Ce texte est paru en version abrégée dans la revue Argus, vol. 36, n°1, printemps/été 2007, Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec.
Il y a six ans, un organisme d’alphabétisation avait demandé une visite guidée dans une bibliothèque de Montréal. À leur arrivée, la responsable de la bibliothèque aurait accueilli le groupe d’un malheureux « Les analphabètes, par ici ! ».
La formatrice a été très mal à l’aise et l’a fait savoir à la responsable des services à distance au CDEACF, qui l’avait référée à cette bibliothèque de quartier. Cette dernière a tôt fait de contacter la conseillère en ressources documentaires de la bibliothèque de la ville de Montréal. C'est ainsi que cet incident est devenu le point de départ d’une fructueuse collaboration entre les services à distance du Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) et les services de la bibliothèque de la Ville de Montréal.
La collaboration a commencé par une mise en contact entre les réseaux alphabétiseurs et celui des bibliothèques : ensemble, les deux femmes ont écrit aux bibliothèques de quartier de (l'ancienne) ville de Montréal et aux organismes d’alphabétisation des mêmes quartiers pour les inviter à profiter de la semaine des bibliothèques pour faire connaissance. Dans la lettre, les coordonnées ainsi que les noms des personnes contacts pour les bibliothèques et pour les organismes d’alphabétisation étaient fournies.
Trois mois après ce projet pilote, les deux initiatrices en ont analysé les résultats. Elles sont arrivées à la conclusion que la démarche était valable mais qu'elle n'allait pas assez loin : il fallait la systématiser et l’étendre à toutes les bibliothèques publiques1 et aux 300 organismes francophones d’alphabétisation du Québec.
Au Québec, plus de 800 000 citoyennes et citoyens âgés de 15 ans et plus, n’atteignent pas encore le niveau 3 d’alphabétisation, soit le niveau à partir duquel les experts estiment qu’une personne peut fonctionner efficacement dans une société de l’information et du savoir. Nous avons décidé d'interpeller les bibliothèques publiques afin qu’elles participent au rehaussement du niveau d’alphabétisme en rendant accessible aux personnes en démarche d’alphabétisation, à leurs formateurs et formatrices et aux faibles lectrices et faibles lecteurs en général, le matériel dont elles regorgent.
Quelques bibliothèques et organismes d’alphabétisation souhaitent ce rapprochement mais beaucoup ignorent la façon de le réussir. Les organismes ne cessent de répéter combien les bibliothèques sont intellectuellement et souvent géographiquement inaccessibles tandis que les bibliothèques dénoncent le manque de personnel et de savoir-faire pour développer et animer leurs collections et services auprès des adultes à littératie réduite.
Le CDEACF et la bibliothèque de la ville de Montréal se sont adjoints six partenaires2 de taille, résolus à influencer positivement la réalisation d’un projet couvrant tout le Québec et augmenter nos chances de réussir. Le but général de ce projet collectif nommé « Projet Alpha-Biblio » est de rehausser le niveau d’alphabétisme des adultes francophones du Québec en passant par la collaboration engagée entre les bibliothèques publiques et les organismes d’alphabétisation.
Notre projet en est à ses débuts. Dans un premier temps, nous visons à répertorier, dans une base de données accessible par le Web, les initiatives similaires ayant lieu au Québec. Nous mettrons aussi sur pied vingt-quatre expérimentations que nous documenterons. À l’été 2008, nous développerons des formations qui seront dispensées au personnel des bibliothèques et des organismes d’alphabétisation afin de doter le milieu d’outils efficaces. Finalement, à la fin de 2008, nous publierons un guide de démystification des bibliothèques à l’usage des faibles lecteurs et lectrices.
Nous souhaitons également que puissent émerger, de l’intérieur des réseaux d’organismes d’alphabétisation et des bibliothèques, des médiateurs-animateurs en alphabétisation créatifs, possédant du leadership et de l’empathie, bons communicateurs autant à l’oral qu’à l’écrit, et pouvant influencer positivement les nécessaires changements de mentalité. Dans le contexte actuel de la mondialisation, nul ne peut tolérer la passivité dans la lutte acharnée que se livrent les nations afin d’assurer leur pérennité.
Tous les organismes d’alphabétisation et toutes les bibliothèques publiques, seront sollicités pour participer à l’une ou l’autre activité prévue pour le projet. Pour se tenir informés de l’évolution du projet, il faut visiter régulièrement http://alphabiblio.cdeacf.ca à partir de septembre 2007.
Rosalie Ndejuru
Directrice générale. Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF)
1 L’ensemble des 797 bibliothèques publiques autonomes et affiliées comprend les centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP). Elles offrent 1 046 points de service et desservent 849 municipalités .
2 Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BanQ), la Commission scolaire René-Lévesque de la région de la Gaspésie et des Iles-de-la-Madeleine, la Fondation pour l'alphabétisation, l'organisme en alphabétisation populaire COMQUAT, le Réseau BIBLIO du Québec et la Table des responsables de l'éducation des adultes et de la formation professionnelle des commissions scolaires du Québec (TRÉAQFP)