Ce présent rapport "Une recherche participative qui fait réfléchir", constitue la dernière production relative à cette recherche participative. Elle s'adresse aux groupes membres, plus particulièrement aux animatrices et animateurs et nous sommes conscients que les conseils d'administrations des organismes pourraient également être intéressés par ce texte. Son but est de rendre compte de certains éléments "effleurés" dans les productions précédentes et vise à susciter une certaine réflexion sur quelques aspects de la perception des participantes et participants concernant leur participation et leur implication dans l'espace démocratique de leurs groupes respectifs.
Le Regroupement (RGPAQ) souhaite, par cette dernière production, aider ses groupes membres à continuer de développer et d'améliorer la vie associative de leur organisme.
Le Regroupement des groupes populaires d'alphabétisation du Québec initiait en avril 1994, une recherche participative menée auprès des participantes et participants des groupes membres. Cette recherche, financée par le Secrétariat National d'alphabétisation (SNA), avait pour but de cerner la perception qu'avaient ces participantes et participants, de la place qu'elles et ils occupent dans leur groupe respectif. Elle visait également à mettre en lumière les changements qu'elles et ils observaient suite à leur participation dans leur organisme.
Quarante participantes et participants (vingt et une femmes et dix-neuf hommes), fréquentant les ateliers d'alphabétisation depuis au moins deux ans, ont été sélectionnés par les animatrices et animateurs de vingt-trois groupes de plusieurs régions du Québec. Chaque personne a été rencontrée, pendant une heure, dans le cadre d'une enquête. Le questionnaire d'entrevue portait sur la vie personnelle, la fréquentation du groupe d'alphabétisation et les changements observés. Chaque entrevue était enregistrée pour être, par la suite, consignée par écrit. Cette enquête-terrain a été effectuée d'avril 1994 à avril 1995, par Johanne Letourneux.
Un comité aviseur, composé de quatre personnes fréquentant trois groupes d'alphabétisation populaire, s'est réuni à cinq reprises au cours de l'année 1994-1995. Le rôle de ce comité était d'aider la recherchiste notamment en ce qui avait trait au questionnaire d'entrevue et d'agir à titre "d'expert" en donnant son avis au fur et à mesure du déroulement de l'enquête
Un premier rapport intitulé "Un plus pour moi", rédigé par Johanne Letourneux, a été remis en avril 1995, au comité de coordination du Regroupement. Suite à ce compte-rendu, le RGPAQ privilégiait la production de trois textes qui visaient des lecteurs différents.
En mars 1996 le comité aviseur se réunissait de nouveau pour clôturer la démarche participative et faire part de ses commentaires face aux résultats de l'enquête-terrain. Une édition spéciale de "Mon Journal", le journal des participantes et des participants des groupes d'alphabétisation du RGPAQ, faisait le point sur l'ensemble de la démarche, en avril 1996.
Jusqu'à main tenant, certaines animatrices et certains animateurs de groupes d'alphabétisation ont utilisé cette édition spéciale et d'autres ont fait part de leurs commentaires au Regroupement. Une participante du comité aviseur a témoigné de sa très grande satisfaction et de sa fierté, relativement à la qualité de ce numéro "Édition spéciale". Les participantes et participants sont spécialement invité-es à faire part de leurs commentaires, à l'endos de "Mon Journal", auprès du comité journal du Regroupement.
Le "Monde alphabétique" qui paraîtra en septembre 1996 présente un article intitulé: Fréquenter un groupe d'alphabétisation populaire, ça change pas l'monde sauf que... qui reprend certains éléments des résultats de cette recherche participative.
Il est admis d'emblée que tout groupe d'alphabétisation populaire qui désire devenir membre du Regroupement des groupes populaires d'alphabétisation du Québec (RGPAQ) doit répondre, parmi les conditions d'adhésion, à la nécessité d'avoir des espaces d'implication démocratique pour ses participantes et participants. Il est donc acquis que les groupes membres du RGPAQ possèdent ces espaces. La recherche participative visait à cerner quelle était la "perception" des participantes et participants, face à ces lieux. Elles et ils en ont identifié plusieurs ce qui, après analyse, permet également de jeter un éclairage sur les types d'implication vécus par celles et ceux qui choisissent d'utiliser les services d'alphabétisation populaire.
Mentionnons tout d'abord que l'enquête-terrain révèle que le trois quart des participantes et participants interrogé-es assiste à d'autres activités que leurs ateliers-cours. Elles et ils prennent part à des événements divers allant des fêtes, anniversaires, sorties culturelles et récréatives à des activités d'auto-financement, journal étudiant ou encore manifestations organisées. Certains vont même s'occuper de la promotion, du recrutement et de faire de la sensibilisation en effectuant du porte-à-porte, des rencontres avec les médias ou encore en agissant à titre de porte parole de leur groupe.
Parmi ces personnes actives, certaines font partie de comités. Ces comités structurés offrent des champs d'intérêt tout aussi originaux que la personnalité différente de chaque groupe d'alphabétisation: comité des participants, comité de la condition masculine, comité journal, comité des fêtes, comité des femmes sont autant de lieux où une bonne proportion de gens interrogés se retrouve.
Une très grande majorité de participantes et participants assiste aux assemblées générales de son organisme. Les formes de participation à ces assemblées sont différentes d'un groupe à l'autre. À certains endroits, l'assemblée générale est préparée avec les apprenants, dans le cadre des cours, alors qu'à d'autres, ce sont les membres du conseil d'administration qui le font. Parfois il arrive que l'assemblée dure toute une journée, ce qui implique une organisation plus élaborée, alors qu'à d'autres endroits, l'assemblée générale se fait durant les heures de cours ce qui facilite la présence d'un plus grand nombre.
L'ensemble des personnes reconnaît collaborer activement aux consultations et prises de décision concernant les ateliers, tant au niveau du contenu que de l'organisation matérielle de ceux-ci. Cette participation amène les personnes à prendre "leur place" et à se mouiller émotivement en prenant position lors des échanges.
Finalement, dix-huit personnes sur les quarante interrogées ont dit avoir fait partie ou faire encore partie du conseil d'administration de leur groupe. Dans plusieurs cas ce sont par des sollicitations directes que ces personnes ont accepté le défi d'une implication plus exigeante.
Il ressort, lorsqu'on analyse ce qui est pointé par les personnes interrogées, relativement à la place qu'elles perçoivent occuper au sein de leur groupe, une accessibilité de lieux et d'occasions variés pour s'impliquer. Lieux de participation où le plaisir d'échanger et de partager prédomine, lieux d'implication où l'apport de chacun permet le partage des responsabilités et finalement lieux de décision où la survie du groupe tient à cœur.
On serait tenté de croire que le type d'implication vécu par les participantes et participants est uniquement en corrélation avec la teneur des activités ou de la structure de représentation mise en place par le groupe d'alphabétisation. Par exemple, une personne qui est membre de son conseil d'administration semble, de prime abord, bien que ce soit souvent le cas, "plus" impliquée qu'une autre qui se limite à assister aux activités de groupe organisées. La perception de plusieurs participantes et participants est plus nuancée. Plusieurs personnes qui assistent régulièrement aux assemblées générales, par exemple, ont une attitude qui rejoint tout à fait celle de membres de conseil d'administration: intéressées à s'informer, conscientes de l'importance des décisions qui y sont prises, désirant vraiment prendre part à la vie démocratique de leur groupe.
Voici ce que les personnes ont mentionné, au cours de leurs entrevues, sur les types d'implication qu'elles vivaient: donner son opinion que ce soit dans un atelier, pour l'organisation d'une fête ou encore dans les structures décisionnelles (assemblée générale et conseil d'administration). Donner son opinion c'est commencer à prendre sa place, c'est risquer de critiquer et d'être critiqué, c'est se responsabiliser face à ce qu'on pense. Pour la grande majorité des personnes qui ont gardé sous silence, très longtemps, ce qu'elles pensaient parce qu'elles croyaient que cela n'avait pas d'importance, ou bien que cela n'avait pas de valeur, le fait de prendre la parole, devant les autres, c'est déjà s'impliquer...
Un autre type d'implication qui consiste à assister à diverses activités, pour témoigner sa présence, prendre part à la vie de groupe est mentionné par plusieurs personnes rencontrées. Qu'elles soient sollicitées ou non pour le faire, qu'elles s'offrent spontanément, ces personnes participent activement à autre chose que les simples cours auxquels elles se sont inscrites. Ce type d'implication demande une disponibilité, témoigne d'un intérêt manifeste.
Enfin, toutes ces personnes qui ont développé le sentiment que leur groupe leur appartient en partie, qu'elles sont responsables de ce qui arrive, s'impliquent soit de façon sporadique (au moment du recrutement par exemple) soit de façon continue lors de représentations extérieures, d'assemblées générales ou encore au sein de comités constitués dans l'organisme. Se sentir responsable du bon fonctionnement du groupe ou avoir à cœur la survie de l'organisme sont autant d'occasions de s'impliquer bien que les formes d'implication et les endroits pour le faire ne soient pas nécessairement toujours les mêmes.
Prendre sa place, participer, s'impliquer sont autant d'expressions utlisées par les personnes lorsqu'elles parlent de leur place dans leur groupe d'alphabétisation peu importe les lieux où elles le font.
Certains éléments ont été mis en lumière dans les propos des participantes et participants. Ainsi, lorsqu'on leur demandait des informations sur la vie associative du groupe par exemple comment les décisions se prenaient, s'il existait un conseil d'administration et qui en faisait partie ou encore s'il y avait des activités autres que celles des ateliers, certains répondaient qu'ils ne le savaient pas, d'autres supposaient que..., d'autres encore répondaient en connaissance de cause.
Les participantes et les participants qui ont été rencontré-es ont été sollicitées par leur animatrice ou animateur. Ces derniers les ont informés de la tenue de cette enquête-terrain et leur ont demandé d'y participer. Vingt-trois groupes ont donc été impliqués dans cette recherche. Le processus qui a été suivi ressemble à d'autres processus utilisés dans les groupes: une information parvient aux animatrices et animateurs, peu importe sa provenance, elle est transmise dans les ateliers ou tout autre lieu pertinent, ceux et celles qui veulent s'informer, y ont alors accès.
Le "vouloir" s'informer demeure fondamental à l'implication et le "être" informé est son pendant. Même si une personne souhaite participer davantage aux activités de son groupe, elle ne pourra le faire que si on l'informe de la tenue de cette activité. De la même façon, même si une personne assiste régulièrement à ses ateliers, si elle ne souhaite pas s'informer de ce qui se fait en dehors de ses ateliers réguliers, elle pourra difficilement parler de ce à quoi elle n'a pas participé. Vouloir s'informer et être informé demeurent les premiers pas à franchir pour l'implication.
Être ou ne pas être sollicité et encouragé à participer: plusieurs témoignages laissent percer l'importance de la sollicitation qu'elle vienne du "professeur" ou des pairs. Plusieurs participantes et participants ont mentionné à quel point elles et ils trouvaient valorisant le fait d'être consulté-es, sollicité-es et approché-es quelles que soient les raisons pour ce faire: donner son opinion durant une activité (atelier, comité, organisation de fête, etc), se faire demander de participer à une activité, un comité, se faire choisir pour représenter les autres participants (soit comme porte parole à l'extérieur, soit dans un mandat de représentation (comité ou conseil d'administration)). Plusieurs, quelque soit le sujet abordé, mentionnent "Ils me l'ont demandé", "Je le ferais si on me le demandait", "Je sais que je pourrais faire plus"... Être ou ne pas être sollicité semble faire une grosse différence dans l'implication et la participation.
Finalement, avoir des endroits, des occasions de s'impliquer ou ne pas en est de fait, fondamental. Dans certains groupes, les personnes ne perçoivent pas les endroits où elles pourraient effectivement donner leur temps, consacrer de l'énergie. Elles croient, à tort ou à raison, que ces lieux n'existent pas. Pour certaines cela leur semble dommage et elles souhaiteraient en mettre sur pied alors que pour d'autres cela semble hors de leur contrôle. Par contre, dans d'autres groupes où plusieurs structures de participation existent bel et bien, les participantes et participants rencontré-es semblaient avoir autant d'opinions différentes sur le fait de s'impliquer ou ne pas s'impliquer que dans les groupes où les structures et les lieux de participation n'étaient pas identifiés. Il est bien évident que d'avoir des structures de participation crée toute la différence sur les choix possibles: "Je voudrais bien mais je ne peux pas" n'a pas la même consonnance si cela semble impossible dans l'organisme...
Certains commentaires révélaient que des personnes se sentaient parfois insécures à s'impliquer parce qu'elles croyaient ne pas être assez "performantes" pour le type de tâches qui étaient disponibles. D'autres se sentaient, au contraire, prêtes à faire beaucoup plus pour leur organisme et se sentaient peu ou pas sollicitées.
Dans certains groupes, il semble y avoir une multitude de lieux de participation où les apprenants coopèrent comités, événements spéciaux, assemblée générale, conseil d'administration.
Voilà certaines réflexions et commentaires suscitées par les témoignages des participantes et participants. Peut-être en soulèverez-vous d'autres, laissez-vous inspirer!
Qui sont ces participantes et participants qui ont accepté de collaborer à cette recherche participative? Bien que cela semble d'une évidence limpide, il nous semble essentiel de rappeler que d'abord et avant tout ce sont des personnes en apprentissage. Toutes et tous se sont inscrits à des activités d'alphabétisation dans le but de s'outiller à l'aide des techniques en lecture et en écriture. Certaines et certains d'entre eux ont également choisi de s'impliquer dans des lieux où leur participation nécessite de nouveaux apprentissages tout aussi techniques que les précédents: savoir ce qu'est un ordre du jour, comprendre un budget, saisir le fonctionnement démocratique de la prise de décision sont autant d'occasions et de types d'apprentissage différents.
Dans un autre ordre d'idée, elles et ils développent également, petit à petit de nouvelles attitudes reliées à une plus grande estime de soi. Donc les participantes et les participants sont en train d'apprendre. "Apprendre implique chez le sujet un changement durable au niveau des connaissances, des comportements ou des attitudes" (in Dictionnaire actuel de l'éducation. Renald LEGENDRE. Larousse. 1988). Toute période de changements comporte une certaine zone d'instabilité et d'insécurité. Il serait possible que le "dosage" d'insécurité qu'une personne est prête à accepter diffère dépendant de certains facteurs inhérents aux étapes mêmes de la vie adulte, ce qui l'amènerait à concentrer sa prise de parole et le fait de prendre sa place aux seuls ateliers qu'elle fréquente ou inversement, de désirer davantage.
Jean-Louis Bernard, psychologue québécois, s'est penché sur le développement psychologique des adultes, à l'instar de nombreux psychologues qui eux ont développé diverses théories à ce sujet. Pour M. Bernard, la personne commence sa vie d'adulte dans la vingtaine. Ensuite, chaque étape constitue une tranche d'environ dix années. Chaque tranche de vie apporte aux adultes des préoccupations différentes.
Tentons de survoler ces différentes étapes. Au cours de la vingtaine, on tente de créer son propre "chez soi" (la nidification), on quitte ses parents, on se cherche une compagne, on finit sa préparation au monde du travail (les études) ou on s'engage dans la vie de travailleur.
Durant la période des 30-40 ans on veut faire ses preuves, prendre sa place socialement (surtout marqué par l'importance du travail, de la famille, de la performance et de la réussite).
Les 40-50 ans sont marqués par le début du mitan de la vie où on va tenter de réaliser certains rêves parce que notamment on est davantage conscient du temps qui passe.
La cinquantaine permet l'actualisation de plus de potentiel personnel, c'est la période où les enfants partent de la maison, où l'on est tenté de diversifier ses activités et où on désire laisser "sa trace" dans la communauté. C'est une période où l'on sent moins le besoin de "prouver" aux autres qu'on existe.
Les 60-70 sont marqués par le temps disponible, l'âge où on s'installe dans sa retraite, au niveau de l'emploi et où on continue à s'intéresser à sa communauté.
Les personnes rencontrées dans le cadre de l'enquête-terrain sont d'âges différents. Elles reflètent, dans une certaine mesure, les constats établis par J-L. Bernard. Dans le groupe de dix-huit personnes qui sont membres ou ont été membres de conseil d'administration et dans le groupe des personnes qui participent et s'impliquent dans diverses activités autres que les ateliers, presque la moitié d'entre elles ont plus de 51 ans. Par contre, dans le groupe de celles qui semblent peu participer, plus de la moitié est âgée de moins de 35 ans. Nous croyons que l'âge aurait une incidence directe sur une plus ou moins grande implication. Les personnes de plus de 50 ans ont souvent moins de responsabilités familiales que des personnes plus jeunes et de ce fait disposent probablement de plus de temps.
Contrairement aux personnes plus jeunes, les gens de 50 ans et plus ont acquis une meilleure estime d'elles-même qu'elles sont souvent allées chercher dans le milieu de l'emploi. Plusieurs ont commencé à travailler dès l'âge de 14 ans, ce qui est très rarement le cas pour des personnes de moins de 35 ans, compte-tenu des normes sociales qui obligent les enfants à fréquenter l'école jusqu'à 16 ans et compte tenu également des conditions socio-économiques différentes des dernières années qui constituent un sérieux obstacle à l'intégration en emploi de personnes peu scolarisées. Cette meilleure estime de soi joue un rôle sans doute majeur dans le fait d'accepter de nouveaux défis. D'autre part, l'âge n'est probablement pas le seul facteur qui influence la participation ou la non participation au sein d'un organisme.
Un nombre important des participants interrogés est prestataire de la sécurité du revenu (27 personnes sur 40). Huit personnes seulement sont à leur pension et finalement seulement cinq personnes occupent un emploi. De plus, quelques-unes sont chefs de famille monoparentale. Ceci signifie que la très grande majorité vit sous le seuil de pauvreté et que la survie financière constitue une de leurs principales préoccupations sinon la seule.
Plusieurs personnes qui ont mentionné ne pas s'impliquer dans leur groupe ont apporté des raisons aussi diversifiées que: le manque de temps, le manque d'argent, le manque d'intérêt, la peur de s'imposer, le manque de confiance en elle, leur difficulté en lecture et écriture ou encore les trop lourdes responsabilités dans leur vie personnelle et familiale. Certaines des raisons invoquées ont trait à des réalités objectives sur lesquelles l'organisme a peu d'emprise. Par ailleurs, certaines autres pourraient être considérées lors de la mise en place de projets et de la sollicitation à des activités (les difficultés en lecture et en écriture, le manque d'argent, le manque de confiance en soi, la peur de s'imposer).
Parmi les 28 personnes qui se disent et se perçoivent impliquées dans leur groupe, plusieurs ont fait mention d'une part des apprentissages qu'elles ont réalisés et d'autre part de leur perception du rôle et des tâches qu'elles accomplissaient. Les apprentissages sont tout aussi diversifiés que les lieux ou les activités qui les ont initiés: lecture, écriture, sciences humaines tels histoire, sociologie, géographie humaine et physique, comptabilité, processus de prise de décision, utilisation d'agenda, connaissance de système politique sont des exemples identifiés par ceux et celles qui s'impliquent.
À travers les motifs d'implication que les gens ont dit éprouver ressort un bon nombre de compétences acquises soit dans leur vie personnelle soit dans l'organisme. Ces compétences se reflètent et sont utiles dans le rôle et les tâches inhérentes à certains postes et à certaines activités. Il nous semble important d'en identifier quelques unes.
Tout d'abord, la débrouillardise revient dans plusieurs propos, qu'ils proviennent de personnes qui perçoivent s'impliquer ou qui perçoivent de ne pas s'impliquer. Elle se manifeste entre autre lorsqu'il s'agit de décrire des projets de création de comités ou bien des idées d'autofinancement.
Le sens de l'organisation transparait abondamment dans tout ce qui a trait tant aux activités "ludiques" qu'aux instances formelles qui nécessitent une certaine organisation telles comités, conseil d'administration et assemblée générale.
Le sens des responsabilités est aussi une compétence développée et acquise tant dans l'organisme que dans la vie personnelle. Deux participants, qui pourtant expriment une opinion contraire, illustrent très bien l'acquisition de cette compétence. L'une va dire, à propos du conseil d'administration: " Il faut vraiment que tu aimes ça faire partie d'un c.a. Il faut que tu sois vraiment à l'écoute et j'ai pas le temps. J'aurais pas la tête à ça à cause des problèmes à la maison et ça serait trop me demander". L'autre va énoncer: "On m'a proposé et j'ai dit oui. J'ai ressenti que c'était important et que j'avais une job à faire et que je devais la faire". Ces deux personnes possèdent un grand sens des responsabilités qui, pour des raisons personnelles, se manifeste différemment...
Finalement l'esprit d'équipe semble être une autre compétence que plusieurs participants possèdent: ils sont tournés vers le but commun, chacun faisant sa part de travail en étant conscient de l'importance de sa participation, si minime soit-elle.
Des participantes et des participants en situation d'apprentissage, des hommes et des femmes vivant des conditions de vie pas nécessairement faciles, des personnes possédant diverses compétences acquises selon leur expérience de vie mais par dessus tout, des gens en cheminement vers une meilleure estime de soi. L'estime de soi est, dit-on, une vision optimiste et réaliste de soi-même. C'est tout un défi que les groupes populaires tentent de relever avec les participantes et les participants, par le biais de leurs divers fonctionnements, de leur style d'activités, de leur structures formelles.
Certaines participantes et participants ont mentionné plusieurs freins à leur implication plus active.
La plupart des personnes qui sont membres ou ont été membres d'un conseil d'administration au sein de leur organisme, ont appris le "métier" sur "le tas". Plusieurs ont fait mention de la nécessité de savoir minimalement lire et écrire, certains ont mentionné la nécessité de posséder un bon jugement comme "qualités" et conditions pour faire partie d'un C.A. Une seule personne a parlé d'une formation reçue pour l'aider à comprendre ce qu'est un conseil d'administration, comment cela fonctionne, etc.
"Réflexion: retour sur la pensée elle-même afin d'examiner plus à fond une idée, une situation, un problème."
"Paradoxe: opinion qui va à l'encontre de l'opinion communément admise."
(In Dictionnaire "Le petit Robert")
La précarité financière… les activités d'autofinancement
La précarité financière des groupes semble préoccuper plusieurs participantes et participants rencontré-es. S'ils et elles assistent de bon gré à certaines manifestations qui exigent de l'État une plus grande responsabilisation face à la survie de l'éducation populaire et des groupes qui la défendent, elles et ils mentionnent également être disponibles pour des activités d'autofinancement et énoncent certaines avenues à cet égard. Certains vont même jusqu'à juger qu'on ne les consulte pas assez à ce sujet, bien qu'on leur parle très régulièrement, quand besoin est, des menaces incessantes de coupures... Pour plusieurs personnes, il semble que manifester c'est bien mais que tenter une action, directement dans leur milieu serait tout aussi profitable et plus "rentable" à court terme. Y a-il impossibilité de conjuguer ces deux tendances qui sont pourtant perçues comme complémentaires par les participantes et participants?
Bien lire et écrire… être représentatif des autres participantes et participants
Selon plusieurs participants, une certaine maîtrise de la lecture et de l'écriture est un outil essentiel à l'implication dans des postes de décisions que ce soit au conseil d'administration ou encore pour faire partie d'un comité formel. De fait, "Je n'écris pas assez vite, pas couramment", est une forme "d'excuse" souvent utilisée pour expliquer sa non implication dans ces types de lieux. Or si on y pense, il est pour le moins étrange que le discours social ambiant qui souligne qu'il faut AVANT toute chose bien savoir lire et écrire, se retrouve également dans le raisonnement des personnes qui viennent parfaire leurs connaissances en ce domaine. D'autant plus paradoxal, qu'aucune des personnes interrogées n'a mentionné que c'était une condition qu'on imposait au moment où on les avait sollicitées pour représenter les autres apprenantes et apprenants.
Des animatrices et des animateurs "débordé-es"... des participantes et participants qui se disent disponibles
À quelques reprises, au cours des entrevues, cette perception a été identifée par les participantes et participants. Elles et ils vont déplorer le fait que si on leur demandait, elles et ils seraient prêtes à prendre plus de responsabilités mais, on ne le leur demande pas. C'est comme si les personnes ne se sentaient pas utiles, comme si le potentiel qu'elles se reconnaissent ne servait à rien. Paradoxalement, cela peut conduire à une dévalorisation de soi-même qui va tout à fait à rencontre de ce qui est espéré par les animatrices et animateurs. Plusieurs participantes et participants perçoivent clairement l'essoufflement des "professeurs" et elles et ils ont souvent l'impression que cet état de fait ne peut aller qu'en s'aggravant. Plus on est fatigué, moins on a de résistance, moins on a de résistance, plus on se fatigue vite!
Des gens d'action... des gens de réflexion
À la lumière de la perception des participantes et des participants, des cultures et des visions différentes de l'implication s'affrontent. Pour les unes et les autres, le fait de s'engager à préparer une fête, à se sentir de plus en plus en confiance, à partager ses idées, à apprendre à critiquer sont autant de preuves que par leurs actions, elles et ils changent, elles et ils s'impliquent bien davantage qu'auparavant dans leur vie. Plusieurs participantes et participants sont avant tout des gens d'action. C'est par l'action qu'elles et ils ont acquis les compétences dont elles et ils font preuve. Plusieurs animatrices et animateurs sont davantage des gens de réflexion et voient leur compétence reconnue par un diplôme universitaire. Deux cultures qui cohabitent et qui, à leur contact respectif, en arrivent à faire un mélange très intéressant et tout à fait propice à susciter des changements sociaux pertinents.
La vie associative... la nécessaire collégialité
En terminant, soulignons un dernier petit paradoxe concernant la collégialité encouragée par les animatrices et les animateurs d'ateliers, selon les apprenantes et apprenants. Il ressort que les personnes apprécient grandement être consultées dans les ateliers, tant au niveau des contenus que de l'aspect organisationnel (horaire, règlements internes au fonctionnement de l'atelier). Cette collégialité entre celle ou celui qui "enseigne" et ceux et celles qui "apprennent" repose d'abord et avant tout sur le désir de prendre en compte les besoins et les intérêts des participantes et participants qui en sont très conscients et c'est un tout premier pas vers une plus grande ouverture et une plus grande compréhension entre deux mondes.
Deux mondes... mais qui s'apprivoisent petit à petit; deux mondes... qui en bâtissent un troisième, celui de la vie associative et la démocratie en constante évolution.