LA RADIO ET LA TÉLÉVISION ÉDUCATIVE: SES
DIFFICULTES ET SES POSSIBLES
MICHEL PICHETTE
Service de l'éducation permanente
Université du Québec à
Montréal
et
Comité de travail sur les
communications
Institut canadien d'éducation des adultes
document de travail préparé pour le Colloque sur
l'amélioration de la contribution des moyens de communication
de masse à l'éducation des adultes organisé par la
Commission canadienne pour l'UNESCO à Ottawa (1-5
octobre 1979).
Introduction
- La radio-télévision éducative nécessite des ressources
économiques, technologiques, scientifiques, pédagogiques et artistiques.
Aussi, en raison des nombreuses inégalités qui continuent d'exister
entre pays en développement et pays développés, l'on ne peut
pas réfléchir sur le problème de l'utilisation de la radio-télévision
à des fins éducatives sans tenir compte du contexte socio-économique,
culturel et politique général dans lequel fonctionne aujourd'hui
la vaste et complexe machine des médias de communication électroniques
à l'échelle mondiale.
- Pour beaucoup de sociétés, le développement
d'une radio-télévision éducative dépend souvent
de stratégies qui doivent tenir compte de plusieurs facteurs
de dépendance: dépendance
économique et technologique, dépendance pour la formation
des spécialistes en radio-télévision et en
communication, dépendance à l'égard de l'importation
de modèles de production et de contenus de programmations
étrangères.
- Le développement de la radio-télévision
rencontre aussi de nombreux problèmes à l'intérieur
des sociétés développées
elles-mêmes.
Si leur développement technologique en matière
de communication électronique est très avancé, il
n'est pas encore évident que ces sociétés ont
réussi à implanter des stratégies de
production et de diffusion radiophoniques et
télévisuelles qui desservent avantageusement les
nombreux besoins d'information et d'éducation des adultes
appartenant aux majorités populaires. En
effet, dans ces sociétés, il continue d'y subsister
des inégalités importantes en matière
d'accès des classes populaires à l'éducation, les
facteurs de concentration des médias dans les grands centres
urbains défavorisant à plusieurs égards les
populations des régions éloignées.
Les politiques et conceptions de l'éducation en vigueur
continuent souvent d'ignorer les besoins éducatifs nés en
dehors de l'Ecole dans les pratiques quotidiennes des individus et
des formes associatives autonomes qu'ils se donnent pour travailler
à leur promotion collective et culturelle.
- De plus, malgré l'imminence des besoins auxquels elle peut
répondre, la radio-télévision éducative doit,
paradoxalement, affronter des difficultés et parfois des
résistances au sein des populations
elles-mêmes. Ces difficultés ne sont
pas toutes étrangères aux habitudes d'utilisation des
médias électroniques auxquels les ont façonnés
les producteurs/diffuseurs et au peu d'énergies qu'ils ont
investies dans la recherche de moyens permettant de briser
l'unilinéraité de la "communication"
radiotélévisuelle.
- Le développement de la radio et de la télévision
éducative constitue un défi. Sa
réalisation exige la conjugaison de l'imagination
créatrice des spécialistes en communication et en
éducation avec les forces vives de la
population. Plus encore, elle exige des choix
politiques inspirés par l'impératif de donner à
chacun les moyens éducatifs requis pour apprendre à
être et à mieux être individuellement et
collectivement. Cela ne pourra se faire qu'avec
le concours des hommes et des femmes ainsi que des collectifs
sociaux pour lesquels l'éducation devrait d'abord être un
outil de promotion collective et culturelle.
La radio
- Avec un milliard de récepteurs, soit presque un pour
quatre habitants de la terre en moyenne, la radio est le plus
universel des médias dans le monde entier. Elle atteint
pratiquement toute la population des pays développés,
avec plus d'un récepteur par personne.
Cependant, ce taux s'abaisse à un pour 18 en Afrique et
1 pour 13 en Asie. La radio est
marquée par les déséquilibres du
développement: les Etats-Unis ont autant
d'émetteurs-radio que tous les pays en développement
réunis, dans le tiers-monde les médias sont surtout
concentrés dans les zones urbaines et la qualité de
réception des émissions y est souvent handicapée par
l'absence du matériel technique adéquat.
- La situation de la radio dans le monde actuel est
paradoxale. Aucun autre média n'a la
capacité d'atteindre autant de personnes de façon aussi
efficace aux fins d'information et d'éducation, de diffusion
de la culture et de récréation. Elle
peut être utilisée facilement et économiquement pour
atteindre des régions écartées et pour communiquer
dans les nombreuses langues vernaculaires souvent sans
écriture qui existent dans les pays en développement.
Presque tous les pays sont en mesure de produire des programmes
radiophoniques conformes à leurs besoins d'éducation,
à leurs habitudes culturelles et à leurs valeurs
fondamentales. La radio est peutêtre
actuellement le moyen de communication le moins soumis aux
sociétés transnationales, qu'il s'agisse d'appartenance
ou de choix de programmes. Malgré cela, les
messages transmis par ce moyen ne parviennent pas encore a de
larges fractions de l'humanité vivant dans des régions
isolées et, ce qui est plus grave encore, lorsque ces messages
leur parviennent, ils véhiculent encore trop souvent des
contenus étrangers et des modèles aliénants.
La télévision
- La télévision se répand dans le monde entier
dans 133 pays, contre 103, il y a dix ans.
Au cours de la même période, le nombre de récepteurs
de télévision a doublé pour atteindre 366 millions,
soit 117 postes pour 1,000 habitants. La
répartition de ces chiffres par région constitue un bon
indicateur du développement inégal: il
y a un récepteur pour deux personnes en Amérique du
Nord, un pour quatre en Europe, un pour douze en
Amérique latine, un pour quarante dans les pays arabes et en
Asie et enfin, un pour 500 en Afrique.
- La croissance rapide de la télévision a
entraîné des préoccupations de plus en plus
sérieuses au sujet de certains effets qu'elle peut
entraîner: (a) la tendance des
programmes dans la plupart des pays à favoriser les besoins et
les intérêts des populations urbaines et des élites
locales, ce qui fournit une image fausse de l'ensemble de la
société; (b) l'impossibilité pour
des composantes importantes des collectivités sociales
d'utiliser la télévision comme moyen de support à
leurs propres besoins et activités de
développement; (c) l'absence de moyens de contrôle
direct et efficace par la population;
l'excès de contrôle, qu'il soit exercé par des
intérêts commerciaux, des entreprises transnationales, le
gouvernement et de super-organisations centralisées,
constitue un obstacle fondamental à la production et
à la diffusion de contenus favorisant la démocratisation
de la télévision; (d) une contradiction subsiste
entre la crainte que la télévision ne tende presque
inévitablement à homogénéiser la
société, à renforcer les stéréotypes
sociaux et à promouvoir le conformisme et le conservatisme, et
l'espoir qu'elle puisse au contraire être un moyen efficace
pour introduire de nouvelles idées et de nouveaux moyens
permettant de contribuer au développement des individus et de
la société en général; (e) le fait que beaucoup
de pays importent de 30 à 70 % de leurs programmes alors que
d'autres projettent exclusivement les programmes qu'ils produisent
eux-mêmes.1
La radio et la télévision: des
outils faits pour la communication
- Machines électroniques complexes, la radio et la
télévision servent à véhiculer le son et
l'image à distance. C'est cela qui constitue
l'une de leur caractéristique
révolutionnaire. Elles permettent de
rejoindre des populations qu'aucun autre moyen de communication
n'avait encore réussi à faire participer avec autant de
simultanéité et en aussi grand nombre à des
événements, à des activités, à des
informations produits en d'autres lieux que les leurs
propres. Par la radio et par la
télévision, les hommes et les femmes peuvent tout
aussi bien assister aux premiers pas des humains sur la lune,
visionner des manifestations se déroulant à des
milliers de kilomètres de chez eux ou encore avoir accès
à des informations et à des savoirs utiles à leurs
besoins de développement individuel et collectif qui
leur seraient autrement inaccessibles. A ce
titre, la machine radio-télévision constitue un outil
riche de possibilités et de capacités pour contribuer au
développement et à l'enrichissement des vies humaines et
collectives.
- Mais la radio et la télévision sont d'abord des
machines. N'importe quelle production
radiophonique ou télévisuelle n'est pas, en soi,
génératrice de développement. Tout
dépend des stratégies qui président à
leur production et à leur diffusion.
- La communication est fondamentalement un processus par lequel
s'établit une relation avec un individu ou des
collectivités. Elle implique un rapport
d'échange et se traduit concrètement dans des formes
d'interactions.
Comment empêcher que la radio et la télévision
emprisonnent la communication dans une interaction
unilinéaire, sans participation des usagers ni mécanismes
concrets de rétroaction? Comment
empêcher que les stratégies de communication de la
radio-télévision n'aient pour seuls déterminants la
recherche de performances commerciales, technologiques ou
formelles?
- La professionnalisation et la spécialisation des divers
métiers nécessaires à la production
radiotélévision n'ont-ils pas
généré l'oubli des conditions, des contraintes et
des difficultés d'une stratégie dynamique et
démocratique de la communication? N'ont-ils
pas généré dans des milieux des habitudes de
travail qui empêchent toute forme de participation des
populations aux choix, aux orientations, aux modèles de
fabrication des émissions? Ne s'y est-on pas
enfermé dans des conditions où, en vertu du mode
d'organisation du travail et des conceptions de la
communication qui s'y sont développés, il n'est pas
possible d'imaginer des modèles plus participatifs de
production? N'y a-t-on pas développé
une dépendance technologique à l'égard de la machine
radiotélévision: recherche du meilleur
effet sonore ou visuel? N'y a-t-on pas
développé des habitudes d'imitation et de
compétition avec d'autres milieux de production, de telle
sorte que les critères de qualité et d'efficacité y
sont déterminés par d'autres objectifs que ceux de la
promotion collective et culturelle des populations auxquelles Ton
destine les productions
radio-télévision? Ne s'y est-on pas
enfermé dans un modèle de la communication qui
idolâtre le médium au point d'en faire lui-même le
message?
- La dépendance de la majorité des pays à
l'endroit des grands centres de la radio-télévision
(EtatsUnis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, URSS...)
n'a-t-elle pas généré des comportements d'imitation,
l'importation de normes et de modèles dont on a pas pris le
temps de vérifier la congruité avec les
spécificités et les besoins des sociétés
dépendantes?
Là où existent les grands centres de
radio-télévision, n'a-t-on pas tendance à penser que
les seuls modèles élaborés en ces lieux conviennent
pour répondre à tous les besoins auxquels pourrait
répondre la radio et la télévision?
La radio et la télévision éducative
- L'avantage principal de l'utilisation de la radio et de
la télévision à des fins éducatives réside
dans les possibilités qu'offre l'instrument ou la machine
elle-même. Elle est en effet accessible
à distance, ce qui permet de rejoindre des populations
que l'Ecole traditionnelle n'atteint pas bien souvent à cause
de leur nomadisme, de leur éloignement des centres urbains, de
la pénurie d'enseignants et de matériel
scolaire. Elle permet d'atteindre un plus grand
nombre d'individus en même temps et peut s'adapter aux
contraintes horaires liées aux divers travaux des individus,
aux conditions géographiques et aux habitudes de
vie. Elle permet d'éliminer les
formalités bureaucratiques de toutes sortes qui
caractérisent encore l'accès aux savoirs et aux
apprentissages dans l'Ecole traditionnelle. Elle
est particulièrement utile pour rejoindre les populations
adultes.
- Elle permet de réunir les meilleures ressources humaines
et documentaires pour offrir aux populations visées les
informations, les savoirs et les apprentissages qu'il
serait trop coûteux ou souvent impossible de conjuguer a
l'intérieur des circuits scolaires
traditionnels. Elle permet aussi de faire
certains liens entre la théorie et la pratique par
l'intermédiaire de l'illustration et du témoignage. Elle
permet d'introduire dans le processus éducatif des
éléments de référence avec la vie que
l'exposé de l'éducateur dans une classe ou bien le livre
ne peuvent faire avec autant d'efficacité didactique.
- Ces nombreux avantages sont ceux que rend possible le.
médium électronique. Ce dernier est
riche de possibles dont on a pas fini de découvrir toutes les
avenues. Cependant, il ne faut pas
confondre le médium avec l'objectif éducatif qu'on
cherche à lui donner. Le médium ne
suffit pas pour obtenir la réalisation d'une action
éducative. Il ne suffit pas de placer un
individu devant un écran de télévision pour que
s'opère un travail éducatif. La
machine radio-télévision ne génère pas plus
l'éducation que la presse à rotogravure l'information et
un bâtiment scolaire la pédagogie. On
ne peut aborder le problème de l'utilisation des médias
électroniques à des fins éducatives sans savoir
qu'en matière d'éducation l'histoire commence et se
déroule dans le tissu concret et vivant de l'existence des
hommes et des femmes au sein de leurs pratiques quotidiennes dans
la "famille", le voisinage, le travail et la
société en général.
L'éducateur, quel qu'il soit, ne vient-il pas toujours
participer à une éducation déjà vivante?
- La radio et la télévision éducative permettent
sans aucun doute de favoriser une plus grande accessibilité de
la population aux savoirs et aux apprentissages, que ces derniers
soient liés ou non à l'enseignement crédité ou
formel. Cependant, son mode actuel
d'opération, le médium télévisuel demeure
un moyen de transmission à sens unique de messages et cela,
à partir d'un point centralisé de production. Aussi,
l'accessibilité n'est pas un atout suffisant pour faire de la
radio-télévision un outil stratégique
décisif dans la lutte contre les inégalités en
éducation. Il n'est pas prouvé en
effet que toutes les formes d'études ouvertes ou d'instruction
à distance expérimentées au travers le
monde ont, à ce jour, réussi à
faire reculer significativement la barrière qui empêche
les majorités populaires de tous les pays d'accéder aux
connaissances et aux apprentissages spécialisés
pertinents dont elles ont besoin pour promouvoir leurs
intérêts collectifs et culturels.
- Il ne s'agit pas d'adapter les modèles de
l'éducation traditionnelles à la
radio-télévision pour enrayer les
inégalités. Les populations qui ont
bien des raisons de rejeter une Ecole qui est souvent la
négation même de leur vécu culturel et
collectif et, plus encore, qui ne les aide pas à
promouvoir leurs propres projets autonomes d'éducation,
bouderont toute radio-télévision éducative qui
s'inscrira dans les mêmes avenues.
- L'Ecole et la radio-télévision éducative
conçue selon son modèle, n'épuisent pas
l'éducation et tous les besoins
éducatifs. Dit autrement, dans leurs
multiples activités quotidiennes les individus font
régulièrement des apprentissages, affrontent de multiples
conditions pour lesquels ils ont souvent besoin de connaissances
qui continuent de leur être
inaccessibles. Qu'il s'agisse d'apprendre
à détecter les effets pathologiques des produits
chimiques qu'ils manipulent à l'usine, d'apprendre des
techniques leur permettant de construire des habitations
qui résistent aux intempéries, de comprendre
une législation qui les concerne, de mettre sur pied une
coopérative d'alimentation, de rechercher les moyens de
développer et de protéger leurs patrimoines culturels,
etc.. D'autre part, dans d'innombrables
occasions, les individus acquièrent des connaissances et
produisent des savoirs et des techniques ignorés des Ecoles et
des spécialistes reconnus.
- Par des moyens multiples et dans des formes associatives
diverses les individus appartenant aux couches populaires sont,
jour après jour, inscrits dans des démarches
vivantes d'éducation dont l'Ecole traditionnelle, pour
diverses raisons, ne s'occupe pas.
Lutter contre les inégalités en éducation, ce
n'est pas seulement alphabétiser et permettre l'accès du
plus grand nombre aux diplômes; cela n'épuise pas les
possibles de l'éducation et ne constitue pas la seule voie
à l'apprentissage à être et au mieux être.
Si l'éducation est un processus vivant et permanent
aussi indispensable au développement de la vie humaine
que l'est le sang dans l'organisme, la
radiotélévision éducative doit en tenir compte.
- La radio et la télévision éducative peuvent donc
jouer un double rôle:
- répondre aux besoins nombreux et divers de
l'éducation formelle des individus. A ce
titre, elle peut servir d'auxiliaire efficace et pertinent dans
l'enseignement scolaire traditionnel. Elle peut aussi
contribuer à multiplier les possibilités d'accès des
individus à la formation initiale, professionnelle et
spécialisée par le moyen de programmes d'enseignement
à distance;
- elle peut, d'autre part, constituer un outil adéquat
de support aux individus dans les activités diverses de
promotion collective et culturelle qu'ils mènent dans leurs
organisations autonomes et volontaires; elle peut jouer un
rôle de support aux besoins éducatifs quotidiens des
individus et favoriser la diffusion et l'échange entre eux des
expériences et des connaissances dont ils sont les
producteurs. Enfin, elle peut servir de moyen de
diffusion d'informations, de connaissances et de savoir faire
reliés des impératifs généraux et particuliers
de développement collectifs auxquels participent les
individus (vg. préventions contre des
épidémies etc...).
- Qu'il s'agisse de l'un ou l'autre de ces rôles
possibles, la radio et la télévision ne sauraient
être pertinentes et efficaces si leur action n'est pas
fondamentalement déterminée par les exigences du
processus pédagogique. C'est lui qui
définit la radio et la télévision
éducative. C'est lui qui la distingue et la
spécifie des autres programmations.
Définition de la radio et de la télévision
éducative
- Il existe plusieurs définitions de la radio et de la
télévision éducative. Les
ambiguïtés et les imprécisions que véhiculent
la majorité d'entre elles ne sont pas étrangères aux
difficultés qui président encore aujourd'hui a la
recherche de formes de production spécifiques qu'elle
commande. En voici
quelques-unes:
- les définitions volontaristes:
pour elles,la radio et la télévision éducative
consiste à diffuser des messages et des
objectifs. Par exemple:
pourquoi il faut faire de l'exercice physique;
pourquoi il ne faut pas s'endetter inutilement,
etc.;
- les définitions fonctionnalistes:
pour elles,la radio et la télévision sont éducatives
lorsqu'elles cherchent a enseigner un savoir faire ou des
comportements. Par exemple: la
fabrication d'une chaise, les techniques du dessin, la
réparation d'unmoteur, des recettes culinaires, des attitudes
civiques, etc.;
- les définitions intellectualistes et
culturalistes: pour elles, la
radio et la télévision sont éducatives lorsqu'elles
contribuent à élever le niveau de connaissances des
individus dans le domaine des productions de
l'esprit. Par exemple:
connaissance des écrivains, des entrevues avec des
personnalités du monde scientifique et littéraire,
la critique de livres et du cinéma, et aussi, la connaissance
du patrimoine culturel, des documentaires, etc.;
- les définitions populistes: pour
elles, la radio et la télévision sont éducatives
lorsqu'elles font oeuvre de "vulgarisation" des savoirs
scientifiques et spécialisés. C'est le
cas, à la radio surtout, des émissions qui recourent
à la participation de l'auditeur par le moyen de
problèmes qu'il soumet par téléphone à un
invité en studio. C'est le cas aussi
d'émissions où l'on choisit d'introduire le spectateur
dans ce qu'on appellera "le monde inconnu de telle ou telle
science". D'une façon générale,
l'on s'y donnera pour objectif d'introduire le spectateur dans le
monde savant des savants...;
- les définitions scolaires et
académiques: pour elles, est
éducative toute émission qui diffuse un enseignement
relié à des contraintes scolaires: les
cours télévisés ou
radiodiffusés. Elles supposent une
inscription préalable de l'étudiant et l'accomplissement
de travaux qui feront l'objet d'une
évaluation.
- Ces définitions ne sont pas nécessairement fausses,
incongruantes ou impertinentes. Elles nous disent
toutes un peu quelque chose sur notre
objet. Mais elles sont insuffisantes pour
définir la nature profonde et spécifique qui doit
permettre de distinguer une émission éducative des autres
productions radiophoniques ou télévisuelles
apparentées tels le journal
télévisé, l'émission de reportage
étoffée de dossiers, des entrevues avec des personnages
éminents ou parfois même des émissions de
divertissement et d'information générale.
- Prises isolément, chacune de ces définitions
évacuent la condition première de l'acte éducatif
qui consiste:
- en une démarche inductive qui commence dans
une relation première déterminante avec les individus,
groupes ou populations à qui l'on veut
s'adresser. Cela signifie que le choix des sujets
de connaissances, les méthodes d'exposition, les formes
d'illustration et leur nature, le langage utilisé, etc..
doivent avoir fait l'objet d'une vérification sérieuse de
leur pertinence. Cela nécessite des producteurs une
connaissance réelle-concrète et sans préjugé de
ceux à qui ils adressent leur émission
éducative.
- en une démarche d'interaction participative par
l'instauration de mécanismes permettant aux individus, groupes
ou populations visés par l'émission ou, à tout le
moins à un échantillon représentatif de ces derniers
-, d'enrichir de leurs critiques le produit avant, pendant et
après sa réalisation.
- en une démarche pédagogique globale maximisant
tous les moyens pour que le public visé puisse s'approprier
pour lui et ses propres besoins les connaissances et apprentissages
diffusés.
- Toute émission éducative de radio et de
télévision doit être guidée par la dynamique
d'une pédagogie de développement. Cela élimine toute
pédagogie autoritaire et é l i t i s te qui ferait du
processus éducatif une pratique unilinéaire
d'inculcation, ignorante et méprisante des
capacités des individus, des groupes et des populations à
prendre en charge leur propre vie.
La pédagogie n'a-t-elle pas pour rôle de libérer
la parole en même temps que l'action?
- Tout acte éducatif est impossible sans
solidarisation. A ce titre, il implique le
corps avec ission éducative de radio et de
télévision doit être guidée par la dynamique
d'une pédagogie de développement. Cela
élim son esprit et son coeur. Et ce corps
humain vivant existe parmi et avec d'autres humains.
Un individu seul devant son écran de
télévision ne pourra véritablement s'approprier ce
qui lui est communiqué et enrichir par la suite
son propre vécu dans la seule mesure où il se sentira
quelque part concerné avec d'autres avec lesquels il
pourra, peu importe la façon et à quel moment, en parler
et en partager le fruit.
On aura beau multiplier des campagnes de prévention contre
les accidents routiers ou industriels, tant et aussi
longtemps que ces campagnes interpelleront les individus en sujets
isolés, elles ne généreront que la culpabilité
en instituant ce dernier seul responsable de causes
qui, pour un grand nombre, sont extérieures à
lui. Les accidents routiers et industriels
continueront de se produire tant que les individus n'auront pas,
dans la solidarisation, identifié les fatigues nerveuses
(etc..) qu'alimentent en eux leurs conditions de travail.
- L'activité éducative n'est pas une action
isolée. Elle implique toujours un avant, un pendant et
un après. Or, la caractéristique de la
machine radiotélévision consiste à être absente
avant et après la diffusion d'une
émission. Aussi, est-il
nécessaire de penser aux moyens d'y pallier.
- Le droit de communiquer fait partie intrinsèque de
l'activité éducative.
Contraintes, difficultés et conditions d'une radio et
d'une télévision éducative
- Le problème de l'ethnocentrisme de
classe. Dans la plupart des cas, les producteurs
et les divers artisans qui ont la responsabilité des
programmes de radio-télévision éducative vivent un
rapport d'étrangeté avec les populations pour lesquelles
ils destinent leurs émissions. Il est
bien difficile dans ces conditions d'éviter les pièges
d'une pédagogie autoritaire et élitiste.
- Tout éducateur et le producteur d'émissions de
radio-télévision éducative en est un doit savoir
écouter et éviter d'identifier les besoins et les
perceptions des autres a partir des siens propres. Si cela ne
signifie pas qu'il doive renoncer à être ce qu'il
est et s'effacer devant les autres, cela indique la
nécessité d'une pratique serrée de la
dialectique.
- L'éducateur participe à une éducation
déjà vivante.
- L'éducateur n'est pas un médecin.
- La crédibilité d'un discours, d'une
démonstration ou d'en enseignement ne dépend pas du
langage utilisé mais de sa connection avec le réel
de celui à qui il est prononcé.
- L'action pédagogique doit toujours renvoyer au réel.
Elle doit éviter et combattre toute action éducative
qui cantonne dans le seul imaginaire.
Il ne faut pas que devant un phénomène
réel qu'ils observent devant eux, les individus prennent
l'habitude de dire que c'est comme à la télévision
ou au cinéma. S'ils le faisaient couramment, cela pourrait
être l'indice qu'ils ont perdu le contact avec cette
réalité et qu'ils sont démunis devant
elle.
- La production d'émissions de radio et de
télévision éducative nécessite le concours des
pédagogues et des artisans du monde des communications
électroniques et visuels. Il faudrait
sans doute penser a prendre des moyens pour que ces derniers
apprennent à travailler ensemble.
- Alors que l'Ecole apprend aux enfants comment lire, analyser et
critiquer un ouvrage imprimé, elle n'a pas encore commencer a
enseigner des méthodes d'analyse et de critique de la
télévision.
- Il serait utile, dans bien des cas, d'apprendre aux
individus comment fonctionnent un appareil radio et un
téléviseur. Cela contribuerait à
démystifier le média électronique et permettrait aux
individus de savoir comment réparer eux-mêmes leurs
appareils. Dans les régions éloignées privées
de main-d'oeuvre spécialisée, cela est presque une
nécessité.
- Il serait de plus important d'apprendre aux individus et
aux groupes comment se fait la fabrication technique d'une
émission. Ce serait là permettre a des
groupes sociaux la possibilité de concevoir et de produire
eux-mêmes des programmes qui correspondent a leurs
besoins. A ce chapitre, ils conviendrait de tirer
les riches leçons des radio et télévision
communautaires.
Conclusion
- Peu importe le ou les sujets qui y sont traités, peu
importe que ces sujets s'inscrivent dans un cadre d'enseignement
formel ou non, la radio-télévision éducative se
distingue des autres programmations et se définit
fondamentalement par la démarche
pédagogique. Cette démarche doit avoir
pour fonction fondamentale de "supporter" les individus et les
associations dans leur dynamique d'autonomisation.
- Favoriser le développement de la
radio-télévision éducative ainsi qu'une
répartition plus équitable de son accessibilité,
c'est rendre possible l'égalité entre les humains et
combattre toutes les formes de dominations et de discriminations
qui en empêcheraient l'accomplissement.
- La radio et la télévision éducative, en tant que
partie intégrante de l'éducation permanente, peuvent
contribuer de façon décisive au développement
économique et culturel, au progrès social et à la
paix dans le monde ainsi qu'au développement démocratique
des systèmes éducatifs.
- Mais pour ce faire, les diffuseurs, les producteurs et les
pédagogues devront faire l'effort d'établir des contacts
directs et permanents avec les populations afin d'inventer avec
elles des productions éducatives qui correspondent à
leurs besoins et leur permette de s'approprier les outils cognitifs
nécessaires à leur promotion individuelle et
collective.
Michel Pichette Montréal, août
1979
NOTES