En cette Année internationale de l'alphabétisation, le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) vous présente les quatre premiers documents pédagogiques de sa toute nouvelle série: «Un visa pour l'alpha pop». Cette série s'adresse avant tout aux animatrices et animateurs en alphabétisation et comprend les titres suivants:
Ces publications constituent le résultat tangible de l'imposant programme de perfectionnement des animatrices et animateurs des groupes populaires expérimenté pour la première fois en 1989-1990 par le RGPAQ. Ces quatre sessions de perfectionnement ont circulé à travers le Québec et ont obtenu un franc succès. Nous souhaitons que ces documents contribuent à faire rayonner encore plus largement le contenu de ces sessions.
Ces documents ont été conçus pour être utilisés dans le travail quotidien des animatrices et des animateurs; ils tentent de coller le contenu théorique à la réalité et aux pratiques d'un groupe populaire en alphabétisation. Nous espérons qu'ils sauront stimuler et enrichir le travail des animatrices et animateurs des groupes populaires œuvrant en alphabétisation.
Le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec tient à remercier le formateur et les formatrices auteures de ces ouvrages, les membres du Comité de coordination et les membres du Comité pédagogique du RGPAQ, l'équipe de production des documents ainsi que les animatrices qui ont participé aux sessions de perfectionnement pour leur contribution essentielle et pour l'investissement d'énergie et de temps que tous et toutes ont consacré sans relâche à l'ensemble de cet ambitieux projet. Nous tenons à souligner la participation financière du Secrétariat national à l'alphabétisation du Secrétariat d'État du gouvernement fédéral sans laquelle ce projet n'aurait pu être réalisé.
Francine Pelletier
Coordonnatrice du programme de perfectionnement
des animatrices du RGPAQ
L'entreprise que nous amorçons ici représente un véritable défi. Dans ce document, nous abordons l'apprentissage chez l'adulte analphabète sous l'angle du processus d'apprentissage. En effet, l'expérience des animatrices nous a souvent démontré que comprendre comment les adultes apprennent permet généralement de mieux évaluer non seulement les outils pédagogiques, mais aussi ce qui se produit chez les personnes qui participent aux ateliers d'alphabétisation. Le processus d'apprentissage est, selon nous, le fil conducteur qui permet de comprendre où se situe la motivation, la capacité d'apprendre, et de bien saisir ce qui s'y passe.
Toutefois explorer le processus d'apprentissage, en quelques pages ou en quelques heures, est une entreprise plutôt ambitieuse. Cette aventure vise non seulement à explorer ce qui se passe quand un adulte apprend, mais aussi à favoriser une meilleure prise sur le processus d'apprentissage et à vous permettre d'acquérir un pouvoir nouveau sur ce processus. Nous avons également cherché à organiser cette démarche de sorte que les acquis auxquels elle donne accès soient utilisables.
C'est donc à un voyage organisé sur les routes sinueuses de la théorie de l'apprentissage que nous vous convions. Mais comme il serait insensé de vouloir découvrir tout un nouveau continent en trente jours, nous avons dû abandonner l'idée de vous promener dans tous les petits coins pittoresques des Cornouailles et des Highlands, ou de vous laisser flâner à votre aise dans les rues du vieux Londres.
Pour respecter notre horaire, nous avons dû nous restreindre aux escales les plus importantes. Vous aurez donc à «vivre» , comme dans tout bon voyage organisé, avec un itinéraire très chargé. Votre guide, Madame La Puce, vous accompagnera tout au long du parcours. Elle se chargera d'attirer votre attention sur des points particuliers, de vous transmettre des directives ou de vous rappeler des éléments importants du voyage.
Les voyageuses qui ont déjà eu l'occasion d'admirer certains paysages, certaines attractions, risquent de voir leur intérêt et leur attention faiblir. C'est pourquoi nous vous invitons toutes à observer ces chemins parfois connus sous un angle entièrement nouveau. Nous ne prétendons donc pas vous offrir, avec ce voyage, votre première prise de contact avec le processus d'apprentissage chez les adultes. Par contre, si l'exploration d'une usine aéronautique du Yorkshire et la contemplation des stalagmites d'une caverne en Écosse sont pour vous des expériences nouvelles, votre curiosité n'en sera sans doute que plus aiguisée. Peut-être connaîtrez-vous la fascination que suscite parfois la découverte de nouvelles connaissances.
Évidemment, nous devrons parfois emprunter des autoroutes, même si vous auriez préféré jouir du charme des petites routes de campagne ou vous attarder au restaurant d'un petit patelin pour y regarder vivre les gens. Peut-être aurez-vous envie par moments de bifurquer par la petite route qui longe la Tamise. Nous ne pourrons nous permettre ces plaisirs ici, mais nous espérons tout de même vous faire profiter d'une démarche pédagogique aux effets pratiques et aux applications souples.
Pour concevoir cet outil pédagogique, nous avons utilisé le modèle théorique de Mme Colette Dufresne-Tassé. Toutes les références et les citations des parties II et III sont tirées, avec son autorisation, de la publication de Mme Dufresne-Tassé, L'Opale de feu. Analyse du processus d'apprentissage de l'adulte. Vous trouverez également une bibliographie à la fin de cet ouvrage.
En complément d'information, nous annexons, sur des fiches à la fin du document, de très courtes considérations sur la dyslexie et sur la métacognition, laissant aux intéressées la liberté de se référer directement aux documents cités. On retrouvera également sur des fiches deux outils pédagogiques: «Où en suis-je?» et «Points de repère», qui aideront la lectrice dans sa démarche.
Le Parcours
Compte tenu des exigences du voyage, nous vous demandons de vous laisser mener en toute confiance. Si parfois les chemins deviennent abrupts, si l'état des routes vous rebute, si vous craignez de vous égarer en chemin, ne vous découragez pas car au prochain carrefour, d'autres précisions viendront sans doute vous éclairer.
L'expédition commence par une réflexion sur ce qu'est l'apprentissage. Cette première partie nous permettra de prendre notre envol et d'atteindre notre vitesse de croisière. Dans la deuxième partie de ce périple, nous explorerons ce qui se passe lorsqu'une participante, Annette, découvre que «P» et «A» font «PA». La traversée de cette étape s'effectuera à l'aide d'un microscope afin de découvrir comment Annette sélectionne son objet d'apprentissage, comment elle prend contact avec lui, de quelle façon elle se le représente. Nous tâcherons également de découvrir comment elle vérifie sa façon de procéder pour apprendre et ce qui en résulte. L'ensemble de ces éléments, appelé unité d'acquisition, mérite une attention particulière. Nous emprunterons ensuite le circuit touristique local où on vous proposera une activité de familiarisation. Notre visite de l'unité d'acquisition se terminera par une reprise des principaux points rencontrés jusque-là. Nous reprendrons ensuite notre route, pour cheminer parmi les implications pédagogiques de l'unité d'acquisition.
Dans la troisième partie du voyage, nous prendrons soin de nous équiper pour l'escalade en montagne. L'activité «Je découvre un nouvel objet» nous assurera une prise sécuritaire sur des sentiers escarpés et souvent glissants tout en redonnant pied à celles qui pourraient souffrir de légers vertiges.
Nous aurons enfin une longue escale où nous retrouverons An-nette. Nous tâcherons de comprendre ce qui se passe quand Annette entreprend un processus d'apprentissage de la lecture.
Par quelles opérations passe-t-elle? Comment passe-t-elle d'une opération à l'autre? Comment et où interviennent ses réactions affectives? Quels profits tire-t-elle de ce processus, tant au niveau de sa connaissance de la lecture qu'au niveau de sa façon d'apprendre? Que lui apportent ses connaissances par rapport à ses sentiments d'autonomie, de compétence et de confiance? Finalement, nous jetterons l'ancre en faisant le point sur le processus d'apprentissage.
Mais avant de mettre pied à terre, nous vous présenterons toute l'histoire d'Annette, participante dans un groupe d'alphabétisation. À la lumière des connaissances que nous viendrons d'acquérir, nous formulerons quelques commentaires sur cette situation réelle fréquente en milieu d'alphabétisation.
Enfin, nous espérons que vous terminerez ce voyage rapide mais chargé et enrichissant, les poches pleines de bons souvenirs et la tête remplie de nouvelles images et de nouvelles intuitions.
Bon voyage!
Attention: Ce texte fait usage exclusivement de la forme féminine par souci de refléter la réalité des équipes d'alphabétisation, composés en très grande majorité d'animatrices. Même si on retrouve une proportion quasi égale d'hommes et de femmes dans les ateliers d'alphabétisation, l'emploi du féminin englobe donc autant les participants que les participantes.
Questions pour une problématique
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Bonjour mesdames. Je suis madame La Puce et je vous accompagnerai tout au long de ce voyage. Mais tout d'abord, vérifions nos bagages avant le départ. Avant de partir, il est nécessaire de savoir d'où on part. À l'aide des quatre questions ci-dessous, précisez votre façon de voir l'apprentissage. Prenez le temps de vous pencher sur ces questions et de formuler des réponses, sur une feuille si vous le désirez.
Situations d'apprentissage
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Maintenant, même si on part en voyage, il ne faut pas perdre contact avec notre quotidien d'animatrice en alphabétisation. Avez-vous bien vos adresses où envoyer vos cartes postales? Encore une fois, vérifions nos outils. Voici des expressions que vous avez probablement déjà entendues chez vos participant-e-s, ainsi que deux situations communes à plusieurs d'entre elles et eux. Trouvez-en d'autres à partir de votre propre expérience et inscrivez-en les grandes lignes sur une feuille. Cela vous donnera assez de lest pour rester près de la réalité sans vous perdre dans les nuages.
Hélène peut rédiger de petites phrases. En lecture cependant, après trois ou quatre mots, elle «bloque» rapidement, elle répète, escamote; ça sort tout d'un coup et finalement, elle ne comprend rien.
Aline se compare toujours aux autres. Avant de commencer n'importe quelle activité, elle va dire: «Ce que tu vas nous faire faire encore, chu pas ben bonne là-dedans». Après une activité, elle répétera: «Chu pas ben bonne là-dedans».
«J'arrive pas à le voir, à le comprendre.»
«Je suis pas bonne.»
«Je suis contente de moi.»
«Je suis capable d'apprendre ça.»
«J'ai jamais été bien bonne pour apprendre.»
«J'ai fait beaucoup d'efforts mais ça rentre pas.»
«J'ai oublié comment s'écrit le mot qu'on a appris hier.»
«Je savais tout ça par cœur hier; aujourd'hui, je suis pas capable de te le dire.»
Ajoutez-y les vôtres:
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Maintenant, nous sommes prêtes à partir. Installez-vous confortablement dans l'autobus volant, on décolle à l'autre page!
Dans quelques lignes, nous entrerons dans le processus d'apprentissage. Mais avant, il est nécessaire de se demander: qu'est-ce que l'apprentissage?
Quelle est la différence entre processus d'apprentissage et démarche pédagogique?
Une démarche, c'est un ensemble organisé d'actions entreprises volontairement pour atteindre un but.
Un processus, c'est un ensemble de phénomènes actifs, reliés entre eux et qui se déroulent dans le temps. En d'autres termes, ce sont les événements qui se produisent quand un adulte apprend.
Voici ce qu'en disent différents acteurs et actrices impliquées dans l'apprentissage:
Des participant-e-s en alphabétisation:
«Le pouvoir entre les mains.1
Autrefois, j'étais une illettrée sans savoir ni compter, ni lire, ni écrire; c'était très dur pour moi; ça m'a fait réfléchir; je n'étais pas plus bête qu'une autre; c'est là que je me suis décidée à prendre des cours.
Je suis très heureuse de pouvoir lire et écrire, ça me donne un but dans ma vie et le courage de foncer. C'est pas facile. C'est pour moi une satisfaction.
Maintenant, en sachant mieux lire et écrire, cela me donne confiance en moi pour affronter des situations que je considère très embarrassantes; par exemple, quand mon filleul me demande de lui lire une histoire avant de s'endormir.
Cela a beaucoup d'importance pour moi de voir que je puisse me débrouiller et de pouvoir parler de beaucoup de choses.
La nécessité de savoir lire et écrire, c'est pour avoir un meilleur emploi et un meilleur salaire. Je suis fière de moi.
Enfin! Je n'ai plus peur d'écrire.»
Louise Nadon
Lyne Petit
Sylvie Sévigny
Avril 1989
Des animatrices:
Voir, percevoir, expérimenter, pratiquer-
Être en contact;
Tisser des liens;
Avoir du pouvoir;
Une acquisition de notions, de connaissances;
Un déroulement d'étapes dirigées vers un but-
Une évolution, un développement, un changement;
Des actes que l'on pose, des expériences que l'on vit;
L'apprentissage est composé d'éléments constamment réemployés.
Selon vous, l'apprentissage c'est:
Certain-e-s auteur-e-s:
«L'apprentissage est une modification d'ensemble continuelle du sujet lui-même pour donner une réponse à tout moment adaptée à son développement interne et aux sollicitations externes.»
A. Paré
«L'apprentissage est un processus de résolution de problème où chaque individu, à partir de ses propres expériences, est amené à traiter différemment un problème par rapport à un autre individu de sorte que l'apprentissage est d'abord et avant tout une individualisation de son adaptation à l'environnement qui amène des changements dans son comportement, dans sa façon de faire et d'être.»
Miller
«L'apprentissage représente l'ensemble des résultats que l'individu dégage de ce qu'il vient d'apprendre. Ces résultats sont incorporés au système de l'individu et agrandissent son répertoire d'habiletés intellectuelles, d'habiletés motrices et de connaissances et informations de telle sorte que, dans des occasions ultérieures, il puisse y avoir transfert de ce qui a été nouvellement acquis.»
«Avec le temps, une personnalité se dessine, une façon de dire «je», dans tout ce qui la concerne, grandit et s'affirme.»
«Cette personnalité se développe à partir des deux processus mentionnés, soit la maturité et l'expérience.»
«Toutes les intentions éducatives permettant d'une façon ou d'une autre à l'élève de pouvoir se définir comme personne à travers les diverses relations qu'il a avec son environnement, seront à retenir.»
G. Noiseux
«Une capacité, un pouvoir nouveau, acquis lors d'un échange avec la réalité. Cette capacité représente un changement perceptible par celui qui l'acquiert et peut influencer sa façon de se voir lui-même.»
C. Dufresne-Tassé
«Apprendre signifie non seulement acquérir la connaissance de certaines choses, c'est-à-dire les liens qui existent entre les choses et pouvoir définir la nature de ces liens, mais également savoir utiliser cette connaissance pour apprendre davantage de choses.»
Dewey
«L'apprentissage, c'est la recherche. L'expérience se fait par des erreurs et des réussites, mais il faut communiquer pour échanger.»
J.-L. Bernard
«Celui qui apprend modifie ses perspectives de base et apprend à faire une critique de la réalité (conscientisation). La conscientisation débouche sur l'action sociale et politique.»
P. Freire
«L'apprentissage (modification de comportement) est le fruit de l'expérience.»
«L'apprentissage est la découverte de soi-même. Il est essentiellement personnel. Apprendre, c'est développer un processus qui a son aboutissement final dans le succès.»
«Apprendre, c'est découvrir le sens et la pertinence des idées pour soi-même.»
G. Pine et P. Horne
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Nous devons poursuivre notre chemin, mais à celles qui voudraient continuer cette réflexion sur l'apprentissage, nous conseillons la lecture de:
«L'apprentissage adulte, essai de définition. Raisin sec et fleur d'amandier», par Dufresne-Tassé, Colette, Éditions Études Vivantes, Montréal, 1981, 51 p.
Mme Dufresne-Tassé y aborde les thèmes suivants:
Eh bien, ça m'a l'air d'être bien des choses à la fois, l'apprentissage!
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Chaussez vos bottes, nous pénétrons dans une caverne. À l'entrée, vous pourrez admirer un mur tout rose au pied duquel nous scruterons une petite pierre brillante à l'aide d'un microscope. Cette amorce de la visite du processus d'apprentissage se poursuivra ensuite sur d'autres éléments composant le processus. Toute une gamme de couleurs à découvrir!
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Indique les opérations effectuées sur les données. C: les opérations de cueillette des données. S: les opérations de synthèse des données. I: les opérations d'intégration des données
Chaque opération prépare la suivante. Ainsi, les opérations de cueillette des données sont à la base des opérations de synthèse.
À leur tour, les opérations de synthèse deviennent la base des opérations d'intégration des données. Et finalement, les opérations d'intégration préparent à la réalisation de nouvelles opérations de cueillette. Les opérations de cueillette des données servent d'entrées au processus. Elles captent l'objet d'apprentissage.
Les opérations de synthèse des données servent à nommer l'objet d'apprentissage. La personne en apprentissage se sert des opérations d'intégration pour assimiler les nouveaux acquis à ce qu'elle savait déjà. Ces opérations la relancent vers de nouveaux apprentissage.
L'évaluation (E) et l'orientation (O) permettent le passage d'une opération à l'autre, d'un stade à l'autre. L'orientation sert à diriger l'action à entreprendre par rapport à chaque opération et à chaque stade. L'évaluation sert à tirer le bilan de ce qui a été appris lors de chaque opération et de chaque stade. Elle permet également de déterminer comment cela a été appris.
La spirale représente l'impact des réactions affectives sur la réalisation des opérations, des phénomènes de passage et sur les stades par son mouvement d'aller-retour qui illustre les actions et les réactions. Les réactions affectives expliquent les ralentissements, les arrêts et les accélérations du processus.
Les stades de possession et de reconnaissance sont le résultat des différents acquis issus des opérations, des phénomènes de passage et des réactions affectives.
Le stade 1, la possession, se compose de deux dimensions:
Le stade 2, la reconnaissance, consiste en la connaissance de l'impact que les apprentissages du stade 1, la possession, ont sur la personne.
Les deux stades contiennent les mêmes éléments et possèdent le même fonctionnement tel qu'illustré dans le schéma de la page précédente.
Les trois demi-cercles, en périphérie du schéma, représentent les possibilités illimitées de recommencement du processus.
Nous aborderons le processus d'apprentissage en explorant ce qui se passe quand un adulte apprend. Ainsi, quand on analyse ce qui se passe lorsque Annette, une participante, apprend à lire, on doit rendre compte de l'ensemble des acquisitions, mais aussi décrire tous les événements qui surviennent au cours d'une de ces acquisitions; par exemple «P» et «A» font «PA».
Que s'est-il passé entre le moment où Annette ne savait pas lire et le moment où elle peut lire? Que se passe-t-il, par exemple, quand elle découvre que «P» et «A» font «PA»? Quand elle découvre que les lettres «i» et «n» du mot lapin correspondent au son «in»? Qu'est-il donc arrivé entre le moment où elle ne savait pas et le moment où elle peut dire: «je sais que c'est le «i» et le «n» qui produisent le son «in» du mot lapin ou «je sais que «P» et «A» font «PA»?
Le modèle que nous vous proposons d'explorer cherche à rendre compte de ces événements qui surviennent à deux niveaux dans l'apprentissage:
Le premier niveau, la plus petite partie isolable de l'apprentissage, se compare à l'atome que le chimiste scrute au microscope pour comprendre la molécule. Nous nommerons cette plus petite partie l'unité d'acquisition.
Le deuxième niveau concerne l'organisation de ces unités d'acquisition et se compare à l'activité du chimiste qui examine cette fois comment se comporte la molécule. Nous appellerons ce niveau le processus d'apprentissage.
«Le processus d'apprentissage est composé d'une série d'unités d'acquisition, mais (...) il ne résulte pas de la seule accumulation de ces unités, (...) l'organisation même de ces unités en est également un aspect important.»2
«Le processus d'apprentissage (...) est l'organisation des unités d'acquisition.»3
«Il est fait d'une série très limitée d'éléments constamment réemployés.»4
Il s'agit de repérer ces éléments et d'étudier de quelle façon ils s'organisent.
Scruter le déroulement de l'unité d'acquisition (la plus petite partie isolable de l'apprentissage) nous donne accès à la trame de l'apprentissage.
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À présent, «collez-vous le nez» au microscope comme un chimiste qui veux examiner la plus petite partie de la molécule (l'atome) afin de comprendre comment se comporte la molécule. Nous allons regarder notre atome (l'unité d'acquisition) pour mieux comprendre le processus d'apprentissage.
L'unité d'acquisition est composé de l'acte d'appropriation et de l'acte de vérification.
Les phases de sélection, de contact et de symbolisation composent l'acte d'appropriation. Les boucles illustrent l'interrelation entre ces phases. La phase de sélection prépare la phase de contact, de même que la phase de symbolisation est amorcée par la phase de contact.
L'acte de vérification s'effectue sur la façon de procéder dans la réalisation des trois phases et sur le produit résultant de l'acte d'appropriation.
Annette découvre que «P» et «A» font «PA».
Annette découvre le son «in».
Comment Annette en vient-elle à découvrir que «P» et «A» font «PA», ou à découvrir que «i» et «n» donnent le son «in», puis à accorder valeur et confiance à cette connaissance?
Cette manière de voir le déroulement de l'activité d'acquisition équivaut à distinguer deux composantes dans cette unité, soit «l'acte d'appropriation qui consiste à saisir un aspect de la réalité et l'acte de vérification qui consiste à évaluer les mouvements qui ont permis de saisir un aspect de la réalité. En d'autres termes: à accorder valeur et confiance à cette connaissance»5
Voyons la définition de l'unité d'acquisition.
«L'unité d'acquisition est le mouvement qui porte un individu vers la réalité et lui permet d'en retirer quelque chose de nouveau. C'est donc une des transactions fondamentales de l'individu avec la réalité (...).»6
On peut donc dire que l'unité d'acquisition fonctionne comme un champ de force.
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Annette établit ici une relation de transaction avec ce qu'elle apprend. Pour qu'il y ait transaction, elle doit établir un contact avec ce qu'elle apprend et en retour, ce qu'elle apprend doit lui dire quelque chose.
Acte d'appropriation ???
Acte de vérification ???
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Donc, dans l'unité d'acquisition, on saisit un aspect de la réalité par l'acte d'appropriation et on évalue les mouvements qui nous ont permis cette saisie par l'acte de vérification.
Voyons ici un récit qui illustre l'unité d'acquisition avec ses composantes, l'acte d'appropriation et l'acte de vérification. Nous pourrons ainsi immédiatement nous familiariser avec le langage qui sera utilisé et avec certains éléments à venir. Lorsque nous croiserons la sélection, le contact et la symbolisation, nous saurons mieux les reconnaître.
Mais attention, ce texte ne décrit pas une situation en alphabétisation. Il a été spécialement créé pour illustrer la notion d'unité d'acquisition dans une situation générale d'apprentissage.
«Il y vint à la fin de l'hiver suivant. Il choisit d'arriver les premiers jours où la terre, grise encore, mollit un peu et accepte de lâcher son odeur. Quand il sortit, au petit matin, il avait en vue de répertorier son bien; il voulait surtout savoir ce que serait son jardin quand il ferait doux. Dans l'univers de terre froide et de branches ternes,
Unité d'acquisition 1
Appropriation A: il distingua du vert pâlot et s'en approcha (sélection, phase 1). Il se pencha et regarda bien (contact, phase 2). C'étaient de toutes petites pousses, comme il n'en avait jamais vues, à peine hautes comme une allumette (symbolisation, phase 3).
Vérification: Il se redressa, fit quelques pas, puis se demanda: «Est-ce bien juste ça, ai-je bien vu? Il se revit en pensée, regardant, et se répondit oui.
Unité d'acquisition 2
Appropriation B: N'apercevant rien d'intéressant à la portée de la vue, il revint sur ses pas et, cette fois, s'agenouilla (sélection, phase 1) et regarda de plus près (contact, phase 2). Il distingua sur le petit bâton vert une ligne d'un bleu intense (symbolisation, phase 3).
Vérification: Il fut étonné de ce bleu, car il n'espérait pas une fleur.
Appropriation C: Il rampa pour changer un peu de position (sélection, phase 1) et fixa à nouveau la petite chose (contact, phase 2). La ligne bleue était maintenant sombre (symbolisation, phase 3) et
Vérification: cela lui parut plus normal.
Il découvrit ainsi, sans le savoir, ses premiers crocus; ce n'est que plus tard, quand il les vit en fleurs qu'il les reconnut, car il n'avait jamais exploré systématiquement les plantes et n'avait jamais consulté de livres.»7
Nous traiterons d'abord de l'acte d'appropriation.
I - Acte d'appropriation
Qu'est-ce que l'appropriation?
«L'appropriation est ce qu'on va chercher de nouveau dans un «regard» sur un objet8.»9 C'est le regard microscopique comme découvrir que «i» et «n» font le son «in».
Comment se déroule l'acte d'appropriation?
Le mouvement d'appropriation vers la réalité se déroule en trois phases.
Phase 1: «On sélectionne, on élit un objet, une partie ou une facette d'un objet.»10
Cette phase 1 est illustrée dans le récit par: «il distingua du vert pâlot et s'en approcha.»
Phase 2: «On entre en contact avec cet objet, cette partie ou facette de l'objet.»11
Cette phase 2 est illustrée dans le récit par: «il se pencha et regarda bien...»
Phase 3: «On se dit à soi-même ce qu'a été le contact, en d'autres termes, on le symbolise, on lui donne une signification, un nom.»12
Cette phase 3 est illustrée dans le récit par: «C'étaient de toutes petites pousses comme il n'en avait jamais vues, à peine hautes comme une allumette.»
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Reprenons ces phases, mais un peu différemment. Nous touchons là l'épine dorsale du processus d'apprentissage, et il vaut mieux procéder avec précision.
Nous venons de découvrir ce que sont ces trois phases; allons voir maintenant les éléments qui permettent leur déroulement.
Phase 1, sélection: «Il faut d'abord élire, sélectionner un objet, une chose sur laquelle porte l'attention. Et pour cela, il faut un intérêt pour cet objet, pour ce type de chose et pour que l'intérêt soit possible, au moins un début de familiarité avec ce type de chose ou objet.»13
Phase 2, contact: «Puisqu'il y a possession, il doit y avoir un contact quelconque, par les sens ou par l'imagination avec l'objet sélectionné.»14
Phase 3, symbolisation: «Enfin, comme il s'agit d'un objet inconnu jusqu'à présent, la seule façon d'arriver à le connaître est d'identifier, de nommer le contact qui a eu lieu. Ainsi, quelque chose d'inconnu devient connu.»15
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Nous vous invitons fortement à participer à la petite expérience «Et si on mangeait?» que vous trouverez en Annexe. Cette expérience vous permettra de prendre contact avec l'unité d'acquisition.
Explorons à présent pour chacune des trois phases, les conditions dans lesquelles elles se réalisent et s'organisent. La phase de sélection, la phase de contact, la phase de symbolisation restent-elles isolées les unes des autres ou se déroulent-elles en interaction?
Phase 1. Sélection
«Nous avons dit que l'acte d'appropriation est ce qu'on va chercher de neuf dans un «regard» sur la réalité. Pour que cette cueillette soit possible, il faut d'abord élire un objet, le distinguer des autres. Pour que cette sélection d'un objet se réalise, il faut porter attention pour repérer soit un objet, soit une partie ou facette de cet objet. Il y a un choix de cet objet ou d'une partie ou facette de l'objet au détriment des autres.»16
L'attention est donc nécessaire à l'apprentissage. On se concentre sur un objet qui a de la valeur pour soi. L'intérêt est indispensable à l'attention.
«Pour que l'intérêt se fixe sur quelque chose, il faut une certaine familiarité, c'est-à-dire, un rapprochement avec quelque chose de son propre univers.»17
On ne peut faire attention à un objet dont on ignore tout.
La situation suivante illustre bien la relation familiarité — attention —apprentissage.
«Lorsqu'un étranger pénètre pour la première fois sur le territoire des Indiens Tête-de-boule (une région du Québec qui correspond au bassin du Haut Saint-Maurice) et ne connaît rien de leur langue, ce qu'il entend d'abord lui semble une cacophonie équivalente à celle que produit un orchestre qui s'accorde avant de jouer. Il n'a ni l'envie, ni la possibilité de retenir quoi que ce soit de ce qu'il entend. Et il en est ainsi tant qu'il ne réussit pas à dégager des unités dans ce tissu de stimulations, ou à rendre certains assemblages de sons familiers: en d'autres mots, tant qu'il n'arrive pas à faire de rapprochement avec quelque chose de son propre univers. Ce rapprochement peut se produire à l'occasion d'une observation comme celle-ci: dans la grande salle d'une maison, des enfants s'amusent autour d'une vieille femme qui a l'air de les traiter avec affection. À partir de ses souvenirs d'enfance et de ce qu'il sait sur la vie en famille étendue, le visiteur pensera: c'est peut-être une grand-mère, et il associera facilement à cette personne le mot KOKUM, que les enfants emploient souvent en ayant l'air de s'adresser à elle. Il supposera: ce mot est le nom de la vieille femme, ou veut dire grand-mère ou ancêtre, ou vieillard. Enfin, l'astuce qui permettra de vérifier cette conjecture permettra aussi au visiteur de faire son premier apprentissage de la langue des Tête-de-boule: le mot kokum veut dire grand-mère.»18
Il y a donc une relation entre familiarité - intérêt -attention et apprentissage.
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L'attention nécessite l'intérêt et ne peut se faire sans une certaine familiarité. La familiarité est nécessaire au démarrage de l'apprentissage.
Points de repère pour observer la réalisation de la phase sélection:
Phase 2. Contact
«L'apprentissage étant une acquisition sur un objet, il faut un contact avec cet objet. Le contact est préparé à la phase 1 (sélection) et il est réalisé au cours de la phase 2.»19
Le contact réalisé en phase 2 est un accueil de l'objet. L'individu sent, touche, regarde, entre en relation avec l'objet.
Pour saisir le monde extérieur, le contact est possible avec les cinq sens ou l'imagination. La phase 2 exige que le contact avec l'objet produise une impression adéquate dans l'organisme.
Deux facteurs empêchent la production d'une impression adéquate:
«La dégénérescence ou l'affaiblissement passager des récepteurs eux-mêmes: la vieillesse ou certaines maladies (...), l'affaiblissement passager (étant) le résultat de l'absorption de certaines drogues ou d'un manque de sommeil ou de nourriture.»20
«Des stimulations trop faibles, trop fortes ou déformées, qui constituent un matériau que les récepteurs ne sont pas habitués ou habilités à traiter.»21
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La surmédicamentation, la fatigue, le manque de nourriture, entre autres, peuvent donc avoir un effet sur la qualité du contact. Il s'agit en fait de l'énergie dont on dispose pour capter ce qu'on va apprendre.
Quelques points de repère pour observer la réalisation de la phase contact:
Phase 3. Symbolisation
Lors de la phase 2, il y a eu contact avec l'objet ou une facette de l'objet. Pour terminer l'acte d'appropriation, il faut identifier le résultat de ce contact.
«La fonction de la phase de symbolisation est de réaliser l'identification à la satisfaction de celle qui apprend.»22
Comment se déroule la phase 3?
Après avoir accueilli la sensation à la phase 2, l'individu «essaie de l'identifier, c'est-à-dire, recherche pour elle un sens, (...) il cherche à la «nommer», à la «symboliser».23 Dans le récit que nous avons vu, ceci correspond, par exemple, à l'expression de l'individu lorsqu'il parle de ce qu'il a vu: «(...) des petites pousses à peine hautes comme une allumette (...)»
«L'identification consiste à se représenter, à se dire «le contact qui a eu lieu à l'aide de mots, mais aussi à l'aide de tous les modes de représentation que possède l'individu, y compris les images sensorielles et les schémas très abstraits.»24
La symbolisation s'opère de deux façons:
Directe: l'identification directe est précise et indique un traitement systématique.
Par exemple, pour Annette, une symbolisation directe sur la lettre «A» consisterait à dire:«Il y a deux lignes obliques et une barre qui unit les deux.»
Analogique: l'identification analogique est habituellement imagée. Elle offre beaucoup de prise à l'imagination.
Par exemple, cette fois, Annette se représenterait le «A» comme une tente.
Points de repère pour observer la réalisation de la phase symbolisation:
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Ici se termine notre visite de l'acte d'appropriation. Nous passons maintenant à l'autre versant de la montagne, l'acte de vérification.
2- Acte de vérification
Pour qu'il y ait apprentissage, il faut pouvoir saisir un aspect de la réalité (l'acte d'appropriation) et accorder valeur et confiance à cette connaissance. En d'autres termes, il faut que l'on ait vérifié le nouvel acquis. C'est précisément ce à quoi correspond la fonction de l'acte de vérification.
Par exemple, pour qu'Annette fasse confiance à sa nouvelle connaissance «PA», il lui faut vérifier que «P» et «A» font bien «PA», soit en l'identifiant ou en le reconnaissant dans un mot comme «papa». Cette vérification permettra que cet apprentissage devienne réutilisable.
«L'apprentissage étant acquisition d'un pouvoir nouveau, une acquisition (...) doit avoir aux yeux de l'individu valeur de capacité: capacité de profiter, de jouir du monde extérieur ou de soi-même, capacité d'agir sur ce monde ou sur soi, pour le simple plaisir de l'action ou pour en tirer quelques bénéfices. Or, cette valeur ne peut être confiée à un apprentissage qu'après une vérification qui a donné des résultats satisfaisants.»25
«Tout acquis est (...) traité au moment de sa réalisation, comme un élément partiellement réutilisable et dont l'emploi servira des fonctions vitales (...). Ces fonctions sont en effet de permettre la compréhension d'une autre partie de la réalité ou d'influencer cette compréhension, d'orienter l'action, de la réaliser ou de la prévoir.»26
Sur quoi porte l'acte de vérification?
«(L'individu) qui juge une de ses acquisitions se penche sur la façon dont il a procédé, sur chacune des trois phases de l'appropriation, et sur le produit qu'elles ont engendré.»27
Ceci est illustré dans le récit par:
«Est-ce bien juste ça, ai-je bien vu? Il se revit en pensée, regardant, et se répondit oui» (vérification de la façon dont il a procédé).
«Il fut étonné de ce bleu car il n'espérait pas une fleur» (vérification sur le résultat).
«Cela lui parût normal» (vérification sur le résultat).
L'acte de vérification comporte donc deux volets:
Points de repère pour observer la réalisation de la vérification des trois phases de l'appropriation:
Phase 1 sélection: La participante porte-t-elle une attention suffisante pour lui permettre de bien saisir l'objet?
Phase 2 contact: Le matériau fourni par les récepteurs est-il d'une qualité suffisante, peut-il servir de base à une activité de symbolisation?
Phase 3 symbolisation: La participante réussi-t-elle à identifier ce qui était présent à la phase contact? Si oui, l'identification est-elle exacte?
«Dans la mesure où l'individu peut répondre positivement aux questions précédentes, c'est-à-dire dans la mesure où le déroulement de l'appropriation satisfait ses exigences, on considère qu'une étape importante de l'unité d'acquisition a été franchie. S'il y a au contraire des étapes mal réalisées, l'individu doit y retourner et réaliser les corrections identifiées. Qu'il ne les fasse pas parce que la situation ne s'y prête pas, ou parce qu'il est pris de paresse, le résultat est le même: il n'y a pas d'apprentissage et de la frustration apparaît. En effet, l'essence même de la phase 1 est un mouvement vers la réalité pour la saisir, et une évaluation négative, l'indice que la réalité n'a probablement pas été atteinte tel que l'individu peut le faire. Si l'expérience de frustration se répète trop souvent, on peut craindre que l'individu ne perde confiance dans sa capacité de saisir de nouveaux aspects du réel, c'est-à-dire dans sa capacité d'apprendre.»28
Points de repère pour observer la vérification sur le résultat:
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Avant d'aller plus loin, faisons le point.
«En bref, on peut dire que l'appropriation débute avec le choix d'un objet et se termine avec la symbolisation du contact qui a eu lieu avec cet objet. Pour ce qui est de la vérification, elle comporte deux volets: un contrôle de la démarche d'appropriation et un examen de la convenance du résultat de cette démarche.»29
«Pour qu'il y ait apprentissage, il faut un acte d'appropriation complet, dûment évalué et trouvé de bonne facture.»30
«En conséquence, on dira qu'il n'y a pas apprentissage si les trois phases de l'appropriation n'ont pas été complétées, s'il n'y a pas eu contrôle, si ce dernier suscite des doutes ou indique des accrocs non réparés à la démarche d'appropriation.»31
«Un acte d'appropriation, accompagné de la vérification pertinente, est la plus petite unité d'apprentissage isolable.»32
«(...) le bouleversement de l'ordre dans lequel elle se déroule nous semble, par contre, difficilement concevable, tout comme l'apparition de la vérification avant celle de l'appropriation.»33
«L'apprentissage peut être considéré comme le résultat d'une démarche de l'individu, comme le produit de l'identification d'un contact avec un objet.»34
«Ainsi, ce modèle fait une place importante aux différences individuelles et permet de tenir compte de ce qu'on appelle «la richesse« de l'apprentissage.»35
«Dans un tel contexte, apprendre est à la fois enregistrer un stimulus et beaucoup plus; c'est, pour l'individu, y réagir avec tout son potentiel, c'est presque le créer, sans que cette création ne trouble le contact avec la réalité.»36
Bon, mais en tant qu'animatrice en alphabétisation, comment peut-on se servir de ce matériel?
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Prenez chacune votre billet pour une randonnée dans les implications pédagogiques de l'unité d'acquisition.
Nous vous présentons ici une situation de communication orale entre une animatrice en alphabétisation et une participante. Cette expérience vécue est évidemment différente du récit d'apprentissage illustrant l'unité d'acquisition. Si elle ne représente pas de façon optimale l'unité d'acquisition, comme le fait le récit, elle nous permettra tout de même de repérer certains de ses éléments. Nous tâcherons d'identifier chez l'animatrice les éléments qui influencent l'acte d'appropriation et l'acte de vérification de la participante.
Suivons attentivement la conversation suivante entre Bibianne, une animatrice, et Aline, une participante au groupe d'alphabétisation, qui vient s'informer sur de nouveaux ateliers pour savoir si elle s'y inscrira ou non.
Les nouveaux ateliers: une mise en situation
Aline Quelqu'un m'a dit qu'on donnait ici une nouvelle sorte d'atelier. (sélection)
Bibianne II y a toutes sortes d'ateliers qui se donnent ici (sélection et contact), c'est vrai.
Aline Je veux dire des ateliers nouveaux, (sélection et contact)
Bibianne Oui, il y a de nouveaux ateliers. Ça ressemble aux ateliers d'alphabétisation (sélection -familiarité) mais on y parle d'alimentation et on lit et on écrit des recettes.
Aline J'ai-tu bien entendu? (contact) Tu veux dire qu'on fait pas la cuisine? (vérification)
Bibianne C'est ça, pas au début, (sélection et contact)
Aline C'est où? Avec qui? (sélection et contact)
Bibianne C'est ici au local 201. C'est avec Lise, (sélection et contact)
Bibianne Est-ce que ça t'intéresse? (vérification)
Aline Je le sais pas encore, (sélection et contact et symbolisation non terminée)
Bibianne Est-ce qu'il y a autre chose que tu voudrais savoir? (sélection et contact)
Aline Je le sais pas.
Bibianne Par exemple, si ça coûte de l'argent et combien, à quelle heure ça commence, à quelle heure ça finit, pourquoi on donne cette sorte d'atelier? (sélection et contact)
Aline C'est pas gratis? (vérification)
Bibianne C'est gratis, (vérification)
Aline ** silence ** (regard)
(j'ai bien entendu, on fait la cuisine, mais pas au début, c'est gratis; je m'inscris) (ici, l'acte d'appropriation et de vérification est terminé pour Aline).
Bibianne ** silence ** (regard)
(A-t-elle bien compris? Oui les ateliers sont gratis, mais ce n'est pas tout) (sélection et contact).
Bibianne Maintenant, veux-tu connaître l'heure, le jour? (sélection et contact).
Aline Veux-tu écrire mon nom sur la liste? (l'unité d'acquisition pour Aline est ici terminée).
Bibianne Attends un peu, on va voir avant de t'inscrire si ça ne tombe pas en même temps que tes ateliers d'alphabétisation (éléments pour réorienter la sélection, le contact et la vérification).
Aline Pourquoi tu prends pas mon nom? Ils ont dit qu'on avait des repas gratis, (sélection)
Bibianne C'est vrai, mais il y a des choses à faire, (réorientation)
Aline C'est ça qu'ils ont dit; qu'il y avait des repas gratis, (vérification sur le résultat)
Bibianne Est-ce que tu te souviens de ce qu'ils ont dit d'autre? (vérification et réorientation)
Aline De venir te voir. (Nouveau départ dans l'exploration, ne fait plus confiance en sa façon de procéder par le «j'ai entendu»)
Bibianne O.K. Je vais regarder avec toi ce que tu sais et ce que tu ne sais pas à ce sujet-là. (Favorise une nouvelle unité d'acquisition)
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Maintenant, avec ce que vous savez sur l'unité d'acquisition, osez répondre à ces questions:
Qu'est-ce qui a été déterminant dans la représentation que se fait Aline des nouveaux ateliers?
Qu'est-ce qui a été déterminant pour Aline dans la vérification de sa façon de procéder et la vérification du résultat?
Comment Bibianne aurait-elle pu intervenir pour qu'Aline puisse saisir ce que sont les nouveaux ateliers?
Avant d'aborder les implications pédagogiques recueillies au cours des sessions de perfectionnement du RGPAQ, nous vous proposons de repérer, à partir de votre pratique, les principaux obstacles à l'apprentissage et les principales habiletés que possèdent les participantes.
Des animatrices nous ont dit avoir observé:
Des habiletés:
Ajoutez-y vos observations
Des obstacles à l'apprentissage:
Ajoutez-y vos observations
Ce repérage vous permettra d'identifier, à partir de votre situation d'alphabétisation, des activités qui permettront aux phases de l'acte d'appropriation et de l'acte de vérification de se réaliser.
Pour faciliter votre démarche, nous vous livrons quelques observations d'animatrices. Selon elles, il importe de tenir compte des points suivants:
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Notre voyage dans le processus d'apprentissage n'est pas terminé. Nous ne pouvons donc pas aller plus loin dans les implications pédagogiques. Pour poursuivre, nous devons d'abord traiter de l'ensemble du processus d'apprentissage. Nous reviendrons donc aux implications pédagogiques plus tard.
Pour l'instant, reprenons notre autobus volant pour découvrir une autre merveilleuse facette du processus d'apprentissage. Nous y rencontrerons les éléments composant l'ensemble du processus d'apprentissage.
De la plus petite partie du processus observable au microscope, nous passons maintenant à une vue aérienne du processus. Préparez vos appareils photo, de beaux sites panoramiques nous attendent.
L'itinéraire que nous venons de suivre nous a amenées à explorer le déroulement et la composition d'une unité d'acquisition prise isolément (découvrir que «P» et «A» font «PA»). En fait, un processus d'apprentissage, par exemple celui qui permet à Annette d'apprendre à lire un texte, renferme un grand nombre d'unités d'acquisition.
Le trajet que nous suivrons maintenant nous conduira vers l'étude des éléments composant le processus d'apprentissage.
En fait, «étudier le processus d'apprentissage équivaut à étudier l'accumulation des acquisitions, leur organisation, leur cheminement et les phénomènes qui sont responsables de cette acquisition et de ce cheminement.»37
Dans un apprentissage, l'acquis qu'une personne en retire est souvent plus important que ce qu'elle voulait savoir. «Spontanément, (elle) recueille une quantité d'informations et quand (elle) en a ramassé assez, (elle) sent le besoin de les regrouper en une synthèse et de les intégrer à ce qu'(elle) savait déjà. Toute cette activité est réalisée au moyen d'unités d'acquisition qui ont des fonctions différentes (...)»38, qu'on nommera ici des opérations:
Opération de cueillette des données;
Opération de synthèse des données;
Opération d'intégration des données.
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Pour que nous puissions passer d'une opération à l'autre, il faut qu'interviennent deux phénomènes articulaires: l'évaluation qui permet de faire le point sur ce qui a été appris et l'orientation qui sert à diriger l'individu vers de nouveaux apprentissages.
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Aux opérations et aux phénomènes articulaires s'ajoute un élément explicatif: les réactions affectives. Ces réactions affectives apparaissent avant, pendant et après l'apprentissage et elles influencent les acquisitions projetées par l'individu.
Par exemple, une participante qui constate que ses progrès sont trop lents se sentira envahie par la peur de l'échec, ce qui affectera son désir de continuer. De même une participante qui se rend compte que son apprentissage va bon train ressentira probablement de la fierté et du plaisir, et abordera ses prochains apprentissages dans des dispositions qui influenceront son fonctionnement.
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Tous ces éléments interviennent soit pour procurer à l'individu des connaissances ou des habiletés, soit pour le renseigner sur le profit qu'il retire de ces acquisitions. Ces deux niveaux d'intervention correspondent aux deux stades de l'apprentissage.
Stade 1. Possession
Connaissance d'un objet extérieur à soi (apprendre à lire) ou acquisition d'une habileté visant le monde extérieur (apprendre à conduire une bicyclette);
Connaissance ou habileté centrée sur soi (comment j'agis quand j'apprends à lire: «C'est plus facile quand j'écoute la cassette en même temps que je suis sur ma feuille avec mon crayon. Je peux arrêter, la réécouter et recommencer à lire.»)
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Stade 2. Reconnaissance
Connaissance de l'impact de l'apprentissage sur soi (ce que rapporte à la participante le fait de savoir lire en termes de capacité et au niveau de l'image de soi).
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À présent, venez étudier la grande carte du processus d'apprentissage. On y retrouve tous les éléments du processus, les avenues, les sens uniques, les attractions, les musées...
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Pourquoi ne pas expérimenter un peu nous-mêmes?
En regardant attentivement l'image ci-dessous, partez à la découverte de la signification de cette image. (Solution) Tout au long de votre expédition, notez:
Cette activité, semblable à une descente dans une caverne où nous pouvons toucher, voir et sentir les stalactites, vous fera descendre et toucher, voir et sentir les composantes du processus d'apprentissage. Le matériel ainsi récolté vous servira pour tout le reste du voyage.
[Voir l'image pleine grandeur]
À présent, escaladons ensemble chacun des éléments composant le processus d'apprentissage:
«Les stades de l'apprentissage indiquent le type de profit que l'individu retire de ses acquis.»39
Les stades déterminent deux catégories d'apprentissage:
«les acquisitions qui permettent de connaître un objet, de le posséder»40
(apprendre à lire, par exemple).
«les acquisitions qui font que l'on reconnaît l'impact que les acquisitions précédentes ont sur le soi, c'est-à-dire, les transformations qu'elles y ont produites.»41
Par exemple: ce que rapporte à la participante le fait de savoir lire en termes de capacité et au niveau de l'image de soi.
Le stade 1 de possession comporte toutes les acquisitions de connaissances ou d'habiletés qui visent le monde extérieur (apprendre à lire) - ou qui sont centrées sur soi.
Les apprentissages centrés sur soi sont ceux que l'individu acquiert sur sa propre façon de procéder quand il ou elle apprend. Par exemple: «Je me sens moins perdue quand on travaille partie par partie».
Les apprentissages centrés sur soi sont le fruit d'un retour sur la façon de procéder adoptée par la participante: comment est-ce que j'agis quand j'apprends de telles choses?
Nous avons déjà vu un type de retour sur la façon de procéder dans la partie sur l'unité d'acquisition consacrée à l'acte de vérification. «Alors, le regard en| arrière avait pour but d'établir la validité de cet acte, tandis que maintenant, il sert à saisir la démarche dans ses particularités: Comment est-elle? longue, difficile, aisée, linéaire, méandreuse (sic), etc.?»42
«Ces apprentissages se présentent quand un individu a peur d'échouer, ou quand il trouve l'apprentissage trop lent ou au contraire quand il est agréablement surpris du résultat de ses efforts.»43
Points de repère pour observer la réalisation du stade 1 Possession:
Connaissances ou habiletés centrées sur le monde extérieur
Connaissances ou habiletés centrées sur soi
Les acquisitions qui se situent au stade 2 renseignent l'individu sur l'impact que ses apprentissages ont sur lui ou elle. En d'autres termes, ils l'informent sur les changements produits par les acquisitions réalisées au stade 1. Ces apprentissages apportent un sentiment de compétence et d'autonomie.
Points de repère pour observer la réalisation du stade 2: Reconnaissance
C'est de la môme façon que l'on doit comprendre une participante qui découvre, après un long parcours tortueux, que sa capacité de lire lui ouvre l'accès à un monde nouveau et qu'elle n'est plus analphabète.
Les acquisitions du stade 2 (reconnaissance) répondent à deux questions:
Nous avons vu que chaque stade peut contenir des opérations de cueillette, de synthèse et d'intégration des données. Nous allons explorer chacune des opérations et étudier leur enchaînement. Étant donné que les opérations fonctionnent de la même manière dans les deux stades, nous les traiterons ensemble.
Définition de la notion d'opération:
«Une opération est une unité d'acquisition qui se trouve incluse dans un processus d'apprentissage et qui a Tune ou l'autre des trois fonctions de cueillette d'information sur un objet, de synthèse de l'information recueillie, ou d'intégration de cette information au bagage que l'individu possède déjà.»45
[Voir l'image pleine grandeur]
Illustrations des opérations du stade 1: Possession
Connaissances et habiletés centrées sur le monde extérieur
«Elle vit une pierre d'un bleu qui ressemble à celui de la mer par jour de grand beau temps (cueillette). Puis elle fut frappée par des étincelles rouges (cueillette), orange (sic) (cueillette) jaunes (cueillette) et vertes (cueillette) vivant dans la pierre (cueillette). C'était une pierre bien curieuse (synthèse) que cette sorte d'opale, austère à première vue (synthèse), mais rapidement chaude (synthèse) et chatoyante comme de la braise (synthèse).
Puis elle s'intéressa de nouveau aux étincelles colorées, qui lui firent penser à l'éclatement des fusées les soirs de fête (intégration).»46
Connaissances ou habiletés centrées sur soi
«Elle regardait (cueillette) ou écoutait (cueillette), puis se trouvait un moyen de retourner en arrière (synthèse) et de retrouver la même chose différemment (synthèse). Elle flaira que cela se disait: tester plutôt deux fois qu'une (intégration).»47
Illustrations des opérations du stade 2: reconnaissance: connaissance de l'impact de l'apprentissage sur soi.
«Elle sentit qu'à cause de son passage chez le joaillier, elle avait désormais des connivences avec ce monde (synthèse) et elle se découvrit ainsi moins isolée du monde des géologues et des ingénieurs (intégration).»48
On constate que l'enchaînement des opérations fonctionne de la même manière que l'unité d'acquisition (voir schéma). Quel que soit leur rythme, l'ordre d'apparition des opérations demeure constant.
Qu'est-ce que l'opération de cueillette des données?
La cueillette des données sert à récolter de l'information sur un objet. La cueillette de données est une unité d'acquisition, elle contient un acte d'appropriation et un acte de vérification.
Nous avons vu que l'unité d'acquisition a pour fonction de faire «saisir» un objet. La cueillette des données consiste à accumuler des acquisitions qui correspondent à autant de facettes de l'objet.
La cueillette des données est illustrée dans la mise en situation d'Aline et Bibianne par les phrases suivantes:
Quelqu'un m'a dit qu'on donnait ici une nouvelle sorte d'atelier.
Je veux dire des nouveaux ateliers.
C'est où? Avec qui?
C'est ça, pas au début.
C'est ici au local 201. C'est avec Lise.
Dans l'activité de découverte du calendrier musulman, pour mener à bien leur exploration de ce monde à découvrir, certaines ont peut-être tourné la feuille afin d'obtenir une ou plusieurs autres perspectives, d'autres l'auront regardée de loin. Bref, la façon d'aborder cet objet a pu varier selon les lectrices. Mais ces différences individuelles dans la façon de récolter de l'information sur un objet n'ont pas d'influence déterminante sur l'ensemble du processus d'apprentissage.
Le point sur les opérations de cueillette des données:
- la cueillette des données assure le contact avec l'objet;
- la cueillette des données permet aussi de saisir l'objet;
- le repérage de chacune des facettes de l'objet est assuré par l'attention. L'attention est assurée par la curiosité, par le désir de savoir;
- «l'objet bouge, il tourne par rapport à l'individu. Cette mouvance nous permet de dire qu'au cours du processus d'apprentissage, il y a à la fois rotation de soi et de l'objet. Cette mobilité des deux pôles d'attraction que sont le soi et l'objet, détermine en grande partie la richesse du processus d'apprentissage»49 (c'est le même fonctionnement que le champ de force utilisé dans l'unité d'acquisition);
- «les opérations de cueillette de données ont tendance à former des séries ou des grappes.»50 Elles fonctionnent sur le mode accumulatif;
- la qualité de l'apprentissage est déterminée par les opérations de cueillette des données.
Points de repères pour observer la réalisation des opérations de cueillette des données:
Qu'est-ce que les opérations de synthèse des données?
Dans l'activité de l'exploration du calendrier, vous avez récolté de l'information. Pour que progresse le processus, vous avez regroupé l'information pour ensuite en faire une synthèse. Par conséquent, on peut affirmer que la cueillette des données doit aboutir à un regroupement, à une synthèse de l'information; sinon, le processus s'arrêterait.
Nous allons maintenant voir comment fonctionnent les opérations de synthèse des données et quelles sont les conditions de leur réalisation.
À quoi sert la synthèse des données?
Les opérations de synthèse reposent sur le produit des opérations de cueillette des données. Elles donnent à ce produit une organisation et une signification qu'il n'avait pas auparavant. Elles servent aussi à organiser les données recueillies.
«Avec les opérations de synthèse, on observe que l'apprentissage «décolle« de l'objet primitif pour se mettre à travailler sur du matériel obtenu sur cet objet.»51
Le travail effectué lors des opérations de synthèse se fait à l'aide de représentations mentales produites sur l'objet.
Voici un exemple qui illustre les opérations de synthèse:
«C'était une pierre bien curieuse (synthèse) que cette sorte d'opale, austère à première vue (synthèse), mais rapidement chaude (synthèse) et chatoyante comme de la braise (synthèse).»52
Nous retrouvons aussi un exemple des opérations de synthèse lorsqu'Annette se représente le «A» comme une tente.
Le point sur les opérations de synthèse:
- «les opérations de synthèse des données ont pour fonction d'organiser les données recueillies durant - les opérations de cueillette;
- les opérations de synthèse ajoutent une signification à des données permettant de cerner la réalité de plus près;
- les opérations de synthèse reposent sur le produit des opérations de cueillette. Les opérations de synthèse donnent à ce produit une organisation, une signification qu'il n'avait pas;
- les opérations de synthèse facilitent le déroulement de la pensée;
- l'organisation des données est favorisée par la phase de sélection qui permet une détermination juste des données à synthétiser;
- la capacité de donner un sens à cet ensemble est favorisée par la phase de symbolisation;
- les opérations de synthèse exigent de la souplesse dans l'utilisation des catégories que l'individu s'est données pour classer ce qui l'entoure.»53
Points de repères pour observer la réalisation des opérations de synthèse:
Qu'est-ce que les opérations d'intégration des données?
Dans les opérations de synthèse, la participante tente une synthèse de ce qu'elle sait sur un objet. Dans les opérations d'intégration, elle cherche à incorporer ce qu'elle a appris à ce qu'elle sait déjà. Elle ne cherche plus rien de nouveau sur l'objet.54
Voici un exemple qui illustre les opérations d'intégration:
«Puis elle s'intéressa de nouveau aux étincelles colorées qui lui firent penser à l'éclatement des fusées les soirs de tête (intégration).»55
Arrêtons-nous un peu pour explorer les fonctions des opérations d'intégration et les conditions de leur réalisation.
À quoi sert l'intégration des données?
Les opérations d'intégration servent à regrouper un nouvel élément avec un et plusieurs autres éléments déjà connus.
Les opérations d'intégration permettent aux nouvelles acquisitions de prendre leur place par rapport aux anciennes en les comparant entre elles. La phase de sélection de l'opération d'intégration oriente vers au moins deux ensembles: un ensemble nouvellement acquis; un ensemble plus ou moins ancien.
«L'intégration se fait en rapprochant les deux ensembles (le nouvellement acquis et l'ancien), en les comparant, en les réconciliant, et même en modifiant l'un des deux.»56
L'intégration s'opère ainsi dans un mouvement de va-et-vient entre les deux ensembles, mouvement qui finit par lui donner un sens. On pourrait ainsi illustrer l'intégration:
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«L'apprentissage réside dans le résultat de cette confrontation.»57
Le point sur les opérations d'intégration:
- Le parcours de l'intégration peut-être facile, ardu, sinueux, cahoteux, plus ou moins long selon que l'individu a l'énergie nécessaire pour se permettre de rejeter des assemblages insatisfaisants et de partir à la recherche d'une meilleure incorporation;
- «Le travail d'intégration exige une capacité de fonctionnement analogique (symbolisation, représentation) pour saisir les ressemblances et connivences à travers les différences (entre les deux ensembles). Le travail d'intégration exige de la souplesse pour trouver aux ensembles complexes un ajustement qui les respecte;
- L'intégration se solde par un accroissement du sentiment de compétence, d'utilité des acquis et de sécurité accrue.»58
Points de repère pour observer la réalisation des opérations d'intégration
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Tout ça vaut bien un petit rafraîchissement sur une terrasse baignée de soleil radieux.
Profitons-en pour réunir les souvenirs ramassés tout au long de cette étape.
«Un processus d'apprentissage est réalisé à coups d'unités d'acquisition qui acquièrent, selon les besoins, des fonctions différentes: cueillir de l'information sur un objet, la synthétiser et la joindre à d'autres déjà acquises. Le résultat de ce processus est ou bien une série d'apprentissages sur le monde extérieur ou sur soi-même, ou la prise de conscience des effets sur soi de ces apprentissages.
Les propriétés les plus saillantes de cet ensemble d'éléments nous semblent les suivantes:
Grâce aux stades et aux opérations, n'importe quelle acquisition peut donc être entraînée dans un courant qui l'amène à participer au fonctionnement le plus central et le plus profond de l'individu.
- Par la mobilité du soi et de l'objet au cours du processus d'apprentissage;
- Par la réalisation même du type d'opération qui crée le besoin du type suivant;
- Par le contact du contenu des acquisitions, à l'occasion de leur intégration, contact qui crée de nouveaux désirs ou de nouveaux besoins d'acquisitions.
Quand on considère ce qui se passe lors de la symbolisation, même lorsqu'il s'agit de cueillette, il y a toujours une part de construction. L'apprentissage est donc, toujours, tout à la fois, mais dans des proportions variables, capter et construire la réalité.
Nous ne voyons qu'une faculté capable de fournir les matériaux nécessaires à cette construction: l'imagination.
Faites le plein:
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Reprenez vos notes de l'activité «Je découvre un objet nouveau». Essayez d'identifier les éléments que vous avez maintenant en main.
Avant de reprendre notre route, repérez les sentiments qui vous ont habitées avant, pendant et après cette activité de découverte. Notez-les.
Les réactions affectives apparaissent avant, pendant et après l'apprentissage. Les réactions affectives naissent en lien avec deux dimensions, la démarche pédagogique et le contenu des acquisitions.
Si, par exemple, devant une copie à faire, une participante se sent dévalorisée, sa démarche en souffrira probablement.
Comment s'opère la transition d'une acquisition à l'autre? Comment se fait le passage d'une opération de cueillette à une opération de synthèse et à une opération d'intégration? D'une acquisition de stade 1 à une acquisition de stade 2?
Pour comprendre les articulations du processus d'apprentissage, nous n'avons qu'à penser à la relation existant entre les opérations de cueillette et les opérations de synthèse. Les opérations de cueillette sont le matériel sur lequel travaillent les opérations de synthèse.
Les articulations du processus d'apprentissage sont l'orientation et l'évaluation. Nous les avons déjà rencontrés lors de l'étude de l'unité d'acquisition.
L'orientation et l'évaluation sont de même nature que la sélection et la vérification. Elles assurent la direction (sélection) de l'apprentissage et le bilan des acquisitions réalisées (vérification).
Regardons de plus près l'orientation.
«(...) l'orientation nous informe sur la façon d'agir de l'individu pour apprendre.»60 De plus, l'orientation se situe tant au niveau de la décision de venir au groupe d'alphabétisation pour apprendre à lire, par exemple, qu'à partir de la micro-décision de lire un paragraphe en particulier.
Points de repère pour observer la réalisation de l'orientation:
Regardons de plus près l'évaluation.
«Comme l'orientation, l'évaluation est un aspect de la démarche que fait l'individu pour apprendre. C'en est un aspect complémentaire: après avoir constaté ce qu'il a fait et porté un jugement sur le résultat, l'individu décide de la direction de ses prochaines acquisitions.»61
L'évaluation a deux fonctions par rapport à l'apprentissage: «(...) elle garantit la qualité des acquisitions et elle en assure une accumulation qui correspond aux orientations que l'individu se donne.»62
Par l'évaluation, l'individu réalise s'il progresse ou pas, et qu'il obtient le bilan quantitatif et qualitatif de ce qu'il a appris, jugeant ses gains en fonction de divers standards (...).»63
Points de repère pour observer la réalisation de l'évaluation:
Le point sur les phénomènes articulaires: orientation – évaluation
- «Les phénomènes articulaires (permettent le) passage d'une opération à l'autre ou d'un stade à l'autre, entretiennent avec les opérations des liens d'interdépendance et d'influence réciproque;
- l'orientation et l'évaluation sont deux aspects de la démarche que suit l'individu pour apprendre;
- l'orientation et l'évaluation sont complémentaires; l'évaluation sert à constater ce qui a été fait et à porter un jugement sur le résultat; l'orientation dirige l'individu dans ses acquisitions.»64
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Nous avons terminé notre expédition dans le processus d'apprentissage. Examinons les souvenirs que nous rapportons dans nos bagages.
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Attachez vos ceintures, cessez de fumer, nous atterrissons. Mais avant de nous quitter, tournons la page pour connaître davantage Annette, participante d'un groupe d'alphabétisation. Nous discuterons de sa situation de participante, nous la verrons dans des activités et nous tâcherons de mettre à profit ce que nous venons de voir tout au long du voyage.
Nous vous proposerons aussi une dernière activité, «Où en suis-je?» (voir Fiche 1), où vous pourrez faire le bilan de vos apprentissages et imaginer des applications pédagogiques.
Nous allons maintenant faire la connaissance d'Annette. Si nous vous proposons cette histoire réelle d'une participante d'un groupe d'alphabétisation, c'est parce que de nombreuses animatrices observent chez les participantes des difficultés d'apprentissage semblables à celles que connaît Annette. Ce matériel d'observations couramment enregistrées par les animatrices nous a semblé particulièrement pertinent et évocateur. Aux observations fournies par les animatrices rencontrées, nous pourrons ajouter de nouveaux champs d'observation.
Après notre rencontre avec Annette, nous amorcerons notre discussion par les constatations à faire et les questions à se poser sur le fonctionnement d'Annette en situation d'apprentissage. À partir de ces observations, nous nous interrogerons sur la façon d'appuyer Annette dans son apprentissage. Enfin, nous nous demanderons comment les activités pédagogiques peuvent favoriser la réalisation des éléments du processus d'apprentissage.
Comme lors de notre exploitation des implications pédagogiques de l'unité d'acquisition, nous vous présenterons des réflexions d'animatrices que nous vous inviterons à compléter par vos propres réflexions. Nous verrons donc, chez Annette, les implications pédagogiques du processus d'apprentissage.
Enfin, vous trouverez sur une fiche un outil «Points de repère pour l'analyse du processus d'apprentissage», qui pourra vous être utile pour observer et identifier des éléments du processus d'apprentissage chez les participantes de votre groupe. Cet outil de repérage schématise les éléments du processus d'apprentissage.
Il y a quelques mois, Annette s'est inscrite en alphabétisation. Elle fait partie du groupe pour débutantes. À 46 ans, il s'agit de sa première expérience d'apprentissage à l'âge adulte.
De son expérience scolaire antérieure, retenons qu'elle fut placée dans un groupe d'handicapés mentaux, où la principale activité pédagogique consistait à «copier».
Annette en alphabétisation
Au début, l'idée d'aller apprendre à lire et à écrire emballait peu Annette. Le centre d'alphabétisation lui suggère donc un essai d'un mois seulement. Elle choisit finalement de rester. Cette décision d'apprendre semble étroitement liée au groupe dans lequel elle est intégrée. Dans ce groupe, elle se montre joviale, elle prend peu de place, elle est conciliante. Annette possède un langage très imagé et sait à l'occasion détendre l'atmosphère par ses drôleries.
À son arrivée, Annette affirmait ne savoir ni lire ni écrire. Cependant, au cours des activités, elle se montre capable de lire toutes les lettres de l'alphabet et de décoder des sons simples (consonne et voyelle, par exemple «PA»). De plus, elle transcrit bien; elle reproduit adéquatement la forme des lettres et respecte l'ordre de gauche à droite et de bas en haut de l'écriture. Elle aime écrire, y apporte de la concentration et beaucoup d'attention, mais elle ne peut écrire dans une activité de dictée. Elle aime aussi dessiner et colorier et exécute ses travaux à domicile avec assiduité.
Une pratique de vie autonome
Annette vit seule en compagnie de ses chats qu'elle affectionne. Elle assume de façon autonome tant les aspects quotidiens de sa vie que la gestion de son budget. Sa pratique de vie quotidienne démontre d'ailleurs qu'elle a su développer des «trucs» de consommation en fonction de son budget de prestataire de l'Aide social. Lorsqu'Annette a ses affaires bien en mains, elle sait où elle s'en va.
N.B. Nous ne nous arrêtons pas sur les méthodes d'apprentissage de la lecture utilisées dans cette partie; ce sujet étant extérieur à l'illustration que nous désirons faire.
Ses activités en alphabétisation
Généralement, Annette parvient à comprendre les phrases dans leur contexte. Ainsi, dans «le singe mange une banane jaune», si le mot «singe» lui pose problème, elle lira le reste de la phrase et, par raisonnement, conclura que c'est le singe qui mange la banane.
L'autre jour, lorsqu'on lui a demandé d'associer des sons à des graphies, le repérage s'est avéré difficile. L'activité consistait à compléter les mots qu'on lui présentait en choisissant les bons ensembles de lettres.
Par exemple, la feuille qu'Annette avait devant les yeux contenait:
[Voir l'image pleine grandeur]
Cependant, le même exercice, mais donné dans un contexte différent, ne lui a posé aucun problème. Dans ce cas-ci, l'animatrice tenait en main des cartons marqués «AN» et «SS», tandis que les participantes avaient des cartons avec les mots à compléter.
Par exemple:
les participantes:
[Voir l'image pleine grandeur]
l'animatrice:
[Voir l'image pleine grandeur]
L'animatrice demandait alors aux participantes: «Qui a besoin de «SS» et de «AN»? Cette fois, Annette arrivait à repérer facilement les sons et les graphies.
Par contre, les jours où elle est fatiguée, nerveuse, où elle a des problèmes avec l'Aide sociale, elle prend l'apprentissage en grippe. Elle se sent alors infantilisée. Tout lui devient ardu, pénible. Elle ne lit plus, elle devine le mot, cherchant maintenant à donner la «bonne réponse». Lors de ces journées pénibles, Annette redevient une personne analphabète.
Constatations et questions sur le fonctionnement d'Annette en situation d'apprentissage
Ce court récit sur Annette nous fournit plusieurs renseignements sur lesquels il est bon de s'arrêter:
Inscrivez ici vos propres réflexions
Suggestions pour appuyer Annette dans sa démarche d'apprentissage
Points de repère: Comment organiser les activités pédagogiques pour tenir compte des différents éléments du processus d'apprentissage?
Complétez
[Voir l'image pleine grandeur]
Tout le monde à table. Nous sommes conviées par les autochtones d'une île à déguster les principaux mets de la région.
Notez que cette activité se fait mieux à deux, l'une étant celle qui mange et l'autre l'observatrice.
À partir de cette image, vous devez choisir un plat à goûter. Qu'est-ce qui va dicter votre choix: la couleur? la forme? la texture?
Comment vous représentez-vous le plat que vous avez sélectionné dans le menu? Imaginez que vous le mangez. La première bouchée entre en contact avec votre langue; comment celle-ci réagit-elle? Votre estomac reçoit cette nourriture, comment réagit-il? Comment l'accueille-t-il?
Pour l'observatrice: Décrivez tout ce qui se passe lorsque la mangeuse mange.
Notes: Le matériel que vous venez de récolter au cours de cette activité vous servira tout au long de l'unité d'acquisition.
Pour celles qui veulent jouer, à l'aide de la table des symboles ci-dessous, complétez les espaces laissés vides. Vous trouverez les solutions à la fin du récit.
Table des symboles:
O: Orientation
E: Évaluation
1-ME: Stade 1, connaissance ou habileté centrée sur le monde extérieur
1-SM: Stade 1, connaissance ou habileté centrée sur soi
2-S: Stade 2, reconnaissance
C: Cueillette
S: Synthèse
I: Intégration
RA: Réaction affective
Les chiffres de 1 à 58 indiquent le numéro de la parenthèse.
L'opale de feu66
Un joli midi de mai, une petite dame très affairée décida de s'offrir quatre heures de délinquance. Elle rentra chez elle, mit son imperméable neuf et ses souliers préférés. Ils avaient bien les talons un peu hauts pour ses projets, mais elle avait décidé d'oublier ce petit inconvénient. Elle partit et trotta allègrement. Le soleil lui chauffait doucement la nuque et le cœur.
Au détour d'une rue, elle vit une curieuse boutique avec, dans sa vitrine toute blanche, une petite tache noire. Elle s'approcha (0,1) et découvrit que la tache noire était un objet insolite qu'elle nomma bijou, faute de mieux. Elle le regarda à peine et entra dans la boutique pour en avoir le cœur net (0,2). À sa question (0,3), un monsieur très strictement vêtu lui répondit: «C'est une opale (1-ME, C, 4), sertie d'or rose. C'est une broche.»
Elle se sentit soudain déraisonnable (RA, 5) et s'entendit dire de la voix flûtée de celle qui en a déjà vu d'autres: «Puis-je la voir?» (0,6). Avec des gestes de thuriféraire, l'homme retira l'objet de la vitrine, prit un morceau de velours grège, l'étendit sur une petite table devant lui et y posa le bijou. L'effet était déjà réussi, mais il voulut probablement quelque chose de plus dramatique, car il pivota sur son tabouret et prit derrière lui une lampe qu'il posa sur la table. Quand il alluma, la petite dame s'assit sur le bord du siège du client et oublia tout ce qui n'était pas dans le cercle de lumière ( 7). Elle vit une pierre d'un bleu qui ressemble à celui de la mer par jour de grand beau temps (1-ME, C, 8). Puis elle fut frappée par des étincelles rouges, (1-ME, C, 9) orange (sic), ( , , 10) jaunes (1-ME, C, 11) et vertes (1-ME, C, 12) vivant dans la pierre ( , , 13). C'était une pierre bien curieuse (1-ME, S, 14) que cette sorte d'opale, austère à première vue, (1-ME, S, 15) mais rapidement chaude ( , , 16) et chatoyante comme de la braise (1-ME,S, 17).
Elle se mit à penser au lapis-lazuli; l'opale est à peu près du même bleu d'outremer, (1-ME, 1,18) mais elle joue avec la lumière (1-ME, I, 19) et le lapis la boit comme du fer.
Puis elle s'intéressa de nouveau aux étincelles colorées, (0,20) qui lui firent penser à l'éclatement des fusées les soirs de fête, ( , ,21). Elle se demanda ce qui créait ce feu, (0, 22). Elle pensa: «C'est certainement la lumière que le joaillier a placée dessus, (1-ME, 1,23) mais pour que la lumière puisse créer, il faut qu'il y ait dans la pierre quelque chose qui lui réponde; (O,24) ça peut être de l'air (O, 25) ou de l'eau?» (0, 26) Elle se souvint de ses cours de physique, (0, 27) qui dataient dangereusement et, péniblement, à tâtons dans sa mémoire, elle trouva quelque chose qui disait: c'est peut-être de l'eau?
Elle leva les yeux de sur la pierre et regarda le joaillier: «C'est de l'eau qui crée ce feu?» demanda-t-elle (E, 28). Puis, tout de suite consciente de ce qu'elle venait de dire, (RA, 29) elle allait s'excuser, quand sortit de la bouche de l'autre un: «Oui madame» caverneux et haché (1-ME, 1, 30). C'était la vieille explication, à son avis mal remplacée par les informations venues des instruments de laboratoire. Il n'aimait pas cette intrusion de la science; son domaine était celui de la rutilence et de l'alchimie. Il ne la détrompa pas, mi par rancune pour la science, mi par une légère inclination à faire alliance avec elle.
Il lui demanda plutôt: «Vous connaissez ces pierres?» Elle ne répondit pas, mais le regarda d'un air qui disait: «Je voudrais bien qu'on m'en parle.»(Q, 31)
La voix caverneuse monta un peu, juste ce qu'il faut pour être agréable et trouva un rythme souple. «Ces opales viennent de Hongrie (1-ME, C, 32) où l'on trouve les plus belles ( , , 33); celle-ci est particulièrement intéressante. Regardez, la courbure du cabochon est parfaite. Le bleu châtoie comme les ailes de certains grands papillons africains. Prenez-la, bougez-la, vous verrez.»
Elle était si attentive qu'il était difficile de se taire. Il continua: «Les opales de Hongrie sont rares (1-ME, S, 34). La plupart de celles qui sont vendues ici viennent du Mexique.» (1-ME, S, 35)
«Comment l'appelez-vous?», demanda-t-elle (0, 36). Sa question tombait mal. Il répondit pour se débarasser: «C'est difficile...» Elle enchaîna: «Elle devrait s'appeler l'opale de feu.» Cela lui plut et il redevint bavard: «La dénomination des opales est très variable, dit-il (1-ME, S, 37). Le terme le plus approprié est probablement opale noble ( , , 38). Celui d'opale de feu est souvent attribué à une pierre plutôt rouge, mais je trouve que vous nommez bien ma pierre.»
«Il y a longtemps que je l'ai«, continua-t-il. J'échouais chaque fois que je voulais l'utiliser, puis, un beau jour, en allant acheter de l'or, j'ai été frappé par la chaleur de l'or rose. Je me suis dit que c'est cette chaleur qu'il me fallait pour ne pas tuer l'opale en la sertissant; et j'ai essayé de fabriquer un écrin à ce papillon de feu.»
Elle l'écoutait toujours, et en même temps, faisait connaissance avec la pierre. Un sentiment de parenté avec celle-ci ne tarda pas à affleurer; elles se ressemblaient, pensait-elle (1-SM, S, 39).
Elle demanda le prix, mais avant qu'il eût pu répondre, elle avait pensé: «C'est insensé». Puis elle lui dit: «Je reviendrai peut-être la semaine prochaine.»
Le joaillier avait compris beaucoup de choses, mais il n'avait pas saisi cette parenté de fraîche date. Si bien qu'il haussa un sourcil et que dans son crâne apparut en lettres majuscules un: «CE N'EST PAS LE TYPE DE FEMME QUI ACHÈTE UN BIJOU PAREIL».
Elle partit, n'ayant dans les yeux que le bijou. La semaine prochaine était beaucoup trop loin. Elle ne reviendrait pas demain, non, pour ne pas avoir l'air d'y avoir pensé toute la nuit, comme une écolière, mais certainement jeudi.
Elle marcha longtemps, presque sans rien voir. Elle pensait à la pierre, sa presque jumelle. Elle se sentait vivante comme elle (RA, 40). Mais vint un moment où le bijou disparut, plongé dans un néant temporaire: elle peut s'amuser autrement. Les instants de néant s'allongeant et se multipliant, elle se mit vraiment à penser à autre chose. Elle se vit, petite dame correcte, comme toutes les petites dames, (E, 41) curieuse (E, 42) - on le lui avait assez reproché, -heureuse quand elle avait réussi ce qu'elle appelait, juste pour elle-même: jouer à la bascule. Cela consistait à donner un peu, à attendre que l'autre fasse sa mise au jeu, à lui répondre, et ceci, jusqu'à ce que le mouvement devienne régulier et facile comme le balancement d'un berceau (E, 43). Cela lui faisait penser à... Elle laissa tomber, car jouer avec ce qu'elle venait de penser lui semblait ardu.
Puis elle se revit chez le joaillier, attentive, soucieuse d'en savoir le plus possible sur la pierre comme sur quelqu'un qu'on connaît peu, mais qui va devenir très cher. Elle s'aperçut pour la première fois d'un de ses petits manèges. Elle regardait (1-SM, C, 44) ou écoutait (1-SM, C, 45), puis se trouvait un moyen de retourner en arrière (1-SM, S, 46) et de retrouver la même chose différemment ( , , 47). Elle flaira que cela se disait: tester plutôt deux fois qu'une (1-SM, I, 48). Elle se demanda si elle n'était pas un brin (sic) tatillonne (0, 49) et cela la contraria un peu (RA, 50). Elle testait pour s'assurer que son attention avait été entière, (1-SM, 1, 51) mais aussi pour ne pas avoir à revenir en arrière ( , , 52). En tout, elle aimait penser au pas suivant, juste le suivant; tout était si bien préparé, si solide qu'il n'y avait pas de raison de craindre (E, 53). Elle aimait penser le pas suivant, puis le réaliser, elle sentait tant d'aisance à agir (, 54).
C'est ainsi qu'elle rentra chez elle et qu'elle prépara le souper à peu près sans s'en apercevoir.
On tarda à venir manger et, selon son habitude, elle prit un livre en attendant. Elle savait pourtant qu'elle ne lirait pas vraiment. Mais l'immobilité de sa posture de lectrice lui plaisait; elle favorisait son dialogue amoureux avec la pierre et avec elle-même. Elle pensa au monde des minéraux, au travail que le temps fait sur eux. Elle sentit qu'à cause de son passage chez le joaillier, elle avait désormais des connivences avec ce monde (2, S, 55) et elle se découvrit ainsi moins isolée du monde des géologues et des ingénieurs (2, 1, 56). Elle allait se trouver prétentieuse et superficielle de penser ainsi (RA, 57), quand on entra. Elle demanda des nouvelles de la journée, servit le repas et fut ainsi pour un instant loin de la pierre et d'elle-même.
Quelques années plus tard, alors que je rencontrais le joaillier, il me raconta qu'il avait vu son opale un soir de bal à l'épaule d'une petite dame qui dansait, souple et digne comme un Koré. Son sourire avait, disait-il, la lumière et la chaleur des coteaux des bords de la mer Egée en juin. Et il me confia: «J'ai alors compris comment une petite dame à l'air rangé et attentif peut acheter une opale de feu.»(l-ME, 1, 58)
Une tablette babylonienne servant de calendrier présente, de gauche à droite en lignes de caractères cunéiformes, les intervalles entre diverses nouvelles lunes et la vitesse de l'astre pendant 25 mois, entre les années 100 et 101 avant J.-C.
O. 7; 1-ME, C, 10; 1-ME, C, 13; 1-ME, S, 16; 1-ME, I, 21; 1-ME, C, 33; 1-ME, S, 38; 1-SM,S,47; 1-SM,I.52;E,54;
Processus d'apprentissage de l'adulte
Artaud, G., Savoir d'expérience et savoir théorique. Pour une méthodologie de l'enseignement basée sur l'ouverture à l'expérience, Revue des sciences de l'éducation, Vol VIII, no. 1, Hiver 1981.
Dufresne-Tassé, C., L'opale de feu. Analyse du processus d'apprentissage de l'adulte, Section d'andragogie et Laboratoire de créativité, santé mentale et apprentissage, Faculté des sciences de l'éducation, Université de Montréal, 187 pp.
Dufresne-Tassé, C., Étude préliminaire des facteurs qui influencent l'apprentissage, Laboratoire de créativité, santé mentale et apprentissage, Université de Montréal, 1977, 30 pp.
Gagné, Brien, Paquin, Les principes fondamentaux de l'apprentissage: application à l'enseignement, Les Éditions HRM Ltée, 1976, 148 pp.
Définition de l'apprentissage
Bernard, J.L., L'apprenant adulte, Andragogie, Sciences de l'Éducation, Université de Montréal, 1984, 109 pp.
Dufresne-Tassé, C.,L'apprentissage adulte, Essai de définition, Raisin sec et fleur d'amandier, Éditions Études Vivantes, Montréal-Paris, 1981, 52 pp.
Marchand, L., Introduction à l'éducation des adultes, ER Éditions Préfontaine Inc., 1982, 209 pp.
Apprentissage expérientiel
Bernard, H., Cyr, J-M., Fontaine F., L'apprentissage expérientiel, Version provisoire, Service pédagogique, Université de Montréal, 1981, 66 pp.
Ostiguy, J., Le portefeuille de l'apprenant, CIRAC Enr., 1987, 40 pp.
Métacognition et adultes analphabètes
Bibeau, M., Le savoir métacognitif des adultes analphabètes portant sur la compréhension de communications orales, Mémoire présenté à l'Université du Québec à Montréal comme exigence partielle de la maîtrise en psychologie, 1984, 108 pp.
Motivation
Biais, M., Quelques théories de la motivation. Suivi de: Examen des recherches sur la motivation des adultes à participer - à apprendre, Andragogie, Sciences de l'Éducation, Université de Montréal, 1983, 128 pp.
Dufresne-Tassé, C, Motiver des étudiants: une intervention clinique?, Andragogie, Sciences de l'Éducation, Université de Montréal, Laboratoire de créativité, santé mentale et apprentissage, 1981, 129 pp.
Autres références
De la Garanderie, A., Pédagogie des moyens d'apprendre. Les enseignants face aux profils pédagogiques, Centurion, 1982, 131 pp.
Dufresne-Tassé, C., Un fol espoir: rendre les adultes créateurs?, Section Andragogie et Laboratoire de créativité, santé mentale et apprentissage, Université de Montréal, 1983, 87 pp.
Lesne, M.,Travail pédagogique et formation d'adulte, Paris, PUF, 1977,185 pp.
Heynemand, J., Dyslexie et fonctions cognitives. Troubles d'apprentissage. Renseignements S.V.P., A.Q.E.T.A., Montréal, 8 pp.
Karassik, J., W., Alphabétisation et troubles d'apprentissage: Manuel des alphabétiseurs, Ottawa, Publié par: Troubles d'apprentissage - Association Canadienne, 1989, 32 pp.
*Les thèmes conditions d'apprentissage, outils et techniques se retrouvent dans les ouvrages déjà cités.
Pour compléter ces références, consulter:
Gladu, N., Pelletier, F., Documentation, information, ressources en alphabétisation: une réponse aux besoins des animatrices en alphabétisation, Montréal, RGPAQ, 1989, Chapitre 4: L'apprentissage, pp. 76-94.
* À partir de ce que je pensais sur l'apprentissage et le processus d'apprentissage:
* Je dirais que mes nouveaux apprentissages m'ont:
(utiliser des mots qui font image)
* m'ont permis de:
Vérifier
Questionner.
Consolider
Infirmer
Explorer
Confirmer
Interroger
* Mes nouveaux apprentissages pourraient améliorer mes interventions pour appuyer les personnes analphabètes dans leur démarche d'apprentissage.
OUI
décrire pourquoi:
NON
décrire pourquoi:
* Les applications pédagogiques que j'imagine.
Retour au textePoints de repère pour observer le déroulement du processus d'apprentissage
L'unité d'acquisition
Points de repère pour observer la réalisation de la phase sélection:
Points de repère pour observer la réalisation de la phase contact:
Points de repère pour observer la réalisation de la phase symbolisation:
Points de repère pour l'observation de la réalisation de la vérification des trois phases de l'appropriation:
Phase 1 (sélection): La participante porte-t-elle une attention suffisante pour lui permettre de bien saisir l'objet?
Phase 2 (contact): Le matériau fourni par les récepteurs est-il d'une qualité suffisante, peut-il servir de base à une activité de symbolisation?
Phase 3 (symbolisation): La participante a-t-elle réussi à identifier ce qui était présent à la phase contact? Si oui, l'identification est-elle exacte?
Points de repère pour observer la vérification sur le résultat:
2. Processus d'apprentissage
Points de repère pour observer la réalisation du stade 1 Possession:
Connaissances ou habiletés centrées sur le monde extérieur
Connaissances ou habiletés centrées sur soi
Points de repère à observer pour la réalisation du stade 2 Reconnaissance:
Points de repères pour observer la réalisation des opérations de cueillette de données:
Points de repères pour l'observation de la réalisation des opérations de synthèse:
Points de repère pour observer la réalisation des opérations d'intégration:
Points de repère pour observer la réalisation de l'orientation:
Points de repère pour l'observation sur la réalisation de l'évaluation:
par: Jacques Heynemand D.L.L., professeur agrégé Section d'orthopédagogie, Faculté des sciences de l'éducation, Université de Montréal.
pour: AQETA - QACLD, Montréal, 1978, 8 pp.
L'auteur traite dans cet article de la dyslexie chez l'enfant. Après avoir défini ce qu'est la dyslexie, il présente principalement deux points de vue sur le sujet: le point de vue médical qui se distingue par son approche pathologique, et le point de vue pédagogique, où les psychiatres, psychologues et enseignant-e-s parlent plutôt de «dyslexie-syndrome».
Heynemand fait ensuite état des méthodes pédagogiques préconisées pour l'enseignement de la lecture à l'enfant dyslexique. Entre autres, il introduit et discute la méthode alphabétique et la méthode phonétique. En outre, à la lecture de ce texte, il apparaît impossible d'affirmer que confondre la gauche et la droite soit un problème de dyslexie.
Pour conclure, ce texte court et accessible peut intéresser les formatrices en alphabétisation qui désirent mettre à jour leurs connaissances. En effet, l'auteur y fait le point sur les principales approches de la dyslexie.
Le savoir métacognitif des adultes analphabètes portant sur la compréhension de communications orales
par: Marc Bibeau
présenté à l'Université du Québec à Montréal, comme exigence partielle de la maîtrise en psychologie, septembre 1984, 108 pp.
Cette recherche porte essentiellement sur le savoir métacognitif que possèdent les adultes analphabètes dans le domaine de la compréhension de la communication orale. «L'objectif principal de la recherche est de voir dans quelle mesure le déficit métacognitif caractéristique des enfants en difficulté d'apprentissage (...) ne caractériserait pas également les adultes analphabètes» (p. iii).
Les conclusions présentées par l'auteur se basent sur l'analyse de trente questionnaires dont quinze ont été remplis par des personnes analphabètes et l'autre moitié par des personnes alphabétisées. La comparaison des résultats «ne permet pas de parler d'un déficit métacognitif chez les adultes analphabètes (...)» (p. iii).
Des conclusions émises par Bibeau, nous retenons les suivantes:
Bibeau termine son ouvrage en présentant des considérations pédagogiques dont:
Finalement, plusieurs formatrices en alphabétisation se sont montrées intéressées par cette recherche. Elles y ont retenu en particulier les perspectives que cette démarche offre pour l'utilisation possible des savoirs métacognitifs que possèdent les adultes analphabètes dans la compréhension de la communication orale, savoirs réutilisables au niveau de la compréhension de la communication écrite.
Nous tenons à exprimer notre gratitude à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à ce travail.
En particulier, nous remercions Bernard Hudon, Elise De Coster et Hélène Hagan pour leur précieuse collaboration, ainsi que Nicole Gladu pour ses commentaires.
Nous voulons également exprimer notre reconnaissance aux animatrices et animateurs qui ont participé aux sessions de formation pour leur curiosité et leur fascination à découvrir et comprendre ce qui se passe quand les hommes et les femmes analphabètes apprennent.
Michèle Dupuis
Coordination du projet
Francine Pelletier
Rédaction
Michèle Dupuis
Comité de pédagogie
Claudette Bérubé
Hélène Laferrière
Ken Landry
Mario Raymond
Pierre Simard
Saisie du texte
Carolle Roy et Danielle Boudreau
Correction du texte
Claudine Vivier
Relecture du texte
Comité de pédagogie
Conception graphique et illustrations
Pierre Lachance
Éditique
Lisa Tremblay
Correction d'épreuve
Louise Miller et Nicole Lachapelle
Impression
Imprimerie LEBONFON
Une division de Groupe d'imprimeries Quebecor inc.
Les opinions exprimées dans ce document sont celles de l'auteure et ne représentent pas nécessairement la position officielle du RGPAQ.
Publié par le Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ). Septembre 1990.
On peut commander des exemplaires de ce document en s'adressant au:
Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ)
5040 boul. St-Laurent, apt. 1
Montréal (Québec) H2T 1R7
Tél.: (514) 277-9976