Au cours de l'année 1993-94, les participant-e-s de l'atelier de français de niveau débutant d'Atout-Lire ont entrepris une réflexion sur l'écriture et les rapports que les personnes analphabètes entretiennent avec cette dernière. Il s'agissait pour nous d'apprendre à écrire en écrivant un livre sur un sujet très signifiant. Le thème de l'écriture s'est imposé de lui-même parce qu'il concernait toutes les personnes de l'atelier et était pour tous et toutes une grande préoccupation.
L'exploitation du thème a permis aux personnes de l'atelier d'abord de découvrir les origines de l'écriture et son importance dans le monde d'aujourd'hui. Elle leur a permis de réaliser qu'elles ne sont pas seules à éprouver des difficultés avec la lecture et l'écriture et que l'origine de leur problème avec le langage écrit ne relève pas de leur "faute" personnelle mais découle de causes sociales beaucoup plus larges et plus profondes. Ce constat les a amenées à se déculpabiliser et à reprendre confiance dans leur capacité d'apprendre.
Ce projet a été pour le groupe une source importante de motivation. Toutes les personnes de l'atelier se sont investies dans cette démarche. Elles se sont interrogées, ont échangé, ont discuté. Elles ont ainsi été amenées à poser un autre regard sur leur vécu de personnes analphabètes. En plus d'apprendre à lire et à écrire des mots reliés au thème de l'écriture, elles ont appris à lire, écrire et comprendre leur propre réalité.
La parole a conduit à l'écriture. À travers les échanges, l'écriture et la relecture de leurs textes, elles ont appris les lettres, les syllabes simples, la phrase qui commence par une majuscule et se termine par un point, le c dur, le c doux, les sons o, etc. Surtout, elles ont pu saisir la double fonction de l'écriture. Elles ont compris que cette dernière ne sert pas uniquement à rendre accessible les messages des autres mais pouvait également leur permettre de s'exprimer. Elles ont donc écrit pour être lues.
Le geste que vous posez en ce moment leur permet de boucler la boucle, celle d'être lues après avoir osé écrire, elles, débutantes en lecture et écriture. Elles ont découvert le plaisir d'écrire, à vous de découvrir celui de les lire.
Ce document, de par son contenu et la façon dont il a été créé, permet la sensibilisation et la conscientisation des participant-e-s d'abord mais aussi, par la diffusion des textes, de la population en général. C'est un outil qui pourrait vous être utile si vous désirez entreprendre une réflexion avec les participant-e-s de vos ateliers. Vous pouvez vous en inspirer ou vous servir de nos textes comme déclencheur pour amorcer la réflexion. Ces textes ont l'avantage d'être à la fois simples et courts et de parler du vécu de personnes probablement semblables aux personnes de vos ateliers. Elles se reconnaîtront autant dans ce qui est dit que dans la manière de le dire. Les tournures de phrases et les expressions colorées du langage populaire y ont été respectées.
Notre livre est sans prétention en même temps qu'il est notre fierté. Personnellement, je suis fière du processus autant que du résultat. Cependant, je ne prétends pas que ce livre fasse le tour de la question. Il peut être le point de départ pour vous permettre d'aller plus loin. Il n'en tient qu'à vous et aux participant-e-s de vos ateliers de poursuivre sur cette lancée.
C'est une belle goutte d'eau que nous lançons dans l'océan, vous invitant à faire de même. En espérant que nos écrits brisent les préjugés face aux personnes analphabètes, que nos mots créent des solidarités et fassent reconnaître les droits et la valeur des personnes analphabètes dans notre société.
Colette Paquet
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On vient à Atout-Lire pour apprendre à lire et à écrire.
On est un beau groupe.
On travaille avec une bonne animatrice.
On s'entraide.
On apprend ensemble.
C'est pas toujours facile, mais ça s'en vient.
Dans le fond, on en sait un peu.
On est bien content et contente de lire et d'écrire mieux.
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On veut vous montrer notre livre.
C'est nous autres qui l'a fait.
On l'a préparé en groupe.
Ça pourrait aider à apprendre à ceux qui ne savent pas lire et écrire.
De l'homme des cavernes à l'ordinateur...
La ligne du temps
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L'écriture n'a pas toujours existé. Avant l'écriture, on communiquait par le dessin. L'homme des cavernes faisait des dessins sur les murs des cavernes.
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Le dessin était sa façon de laisser des messages. Le dessin était sa façon d'écrire.
Une perte de temps?
Notre version de cette bande dessinée
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Le gros marche avec un gourdin. Un gourdin, c'est un gros bâton. Le gros voit un plat de peinture et un pinceau.
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Il entre dans la caverne. Il prend le pinceau. Il dessine sur les murs.
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Il peinture un éléphant. Il dessine un chasseur.
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Il dessine un taureau et un chasseur.
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Il dessine les pattes du chevreuil.
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Le gros sauce son pinceau dans la peinture. Il peinture le dessous des pattes du cochon. Il dessine un chasseur.
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Le gros dessine dans la caverne. Sa femme lui crie: «Le repas est prêt». Les enfants mangent une petite perdrix.
Est-ce que l'homme des cavernes perd son temps en dessinant?
Peut-être que oui...
Ses dessins ne servent à rien.
Durant qu'il dessine, il ne s'occupe pas de sa famille.
Sa famille n'a qu'une petite perdrix à manger.
Peut-être que non...
Ses dessins sont beaux.
Si c'est beau, ça n'est pas une perte de temps.
Des personnes vont voir ses dessins.
C'est comme les artistes qui exposent leurs peintures dans les galeries.
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Est-ce que nous perdons notre temps en apprenant à lire et à écrire?
Nous répondons: «Non».
La lecture et l'écriture sont utiles...
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L'invention de l'écriture
L'écriture a été inventée environ 3200 ans avant Jésus-Christ. Elle aurait été inventée par les Sumériens en Mésopotamie.
Vous ne connaissez pas la Mésopotamie... Mais vous connaissez l'Irak à cause de la guerre du golfe et de Saddam Hussein. Avant, l'Irak s'appelait la Mésopotamie.
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À cette époque, on écrivait sur des tablettes d'argile. L'argile est une sorte de terre.
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Les Égyptiens ont inventé une autre écriture.
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L'écriture égyptienne comptait plus de 600 signes.
Notre écriture ne compte que 26 signes: les 26 lettres de l'alphabet.
Les Égyptiens écrivaient sur des feuilles de papyrus.
Le papyrus est une plante. Il pousse au bord d'un fleuve en Égypte, le Nil.
L'ancêtre de notre alphabet
Les Phéniciens ont aussi inventé leur propre écriture. Voici l'écriture des Phéniciens.
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Leur écriture est l'ancêtre de notre écriture. Nos lettres ressemblent à l'alphabet phénicien.
L'invention du papier
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On a écrit sur la pierre, les tablettes d'argile et le papyrus. On a écrit sur les peaux d'animaux.
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Plus tard, on a écrit sur le papier. Le papier a été inventé par les Chinois Les Chinois fabriquaient le papier avec l'écorce du mûrier.
Leurs livres étaient de longs rubans de papier. Ils les gardaient roulés quand ils ne les lisaient pas.
L'écriture maintenant
Encore de nos jours, il y a toutes sortes d'écritures.
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Les Cambodgiens et les Cambodgiennes ont un alphabet différent du nôtre.
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Les Inuit ont un alphabet différent.
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Les Arabes écrivent de droite à gauche.
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Les Chinois et les Chinoises écrivent de haut en bas et de droite à gauche.
Dans notre écriture, on écrit de gauche droite.
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Notre alphabet
Aa Bb Cc Dd Ee Ff Gg Hh Ii Jj Kk Ll Mm
Nn Oo Pp Qq Rr Ss Tt Uu Vv Ww Xx Yy Zz
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C'est la visite de l'aumônier. L'aumônier venait faire le tour des classes. Moi, quand j'étais petit, je servais la messe.
Clarence
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Je n'aimais pas aller à l'école parce que je n'apprenais pas à lire et à écrire.
Denise
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À la récréation, on jouait à la corde. On jouait avec des baguettes et des petites boules.
Loy
J'allais à une école de rang. Je marchais presqu'un mille. L'hiver, il faisait froid. Quand j'arrivais à l'école, j'étais gelé. Les doigts me piquaient.
Jules
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C'est une photo des élèves. On était tous ensemble. On avait une petite classe.
Gilles
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Après l'école, on avait les devoirs et les études. Il y avait des journées où ça ne me tentait pas. Je voulais écouter la télévision. Ma mère me disait: «Fais tes devoirs».
Alain
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Au Salvador quand j'étais petit, j'allais à l'école pour apprendre à lire et à écrire. J'avais mon sac sur l'épaule. Je partais avec ma sœur. Je marchais 15 minutes.
Santos
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Un samedi avec Armand, j'ai crié des noms à la maîtresse.
Le lundi, elle nous a fait venir. Elle avait sa règle. Elle voulait nous punir. J'ai ôté ma main. Elle a reçu le coup de règle sur la cuisse.
Roger
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Au Cambodge, on salue comme ça.
Loy
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C'est ma classe quand j'étais en première année. Devinez où je suis?
Colette
Au Laos quand j'étais petite, on était 3 enfants à apprendre avec un professeur.
Le professeur venait à la maison.
Lé
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Je montrais mon bulletin à ma mère. Je n'avais pas des bonnes notes. Ma mère me disputait pour mes notes.
Jules
La mère de Jules
Jules avait de mauvaises notes sur son bulletin...
Si nous étions la mère de Jules, voici ce que nous lui aurions dit...
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Tu vas rester tranquille à la maison.
Loy
Tu es mieux d'avoir de bonnes notes à l'avenir.
Jules
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Tu joues beaucoup dehors. Tu n'étudies pas. Tu es paresseux.
Rim
Tu ne sortiras pas de la semaine.
Clarence
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Ça va mal tes notes.
Santos
Tu es capable de faire des efforts. Si tu veux de bonnes notes, écoute le professeur.
Denise
Et vous, qu'auriez-vous dit à Jules?
Quelle serait la meilleure façon de l'aider?
Le vol du 24 juin 1927
(résumé d'un texte d'Yves Beauchesne et de David Schinkel)
Je m'appelle Rose-Marie. Je suis une voleuse. J'ai volé quelque chose dans mon école de rang.
J'ai volé mon ardoise. La maîtresse en donne une à chaque élève au début de l'année. Elle les reprend à la fin de l'année. Moi, j'ai toujours eu la même. C'est la sixième année que j'ai mon ardoise.
Les vacances d'été commencent aujourd'hui. Hier, c'était ma dernière journée d'école. C'est pour ça que j'ai décidé de garder mon ardoise.
L'école, c'est fini pour moi. Je ne retournerai pas à l'école en septembre. J'ai entendu papa le dire à maman. J'ai 12 ans maintenant. Il faut que je reste travailler à la ferme. J'ai beaucoup pleuré. Mais je sais que papa n'a pas le choix. Nous sommes trop pauvres pour que je continue mes études. À la ferme, je suis bonne pour aider. Je peux faire toutes sortes de choses.
Moi, je veux devenir artiste. J'ai besoin de l'ardoise pour dessiner et écrire. Le papier, ça coûte trop cher. Mais sur une ardoise, on peut tout écrire avec une craie. Si on fait des erreurs, on efface. La craie, ça ne coûte pas cher.
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Papa est débrouillard, mais il ne peut pas fabriquer d'ardoise. Il faut une roche spéciale pour en faire. On n'en a pas dans notre paroisse.
Il ne faut pas que mes parents apprennent que j'ai volé. Il faut que je rapporte mon ardoise, tout de suite. Même s'il fait très noir et que j'ai peur. Je vais la rapporter à la maîtresse.
La maîtresse vit dans une petite pièce en arrière de la classe. À pied, ça me prend 45 minutes pour me rendre à l'école. Je frappe à la porte. La maîtresse ouvre. Elle tient une lampe à l'huile. Elle est surprise de me voir.
Moi, je ne dis rien. Je commence à pleurer. Je lui montre mon ardoise.
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C'est le matin. Je me lève pour traire les vaches. Je ne parle pas de mon vol à mes parents. C'est notre secret, à la maîtresse et à moi. Mon ardoise, je l'ai encore avec moi.
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Il a arrêté l'école parce que l'école était trop loin.
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Elle a arrêté l'école parce qu'elle était toujours malade.
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Il a lâché l'école pour gagner sa vie. Il est allé travailler.
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Elle a arrêté l'école parce qu'elle se sentait à part des autres.
Elle avait de la misère à apprendre.
Elle n'avait pas d'ami-e-s.
Elle se sentait rejetée.
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Elle a arrêté l'école pour s'occuper de ses frères et sœurs.
Pourquoi on a arrêté l'école?
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J'ai arrêté l'école en première année. J'ai arrêté pour aider la famille. J'ai travaillé dans le bois comme aide-cuisinier. Je lavais les planchers. J'épluchais les patates. Je faisais la salade. Je faisais le bois de chauffage. J'en ai pleuré un coup!
Jules
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J'ai arrêté l'école parce que j'arrivais pas à apprendre. J'allais à une école qui montrait à faire de la plasticine, des blocs, de la gouache. Après, je suis allée à l'école de métiers. J'ai appris à tricoter des foulards et des pantoufles.
Denise
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Dans ma famille, on était 12 enfants. On n'avait pas beaucoup d'argent. On n'allait pas à l'école comme ici. Une amie venait nous apprendre à lire et à écrire en vietnamien. J'ai étudié environ 3 ans. Après j'ai arrêté d'étudier.
Lé
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Je suis allée un an à l'école. J'étais très malade. Il n'y avait pas de vaccins au Cambodge. On était à la campagne. L'école était très loin. Il n'y avait pas d'autobus. On marchait. Quand j'étais petite, je travaillais. Je gardais le bœuf. Je m'occupais des cochons.
Rim
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J'ai changé d'orphelinat. Là, il n'y avait plus de religieuses qui faisaient l'école. C'était des frères. Je me suis sauvé de l'orphelinat. Je suis allé vivre dans une famille à la campagne. J'ai commencé à gagner ma vie tout seul. Je n'allais plus à l'école.
Clarence
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J'arrivais pas à apprendre. Vers 14 ans, je suis allé dans une école spéciale. Je faisais de la menuiserie. On faisait des affaires en bois. Après, j'ai commencé à travailler. Je faisais la récupération de papier.
Gilles
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J'ai arrêté l'école en secondaire 1. J'ai arrêté 3 ans. Après j'ai recommencé l'école. J'allais à une école spéciale. J'ai arrêté à 19 ans. J'ai fait un stage avec les personnes âgées.
Alain
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J'étais très malade. J'avais les poignets très petits. J'étais maigre. J'ai arrêté l'école en première année. Je suis restée à la maison. Plus tard, à cause de la guerre, on est parti en Thaïlande. En Thaïlande, j'ai appris à lire et à écrire en cambodgien.
Loy
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J'avais la tête dure. Je menais le diable. J'apprenais pas beaucoup. Mon père a dit: «Sur une terre, on n'a pas besoin d'être notaire». Ça fait que j'ai arrêté l'école à 14 ans. J'étais en troisième année.
Roger
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Au Libéria, il y avait des écoles à la ville. Il n'y en avait pas à la campagne. Je ne suis jamais allé à l'école. Mon père était décédé à cause de la guerre. Ma mère avait des chèvres et des terrains. Je m'occupais d'un grand jardin et des chèvres.
Baris
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À Haïti, quand j'étais petite, mes parents étaient séparés. Mon père m'a envoyée à l'école protestante. Je suis allée à l'école 2 mois. Après, je suis allée rester avec ma mère. Ma mère ne m'a pas envoyée à l'école. J'ai appris seulement le catéchisme pour la communion.
Inosia
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J'ai arrêté l'école parce que la maîtresse était trop sévère. Elle disait que j'étais innocente. Il fallait que j'aille lire à côté d'elle. J'étais pas capable; elle me faisait peur. Des fois, je n'étais pas capable d'aller à l'école. Je faisais des crises d'asthme.
Élise
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C'est quoi?
On entend parler à la radio et à la télévision des personnes analphabètes.
C'est quoi une personne analphabète?
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Au début, on ne le savait pas. Finalement, on a découvert ce que c'est.
Une personne analphabète, c'est une personne qui ne sait pas lire et écrire ou qui le sait un peu.
On est un groupe de personnes analphabètes. Mais on apprend à lire et à écrire. Ça va bien.
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Pourquoi on ne sait pas lire?
Il y a plusieurs causes.
L'école
L'école ne répond pas aux besoins de tout le monde. Elle ne convient pas à tout le monde. Des fois ça va trop vite, on a de la misère à suivre. Les personnes qui ont de la misère sont envoyées dans des classes spéciales. À l'école, on ne parle pas comme nous autres. Il peut y avoir trop d'élèves dans la classe. On peut avoir peur du professeur ou être trop gêné.
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Notre capacité d'apprendre
C'est pas tout le monde qui apprend de la même façon. Tout le monde n'apprend pas à la même vitesse. Il y en a qui apprennent moins vite. Les personnes qui ont de la misère à apprendre sont souvent mises de côté.
La famille
Des fois, les parents ne peuvent pas aider leurs enfants parce qu'ils ne savent pas lire. Certains parents n'encouragent pas leurs enfants. Ils ne trouvent pas ça important de savoir lire et écrire.
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La pauvreté
On apprend moins bien quand on n'est pas bien nourri. On ne peut pas se concentrer quand on a des problèmes à la maison. Quand on est pauvre, on peut se sentir mal à l'aise à l'école. On a besoin de gagner de l'argent pour vivre. Ça devient plus important d'avoir un emploi que d'aller à l'école.
Les conséquences de ne pas savoir lire et écrire
On est souvent gêné de ne pas savoir lire.
On a de la misère à lire les étiquettes sur les médicaments et les conserves.
On a de la misère à lire les spéciaux.
On a des problèmes pour trouver les adresses.
On ne peut pas écrire à quelqu'un.
On est obligé de faire lire nos lettres par les autres.
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On a de la misère à prendre en note les messages.
On ne peut pas lire les journaux.
On ne peut pas remplir des formulaires.
On ne peut pas aller voter tout seul.
On a de la misère à avoir un travail.
Il y en a beaucoup sur l'aide sociale.
Il y en a qui travaillent «en dessous de la table».
Plusieurs ont des emplois mal payés.
Les patrons peuvent nous mettre à la porte n'importe quand.
Il n'y a pas de sécurité d'emploi.
On se fait souvent exploiter.
Il y a des patrons qui abusent.
J'ai oublié mes lunettes.
C'est pas facile de dire qu'on ne sait pas lire et écrire.
La plupart du temps, on essaie de le cacher.
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On le cache.
Quand on nous demande pourquoi on va à l'école, on dit que c'est pour en savoir plus.
Roger et Inosia
Avant, je ne le disais pas. Depuis que j'apprends, je le dis. Je le dis mais ça me gêne. Je le dis quand je suis mal pris.
Élise
Avant, ça me gênait, je ne le disais pas. Maintenant que j'apprends, je le dis.
Gilles
On est moins gêné quand on sait qu'on n'est pas tout seul. On a moins honte quand on sait que c'est pas de notre faute.
On n'est pas tout seul
Il y a beaucoup de personnes qui ont de la misère à lire et à écrire.
Il y en a beaucoup au Québec, au Canada et partout dans le monde.
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J'ai décidé de revenir apprendre à lire et à écrire.
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J'ai dit à l'épicier que je ne savais pas lire et écrire. Il m'a conseillé de venir apprendre à Atout-Lire. J'ai décidé de venir.
Jules
J'ai entendu parler d'Atout-Lire à la télévision. Il y avait un numéro de téléphone. J'ai téléphoné pour prendre un rendez-vous. Je suis venu m'inscrire.
Roger
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Je viens à Atout-Lire pour parler et écrire le français. Madame Nim est responsable de m'aider en français. Elle m'a dit de venir à Atout-Lire. Je viens en groupe et aussi avec une bénévole.
Say
C'est le Bien-Être qui m'a envoyé à Atout-Lire. Ma sœur m'a encouragé à venir. J'ai essayé et j'aime ça.
Gilles
Mon oncle m'a parlé d'Atout-Lire. Il a téléphoné à ma place. Je suis venue passer un test.
Denise
En arrivant d'Haïti, j'ai eu un problème à remplir un formulaire à la douane. Ma fille m'a encouragée à apprendre à lire et à écrire. J'ai commencé à Atout-Lire avec une bénévole. Cette année, je viens 3 fois en groupe et une fois avec une bénévole.
Inosia
Une travailleuse sociale m'a parlé d'Atout-Lire. Elle m'a donné le numéro de téléphone. Je suis venu m'inscrire.
Marcel
C'est le B.S. qui m'a envoyé à Atout-Lire. Ils m'ont dit que si j'allais à l'école, mon chèque d'aide sociale serait augmenté.
Clarence
Le CLSC m'a parlé de retourner à l'école. Il m'a dit que c'était pas gênant. J'ai commencé à la commission scolaire. Ils m'ont renvoyée parce que j'avais fait mes 2000 heures. Un ami d'école m'a parlé d'Atout-Lire.
Élise
J'étais en famille d'accueil chez André. André m'a dit: «Pourquoi tu ne vas pas à l'école?» J'y ai pensé 3 jours. Après, je suis allé au Bien-Être Social pour avoir une formule pour l'école. Au Bien-Être Social, ils m'ont parlé d'Atout-Lire.
Alain
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Décider de revenir apprendre à lire et à écrire
On est revenu apprendre...
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On est revenu apprendre parce qu'on trouvait qu'on en savait pas assez.
On était mieux d'apprendre pour mieux se débrouiller.
Plus qu'on va à l'école, plus qu'on en apprend.
On ne voulait plus être gêné de ne pas savoir lire.
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L'école traditionnelle
Ce que nous voyons dans l'image
Les élèves sont assis.
Ils écoutent le professeur.
Ils apprennent l'alphabet.
Le professeur a écrit la lettre «A».
Un élève a écrit la lettre «A» dans son cahier.
Il y en a un qui n'a pas de cheveux.
Ce sont des adultes.
Une fille lève la main pour poser une question.
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Ça me fait penser...
Les élèves ne bougent pas.
On dirait qu'ils regardent un film.
Ils ne participent pas.
Ça me rappelle quand j'étais petit à l'école.
Il fallait écouter le professeur.
Les professeurs étaient sévères dans ce temps-là.
L'éducation populaire
Ce que nous voyons dans l'image
Quelqu'un écrit au tableau.
Il écrit le mot «chômage».
L'autre le corrige.
Deux personnes parlent.
Elles travaillent ensemble.
Une personne lit des lettres.
Une fille est assise sur la table.
Ça se passe autour d'une table.
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Ça me fait penser...
Ça ressemble à un groupe ou à une réunion.
Ça ressemble à des ami-e-s qui vont à l'école ensemble.
Ils s'aident.
C'est pareil à nous autres ici.
L'éducation populaire, ça nous ressemble.
On a de grandes tables.
On est des ami-e-s.
On s'aide ensemble.
On jase.
On dit nos affaires.
On les écrit au tableau.
On lit tout le monde ensemble.
[Voir l'image pleine grandeur]
Qui est le patron?
On a regardé le vidéo «Qui est le patron?»*14
C'est un vidéo sur l'éducation populaire.
[Voir l'image pleine grandeur]
On trouve que ça nous ressemble.
C'est comme à Atout-Lire.
Il n'y a pas de patron.
On décide ensemble.
On travaille en équipe.
On s'arrange, on s'organise.
On se prend en main.
Pour avoir plus d'atouts en main
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Pourquoi Atout-Lire plutôt qu'ailleurs?
On vous a dit pourquoi on est revenu apprendre.
On va vous dire maintenant pourquoi on vient à Atout-Lire plutôt qu'ailleurs.
«Parce que j'en connaissais pas d'autres.»
«Parce que c'est plus proche de chez-nous.»
«Parce que j'avais fini mes 2000 heures à la commission scolaire.»
«Parce que c'est plus petit qu'à la commission scolaire.»
«Parce qu'il y a moins de monde.»
«Parce que j'aime mieux Atout-Lire.»
[Voir l'image pleine grandeur]
Qui décide quoi à Atout-Lire?
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L'assemblée générale
À Atout-Lire, il n'y a pas de patron. C'est tout le monde ensemble qui décide. L'assemblée générale, c'est la réunion des participantes, participants, bénévoles et animatrices.
Il y a 2 assemblées générales par année. C'est là qu'on choisit nos représentantes et représentants au conseil d'administration. On discute, on parle, on écoute. On décide des améliorations à apporter. On parle d'argent.
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Le conseil d'administration
Dans le conseil d'administration, il y a:
Nos représentants et nos représentantes sont élu-e-s à l'assemblée générale. On vote pour les personnes qu'on veut au conseil d'administration. Ces personnes élues doivent amener les demandes des participant-e-s au conseil d'administration.
Le conseil d'administration prend les décisions pour Atout-Lire entre les assemblées générales. Après, les décisions plus importantes sont ramenées en assemblée générale. L'assemblée générale est le patron du conseil d'administration.
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Le club social
Le club social est formé d'une animatrice et des participant-e-s intéressé-e-s. Ensemble, ils et elles préparent des activités, des fêtes et des sorties. Ces personnes cherchent aussi parfois le financement des activités.
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L'équipe de travail
L'équipe de travail est formée des animatrices d'Atout-Lire. Elles se réunissent à tous les vendredis matins. Elles parlent des ateliers et du fonctionnement d'Atout-Lire. Elles se partagent le travail à faire: comptabilité, demandes de subventions, accueil, entrevues à la télévision...
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Ensemble pour défendre les droits des personnes analphabètes
Parfois, on doit faire des actions. On écrit des lettres, on manifeste, on se réunit... On rappelle au monde qu'on existe. On parle de nos droits.
Le 17 mars 1994, Atout-Lire est parti à Montréal. Il y avait une réunion des groupes d'alphabétisation populaire. Il y avait beaucoup de monde. Des personnes parlaient en avant.
Une participante comme nous autres a parlé. Elle nous a dit qu'elle n'avait pas eu la chance d'apprendre quand elle était jeune. Elle apprend à lire dans un groupe populaire. Elle ne veut pas arrêter. Elle veut aller jusqu'au bout.
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Il y avait un écrivain, Reine France et Louise Portal. Reine France, c'est elle qui fait Candide dans l'émission «Entre chien et loup». Elle trouve que l'alphabétisation, c'est important. Louise Portal nous a parlé. C'est elle qui fait Chantal dans l'émission «Graffiti». Chantal, c'est quelqu'un comme nous autres. Elle a fait un gros saut avec son amie Yolande. Elle est retournée apprendre à lire et à écrire.
Louise Portal a dit que c'est pas facile de ne pas savoir lire. Elle a dit: «C'est pas parce qu'on ne sait pas lire et écrire qu'on n'a pas de cœur». Elle a dit que c'est pas de notre faute si on ne sait pas lire et écrire.
Les personnes qui ont parlé en avant nous ont touché-e-s. C'était beau ce qu'elles disaient. On voit qu'on n'est pas tout seul à ne pas savoir lire et écrire. Elles nous ont encouragé-e-s.
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Lettre à nos élu-e-s politiques
Extrait d'une lettre adressée à madame Lucienne Robillard, ministre de l'éducation en 1993.
Cette lettre est encore d'actualité.
Madame la ministre,
On veut continuer à apprendre. On veut apprendre à lire pour se débrouiller tout seul. C'est très important pour nous autres. On ne veut pas être obligé de se fier sur les autres. C'est gênant de demander aux autres de lire à notre place. Seriez-vous gênée d'être obligée de demander aux autres de lire le menu au restaurant? C'est humiliant! Vous savez lire vous, vous êtes chanceuse.
On ne veut pas de coupures dans l'éducation populaire. L'instruction, ça va nous aider pour trouver de l'ouvrage. Pour les «jobs», il faut le secondaire 5 pis nous autres, on l'a pas. On se fait dire qu'on n'est pas assez instruit. Il n'y a pas d'emploi. Créez des emplois. Aidez-nous à apprendre et à travailler.
L'atelier de français de niveau débutant
Comme on a de la misère avec l'écriture, ça serait peut-être mieux qu'elle n'existe pas.
On s'est posé la question.
Et si l'écriture n'existait pas, est-ce qu'on l'inventerait?
Baris ne l'inventerait pas.
Si on ne l'inventait pas, on n'aurait pas besoin de l'apprendre.
Les autres pensent qu'il faudrait l'inventer.
On l'inventerait parce que c'est commode.
On l'inventerait mais à notre manière.
On inventerait une écriture avec des dessins.
Ça serait peut-être plus long...
Mais ça serait plus facile.
Si on inventait l'écriture, il faudrait que tout le monde soit capable de la lire.
Il faudrait que l'écriture soit à tout le monde.
[Voir l'image pleine grandeur]
*1: montage réalisé à partir d'images de revues.
*2: Quino. Pour l'humour de l'art. Glénat, 1983, 48 pages.
*3: Jean, Georges. L'écriture, mémoire des hommes. (Collection Découvertes), Paris: Éditions Gallimard, 1987, p. 13
*4: Jean, Georges. Op.Cit. p. 15
*5: Godart, Louis. Le pouvoir de l'écrit: aux pays des premières écritures. (Collections des Néréides), Paris: Éditions Errances, 1990. p. 14
*6: Godart, Louis. Op. Cit. p. 18
*7: Dorion, Jacques. Les écoles de rang au Québec. Montréal: Les Éditions de l'homme, 1979, p. 129
*8: Dorion, Jacques. Op. Cit. p. 129.
*9: Tiré d'un livre de lecture cambodgien.
*10: Beauchesne, Yves et Schinkel, David. «Le vol du 24 juin 1927», dans Le musée amusant. Musée de la civilisation, 1990, volume 3, numéro 4. p. 10 et 11.
* 11: Tableau codé produit par Atout-Lire.
*12: International Task Force on Literacy et UNESCO. Words are what live got, Canada, Sister Vision Press, 1991.
*13: tableau codé produit par Atout-Lire.
*14: Vidéo Qui est le patron? ou l'éducation populaire autonome, production: Centre St-Pierre, Montréal, réalisation: Alain Jacques.
Godart, Louis. Le pouvoir de l'écrit, aux pays des premières écritures. (Collection des Néréides), Paris: Éditions Errance, 1990. 239 pages.
Jean, Georges. L'écriture, mémoire des hommes, (Collection Découvertes), Paris: Éditions Gallimard, 1987. 224 pages.
Beauchesne, Yves et Schinkel David, «Le vol du 24 juin 1927», dans Le musée amusant, Musée de la civilisation, 1991, volume 3, numéro 4. p. 10 et 11
Nous remercions les participants et participantes de l'atelier de français de niveau débutant pour leurs échanges et leurs mots; pour leur dynamisme, leur créativité, leur sincérité et leur ouverture tout au long de la réalisation de ce document.
Nous remercions les animatrices qui ont bien voulu relire, corriger et commenter notre livre, ce qui nous a permis de l'améliorer.
Ce document a été rendu possible grâce à l'aide financière provenant du programme Initiatives fédérales-provinciales conjointes en matière d'alphabétisation.
Réalisé à Atout-Lire au cours de l'année 1993-94.
Publié en novembre 1995.
Coordination, animation, recherche, mise en page et illustration
Colette Paquet
Texte
Alain, Baris, Clarence, Colette, Denise, Élise, Gilles, Inosia, Jules, Lé, Loy, Marcel, Rim, Roger, Santos et Say
Pour commander des exemplaires, s'adresser à:
Atout-Lire
266, St-Vallier Ouest
Québec (Québec) G1K 1K2
Téléphone: (418) 524-9353