conduit par Moïse au désert.

Toutefois, plusieurs apprentissages transformateurs d'ordre spirituel sont mentionnés sans référence explicite à la religion catholique, montrant, d'une part, que même pour les sujets ayant trouvé ou retrouvé une identité catholique, la dimension spirituelle de leurs apprentissages ne se réduit pas à la religion catholique, et d'autre part que les frontières entre religion et spiritualité se distinguent et se confondent tout à la fois. Ainsi, si certaines références explicites à la religion sont plus évidentes dans l'expression de plusieurs apprentissages d'ordre spirituel, d'autres formulations demeurent plus ambiguës. Plus encore, certains sujets ont mentionné que si ils sentent désormais avoir retrouvé ou s'être réapproprié une identité catholique, la référence au système religieux ou à l'institution qui supporte et véhicule les croyances, les rites et les pratiques catholiques reste encore problématique. C'est pourquoi on peut dire que les apprentissages dont il s'agit sont transformateurs sur le plan spirituel, c'est-à-dire qu'ils consistent en une profonde transformation du cadre de référence et de l'identité spirituelle des sujets, ce qui est moins évident sur le plan religieux, malgré la présence de représentations religieuses dans les expressions recueillies.

À l'instar des déséquilibres spirituels, bon nombre d'apprentissages transformateurs d'ordre spirituel se rapportent à la recherche du sens de l'existence en lien avec ce qui la dépasse. D'une part, ceux-ci se présentent tantôt comme la réponse apportée au désir de vivre la transcendance, tantôt comme un nouveau sens donné à la mort, en continuité avec sa vie : dans ces deux expressions, l'accent est davantage mis sur un «sens» qui est signification, lié à la transformation d'une manière d'envisager sa propre existence en relation avec ce qui la dépasse. D'autre part, certains de ces apprentissages sont évoqués comme un fondement ou une direction donnés à sa vie, pouvant se manifester dans la conscience d'avoir une mission à accomplir, même si les contours de celle-ci n'apparaissent pas clairement. Dans ces expressions, le «sens» devient direction, orientation, ce vers quoi l'existence tend, mue par ce qui la dépasse. Enfin, l'évocation d'un tel apprentissage, à partir de l'image du rassemblement des morceaux épars d'un même casse-tête, se situe aux confins de la signification et de la direction : le «sens-signification» de sa vie confère un «sens-direction» qui produira des fruits dans toutes les sphères concrètes de sa vie.

Il est à noter que, tout transformateurs qu'ils soient, exprimés en des termes définitifs et sans qu'un retour en arrière ne soit envisageable pour les sujets, ces apprentissages ont tout de même été évoqués comme étant toujours à poursuivre ou à consolider. En effet, plusieurs sujets ont mentionné qu'ils n'ont pas encore fini de chercher du sens ou la direction de leur vie. On peut en conclure que de tels apprentissages, par leur nature même de se rapporter à la recherche d'un sens à son existence, ne puissent jamais être considérés comme étant totalement accomplis ou achevés, ce dont les sujets semblent avoir conscience, même de manière diffuse.

Par ailleurs, les apprentissages exprimés en termes relationnels se rapportent soit à Dieu, soit à autrui, mais pas à l'un et l'autre à la fois, du moins explicitement. Autrement dit, il semble que les apprentissages d'ordre spirituel s'expriment surtout dans une relation à Dieu sans relation à autrui, parfois dans une relation à autrui sans référence explicite à Dieu ou à la transcendance, bien que celle-ci se profile. Ainsi, la certitude ou la confiance de n'être pas seule, même si elle peut à la fois référer à une transcendance et à autrui, est davantage à interpréter comme se référant à Dieu à l'exclusion d'autrui : cet apprentissage est le résultat d'un processus de résolution de plusieurs expériences d'abandon et de trahison familiales qui ont causé des séquelles profondes dans les relations du sujet avec autrui : «c'est surtout... ma méfiance vis à vis des gens ça, c'est... encore là aujourd'hui (E 94).» Par contre, le déséquilibre spirituel qui a été suscité par ces expériences a en quelque sorte été résolu par cette certitude que, malgré l'absence de personnes en qui faire confiance, subsiste «quelqu'un», une présence absolue et totalement fiable sur qui compter : «Puis Jésus. Jésus, c'est mon ami. C'est le seul dans le fond sur lequel je peux me fier vraiment, qu'il me trahira pas (E 95).» Une autre expression de cette catégorie d'apprentissages exprimés en termes relationnels reste toutefois plus ambiguë, évoquant l'amour de manière non référentielle : «j'ai appris à aimer (F 392).» La formulation laisse penser qu'il s'agit d'un apprentissage impliquant l'amour d'autrui, mais le contexte de l'énoncé peut inciter à croire que non seulement la relation à autrui, mais également la relation à une transcendance, à Dieu, sont évoquées de manière générale.

Cette impression d'une exclusion mutuelle de Dieu et d'autrui, dans ce type d'apprentissage d'ordre spirituel, pourrait donner à penser que, pour les sujets, la dimension spirituelle met en jeu une relation binaire, le plus souvent entre soi et la transcendance, parfois entre soi et les autres. Toutefois, en tant qu'apprentissages transformateurs, ces apprentissages spirituels, non seulement ceux exprimés en termes relationnels, mais également les autres formes, sont à mettre en relation avec les autres résultats des processus d'apprentissage qui seront présentés plus loin, soit les apprentissages liés à l'identité personnelle ou aux attitudes, d'ordre conceptuel ou relationnel. Dans cette perspective, on est alors frappé par la tripolarité de l'ensemble des apprentissages, qui se rapportent tantôt à soi, tantôt à la relation avec autrui, tantôt à ce qui transcende l'existence. Cette vue d'ensemble et les relations entre certains apprentissages et ceux d'ordre spirituel seront reprises dans la suite de cette section sur les résultats de l'apprentissage; pour le moment, on retient que la formulation des apprentissages d'ordre spirituel ne rend pas compte à elle seule de toute leur portée dans la vie des sujets et qu'ils sont à interpréter en relation avec les autres apprentissages mis au jour par l'analyse.

La dernière catégorie de ces apprentissages transformateurs d'ordre spirituel mérite qu'on s'y attarde, puisqu'il s'agit de diverses expressions formulées par un même sujet, à propos d'un apprentissage d'une telle ampleur et d'une telle intensité qu'on a l'impression qu'il s'agit de différents apprentissages, exprimés comme une sortie de la mort ou de la souffrance. D'une part, une transformation radicale s'est opérée dans le rapport fondamental du sujet à son existence : il est revenu à la vie, il est advenu à son existence pour la première fois. Ici, il ne s'agit pas de trouver un sens à son existence, il s'agit plus fondamentalement de vivre, d'avoir le sentiment d'exister, voire d'être sorti d'un état de mort lié à une souffrance profonde. D'autre part, ces diverses expressions relèvent du rapport entre la signification de la mort et la manière de vivre sa vie : la transformation du rapport du sujet à son existence a opéré une transformation tout aussi radicale de son rapport existentiel à la mort. Dans ces diverses expressions, vie et mort sont intimement liées, ainsi que le précise le sujet lui-même, faisant allusion au déséquilibre spirituel évoqué précédemment, relatif à l'angoisse de la mort : «c'est drôle, c'est en voulant mourir d'une façon calme, que je reviens à la vie d'une certaine façon, alors qu'auparavant je me débattais tellement pour vivre, mais j'étais terrorisé par l'idée de mourir (D 197-198).»

Les apprentissages relatifs à l'identité personnelle

Les processus d'apprentissage ont également donné lieu, d'une part, à la transformation ou au développement de savoirs sur soi et, d'autre part, à des apprentissages transformateurs relatifs à l'identité du sujet ou à l'image que le sujet a de lui-même. Il s'agit d'apprentissages relatifs à l'identité personnelle, que l'on pourrait qualifier d'apprentissages d'ordre psychologique, dont le tableau XVII donne un aperçu.

Tableau XVII. Les apprentissages relatifs à l'identité personnelle

Types d'apprentissages relatifs à l'identité personnelleExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Savoirs sur soi

  • Correction de plusieurs traits négatifs de soi (A 91)
  • Reconstruction de plusieurs aspects de la personnalité (F 331)
  • Autonomie : plus grande capacité de faire des choix personnels (B 83)
  • Plus grande maturité (E 152)
  • Plus grande force (E 158)
  • Conscience du cheminement poursuivi et de l'éclairage qu'il peut apporter à d'autres (E 211)
  • Perspicacité accrue : «puis c'est sûr qu'avec ce que j'ai vécu, veut veut pas, je suis plus alerte (E 216).»
  • Ouverture à sa propre vulnérabilité (D 141)
  • Don d'écoute (D 145)
  • Acceptation des antécédents familiaux de son identité actuelle (E 223)
  • Découvertes sur soi (C 48)
  • Regard plus lucide sur soi (D 125)
  • Apprentissages inachevés :
    - Confiance en soi (A 60); acceptation de soi (A 89) : «je continue à apprendre à m'accepter comme je suis (A 90)»
    - Différenciation de l'identité par rapport à la mère : «mais il y a beaucoup de détachement, de morceaux à enlever, il y en a beaucoup d'enlevés, mais il en reste (B 104).»
    - Plus grande proximité avec sa vérité (D 69), apprentissage se poursuivant (D 70); difficultés encore persistantes à assumer son histoire de vie et son identité (D 236)

Apprentissages transformateurs relatifs à soi

  • Affirmation de soi : «c'est comme si on dirait que je me suis donné le droit de dire : ça, ça me convient, ça, ça me convient pas, ça, ça se tient-tu, ça se tient-tu pas (B 79).»
  • Reconstruction de l'identité : «Puis à me reconstruire une nouvelle identité. La thérapie m'a beaucoup beaucoup aidé à guérir nombre de blessures, à faire face à ma honte, à ma colère, mes violences, mon sentiment de culpabilité, mon sentiment d'inadéquation, à reconnaître mes forces, à constater que je suis une personne intense, mais bonne puis que c'est ça qui me sauve, de fois en fois, cette espèce de bonté-là qu'il y a à l'intérieur. Puis à articuler des mots puis des concepts (F 228)»

Tels qu'illustrés ci haut, les savoirs sur soi développés par les sujets sont des apprentissages relatifs à certains aspects de leur identité personnelle ou à un point de vue particulier sur soi, tels la correction ou la reconstruction de plusieurs aspects de la personnalité, l'acquisition d'une plus grande autonomie, maturité ou perspicacité, l'ouverture à sa vulnérabilité ou l'acceptation des antécédents familiaux de son identité, etc. Par ailleurs, certains de ces savoirs sur soi portent sur l'identité personnelle ou sur l'image de soi considérée dans sa globalité, mais sont encore inachevés : le développement d'une plus grande confiance en soi, la différenciation de son identité personnelle par rapport à la mère, une plus grande proximité avec sa véritable identité — comprise en termes psychologiques de se considérer tel qu'on est, sans se mentir — , etc. Malgré l'importance des transformations et le caractère englobant de ces apprentissages, qui se rapportent à l'image de soi ou à l'identité totale de la personne, ceux-ci ne sont pas encore à considérer comme des apprentissages transformateurs, en raison de la persistance des images de soi antérieures : il s'agit d'apprentissages encore en cours, qui ont besoin d'être davantage consolidés ou approfondis, tout en étant déjà considérés comme de véritables changements en regard d'une situation antérieure.

Toutefois, un plus petit nombre d'apprentissages relatifs à soi peuvent être considérés comme des apprentissages transformateurs : il s'agit d'apprentissages portant sur l'identité personnelle ou sur l'image de soi considérée dans sa globalité ou dans une perspective systémique et qui sont exprimés comme étant accomplis de manière décisive. Ainsi, un sujet mentionne le développement de l'affirmation de soi comme un apprentissage aussi radical que durable, par rapport à sa difficulté antérieure; un autre sujet évoque le résultat d'un long processus par lequel il est parvenu à reconstruire son identité, une transformation décisive et globale.

Ainsi, on retient de ces apprentissages, d'une part, que le nombre et le caractère décisif de plusieurs sont à mettre en relation avec les apprentissages d'ordre spirituel, traduisant la recherche d'une identité authentique. D'autre part, ces apprentissages sont à considérer comme le dénouement, tantôt inachevé, tantôt définitif, de la résolution des déséquilibres qui les ont déclenchés, notamment la détresse et la souffrance, ou encore les dilemmes et les questionnements sur sa vie.

Les apprentissages d'ordre conceptuel

Le point de vue des sujets sur les résultats des processus d'apprentissage a permis de dégager plusieurs apprentissages d'ordre conceptuel, qui consistent en la transformation ou le développement de savoirs relatifs aux idées, aux conceptions ou aux opinions. En relation avec les cheminements spirituels dans lesquels ils s'inscrivent, il n'est pas surprenant de trouver un plus grand nombre d'entre eux portant sur des contenus spirituels ou religieux; d'autres portent sur les relations avec les autres, ou encore sur des personnes ou des groupes spécifiques. Ils se trouvent résumés dans le tableau XVIII ci-bas.

Tableau XVIII. Les apprentissages d'ordre conceptuel

Contenus des apprentissages d'ordre conceptuelExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Apprentissages d'ordre conceptuel portant sur des contenus spirituels

  • Ce qu'est la spiritualité : la nature de la spiritualité (F 240-242; C 203); les attitudes qu'implique une vraie spiritualité (C 111-114)
  • Opinion sur la valeur du spirituel (F 364)
  • Existence d'une énergie qui donne vie (F 227)
  • Existence d'un être supérieur : «Je crois qu'il y a quelqu'un plus haut que moi qui est là (E 208)»
  • Prise de conscience de la précarité de la vie : «Ben ça m'a fait prendre conscience que la vie est pas éternelle, la vie est, la vie est très fragile, la vie est vraiment beaucoup dans le moment présent (B 84)»
  • Caractère transitoire de l'humain : «on est juste de passage (B 85)»; finitude de l'humain (B 86)
  • Ce qui se produit dans la prière : quelqu'un écoute et répond (F 349)
  • Peu importe la tradition, l'essentiel est que le message soit porté par un maître spirituel (C 104); messages communs portés par différentes traditions (C 110)

Apprentissages d'ordre conceptuel portant sur des contenus religieux

  • Découverte d'une image de Dieu : «je découvrais Dieu, un Dieu doux, un Dieu patient, et un Dieu qui veut rien en retour (D 95)»
  • Adoption irréversible de la représentation de Dieu liée à l'expérience de la confession au père franciscain : «Je pense que j'ai fait mon camp. [D 216] Mais je pense que j'ai fait mon lit. Je sais de quel Dieu je veux me rapprocher (D 215).»
  • Réappropriation d'un savoir sur Dieu : «parce que tout ce qu'on m'a appris, c'est Dieu est partout, puis si je regarde ailleurs, c'est parce que je veux pas voir, là où il est (F 338)»; «Moi j'ai cette croyance-là, hein, que Dieu met sur notre route les gens dont on a besoin. Des fois ça m'a pris du temps à le voir, puis des fois je voulais pas le voir, mais, bon. Ça c'était toujours là (D 188).»
  • Représentation chrétienne de la transcendance : Dieu, Jésus (C 102); maître chrétien (Jésus) : «on l'a notre gourou (C 103)»
  • Réappropriation personnelle du sens et de la pertinence des sacrements dans sa vie (C 108)
  • Découverte de la méditation chrétienne (C 105)
  • Fiabilité (absolue) de la figure de Marie : «Fait que peut-être que quand j'ai été à la Famille Myriam, et que j'ai éprouvé l'expérience que je t'ai racontée tantôt, là j'ai trouvé des bras qui... me... me trahiront jamais (E 74).»
  • Condition humaine par rapport à Dieu : «parce qu'on peut pas être le Père, on est fils, et fils toute notre vie (F 334).»

Apprentissages d'ordre conceptuel portant sur les relations avec les autres

  • Il faut penser à soi autant qu'aux autres (A 57); ne pas faire plaisir à quelqu'un n'est pas nécessairement mauvais (A 61)
  • Paternité : «Et oui, on devient père. Puis le fils va nous regarder comme un modèle, même si nous on pense que c'est un autre modèle qui devrait être regardé (F 335).»
  • Amour désintéressé : «et j'ai réalisé que c'est en en donnant que j'en reçois le plus (F 360)»
  • Regard porté sur les autres (sans préjugés) : «et ce qui me dit aujourd'hui de ne pas poser d'étiquette sur ceux qui font des mauvaises choses. Ou d'être là, je pense pour essayer de les aimer (F 367)»

Apprentissages d'ordre conceptuel portant sur des personnes ou groupes spécifiques

  • Connaissance et compréhension des circonstances qui ont conduit sa mère à rejeter la religion (A 24)
  • Savoir sur les religieux : du vrai monde, bien incarné (D 41)
  • Transformation du jugement porté sur le mouvement anonyme : grand courant spirituel des 20e et 21e siècles (C 174); comme une grande Église (solidarité, entraide, amour, acceptation) (C 173); valeurs chrétiennes et humaines (C 175)

Autres apprentissages d'ordre conceptuel

  • Pensée plus ouverte (B 71)
  • Impact des actions sur son devenir (A 44, 46)
  • Ce qu'est l'exaltation (F 205)

Parmi les apprentissages d'ordre conceptuel portant sur des contenus spirituels, soit sur le sens de l'existence en lien avec ce qui la dépasse, les plus nombreuses sont les conceptions ou les idées sur la spiritualité elle-même : sa nature, les attitudes qu'elle implique et sa valeur. D'autres apprentissages se rapportant à la dimension spirituelle concernent l'existence d'un être supérieur, la précarité de la vie, le caractère transitoire ou la finitude de l'être humain, les différentes traditions porteuses d'un message spirituel commun, etc. Ces différents apprentissages montrent que, non seulement les sujets ont-ils résolu des déséquilibres spirituels ou effectué des apprentissages d'ordre spirituel, mais ils ont également développé des opinions et des idées sur la spiritualité et sur le sens de l'existence même. Pour la plupart d'entre eux, dont l'éducation catholique avait constitué le seul cadre de référence pour appréhender la dimension spirituelle, ces apprentissages révèlent un véritable déplacement, par l'intégration de savoirs provenant d'autres horizons que catholique. En ce sens, ces apprentissages d'ordre conceptuel peuvent être interprétés comme des savoirs découlant des apprentissages transformateurs d'ordre spirituel.

D'autres apprentissages d'ordre conceptuel portent sur des contenus religieux, se rapportant tous, cette fois, à la religion catholique. D'une part, certains de ces savoirs sont à considérer comme la réappropriation, à nouveaux frais, de savoirs religieux reçus dans l'éducation. Ainsi, les représentations de Dieu ont fait l'objet de profondes transformations et les savoirs qui en résultent, à l'instar des savoirs sur la spiritualité, peuvent être mis en relation avec les apprentissages transformateurs d'ordre spirituel : ces nouvelles représentations de Dieu sont à interpréter comme des savoirs s'inscrivant dans le cadre de référence transformé des sujets qui ont affirmé avoir adopté une vie et une spiritualité catholiques. Dans cette foulée, des conceptions telles le savoir sur Jésus, qui est désormais considéré comme un gourou chrétien, ou la réappropriation personnelle du sens et de la pertinence des sacrements, sont des savoirs reçus dans l'éducation qui, après avoir été abandonnés, sont repris par les sujets, revêtant désormais des significations nouvelles ou plus développées. D'autre part, certains savoirs d'ordre conceptuel portant sur des contenus religieux peuvent être considérés comme de nouveaux savoirs, antérieurement absents des références catholiques reçues dans l'enfance, telle la découverte de la méditation chrétienne ou de la figure de Marie, ou encore la conception de la condition humaine en relation avec Dieu.

À partir de ces observations, on peut donc faire le lien entre ces apprentissages portant sur des contenus spirituels ou religieux et un certain nombre de déséquilibres décrits antérieurement. Non seulement les déséquilibres spirituels, se manifestant par la remise en question de certains savoirs reçus, jugés par les sujets comme n'ayant pas de sens, mais également les déséquilibres plus directement liés à une ou plusieurs expériences et qui consistent aussi en la remise en question de certains savoirs qui n'ont pas de sens, notamment religieux, ou encore les déséquilibres se manifestant par l'abandon de la religion de l'enfance.

Par ailleurs, un certain nombre d'apprentissages d'ordre conceptuel portent sur les relations avec autrui, considérées de manière générale et impersonnelle. Ainsi, les sujets ont exprimé avoir développé des idées ou des conceptions sur la place relative à réserver à soi et aux autres, sur la relation paternelle comme un modèle imparfait, sur l'amour désintéressé ou inconditionnel. Il est intéressant de noter que ces apprentissages sont exprimés tantôt en relation avec des apprentissages d'ordre spirituel, tantôt en relation avec des apprentissages liés à l'identité personnelle. D'autres savoirs s'expriment à propos de personnes ou de groupes spécifiques, avec lesquels les sujets sont engagés dans une relation concrète et sur lesquels ils ont développé de nouvelles connaissances ou opinions : une connaissance et une meilleure compréhension des circonstances qui ont conduit sa mère à rejeter la religion, une opinion plus réaliste sur les religieux, la transformation d'un jugement porté sur un mouvement anonyme, désormais considéré comme un grand courant spirituel. On remarque, à propos de ces savoirs sur des personnes ou groupes spécifiques, qu'ils sont tous inscrits dans un contexte spirituel ou religieux, montrant par là l'importance de la spiritualité et de la religion dans les idées et les opinions résultant des processus d'apprentissage, dans le cadre de cheminement spirituels.

En somme, si on considère ces apprentissages d'ordre conceptuel d'un point de vue global, on retient qu'ils s'inscrivent tantôt dans la foulée des apprentissages d'ordre spirituel, tantôt dans le sillage des apprentissages relatifs à soi, dont ils sont un prolongement relationnel. Dans cette perspective, les apprentissages d'ordre conceptuel révèlent l'articulation entre soi, autrui et la transcendance sous-jacente aux idées et aux conceptions développées par les sujets, mais également le fait que ces idées et conceptions s'inscrivent dans des apprentissages transformateurs dont ils sont des indices ou des traces plus facilement repérables.

Les apprentissages relatifs aux attitudes

Les apprentissages relatifs aux attitudes consistent en la transformation ou le développement de certaines dispositions ou manières d'être pouvant éventuellement se traduire dans des comportements ou d'autres formes d'expression. L'analyse des données a fait ressortir trois pôles à partir desquels ces apprentissages se définissent, soit en rapport avec la dimension religieuse ou spirituelle, avec autrui et avec soi, tel qu'illustré dans le tableau XIX. D'emblée, on remarque que ces trois pôles renvoient aux trois axes interreliés de la dimension spirituelle.

Tableau XIX. Les apprentissages relatifs aux attitudes

Orientation des attitudesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Attitudes développées ou transformées en rapport avec la dimension spirituelle ou religieuse

  • Découverte de la foi comme attitude de confiance (D 127); attitude d'espérance ou de foi (E 207)
  • Changement dans l'attitude spirituelle (A 5)
  • Découverte d'une autre façon de prier : «et c'est présent aussi, donc une façon de vivre une relation à Dieu, redécouvrir aussi une façon de prier, bon quand on était jeune, acte de foi, acte d'espérance, acte de contrition, puis bon on savait ça par cœur et tout ça, aujourd'hui, ben ce qui me rejoint plus, c'est... c'est de parler à, d'avoir une relation... je dirais plus... peut-être plus personnelle... (C 106)»
  • Respect pour la Société Théosophique et les manières de voir héritées : «Et toujours aujourd'hui. Je garde un très grand respect pour toute cette phase-là, puis toute cette, tout cet organisme qui m'a mis en contact avec cette façon-là de voir les choses (F 83).»

Attitudes développées ou transformées envers autrui

Les gens ou les personnes en général :

  • Plus de facilité à pardonner (A 110)
  • Plus grande attention portée aux gens (A 65); capacité de se rapprocher des gens (C 45); capacité d'être touchée par les gens, par leur histoire, ainsi que physiquement (C 46)
  • Capacité d'accueillir la vulnérabilité des autres (D 142); effets de l'accueil de soi sur l'attitude d'accueil d'autrui : «Quand je me permets d'être moi-même, je permets également aux gens d'être eux-mêmes (D 146)»
  • Ouverture à l'autre (D 153); empathie (B 72); capacité d'écoute des gens (D 144)

Certaines personnes en particulier :

  • Adaptation, conciliation devant les difficultés relationnelles avec sa mère (A 101)
  • Changement d'attitude envers son père (A 102, 106)
  • Capacité de reconnaître la relation avec son père (E 203)

Attitudes développées ou transformées envers soi

  • Réflexion avant d'agir (A 53)
  • Changement p/r aux dispositions du début de la démarche à Nouveaux Espaces (D 67)
  • Prise en mains de sa vie : «J'ai l'impression que ma vie est plus, s'articule plus en fonction de ce que je pense maintenant, je laisse moins les choses au hasard (D 148).»

Parmi les trois catégories d'attitudes développées, celles en rapport avec autrui dominent. En effet, plusieurs attitudes, telles le développement d'une plus grande capacité à pardonner, à porter attention à autrui, à se rapprocher des gens et à être touché par eux, à accueillir l'autre, à écouter, etc., ont été développées dans un rapport avec autrui exprimé en des termes généraux. Un certain nombre d'attitudes ont également été développées envers des proches, alors que les sujets ont réussi à surmonter des difficultés relationnelles en transformant leur attitude, tantôt en développant la conciliation devant les difficultés dans la relation avec sa mère ou en changeant d'attitude envers son père, tantôt en développant la capacité de reconnaître les qualités de la relation avec son père, malgré les difficultés et la souffrance rencontrées. Pour plusieurs sujets, ces apprentissages relatifs aux attitudes envers l'autre découlent des apprentissages qu'ils ont accomplis en rapport à leur image de soi ou à leur identité personnelle, ce que souligne plus explicitement Daniel : «Quand je me permets d'être moi-même, je permets également aux gens d'être eux-mêmes (D 146).» Ainsi, les attitudes développées envers les autres se manifestent comme l'autre face d'une meilleure relation à soi ou d'une image de soi transformée.

Une interprétation du même ordre peut être risquée quant au lien entre les attitudes développées en rapport avec la dimension spirituelle ou religieuse et les apprentissages d'ordre spirituel, les premiers découlant de ces derniers. Même si ce lien n'est pas explicité par les sujets, on peut déduire que la découverte de la foi comme attitude, le développement d'une attitude d'espérance ou de foi malgré les épreuves de la vie et la découverte d'une manière plus relationnelle de prier s'inscrivent dans la transformation profonde du cadre de référence des sujets, en relation avec la dimension spirituelle. Si l'attitude de respect développée envers la Société Théosophique et les manières de voir héritées de cet organisme est moins globale que celles évoquées précédemment, elle peut être considérée à partir de la même interprétation : cette attitude particulière peut être considérée comme une expression de l'intégration conscientisée, dans le cadre de référence, de plusieurs savoirs hérités de cet organisme.

Enfin, un certain nombre d'attitudes envers soi ont été développées, telles la réflexion avant d'agir, de meilleures dispositions intérieures ou la prise en mains de sa vie. À la différence des attitudes évoquées précédemment, ces attitudes sont plus précises et plus directement liées à des comportements ou des actions entreprises. Toutefois, à l'instar des attitudes développées ou transformées en relation avec autrui, elles sont à considérer dans la foulée des apprentissages relatifs à l'identité personnelle.

Les apprentissages d'ordre relationnel

L'analyse des données a également révélé des apprentissages d'ordre relationnel, qui consistent en la transformation ou le développement de relations avec des personnes, d'un sentiment d'appartenance à un groupe ou de capacités à établir des relations avec autrui. Le tableau XX en donne un aperçu à la page suivante.

Tableau XX. Les apprentissages d'ordre relationnel

Types d'apprentissages d'ordre relationnelExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Transformation ou développement de relations avec des personnes

  • Amitié plus solide avec sa meilleure amie éloignée (A 112); amitié nouée dans le mouvement anonyme (C 172)
  • Relations plus faciles avec les personnes âgées (B 27)
  • Connaissance de nouvelles personnes (C 49)

Développement d'un sentiment d'appartenance à un groupe

  • Appartenance à de petites communautés (D 116); unification des différentes appartenances (D 118)
  • Appartenance à une Église différente (C 135)
  • Sentiment de former une grande famille (Église) (B 107)

Autres

  • Développement d'une relation de nature religieuse : attachement, lien avec Marie (E 62, 92); réconfort apporté par Marie : «Donc Marie, à ce moment-là, je pense que c'est là où j'ai comme trouvé des bras, des bras apaisants et quand je me couche le soir, je me remets moi aussi dans les bras de Marie. Et je me repose avec elle... (E 69)»
  • Développement de la capacité à établir des contacts avec d'autres (D 115)

Ainsi, d'une part, des relations concrètes ont pu être développées par les sujets, telle une amitié, de meilleures relations avec les personnes âgées ou la connaissance de nouvelles personnes. D'autre part, certains sujets ont évoqué le développement d'un sentiment d'appartenance à différents milieux de vie, d'une solidarité avec d'autres membres de l'Église catholique, voire le sentiment de former une même famille avec cette dernière. À la différence des premiers, de tels apprentissages sont explicitement reliés aux apprentissages d'ordre spirituel exprimés comme la réappropriation, à nouveaux frais, d'une identité catholique, s'inscrivant ici dans une communauté concrète, plus ou moins institutionnalisée. C'est ce qu'évoque Claire, lorsqu'elle parle du groupe formé à Nouveaux Espaces, dans lequel elle a développé une nouvelle forme d'appartenance à l'Église catholique, celle-ci étant considérée à partir des relations d'amour et de solidarité entre les gens, plutôt qu'à partir de sa structure et de son organisation institutionnelle :

«je pense que quand on vient ici à Nouveaux Espaces, on fait Église, mais d'une façon différente. On est dans un lieu, pour moi, ici c'est un lieu saint, c'est un lieu béni, dans la mesure où c'est un lieu où il y a des énergies d'amour, il y a l'esprit de partage, tu sais dans la Bible on dit quand deux ou plus personnes sont réunies, je suis au milieu d'eux, ben moi je pense que, ici on est dans notre église, on est dans notre lieu. Moi j'adore me retrouver ici à toutes les deux semaines, c'est un lieu où je ris beaucoup, il y a une liberté, on se connaît, on se taquine, on s'épaule, y a vraiment quelque chose de très fort qui se passe (C 135).»

À la différence des apprentissages qui viennent d'être évoqués, deux apprentissages d'ordre relationnel se manifestent moins dans des relations avec des personnes ou des groupes concrets que dans les effets tangibles qui en découlent. En effet, un sujet a évoqué le développement d'une relation avec une figure religieuse, Marie, mère de Jésus, une relation procurant toutefois un réconfort tangible : «Donc Marie, à ce moment-là, je pense que c'est là où j'ai comme trouvé des bras, des bras apaisants et quand je me couche le soir, je me remets moi aussi dans les bras de Marie. Et je me repose avec elle... (E 69).» Un autre sujet mentionne l'apprentissage de la capacité à établir des contacts avec autrui. Ces deux apprentissages très différents sont tout de même considérés comme étant de nature relationnelle, l'un s'exprimant dans une relation avec un personnage à la fois transcendant et très concret dans l'imaginaire du sujet, représentant une figure maternelle réconfortante, l'autre se manifestant dans le développement d'une capacité de relation chez le sujet, qui peut éventuellement se traduire de manière concrète.

Autres apprentissages

Moins nombreux et plus éclatés, un certain nombre d'apprentissages de divers ordres ont enfin été soulignés par les sujets, indices de la variété des dimensions touchées par les résultats des processus d'apprentissage. En effet, certains ont développé des comportements plus appropriés à une situation ou ont acquis des informations sur un sujet précis, religieux ou non, alors que d'autres accordent désormais une plus grande importance à une pratique ou une qualité, ou encore ont développé une meilleure maîtrise des émotions. Présentés dans le tableau XXI, certains de ces apprentissages s'inscrivent dans la foulée de la transformation de l'identité personnelle ou de l'image de soi, tels le développement de comportements plus responsables, la découverte de la signification de son nom ou la valeur accordée à la progression, tandis que d'autres s'expriment dans le cadre des relations avec des proches, telle l'adoption de mécanismes de résolution de conflits de couple ou une meilleure maîtrise des émotions dans une relation amoureuse difficile.

Tableau XXI. Autres apprentissages

Types d'apprentissagesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Apprentissages d'ordre comportemental

  • Développement de comportements plus responsables (A 93)
  • Adoption d'une pratique observée par son mentor : «puis plus tard j'ai su que lui, une de ses méthodes pour sortir de ses angoisses, de ses difficultés d'adulte, d'humain, c'était de fréquenter la nature. Ça fait qu'il m'a légué ça (F 74)»
  • Utilisation de mécanismes appris en thérapie pour résoudre les conflits de couple (F 269)

Apprentissages d'ordre informatif

  • Existence d'une tradition chrétienne de méditation (C 61)
  • Signification de son nom (E 131)
  • Informations sur Dom Guéranger (F 298)

Apprentissages relatifs aux valeurs

  • Importance accrue de la prière (B 12)
  • Valeur accordée à la progression : «j'ai appris que l'important c'est la progression et non la perfection (D 231).»

Apprentissage d'ordre affectif

  • Meilleure maîtrise des émotions devant les difficultés avec le copain (A 109)

Faisant le point sur l'ensemble des apprentissages, considérés en relation les uns avec les autres, on retient que même si elle n'apparaît que discrètement dans les apprentissages transformateurs d'ordre spirituel, la dimension de la relation avec autrui se manifeste avec force dans plusieurs autres types d'apprentissages, qu'ils soient d'ordre conceptuel, relationnel ou affectif, ou qu'ils soient relatifs à des attitudes ou à des comportements. En outre, la recherche d'une identité plus authentique se manifeste non seulement dans les apprentissages plus directement liés à soi, mais elle se profile également dans d'autres apprentissages. De même en est-il des contenus ou des contextes spirituels ou religieux, qui ne sont pas confinés aux seuls apprentissages d'ordre spirituel : ils traversent plusieurs autres apprentissages, notamment ceux d'ordre conceptuel et les attitudes.

b. Les désapprentissages

Si de nombreux et divers apprentissages ont été repérés dans les données fournies par le point de vue des sujets sur les résultats des processus d'apprentissage, les désapprentissages se profilent avec beaucoup moins d'emphase. Cette discrétion sur les savoirs abandonnés peut être interprétée comme un indice de la difficulté, pour un sujet, à prendre conscience de ce que le processus d'apprentissage a permis de déconstruire, alors que ce qui a été appris est souvent plus évident, tant dans les conceptions que dans les attitudes ou les images de soi. Toutefois, les désapprentissages qui se dégagent de l'analyse des données n'en sont pas moins éloquents des dimensions qui ont été touchées par les processus d'apprentissage, soit la dimension conceptuelle, les attitudes, la dimension affective et l'identité personnelle, présentées dans le tableau XXII ci-dessous.

Tableau XXII. Les désapprentissages

Types de désapprentissagesExemples tirés d'énoncés provenant des entrevues

Désapprentissages d'ordre conceptuel

  • Abandon de la croyance en la réincarnation (B 81)
  • Savoir abandonné : dualité corps / esprit (C 202)
  • Abandon des croyances véhiculées dans les mouvements de croissance psychospirituels (F 238, 246)
  • Abandon d'une pensée univoque (B 70)

Désapprentissages en rapport avec les attitudes

Attitudes abandonnées en rapport avec la dimension spirituelle ou religieuse

  • Attente religieuse démesurée : «Donc je suis plus dans l'attente de la super grosse communauté là qui va chapeauter tout (D 117)»
  • Ambition de convertir les autres (B 123)

Attitudes envers autrui abandonnées

  • Complaisance à l'égard d'autrui, sans tenir compte de soi (A 56)
  • Attitudes influençables (suivre les autres) (A 95)

Attitude envers soi abandonnée

  • Perfectionnisme : «J'ai décroché de la perfection. Ça m'a pris du temps (D 232)»

Désapprentissages d'ordre affectif

  • Diminution du refoulement des sentiments (B 45)
  • Disparition de la peur (F 268)
  • Moins d'inquiétude par rapport à l'amour donné (apprentissage inachevé) : «Et j'ai arrêté de m'inquiéter, je l'ai encore des fois ça me pogne, j'ai arrêté de m'inquiéter de si je donne de l'amour est-ce que je vais en recevoir, est-ce que je vais me faire duper? (F 361)»

Désapprentissages relatifs à l'identité personnelle

  • Prétention à être Dieu : «On en parle, et comme je suis un être humain dans une personnalité puis un seul corps, je peux pas faire partie de toutes les traditions et de tous les véhicules. Cette histoire-là de me prendre pour Dieu elle m'est impossible (F 309)»
  • Prétention à être un élu de Dieu : «d'abandonner l'idée que j'étais un élu de Dieu, parce qu'on l'est tous, de vouloir cesser d'être mégalomane (F 333)»

Plusieurs savoirs abandonnés sont exprimés par les sujets en relation avec le développement de nouveaux savoirs. Ainsi, certains savoirs d'ordre conceptuel, tels la dualité corps/esprit ou les croyances véhiculées dans les mouvements de croissance psychospirituels, ont été abandonnés à la faveur du développement d'autres idées ou opinions sur la spiritualité. Certaines attitudes envers autrui ou envers soi ont également été abandonnées au profit du développement de nouvelles attitudes.

Si on examine l'ensemble de ces désapprentissages, on remarque que plusieurs d'entre eux portent sur des contenus religieux, tels certains savoirs d'ordre conceptuel, certaines attitudes ou certains désapprentissages relatifs à l'image de soi. Ces désapprentissages religieux donnent un aperçu du travail de déconstruction, non seulement des représentations religieuses, mais également des attitudes et des images de soi que l'éducation religieuse avait forgées et dont plusieurs avaient déclenché un processus d'apprentissage.

c. Synthèse sur les résultats de l'apprentissage

Au terme de cette section sur les résultats de l'apprentissage, la richesse du point de vue des sujets permet d'apporter un éclairage sur les questions suivantes, posées au départ de la recherche : «Quels apprentissages les sujets ont-ils retirés de ces expériences?» «Quels savoirs les sujets ont-ils développés, au regard de leur cheminement spirituel?» D'une part, les apprentissages et les désapprentissages qui résultent des processus entrepris par les sujets rejoignent une grande diversité de dimensions, soit la dimension conceptuelle et cognitive, la dimension psychologique et affective, la dimension comportementale et les attitudes, la dimension sociale et relationnelle, voire même la dimension spirituelle et religieuse. Les apprentissages existentiels s'inscrivant dans le cadre d'un cheminement spirituel touchent donc les sujets dans leur intégralité, tel qu'anticipé dans le cadre conceptuel.

D'autre part, les savoirs développés, transformés ou abandonnés, s'ils sont exprimés en relation plus directe avec l'une ou l'autre de ces dimensions, sont souvent articulés à d'autres savoirs, relevant d'autres dimensions. Cela est particulièrement vrai pour les apprentissages transformateurs qui, même s'ils sont plus directement reliés à la dimension spirituelle ou psychologique, se manifestent de manière transversale dans d'autres apprentissages, notamment d'ordre conceptuel, relatifs à des attitudes ou encore aux relations avec autrui. Dans cette foulée, on peut dire que les cheminements spirituels reposent sur des apprentissages qui, articulés les uns aux autres, présentent la structure ternaire de la vie spirituelle elle-même, soit les relations entre soi, autrui et la dimension transcendante de l'existence. Plus encore, on peut dire qu'une bonne part de ces apprentissages sont articulés entre eux à partir des apprentissages transformateurs d'ordre spirituel, ceux-ci se manifestant sous plusieurs formes et rejoignant plusieurs dimensions. Enfin, il faut ajouter la relation entre plusieurs apprentissages et les désapprentissages, mettant notamment en évidence le travail qui a été effectué par les sujets sur les savoirs religieux reçus, ayant une incidence sur d'autres apprentissages, ainsi que sur le cheminement spirituel dans son ensemble.

5.3 Le processus de développement spirituel : bilan et prospectives

Le deuxième but de la recherche concerne l'examen du processus de développement spirituel dans son ensemble, partir de l'analyse des apprentissages. Les questions posées dans le cadre conceptuel portaient sur l'interprétation, par les sujets, du rôle de leurs apprentissages dans leur développement spirituel, d'une part, et sur leurs représentations des configurations particulières de ce développement, d'autre part. Or, le cadre relativement restreint de la présente recherche et l'abondance des données recueillies et analysées portant sur les apprentissages, dont les résultats ont été présentés dans la section précédente, obligent à réduire la portée de ce deuxième volet de la recherche. Ainsi, cette section ne présentera pas de résultats relatifs au processus de développement spirituel, ce qui dépasserait les limites imposées à un mémoire de maîtrise, mais plutôt une synthèse des éléments à retenir de l'analyse des apprentissages, pouvant apporter un éclairage provisoire sur le processus de développement spirituel, ainsi que des pistes et des questions qui pourraient faire l'objet de travaux ultérieurs.

5.3.1 Bilan provisoire du rôle des apprentissages dans le développement spirituel

Suite à l'analyse des apprentissages, on retient que le développement spirituel s'appuie sur différents processus et résultats d'apprentissage qui sont, pour plusieurs sujets, mus par un même déséquilibre spirituel, intimement lié à leur identité profonde. Ce déséquilibre spirituel se traduit tantôt dans une aspiration, tantôt dans un questionnement ou encore dans une souffrance, touchant la recherche d'un sens à l'existence en lien avec ce qui la dépasse. Il joue un rôle moteur dans le développement spirituel, étant à la source ou à l'origine des motivations plus spécifiques, des opérations mobilisées et des actions entreprises pour donner du sens à son expérience. Plus encore, il joue un rôle intégrateur des différents processus d'apprentissage particuliers dans un processus global et jamais achevé.

En outre, on retient que le développement spirituel s'appuie sur des apprentissages transformateurs, plusieurs d'ordre spirituel et certains liés à l'identité personnelle, se répercutant également sur les conceptions des sujets, leurs attitudes et leurs relations. Dans cette perspective, si les résultats des processus d'apprentissage sont diversifiés, rejoignant plusieurs dimensions de l'existence des sujets, on peut également dire qu'ils convergent vers l'intégration, la réappropriation ou l'éclosion de son identité personnelle, en relation avec autrui et ce qui la transcende. Le développement de l'identité serait au cœur du développement spirituel, ce que Fowler (1981) et Tisdell (2002) avaient déjà mis en lumière. Ce développement spirituel serait étroitement lié à la guérison de certaines images de soi blessées, à l'affranchissement de certains savoirs aliénants, souvent religieux, à la réappropriation personnelle de l'héritage reçu, au développement de nouvelles appartenances, dans la liberté et l'autonomie, et à la transformation de certaines attitudes envers soi et autrui, ouvrant à de meilleures capacités relationnelles.

Dans cette foulée, les travaux de Tisdell (2002) avaient montré que le développement spirituel emprunte une trajectoire en spirale, qui consiste à questionner, s'éloigner, puis à revisiter l'héritage culturel ou religieux reçu. Or, il ressort de l'analyse des apprentissages que, pour certains sujets, cette trajectoire passe également par l'exploration plus ou moins éclectique d'autres traditions religieuses ou spirituelles qui se trouvent, elles aussi, à être tantôt adoptées, questionnées puis abandonnées, tantôt revisitées puis intégrées dans une nouvelle identité et une nouvelle appartenance à l'héritage reçu. Le développement spirituel est donc traversé par une certaine diversité de traditions culturelles, religieuses et spirituelles dont les influences se reflètent dans la manière dont les sujets construisent leur identité spirituelle. Celle-ci consiste non seulement en la réappropriation personnelle de ce qui avait été reçu, par l'affranchissement des savoirs aliénants et la réconciliation avec son héritage, mais également en la construction créative de son identité spirituelle, souvent à tâtons et en l'absence de modèles, à partir de matériaux composites. Ainsi, malgré le fait que les sujets aient en commun d'avoir adopté ou retrouvé une «identité catholique», celle-ci est plus spirituelle que religieuse, c'est-à-dire que les représentations, les attitudes et les appartenances, si elles se réfèrent désormais explicitement à la religion catholique, elles en transcendent néanmoins les frontières, intégrant souvent ce qui est vu comme étant commun à plusieurs traditions ou courants de pensée, qu'ils soient religieux ou non.

Dans ce travail de construction de l'identité, l'analyse des apprentissages a mis au jour, d'une part, la place importante de la souffrance dans les déséquilibres, tant par leur intensité que par leur durée. Si, à rebours, ces états de déstabilisation ont déclenché des processus d'apprentissage produisant des résultats positifs, c'est-à-dire de guérison, de libération et d'enrichissement, ils mettent toutefois en lumière que le processus de développement spirituel est constitué de moments plus ou moins longs et intenses d'incertitude, de fragilité et de douleur. En outre, plusieurs apprentissages d'ordre spirituel et conceptuels, mais aussi des apprentissages liés à l'identité et aux attitudes, montrent que non seulement ces souffrances sont des états de déséquilibre ayant déclenché des apprentissages, mais elles se trouvent également intégrées dans les apprentissages eux-mêmes, se manifestant notamment par un regard plus lucide sur soi, une attitude plus compréhensive envers d'autres ou une compréhension de l'humain comme étant caractérisé par la finitude. En termes de développement spirituel, cela implique que le processus de construction de l'identité intègre non seulement les enrichissements et les découvertes, mais également les pertes subies, les difficultés rencontrées et les marques qu'elles ont laissées en soi.

D'autre part, le caractère interactif des processus d'apprentissage permet de comprendre le développement spirituel non seulement à partir d'une impulsion intérieure, constitutive de l'identité profonde de la personne, mais également à partir des relations sociales qui se sont tissées et qui sont tout aussi constitutives des processus d'apprentissage. Ainsi le développement spirituel s'appuie à la fois sur des processus subjectifs, conscients ou inconscients, volontaires ou non, et des influences sociales positives ou négatives, dans une interaction constante des subjectivités, ce que Mezirow désigne par l'intersubjectivité inhérente à l'apprentissage. Toutefois, comme l'analyse des conditions d'apprentissage l'a montré, le rôle incontournable des interactions sociales dans l'apprentissage est indissociable des contextes concrets, notamment liés au lieu et au temps, dans lesquels ces processus s'inscrivent et par lesquels ils sont également influencés. En ce sens, le développement spirituel ne peut être conçu comme étant programmé de l'intérieur de l'individu, ni subjectivement, ni physiologiquement, ou encore comme étant socialement conditionné, à partir d'influences culturelles ou interpersonnelles. Chacun de ces facteurs joue un rôle déterminant, certes, mais toujours en relation les uns avec les autres. Le développement spirituel se déploie tantôt sous l'impulsion des motivations intérieures, mais dans des conditions qui y mettront un frein, tantôt à partir d'un contexte stimulant ou de l'heureuse initiative de quelqu'un, mettant péniblement en marche une personne jusqu'alors paralysée par la douleur.

5.3.2 Pistes et questions pour approfondir le rôle des apprentissages dans le développement spirituel

Ces conclusions sommaires et provisoires sur le rôle des apprentissages dans le développement spirituel mériteraient non seulement d'être approfondies, mais également d'être mises en relation avec d'autres facteurs mis au jour par les données recueillies, qui n'ont cependant pas pu être analysés. En effet, les récits des cheminements spirituels sont truffés de propos sur l'éducation spirituelle et religieuse, sur le contexte familial et les relations qui en découlent, sur les images de soi liées à l'éducation, au contexte familial ou à des souffrances psychologiques. Ces différents facteurs ont eu une incidence tantôt positive, tantôt négative sur l'ensemble du cheminement spirituel : sont-ils à considérer comme autant de déclencheurs d'apprentissage, à l'instar des expériences? sont-ils plutôt des facteurs qui interviennent dans le développement spirituel et qui sont à considérer en interrelation avec les apprentissages? L'une et l'autre de ces pistes ont été envisagées, mais une analyse plus approfondie serait à entreprendre pour mieux comprendre leur rôle. Déjà, leurs répercussions dans les déséquilibres et les conditions d'apprentissage, de même que dans certains résultats des processus d'apprentissage se sont manifestées et ont été prises en compte. Toutefois, l'interprétation de ces facteurs et de leur rôle dans le développement spirituel mériterait plus d'attention, afin de mieux mettre en évidence, dans le développement spirituel, non seulement ce qui a contribué à l'enrichissement des savoirs, à la transformation du cadre de référence ou à l'affranchissement de l'identité, mais également ce qui a entraîné certains blocages dans le développement, ce dont les résultats présentés n'ont pas pu rendre compte.

En outre, une analyse préliminaire a conduit à identifier des processus d'apprentissage qui n'ont pas donné de résultat ou qui ont avorté : ces processus d'apprentissages interrompus ou ayant échoué jouent-ils un rôle dans le développement spirituel? comment la prise en compte de ces tentatives sans résultat peut-elle éclairer le processus de développement spirituel compris dans son ensemble? Enfin, des données ont été recueillies sur les processus d'apprentissage en cours et sur les projections que font les sujets, tantôt sur leurs résultats, tantôt sur le processus d'apprentissage dans lequel ils sont toujours engagés : comment ces processus actuels peuvent-ils éclairer le développement spirituel et les représentations que s'en font les sujets? En somme, plusieurs pistes entrouvertes par la recherche pourraient être explorées de façon plus systématique, afin d'enrichir les résultats présentés dans ce chapitre, voire de proposer de nouveaux déplacements de perspective.

5.3.3 Le processus de développement spirituel compris dans son ensemble : une exploration à poursuivre

L'analyse des apprentissages a montré que le développement spirituel concerne divers aspects de la vie des sujets, mais a également sa consistance propre : il existe des déséquilibres et des apprentissages portant plus spécifiquement sur la dimension spirituelle. Toutefois, ceux-ci sont en interrelation avec les conceptions, l'identité personnelle, les attitudes et les relations, montrant le caractère transversal du développement spirituel dans l'ensemble des dimensions de l'existence. Or, on remarque que dans les processus et les apprentissages analysés, l'accent est mis sur ce qui touche l'intimité des sujets, même si celle-ci s'inscrit dans une interrelation avec autrui, dans des contextes concrets. En effet, une place marginale est accordée aux rôles sociaux, à la vie professionnelle ou aux conditions de vie, pour ne nommer que des facteurs-là, alors que les relations familiales ou les images de soi, par exemple, sont bien présents, même dans les données sommairement analysées. En outre, les facteurs liés au genre ne se sont pas manifestés dans les récits de cheminements spirituels. Certes, les données recueillies mais laissées de côté sur l'éducation reçue pourraient déjà apporter un éclairage, partiel, sur l'inscription sociale et culturelle du développement spirituel. Toutefois, on pourrait se demander si cette place relativement discrète des facteurs sociaux relève davantage des représentations que se font les sujets de la dimension spirituelle de leur vie, dont seraient exclus certains aspects de leur existence, ou si elle révèle plutôt une particularité du développement spirituel, qui concernerait surtout l'intimité.

Or, cette dernière hypothèse s'inscrirait en porte-à-faux des conclusions de Tisdell (2002) et des travaux de plusieurs théologiennes féministes, qui considèrent la dimension sociale comme étant constitutive du développement spirituel. Pour aller plus loin, il serait donc intéressant d'explorer plus explicitement la dimension sociale du développement spirituel, dans la foulée des travaux de Tisdell (2002), mais également de ceux de Solar (1998), qui, même s'ils ne portent pas sur le développement spirituel proprement dit, accordent une place de premier choix aux relations entre apprentissage et développement dans un contexte d'inéquité sociale. Ainsi, quelle résonance l'éducation reçue, les défis de la vie professionnelle ou les conditions socio-économiques ont-ils sur les apprentissages et le développement spirituel? À plus grande échelle, des différences liées au genre ou à l'origine culturelle sont-elles repérables dans les cheminements spirituels? Pour explorer davantage ces questions, il faudrait compter sur un échantillon reposant sur un plus grand nombre de sujets, dont les origines culturelles et les inscriptions sociales et professionnelles sont plus diversifiées; on chercherait également à entendre le point de vue de gens qui n'ont pas reçu une éducation catholique ou qui ont entrepris une démarche spirituelle ou religieuse dans un autre organisme que catholique.

Enfin, une analyse préliminaire des données révèle la présence de représentations des sujets sur l'ensemble de leur cheminement spirituel. Une analyse plus approfondie permettrait de mieux orienter les questions soulevées sur le rapport entre les représentations de ce cheminement et les différents aspects de l'existence des sujets, incluant leur inscription sociale, d'une part, mais également sur les configurations du développement spirituel qui se dégagent de ces représentations, en relation avec les processus d'apprentissage, d'autre part. Toutefois, une telle analyse ne pourrait pas se contenter d'une approche transversale ou horizontale (Van der Maren, 2006), comparant les sujets entre eux à partir de mêmes catégories, mais devrait déployer une analyse verticale ou longitudinale pour mieux faire apparaître les trajectoires d'apprentissage propres à chaque sujet et les mettre en relation avec les représentations énoncées par ces personnes sur leur cheminement spirituel vu globalement.

Conclusion

La recherche a apporté un éclairage sur les déclencheurs, les processus et les résultats de l'apprentissage existentiel impliqué dans le développement spirituel d'adultes, du point de vue des personnes engagées dans une démarche d'éducation catholique depuis plus ou moins longtemps. Ce point de vue a permis de comprendre le développement spirituel en relation avec le développement de l'identité personnelle, qui consiste en la guérison d'images de soi et de relations blessées et en la transformation du cadre de référence par l'affranchissement des savoirs aliénants, par la réappropriation personnelle de ce qui a été reçu dans l'éducation, voire par l'intégration d'une diversité de traditions spirituelles ou religieuses dans de nouveaux savoirs et de nouvelles appartenances. Ce développement spirituel est mû par un dynamisme lié à l'identité profonde, orienté vers la recherche du sens de son existence en lien avec ce qui la transcende. Ce dynamisme joue un rôle moteur et intégrateur des divers processus d'apprentissage dans lesquels les sujets s'engagent, à partir des expériences qui tissent le cours de leur existence en rapport avec les événements, les situations et les relations.

Cette approche andragogique du développement spirituel permet de mettre en lumière la fluidité et la complexité de ce développement, qui s'appuie à la fois sur des processus subjectifs, liés aux motivations, aux opérations plus ou moins conscientes ou volontaires et aux savoirs mobilisés par les sujets dans les apprentissages, et sur des processus interactifs liés aux actions entreprises par les personnes et aux conditions favorables ou défavorables qu'elles rencontrent. Une telle approche andragogique peut s'avérer fort utile aux intervenants catholiques qui accompagnent les adultes en cheminement, permettant de mieux comprendre le développement spirituel du point de vue des personnes engagées dans les apprentissages qui y sont sous-jacents. À partir de ce point de vue, les intervenants pastoraux peuvent ainsi mieux discerner leur propre rôle et les conditions à mettre en place pour soutenir ces apprentissages.

En outre, la mise au jour, par la recherche, du caractère intersubjectif des apprentissages impliqués dans le développement spirituel, suggère d'orienter la formation de ces intervenants pastoraux vers l'explicitation de leur propres processus d'apprentissage et de développement spirituel, à partir desquels ils guident ceux et celles qui cheminent à leur contact. Si ces processus sont souvent plus ou moins conscients chez les intervenants, ils influencent toujours leurs représentations des apprentissages d'autrui, tout autant que de leurs propres interventions pour le soutenir. L'explicitation de ces représentations et de leur origine n'en est que plus essentielle, au même titre que les connaissances théologiques et andragogiques à acquérir sur le développement spirituel.

Les apports de la recherche intéressent au premier chef les personnes œuvrant en première ligne auprès des adultes qui désirent entreprendre une démarche d'apprentissage catholique, de même que les personnes qui forment ou accompagnement ces intervenants. La problématique et les objectifs de la recherche et plus encore le profil très catholique des sujets ayant accepté d'y participer, inscrivent d'emblée l'approche andragogique du développement spirituel dans des contextes marqués par la religion catholique. En ce sens, les intervenants catholiques peuvent recevoir les résultats de la recherche comme un éclairage pertinent et ajusté à leurs propres questions, dans des contextes similaires à ceux qu'ils rencontrent. Toutefois, le déplacement de perspective proposé par ces résultats apporte un point de vue complémentaire et critique sur les conceptions du développement spirituel véhiculées par la formation théologique qu'ils reçoivent habituellement. En cela, l'apport de l'andragogie peut être reçu comme un enrichissement, voire comme une remise en question féconde de leurs représentations du développement spirituel, pouvant conduire à des interventions encore plus adéquates.

Cette inscription de la recherche dans un cadre catholique, malgré les avantages qu'on peut en tirer, en indique également les limites. En effet, les résultats n'ont pas permis d'élargir la compréhension du développement spirituel à partir du point de vue de sujets n'ayant pas reçu une éducation catholique ou dont les contacts avec cette religion ne se seraient pas produits avant l'âge adulte. En cela, le travail commencé ici reste inachevé, ouvrant sur plusieurs questions qui mériteraient d'être explorées dans des travaux ultérieurs. Toutefois, les résultats de la recherche ont contribué, dans une démarche exploratoire, à mieux définir les contours des apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes en contexte québécois, permettant d'envisager de manière plus précise les pistes et les questions à approfondir. Dans cette perspective, les résultats apportent un éclairage appréciable aux diverses recherches portant sur le rôle des apprentissages dans le développement des adultes en général.

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Annexe 1 - Lettre aux organismes catholiques

Université de Montréal, le 8 juillet 2008

Bonjour,

Tel que convenu par téléphone, je vous fais parvenir les principaux renseignements concernant le projet de recherche pour lequel je sollicite votre aide, afin de recruter des personnes qui acceptent d'y collaborer.

1. Objectifs de la recherche

Par cette recherche, je veux connaître les expériences de vie ayant marqué le cheminement spirituel d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche de foi catholique. Cette étude me permettra de mieux comprendre les divers aspects du développement spirituel des adultes en relation avec les expériences et les apprentissages signifiants de leur vie. Dans mes engagements futurs, un tel projet m'aidera à mieux assurer la formation des personnes qui interviennent dans l'accompagnement spirituel ou la catéchèse des adultes.

2. Adultes recherchés

Pour atteindre ces objectifs, je souhaite recueillir le témoignage d'adultes qui accepteront librement de collaborer à ma recherche en remplissant un bref questionnaire écrit et en participant à une entrevue d'une durée d'environ 1h30. Comme je fais appel à des adultes fréquentant divers organismes catholiques, je sollicite votre aide pour le recrutement de deux (2) adultes fréquentant votre organisme.

Les adultes recherchés sont des personnes dont le profil correspond aux critères suivants :

  • elles commencent une démarche spirituelle au sein de votre organisme alors qu'elles avaient antérieurement rompu avec l'héritage catholique de leur enfance, ou alors que leur cheminement antérieur était étranger à la religion catholique;
  • elles parlent couramment le français;
  • ce sont des adultes d'âge mûr, soit entre 30 et 65 ans;
  • autant que possible, un (1) homme et une (1) femme.

3. Collaboration demandée

Concrètement, il sera demandé aux personnes acceptant de participer au projet :

  • de participer à une entrevue d'une durée approximative de 1h30, dont la date sera fixée selon les disponibilités de la personne; cette entrevue sera enregistrée pour faciliter le travail de recherche;
  • de remplir un bref questionnaire écrit (au début de l'entrevue) visant à recueillir des informations sur leur âge, leur situation familiale, leur occupation principale, leurs origines culturelles et religieuses.

4. Confidentialité des informations

Les personnes participant au projet de recherche partageront leur point de vue et la richesse de leur expérience. En contrepartie, elles sont assurées du traitement confidentiel des renseignements qu'elles me donneront et de l'usage exclusif à la recherche de ceux-ci. Ainsi, aucun risque n'est encouru par les personnes qui accepteront de collaborer à ce projet.

L'Université de Montréal s'est dotée d'une série de mesures pour encadrer les recherches faisant appel à des sujets humains, en matière d'éthique et de déontologie. Les personnes acceptant de collaborer à ma recherche seront invitées à signer un formulaire de consentement, suite à la lecture des informations sur le projet qui leur seront fournies, lorsque je prendrai contact avec elles.

Il me reste à vous remercier chaleureusement pour votre aide dans le recrutement de deux (2) personnes fréquentant votre organisme. Une fois recrutées, veuillez me communiquer le nom et les coordonnées téléphoniques de ces personnes, afin que je puisse communiquer avec elles. D'ici là, n'hésitez pas à communiquer avec moi concernant toute question ou toute difficulté concernant ma demande.

Suzanne Desrochers

Annexe 2 - Formulaire de consentement

Titre de la recherche :
Les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique.

chercheure : Suzanne Desrochers, étudiante à la maîtrise Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal, département de psychopédagogie et andragogie

Université de Montréal, 8 juillet 2008

Bonjour,

Tel que convenu par téléphone, je vous fais parvenir les principaux renseignements concernant le projet de recherche pour lequel je sollicite votre collaboration.

1. Objectifs de la recherche

Par cette recherche, je veux connaître les expériences de vie ayant marqué le cheminement spirituel d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche de foi catholique. Cette étude me permettra de mieux comprendre les divers aspects du développement spirituel des adultes en relation avec les expériences et les apprentissages signifiants de leur vie. Dans mes engagements futurs, un tel projet m'aidera à mieux assurer la formation des personnes qui interviennent dans l'accompagnement spirituel ou la catéchèse des adultes.

2. collaboration demandée

Pour atteindre ces objectifs, je souhaite recueillir votre témoignage personnel sur les moments importants ou ce qui a marqué votre cheminement spirituel jusqu'à maintenant.

Concrètement, il vous sera demandé :

  • de participer, au cours des prochaines semaines, à une entrevue d'une durée approximative de 1h30, dont nous fixerons ensemble la date et le lieu; cette entrevue sera enregistrée et je prendrai quelques notes pendant son déroulement, pour faciliter la suite de mon travail de recherche;
  • de remplir un bref questionnaire écrit visant à recueillir des informations sur votre âge, votre situation familiale, votre occupation principale, vos origines culturelles et religieuses (au début de l'entrevue).

3. confidentialité des informations

En participant à ce projet de recherche, vous partagerez votre point de vue et la richesse de votre expérience. En contrepartie, vous êtes assuré(e) du traitement confidentiel des renseignements que vous donnerez. Ainsi, chaque document vous concernant sera identifié par une lettre, qui ne sera connue que par mon directeur de recherche et moi : votre nom n'apparaîtra sur aucun de ces documents. L'entrevue sera transcrite, puis l'enregistrement sera effacé. Tous les documents vous concernant seront conservés à mon domicile dans un classeur réservé au projet de recherche.

Aucun renseignement personnel ni aucune information permettant de vous identifier ne seront publiés, en tout ou en partie, ni dans le mémoire de maîtrise, ni dans toute autre communication pouvant résulter de cette recherche. Ces renseignements personnels seront détruits 7 ans après la fin du projet. Au besoin, et si vous y consentez, seules les données ne permettant pas de vous identifier seront conservées après cette date, le temps nécessaire à leur utilisation.

4. Avantages et inconvénients

En participant à ce projet, vous contribuerez à l'avancement des connaissances sur le développement spirituel des adultes et à l'enrichissement de la formation des personnes qui accompagnent des adultes en cheminement spirituel. Pour vous-même, cette expérience peut vous donner la possibilité de relire votre cheminement, de le raconter à une autre personne et de le découvrir sous un nouveau jour.

Toutefois, il se peut que vous trouviez l'expérience exigeante, par le temps à investir dans cette collaboration et par l'effort qu'exige le fait de se soumettre aux questions de l'entrevue : il est possible que le fait de raconter votre expérience suscite des réflexions ou éveille des souvenirs émouvants ou désagréables. Si cela se produit, n'hésitez pas à m'indiquer des limites à ne pas franchir. Soyez assuré(e) que je les respecterai en tout temps du processus.

5. Droit de retrait

Votre participation est entièrement volontaire. À tout moment du processus de recherche, vous avez le droit de vous retirer du projet sans préjudice, en me le signifiant verbalement et ce, sans avoir besoin de justifier votre retrait. Si vous décidez de vous retirer de la recherche, veuillez communiquer avec moi, en téléphonant au numéro indiqué au bas de cette lettre. Tous les renseignements que vous m'aurez déjà fournis seront alors détruits.

L'Université de Montréal s'est dotée d'une série de mesures pour encadrer les recherches faisant appel à des sujets humains, en matière d'éthique et de déontologie. Si vous acceptez de collaborer à ma recherche, vous êtes invité(e) à signer le formulaire de consentement qui suit.

6. Formulaire de consentement

Consentement de la personne participante :

Je déclare avoir pris connaissance des informations ci-dessus, avoir obtenu les réponses à mes questions sur ma participation à la recherche et comprendre le but, la nature, les avantages et les inconvénients de cette recherche.

Après réflexion dans un délai raisonnable, je consens librement à prendre part à cette recherche. Je sais que je peux me retirer en tout temps, sur simple avis verbal, sans préjudice et sans devoir justifier ma décision.

Je consens à ce que les données recueillies dans le cadre de cette étude soient utilisées pour des projets de recherche subséquents de même nature, conditionnellement à leur approbation éthique et dans le respect des mêmes principes de confidentialité et de protection des informations.

  • OUI
  • NON

Signature : _____________ Date : ____
Nom : _____________ Prénom : _____________

Déclaration de la chercheure :

Je déclare avoir fourni toutes les informations concernant le but, la nature, les avantages et les inconvénients du projet de recherche et être disponible pour répondre à toute éventuelle question.

Signature : _____________ Date : ____

Nom : _____________ Prénom : _____________

Toute plainte relative à votre participation à cette recherche peut être adressée à l'ombudsman de l'Université de Montréal, au numéro de téléphone (514) 343-2100 ou à l'adresse courriel suivante : ombudsman@umontreal.ca (l'ombudsman accepte les appels à frais virés).

Suzanne Desrochers
Étudiante à la maîtrise
Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal
(département de psychopédagogie et andragogie)
suzanne.desrochers@umontreal.ca
(514) 389-0043

Annexe 3 - Questionnaire écrit

Directive : Pour chacune des questions suivantes, veuillez cocher l'énoncé qui vous correspond.

1. Je suis (cochez) ...

  • une femme
  • un homme

2. Mon âge se situe (cochez) ...

  • à 30 ans ou moins
  • entre 31 et 35 ans
  • entre 36 et 40 ans
  • entre 41 et 45 ans
  • entre 46 et 50 ans
  • entre 51 et 55 ans
  • entre 56 et 60 ans
  • entre 61 et 65 ans

3. Concernant ma situation matrimoniale et familiale, je vis (cochez le ou les énoncés pertinents).

  • seul(e)
    - avec des enfants
    - sans enfant
  • en couple
    - avec des enfants
    - sans enfant
  • avec une (d')autre(s) personne(s) : (précisez : colocataire? membre de la famille autre que le conjoint ou les enfants? Communauté?) ______
  • autre (précisez) : ____________

4. Mon occupation principale est (cochez) ...

  • une profession ou un métier : (précisez) ____________
  • des études : (précisez) ____________
  • un engagement non professionnel (bénévolat, responsabilité familiale ou autre) : (précisez) ____________
  • autre (précisez) : ____________

5. Mes origines culturelles : je suis (cochez) ...

  • né(e) au Québec de parents québécois
  • né(e) au Québec de parents immigrants : (précisez le pays ou la culture d'origine) ______
  • immigrant(e) : (précisez le pays ou la culture d'origine) ______
  • autre (précisez) : ______

6. Concernant la religion, j'ai reçu une éducation (cochez) :

  • catholique
  • chrétienne, autre que catholique (spécifiez) : ______
  • juive
  • musulmane
  • d'une autre religion (spécifiez) : ______
  • non religieuse (sans référence religieuse explicite)
  • explicitement athée
  • autre (spécifiez) : ______

Merci de votre collaboration!

Annexe 4 - Protocole d'entrevue

Durée approximative : 1h30

Accueil : (1-2 min.)

  • Rappel des objectifs de la recherche.
  • Remise du formulaire de consentement.
  • Réponses au questionnaire écrit.
  • Description du déroulement de l'entrevue et vérification de la compréhension par la personne; rappel des mesures prises pour assurer la confidentialité des propos tenus.

1. Les apprentissages qui ont marqué le cheminement spirituel

Q1 : Qu'est-ce qui vous a amené(e) à participer aux activités de Nouveaux Espaces (du Catéchuménat de Longueuil, de Chemins de Vie ou de la paroisse X)? ou
Pouvez-vous me parler de votre cheminement spirituel?

Q2 : Dans votre cheminement spirituel, pouvez-vous identifier des temps forts, des moments particulièrement importants? Pouvez-vous me décrire ces temps forts? (récit libre)

Questions pour approfondir certains aspects des principaux temps forts racontés librement, ou pour stimuler le récit :
Revenons à telle expérience (spécifier) :

Q3 : Pouvez-vous décrire le contexte dans lequel vous vous trouviez alors?

Q4 : Qu'avez-vous ressenti ou pensé, en vivant cette expérience?
(sentiments ou émotions, images, réflexions, prises de conscience, questionnements, interprétations, etc.)

Q5 : Qu'est-ce que cette expérience a déclenché ou provoqué en vous ou dans votre cheminement spirituel? ou
En quoi cette expérience vous a-t-elle marqué(e) ou atteint(e) personnellement?

Q6 : Qu'avez-vous appris de cette expérience? ou
Qu'est-ce que cette expérience vous a apporté sur le plan spirituel?

Q7 : Pouvez-vous me décrire comment vous en êtes arrivé(e)... à une telle transformation? à développer cette attitude? à voir les choses de cette façon?

Q8 : Sur quelles forces ou sur quelles ressources personnelles vous êtes-vous appuyé(e) pour en arriver à une telle transformation? à développer cette attitude? à voir les choses de cette façon? ou
Quelles forces ou quelles ressources personnelles vous ont aidé(e) à une telle transformation? à développer cette attitude? à voir les choses de cette façon?

Q9 : Pouvez-vous décrire quelles sont les conditions (circonstances qui ont influencé le processus d'apprentissage) dans lesquelles vous en êtes arrivé(e) à une telle transformation? à développer cette attitude? à voir les choses de cette façon?
Quelle influence ces conditions ont-elles eu sur vous ou sur votre manière de vivre cette expérience?

2. Le processus de développement spirituel

Q10 : Faisant le bilan des différents moments importants que vous venez de me raconter, pouvez-vous décrire comment ces temps forts (moments importants ou points tournants) ont influencé ou marqué votre cheminement spirituel? ou
Quelles retombées (conséquences, effets) ces moments forts ont-ils eues sur votre cheminement spirituel?

Q11 : Qu'est-ce que vous considérez comme étant «spirituel», dans votre cheminement? Pourquoi?

Q12 : Au terme de cette entrevue, que retenez-vous de votre cheminement spirituel?
Quelle image le décrirait le mieux? ou
Si vous aviez à dire : «Mon cheminement spirituel est comme... ressemble à...»
qu'est-ce que vous diriez?

Fin de l'entrevue

  • Remerciements.
  • Vérification des coordonnées où rejoindre les participantes et participants pour vérification éventuelle du verbatim.
  • Salutations.

Annexe 5 - Taille du matériel recueilli dans les entrevues

Nom fictif des sujets rencontrés en entrevueLettre correspondanteDurée de l'entrevue
(nombre exact de minutes)
Durée de l'entrevue
(nombre approximatif d'heures)
Nombre de pages (double interl.) transcrites, après réduction préliminaire

Aline

A

44 min. 32 sec.

Moins d'une heure

22 pages

Bernard

B

78 min. 56 sec.

1h20

38 pages

Claire

C

99 min. 28 sec.

1h40

40 pages

Daniel

D

119 min. 06 sec

2h00

29 pages

Élise

E

100 min. 41 sec.

1h40

41 pages

Félix

F

172 min. 37 sec.

3h00

41 pages

Annexe 6 - Grille d'analyse provisoire

CatégorieDéfinition du cadre conceptuel

Exp

Expérience importante

Toute interaction entre la personne et son environnement, subjectivement interprétée ou vécue comme quelque chose d'important ou de marquant (qui sort de l'ordinaire ou du banal), provoquant ainsi une rupture avec les automatismes. L'expérience importante est considérée comme le point de départ de l'apprentissage.

Ct

Contexte

Ensemble des circonstances concrètes dans lesquelles une expérience est vécue par un sujet; situation concrète dans laquelle se vit une expérience : personnes impliquées et relations du sujet avec elles, moment où est vécue l'expérience, lieu, etc.

Cond

Conditions d'apprentissage

Ensemble des circonstances concrètes, favorables ou défavorables qui influencent le processus d'apprentissage.

Sent

Sentiments

Expressions de l'affectivité et de la subjectivité engagée dans l'expérience vécue : sentiments ou émotions, images, réflexions, prises de conscience, questionnements, interprétations, etc.

Dés

Déséquilibre/ déclencheurs

État de déstabilisation touchant certains savoirs du sujet, son cadre de référence ou son identité (remise en question, bouleversement majeur, questionnement, etc), et qui provoque ou suscite un processus d'apprentissage.

App

Apprentissages/ désapprentissages

Résultat du processus d'interaction avec l'environnement physique et sociale : ce qui a été acquis, ou encore ce qui a été déconstruit ou abandonné, en regard des savoirs ou du cadre de référence.

Pr

Processus d'apprentissage

Ensemble des opérations mobilisées ou des actions entreprises par la personne pour donner du sens à son expérience, pour la comprendre ou se comprendre à partir d'elle.

Sav

Savoirs antérieurs

Ce qui a été intégré des expériences antérieures ou de la socialisation, et qui est mobilisé dans le processus d'apprentissage : connaissances, aptitudes ou compétences, qualités, etc.

Im

Rôle développemental des apprentissages

Impacts ou effets subjectifs des apprentissages sur la trajectoire du cheminement spirituel.

Repr

Représentations du développement spirituel

Images ou perceptions qu'a un sujet de son cheminement spirituel. Elles comprennent le processus de transformation personnelle intégrant les dimensions de l'identité individuelle et sociale d'une personne qui aspire à une plus grande authenticité de soi, en solidarité avec autrui et le monde, dans l'horizon de ce qu'elle considère comme l'absolu, la finalité de son existence ou la transcendance.

Conf

Configurations du développement spirituel (formes)

Représentation objectivée du développement spirituel, c' est-à-dire qui résulte de l'analyse des apprentissages et de leurs impacts sur la trajectoire de développement spirituel.

Annexe 7 - Grille d'analyse définitive

1. Analyse des apprentissages qui ont marqué le cheminement spirituel

a. déclencheurs d'apprentissage

(A. Exp.) Expériences importantes :

(descr.) Description + contexte
(sent.) Sentiments/émotions impliqués dans l'expérience
(pensées) Pensées/réflexions impliquées dans l'expérience
(sav.) Savoirs reçus impliqués dans l'expérience
(id.) Identité, image de soi impliquée dans l'expérience
(asp.) Désirs, aspirations, besoins impliqués dans l'expérience
(interpr) Interprétation de l'expérience
(impact) Impacts ou effets de l'expérience
(autre) Autre

(A. Éd.) Éducation reçue
(A. Fam.) Relations familiales originaires
(A. Id.) Identité/image de soi
(A. Quête) «Quête», désir, recherche, questionnement existentiels
(A. Dés.) Déséquilibre déclenché
(A. Autre) Autre

B. Processus...

(B. Pr)... conduisant à un apprentissage :

(asp.) Vouloir/décider investi dans le processus
(faire) Ce qui est entrepris (faire)
(op.) Opérations mentales mobilisées
(sav.) Savoirs mobilisés
(id.) Identité/image de soi engagée dans le processus
(subj.) Sentir/éprouver/penser (expression de la subjectivité suscitée par le processus)
(cond.) Conditions d'apprentissage
(durée) Moment/durée du processus
(autre) Autre

(B. Pr Désapp.)... conduisant à un désapprentissage :

(asp.) Vouloir/décider investi dans le processus
(faire) Ce qui est entrepris (faire)
(op.) Opérations mentales mobilisées
(sav.) Savoirs mobilisés
(id.) Identité/image de soi engagée dans le processus
(subj.) Sentir/éprouver/penser (expression de la subjectivité suscitée par le processus)
(cond.) Conditions d'apprentissage
(durée) Moment/durée du processus
(autre) Autre

(B. Pr sans rés.)... sans résultat :

(asp.) Vouloir/décider investi dans le processus
(faire) Ce qui est entrepris (faire)
(op.) Opérations mentales mobilisées
(sav.) Savoirs mobilisés
(id.) Identité/image de soi engagée dans le processus
(subj.) Sentir/éprouver/penser (expression de la subjectivité suscitée par le processus)
(cond.) Conditions d'apprentissage
(durée) Moment/durée du processus
(autre) Autre

(B. Pr actuel)... actuel :

(asp.) Vouloir/décider investi dans le processus
(faire) Ce qui est entrepris (faire)
(op.) Opérations mentales mobilisées
(sav.) Savoirs mobilisés
(id.) Identité/image de soi engagée dans le processus
(subj.) Sentir/éprouver/penser (expression de la subjectivité suscitée par le processus)
(cond.) Conditions d'apprentissage
(durée) Moment/durée du processus
(autre) Autre

(B. Autre) Autre :

C. Résultats de l'apprentissage

(C. App.) Apprentissages (incluant les apprentissages inachevés) :

(spir.) Liés à la dimension spirituelle ou à la «quête»
(id.) Liés à l'identité/image de soi (ce que je suis )
(transf.) Transformateurs : liés au cadre de référence
(croy.) Liés aux croyances/idées (ce que je crois ou pense)
(rel.) Liés aux relations avec d'autres
(att.) Liés aux attitudes
(compt.) Liés aux comportements (ce que je fais)
(val.) Liés aux valeurs (ce qui est important)
(sent.) Liés aux sentiments/émotions (ce que je sens)
(conn.) Liés aux connaissances/informations
(autre) Autres

(C. Désapp.) Désapprentissages :

(spir.) Liés à la dimension spirituelle ou à la «quête»
(id.) Liés à l'identité/image de soi (ce que je suis )
(transf.) Transformateurs : liés au cadre de référence
(croy.) Liés aux croyances/idées (ce que je crois ou pense)
(rel.) Liés aux relations avec d'autres
(att.) Liés aux attitudes
(compt.) Liés aux comportements (ce que je fais)
(val.) Liés aux valeurs (ce qui est important)
(sent.) Liés aux sentiments/émotions (ce que je sens)
(conn.) Liés aux connaissances/informations
(autre) Autres

(C. Autre) Autre :

Avant/après

2. Analyse du processus de développement spirituel

(2. Pr gén.) Processus général d'apprentissage : Description plus générale ou récapitulative du processus entrepris (récit en «je»).

(2. Rôle dvpt.) Rôle développemental des apprentissages

(2. Représ. dvpt.) Représentations du développement spirituel

(2. Conf.) Configurations du développement spirituel

(2. Représ. spir.) Représentations liées à la dimension spirituelle

(2. Représ. rel.) Représentations liées à la dimension religieuse

(2. Autre) Autre : Projections/souhaits

Annexe 8 - Profils des sujets

Nom fictif (sexe)ÂgeSituation matrimoniale et familialeOccupation principaleOrigines culturellesOrigines religieuses

Aline (femme)

Moins de 30 ans (27 ans)

Seule, sans enfant

Études universitaires (2e cycle)

Née au Québec, de parents haïtiens

Sans éducation religieuse; parents et famille élargie : catholiques

Bernard (homme)

Entre 41 et 45 ans (41 ans)

Seul, sans enfant

Enseignant au primaire (suppléant)

Né au Québec, de parents québécois

Éducation catholique

Claire (femme)

Entre 51 et 55 ans (54 ans)

En couple, sans enfant

Adjointe dans une entreprise (CDRoms éducatifs)

Née au Québec, de parents québécois

Éducation catholique

Daniel (homme)

Entre 56 et 60 ans (57 ans)

Seul, sans enfant

Réviseur linguistique

Né au Québec, de parents québécois

Éducation catholique

Élise (femme)

Entre 36 et 40 ans (37 ans)

Seule, avec un enfant

Responsabilité parentale

Née au Québec, de parents québécois

Éducation catholique

Félix (homme)

Entre 46 et 50 ans (47 ans)

En couple avec des enfants (d'autres conjointes)

Technicien en travail social (milieu scolaire) et études universitaires (1er cycle)

Né au Québec, de parents québécois

Éducation catholique

Remerciements

La rédaction de ce mémoire est le fruit d'un laborieux processus d'apprentissage, dont les résultats les plus importants continueront de s'écrire au cours des pages de ma vie. À l'instar de ceux dont il est question dans ma recherche, mes apprentissages ont été particulièrement marqués par les personnes qui m'ont encouragée, soutenue et accompagnée.

Parmi elles, je veux d'abord remercier Monsieur Mohamed Hrimech, mon directeur de recherche, qui a relevé avec brio le défi de diriger un mémoire dont les premiers contours étaient larges et imprécis. Ses connaissances et son expérience andragogiques, son accompagnement à la fois respectueux et rigoureux, de même que son appui indéfectible m'ont guidée au fil des différentes étapes de la recherche.

À la Faculté des sciences de l'éducation, plusieurs personnes ont contribué à créer des conditions favorables à mon cheminement académique. Je veux souligner l'apport substantiel de Madame Claudie Solar à la première étape de la rédaction du projet de recherche, dans le cadre du séminaire. En outre, l'accueil et le soutien de Madame Manon Théorêt, directrice du Département de psychopédagogie et d'andragogie, a favorisé un bon démarrage et une heureuse poursuite de mes études à la Faculté.

De façon anonyme, des personnes ont également œuvré à l'octroi de trois bourses, que j'ai reçues comme un encouragement à donner le meilleur de moi-même : que ces personnes en soient remerciées. Il s'agit d'une bourse d'excellence et d'une bourse complémentaire, reçues en janvier 2007 de la Faculté des sciences de l'éducation en collaboration avec la Faculté des études supérieures, ainsi que d'une bourse de persévérance, reçue en février 2009 de la Faculté des sciences de l'éducation.

La réalisation de cette recherche s'est appuyée sur la collaboration de plusieurs personnes, parmi lesquelles ceux et celles qui ont accepté de me raconter leur cheminement spirituel occupent une place privilégiée. La qualité de leurs récits a donné vie à ma recherche et profondeur à ma réflexion : ma reconnaissance est à la mesure de ce que ces personnes m'ont apporté. De plus, j'ai été assistée par les responsables d'organismes catholiques qui accompagnent des personnes en cheminement spirituel : je veux leur exprimer ma gratitude et mon admiration pour leur engagement.

Enfin, la longue traversée des eaux tumultueuses de la recherche n'aurait pu me conduire au rivage sans le concours de mes proches. Parmi toutes les personnes qui m'ont soutenue et qui ont cru en mon projet, je veux remercier en particulier mon amie, Marie-Josée Poiré, pour sa précieuse contribution aux dernières corrections apportées au mémoire. Ma gratitude et mon admiration va également à mes enfants, Marc-Antoine, Anne-Sophie et Louis-Martin, qui m'ont manifesté leur appui de mille et une manières au fil du quotidien. Leurs projets et leurs aspirations m'ont insufflé la détermination nécessaire à l'accomplissement de mes propres buts.

Je garde mes derniers mots pour mon époux, Alain, qui est depuis près de vingt ans complice de mon quotidien et de mes passions : je lui suis reconnaissante non seulement pour le soutien et la compréhension qu'il m'a manifestées tout au long de cette aventure, mais plus encore de pouvoir partager le même désir d'apprendre et de grandir en humanité.

Crédits

Université de Montréal. Faculté des études supérieures

Ce mémoire intitulé
Les apprentissages impliqués dans le développement spirituel d'adultes qui commencent ou recommencent une démarche d'éducation catholique

présenté par
Suzanne Desrochers

a été évalué par un jury composé des personnes suivantes
Claudie Solar
Francisco Loiola
Mohamed Hrimech

© Suzanne Desrochers, 2009