L'Écomusée du fier monde est un musée d'histoire industrielle et ouvrière. De la Révolution industrielle à aujourd'hui, ses expositions et ses publications racontent la vie quotidienne des travailleurs, le parcours des entreprises et la transformation des réalités urbaines et du monde du travail.
Dans ses différentes activités, l'Écomusée encourage la participation. Depuis sa fondation, il collabore avec les ressources et organismes du quartier. Les gens du quartier sont ainsi mis à contribution d'abord comme spectateurs mais également comme sources historiques. Ainsi, une partie de la collection de l'Écomusée provient de dons consentis au musée par des gens ayant vécu ou travaillé dans le quartier: photos, objets, témoignages. Grâce à la méthode de recherche Exposer son histoire qui constitue la base du projet actuel, les gens peuvent aussi participer à la recherche historique et à la préparation d'une exposition.
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«On y apprend à lire et à écrire, mais aussi à développer nos idées. On se rencontre et on dialogue ensemble.»
L'Atelier des lettres, c'est un centre d'alphabétisation qui se trouve dans le Centre-Sud. Le centre existe depuis quinze ans. On y apprend à lire et à écrire. On fait des rencontres pour discuter de plusieurs sujets.
À l'Atelier des lettres, ça va à notre rythme. On a plus d'aide. On a le temps de répondre à nos besoins parce que les groupes sont petits. C'est plus relax. On apprend mieux. C'est plus intime. On se connaît plus et c'est comme une famille.
On y apprend à lire et à écrire, mais aussi à développer nos idées. On se rencontre et on dialogue ensemble. Ça nous fait aussi connaître d'autres personnes qui veulent lire et écrire. On sait plus où on s'en va. Avant on avait honte de ne pas savoir et il fallait toujours demander aux autres de nous aider.
Maintenant, on est fier d'apprendre.
Le lien entre un organisme d'alphabétisation et un musée peut sembler étonnant à première vue. Pourtant, nous avons beaucoup à apprendre l'un de l'autre. L'Écomusée et l'Atelier des lettres ont des approches semblables sur la participation et l'intérêt à faire valoir l'expérience de la vie quotidienne.
Notre objectif premier, dans ce projet, est de faire du musée une ressource utile en alphabétisation. Nos actions visent à adapter des outils de recherche historique et de conception d'expositions pour les groupes en alphabétisation et de valoriser l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
Mais comment permettre à des personnes ayant de la difficulté à écrire et à lire de participer à une recherche en histoire? Comment faire le lien entre les exigences d'une exposition et le travail d'alphabétisation?
Nous avons suivi la démarche développée dans le manuel Exposer son histoire, publié par l'Écomusée en 1986. Cette méthode de recherche a été conçue pour aider des groupes ou individus à retracer et diffuser leur histoire:
Notre objectif premier, dans ce projet, est de faire du musée une ressource utile en alphabétisation.
Avec Jean-Paul, Robert, Lorenzo et Claude, nous avons suivi toutes les étapes de la démarche en tenant compte des intérêts, des disponibilités et des aptitudes de chacun. Au cours du processus, ils ont raconté leur vie de travail devant la caméra vidéo, cherché des documents et des objets pour illustrer leur métier, participé au scénario de l'exposition et écrit certains textes. Leur enthousiasme a souvent pallié aux limites de leurs connaissances en écriture et en lecture.
Compte tenu de la détermination des participants et de l'accueil réservé à l'exposition, nous avons décidé de poursuivre par la production de cette brochure. Elle a été réalisée dans le cadre des ateliers d'alphabétisation; Claude Lorenzo, Jean-Paul, et Robert y racontent comment ils ont vécu l'expérience et ce qu'ils en retirent. Elle s'inscrit également comme un exemple de collaboration possible entre un organisme d'alphabétisation et un musée.
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Je m'appelle Jean-Paul Chiasson. Je suis né le 4 janvier 1930 à Caraquet au Nouveau-Brunswick. J'ai quitté Caraquet il y a 25 ans pour venir travailler à Valleyfield comme journalier sur la construction. Ensuite, je suis parti pour Montréal pour venir travailler à la Fonderie. J'y ai travaillé 5 ans 1/2. C'est moi qui coulais les métaux: l'aluminium, la fonte, le cuivre et le bronze. Je n'étais pas en amour avec ce métier, je le faisais en attendant de trouver mieux. Ensuite, la Fonderie a fermé ses portes parce qu'il n'y avait plus de contrat. Moi j'en ai passé des jobs. Je suis retourné sur la construction et après quelques années, je suis allé travailler sur le transport. J'ai toujours réussi à me débrouiller même si je savais ni lire ni écrire. Moi je suis un fonceur, si ça marche pas à une place je vais ailleurs, je vais au bout des choses. Quand tu veux quelque chose, tu dois faire des démarches pour atteindre ton but. Ça passe ou ça casse, un des deux. J'ai la tête dure, pas pour mal faire, pour bien faire, pour foncer dans la vie. Il faut s'embarquer, avoir des projets mais y aller étape par étape, c'est mon objectif. À l'heure actuelle mes affaires vont bien! Si ça peut continuer comme ça, les portes vont s'ouvrir.
Témoignage sur l'exposition
«Quand t'as jamais passé par là, ça te donne des émotions. En dedans de moi je me sentais content et fier.»
J'ai bien aimé ça le musée parce que c'était quelque chose que je n'avais jamais vécu. C'était la première fois que j'entrais dans un musée. J'ai beaucoup aimé être filmé. Ensuite, nous avons lancé des cartes d'invitations et 50 à 70 personnes sont venues voir l'exposition. J'ai été surpris, je ne pensais pas qu'il y aurait tant de monde. Le monde était satisfait et ont bien aimé ça. On a mangé des sandwichs, on a bu de la bière, je me sentais heureux. C'était la première fois que ça m'arrivait. Le projet a duré 6 mois, on s'est beaucoup promené, on est allé à la bibliothèque, c'était la première fois pour moi. Les gens s'intéressaient à mon histoire. Je ne pensais jamais que c'était pour m'arriver, j'ai trouvé ça merveilleux, on était en bonne compagnie. C'était comme une noce, tout le monde était dévoué. Quand t'as jamais passé par là, ça te donne des émotions. En dedans de moi je me sentais content et fier. Si c'était à recommencer, je le ferais à nouveau. Le plus dur c'est de partir, un coup parti, ça va bien. Il faut avoir confiance en toi, plus ça va, plus tu apprends, il ne faut pas revirer de bord, ça prend de la patience et de la volonté. Il faut aller jusqu'au bout, c'est la meilleure solution. Savoir lire et écrire, c'est comme une mine d'or. Pas savoir lire et écrire, ça nous rend isolé, c'est gênant d'avouer qu'on ne sait pas.
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Je m'appelle Robert Proulx. Je suis né à Montréal dans le quartier Centre-Sud, le 2 janvier 1972. J'ai été à l'école de cours professionnels, mais je n'ai pas avancé. Mon but était de travailler, pas d'aller à l'école. Même si j'allais à l'école, quand j'arrivais chez-nous le soir personne ne pouvait m'aider dans mes devoirs. J'ai fait plein de choses, j'ai appris à travailler manuellement pour la cour à scrap de ma famille d'accueil. J'avais 17 ans, j'ai appris à travailler mais je n'étais pas payé. Alors, ma travailleuse sociale m'a envoyé en appartement supervisé. J'ai fait plein de petites jobs, chez Steinberg, dans des restaurants, sur l'entretien. Ça me prenait un métier, donc je suis allé dans une école des métiers de Montréal comme débosseleur de carosserie, ça a pris un an. J'ai travaillé dans un garage pendant deux ans et je suis rentré chez Kraft Canada, ça fait dix ans. C'est plaisant mais c'est stressant.
Témoignage sur l'exposition
«Il n'est jamais trop tard pour apprendre, même si au début tu te sens minable et que t'ose pas avouer que t'as un problème.»
J'ai embarqué dans le projet Écomusée parce que ça me tentait d'essayer, c'était pour aller me chercher une expérience. Ça m'a donné de la fierté et de la confiance, je me disais: «t'es capable, vas-y, fonce!» Il faut dire qu'on a été beaucoup encouragé. Ici on nous donne des outils et je trouve que ça donne une force de travailler avec d'autres comme moi. On fonctionne chacun à notre rythme et on avance. Il n'est jamais trop tard pour apprendre même si au début tu te sens minable et que t'ose pas avouer que t'as un problème.
Moi non plus je n'étais jamais allé au musée. C'est bien, je trouve que ça nous ouvre les horizons. Par contre, ce qui m'a un peu dérangé pour le projet, c'est que j'aurais aimé ça être là plus souvent, surtout quand c'était le temps de monter les panneaux. J'ai trouvé qu'il manquait un petit quelque chose, c'était un peu fade. J'aurais aimé qu'il y ait plus de passé, plus de présent, plus de photos. Aussi, ça aurait été bon qu'on puisse voir la personne dans son milieu. Mais quand même, je suis super content, ça a été une belle expérience. Je suis fier, je trouve que j'ai fait du chemin.
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«Comme société il faut travailler ensemble, les jeunes avec les baby-boomers pour être solidaire entre nous. Il faut chercher des méthodes pour améliorer notre sort.»
Je m'appelle Claude Dupuis. Je suis né à Rosemont le 20 novembre 1941. Je suis allé à l'école longtemps, j'ai doublé plusieurs années. J'ai habité chez mes parents. Ensuite, j'ai travaillé chez General Electric comme assembleur, pendant 5 ans. Quand je n'étais pas sur la ligne d'assemblage j'aimais ça, mais quand je suis tombé sur le travail à la chaîne, j'ai «capoté». Tout allait trop vite et c'était toujours la même chose. J'ai été à l'hôpital.
On m'a décelé une maladie mentale: la schizophrénie. Aujourd'hui, je viens aux cours pour me trouver quelque chose à faire, pour avoir des activités intellectuelles, pour faire travailler la matière grise, pas juste travailler manuellement. Comme société il faut travailler ensemble, les jeunes avec les baby-boomers pour être solidaire entre nous. Il faut chercher des méthodes pour améliorer notre sort.
Témoignage sur l'exposition
Je suis content d'avoir fait le projet, mais j'étais gêné parce que je sais lire mais je ne sais pas écrire. Je suis content d'avoir eu un lieu pour apprendre. J'aimerais ça apprendre des trucs pour avancer tout seul. Le projet m'a aidé à m'améliorer, j'ai fait des pas. Je me trouve privilégié d'avoir un lieu pour apprendre à mon niveau. Le projet fut une façon d'exprimer que j'ai besoin d'aide. Être en groupe fut une manière d'apprendre des autres et de ne pas rester renfermé sur moi-même. Je veux prendre de l'assurance. J'apprécie ce que les autres font pour moi, mais j'aimerais pouvoir fonctionner seul. Ça me révolte de ne pas savoir. Quand tu sais lire, tu peux aller chercher plus de solutions et plus d'informations. Ça nous aide.
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Je m'appelle Lorenzo Irrazabal. Je suis né au Pérou dans la ville de Cazco un 10 août 1948. J'ai commencé à travailler à l'âge de 6 ans, je vendais des oranges au marché. Ensuite, j'ai déménagé à Lima. À partir de l'âge de 9 ans, pendant les vacances, je travaillais dans une pharmacie, je préparais les sirops. Ensuite, j'ai suivi mon cours d'infirmier. Le 19 juillet 1976, je suis arrivé à Montréal avec tous mes espoirs. Avec mon diplôme d'infirmier, j'espérais pouvoir travailler dans le milieu hospitalier.
Mais je devais absolument parler le français, alors, je suis allé à Québec au C.O.F.I. pendant 8 mois. En revenant de Québec, je cherchais dans tous les hôpitaux.
Le problème c'est que je n'avais pas les équivalences pour mon diplôme. À l'hôpital Ste-Jeanne d'Arc, ils m'ont proposé d'être préposé aux bénéficiaires car je voulais absolument travailler. Et, pour pouvoir faire mon équivalence, je devais savoir écrire le français, mais je ne savais pas, je savais seulement parler. Donc, je suis resté 20 ans à l'hôpital comme préposé. Ensuite, suite à des problèmes de dos, j'ai été déclaré invalide, ça fait 6 ans. Alors, j'avais tout mon temps et je pouvais même pas faire du bénévolat. Alors, j'ai commencé à chercher une place pour améliorer ma lecture et mon écriture en français. Maintenant, après les cours que j'ai reçus, ça a été la première fois que j'écrivais des cartes de Noël en français, pardon! J'étais fier de moi, chaque mot me donnait des larmes, parce que je me disais: «Mon Dieu, ça c'est Nicole Picard qui m'a montré ça!» J'étais vraiment fier.
Témoignage sur l'exposition
Moi, Lorenzo, je l'ai su tout de suite grâce à ma prof de l'Atelier des lettres. Elle m'a appelle et m'a parlé de l'Écomusée et pour être bien franc, je ne savais pas c'était quoi l'Écomusée. Je connaissais le bain Généreux, je suis déjà venu me baigner ici il y a quelques années, mais l'Écomusée ça ne me disait rien. Elle m'a dit, c'est ton expérience que tu as du travail et des études, mais elle non plus n'était pas au courant à 100%, comme nous tous.
À la longue, c'est nous qui l'avons construit. Que nous quatre, alors j'étais très timide et je le suis encore. C'était comme monter les escaliers tranquillement. Je ne savais pas c'était quoi, on savait qu'on voulait exposer, mais exposer quoi? Parce que, comme moi, vingt ans de travail dans le milieu hospitalier, toujours comme préposé aux bénéficiaires, bien que j'avais un diplôme d'infirmier licencié je ne pouvais pas pratiquer.
Je lis beaucoup, mais de là à écrire mes pensées, c'était presque impossible. Alors, l'Écomusée, ce qu'on a fait ça aide énormément. J'étais jamais allé à une bibliothèque, j'ai trouvé que c'était un monument extraordinaire. C'est grandiose. Quand tu vois la quantité de choses que tu peux apprendre et puis lire!
J'ai beaucoup aimé aussi l'expérience que nous avons eu avec celui qui a filmé. La façon de monter, c'est plus qu'un travail, c'est tout un art! On voyait les images, image par image. C'était enrichissant quand même... et là il y a eu quelque chose dans le cœur qui a pétillé... oui, oui! On va arriver à quelque chose! On va l'avoir c'est vrai!
Ma seule déception, c'est quand j'ai parlé à l'inauguration, je ne savais pas quoi dire. J'ai dit merci beaucoup, j'étais très content et je suis sorti. Pourtant, j'avais préparé un petit papier pour dire ceci et cela. À la dernière minute, je ne savais plus où était le papier. Je m'étais dit que j'allais remercier Nicole Picard, Nicole Giguère, parler de Lucie. Car c'est grâce à elles que nous avons réalisé tout ceci. Mais j'ai oublié ça et je n'ai pas aimé. Je regrette d'avoir oublié de vous remercier.
Nous voudrions remercier les participants et participantes des niveaux débutant et intermédiaire pour la rédaction de la partie Présentation de l'Atelier des lettres.
Nous tenons à remercier également l'Association des musées canadiens pour son soutien.
Un projet réalisé avec quatre personnes en processus d'alphabétisation.
Coordination pour l'Écomusée du fier monde
Lucie Bonnier
Coordination du projet pour l'Atelier des lettres
Martine Fillion
Animation et soutien à la rédaction
Stéphanie Guillemette
Participants au projet
Jean-Paul Chiasson
Claude Dupuis
Lorenzo Irrazabal
Robert Proulx
Conception graphique
Nicole Tétreault