Table des matières

Introduction

C'est depuis 1995 que l'implication des participantes des groupes dans les lieux décisionnels du RGPAQ pose un défi démocratique aux différentes actrices en alphabétisation populaire. Déjà partie prenante des instances de beaucoup de groupes, les participantes revendiquent aujourd'hui une intégration plus complète à la structure démocratique du Regroupement. Bien sûr, elles sont représentées par un Comité de participantes depuis 1997, mais ce cloisonnement sonne un peu faux dans une organisation militant contre la marginalisation des personnes analphabètes et le respect de leurs droits. D'ailleurs, les participantes sont affirmatives à ce sujet : elles veulent participer activement et directement à tous les aspects du travail du RGPAQ.

La recherche : outil de réflexion et source d'inspiration

Conscient des enjeux relatifs à cette question, le RGPAQ a décidé de mener une recherche pour alimenter les discussions entourant l'évolution de son approche en matière de démocratie. Le Regroupement est allé interroger ses membres pour mieux connaître leurs propres pratiques démocratiques, ainsi que pour éclairer la vision des différentes catégories d'actrices face à l'engagement accru des participantes dans les structures du RGPAQ. Stimuler des débats, dépasser les résistances, partager des idées, chercher ensemble des alternatives innovatrices à l'exclusion sociale et politique des personnes peu scolarisées, voilà autant d'objectifs visés par la recherche.

En d'autres mots, le Regroupement souhaite que le processus autant que les résultats de cette démarche facilitent la création d'espaces décisionnels réels pour les participantes.

La démocratie : participation versus émancipation

Mais qu'entend-t-on au juste par le mot démocratie? Ce terme fait d'abord référence au processus par lequel un groupe s'organise pour discuter et prendre les décisions nécessaires à la satisfaction des besoins du plus grand nombre, ce qu'on appelle aussi le bien commun. Mais une véritable démocratie se fonde sur une culture politique particulière, qui valorise l'éducation des citoyennes à la pratique démocratique et leur participation authentique dans les délibérations collectives.

Évidemment, la primauté des droits individuels dans nos sociétés modernes ne favorise pas de facto la mise en œuvre d'une telle acceptation de la démocratie. Néanmoins, le mouvement communautaire propose depuis les années 70 un cadre d'expérimentation de pratiques de démocratie participative. Ici, il est essentiel de comprendre que la démocratie va au-delà de simples lieux de participation où les membres n'ont pas de rôle décisif dans la vie collective. C'est pourtant ce qui se passe dans beaucoup de groupes populaires et communautaires, où s'est infiltrée une logique de service à des populations ciblées au détriment d'une approche militante sur le plan politique.

Mais concrètement, quelles sont les exigences d'un modèle de gestion authentiquement démocratique?

  • Les rapports démocratiques sont forcément instables. Ils impliquent des échanges constants et des acteurs qui changent à l'intérieur de conditions qui changent aussi. À l'inverse, la simple participation crée un rapport stable qui réduit la possibilité des membres de contester le système;
  • En ce sens, les pratiques démocratiques privilégient des processus de discussion, de négociation et de délibération pour prendre des décisions convenant au plus grand nombre possible de personnes;
  • Tous les membres possèdent une voix, c'est-à-dire une chance égale de parler et une position égale dans les débats et prises de décision. Toutefois, cette égalité est complexe et admet les différences au niveau des identités des personnes. La diversité est nommée, négociée et permet à chaque membre d'être reconnu dans son intégrité;
  • La démocratie participative suppose l'accompagnement des personnes traditionnellement exclues à l'intérieur de leur apprentissage de la vie démocratique.

Comment arriver à vivre de tels rapports au sein des groupes et du Regroupement, en incluant sans discrimination toutes les catégories de membres? Voilà le questionnement auquel nous convie cette recherche.

La méthodologie

La démarche d'investigation a d'une part permis de recueillir de précieuses informations à propos de la place occupée par les participantes à l'intérieur de la structure décisionnelle des groupes membres du RGPAQ. L'implication des participantes au sein du Regroupement doit en effet s'appuyer sur un parti pris semblable au cœur des groupes de base. Par ailleurs, les expériences démocratiques menées dans les organismes peuvent certainement inspirer les changements souhaités au RGPAQ.

C'est d'abord par le biais d'un questionnaire envoyé aux 76 groupes-membres que ces données ont été collectées. Ce questionnaire contenait 42 questions fermées et a fourni des informations de type quantitatif. Une série d'entretiens menés dans quatre régions du Québec (Lanaudière, Mauricie, Montréal et Québec) a ensuite permis d'enrichir ce matériel. En effet, des participantes, des employées et des administratrices ont été rencontrées pour élaborer sur le thème de la place des participantes dans la vie démocratique de leur groupe.

D'autre part, on s'est intéressé à la vision de deux catégories de membres des groupes d'alphabétisation par rapport à l'intégration de participantes aux instances décisionnelles du Regroupement. Une deuxième série de «focus groups» (groupes de discussion) a donc été réalisée lors de l'assemblée générale annuelle du RGPAQ de 2002, auprès d'un groupe de participantes et de quatre groupes d'employées.

Ajoutons que 65 des 76 groupes ont rempli le questionnaire, tandis qu'environ 200 personnes ont été rejointes par le biais des deux séries de «focus groups».

Les résultats

A- Les pratiques dans les groupes

Avant de plonger dans les résultats de la recherche, jetons un coup d'œil aux différentes caractéristiques des groupes ayant répondu au questionnaire.

Profil des 65 groupes rejoints par le questionnaire

Année de fondation

  • 16 groupes ont été fondés entre 1968 et 1983;
  • 23 entre 1984 et 1993 (levée du 1er moratoire du MEQ en 1984);
  • 24 entre 1994 et 1997 (levée du 2e moratoire du MEQ en 1994).

Statut

  • Groupes d'alphabétisation : 74%;
  • Groupes multisectoriels : 26%

Localisation

  • 59% des groupes sont situés dans une agglomération de plus de 10 000 habitants

Nombre d'employées

  • 35% des groupes ont de 1 à 3 employées;
  • 35% ont de 4 à 6 employées;
  • 28% ont de 7 à 24 employées.

Critères d'embauché importants

  • Capacité à partager la philosophie de l'organisme : 97%;
  • Connaissance du territoire, de la population ou de la problématique : 65%;
  • Connaissance du milieu populaire ou communautaire : 85%;
  • Expérience de travail en milieu populaire ou communautaire : 59%;
  • Scolarité : 69%;
  • Expérience de travail en enseignement 32%.

Nombre de participantes et origine ethnique

  • Les groupes ont 3 à 85 participantes inscrites en alphabétisation; la majorité ont entre 15 et 39 participantes;
  • dans 84% des groupes, la proportion de personnes d'origine québécoise est égale ou supérieure à 75%;
  • dans 8% des groupes, 25 à 49% des participantes sont d'origine différente;
  • dans 8% des groupes, plus de 50% des participantes sont d'origine différente.

Cette pluralité de caractéristiques montre bien que la réalité objective des groupes varie beaucoup de l'un à l'autre. Nous verrons plus loin dans quelle mesure ces variables ont un lien avec les informations recueillies.

Tout d'abord, il apparaît que la présence massive des participantes à l'assemblée générale' n'est pas un acquis pour tous les groupes :

  • dans 38% des groupes, 55 à 100% des participantes y prennent part;
  • dans 31% des groupes, 20 à 54% des participantes;
  • dans 31% des groupes, moins de 20% des participantes.

82% des organismes offrent du soutien aux participantes assistant à l'a.g. : effort pour parier simplement, explications sur le contexte des décisions à prendre, vulgarisation des procédures d'assemblée, etc. 79% de ces groupes se disent satisfaits de l'accompagnement fourni. D'ailleurs, les données indiquent un rapport clair entre l'accompagnement et l'implication à l'a.g. : plus le soutien est disponible et les mesures d'aide diversifiées, plus les participantes se rendent à l'assemblée générale.

Au-delà de cette participation ponctuelle, il faut aussi s'arrêter à la participation des participantes à la préparation de l'a.g. Ces dernières en sont souvent exclues, pendant qu'on observe que les groupes où les participantes du c.a. préparent l'a.g. accueillent plus de participantes lors de ces moments forts de la vie démocratique.

D'autres données complètent ces constats :

  • un soutien à la participation est offert dans 92% des groupes où des participantes sont impliquées dans la préparation de l'a.g., contre 61% dans les groupes où ce n'est pas le cas;
  • 94% des organismes situés dans des grandes villes offrent ce genre d'aide, contre 67% des organismes implantés dans de petites villes.

Au niveau du conseil d'administration, il faut noter que 15% des groupes membres du RGPAQ ne comptent aucune participante en alphabétisation sur cette instance décisionnelle. La majorité des c.a. réservent cependant un ou deux sièges aux participantes, qui côtoient différents catégories de membres : représentantes de la communauté, d'organismes communautaires ou du réseau public, employées, direction ou coordination, etc. On remarque encore une fois une différence entre les grosses et petites villes. Les groupes situés dans les premières réservent des sièges du c.a. aux participantes dans une proportion de 94%, contre 74% pour les groupes issus de petites villes.

Par ailleurs, 88% des groupes offrent du soutien aux participantes membres du c.a., tandis que 78% s'en disent satisfaits. Comme dans le cas de l'a.g., on remarque un lien entre cet accompagnement et la présence de participantes au c.a. Le soutien est également plus présent dans les grandes villes et dans les organismes où les participantes du c.a. contribuent à la préparation de l'a.g.

En somme, les participantes sont présentes dans la structure formelle de la plupart des groupes. Or, les données recueillies révèlent qu'elles font partie des deux sous-groupes qui participent le moins aux décisions, aux côtés de l'assemblée générale. En comparaison, les employées et la coordination détiennent largement plus de pouvoir. Au niveau du c.a., on voit que la présence de participantes favorise l'implication de cette instance dans le choix des activités du groupe. D'ailleurs, ce champ décisionnel est pratiquement le seul accessible aux participantes.

À ce sujet, les domaines où les participantes ont de la place et du pouvoir sont de l'ordre des activités sociales et de formation, ainsi que des activités de visibilité, de recrutement et de sensibilisation. Alors que les participantes influencent très peu les décisions relatives aux structures, aux orientations et au financement, les c.a., en contrepartie, ne s'intéressent pas vraiment aux sphères sociales, politiques et d'aménagement des locaux. Cette tendance se reflète dans les comités auxquels ont accès les participantes. 77% des groupes ont un comité de participantes, formé de volontaires (et non d'élues) dans 81% des cas. Les activités sociales, de formation et de relations extérieures sont les principaux thèmes abordés par ce genre de comité.

Les participantes font également du bénévolat dans 70% des organismes, essentiellement au niveau de l'accueil, de l'entretien et de la restauration. Des activités touchant ce dernier secteur, la production d'un journal ou la gestion d'un comptoir vestimentaire sont d'ailleurs prises en charge par les participantes dans 62% des groupes.

En ce qui a trait au choix du programme d'atelier, la plupart des animatrices créent leur matériel en s'inspirant des besoins, des objectifs et du rythme des participantes, ainsi que du matériel pédagogique de référence. Seulement le quart des groupes sollicitent la participation régulière des participantes pour l'élaboration du contenu des ateliers.

Ajoutons que la très grande majorité des groupes se préoccupent de transmettre aux participantes les informations reçues concernant le RGPAQ : rôle du Regroupement, travaux du comité et du journal des participantes, dossiers politiques, de défense des droits, etc. Cependant, les informations effectivement transmises aux participantes sont triées dans 40% des cas. En terminant, mentionnons que 75% des groupes membres du RGPAQ ont déjà suivi une formation sur la démocratie.

B- La vision des différentes actrices à propos de l'implication démocratique des participantes dans les groupes

De manière à aller à l'essentiel et surtout à faciliter la comparaison entre les visions des différentes actrices interrogées lors de la première série de «focus groups», nous avons construit un tableau présentant ces perceptions de manière simultanée en fonction de différents thèmes. Il est à noter que les informations entre parenthèses ont été nommées de façon moindre que les autres.

Thèmes Participantes Membres du c.a. Employées

Sens donné à la vie démocratique

- rôle central du climat : respect, liberté, harmonie, entraide

- importance du «nous» s'inscrivant dans l'égalité et la tolérance

- (possibilité de prendre des décisions)

- implication des participantes dans les ateliers ou les instances

- valeur privilégiées : respect, ouverture, universalité (possibilité de proposer des changements, de confronter l'équipe de travail)

- droit de parole, participation aux décisions et instances

- conscientisation, éducation à la citoyenneté

- l'atelier comme lieu d'instauration et de développement de la démocratie

- vie démocratique conditionnée par différents facteurs : profil des participantes, nature du groupe, etc.

Rôle des animatrices

- pédagogues et enseignantes capables d'écoute et d'ajustements

- enseignantes

- douées de respect et d'écoute relation d'aide

- stimulation et accompagnement de la participation des membres

- relation d'aide

- référence

- deux tendances : intervenante collective militante ou enseignante accompagnement dans la prise de parole, de pouvoir, le développement de l'estime de soi

- (partage des savoirs)

- (prises de décision)

Rôle du c.a.

- gestion des problèmes, matérielle et financière

- gestion, notamment des ressources humaines

- prises de décision dans le respect de la mission de l'organisme

- soutien aux employées

- (formation des participantes à la démocratie)

- (reddition de comptes)

- (dossiers politiques)

- décisions par rapport au fonctionnement et au développement du groupe

- gestion financière (gestion au quotidien par l'équipe de travail)

- (outil de consultation de tous les membres du groupe)

- (lieu de formation, de circulation de l'information et de représentation)

Rôle des participantes

- en apprentissage implication, bénévolat dans un climat d'entraide, d'harmonie, de respect (suggestion d'idées)

- apprenantes

- valeurs attendues : ponctualité, assiduité, implication

- suggestion d'idées

- entraide

- (cœur de l'organisme)

- en formation

- partage d'idées, de suggestions expression des besoins, demandes

- implication

Décisions auxquelles devraient participer les participantes

- activités sociales : fêtes, sorties, journal

- contenu des ateliers

- choix et aménagement des locaux

- sentiment d'être à part, inaccessibilité du côté administratif

- (programmation d'activités)

- contenu du c.a. trop complexe pour les participantes

- décisions qui les concernent : activités, conditions de vie, formation

- choix des employées

- (toutes les prises de décision)

- (importance des structures formelles pour la prise de décision)

- décisions relatives aux ateliers et activités sociales

- secteurs réservés aux animatrices et au c.a. : embauche des employées, gestion financière, programmation des activités, développement de l'organisme, représentations

- (participation à toutes les prises de décision)

Exigences pour siéger dans les instances décisionnelles

- capacité d'exprimer des idées

- qualités personnelles : respect écoute, confiance en soi, patience, dynamisme, volonté, intérêt pour les autres

- (ancienneté)

- (processus d'élections)

- (connaissances)

- (aucun critère)

- qualités personnelles : écoute, discernement, modestie, curiosité, esprit d'équipe, confiance en soi capacité à s'exprimer motivation, disponibilité connaissance du groupe, adhésion à la mission

- (absence de critère)

- confusion des données due au fait qu'elles réfèrent sans distinction à deux catégories de membres des instances : les participantes et les personnes de l'extérieur

- critères différents en fonction des participantes et des personnes de l'extérieur

- pour les personnes de l'extérieur : vision, prise sur les enjeux, appropriation des dossiers, connaissance et compréhension de l'organisme, adhésion à la mission, implication dans le milieu pour les deux catégories : capacité à s'exprimer, qualités personnelles

- (ouverture, honnêteté, charisme)

- (expérience dans l'organisme)

- (processus d'élections)

- (compétences intellectuelles)

Contraintes à la participation démocratique

Les données quantitatives suivantes sont issues des questionnaires

  • 64% des groupes sont satisfaits de l'implication des participantes, pendant que 72% des groupes considèrent qu'il serait nécessaire d'en faire davantage pour favoriser leur participation.
  • D'ailleurs, plus les participantes sont engagées, plus le niveau de satisfaction est élevé.
  • Obstacles identifiés : manque de ressource ou de temps (82%) - caractéristiques des participantes (62%) - manque d'intérêt ou réticences des participantes (51%) - exigences et contraintes des bailleurs de fonds (45%) - manque de connaissance sur la manière de favoriser l'implication des participantes (20%) - manque d'intérêt ou réticences des employées (17%)
  • Ces réponses sont influencées par différents facteurs : situation géographique des groupes, nature unisectorielle ou multisectorielle, utilisation du programme du MEQ, implication des participantes dans le partage des tâches, expérience d'enseignement importante dans l'embauche, etc.

Thèmes Participantes Membres de c.a. Employées

Contraintes à la participation démocratique

- peur de l'inconnu

- peur de prendre une mauvaise décision

- manque de soutien et d'information

- complexité des enjeux

- rythme trop rapide

- manque de disponibilité

- manque de consultation des participantes par les instances

- (faible taux d'implication des participantes)

- faible taux de participation des participantes

- manque d'intérêt, de patience

- inaccessibilité des instances peur de décider

- manque d'information sur les instances

- manque de crédibilité des participantes, manque de considération pour elles, comme une «parure»

- distance entre le c.a. et l'organisme (difficulté de compréhension des participantes)

- manque de confiance en soi des participantes

- complexité des dossiers

- problème de structure et de culture limites des participantes

- contraintes de l'État

- concentration de pouvoir dans les instances

- transformations idéologiques, professionnalisation

- excès de pouvoir des gens de la base promus dans les instances responsabilité des employées (manque d'intérêt, de temps, d'énergie, préjugés, pouvoir d'influence sur les instances, pouvoir sur les participantes)

- manque de temps, de disponibilité des participantes

- besoins non satisfaits des participantes

- manque d'intérêt des participantes - manque de soutien

- (manque d'information, non vulgarisation de la documentation)

Solutions pour améliorer la participation

- circulation de l'information

- temps nécessaire pour comprendre et s'approprier les choses

- valorisation du droit de parole des participantes et de la consultation

- représentantes d'atelier qui amènent des décisions au c.a.

- visites dans les groupes où ça ne va pas

- rencontres entre participantes à l'échelle régionale ou provinciale

- soutien, formation, vulgarisation

- disponibilité des informations, notamment celles relatives au c.a.

- connaissance du rôle des administrateurs

- rapprochement entre le c.a. et les membres de l'organisme facilitateurs : frais de garde, transport incitatifs

- présence de plusieurs participantes dans une structure projets concrets

- (réunions allégées)

- soutien, accompagnement, vulgarisation

- importance du processus

- respect du rythme

- réaménagement des structures (les faire éclater)

- volonté des animatrices de s'effacer et de soutenir les participantes

- perspective à long terme, «work in progress»

- thèmes concrets

- multiplication des lieux décisionnels ou consultatifs

- répartition du pouvoir plus équitable

- idéal démocratique bien implanté dans le groupe

- (réunions allégées)

C- La participation démocratique au RGPAQ

La troisième et dernière partie des résultats aborde la vision des participantes et employées quant à l'implication des premières dans la structure décisionnelle du RGPAQ.

La parole aux participantes

Interrogées quant à leur rôle à l'intérieur de la structure du Regroupement, les participantes le lient très clairement à leur fonction de représentation des participantes des groupes. Elle se voient comme des «courroies de transmission» de l'information et pensent qu'elles devraient siéger sur tous les comités.

Cependant, ce désir de participation est freiné par le manque de soutien et d'information, surtout par rapport à l'assemblée générale du RGPAQ, ce qui génère de la peur et de la gêne. Les participantes trouvent que cette rencontre est trop complexe et que les groupes de base n'ont pas le temps ni l'argent pour appuyer leur présence. Souvent, elles sentent que les groupes ne les considèrent pas comme des déléguées légitimes.

D'ailleurs, les attitudes maternantes ou supérieures des animatrices sont identifiées comme obstacle à l'implication des participantes au RGPAQ. De même, les participantes font un constat fondamental à propos des pratiques internes des groupes : si leur propre structure n'est pas démocratique, si les participantes n'ont pas de poids décisionnel et si l'information sur le RGPAQ ne circule pas, comment croire à une volonté de démocratisation au niveau du Regroupement ?

Les participantes réclament donc davantage d'information ainsi que le temps nécessaire pour étudier, discuter entre elles du contenu des documents. Elles pensent que chaque groupe devrait déléguer une participante lors des a.g. du Regroupement, ce qui impliquerait d'adapter nos structures. De plus, une intégration réussie des participantes aux instances du RGPAQ va de pair avec la simplicité des processus et le confort des participantes.

La parole aux animatrices

Les opinions des employées sont très diversifiées quant à l'implication démocratique des participantes au RGPAQ. Pour certaines, ces dernières devraient figurer partout, tandis que tous les groupes devraient déléguer une employée et une participante lors des a.g. et autres rencontres nationales. Plusieurs employées restreignent néanmoins cette participation aux comités des participantes et de défense des droits, de même qu'à un rôle de porte-parole.

À l'inverse, d'autres animatrices affirment que le RGPAQ n'est pas la place des participantes; il représente les groupes d'alphabétisation, et non les personnes peu scolarisées. Ces employées ajoutent que le Regroupement n'est pas un lieu de formation, mais de prise de décision. Selon elles, les participantes ne sont pas nécessairement capables de représenter leur organisme et d'y ramener de l'information.

Ces divergences d'opinions appellent d'ailleurs un débat important au sein des groupes et du RGPAQ : qui forme les groupes ? Qui en est membre ? Qui peut les représenter ?

En ce qui concerne les contraintes à la participation démocratique, les employées nomment plusieurs réalités :

  • l'inaccessibilité, la complexité et la lourdeur des processus décisionnels du RGPAQ, même pour les travailleuses des groupes;
  • le fossé existant entre la «culture technocrate» du Regroupement et la culture des participantes;
  • les limites des participantes;
  • les attitudes des animatrices : manque de temps, d'énergie, peur de perdre du pouvoir.

Plusieurs soulignent en outre la dissonance qui existe souvent entre la volonté de démocratie et les gestes posés en ce sens, autant au RGPAQ que dans les groupes. L'enjeu du partage du pouvoir est central pour plusieurs employées.

Pour faire face à ces contraintes, les travailleuses suggèrent bien sûr d'accorder plus de soutien aux participantes, bien que cela ne suffise pas selon de nombreuses personnes. Il est d'abord essentiel d'inscrire ces changements dans une perspective à long terme qui demande de la constance, de l'énergie et des moyens. Il faut créer davantage de milieux de prise de parole pour les participantes, faire en sorte que les informations circulent avec fluidité et perdre nos réflexes de protection et de maternage des adultes qui fréquentent les groupes. En ce sens, il importe de respecter la culture des participantes et de tenir compte des différences entre elles et les animatrices à l'intérieur d'un idéal d'égalité. En somme, il s'agit d'une question de cohérence entre les principes et les pratiques.

Quant aux structures, la plupart des employées proposent de les modifier, On suggère soit de les adapter, par exemple en créant deux structures parallèles s'adressant dans un cas aux animatrices et dans l'autre aux participantes, ou encore de les transformer de façon radicale. Si le besoin de changement est exprimé par toutes les employées, on ne s'entend donc pas sur la manière de s'y prendre.

Réflexions et pistes d'action

Les résultats de cette recherche alimentent de façon substantielle la recherche de solutions à l'exclusion des participantes des structures décisionnelles du RGPAQ et de certains groupes populaires en alphabétisation. Cependant, ce travail va au-delà de la création d'espaces de prise de parole et de prise de décision; il va de pair avec une réflexion globale sur le sens donné à la démocratie et nos manières de la mettre en œuvre au cœur de nos pratiques. Voilà ce qu'on peut apprendre et retenir de l'analyse des données recueillies.

Des problèmes aux solutions, une réflexion cohérente

On remarque tout d'abord que lorsque les employées évoquent les problèmes rencontrés dans le cadre de l'implication démocratique des participantes, elles parlent des limites des personnes peu scolarisées, de la complexité des instances, des contraintes de l'État, d'un manque de temps et de ressources, etc. La plupart du temps, il s'agit donc de motifs extérieurs à leur intervention comme animatrices. Toutefois, quand vient le temps de trouver des solutions, les employées soulignent l'importance de donner davantage de soutien aux participantes, de mieux faire circuler l'information, d'accorder de la valeur au processus démocratique, de travailler à modifier les structures. Contrairement aux obstacles pointés du doigt, ces actions font partie intégrante de l'intervention des travailleuses des groupes.

En somme, les animatrices ne peuvent voir les problèmes comme extérieurs à elles et être en même temps au centre des solutions. Ce malentendu a en effet des impacts insidieux sur les perceptions et choix des employées par rapport aux pratiques démocratiques de leur organisme et du Regroupement.

Des mesures de soutien qui ne répondent pas aux besoins

Une autre contradiction concerne l'écart existant d'une part entre la perception des travailleuses à l'égard de leurs mesures de soutien à la participation démocratique, et d'autre part la perception des participantes par rapport à l'efficacité de ces outils. Ainsi, il apparaît clairement que les participantes manquent d'information pour s'impliquer pleinement dans les structures décisionnelles ; il s'agit même du principal frein mis en lumière par les participantes interrogées. À l'inverse, les employées expriment un haut taux de satisfaction à l'égard de leurs pratiques en la matière. Elles disent utiliser plusieurs mécanismes de transmission de l'information, parler régulièrement du RGPAQ, etc. En somme, les efforts déployés par les animatrices pour accompagner les participantes et les besoins réels de ces dernières ne coïncident pas.

La démocratie : une priorité

Quand vient le temps de discuter tant des problèmes que des solutions à une pleine participation démocratique des participantes, des enjeux reviennent systématiquement : la complexité des sujets abordés, le manque de temps et de ressources, ainsi que les limites des personnes peu scolarisées membres des groupes. Mais au fond, ces raisons ne sont-elles pas un écran qui cache autre chose? N'est-il pas essentiel de revoir nos priorités? En ce sens, il est essentiel de déplacer nos réflexions de ces contraintes «satellites» vers une analyse en profondeur des structures elles-mêmes et de leur contenu.

Des changements au RGPAQ... mais dans les groupes aussi !

À propos de ce dernier constat, on remarque que les employées sont beaucoup plus enclines à remettre en question les structures nationales que ce qui se passe dans leur propre groupe. En effet, les données indiquent que les travailleuses éprouvent elles-mêmes de la confusion, du désarroi, un sentiment d'incompétence face au Regroupement. Il est donc plus aisé pour elles d'affirmer que quelque chose ne va pas. Toutefois, il semble que quelque chose ne va pas non plus dans plusieurs groupes au niveau de l'actualisation de valeurs démocratiques. Il est donc crucial de faire porter nos réflexions sur la vie démocratique de nos groupes autant que du RGPAQ. Ce qui se passe actuellement au Regroupement pourrait même inspirer un désir de changement dans les groupes.

Ajoutons que plusieurs déplorent la «logique technocratique» qui s'est selon elles emparé du RGPAQ et des employées des groupes. Pendant ce temps, on souligne les limites de compréhension abstraite ou conceptuelle des participantes. Doit-on alors chercher à mouler les participantes à notre logique de gestion, ou plutôt essayer de sortir de la langue de bois et de se rapprocher de leur conception du monde?

Les relations humaines avant tout

Les verbalisations des «focus groups» mettent en évidence l'importance du climat et des relations humaines pour les participantes. De prime abord, cette caractéristique peut sembler en contradiction avec la nature d'instances comme le conseil d'administration, qui est centré sur la tâche. D'ailleurs, le «champ d'expertise» des participantes dans les groupes se concentre dans les activités sociales, de restauration, d'aménagement des locaux, etc. Encore une fois, cette réalité ne doit pas servir à justifier l'exclusion des participantes des instances décisionnelles formelles. Au contraire, il faut les aider à développer le même sentiment de confort et de contrôle éprouvé à l'égard des lieux de participation où elles se sentent bien. On peut certainement apprendre du processus privilégié dans ces milieux et viser le transfert des compétences développées vers des instances comme le c.a. Une fois de plus, il s'agit d'un problème de soutien et d'accompagnement s'inscrivant dans une remise en question fondamentale : nos structures ressemblent-elles à nos objectifs démocratiques?

La peur... un tremplin vers une meilleure circulation de l'information

Un autre des prétextes souvent nommés pour expliquer la faible participation démocratique des participantes est la peur. Mais d'où vient-elle, cette fameuse peur? D'un manque d'information, de compréhension des enjeux, de prise sur les décisions. D'un prétexte, cette peur peut cependant devenir le moteur d'un but pour l'intervention : quelles conditions mettre en place pour que les participantes vainquent leur peur de l'inconnu?

Le RGPAQ, c'est pour qui au juste?

«Le RGPAQ, c'est pour les groupes» est une association souvent mentionnée pour expliquer l'exclusion des participantes de ses structures. Comme individus, elles ne peuvent se qualifier. Pourtant, les employées aussi sont des individus. Ce raisonnement veut presque dire que les groupes sont leurs employées et que ces dernières sont les seules aptes à les représenter. On y revient toujours : qui fait partie des groupes? Quel est le statut des participantes : membres ou clientes? Il s'agit là d'un débat prioritaire qu'il est essentiel de mener le plus rapidement possible, puisque son aboutissement guidera tout notre travail ultérieur en matière de pratiques démocratiques.

En guise de conclusion, insistons sur la richesse de cette recherche, qui a permis à toutes les catégories de membres des groupes de s'arrêter à la place des participantes dans les structures décisionnelles du RGPAQ et des organismes. Par le biais de réflexions et d'échanges, des thèmes parfois délicats ont été abordés, alors que les résultats obtenus nourrissent l'élaboration de solutions alternatives, créatives, en accord avec les principes d'action des groupes populaires en alphabétisation. Toutes ensemble, nous pouvons trouver comment s'assurer que les participantes soient actrices à l'intérieur de tous les aspects de notre vie collective, autant dans les groupes qu'au Regroupement.