LA RADIO ET LA TÉLÉVISION ÉDUCATIVE: SES DIFFICULTES ET SES POSSIBLES

MICHEL PICHETTE

Service de l'éducation permanente

Université du Québec à Montréal

et

Comité de travail sur les communications

Institut canadien d'éducation des adultes

document de travail préparé pour le Colloque sur l'amélioration de la contribution des moyens de communication de masse à l'éducation des adultes organisé par la Commission canadienne pour l'UNESCO à Ottawa (1-5 octobre 1979).

Introduction

  1. La radio-télévision éducative nécessite des ressources économiques, technologiques, scientifiques, pédagogiques et artistiques. Aussi, en raison des nombreuses inégalités qui continuent d'exister entre pays en développement et pays développés, l'on ne peut pas réfléchir sur le problème de l'utilisation de la radio-télévision à des fins éducatives sans tenir compte du contexte socio-économique, culturel et politique général dans lequel fonctionne aujourd'hui la vaste et complexe machine des médias de communication électroniques à l'échelle mondiale.
  2. Pour beaucoup de sociétés, le développement d'une radio-télévision éducative dépend souvent de stratégies qui doivent tenir compte de plusieurs facteurs de dépendance: dépendance économique et technologique, dépendance pour la formation des spécialistes en radio-télévision et en communication, dépendance à l'égard de l'importation de modèles de production et de contenus de programmations étrangères.
  3. Le développement de la radio-télévision rencontre aussi de nombreux problèmes à l'intérieur des sociétés développées elles-mêmes.

Si leur développement technologique en matière de communication électronique est très avancé, il n'est pas encore évident que ces sociétés ont réussi à implanter des stratégies de production et de diffusion radiophoniques et télévisuelles qui desservent avantageusement les nombreux besoins d'information et d'éducation des adultes appartenant aux majorités populaires. En effet, dans ces sociétés, il continue d'y subsister des inégalités importantes en matière d'accès des classes populaires à l'éducation, les facteurs de concentration des médias dans les grands centres urbains défavorisant à plusieurs égards les populations des régions éloignées. Les politiques et conceptions de l'éducation en vigueur continuent souvent d'ignorer les besoins éducatifs nés en dehors de l'Ecole dans les pratiques quotidiennes des individus et des formes associatives autonomes qu'ils se donnent pour travailler à leur promotion collective et culturelle.

  1. De plus, malgré l'imminence des besoins auxquels elle peut répondre, la radio-télévision éducative doit, paradoxalement, affronter des difficultés et parfois des résistances au sein des populations elles-mêmes. Ces difficultés ne sont pas toutes étrangères aux habitudes d'utilisation des médias électroniques auxquels les ont façonnés les producteurs/diffuseurs et au peu d'énergies qu'ils ont investies dans la recherche de moyens permettant de briser l'unilinéraité de la "communication" radiotélévisuelle.
  2. Le développement de la radio et de la télévision éducative constitue un défi. Sa réalisation exige la conjugaison de l'imagination créatrice des spécialistes en communication et en éducation avec les forces vives de la population. Plus encore, elle exige des choix politiques inspirés par l'impératif de donner à chacun les moyens éducatifs requis pour apprendre à être et à mieux être individuellement et collectivement. Cela ne pourra se faire qu'avec le concours des hommes et des femmes ainsi que des collectifs sociaux pour lesquels l'éducation devrait d'abord être un outil de promotion collective et culturelle.

La radio

  1. Avec un milliard de récepteurs, soit presque un pour quatre habitants de la terre en moyenne, la radio est le plus universel des médias dans le monde entier. Elle atteint pratiquement toute la population des pays développés, avec plus d'un récepteur par personne. Cependant, ce taux s'abaisse à un pour 18 en Afrique et 1 pour 13 en Asie. La radio est marquée par les déséquilibres du développement: les Etats-Unis ont autant d'émetteurs-radio que tous les pays en développement réunis, dans le tiers-monde les médias sont surtout concentrés dans les zones urbaines et la qualité de réception des émissions y est souvent handicapée par l'absence du matériel technique adéquat.
  2. La situation de la radio dans le monde actuel est paradoxale. Aucun autre média n'a la capacité d'atteindre autant de personnes de façon aussi efficace aux fins d'information et d'éducation, de diffusion de la culture et de récréation. Elle peut être utilisée facilement et économiquement pour atteindre des régions écartées et pour communiquer dans les nombreuses langues vernaculaires souvent sans écriture qui existent dans les pays en développement. Presque tous les pays sont en mesure de produire des programmes radiophoniques conformes à leurs besoins d'éducation, à leurs habitudes culturelles et à leurs valeurs fondamentales. La radio est peutêtre actuellement le moyen de communication le moins soumis aux sociétés transnationales, qu'il s'agisse d'appartenance ou de choix de programmes. Malgré cela, les messages transmis par ce moyen ne parviennent pas encore a de larges fractions de l'humanité vivant dans des régions isolées et, ce qui est plus grave encore, lorsque ces messages leur parviennent, ils véhiculent encore trop souvent des contenus étrangers et des modèles aliénants.

La télévision

  1. La télévision se répand dans le monde entier dans 133 pays, contre 103, il y a dix ans. Au cours de la même période, le nombre de récepteurs de télévision a doublé pour atteindre 366 millions, soit 117 postes pour 1,000 habitants. La répartition de ces chiffres par région constitue un bon indicateur du développement inégal: il y a un récepteur pour deux personnes en Amérique du Nord, un pour quatre en Europe, un pour douze en Amérique latine, un pour quarante dans les pays arabes et en Asie et enfin, un pour 500 en Afrique.
  2. La croissance rapide de la télévision a entraîné des préoccupations de plus en plus sérieuses au sujet de certains effets qu'elle peut entraîner: (a) la tendance des programmes dans la plupart des pays à favoriser les besoins et les intérêts des populations urbaines et des élites locales, ce qui fournit une image fausse de l'ensemble de la société; (b) l'impossibilité pour des composantes importantes des collectivités sociales d'utiliser la télévision comme moyen de support à leurs propres besoins et activités de développement; (c) l'absence de moyens de contrôle direct et efficace par la population;

l'excès de contrôle, qu'il soit exercé par des intérêts commerciaux, des entreprises transnationales, le gouvernement et de super-organisations centralisées, constitue un obstacle fondamental à la production et à la diffusion de contenus favorisant la démocratisation de la télévision; (d) une contradiction subsiste entre la crainte que la télévision ne tende presque inévitablement à homogénéiser la société, à renforcer les stéréotypes sociaux et à promouvoir le conformisme et le conservatisme, et l'espoir qu'elle puisse au contraire être un moyen efficace pour introduire de nouvelles idées et de nouveaux moyens permettant de contribuer au développement des individus et de la société en général; (e) le fait que beaucoup de pays importent de 30 à 70 % de leurs programmes alors que d'autres projettent exclusivement les programmes qu'ils produisent eux-mêmes.1

La radio et la télévision: des outils faits pour la communication

  1. Machines électroniques complexes, la radio et la télévision servent à véhiculer le son et l'image à distance. C'est cela qui constitue l'une de leur caractéristique révolutionnaire. Elles permettent de rejoindre des populations qu'aucun autre moyen de communication n'avait encore réussi à faire participer avec autant de simultanéité et en aussi grand nombre à des événements, à des activités, à des informations produits en d'autres lieux que les leurs propres. Par la radio et par la télévision, les hommes et les femmes peuvent tout aussi bien assister aux premiers pas des humains sur la lune, visionner des manifestations se déroulant à des milliers de kilomètres de chez eux ou encore avoir accès à des informations et à des savoirs utiles à leurs besoins de développement individuel et collectif qui leur seraient autrement inaccessibles. A ce titre, la machine radio-télévision constitue un outil riche de possibilités et de capacités pour contribuer au développement et à l'enrichissement des vies humaines et collectives.
  2. Mais la radio et la télévision sont d'abord des machines. N'importe quelle production radiophonique ou télévisuelle n'est pas, en soi, génératrice de développement. Tout dépend des stratégies qui président à leur production et à leur diffusion.
  3. La communication est fondamentalement un processus par lequel s'établit une relation avec un individu ou des collectivités. Elle implique un rapport d'échange et se traduit concrètement dans des formes d'interactions.

Comment empêcher que la radio et la télévision emprisonnent la communication dans une interaction unilinéaire, sans participation des usagers ni mécanismes concrets de rétroaction? Comment empêcher que les stratégies de communication de la radio-télévision n'aient pour seuls déterminants la recherche de performances commerciales, technologiques ou formelles?

  1. La professionnalisation et la spécialisation des divers métiers nécessaires à la production radiotélévision n'ont-ils pas généré l'oubli des conditions, des contraintes et des difficultés d'une stratégie dynamique et démocratique de la communication? N'ont-ils pas généré dans des milieux des habitudes de travail qui empêchent toute forme de participation des populations aux choix, aux orientations, aux modèles de fabrication des émissions? Ne s'y est-on pas enfermé dans des conditions où, en vertu du mode d'organisation du travail et des conceptions de la communication qui s'y sont développés, il n'est pas possible d'imaginer des modèles plus participatifs de production? N'y a-t-on pas développé une dépendance technologique à l'égard de la machine radiotélévision: recherche du meilleur effet sonore ou visuel? N'y a-t-on pas développé des habitudes d'imitation et de compétition avec d'autres milieux de production, de telle sorte que les critères de qualité et d'efficacité y sont déterminés par d'autres objectifs que ceux de la promotion collective et culturelle des populations auxquelles Ton destine les productions radio-télévision? Ne s'y est-on pas enfermé dans un modèle de la communication qui idolâtre le médium au point d'en faire lui-même le message?
  2. La dépendance de la majorité des pays à l'endroit des grands centres de la radio-télévision (EtatsUnis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, URSS...) n'a-t-elle pas généré des comportements d'imitation, l'importation de normes et de modèles dont on a pas pris le temps de vérifier la congruité avec les spécificités et les besoins des sociétés dépendantes?

Là où existent les grands centres de radio-télévision, n'a-t-on pas tendance à penser que les seuls modèles élaborés en ces lieux conviennent pour répondre à tous les besoins auxquels pourrait répondre la radio et la télévision?

La radio et la télévision éducative

  1. L'avantage principal de l'utilisation de la radio et de la télévision à des fins éducatives réside dans les possibilités qu'offre l'instrument ou la machine elle-même. Elle est en effet accessible à distance, ce qui permet de rejoindre des populations que l'Ecole traditionnelle n'atteint pas bien souvent à cause de leur nomadisme, de leur éloignement des centres urbains, de la pénurie d'enseignants et de matériel scolaire. Elle permet d'atteindre un plus grand nombre d'individus en même temps et peut s'adapter aux contraintes horaires liées aux divers travaux des individus, aux conditions géographiques et aux habitudes de vie. Elle permet d'éliminer les formalités bureaucratiques de toutes sortes qui caractérisent encore l'accès aux savoirs et aux apprentissages dans l'Ecole traditionnelle. Elle est particulièrement utile pour rejoindre les populations adultes.
  2. Elle permet de réunir les meilleures ressources humaines et documentaires pour offrir aux populations visées les informations, les savoirs et les apprentissages qu'il serait trop coûteux ou souvent impossible de conjuguer a l'intérieur des circuits scolaires traditionnels. Elle permet aussi de faire certains liens entre la théorie et la pratique par l'intermédiaire de l'illustration et du témoignage. Elle permet d'introduire dans le processus éducatif des éléments de référence avec la vie que l'exposé de l'éducateur dans une classe ou bien le livre ne peuvent faire avec autant d'efficacité didactique.
  3. Ces nombreux avantages sont ceux que rend possible le. médium électronique. Ce dernier est riche de possibles dont on a pas fini de découvrir toutes les avenues. Cependant, il ne faut pas confondre le médium avec l'objectif éducatif qu'on cherche à lui donner. Le médium ne suffit pas pour obtenir la réalisation d'une action éducative. Il ne suffit pas de placer un individu devant un écran de télévision pour que s'opère un travail éducatif. La machine radio-télévision ne génère pas plus l'éducation que la presse à rotogravure l'information et un bâtiment scolaire la pédagogie. On ne peut aborder le problème de l'utilisation des médias électroniques à des fins éducatives sans savoir qu'en matière d'éducation l'histoire commence et se déroule dans le tissu concret et vivant de l'existence des hommes et des femmes au sein de leurs pratiques quotidiennes dans la "famille", le voisinage, le travail et la société en général. L'éducateur, quel qu'il soit, ne vient-il pas toujours participer à une éducation déjà vivante?
  4. La radio et la télévision éducative permettent sans aucun doute de favoriser une plus grande accessibilité de la population aux savoirs et aux apprentissages, que ces derniers soient liés ou non à l'enseignement crédité ou formel. Cependant, son mode actuel d'opération, le médium télévisuel demeure un moyen de transmission à sens unique de messages et cela, à partir d'un point centralisé de production. Aussi, l'accessibilité n'est pas un atout suffisant pour faire de la radio-télévision un outil stratégique décisif dans la lutte contre les inégalités en éducation. Il n'est pas prouvé en effet que toutes les formes d'études ouvertes ou d'instruction à distance expérimentées au travers le monde ont, à ce jour, réussi à faire reculer significativement la barrière qui empêche les majorités populaires de tous les pays d'accéder aux connaissances et aux apprentissages spécialisés pertinents dont elles ont besoin pour promouvoir leurs intérêts collectifs et culturels.
  5. Il ne s'agit pas d'adapter les modèles de l'éducation traditionnelles à la radio-télévision pour enrayer les inégalités. Les populations qui ont bien des raisons de rejeter une Ecole qui est souvent la négation même de leur vécu culturel et collectif et, plus encore, qui ne les aide pas à promouvoir leurs propres projets autonomes d'éducation, bouderont toute radio-télévision éducative qui s'inscrira dans les mêmes avenues.
  6. L'Ecole et la radio-télévision éducative conçue selon son modèle, n'épuisent pas l'éducation et tous les besoins éducatifs. Dit autrement, dans leurs multiples activités quotidiennes les individus font régulièrement des apprentissages, affrontent de multiples conditions pour lesquels ils ont souvent besoin de connaissances qui continuent de leur être inaccessibles. Qu'il s'agisse d'apprendre à détecter les effets pathologiques des produits chimiques qu'ils manipulent à l'usine, d'apprendre des techniques leur permettant de construire des habitations qui résistent aux intempéries, de comprendre une législation qui les concerne, de mettre sur pied une coopérative d'alimentation, de rechercher les moyens de développer et de protéger leurs patrimoines culturels, etc.. D'autre part, dans d'innombrables occasions, les individus acquièrent des connaissances et produisent des savoirs et des techniques ignorés des Ecoles et des spécialistes reconnus.
  7. Par des moyens multiples et dans des formes associatives diverses les individus appartenant aux couches populaires sont, jour après jour, inscrits dans des démarches vivantes d'éducation dont l'Ecole traditionnelle, pour diverses raisons, ne s'occupe pas.

Lutter contre les inégalités en éducation, ce n'est pas seulement alphabétiser et permettre l'accès du plus grand nombre aux diplômes; cela n'épuise pas les possibles de l'éducation et ne constitue pas la seule voie à l'apprentissage à être et au mieux être.

Si l'éducation est un processus vivant et permanent aussi indispensable au développement de la vie humaine que l'est le sang dans l'organisme, la radiotélévision éducative doit en tenir compte.

  1. La radio et la télévision éducative peuvent donc jouer un double rôle:
  • répondre aux besoins nombreux et divers de l'éducation formelle des individus. A ce titre, elle peut servir d'auxiliaire efficace et pertinent dans l'enseignement scolaire traditionnel. Elle peut aussi contribuer à multiplier les possibilités d'accès des individus à la formation initiale, professionnelle et spécialisée par le moyen de programmes d'enseignement à distance;
  • elle peut, d'autre part, constituer un outil adéquat de support aux individus dans les activités diverses de promotion collective et culturelle qu'ils mènent dans leurs organisations autonomes et volontaires; elle peut jouer un rôle de support aux besoins éducatifs quotidiens des individus et favoriser la diffusion et l'échange entre eux des expériences et des connaissances dont ils sont les producteurs. Enfin, elle peut servir de moyen de diffusion d'informations, de connaissances et de savoir faire reliés des impératifs généraux et particuliers de développement collectifs auxquels participent les individus (vg. préventions contre des épidémies etc...).
  1. Qu'il s'agisse de l'un ou l'autre de ces rôles possibles, la radio et la télévision ne sauraient être pertinentes et efficaces si leur action n'est pas fondamentalement déterminée par les exigences du processus pédagogique. C'est lui qui définit la radio et la télévision éducative. C'est lui qui la distingue et la spécifie des autres programmations.

Définition de la radio et de la télévision éducative

  1. Il existe plusieurs définitions de la radio et de la télévision éducative. Les ambiguïtés et les imprécisions que véhiculent la majorité d'entre elles ne sont pas étrangères aux difficultés qui président encore aujourd'hui a la recherche de formes de production spécifiques qu'elle commande. En voici quelques-unes:
  • les définitions volontaristes: pour elles,la radio et la télévision éducative consiste à diffuser des messages et des objectifs. Par exemple: pourquoi il faut faire de l'exercice physique; pourquoi il ne faut pas s'endetter inutilement, etc.;
  • les définitions fonctionnalistes: pour elles,la radio et la télévision sont éducatives lorsqu'elles cherchent a enseigner un savoir faire ou des comportements. Par exemple: la fabrication d'une chaise, les techniques du dessin, la réparation d'unmoteur, des recettes culinaires, des attitudes civiques, etc.;
  • les définitions intellectualistes et culturalistes: pour elles, la radio et la télévision sont éducatives lorsqu'elles contribuent à élever le niveau de connaissances des individus dans le domaine des productions de l'esprit. Par exemple: connaissance des écrivains, des entrevues avec des personnalités du monde scientifique et littéraire, la critique de livres et du cinéma, et aussi, la connaissance du patrimoine culturel, des documentaires, etc.;
  • les définitions populistes: pour elles, la radio et la télévision sont éducatives lorsqu'elles font oeuvre de "vulgarisation" des savoirs scientifiques et spécialisés. C'est le cas, à la radio surtout, des émissions qui recourent à la participation de l'auditeur par le moyen de problèmes qu'il soumet par téléphone à un invité en studio. C'est le cas aussi d'émissions où l'on choisit d'introduire le spectateur dans ce qu'on appellera "le monde inconnu de telle ou telle science". D'une façon générale, l'on s'y donnera pour objectif d'introduire le spectateur dans le monde savant des savants...;
  • les définitions scolaires et académiques: pour elles, est éducative toute émission qui diffuse un enseignement relié à des contraintes scolaires: les cours télévisés ou radiodiffusés. Elles supposent une inscription préalable de l'étudiant et l'accomplissement de travaux qui feront l'objet d'une évaluation.
  1. Ces définitions ne sont pas nécessairement fausses, incongruantes ou impertinentes. Elles nous disent toutes un peu quelque chose sur notre objet. Mais elles sont insuffisantes pour définir la nature profonde et spécifique qui doit permettre de distinguer une émission éducative des autres productions radiophoniques ou télévisuelles apparentées tels le journal télévisé, l'émission de reportage étoffée de dossiers, des entrevues avec des personnages éminents ou parfois même des émissions de divertissement et d'information générale.
  1. Prises isolément, chacune de ces définitions évacuent la condition première de l'acte éducatif qui consiste:
  • en une démarche inductive qui commence dans une relation première déterminante avec les individus, groupes ou populations à qui l'on veut s'adresser. Cela signifie que le choix des sujets de connaissances, les méthodes d'exposition, les formes d'illustration et leur nature, le langage utilisé, etc.. doivent avoir fait l'objet d'une vérification sérieuse de leur pertinence. Cela nécessite des producteurs une connaissance réelle-concrète et sans préjugé de ceux à qui ils adressent leur émission éducative.
  • en une démarche d'interaction participative par l'instauration de mécanismes permettant aux individus, groupes ou populations visés par l'émission ou, à tout le moins à un échantillon représentatif de ces derniers -, d'enrichir de leurs critiques le produit avant, pendant et après sa réalisation.
  • en une démarche pédagogique globale maximisant tous les moyens pour que le public visé puisse s'approprier pour lui et ses propres besoins les connaissances et apprentissages diffusés.
  1. Toute émission éducative de radio et de télévision doit être guidée par la dynamique d'une pédagogie de développement. Cela élimine toute pédagogie autoritaire et é l i t i s te qui ferait du processus éducatif une pratique unilinéaire d'inculcation, ignorante et méprisante des capacités des individus, des groupes et des populations à prendre en charge leur propre vie.

La pédagogie n'a-t-elle pas pour rôle de libérer la parole en même temps que l'action?

  1. Tout acte éducatif est impossible sans solidarisation. A ce titre, il implique le corps avec ission éducative de radio et de télévision doit être guidée par la dynamique d'une pédagogie de développement. Cela élim son esprit et son coeur. Et ce corps humain vivant existe parmi et avec d'autres humains.

Un individu seul devant son écran de télévision ne pourra véritablement s'approprier ce qui lui est communiqué et enrichir par la suite son propre vécu dans la seule mesure où il se sentira quelque part concerné avec d'autres avec lesquels il pourra, peu importe la façon et à quel moment, en parler et en partager le fruit.

On aura beau multiplier des campagnes de prévention contre les accidents routiers ou industriels, tant et aussi longtemps que ces campagnes interpelleront les individus en sujets isolés, elles ne généreront que la culpabilité en instituant ce dernier seul responsable de causes qui, pour un grand nombre, sont extérieures à lui. Les accidents routiers et industriels continueront de se produire tant que les individus n'auront pas, dans la solidarisation, identifié les fatigues nerveuses (etc..) qu'alimentent en eux leurs conditions de travail.

  1. L'activité éducative n'est pas une action isolée. Elle implique toujours un avant, un pendant et un après. Or, la caractéristique de la machine radiotélévision consiste à être absente avant et après la diffusion d'une émission. Aussi, est-il nécessaire de penser aux moyens d'y pallier.
  2. Le droit de communiquer fait partie intrinsèque de l'activité éducative.

Contraintes, difficultés et conditions d'une radio et d'une télévision éducative

  1. Le problème de l'ethnocentrisme de classe. Dans la plupart des cas, les producteurs et les divers artisans qui ont la responsabilité des programmes de radio-télévision éducative vivent un rapport d'étrangeté avec les populations pour lesquelles ils destinent leurs émissions. Il est bien difficile dans ces conditions d'éviter les pièges d'une pédagogie autoritaire et élitiste.
  2. Tout éducateur et le producteur d'émissions de radio-télévision éducative en est un doit savoir écouter et éviter d'identifier les besoins et les perceptions des autres a partir des siens propres. Si cela ne signifie pas qu'il doive renoncer à être ce qu'il est et s'effacer devant les autres, cela indique la nécessité d'une pratique serrée de la dialectique.
  3. L'éducateur participe à une éducation déjà vivante.
  4. L'éducateur n'est pas un médecin.
  5. La crédibilité d'un discours, d'une démonstration ou d'en enseignement ne dépend pas du langage utilisé mais de sa connection avec le réel de celui à qui il est prononcé.
  6. L'action pédagogique doit toujours renvoyer au réel. Elle doit éviter et combattre toute action éducative qui cantonne dans le seul imaginaire. Il ne faut pas que devant un phénomène réel qu'ils observent devant eux, les individus prennent l'habitude de dire que c'est comme à la télévision ou au cinéma. S'ils le faisaient couramment, cela pourrait être l'indice qu'ils ont perdu le contact avec cette réalité et qu'ils sont démunis devant elle.
  7. La production d'émissions de radio et de télévision éducative nécessite le concours des pédagogues et des artisans du monde des communications électroniques et visuels. Il faudrait sans doute penser a prendre des moyens pour que ces derniers apprennent à travailler ensemble.
  8. Alors que l'Ecole apprend aux enfants comment lire, analyser et critiquer un ouvrage imprimé, elle n'a pas encore commencer a enseigner des méthodes d'analyse et de critique de la télévision.
  9. Il serait utile, dans bien des cas, d'apprendre aux individus comment fonctionnent un appareil radio et un téléviseur. Cela contribuerait à démystifier le média électronique et permettrait aux individus de savoir comment réparer eux-mêmes leurs appareils. Dans les régions éloignées privées de main-d'oeuvre spécialisée, cela est presque une nécessité.
  10. Il serait de plus important d'apprendre aux individus et aux groupes comment se fait la fabrication technique d'une émission. Ce serait là permettre a des groupes sociaux la possibilité de concevoir et de produire eux-mêmes des programmes qui correspondent a leurs besoins. A ce chapitre, ils conviendrait de tirer les riches leçons des radio et télévision communautaires.

Conclusion

  1. Peu importe le ou les sujets qui y sont traités, peu importe que ces sujets s'inscrivent dans un cadre d'enseignement formel ou non, la radio-télévision éducative se distingue des autres programmations et se définit fondamentalement par la démarche pédagogique. Cette démarche doit avoir pour fonction fondamentale de "supporter" les individus et les associations dans leur dynamique d'autonomisation.
  2. Favoriser le développement de la radio-télévision éducative ainsi qu'une répartition plus équitable de son accessibilité, c'est rendre possible l'égalité entre les humains et combattre toutes les formes de dominations et de discriminations qui en empêcheraient l'accomplissement.
  3. La radio et la télévision éducative, en tant que partie intégrante de l'éducation permanente, peuvent contribuer de façon décisive au développement économique et culturel, au progrès social et à la paix dans le monde ainsi qu'au développement démocratique des systèmes éducatifs.
  4. Mais pour ce faire, les diffuseurs, les producteurs et les pédagogues devront faire l'effort d'établir des contacts directs et permanents avec les populations afin d'inventer avec elles des productions éducatives qui correspondent à leurs besoins et leur permette de s'approprier les outils cognitifs nécessaires à leur promotion individuelle et collective.

Michel Pichette Montréal, août 1979

NOTES

1 Les paragraphes 6 à 9 inclusivement reproduisent de larges extraits du Rapport intérimaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne, Commission internationale d'étude des problèmes de la communication, UNESCO, 1978.

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