LE FRAPRU... DÉJÀ DIX ANS: CONTRE VENTS ET MARÉES


 

Après le bulldozer: les décapeurs

1978 Quand ce ne sont pas les bulldozers et les grues qui rasent les logements ouvriers... Ce sont les feux, et pas toujours accidentels!

1977. L'«Opération-bulldozer» est en train d'achever son oeuvre de destruction des quartiers populaires. A Québec, les quartiers Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste ont été éventrés, 4000 logements ont été démolis et plus de 11,000 personnes ont été chassées pour faire place au Complexe G, à l'autoroute Dufferin-Montmorency, au Holiday Inn ou au Quebec Hilton. A Montréal, Drapeau et sa suite ont orchestré la démolition de 30,000 logements. Dans la seule Petite-Bourgogne, la population est passée de 20,000 en 1966 à 8000 en 1977... Et qui ne se souvient pas à Montréal des démolitions pour la «Place des zzzarts», Radio-Canada, Télé-Métropole, la Cité Concordia, l'UQAM ou l'Autoroute Ville-Marie? A Hull, l'invasion du Gouvernement fédéral s'est soldée par la déportation de 5000 résidant-e-s.

Des quartiers complets sont victimes de la spéculation foncière. Les terrains situés dans les centres-villes ou à proximité de ceux-ci se vendent à prix d'or aux géants de l'immobilier comme Trizec ou Concordia Estate. Une multitude de spéculateurs, grands et petits, en profitent pour s'emplir les poches au détriment des résidant-e-s dont on laisse les logements désormais sans valeur se taudifier, en attendant la démolition, ou passer au feu, si le besoin de terrain se fait trop pressant.

Pourtant, un nouveau danger, encore plus hypocrite, commence à faire des ravages. Ce danger, il s'appelle Programme d'amélioration de quartier ou plus familièrement P.A.Q. Apparu en 1973, ce programme fédéral touche 40 villes à travers la province. Au premier abord, il se veut plus rassurant. Non seulement permet-il de refaire une beauté aux quartiers populaires, mais il comprend un processus de consultation de la population.

La réalité est toute autre. Dans la grande majorité des cas, la consultation menée par les municipalités n'est qu'une entreprise de mystification, une manoeuvre «dangereuse et inutile parce qu'on finit par se faire avoir», comme le dit à l'époque le Comité des citoyen-ne-s du quartier Saint-Sauveur de Québec. De plus, l'amélioration des quartiers est accompagnée presque inévitablement de hausses de taxes, de démolitions et surtout de rénovations domiciliaires, car le programme de restauration P.A.R.E.L. est le frère-jumeau du P.A.Q. qu'il suit comme son ombre. Et là les conséquences sont criantes. Une enquête de la Clinique d'aménagement de l'Université de Montréal dévoile le problème crûment en 1976: la rénovation domiciliaire entraîne des hausses de loyer moyennes de 97.9% et le départ de 75% des locataires.

Les travailleurs et travailleuses à faible revenu, les sans-travail, les retraité-e-s, loin de profiter des améliorations apportées à leurs logements et à leurs quartiers qu'on avait délibérément laissé se délabrer, sont maintenant contraint-e-s de les quitter pour faire place à une nouvelle population, plus jeune, plus instruite et surtout plus cossue, plus à même de rentabiliser les centres-villes. C'est le début de ce qu'on connaît désormais sous le nom de «gentrification» ou embourgeoisement des quartiers populaires.

C'est pour faire le point sur cette situation et adopter une riposte populaire face à celle-ci qu'un groupe de Montréal, les Habitations communautaires du Centre-Sud, lance en novembre 1977 un appel à la tenue d'un Colloque populaire sur les programmes d'amélioration de quartier.

Un manifeste, des revendications... et une organisation

Après une démarche d'échange et de débats qui dure près d'un an, 240 militantes et militants représentant 21 groupes populaires de tout le Québec participent au Colloque P.A.Q. à Montréal les 20, 21 et 22 octobre 1978. Ils y adoptent un manifeste dénonçant les politiques de rénovation urbaine et contenant une série de revendications à l'Etat.

A la fin du colloque, une proposition du Comité logement SaintLouis de Montréal fait la presque unanimité: la création d'une «organisation commune à caractère principalement revendicatif, appuyé par des services, visant à établir le rapport de forces qui obligera l'Etat à adopter des mesures immédiates qui profiteront à chacun de nos quartiers».

En conférence de presse, après le colloque, Ronald Duhaime, du Comité des citoyens de l'Accents de Sherbrooke, décrit ainsi la nouvelle organisation qui, à partir de juin 1979, va s'appeler Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU): «Victimes de politiques permettant les démolitions inutiles, les augmentations du coût de loyer vertigineuses, et provoquant la pénurie de logements à bas loyer, les citoyens des quartiers populaires s'organisent et se regroupent. Ils ne se laissent plus berner et entendent exercer un véritable contrôle sur les conditions de vie et l'aménagement de leur quartier».

Des quartiers où nous pourrons rester

Affiche du Regroupement pour le gel des loyers.

1979-1980

Au moment où le FRAPRU voit le jour, de profonds bouleversements sont en cours dans le domaine de l'habitation. Lors d'une réforme de l'ensemble des programmes de la Société canadienne d'hypothèque et de logement, les P.A.Q. sont abolis, laissant place à d'autres programmes provinciaux et municipaux de revitalisation des centres-villes. Cette réforme marque aussi la naissance d'un nouveau programme de logement social, le 56.1, entraînant une importante diminution dans la construction de HLM qualifiés de «ghettos», en même temps qu'un développement accéléré des coopératives d'habitation et de logements sans but lucratif.

Par ailleurs, sous l'impulsion autonomiste du Parti Québécois, l'Etat du Québec commence à jouer un rôle plus direct sur la question du logement, avec la préparation en particulier d'un nouveau programme de restauration résidentielle, le Loginove, qui aura cependant les mêmes effets pour les locataires que le programme fédéral.

Parmi les groupes-logement, l'heure est au regroupement. Le Regroupement pour le gel des loyers (devenu depuis Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec), l'Association provinciale des locataires de logements municipaux du Québec et un regroupement plus ou moins formel de coopératives d'habitation naissent presque en même temps que le FRAPRU.

Des débats, des débats et encore des débats

C'est dans ce décor en pleine évolution que le FRAPRU a à se débattre en 1979 et 1980. Questionné de l'intérieur comme de l'extérieur, le nouveau regroupement arrive mal à définir sa voie. A l'intérieur, il doit faire face à une véritable érosion de ses rangs qui passent d'une vingtaine de groupes au début de 1979 à sept en mars 1980. Les groupes quittent les uns après les autres, tantôt parce qu'ils trouvent la démarche trop exigeante et préfèrent se replier localement, tantôt parce qu'ils contestent l'idéologie mise de l'avant, tantôt parce qu'ils s'impatientent face à une démarche qui tarde à se concrétiser dans l'action. Pour les groupes qui restent, dont 4 de Québec, un de Sherbrooke, un de Verdun et un de Montréal, ce sont les débats qui se succèdent sur la place réciproque à accorder au service, à la recherche et aux revendications dans le travail du FRAPRU, ainsi que sur les revendications mêmes à mettre de l'avant.

A l'extérieur, le FRAPRU est appelé à se situer face aux revendications et aux luttes du Regroupement pour le gel des loyers (R.G.L.), alors plus combatif et plus proche de l'idéologie et de la pratique des groupes marxistes-léninistes de l'époque, En Lutte! et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada. Ses questionnements et ses critiques ont d'autant plus de poids et les relations sont d'autant plus tendues que le R.G.L intervient sur les mêmes enjeux, auprès des mêmes groupes et parfois dans les mêmes quartiers.

Les divergences sont telles que les comités logement SaintLouis et Centre-Sud, deux leaders du R.G.L., impliqués dans la démarche du Colloque P. A.Q., se retirent quelques mois à peine après celui-ci. Le R.G.L. appelle au même moment à la construction d'une organisation plus large de luttes sur la question du logement.

Un sérieux coup de barre

Vers la fin de 1979, c'est l'existence même du FRAPRU qui est en jeu. Celui-ci entreprend alors une démarche d'approfondissement de ses revendications, une démarche qui montre jusqu'à quel point les groupes-membres tiennent au regroupement qu'ils se sont donné de peine et de misère. En mars 1980, la démarche débouche sur l'adoption d'un cahier de revendications intitulé «Des quartiers où nous pourrons rester». Le cahier s'articule autour de 3 grandes revendications: le maintien de la population résidante dans les quartiers populaires, la préservation du stock de logements à bas loyers et des rénovations aux conditions des résidant-e-s. Ces revendications sont accompagnées d'une bonne vingtaine de demandes concrètes sur les services communautaires à mettre en place, sur le contrôle de l'avenir des quartiers par les citoyennes et les citoyens, sur les HLM, les coops, les rénovations, etc.

Sitôt adopté, le cahier donne lieu à des prises de position publiques sur le nouveau programme Loginove et sur la diminution dans la construction de HLM annoncée lors du discours du budget par le Ministre des finances, Jacques Parizeau. Mais il donne surtout lieu à la préparation fébrile d'une vaste campagne de sensibilisation sur les revendications du FRAPRU.

Campagne pour la survie des quartiers populaires

Du 22 septembre au 29 novembre 1980, c'est la campagne. Des activités sont organisées dans les villes de Montréal, Québec, Verdun, Saint-Hyacinthe, Joliette, Sherbrooke et Longueuil. Un journal reprenant les revendications du FRAPRU est distribué à 75,000 copies en français et en anglais. Une pièce de théâtre intitulée «Des quartiers où nous pourrons rester» et montée par A l'Ouvrage!, une troupe progressiste associée à l'organisation En Lutte!, est vue par plus de 2000 résidant-e-s des quartiers populaires dont plusieurs assistent pour la première fois à une telle représentation. Des kiosques sont exposés dans des lieux publics: cégeps, centres d'achat, etc. Au total, une cinquantaine de groupes populaires appuient concrètement la campagne.

Le tout se termine lors d'une grande fête de solidarité à Montréal. 800 personnes y scandent: «Les quartiers où nous pourrons rester, on va les gagner!»

Groupes et permanents sont essoufflés, mais la question a été tranchée: le FRAPRU doit et va survivre et se renforcer.

Expliquez-moi ce qu'il m'arrive Ils disent qu'il faut quitter la place. Ramasse tes petits et tes guenilles Ils nous font le grand ménage. Que faut-il chercher à comprendre?

Nous v'Ià dans rue comme des vidanges. (...)

Avisez donc qui vous voudrez. Notre droit c'est d'être ici. Y'est pas question de s'en aller Tenez-vous le bien pour dit. Sortez vos lois et vos bâtons Nous ne quitterons pas vos maisons.


Expliquez-moi ce qu'il m'arrive

Ils disent qu'il faut quitter la place.

Ramasse tes petits et tes guenilles

Ils nous font le grand ménage.

Que faut-il chercher à comprendre?

Nous v'Ià dans rue comme des vidanges. (...)

Avisez donc qui vous voudrez.

Notre droit c'est d'être ici.

Y'est pas question de s'en aller

Tenez-vous le bien pour dit.

Sortez vos lois et vos bâtons

Nous ne quitterons pas vos maisons.

Le Théâtre À l'Ouvrage!

Cap sur le logement social

1981-1985

23 mai 1981. Le premier congrès du FRAPRU, réuni à Québec, doit choisir quelle sera la priorité de lutte de l'organisation pour les années à venir. Est-ce que ce seront les programmes de rénovation, et surtout le tout nouveau Loginove? Les hausses de loyer qui deviennent carrément astronomiques avec la récession économique et la flambée des taux d'intérêt? Ou le logement social, la lutte pour le maintien et l'intensification des programmes sociaux en habitation? C'est finalement cette dernière priorité qui est retenue par les congressistes et qui sera désormais au coeur même du travail du FRAPRU.

Pourquoi le logement social? Parce qu'il est de plus en plus évident pour les groupes de citoyen-ne-s aux prises souvent depuis plusieurs années avec les conséquences de la spéculation que ce n'est pas le marché privé, axé sur la recherche maximale de profits, qui peut assurer le droit au logement et le maintien de la population à faible revenu dans les quartiers populaires, surtout que ce marché est sans cesse plus concentré entre les mains de grosses sociétés immobilières (3.8% des propriétaires possèdent 53% du stock de logements). Il est bien sûr indispensable de contrôler plus adéquatement ce marché, mais les contrôles apparaissent insuffisants, d'autant plus que le Gouvernement du Parti Québécois vient de montrer son refus net de serrer la vis en adoptant la timide loi 107 sur la Régie du logement. L'adoption de cette loi, après des mois de pressions parfois intenses, a d'ailleurs entraîné un certain courant de désorientation chez les groupes se concentrant sur cette préoccupation.

Pour le FRAPRU, intervenir sur le logement social, ça veut dire obliger les gouvernements à intensifier de manière importante la production de logements non-spéculatifs: HLM, coops et autres logements sans but lucratif. Et les listes d'attente des logements publics et coopératifs sont là pour montrer que c'est un besoin grandissant et de plus en plus ouvertement exprimé. Mais encore faut-il d'abord empêcher les gouvernements de couper dans le logement social, comme le PQ a commencé à le faire avec la diminution dans la construction de HLM et la hausse des loyers des locataires de HLM (qui va en chasser de nombreux ménages travailleurs).

La lutte prend racine

La lutte pour le logement social décolle d'abord au plan local, et ce aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des rangs du FRAPRU. A Montréal, la lutte des Shops Angus fait surtout les manchettes. Le Comité logement Rosemont revendique pendant plus de cinq ans que ce nouveau quartier de plus de 2000 logements bâti sur le terrain d'une ancienne usine de trains comprenne une part significative de logements sociaux. La même revendication est reprise, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, pour les terrains résiduels de l'Autoroute Ville-Marie et, à Verdun, pour ceux de l'ancienne usine de défense D.I.L.

Au fil des années, des comités regroupant des requérantes et des requérants de HLM se forment dans le quartier SaintSauveur à Québec, à Chicoutimi, à Châteauguay, à Verdun, à Sherbrooke, à Laval, à Ville-Vanier, à Aylmer et dans différents quartiers de Montréal. Toutes les occasions sont bonnes pour réclamer des logements publics: piquetages lors d'Inaugurations de HLM, pose de pancartes demandant ou annonçant (I) la construction de nouveaux HLM, visites «en gang» ou occupations de bureaux de député-e-s, pétitions, etc. Les pressions se multiplient aussi pour l'obtention de logements coopératifs et dans quelques régions comme les Bois-Francs et Lanaudière, on fait à de multiples reprises appel à des événements-média pour y parvenir. Dans le quartier Pointe Saint-Charles, à Montréal, les demandeurs et demandeuses de coops multiplient les actions parfois spectaculaires pour 500 logements coopératifs.

«Les Baux Bail Bail» reçoivent un invité de taille: «Jacques Parizeau»

C'est cependant à Hull que le besoin urgent de logements sociaux éclate de la façon la plus dramatique en juillet 83, alors qu'une vingtaine de familles, incapables de trouver un logement à prix abordable, se retrouvent sans-logis, obligées d'habiter des tentes de fortune, au beau milieu de la ville, puis d'occuper des écoles désaffectées, avant que les autorités politiques ne se décident à bouger.

Les balbutiements d'une lutte nationale

Au plan national, le départ est plus laborieux, malgré des interventions parfois très réussies dont l'organisation, en septembre 1981, à Montréal, d'une grande fête populaire, les Baux Bail Bail, qui attire plus de 1000 personnes dans ce qui a été un véritable happening pour l'ensemble du mouvement populaire et politique de gauche. Une pétition revendiquant le maintien et l'intensification des programmes sociaux en habitation est lancée à la même période, mais avec beaucoup moins de succès.

Le 4 décembre 1981, le FRAPRU s'associe à d'autres groupes pour protester devant le Congrès du Parti Québécois contre les politiques de coupures du Gouvernement Lévesque. C'est aussi contre des députés du PQ que le FRAPRU organise une série d'occupations en avril 82, en collaboration avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires. A Montréal, le ministre de l'Habitation, Guy Tardif, se retrouve en face d'une centaine d'occupant-e-s. En 83, le problème des hausses de loyer est tel que l'ensemble des comités logement et associations de locataires, dont le FRAPRU, mènent campagne sur une revendication commune, le gel pour un an du coût du logement. A la même période, le FRAPRU et le RCLAL, tentant de mettre fin à des différents apparemment devenus anachroniques compte tenu des changements survenus dans les deux organismes, entrent dans un processus d'unification: fête populaire commune qui attire plus de 500 personnes, colloque regroupant des membres des deux organismes, etc.

C'est cependant en 1984 avec l'élaboration et la publication de sa Politique globale d'accès au logement que le FRAPRU commence à jouer un rôle de leadership dans la lutte pour le logement social et qu'il entame une véritable lutte nationale sur cet enjeu. La politique globale marque une nette radicalisation du discours du FRAPRU: «Le logement n'est pas une marchandise comme une autre. Il est d'abord et avant tout un droit fondamental, un bien essentiel auquel toutes et tous doivent avoir pleinement accès, quelque soit leur revenu, leur sexe, leur statut social, leur race, leur condition physique ou mentale, etc. Et ce droit individuel et collectif au logement doit primer sur le droit de propriété». Et la politique globale ajoute: «comme l'entreprise privée est incapable de respecter ce droit et de permettre l'accès de tous et toutes au logement, l'Etat doit jouer un rôle central » ; «pour ce faire, il doit prendre l'argent où il se trouve et surtout en s'attaquant à la chasse gardée des abris fiscaux».

Cette politique globale, le FRAPRU va avoir à la défendre avec force à Ottawa et Québec, dans les mois qui vont suivre.

Ottawa, nous voilà!

Au début de 1984, la Société canadienne d'hypothèque et de logement publie une évaluation négative de ses programmes de logement social qui ne serviraient pas nécessairement «les plus démunis». Le FRAPRU entame alors une campagne visant à éviter que cette critique ne se solde par de nouvelles coupures dans les programmes sociaux et à un transfert de l'aide vers le marché privé.

Aline Laforest de l'OPDS dévoile le poisson d'avril qu'elle voulait remettre au ministre Rochefort, lors de la consultation annulée faute de place, à Montréal.

Au cours de cette campagne, le regroupement demande une rencontre avec le ministre libéral, Roméo Leblanc, qui refuse cavalièrement. Ne faisant ni une ni deux, le FRAPRU relance le ministre en l'avisant d'être à ses bureaux d'Ottawa, le 29 mars, puisqu'il a l'intention d'y aller «en gang». Cette démarche forcera finalement la porte de la S.C.H.L. dont une quarantaine de militant-e-s du FRAPRU rencontreront l'Etat major. Le FRAPRU est désormais considéré comme un Interlocuteur à Ottawa, ce qui lui vaut notamment une participation à la consultation en catimini menée sur le Document d'étude sur le logement (Livre bleu) publié en janvier 85 par le nouveau Gouvernement conservateur. Le FRAPRU a donc réussi sans faire de courbettes et sans censurer son discours à être la seul Invite chez les groupes du Québec... à part le mouvement Desjardins. Le terrain est piégé, mais le FRAPRU juge qu'il n'a pas d'autres choix que de s'y engager.

Livre blanc, livre vert, le loyer est trop cher!

En novembre 84, le gouvernement péquiste lance son Livre vert, «Se loger au Québec», et se prépare à une consultation dans toutes les régions du Québec. Le FRAPRU riposte aussitôt, jugeant à raison que le Livre vert n'est qu'une vaste opération de camouflage et de marketing pré-électoral. Une manifestation se tient devant un congrès de l'Union des municipalités du Québec, à Hull. Le ministre Guy Tardif, qui doit y prendre la parole, se déplace même pour rencontrer le FRAPRU et en guirlander ses membres de «verte» façon, à quelques jours de son remplacement au ministère de l'Habitation. Mais c'est surtout lors des consultations tenues en mars 85 que le FRAPRU marque le plus de points, son mémoire étant repris et appuyé par des mobilisations un peu partout au Québec.

A Montréal, la mobilisation est telle que le nouveau ministre Jacques Rochefort décide d'annuler les audiences faute de place... ce qui lui vaut une dénonciation en règle dans les média et une occupation de ses bureaux, un mois plus tard.

le FRAPRU prend de l'ampleur

Ces interventions vont permettre au FRAPRU de se renforcer considérablement en s'étendant à plusieurs autres régions, tout en augmentant sa présence sur le territoire montréalais. Suite à l'échec de la tentative d'unité organisationnelle avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires, deux des groupes-membres de cet organisme, partisans de la fusion, le Comité logement Rosemont et l'Association des locataires de Montréal-Nord, se joignent entre autres au FRAPRU qu'ils estiment plus proche de leurs préoccupations, surtout quant à l'importance accordée au logement social.

Le FRAPRU est cependant bien conscient qu'il faudra plus qu'une «reconnaissance» forcée à Ottawa, des étincelles à Québec et un membership plus important pour renverser la vapeur et sauver le logement social. C'est pourquoi il organise un Colloque sur l'avenir du logement social, les 18 et 19 mai 1985, qu'il y mobilise plus d'une centaine de participantes et participants venant de 40 groupes et qu'il y propose la formation pour l'automne d'un vaste Front commun sur le logement social. Les pièces sont en place pour la plus importante bataille qu'ait eu à livrer le FRAPRU: la sortie des nouveaux programmes de logement du Gouvernement fédéral qui seront annoncés en décembre 1985 par le ministre conservateur Bill McKnight.

«50,000 logements pour nous-autres»

La revendication de 50.000 logements sociaux est reprise à Ottawa, face aux dirigeants de la S.C.H.L...

... Et dans la rue, dans le quartier Pointe Saint-Charles.

1986

«50,000 logements pour nous-autres». C'est sous ce thème que le Front commun sur le logement social, formé à l'initiative du FRAPRU, mène campagne à la fin de 1985 et au début de 1986, au moment où les gouvernements fédéral et provincial sont à négocier une nouvelle entente modifiant en profondeur leurs programmes d'aide à l'habitation. A peu près tous les regroupements populaires existant sur la question du logement s'y retrouvent, certains de manière plus active comme le Conseil des ressources alternatives en habitation (CORAH) et la Table des Groupes de ressources techniques de Montréal, deux regroupements de GRT du Québec formés dans les années précédentes.

Un intrus dans les négos

La première intervention du Front commun se fait dans le cadre de la campagne électorale qui va mener au retour au pouvoir du Parti libéral de Robert Bourassa, le 2 décembre 85. C'est toutefois avec la publication de l'Orientation nationale de la politique du logement par le ministre fédéral Bill McKnight que le Front commun entreprend sa première véritable démarche unitaire: organisation de sessions de formation sur les nouveaux programmes à Québec et Montréal; publication de documents faisant la critique de ces programmes; tenue de conférences de presse dans de nombreuses régions dont une à Hull avec Jean-Claude Malépart, critique libéral en matières sociales, Dan Heap, critique du Nouveau parti démocratique en habitation, et Mgr Adolphe Proulx, évêque du diocèse de Hull; nombreuses rencontres avec les autorités fédérales et provinciales.

Plusieurs de ces interventions sont réussies. Mais le plus grand succès du Front commun est l'appui de 500 groupas de toutes origines à la revendication de 50,000 logements sociaux.

Cet appui est impressionnant autant au plan national que dans toutes les régions. Groupes populaires, syndicats, partis et mouvements politiques, clubs de l'âge d'or, évêques, municipalités, CLSC, groupes de personnes handicapées, associations de familles monoparentales, tous appellent à la production massive de logements sociaux.

Les conservateurs coupent

Malgré ses réussites organisationnelles et même s'il a réussi à s'imposer comme un interlocuteur face au Gouvernement fédéral, le Front commun n'a toutefois pas réussi à arrêter le rouleau compresseur des conservateurs: chute dans le nombre de logements sociaux produits annuellement; rétrécissement de l'aide aux plus pauvres parmi les pauvres, ce qui enlève tout soutien à l'habitation à de nombreux ménages travailleurs pourtant considérés comme étant sous ou à peine au-dessus du seuil de la pauvreté; privatisation du logement social par le biais du programme de supplément au loyer pour le marché privé (HLM privés). Même si les politiques de logement social n'ont été qu'embryonnaires au Canada et ont toujours été plus dictées par des motifs économiques que sociaux, le recul est Important et fera sentir ses effets pour encore plusieurs années, à Ottawa comme à Québec.

Il aurait été difficile, même avec le meilleur des rapports deforce, de bloquer la volonté gouvernementale de sabrer dans le logement social, cette volonté s'inscrivant dans une vague de fond de désengagement de l'Etat de ses minces politiques sociales, touchant l'ensemble des pays capitalistes, sous l'inspiration néo-conservatrice de Reagan et de Thatcher. Le recul encaissé n'en permet pas moins de mettre le doigt sur certaines faiblesses du Front commun et surtout sur sa trop faible pénétration à la base, dans nos groupes et dans nos quartiers.

Le Front commun est malheureusement demeuré une démarche au sommet, impliquant surtout des regroupements provinciaux ou régionaux. Il a eu peu d'impact sur l'action quotidienne des groupes locaux. Cette lacune était moins visible et moins néfaste au moment où la stratégie du Front commun était le lobby auprès de l'Etat, mais elle est devenue flagrante au moment où il aurait fallu passer à la mobilisation directe et montrer notre enracinement dans la population.

Ce recul sans précédent du logement social n'a pas été sans conséquences sur les groupes s'étant unis derrière la revendication de 50,000 logements sociaux. Les groupes de ressources technique sont durement encaissé le coup, se retrouvant avec des programmes de logements coopératifs rachitiques, bureaucratiques et difficilement accessibles aux populations ayant traditionnellement recours aux coops. Quelques GRT, dont un des piliers du FRAPRU, l'Atelier du logement communautaire des Bois-Francs, vont même carrément mettre la clé à la porte. Cette désorientation et cette démobilisation ont entraîné la disparition progressive du Front commun.

Un retour aux sources

Pendant ce temps, le FRAPRU panse ses plaies avant de repasser à l'offensive sur le logement social, en intervenant sur la levée du moratoire sur la transformation de logements locatifs en copropriétés et le nouveau Programme d'aide à la restauration Canada-Québec (P.A.R.C.Q.), remplaçant désormais le Loginove et le P.A.R.E.L. Le FRAPRU manifeste notamment devant le Sommet économique de Montréal où le ministre responsable de l'habitation au Gouvernement du Québec, André Bourbeau, annonce qu'il veut lever le moratoire, à la demande de l'administration municipale Drapeau-Lamarre. Mais son intervention passe surtout par une nouvelle coalition, Sauvons nos logements, formée conjointement avec le RCLAL et qui se fait principalement connaître par une affiche-pétition qui, en plus d'apparaître aux fenêtres de nombreux logements, recueille 10,000 signatures d'opposant-e-s à la conversion de logements locatifs.

Le Front d'action apporte aussi son soutien à InformationRessources Femmes et logement qui publicise une enquête menée avec la collaboration du Comité-logement Rosemont et du FRAPRU et qui montre pour la première fois l'ampleur de la discrimination, du harcèlement et du harcèlement sexuel à l'égard des femmes locataires.

Il en profite finalement pour revenir aux sources en organisant un Colloque pour la survie des quartiers populaires, à Montréal, les 6 et 7 décembre 1986. 85 groupes, 194 participant-e-s provenant de toutes les régions du Québec. Deux jours de débats, d'échange, de formation, d'animation théâtrale par le Théâtre Parminou, le tout largement couvert par les média... L'étonnant succès du colloque a non seulement permis au FRAPRU de tracer un portrait à date de la situation, huit ans après le Colloque P.A.Q., elle a aussi et surtout servi à remobiliser ses troupes et à élargir le nombre et la diversité des groupes préoccupés par la survie des quartiers populaires.

Les participant-e-s au colloque ont également eu l'occasion de débattre des stratégies qu'ils et elles utilisent quotidiennement dans leur quartier pour résister à la déportation forcée des classes populaires. L'utilisation du terrain électoral municipal a été l'objet d'un chaud débat, un mois après l'élection du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal et de militants des groupes-logement (dont des membres du FRAPRU) à l'Hôtel-de-Ville de Montréal. Le colloque permet par ailleurs de réaffirmer la nécessité pour le FRAPRU de conserver le logement social au coeur même de ses priorités.

Une véritable opposition populaire

1987-1988

En tirant le bilan du Front commun sur le logement social, le FRAPRU en vient à une conclusion: les gouvernements ont réussi à «dédramatiser» la situation du logement, à laisser croire qu'elle s'est nettement améliorée, à en faire une question de choix et de préférences individuels. Ils se trouvent donc parfaitement justifiés d'intervenir le moins possible et de laisser agir les forces du marché qu'on engraisse cependant à grands renforts d'abris fiscaux. S'il veut renverser la vapeur, le FRAPRU se doit de remettre le problème du logement au coeur de l'actualité, en en montrant toute l'ampleur et ne laissant rien passer des moindres faits et gestes des gouvernements.

L'Année internationale du logement des sans-abri tenue en 1987 va lui en fournir l'occasion. Comme il fallait s'y attendre, les gouvernements et autres bien-pensants y vont de leurs larmoiements habituels sur le sort des 10,000 sans-abri, mais sans prendre de mesures permanentes pour lutter contre ce problème et en prenant bien soin de l'isoler de celui de l'ensemble des mallogé-e-s du Québec.

Le FRAPRU riposte en publiant en mars un Dossier noir sur le logement et la pauvreté qui révèle que le scandale des sansabri n'est que la pointe d'un iceberg autrement considérable: la situation du logement vécue par un million de personnes qui n'arrivent pas à se loger convenablement et à un prix abordable au Québec. Dans tous ses états, le ministre André Bourbeau déclare que c'est «faux, archi-faux», la preuve étant que les hausses de loyer ne dépasseraient pas 1 %, cette année-là... ce qui lui attire les foudres des associations de propriétaires bien mécontentes que le ministre y aille de telles déclarations au beau milieu de la période de renouvellement des baux!

Le 15 septembre, le FRAPRU organise l'une des plus grosses manifestations jamais tenues sur la question du logement, le Rassemblement des mal-logé-e-s, à Hull et Ottawa. «Brian, as-tu du coeur?» vont demander entre 600 et 700 manifestante-s venu-e-s de Rimouski, Jonquière, Québec, Drummondville, Sherbrooke, Laval, Montréal, Verdun, Montréal-Nord, Sorel, Châteauguay, de l'Outaouais et même de Toronto, pour protester contre les politiques du Gouvernement Mulroney en habitation. Haut en couleur, l'événement contraste fort avec la Conférence de «chromé-e-s» qui se tient au même moment à Ottawa pour disserter sur le sort des sans-abri. Les participante-s les plus progressistes de ce colloque se joignent d'ailleurs à la manifestation devant le Parlement fédéral. Le Rassemblement des mal-logé-e-s a eu suffisamment d'impact pour obliger le ministre responsable de la S.C.H.L, Stewart Mclnnes, qui avait invoqué des problèmes de temps pour ne pas prendre la parole devant les protestataires, à se trouver de subites disponibilités pour rencontrer une délégation restreinte du FRAPRU... Les milliards de dollars d'abris fiscaux donnés annuellement aux capitalistes immobiliers, aux spéculateurs et aux propriétaires, et surtout l'exemption d'impôt sur les gains de capital de $500,000 et moins annoncée par le gouvernement conservateur au moment même où il coupait dans ses programmes de logement social, ont été au centre des débats.

Le ton monte

Tout au long de 1987 et 1988, le FRAPRU se donne également un rôle de chien de garde des politiques gouvernementales. Il devient rien de moins qu'une opposition populaire, une opposition beaucoup plus efficace et «mordante» en tous cas, que les partis élus pour ce faire.

Au début de 1987, il remporte une longue bataille juridique l'opposant à l'Office municipal d'habitation de Montréal qui chargeait des loyers trop élevés à 900 de ses familles locataires de HLM. La victoire remportée dans le cas de Mme Huguette Parent vaudra $1 million de remboursement aux locataires de logements publics de Montréal et empêchera d'autres offices à travers le Québec d'adopter pareille mesure. Le regroupement se retrouve aussi en opposition directe avec la nouvelle administration municipale du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal dans le dossier Overdale, un îlot de 107 logements et chambres dont la Ville de Montréal a accepté la démolition en échange de logements de remplacement au loyer beaucoup plus élevé. Il faut remonter à la première moitié des années 70 pour retrouver une bataille sur le logement aussi radicale et contre laquelle se déploie une telle violence. Pas moins de 32 personnes sont arrêtées en 88, dont plusieurs militant-e-s du FRAPRU qui se sont associé-e-s à de multiples actions tout au long de la lutte: piquetages, manifestations, occupations de logements, résistance non-violente aux expulsions, etc.

Mais c'est surtout le gouvernement libéral et son ministre André Bourbeau qui sont sur la ligne de tir. Le 3 février 87, la Commission parlementaire, réunie à Québec pour statuer sur le projet de loi 137 enterrant le Ministère de l'habitation créé sous le gouvernement précédent, est envahie par une centaine de personnes mobilisées à une semaine d'intervalle. Dans son mémoire, le FRAPRU fait le procès des coupures libérales dans les HLM et les coops. Trois semaines plus tard, les bureaux du ministre Bourbeau sont occupés à Montréal, Québec et Hull, afin de protester contre l'abolition du programme québécois d'aide aux coops. A Montréal, même si les participant-e-s échouent dans leur tentative de rencontrer Bourbeau à cause de l'intervention massive des forces policières, c'est plus de 200 personnes qui sont mobilisées, dont un grand nombre d'assistées sociales, membres de l'Organisation populaire des droits sociaux (O.P.D.S.).

En mai, le FRAPRU dévoile un projet de règlement de sélection des locataires de HLM mijoté par la Société d'habitation du Québec. La Ligue des droits et libertés, la Fédération des associations de familles monoparentales du Québec et l'Association provinciale des locataires de logements municipaux du Québec se joignent à lui pour dénoncer le caractère discriminatoire de ce règlement envers les immigrant-e-s, les femmes cheffes de familles, les jeunes et les sans-abri. D'autres organismes comme le Conseil central de Montréal de la CSN et des groupes de femmes participeront par la suite à la dénonciation de ce projet de règlement que le gouvernement jugera finalement préférable de retirer et de soumettre à la consultation (plutôt privée toutefois).

Un dossier pour le moins «chaud» à l'été 87 est celui de la conversion de logements locatifs en copropriétés. Le FRAPRU intervient en force dans ce dossier pour s'opposer à toute transformation de logements, mais aussi pour défendre la nécessité d'une politique de logement social. En commission parlementaire, le 17 août, les média d'information qui avaient boudé la présentation de l'Union des municipalités se présentent en masse à celle du FRAPRU au grand désarroi de Bourbeau. Ils y voient 75 sympathisant-e-s brandir des affiches «Mon logement n'est pas à vendre», tout au long de la lecture du mémoire du FRAPRU. Les efforts conjugués de l'ensemble des groupeslogement, des groupes populaires et des syndicats se solderont à la fin de l'année par l'adoption d'une loi contenant des mesures insuffisantes, mais beaucoup plus sévères que celles prévues initialement, pour civiliser la conversion et empêcher ou du moins réduire les expulsions sauvages et le harcèlement contre les locataires.

A l'automne 87, la saga entre le FRAPRU et le ministre Bourbeau atteint son point de non-retour avec la demande infructueuse de démission du responsable de l'habitation au Gouvernement du Québec.

Le FRAPRU en commission parlementaire sur la levée du moratoire: plus qu'une simple lecture de mémoire.

Paradis, c'est l'enfer

Assez curieusement, ce n'est pas un dossier directement relié à l'habitation ou à l'aménagement qui canalise le gros des énergies du FRAPRU en 1988, mais plutôt la réforme de l'aide sociale. Le regroupement évalue que cette réforme majeure, tout en s'attaquant brutalement aux personnes assistées sociales, aura des répercussions importantes sur les conditions de logement et sur la future politique d'habitation du Gouvernement du Québec. Il en veut comme preuve un projet confidentiel de politique sur lequel il met la main et dont il organise la fuite auprès des média. Le gouvernement y propose, dans l'esprit de la réforme Paradis, d'augmenter les loyers des personnes assistées sociales demeurant en HLM.

Le 26 février 88, le FRAPRU organise de concert avec la coalition SCRAP-Paradis, l'Association nationale des étudiants et des étudiantes du Québec et Solidarité populaire Québec, une coalition populaire et syndicale dont le FRAPRU est membre depuis 1985, une ligne de piquetage devant le Congrès du Parti libéral du Québec. Plus de 1200 personnes y participent. Ce n'est pourtant que le début de la riposte qui s'étend avec la création, à l'initiative du Front commun des personnes assistées sociales du Québec, de la Table de concertation contre la réforme de l'aide sociale. Le 16 avril, c'est 4000 personnes qui défient la pluie, la neige et le vent pour marcher sur le Parlement de Québec. Le 30 mai, journée nationale d'action contre la réforme Paradis, 800 personnes visitent et parfois occupent une trentaine de bureaux de député-e-s. Le FRAPRU se charge des bureaux d'André Bourbeau à Saint-Lambert et Pierre Paradis à Cowansville. La riposte se couronne le 15 octobre à Montréal par la plus large manifestation jamais organisée sur l'aide sociale avec plus de 6 000 participant-e-s. Mais entre temps, le ministre de la Sécurité du revenu a été changé au cours de l'été. C'est André Bourbeau qui a maintenant le sinistre rôle de faire adopter la réforme de l'aide sociale, alors que Pierre Paradis devient ministre des Affaires municipales responsable de l'habitation!

Paradis, c'est l'enfer (bis)

Sitôt arrivé au ministère des Affaires municipales, Paradis se trouve confronté avec le FRAPRU qui a décidé de mener tout au long de l'automne 1988 et de 1989, une campagne pour obliger le gouvernement libéral à sortir la politique globale d'habitation dont il retarde la publication depuis 2 ans... après que le gouvernement péquiste l'ait laissé poireauter depuis 1977.

Mais le FRAPRU ne réclame pas n'importe quelle politique, mais une politique de logement social où le Gouvernement du Québec jouerait un rôle moteur. Ce faisant, le FRAPRU s'attaque de front aux tendances affichées par le Parti libéral qui, en plus de ne compter que sur les seules forces du marché privé pour s'attaquer aux problèmes de logement, s'est contenté, depuis son arrivée au pouvoir, de jouer un rôle de simple gestionnaire des fonds (ou plutôt des coupures) du fédéral, allant jusqu'à abolir les programmes purement québécois comme le programme d'aide aux coopératives d'habitation. Tout en continuant à exiger de plus fortes subventions au logement social de la part d'Ottawa, le FRAPRU estime quant à lui qu'il faut obliger le gouvernement du Québec à cesser de se laver les mains de ses responsabilités.

Chose certaine, la confrontation avec Paradis s'annonce animée. Le 26 septembre, une journée nationale d'action se tient à Montréal, Québec, Sherbrooke, Laval, Hull et Châteauguay. Une affiche est aussi publiée à 2000 copies sous le thème «Hé Paradis, une politique de logement social, ça presse». En 1989, le FRAPRU promet une réédition mise à jour de sa politique globale d'accès au logement, une tournée à travers tout le Québec pour annoncer les appuis à cette politique... et surtout un nouveau Rassemblement des mal-logé-e-s, cette fois devant le Parlement de Québec.

affiche: Renée Martel

Qu'est-ce-que ça a donné?

Le FRAPRU a beaucoup changé en dix ans. Il s'en est passé bien des choses depuis qu'une poignée de groupes de citoyenne-s éparpillés à travers le Québec ont décidé de dépasser les luttes locales qu'ils menaient depuis 2, 5,10 ans pour se doter d'une organisation nationale sur le logement et l'aménagement urbain. Ses rangs se sont élargis, l'organisme comptant maintenant plus de 40 groupes-membres dont une quinzaine très actifs, dans à peu près toutes les régions du Québec. Son discours et son style d'intervention se sont imposés, contrastant souvent avec la morosité et la «déprime» ambiantes. Son influence s'est étendue.

Mais qu'est-ce que ça a donné? L'embourgeoisement des quartiers populaires qui il y a dix ans n'était qu'un spectre menaçant n'est-il pas devenu une réalité, raflant autant de logements et expulsant autant de résidant-e-s sur son passage que ne l'avaient fait les démolitions massives des années 60 et 70? Et ces démolitions mêmes, n'ont-elles pas repris de plus belle dans les centres-villes, aux premiers signes d'essouflement de la crise économique qui a pour quelque temps retardé le développement frénétique des centres-villes? La spéculation ne régit-elle pas toujours le développement urbain? Les loyers ne grugent-ils pas une part toujours plus considérable de nos revenus? Quant aux programmes de logement social, les gouvernements ne les ont-ils pas, malgré tous nos efforts, confinés à la marginalité et ne tentent-ils pas maintenant de les privatiser?

Tous ces constats sont malheureusement vrais. Mais qu'est-ce que ça prouve? D'abord qu'il va falloir s'organiser mieux encore et tenter de se donner des moyens d'action encore plus efficaces. Ensuite que certains groupes sociaux qui sont restés sur la ligne de touche ou qui s'y sont placés en cours de route, doivent se lancer plus directement dans la bataille. Et surtout que nous ne pouvons pas, par nos seuls moyens et sans changement radical de la société, renverser des tendances qui affectent aussi profondément l'ensemble des sociétés capitalistes avancées. Ce que ça nous rappelle crûment, c'est que nous n'avons ni pouvoir économique, ni pouvoir politique... et qu'il va falloir y songer dans un avenir pas trop lointain.

Mais il y a plus. Demandons-nous un instant ce que serait la situation s'il n'y avait pas eu de luttes sur le logement et l'aménagement au Québec au cours des 25 dernières années et s'il n'y avait pas eu de groupes comme le FRAPRU.

Pensons aux logements que nous avons sauvés du pic des démolisseurs, parfois un par un, parfois par blocs entiers comme ce fut le cas avec les coopératives de la rue SaintGabriel à Québec ou de Milton Park à Montréal. Pensons aux quelques dizaines de locataires d'Overdale qui, sans moyens autres que leur courage et la solidarité de groupes trop peu nombreux, tiennent tête depuis un an et demi à un projet mégalomane de 650 condominiums de luxe, montrant à l'ensemble des promoteurs immobiliers le prix qu'ils devront payer s'ils veulent imposer des projets du même genre.

Pensons aux 10, aux 20, aux 100, aux 500 logements sociaux que nous avons arrachés sur les terrains des Shops Angus ou de la D.I.L., dans la Pointe Saint-Charles et dans tant d'autres quartiers et villes à travers le Québec. Pensons aux HLM que les gouvernements laissaient moisir et que nous avons finalement réussi à faire réaliser à Sherbrooke, à Aylmer, à Châteauguay. Pensons aux 16,000 logements coopératifs réalisés depuis 1977. Demandons-nous ce que seraient devenus les programmes de logement social, si les gouvernements n'avaient pas eu à faire face à toutes nos pressions. N'a-t-on pas envisagé dans les tristement célèbres rapports McDonald et Nielsen d'abolir l'ensemble des programmes fédéraux d'aide à l'habitation ou de vendre les HLM existants au marché privé?

Et pensons surtout à toutes les personnes et à tous les groupes que nous avons réussi à conscientiser et à mobiliser, dans nos quartiers, dans nos régions et à l'échelle du Québec, dans la lutte pour le droit au logement et pour «des quartiers où nous pourrons rester».

N'est-ce pas là des raisons suffisantes pour continuer... pour dix ans encore?

photos: Ross Peterson

25 ANS DE LUTTES: AU-DELÀ DES GÉNÉRATIONS

AU-DELA DES GÉNÉRATIONS

HULL: DE LOGEMENT-VA-PU À LOGEMEN' OCCUPE

par Pierre Gaudreau

Ile de Hull, fin des années '60. Des familles ouvrières habitent depuis des générations des maisons modestes, mais dont elles sont souvent propriétaires. Le secteur industriel, avec en tête l'usine Eddy qui occupe les berges de l'Outaouais, demeure le principal employeur de ce bord-ci de la rivière. L'île est un quartier populaire, les gens y logent, travaillent, magasinent, boivent, etc. Peu de choses ont changé depuis des années, mais tout changera.

Car le gouvernement fédéral a décidé d'intégrer Hull dans son projet de doter le pays d'une capitale moderne, belle, représentative de l'unité canadienne, bref une capitale «nationale». Mais pour y arriver il faudra démolir des quartiers entiers et fermer des usines. Des parties d'Ottawa seront charcutées, mais c'est surtout Hull qui mangera la claque.

Survivre au bulldozer

C'est en mai 1969, que le «progrès» se met en marche. Le gouvernement fédéral est le premier à exproprier pour faire place à son complexe d'édifices à bureaux pour fonctionnaires. C'est particulièrement la Place du Portage, un complexe comparable à celui de la Colline parlementaire à Québec, qui fait mal. Écrasant le cœur de Hull, la Place du Portage aura un effet d'entraînement, on démolira pour améliorer le complexe routier, d'autres édifices fédéraux, provinciaux ou municipaux se réaliseront, entraînant de nombreuses autres démolitions.

Au départ, lorsque les premières personnes reçoivent les avis d'expropriation, peu de gens s'opposent à ceux-ci. D'une part, on promet aux propriétaires occupants, qui forment alors la majorité, des compensations suffisantes pour se reloger. Mais, surtout, on a préparé la population à être d'accord avec l'invasion fédérale. L'élite locale espère depuis longtemps la venue d'édifices fédéraux qui amèneraient jobs, commerces, nouvelle population, etc.

Si on ne refuse pas de partir, on est quand même peu informé et très inquiet de l'avenir dans l'île. Des comités de citoyen-ne-s se forment, des assemblées se tiennent. On cherche à savoir qui sera exproprié, quel sera le montant des compensations.

Il se fait beaucoup d'animation sociale à ce moment-là dans l'île. Notamment plusieurs prêtres et laïcs de l'Église catholique travaillent à faire prendre la parole aux démunie-s. Isidore Ostiguy, prêtre capucin, est un de ceux-là. Arrivé dans la région en 1968, il travaille avec les gens vivant sur le Bienêtre. Rapidement, il réalise l'importance du problème du logement.

Les compensations versées aux premières personnes expropriées sont loin d'être suffisantes pour se reloger. De plus, les locataires se retrouvent évincé-e-s sans aucune compensation.

Les gens étaient en colère, mais sans perspective. Peut-on s'opposer aux grands projets du fédéral, qui ont l'appui de Québec, du maire D'Amour, des députés Parent et Isabelle, du quotidien Le Droit, etc. ?

Les animateurs sociaux jugent que non et orientent les citoyen-ne-s sur la contestation des compensations. Ce courant rencontre de l'opposition.

Beaucoup de jeunes Hullois-e-s, influencée-s par la radicalisation de l'époque, voudraient bien ne pas assister passivement au «bulldozage» des maisons de leurs parents. Lentement, cette vision se développera.

En attendant, il y a certains gains. Une contestation juridique du montant des compensations entreprise par des propriétaires et appuyée par un prêtre, Réjean Mathieu, remporte une victoire en Cour suprême. Cette contestation fait augmenter le montant des compensations accordées aux propriétaires. Assez dans certains cas pour effectuer le paiement initial sur l'achat d'un bungalow en banlieue. Mais dans la majorité des cas, les exproprié-e-s se retrouvent perdant-e-s, particulièrement la minorité de locataires.

Une partie de la population déracinée est relogée dans de gros ensembles de HLM semblables à ceux de tout le Québec à l'époque, mais le nombre de logements sociaux réalisés est loin d'égaler le nombre de logements démolis.

L'éphémère association des locataires

En 1971 naît l'Association des locataires de l'Outaouais, l'ALO. Créée à l'initiative des groupes populaires existants et financée grâce aux généreux programmes fédéraux de création d'emplois de l'époque, l'ALO joue un rôle de défense des droits des locataires.

Conjointement avec les autres associations de locataires au Québec, nées ellesaussi grâce à la manne des programmes fédéraux, l'ALO fait pression pour l'adoption d'une réglementation provinciale augmentant la protection des locataires.

L'ALO tente aussi d'organiser les locataires de HLM, qui vivent de nombreux problèmes de qualité de logement et de relation avec l'OMH. L'ALO conteste, sans succès, la représentativité des comités bidons de locataires.

Dans sa courte existence de deux ans, l'ALO aide à mettre sur pied un groupe de travail, SOS Logement. Ce groupe est créé à l'initiative de la Compagnie des Jeunes Canadiens, un autre organisme financé par le fédéral (pour occuper la jeunesse). SOS Logement travaille à donner des services et à cerner les besoins. Les recommandations de SOS Logement sont remises au Conseil de développement social. Elles resteront lettre morte. Bel exemple de la masse d'inertie que peut créer l'état en finançant études, groupes d'étude et projets! Une centaine de personnes travaillent en 1972 dans les groupes populaires de Hull ! Pendant ce temps, les bulldozers continuent leur œuvre...

Logements démolis sur l'île de Hull de 1969 à 1974

Gouvernement du Québec: 605

Gouvernement du Canada: 257

Ville de Hull: 119

Entreprise privée (estimé): 500

Total 1481

Logements sociaux réalisés à Hull, en date de novembre 1986: 648

Déficit en nombre de logements à coûts accessibles: 833

Ce tableau indique clairement la disparition du stock de logements populaires dans Hull. Ce qu'il n'indique pas, c'est que les 1500 logements détruits faisaient partie du quartier et que les logements de remplacement sont souvent peu ou pas intégrés, souvent mal situés, etc.

Ce qui peut surprendre dans ce tableau, c'est l'importance du gouvernement provincial dans l'œuvre de démolition à Hull, alors que c'est toujours le fédéral qui est blâmé. C'est que Québec, loin de s'opposer à l'intégration de Hull dans la capitale «nationale», a favorisé celle-ci en expropriant pour développer un réseau routier favorisant la venue des fonctionnaires ontariens à Hull et l'accessibilité à leur chalet dans les montagnes de la Gatineau. Pour maintenir l'identité québécoise de Hull, Québec a démoli pour bâtir un édifice de fonctionnaires provinciaux ! Certains projets pour lesquels on démolit ne seront toujours pas réalisés quinze ans plus tard !

1973-74: la radicalisation

Vers 1973, s'opère un changement de cap dans les luttes logement à Hull. Déjà des milliers de personnes ont été victimes des expropriations. Mais la menace plane encore sur de nombreuses parties de l'île de Hull. Le rêve du député libéral provincial, Oswald Parent, est de raser l'île. Les démolitions ont entraîné une diminution du stock de logements à coût abordable et la spéculation. Résultat, le coût des loyers galope.

Pourtant, il ne subsiste aucune organisation permanente sur le front du logement.

Une volonté commune de pallier à ce manque aboutit sur un important colloque et sur la création d'un groupe logement.

Le groupe créé prend le nom de Logementva-pu indiquant ainsi clairement le refus des expropriations et des augmentations qui entraînent des évictions.

Plusieurs facteurs expliquent ce réalignement. D'une part, le nombre de citoyen-nes qui s'opposent aux expropriations est grandissant, l'expérience des personnes expropriées faisant école. Mais il y a plus. De nombreuses personnes en viennent à refuser la logique du «progrès», contestent les choix qui ne favorisent que les spéculateurs, les promoteurs. Au milieu de ce cheminement, qui a cours non seulement dans le logement et à Hull mais dans bien des milieux au Québec, des animateurs sociaux liés à l'Église catholique vont chercher une personne-ressource de Montréal, clairement identifiée à la gauche marxiste, Marc-André Ledoux. Il est chargé de développer des pistes de travail.

Le travail de Logement-va-pu

Rapidement Logement-va-pu développe une approche combative face aux problèmes de logement. Travaillant non seulement sur l'île mais aussi dans les nouvelles zones populaires de l'Outaouais, la question des hausses de loyers prend beaucoup de place. Dans les blocs, on regroupe les locataires qui ne veulent et ne peuvent pas payer plus pour les encourager à contester. On prône le gel des loyers. On tente surtout d'éduquer politiquement, de démontrer le système d'exploitation qui se cache derrière la crise du logement.

Refusant toute démolition, Logement-vapu s'oppose aux projets qui en entraîneraient. Sans être capable de bloquer ces projets, le groupe réussit à sauver certaines maisons. Le groupe se voit même confier la gestion de certaines maisons que son action a sauvées du pic du démolisseur.

L'action de Logement-va-pu qui dénonce, comme les autres groupes populaires, le manque de logements à coût accessible, contribue à faire augmenter le nombre de HLM qui sont réalisés annuellement à Hull. De 1973 à 1980, ce nombre sera en hausse constante. La pression des groupes force l'administration municipale à être exigeante face à Québec.

Ainsi, en 1975, la ville demande 160 unités de HLM. Elle en reçoit 50, dénonce ce petit nombre et se voit accorder 30 unités supplémentaires. En 1976, la ville demande 340 unités et en reçoit 40.

Des lignes qui s'affrontent

Au départ, il n'y a pas eu de problème entre le courant d'animation sociale et le courant marxiste. Mais avec le ralliement de plusieurs Hullois-e-s au marxisme, avec le développement rapide du mouvement marxiste-léniniste au Québec, les problèmes apparaissent.

Les militant-e-s marxistes développent une ligne qui cible les responsables (députés, promoteurs, gros propriétaires) et prônent l'affrontement avec cette classe de capitalistes et la lutte pour le socialisme. On ne parle plus de gérer les problèmes de logement, de négocier des compensations, mais de résoudre LE problème, le système capitaliste.

Les communistes font cependant des erreurs. Si leurs idées sont justes, recueillant l'adhésion de plusieurs militant-e-s catholiques, leur pratique est souvent très sectaire, se coupant des gens qui sont rendus moins loin dans leur cheminement. Il faut dire qu'on sortait d'une période où le courant dominant de l'animation sociale laissait trop souvent la «politique» aux autres pour ne pas charrier le monde.

Les tensions éclatent entre les différents courants ; Logement-va-pu étant dirigé par des communistes, les autres groupes populaires, membres du Regroupement des comités de citoyens de Hull, étant plus proches du courant d'animation sociale.

En 1975, cinq candidats issus ou appuyés par les comités de citoyens décident de se porter ensemble candidats sous l'étiquette «Reconquérir notre ville» à l'élection municipale. Aucun d'entre eux n'est élu conseiller, mais l'équipe recueille en moyenne 29 % des voix.

Les communistes dénoncent cette intervention considérée électoraliste et préconisent plutôt une intervention idéologique. Pour dénoncer le système, avancer des revendications mais pas pour se faire élire. Logement-va-pu appuie cette position, ce qui provoque alors le départ de plusieurs militant-e-s. Si la cœxistence a été possible jusqu'à date, ce ne sera plus le cas. Les communistes rallient beaucoup mais se coupent de nombreuses personnes. Isidore Ostiguy se voit, en 1977, forcé de quitter le groupe. Aux dires même de Marc Bonhomme, coordonnateur de Logement-vapu et militant communiste, «le départ d'Isidore est le résultat de nos erreurs dans l'application d'un front uni dans la lutte. On était épouvantablement sectaire.».

Le départ de plusieurs personnes n'a pas empêché Logement-va-pu d'être actif jusqu'à la fin des années '70, malgré un isolement de plus en plus grand. En 1979, Logement-va-pu est expulsé du Regroupement des comités de citoyens. En février 1980, Marc Bonhomme se porte candidat aux élections fédérales pour le Parti communiste ouvrier. Pour cette seule raison, lui et deux autres membres de Logement-vapu sont expulsé-e-s du groupe. Quelques mois plus tard, vidé de ses énergies militantes, le groupe cesse d'exister activement.

La question du PQ

L'élection du Parti québécois en novembre 1976 est un élément qui transforme la conjoncture. Plusieurs militant-e-s des comités de citoyens et de Logement-va-pu militent pour l'élection du PQ, en espérant beaucoup de celle-ci. Certains groupes populaires mettent même leurs locaux à la disposition du PQ !

Dans une certaine mesure, l'élection du PQ joue un rôle positif pour Hull. L'adoption de la loi 101 effraie les fonctionnaires fédéraux qui songent à s'installer à Hull près de leur job et de la nature. Le PQ distribue aussi quelques bonbons pré-référendaires.

LA LUTTE DES SANS-LOGIS

Par contre, nombre de militant-e-s du mouvement populaire sont attentistes et ne confrontent pas le PQ sur ses politiques, loin d'être toutes populaires. Plusieurs prêtres ou militant-e-s catholiques, qui sont très rapides à dénoncer les communistes, restent cois face à leurs ami-e-s péquistes au pouvoir. Les communistes dénoncent, pour leur part, la nature bourgeoise du projet de société péquiste.

1980: ce qui reste de l'île

L'action des bulldozers, a fait mal. 5 000 personnes ont été déplacés. L'âme de Hull, là où vivait la population, a aussi été détruite. Des éléments essentiels de la vie de quartier ont disparu : l'hôtel de ville, l'église Notre-Dame, une partie de l'usine Eddy. La rue principale, avec ses commerces, ses hôtels, ses bars, s'est métamorphosée pour satisfaire la clientèle de fonctionnaires qui occupe l'île de 9 à 5.

Commerces, routes, tout est conçu pour eux et elles, ce qui a aussi comme conséquence que c'est maintenant en anglais que ça se passe même si la population est encore à plus de 80 % francophone.

Cela aurait pu être pire!

L'action des groupes n'a pu empêcher le gros du massacre, mais elle a pu aider les propriétaires expropriés à obtenir de meilleures compensations, elle a pu sauver quelques maisons.

L'action des groupes a aussi contribué à faire augmenter le nombre de logements sociaux réalisés à Hull. Si la ville de Hull s'est battu contre la SHQ pour obtenir plus de HLM, ce n'est pas par grandeur d'âme du maire Rocheleau, mais plutôt parce que la pression de Logement-va-pu forçait l'élite locale à agir.

Pour terminer sur cette période, il faut souligner l'incapacité qu'ont eue les militant-e-s à consolider une organisation logement permanente et combative. L'affrontement des différents courants politiques, plutôt que de renforcer la lutte, l'a souvent affaiblie. Le mérite des militant-es de cette époque a été de poser les questions politiques qu'amène la lutte pour le droit au logement, mais la façon de le faire n'a pas toujours été la bonne.

L'effondrement au début des années '80 tant du projet socialiste que du projet nationaliste social-démocrate portera un coup au mouvement populaire hullois, ces projets étant souvent au cœur de la motivation des militant-e-s.

1982. La crise économique frappe de plein fouet, les taux d'intérêt étouffent les propriétaires, les loyers augmentent démesurément. À Hull, encore plus que n'importe où ailleurs au Québec, la population à faible revenu vit une intense crise du logement.

Devant l'urgence de travailler sur la question du logement, un nouveau groupe se met sur pied. C'est l'initiative de plusieurs militant-e-s et de femmes actives dans Parents uniques, un groupe de familles monoparentales. Une de celles-ci, Pauline Legault, est engagée comme permanente.

Le groupe prend le nom de Logemen' occupe, marquante la fois une continuité et une rupture avec Logement-va-pu. Dès le début, le groupe participe au FRAPRU, y puisant informations sur les politiques d'habitation, appuis et expériences des groupes plus établis.

Durant l'hiver et le printemps 1983, le comité réalise une enquête sur les conditions de logement. Celle-ci confirme l'ampleur de la crise du logement. Les loyers sont déjà très élevés, atteignant 500 $, 600 $. Le taux de vacances est presque nul et massivement les propriétaires en profitent pour hausser les loyers et discriminer.

Parallèlement à cette enquête, Logemen' occupe met sur pied des associations de locataires de bloc, l'objectif étant de favoriser la contestation collective des augmentations de loyers. Mais de nombreuses familles paient déjà trop et sont incapables de payer plus. Ne connaissant pas leur droit de refuser une hausse, ou sachant que la Régie du logement accordera quand même une certaine augmentation, plusieurs familles ne renouvellent pas leur bail. Cela en sachant qu'il sera très difficile de se reloger, mais en ne se doutant quand même pas qu'elles se retrouveraient... à la rue.

LE JOURNAL POPULAIRE

Dans la rue!

Début juillet, un couple sans logement aboutit à Logemen'occupe. En attendant qu'il trouve quelque chose, Isidore Ostiguy leur offre de camper dans un petit parc près de chez lui, au centre de l'île. Le lendemain, le bureau de Bien-être contacte Logemen' occupe, une femme s'y trouve avec ses deux enfants, sans logis. La seule aide que les institutions, tel le CLSC, offrent est d'aider à budgéter. Un précieux recours pour les prestataires d'aide sociale dont le revenu mensuel n'atteint parfois pas le coût des loyers ! La permanente de Logemen' occupe offre à cette femme de camper sur un terrain vacant appartenant à la ville et situé près du local du groupe. L'autre couple de sans-logis les y rejoint. Les campeurs reçoivent le soutien de militant-e-s du groupe.

Le troisième jour, une conférence de presse est organisée pour dénoncer la crise du logement dans l'Outaouais et pour revendiquer du logement social. On appelle aussi la population à soutenir les familles installées sur la rue Charlevoix. L'appui viendra mais il viendra aussi d'autres familles de sans-logis qui s'installeront sur ce bout de terrain de l'île de Hull.

Les sans-logis arrivent de Hull bien sûr, mais aussi d'Aylmer et de Gatineau, deux villes ayant très peu de logements sociaux. Avant de s'installer, rue Charlevoix, certaines de ces familles avaient trouvé refuge dans des camps dans le bois, d'autres chez des ami-e-s. Mais toutes ces familles étaient sans logis, les militant-e-s de Logemen' occupe effectuant certaines vérifications afin de contrer toute attaque de «scandale fabriqué».

Le nombre de sans-logis installé rue Charlevoix atteint 14 adultes et 21 enfants. Il y a plusieurs familles monoparentales, mais il y a aussi des couples avec des enfants. La plupart vivent d'aide sociale, mais il y a aussi des salarié-e-s. Ainsi, un couple avec trois enfants qui est arrivé dans la région, la femme ayant décroché une job de fonctionnaire, ne réussit pas, malgré de l'aide, à se trouver un logement. La rareté des logements et la discrimination envers les familles amènent ces cinq personnes dans la rue.

Un groupe déterminé

Tout en vivant dans des conditions très difficiles, le groupe de sans-logis ne cesse d'être actif. Il réclame une solution globale à la crise du logement, exigeant des garanties que les familles dans la rue soient logées rapidement en HLM, un hébergement temporaire adéquat, l'accélération de la construction des HLM déjà accordés à Hull et l'acceptation par la SHQ des demandes de HLM faites par Gatineau et Aylmer. Les sans-logis refusent le relogement temporaire, à la pièce. Sans solution permanente.

Fort de sa détermination, le groupe de sans-logis bénéficie de la sympathie des médias et d'un bon appui de la population. Les gens du quartier viennent leur porter nourriture, couvertures et encouragements. Les sans-logis financent leur lutte grâce à la vente de macarons.

Des appuis qui ne viennent pas

Là où il y a plus de problème, c'est dans l'appui des syndicats, des administrations municipales et même des groupes populaires. Ces appuis qui pourraient renforcer la lutte ne viennent pas ou sont très timides.

De façon générale, les groupes populaires sont dépassés par cette lutte qui bouleverse les habitudes et qui survient durant les vacances. Rapidement, la lutte échappe au contrôle de Logemen' occupe pour être pris en main par les sans-logis, appuyé-es par certain-e-s militant-e-s dont Pauline Legault.

Dans les groupes populaires, qui forment une communauté assez unie à Hull, la chicane éclate sur plusieurs questions. Pour certain-e-s, Hull doit d'abord loger son monde, les autres villes doivent faire leur part. Pour d'autres, peu importe d'où viennent les personnes, elles sont sans-logis et certes cela prend une solution régionale d'ensemble, mais à court terme, on ne doit pas discriminer les sans-logis originaires d'ailleurs que Hull.

La question d'une solution temporaire sous forme d'allocation-logement pour les sanslogis amène aussi beaucoup de division. Pourquoi aider plus ces gens-là que les personnes qui, dans leur logis, paient 50, 60 % de leur revenu pour le loyer ? Parce que ces gens sont dans la rue et que ça prend une solution, disent les personnes qui appuient les sans-logis.

Parmi les appuis, il y a le FRAPRU qui intervient en conférences de presse d'appui à Montréal et dont les permanents se rendent à Hull à quelques reprises durant l'été pour soutenir les sans-logis. L'Église catholique locale intervient pour réclamer une solution globale et offre un certain soutien technique et financier aux sanslogis. Les syndicats eux sont absents du débat.

Les maires de la région se lavent les mains du problème, refusant de faire front commun face à Québec. Pourtant, ils auraient pu prévenir la crise des sans-logis. Déjà à l'automne 1982, le taux de vacances des logements atteignait 0,5 %. À ce moment, ils auraient pu prendre des mesures pour éviter qu'en juillet les plus démuni-e-s se retrouvent dans la rue.

En juillet, alors qu'ils n'avaient rien fait, les maires vont même jusqu'à nier le problème. Celui de Gatineau affirme même que le problème était exagéré, que personne n'était sans logis en mai alors qu'il faisait plus froid ! Le maire de Hull, Michel Légère, lui, pénètre par intrusion la nuit dans les tentes pour voir si les gens y dorment.

«C'est les vacances...»

Après plus de trois semaines de camping forcé, les sans-logis sont toujours sans réponse à leurs demandes. Les maires ne bougent pas, sinon pour les écœurer, et le gouvernement péquiste ne réagit pas non plus. Pendant deux semaines, on répond que le ministre de l'habitation, Guy Tardif, est en vacances.

Mais les sans-logis sont loin d'être en vacances, plusieurs enfants sont malades et les parents sont exténués. Pour faire débloquer la lutte et pour améliorer à court terme leurs conditions de logement, les sanslogis décident de porter un grand coup en prenant possession d'une école dans l'île de Hull. Le 18 juillet, elles et ils occupent l'école Reboul.

Menacé-e-s d'expulsion par la police, les sans-logis gagnent de pouvoir rester dans l'école pour un mois.

Durant ce mois, le dossier avance lentement. Des négociations ont lieu entre la SHQ et la ville de Hull. Les sans-logis ne sont pas informé-e-s. Le 18 août, alors qu'elles et ils sont menacé-e-s d'éviction de l'école, de bonnes nouvelles arrivent enfin. Une allocation-logement sera accordée aux sans-logis pour une période de six mois. Le CLSC de Hull aidera à trouver des logements ; en attendant, la commission scolaire offre l'hébergement temporaire dans une école non utilisée de Gatineau.

Une victoire importante

La lutte des sans-logis ne règle pas la crise du logement mais elle permet d'enregistrer des gains importants. L'allocation-logement à des gens en urgent besoin de logement est une première importante. De plus, la crise provoque des déblocages importants au niveau des HLM : 86 unités supplémentaires sont accordées à Hull et la ville de Gatineau fera des demandes importantes de HLM à la SHQ. Plusieurs projets de coops seront acceptés à Hull, y compris un qui se réalisera sur le terrain vacant de la rue Charlevoix.

En dérangeant l'ordre public, en gênant les élites, les sans-logis ont réussi à aller chercher plus de gains qu'un comité-logement aurait pu aller en chercher, à ce moment-là, par les moyens habituels. On peut se demander si il n'y aurait pas eu des gains encore plus considérables si la lutte des sans-logis avait été mieux appuyée par le mouvement populaire et si le mouvement syndical était intervenu.

1983-88: de nouveaux défis

Les lendemains sont difficiles pour Logemen' occupe après la lutte de l'été de 1983. Le groupe continue un travail de défense des droits des locataires et d'enquête sur les conditions de logement. On réalise que, dans certains secteurs de Gatineau, 80 % des locataires paient plus de 75 % de leur revenu sur le loyer ! Mais, dans l'ensemble, le travail du groupe est miné par différents problèmes et tensions. Près de deux ans après la lutte des sans-logis, les militant-es qui avaient appuyé celle-ci quittent le groupe.

En juin 1985, Logemen' occupe organise un colloque sur le logement social, voulant faire le point sur la situation et tenter d'unifier sur des perspectives de lutte. Le colloque remporte un certain succès. Plus de cinquante personnes y participent.

Si la lutte pour du logement social se dégage comme une nécessité, elle ne réussit pas à rallier tout le monde dans l'action. Les GRT et les coops n'embarquent pas dans une lutte offensive, préférant le lobby, et n'étant pas d'accord avec la lutte pour des HLM.

Le «boom» économique

Le milieu des années '80 amène de nombreuses modifications à la dynamique du logement dans l'Outaouais. Les mises en chantier sont nombreuses, tant le marché locatif que dans celui du condo et celui de la maison individuelle. Une caractéristique commune à tous ces logements : leur inaccessibilité financière pour les faibles revenus. Mais ça, les villes s'en balancent et encouragent ce développement immobilier par le biais de réduction de taxes.

Si les mises en chantier de logement social représentent 17 % de ce boom immobilier à Hull, il en va autrement à Gatineau et Aylmer. Logemen' occupe y soutient la formation de deux groupes de requérant-es de HLM : SOS Logement et Logement Urgence.

À Gatineau, ville de 90 000 personnes à faible et moyen revenu, le dossier débloque un peu. L'administration municipale étant plus agressive face à la SHQ cela donne des résultats. La ville a maintenant un parc de plus de 500 logements.

À Aylmer, banlieue plutôt riche, Logement Urgence doit multiplier les actions pour faire bouger le dossier. Le 14 septembre 1987, à la veille du Rassemblement des mal-logé-e-s, organisé par le FRAPRU à Hull-Ottawa, une dizaine de requérantes passent la nuit sous la tente. 36 unités accordées depuis 1984 ne sont toujours pas mises en chantier. Une trentaine de sites ont été envisagés pour la construction de ces HLM, mais ils ont tous été refusés en raison de l'opposition des propriétaires. Les pressions portent néanmoins fruit. Alors qu'il n'y avait aucune unité de HLM pour famille, il y en a maintenant 60 en 1988.

Guest Motors: c'est possible!

C'est sur la question de la vocation du terrain vacant de l'ancien garage «Guest Motors» que Logemen' occupe continue la bataille pour la survie de l'île de Hull comme quartier populaire. Sous le thème de «Guest Motors, c'est possible!», une campagne est menée pour que ce terrain serve à la réalisation d'une cinquantaine de logements sociaux, plutôt que de tours à bureaux. L'enjeu est clair, la ville réservera-t-elle ce terrain pour loger les gens du quartier ou voudra-t-elle augmenter son assiette fiscale ?

Pour appuyer ses demandes, Logemen' occupe prépare un plan d'aménagement des terrains de Guest Motors qui prévoit chambres et logements familiaux à prix accessible. Des centaines de résident-e-s de l'île signent des pétitions et envoient des cartes postales au maire pour appuyer ces demandes. À plusieurs reprises, de 50 à 60 personnes se mobilisent pour appuyer les interventions de Logemen' occupe au conseil municipal.

La réponse viendra le 2 juin 1988, lorsque le conseil approuve la vente de la moitié du terrain au promoteur, laissant la possibilité aux groupes de formuler un projet d'habitation viable. Si Logemen' occupe semble avoir enregistré des gains comme la mobilisation, le vote serré du conseil de 8 pour 5 contre et la possibilité qu'il y ait des logements sur la moitié du terrain, il s'agit dans l'ensemble d'une défaite.

Concrétisant celle-ci, le conseil municipal a depuis ce temps changé le zonage pour permettre au promoteur une construction en hauteur. De plus, même si un GRT a présenté un projet pour l'autre moitié du terrain, la ville veut maintenant offrir un autre terrain situé à l'extérieur de l'île... Pour Logemen' occupe, la bataille pour préserver la vocation populaire de ce coin du centre-ville est maintenant perdue.

En octobre 1988, Logemen' occupe tient un colloque «Hulltemative» sur la question de l'aménagement. À l'aube des années '90, plusieurs enjeux s'annoncent. Qu'adviendra-t-il des nombreux terrains vacants appartenant à la Commission de la Capitale nationale ? Peut-on empêcher la construction de l'autoroute Laramée-McConnely, ce «boulevard Décarie» qui charcuterait Hull, et plutôt gagner la reconstruction de logements populaires ? Quel sera l'impact de l'ouverture, en juin 1989, du Musée canadien des civilisations sur ce qui reste de l'île ?

Il y a eu des gains et beaucoup de défaites, à Hull dans la lutte pour le droit au logement. Mais la bataille n'est pas terminée et comme le dit Bill Clennett de Logemen' occupe : «La lutte pour du logement social doit demeurer au cœur de notre travail. On nous dit que Hull est la ville au taux le plus élevé de logement social au Québec. Mais l'autre bord de la rivière, à Ottawa, le taux per capita est le double et là aussi le problème de logement persiste et on continue à réaliser du logement public. Tant qu'il y aura des mal-logé-e-s, on va continuer à se battre.».

Cet article a été réalisé à partir de l'expérience personnelle de l'auteur, hullois d'origine, mais aussi à partir des témoignages d'Isidore Ostiguy et Bill Clennett, de Marc Bonhomme, ex-coordonnateur de Logement-va-pu, ainsi que de Francine Dumas, Louise Leblanc et Pauline Legault, participantes à la lutte des sans-logis de Hull.

L'ATELIER DU LOGEMENT COMMUNAUTAIRE DES BOIS-FRANCS UNE HISTOIRE D'AMOUR

par Dominique Chevalier

Neuf ans d'histoire, une histoire d'amour, une histoire avec un début et une fin. Trois amis/amies, sans se le dire, liés par leurs idéaux, voulaient changer le/un cours de l'histoire. L'histoire d'une région, d'une ville qu'ils avaient adoptée sans demander la permission. Une ville qui les avait réunis par hasard, par amour.

Avec notre culture de Montréalais/Montréalaises, avec nos racines d'urbains et de paysans, nous avons voulu porter le flambeau du logement social dans la région des Bois-Francs. Les organisateurs communautaires, des responsables de groupes populaires, se sont joints à nous. C'est ainsi qu'en août 1979, tous les éléments se mettaient en place pour créer un groupe de ressources techniques qui s'est appelé «L'Atelier du logement communautaire».

Portrait de la région

À cette époque, à Drummondville, les programmes de rénovation urbaine avaient laissé des traces: un centre-ville devenu un grand stationnement le plus souvent vide. Les programmes d'amélioration de quartiers les avaient remplacés. Les quartiers populaires devenaient tour à tour un vaste chantier de construction. Les maisons habillées de papier brique se dévêtaient au profit du déclin de vinyle.

La construction des HLM était essentiellement liée à l'opération bulldozer de ces mêmes programmes de rénovation. Les grandes familles délogées du centre-ville avaient élu domicile aux portes de la ville Les coopératives d'habitation brillaient par leur absence. Une seule coopérative avait vu le jour. Elle servait trop souvent à alimenter les débats de basse-cour entre libéraux et péquistes.

Des résidants issus essentiellement de la classe ouvrière, travailleurs du textile, ouvrières des « shops » de couture qui trimaient jour et nuit pour joindre les deux bouts.

Les locataires étaient laissés à eux-mêmes, ne croyant pas avoir de droits, délaissés dans leur misère. Un but, un seul: acquérir une maison unifamiliale, devenir locataire de la banque.

Notre intégration dans la région

Février 1980, trois permanentes sont engagées par l'Atelier du logement communautaire. Notre mandat reçu de la Société d'habitation du Québec était de favoriser la mise sur pied de coopératives d'habitation dans la région des Bois-Francs : de Drummondville au fleuve St-Laurent.

Tout un accueil nous a été réservé, à la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Les fonctionnaires ne croyaient pas aux coopératives d'habitation. Ils souhaitaient servir de leur mieux l'entreprise privée. Les coopératives offraient une compétition déloyale et ils ne voulaient d'aucune façon y être associés. Lors de notre premier entretien avec ces serviteurs du capitalisme, on a dû voler la documentation sur les programmes d'aide aux coopératives pendant qu'ils s'absentaient pour satisfaire leurs besoins primaires.

Les argents disponibles étaient déjà bien dépensés dans la région de Sherbrooke. Les GRT de la région ne nous voyaient pas d'un bon œil. On nous proposa de devenir une succursale, une belle entrée en scène!

Une fois ces premières embûches franchies, on s'attela à mieux connaître les intervenantes/intervenants, les locataires, les élites locales.

On s'est vite rendu compte qu'il fallait rassembler plusieurs éléments pour réussir notre mission. Recruter la clientèle, trouver le bon bâtiment, insuffler la flamme, le désir de faire, d'agir sur notre vécu. N'était-ce pas ça au fond le plus important ? Apprendre, devenir consciente/conscient de notre valeur en tant qu'être humain, se réapproprier nos acquis. Changer nos conditions de logement, gérer une partie de notre quotidien, n'est-ce pas des apprentissages essentiels, développer la solidarité, comprendre que «l'union fait la force».

Mais voilà, on ramait à contre-courant dans un monde de consommation, pour qui la devise est: «Prenez et jetez». L'effort n'avait pas non plus toujours sa récompense.

Mais quand je pense à l'Atelier de logement, à nos réalisations, je ne peux oublier ces femmes, Mme Voyer, Mme Niquette, Sylvie Lefebvre, Johanne Allard et toutes celles dont j'ai oublié les noms, mais dont les visages me reviennent en mémoire. Elles ont tellement cru qu'elles nous ont convaincus. Elles savaient s'allier, elles savaient faire confiance. Nous avons travaillé ensemble, en équipe, une vraie.

Je tiens quand même à vous dire que le Centre l'Assomption de St-Léonard conserve une place privilégiée dans mon cœur. Je souhaite rendre un hommage particulier à cette femme, Mme Dubé, qui m'a redonné de l'espoir. Oui, c'était vrai, les coopératives, les organismes sans but lucratif de logements répondaient à un besoin. Ils/Elles avaient leur place, il fallait continuer à se battre pour en assurer leur survie.

C'est en côtoyant, au fil de nos rencontres, ces gens du monde rural que nous avons découvert de nouvelles réalités. La question du logement y revêtait d'autres couleurs. Plus qu'un logement, c'est un environnement familial, amical que les habitants souhaitaient. À leur manière, ils voulaient être respectés dans leur différence.

Les modèles urbains ne leur convenaient pas. On voulait de l'air, on avait soif d'espace. Il a fallu s'adapter, il a fallu convaincre les décideurs. Si vous vous promenez dans les alentours, allez donc à SteFrançoise, à Plessisville, à Warwick, à StLéonard, à St-Théodore. Des coopératives s'y sont installées, sans tambour ni trompette. Elles ont tout de même laissé des traces et les paroissiens/paroissiennes s'en souviennent sûrement.

C'est ainsi qu'au cours des ans, les projets, les réalisations, se sont multipliés.

Une équipe de travail

L'Atelier du logement communautaire, c'est aussi une équipe de travail. Et cette fois, je ne peux oublier ces hommes, Michel Limoges et plus particulièrement Marc Savaria. Il voulait réussir sa mission. Son sens de la créativité, son imagination débordante, ont souvent fait de lui un magicien au service du logement social.

Animé par ce magicien, toute une équipe aux multiples expertises s'est greffée. La formation légale, le bâtiment, la vie associative et coopérative, l'administration des budgets n'avaient plus de secrets pour elles, pour eux.

Chaque projet nécessitait un nouveau tour de passe-passe. Nous mettions toutes nos énergies d'abord à le trouver pour ensuite l'exécuter.

L'équipe a fini par se constituer en coopérative de travail. Créer de nouveaux liens, s'associer dans un rapport d'égalité, assurer la survie de l'Atelier et diversifier notre champ d'action, voilà les motifs à la base de la création de la Coopérative de consultants en ressources techniques des BoisFrancs.

Mais pour créer des rapports égalitaires, il ne s'agit pas seulement de signer un document officiel. Il faut plus qu'y croire, il faut participer à sa création. Y avons-nous toutes/tous cru ?

On a aussi douté de nous, une coopérative de travail qui participait à la création de coopératives d'habitation, quels intérêts défendait-elle, les siens ou ceux de ses projets ?

Ce fut donc une longue aventure parsemée d'embûches, de déceptions et de réussites. Une course à obstacles, dont les règles du jeu se déterminaient au hasard. Il ne fallait surtout pas y chercher une logique, notre équilibre en dépendait.

Après quelques marathons plus ou moins réussis, la fatigue et même l'épuisement nous gagnèrent toutes et tous. Notre magicien en a perdu son sac de magie.

En conclusion

Nous ne sommes maintenant sûrs que d'une chose, c'est qu'il existe maintenant dans la région des Bois-Francs, des coopératives d'habitation, des organismes sans but lucratif de logements. Notre amitié s'est évaporée. Il nous reste bien des souvenirs que nous ne partageons plus. La fermeture de l'Atelier du logement communautaire a laissé des blessures profondes. Mes rêves d'une société plus juste se sont un peu envolés. Mais je garde espoir et j'espère que vous aussi. Peut-être un jour, nous nous rencontrerons et, cette fois, notre histoire n'aura pas de fin, elle restera vivante.

Le magicien de l'Atelier du logement communautaire m'a dit de vous dire : « Si vous rencontrez des gens qui vous disent que l'Atelier du logement est mort, dites-leur que les histoires d'amour ne meurent jamais. »

QUARTIER SAINT-SAUVEU R À QUÉBEC VINGT ANS D'HISTOIRE... VINGT ANS DE LUTTES!

par Ginette Bergevin et Élaine Thibault

Le Comité des citoyens et citoyennes du quartier St-Sauveur est créé en 1969 dans une conjoncture sociale très dynamique. Le mouvement populaire prend de l'ampleur et un peu partout poussent des comités de défense des droits des citoyens et citoyennes des quartiers populaires. Un des premiers groupes populaires de la ville de Québec, le Comité des citoyens de l'Aire 10, situé dans le quartier St-Roch, est en pleine lutte pour empêcher des démolitions massives dans ce quartier. St-Sauveur, quartier adjacent, sera-t-il touché ?

Un petit groupe participant à un cours d'animation pastorale décide de mener des actions pour régler les problèmes du quartier. Ces premières luttes, qui se veulent limitées, concernent le parc Durocher et le pont Parent. On veut obtenir la création d'un parc à côté du Centre de loisirs Durocher, situé dans le quartier et rendre le pont Parent sécuritaire. Â cette époque, le comité ne cherche pas de confrontation avec la ville, mais sa collaboration. Les victoires sont faciles, la ville veut éviter des conflits comme ceux qu'elle a avec l'Aire 10. Le comité utilise les journaux, les pétitions et la mobilisation de la population pour mener à bien ses actions.

À ce moment, une première lutte pour des HLM est en branle. On veut éviter de créer un ghetto comme à la Place Bardy où deux immenses tours ont été construites, regroupant 446 familles. On demande que le HLM prévu dans St-Sauveur soit de 2 complexes de 50 logements plutôt que le complexe de 118 logements prévu initialement.

Le comité travaille aussi en collaboration avec l'église diocésaine à la création du centre de référence et d'information qui deviendra par la suite les avocates populaires, puis l'Association de défense des droits sociaux du Québec métropolitain.

En 1970, des actions concrètes sont menées au profit de la population. On empêche, par exemple, la démolition de 45 logements dans le but d'en faire des espaces de stationnement.

«La rénovation, qu'ô ça donne?»

De 1972 à 1974, c'est l'étape action-restauration. Les gouvernements fédéral et provincial mettent sur pied divers programmes de restauration. Dans ce contexte se crée le sous-comité sur la rénovation urbaine, qui dure plusieurs années. Ses principaux objectifs sont alors d'exiger que la ville participe aux programmes de restauration fédéral et provincial, de rendre public un plan de zonage pour le quartier St-Sauveur et de forcer la ville à prouver sa volonté de conserver le quartier en faisant l'aménagement des parcs, des systèmes d'aqueducs, des trottoirs et des rues. Des diverses actions menées, mentionnons la publication d'un mémoire s'intitulant : « La rénovation, qu'ô ça donne?». On y dénonce les conséquences négatives des politiques de restauration pour les gens à faibles revenus. Une autre des principales actions menées est une semaine d'information sur la restauration. Cette étape est donc marquée par l'arrivée de plusieurs personnes au comité des citoyens et citoyennes. De plus, ses actions deviennent de plus en plus percutantes.

De 1975 à 1979, les programmes fédéraux viennent faciliter le développement des coopératives d'habitation pour personnes à faibles revenus. Peu à peu, le comité des citoyens et citoyennes travaille en ce sens, regroupant des gens en vue de former des coopératives d'habitation en collaboration avec le groupe de ressources techniques Action-Habitation.

C'est aussi à cette époque que la lutte pour la restauration prend un tournant. En effet, on organise une tournée du quartier en autobus dans le but de sensibiliser les gens au problème de la démolition. D'où la naissance du sous-comité action. Ce comité continue de se préoccuper de la question de la rénovation, plus particulièrement de l'enquête sur les conséquences de celleci qui sera finalement publiée en 1985. Les principaux gains obtenus par le sous-comité action sont d'avoir préservé de la démolition la rue Arago, la reconstruction de l'escalier Victoria et le déménagement des garages de la Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec qui cause de la pollution dans le quartier.

Encore en 1979, le comité fait connaître sa position sur la nouvelle loi 107 régissant les relations propriétaires-locataires dont il craignait à raison qu'elle ne protège pas les locataires efficacement. Soulignons aussi la participation, en 1978, du comité au Colloque P.A.Q. (Programme d'amélioration de quartier) qui amène la création d'un regroupement provincial sur le logement, le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

Le comité s'élargit... et s'organise

À l'automne 1979, s'ouvre finalement une période de structuration et d'élargissement des actions. Les membres du comité sentent depuis quelque temps le besoin de réfléchir sur le fonctionnement de celui-ci. Ils se réunissent une fin de semaine et mettent sur pied une nouvelle structure mieux adaptée aux besoins actuels. Celleci prend le modèle du sous-comité Action qui fléchit par manque de membership. Il y a donc création de cinq sous-comités :

  • le sous-comité Parc qui s'occupe des équipements communautaires ;
  • le sous-comité Réappropriation qui vise à ramener la propriété aux mains de personnes du quartier ;
  • le sous-comité Locataire qui lutte contre les hausses de loyer excessives et les gros propriétaires ;
  • le sous-comité HLM qui cherche à obtenir la construction de nouveaux HLM ;
  • le sous-comité Alphabétisation qui s'occupe des problèmes d'analphabétisme dans le quartier.

Pour répondre aux problèmes qui se posent toujours, comme la présence d'écuries dans le quartier et la circulation, il existe des comités de vigilance dans quatre paroisses. Ils font le lien entre les besoins et les problèmes immédiats de leur paroisse et l'exécutif, pour déterminer les luttes, actions et orientations du comité. Cette nouvelle structuration permet au comité une meilleure présence dans le quartier.

Le début des années '80 est marqué par quelques gains : le sous-comité Parc se dissout après avoir obtenu que des tables et des bancs soient installés dans le Parc Durocher, avant le 24 juin et maintenus en place après le 1er septembre. Le souscomité Circulation-stationnement, créé suite à la sortie par la ville d'un plan pour le quartier ne répondant pas aux besoins de la population, réunit 300 personnes en assemblée publique. Suite à cette rencontre, vingt-six propositions sont acheminées à la ville, 13 sont acceptées et 13 refusées.

En 1981, le sous-comité Réappropriation meurt par manque de membership. On le garde en réserve, car, sans être prioritaire, ce thème reste important au comité.

1982, c'est la crise économique. Le gouvernement instaure de nouveaux programmes visant la création d'emploi. On se rend bientôt compte que l'argent de ces programmes profite davantage aux professionnels gérant les programmes qu'à la population sans emploi. De plus, les subventions sont surtout octroyées aux «grosses» compagnies. Le comité constate que ces priorités ne conviennent pas du tout aux jeunes du quartier St-Sauveur; on donne donc naissance au comité JobJeunes.

Ce sous-comité élabore un projet qui consiste à créer de l'emploi sous quatre formes, soit le recyclage alimentaire, les coopératives de travailleurs et travailleuses, la démolition des vieux hangars bâtis dans les cours intérieures afin d'y planter des arbres et, enfin, les groupes d'entraide. Job-Jeunes veut 500 000 $ pour la réalisation de son projet. Il participe en '83-'84 à la création de la Table de concertation Emploi Basse-ville réunissant des groupes populaires et un intervenant du CLSC Basseville. Elle établit une stratégie pour obtenir des argents des trois paliers de gouvernement. On commence par du « lobbying » et des discussions avec ceux-ci. Devant le peu de résultats obtenus, on se radicalise et participe à une coalition de jeunes qui fait des actions dont une occupation de plusieurs jours au centre Travail-Québec. Ce ne sera que quatre ans plus tard que ces actions donneront des résultats. 1982 voit aussi la séparation du sous-comité Alphabétisation qui devient Atout Lire. Il travaille toujours dans le quartier.

1000 logements sociaux

En janvier '83, une campagne pour du logement social est lancée. On demande la construction de 1000 logements sociaux pour la ville de Québec. Le sous-comité de requérants et requérantes de HLM devient de plus en plus populaire. Une assemblée publique réunissant les hauts fonctionnaires de l'Office municipal d'habitation de Québec, de la Société canadienne d'hypothèque et de logement et de la Société d'habitation du Québec est alors organisée. Plus de soixante-quinze personnes y participent. C'est à la suite de cette assemblée que de nouvelles personnes s'impliquent au sein du sous-comité HLM. En mai '83, JobsJeunes se lance à l'assaut de Montréal dans la grande marche pour l'emploi organisée par une coalition de syndicats et de groupes populaires. Parallèlement, les comités de vigilance se meurent, dû aux nouvelles priorités du comité de citoyens et citoyennes.

À l'automne 1983, le congrès priorise l'habitation pour l'année '83-'84 ; il crée aussi le sous-comité Anti-nucléaire. Au cours de cette année, on met de l'avant l'allocationlogement pour les ménages sur les listes d'attente de HLM.

1984 marque la basse-ville de Québec où est le quartier St-Sauveur, car elle devient la cible des gouvernements. On veut y investir un maximum d'argent afin d'attirer la classe moyenne au centre-ville. Nous assistons à la restauration de la Gare du Palais en Gare Intermodale, le rallongement du Mail St-Roch, la construction du Palais de Justice et de la Bibliothèque municipale. C'est dans ce cadre que s'effectue la relance du sous-comité Actionréappropriation. Son but premier est d'empêcher que des propriétaires de l'extérieur s'approprient les logements du quartier. On dénonce les effets de ce phénomène, en particulier l'augmentation des coûts de loyer dont les locataires sont victimes. Des assemblées sont organisées afin de contrer les projets des dirigeants. On donne, par exemple, de l'information sur les façons de devenir propriétaire, sur les programmes comme Loginove, etc. Finalement, la ville s'aperçoit que ses efforts sont vains et dirige ses efforts financiers vers le Carrefour Lebourgneuf, situé en banlieue de Québec.

L'année 1985 est caractérisée par la réaction du comité au programme Loginove. Celui-ci n'est pas adapté aux besoins des petits propriétaires. Le programme exige des rénovations majeures et oblige les propriétaires à s'endetter sérieusement ce qui décourage beaucoup de gens. On revendique un programme plus souple et un contrôle des loyers. On réalise aussi une étude des impacts du programme sur la population. Les résultats confirment que les logements subissent de très fortes hausses de loyer et que la majorité des locataires, ne pouvant assumer ces hausses, ne reviennent pas dans les logements après la rénovation.

Dans la même année, on innove en instaurant un mois du logement comprenant des semaines thématiques : locataires, HLM, coopérative d'habitation et réappropriation. Il y a vingt groupes qui appuient cette démarche. Des kiosques sont tenus pour rejoindre la population et l'informer sur les droits des locataires. On met de l'avant au cours de ce mois deux nouvelles revendications, soit l'achat-restauration pour les HLM comme solution dans les endroits où il y a peu de terrains disponibles et l'ajout d'un critère psycho-social dans la grille d'évaluation de l'Office municipal d'habitation pour l'accès à un HLM.

Un événement semble important dans le domaine de l'habitation à la fin de 1984, c'est la sortie du Livre vert sur l'habitation. Au cours de 1985, le comité participe à la tournée de consultation du gouvernement provincial sur son Livre vert. Il y met de l'avant le besoin en logement social, le besoin en programmes de rénovation adéquats, etc. Même si le ministre nous dit prendre « bonne note » de nos demandes, aucune politique d'habitation n'est jamais venue.

Le comité décide aussi de réagir à la sortie du Livre blanc sur la fiscalité du gouvernement provincial. Une coalition de groupes populaires et de syndicats est mise sur pied. Le comité joue un rôle important de soutien. Celle-ci organise un débat dans le cadre des élections provinciales sur cette question. Elle devient par la suite, la Coalition pour l'impôt et le revenu et, plus tard, Solidarité régionale Québec. En 1985, apparaissent tout de même une démobilisation et un essoufflement et on se donne des objectifs de mobilisation afin de rejoindre une relève militante. On organise pour cela une exposition sur l'histoire du quartier, essayant ainsi de susciter de l'intérêt pour les membres et de recruter de nouvelles personnes.

Les points saillants du début de l'année 1986 sont les coupures dans le logement social qui amènent le comité HLM à manifester son désaccord devant le Parlement avec une ambulance, un cercueil et des pleureuses. On organise les funérailles du logement social puisque le gouvernement le tue tranquillement mais sûrement. Le sous-comité Locataire, lui, n'a plus de membership. Il devient un service d'information, de soutien, tout en conservant une participation au mois du logement.

La relance

1986-87 est l'année de la relance, le congrès se donne un sous-comité Mobilisation et relève qui vise à aller rejoindre la population chez elle. Il organise des assemblées de cuisine et touche une centaine de per-

sonnes pour parler des problèmes du quartier. Dans ce cadre, il rédige un mémoire et réalise un diaporama pour la tournée de consultation de la ville de Québec sur son plan directeur d'aménagement. Aucune proposition n'est retenue par la ville, mais l'idée de plan d'aménagement populaire commence à germer.

1987 est aussi l'Année internationale des sans-abri et des mal-logés. Le comité participe aune coalition de groupes populaires qui organise une semaine de sensibilisation ainsi que deux conférences de presse. Une, en début d'année, pour demander aux gouvernements de répondre enfin aux besoins des sans-abri et des mal-logés. Et une, à la fin de l'année, pour dénoncer l'inactivité de nos gouvernements et le peu d'argent investi, pour les besoins identifiés au cours de l'année.

La vague des coupures orchestrées par les gouvernements fait réagir le comité. Il organise une manifestation au bureau du ministre responsable de l'habitation, André Bourbeau, sous le thème « On veut pas se laisser isoler ». Des actions semblables sont organisées à travers la province dans le cadre du Front d'action populaire en réaménagement urbain. La participation est mince, le mouvement des coopératives d'habitation qui est au centre des attaques du gouvernement ne se mobilise pas. Il y a tout de même une bonne couverture des médias.

Cette année est aussi marquée par l'obtention par la Table de concertation emploi basse-ville d'un montant de 300 000 $ annoncé en grande pompe par le député provincial. Le besoin initial était d'environ 500 000 $ ; en tout cas c'est un gain. Malheureusement, la table ne reçoit que 150 000 $ pour la récupération alimentaire qui va à l'organisme Moisson-Québec et environ 50 000 $ pour une coopérative de travailleurs et travailleuses, Serpro, qui s'occupe d'entretien ménager.

À l'automne 1987, le congrès décide de prioriser les dossiers de quartier. Ainsi le terrain des anciennes usines à gaz de la rue Verdun, pollué et inutilisable, devient un enjeu de santé publique et de qualité de l'environnement. Une assemblée publique réunit une soixantaine de personnes qui discutent avec des intervenants d'HydroQuébec, du ministère de l'Environnement, du département de Santé communautaire

St-Sacrement, de la ville de Québec et du comité. On pose les bonnes questions et suite à cela, Hydro-Québec sort un plan de dépollution partielle sur 2 ans. Voilà un premier gain dans ce dossier, mais nous voulons une dépollution totale ; donc, la mobilisation continue.

Le Parc Durocher que le comité avait gagné dans les années '70 devient aussi un enjeu au niveau de son aménagement et de son entretien. Un mémoire est acheminé à la ville de Québec sur les questions de sécurité du parc et de son entretien général, ceci étant la première phase du projet.

Cette année-là est une année chaude pour le sous-comité HLM. Il participe premièrement à la consultation privée du gouvernement provincial sur les critères de sélection dans les HLM, où il dénonce les critères discriminatoires pour les femmes, pour les immigrants et immigrantes, pour les sansabri, etc. Il met de l'avant le besoin de critères souples et non-restrictifs mais surtout le besoin d'une augmentation de la construction d'unités de logements sociaux.

Deuxièmement, un nouveau dossier apparaît, c'est la qualité de vie en HLM où l'on collabore avec une intervenante du CLSC Basse-ville. On veut rejoindre les associations de locataires pour leur faire prendre conscience qu'elles peuvent être plus que des organismes de loisirs, voire défendre les droits des locataires de HLM.

Troisièmement, le sous-comité HLM réagit au nouveau programme du gouvernement provincial, le supplément au loyer sur le marché privé, pour les personnes sur les listes d'attente de HLM. Il dénonce la privatisation des HLM et aussi la piètre qualité de ce programme qui n'assure plus de logement à vie aux ménages dans le besoin.

On constate tout de même que le comité des citoyens et citoyennes, à travers son sous-comité HLM, a réussi, avec les années, à établir un rapport de force avec les instances gouvernementales, particulièrement l'Office municipal d'habitation de Québec. On doit collaborer avec le sous-comité HLM, sinon on peut s'y brûler.

Au printemps 1988, le sous-comité Femmes et logement se voit accorder une subvention de 18 000 $ du Secrétariat d'État pour réaliser un rapport. Celui-ci doit proposer des recours simples et efficaces pour les femmes victimes de discrimination, de harcèlement et de harcèlement sexuel dans le logement.

Et en 1989?

Les orientations pour 1989 sont donc le maintien des dossiers logement avec :

  • le sous-comité HLM qui travaille sur la qualité de vie en HLM, continue d'être à l'affût face au programme de supplément au loyer, travaille au suivi des dossiers requérants et requérantes de HLM et demande la construction accrue de logements sociaux.
  • Le sous-comité Femmes et logement qui organise des rencontres avec des groupes de femmes sur la question de la discrimination, du harcèlement et du harcèlement sexuel des femmes dans le logement et qui réalise un rapport pour mettre sur pied des recours simples et efficaces pour les femmes victimes de ces situations.
  • Le dossier locataires-mois du logement qui vise à informer et à sensibiliser la population sur ses droits dans les relations locataires-propriétaires en collaboration avec les autres groupes-logements de la région de Québec et notre regroupement provincial, le FRAPRU, qui lutte pour la construction de logements sociaux et mène régulièrement des actions dans lesquelles le comité s'implique et mobilise la population du quartier.

Le comité maintient aussi ses dossiers de quartier par :

  1. Le sous-comité du terrain des anciennes usines à gaz de la rue Verdun, dossier dans lequel il faut être à l'affût et surtout obtenir une dépollution complète du terrain qui est toxique.
  2. Le Parc Durocher où l'objectif premier est la mobilisation sur cette question d'aménagement et d'entretien des lieux.

L'orientation nouvelle pour cette année est la réalisation d'un plan d'aménagement populaire pour le quartier St-Sauveur qui obtient peu des gouvernements en fait d'aménagement, de création d'emploi, de revitalisation de ses artères historiques comme la rue St-Vallier, etc. Le but étant de se donner une plate-forme de travail et d'orientation pour notre quartier.

Au début, le comité s'est préoccupé de problèmes limités puis progressivement, il a remis en question les politiques d'aménagement urbain de la ville de Québec et les politiques en habitation des différents paliers de gouvernement. Il a développé un esprit critique face à ces différentes politiques gouvernementales, qui avantagent les grands entrepreneurs, les gros propriétaires mais rarement les locataires et les personnes à faibles revenus.

En 1989, le Comité des citoyens et citoyennes du quartier St-Sauveur fête son 20e anniversaire. Tout au long de son histoire, il a eu comme objectifs de défendre le droit à une bonne qualité de vie des citoyens et citoyennes du quartier, particulièrement ceux et celles à faibles revenus, de même que la prise en charge par eux-mêmes et elles-mêmes de leurs situations. « Ensemble pour améliorer notre quartier », voilà l'objectif pour un quartier où tous et toutes pourront vivre décemment.

LA REVITALISATION DU CENTRE-VILLE DE SHERBROOKE UNE EXPÉRIENCE CHÈREMENT PAYÉE

par Robert Pilon

De 1974 à 1981, les rues du quartier Centre-sud, à Sherbrooke, ont servi de champ de bataille entre les citoyen-ne-s à 90 % locataires et le maire Jacques O'Bready. Refusant de se laisser séduire par l'appel des sirènes du progrès, en l'occurrence le Programme d'amélioration de quartier (PAQ), les résident-e-s organisé-e-s autour du Comité des citoyen-ne-s de l'ACCENTS n'ont pas cédé un seul pouce de terrain sans se battre. Même si au bout du compte ils ont dû s'avouer vaincus et quitter le quartier, leur expérience chèrement acquise mérite d'être rappelée.

Les débuts du Programme d'amélioration de quartier

Situé près de la rue King et du centre des affaires, le quartier Centre-sud est un vieux quartier de Sherbrooke. Sa population de 3886 habitants diminue, vieillit et s'appauvrit. De 1961 à 1971, le quartier perd 28 % de ses résident-e-s et 25 % de ceux et celles qui y demeurent ont plus de 55 ans. Composé à 48 % d'ouvrier-ère-s non spécialisée-s, les deux tiers des familles ont des revenus inférieurs à 7 000 $ par année.

Le déclin du centre-ville, en voie de devenir le quartier des pauvres, va à rencontre des intérêts des commerçants. La ville est elle aussi touchée dans ses recettes fiscales qui n'augmentent pas et son image de «Reine» des Cantons est passablement défraîchie. Au point où Sherbrooke a perdu 4,8 % de sa population au profit des municipalités périphériques et qu'une partie de ses activités commerciales est drainée vers les centres commerciaux de l'extérieur, entre autres le Carrefour de l'Estrie.

Pour y remédier, la première intervention de la ville va être de réaménager la rue Wellington pour y construire un semi-mail piétonnier. Ce projet n'est évidemment pas étranger aux pressions de l'Association des marchands du centre-ville et de la Corporation du centre-ville. Lorsqu'on

procède en 1975 à son inauguration au coût de 2,3 millions $ dans un quartier qui contraste par son appauvrissement, le bruit des bulldozers résonne en provenance du quartier un peu à l'est. Dans Saint-François, de l'autre côté de la rivière, la ville termine de raser 197 logements grâce à une subvention de 5 millions $ du programme fédéral de rénovation urbaine (PRU), l'ancêtre du PAQ.

Mars 1975, la Division d'urbanisme de la Ville lance pour Centre-sud son plan intitulé « Programme d'amélioration de quartier et de dégagement de terrain ». Son objectif officiel est « de rehausser la qualité de vie des résident-e-s en leur donnant des services et des équipements de meilleure qualité de même qu'en rehaussant de façon générale l'état des logements ».1 La Société d'habitation du Québec (SHQ) autorise ce plan en 2 phases. Le PAQ phase 1 débutera en 1976 et le PAQ phase 2 en 1978. On se propose de rénover 1471 logements « tout en tenant compte de la capacité de payer des occupant-e-s », de construire 175 HLM, d'aménager des espaces verts et d'améliorer les équipements, surtout les égoûts et les aqueducs. Comble de générosité, on promet une consultation de la population. Il faut préciser que la ville craint énormément de répéter l'expérience douloureuse de Saint-François où, en période d'élections, le prix politique à payer a été très élevé en raison de la résistance farouche des citoyen-ne-s.

L'opposition du Comité des citoyenne-s de l'ACCENTS

Au début des années '70, à l'initiative des agents de pastorale de paroisses, un organisme communautaire du nom de l'ACCENTS (l'Action communautaire du Centresud de Sherbrooke) voit le jour. Rapidement, il contribue à mettre sur pied plusieurs groupes tels la Maison de quartier, le camping familial, l'organisation des loisirs et même le CLSC. Son action permet de recréer un tissu social fort dans un quartier où l'organisation sociale était pratiquement inexistante. En 1973, l'ACCENTS compte 13 organismes.

Lorsque les rumeurs d'une intervention de la municipalité commence à circuler dans le quartier, dès 1974, l'ACCENTS forme un comité de citoyen-ne-s pour éviter que l'expérience des démolitions sauvages du secteur Saint-François ne se reproduise encore une fois. Le comité informe les résident-e-s de ce qui se prépare, fait du porte-à-porte et constitue des comités de rue. Il se rend aussi dans le quartier St-Sauveur de Québec pour constater de visu les dégâts d'un PAQ en action. Novembre 1975, les détails du PAQ phase 1 commencent à filtrer. On annonce l'inspection systématique de 1500 logements et l'application stricte d'un code du logement. Pressés par les citoyen-ne-s du quartier qui, de plus en plus inquiets, ont commencé à se plaindre du manque d'information, les conseillers municipaux décident d'organiser une première assemblée publique.

La Tribune du 28 janvier 1976 en fait la description suivante.

« La population touchée par la phase 1 du PAQ a accueilli avec scepticisme, pour ne pas dire avec méfiance, les informations fragmentaires données hier soir. Les précisions qui se voulaient rassurantes apportées par le conseiller Bergeron n'ont pas suffi à chasser le spectre de l'opération-bulldozer du secteur SaintFrançois qui planait au-dessus de la salle. Individuellement ou par l'entremise de Ronald Duhaime, permanent de l'ACCENTS, ils ont voulu savoir ce qu'on entendait exactement par démolitions, par déplacements, par fermetures de rues. Hésitants ou chiffres en main, ils ont posé des questions ou, comme l'ACCENTS, blâmé les organisateurs de la rencontre du peu de détail précis qu'ils apportaient. »

À vrai dire, le comité des citoyen-ne-s avait réussi à mettre la main sur le projet précis de la ville qui prévoyait plusieurs démolitions de maisons et leur remplacement par des gros projets de HLM. Les questions trop précises des citoyen-ne-s avaient vraiment réussi à faire paniquer les conseillers qui disaient consulter à partir d'un tableau blanc. Premier résultat : le conseiller du quartier, Roméo Bergeron,démissionne du comité technique chargé de l'élaboration du PAQ. Dans la semaine qui suit, le coordonnateur du programme, Michel Archambault, propose que le comité technique soit composé de 3 échevins et de 3 représentant-e-s de l'ACCENTS.

Une expérience pénible: la consultation-participation

Sans trop d'hésitations, le Comité des citoyen-ne-s de l'ACCENTS accepte de déléguer des représentant-e-s au comité technique du Bureau d'aménagement de quartier (BAQ) tout en affirmant vouloir continuer à garder ses distances face à la ville et poursuivre sa propre consultation parallèle de la population. Trois raisons incitent l'ACCENTS à collaborer avec la ville : aller chercher le maximum d'informations possibles ; permettre aux gens de faire « l'apprentissage du pouvoir » ; et, fort de sa représentativité, tenter d'arracher des concessions.

Les 3 délégué-e-s du comité des citoyenne-s ne pourront prendre aucune décision sans d'abord en référer à l'ACCENTS, ni parler en son nom. Dès le départ l'ACCENTS établit clairement ses positions. 1. Les maisons récupérables doivent être restaurées et non pas démolies et remplacées ailleurs par des HLM. 2. Les augmentations de loyer après les rénovations ne doivent pas dépasser 20 $ par mois et l'évaluation foncière doit être gelée pendant 5 ans. 3. Le zonage doit protéger la fonction résidentielle et les subdivisions de logements interdites. 4. Le parc Dufresne doit être sauvegardé (Steinberg voudrait l'acheter). 5. Les citoyen-ne-s doivent avoir le pouvoir décisionnel.

Rapidement cependant le comité de direction de l'ACCENTS se rend compte que « le comité technique monopolise les énergies et qu'il démobilise et dépolitise les citoyenne-s ».2 De fait, le comité n'arrive pas à tenir de réunions d'avril à juin '76. Des efforts vont donc être faits pour séparer physiquement le comité technique et le comité de direction et surtout pour impliquer plus activement les gens du quartier. En juillet, des résident-e-s vont nombreux à l'Hôtelde-ville pour y déposer une pétition contre le trafic lourd dans les rues du quartier.

Lors de la 4e assemblée publique sur le PAQ phase 1, les membres de l'ACCENTS se dissocient des propositions du BAQ à l'effet de démolir des maisons et de les remplacer partiellement par de gros projets de HLM. En décembre, suite à un calcul détaillé des augmentations prévisibles de loyer après rénovation, l'ACCENTS réclame le gel du PAQ tant et aussi longtemps que des garanties ne seront pas fournies pour les 40 % de locataires qui ne pourront jamais revenir dans leur logement dans de telles conditions. La ville cède sur un seul point : elle interdit le trafic lourd dans les rues du quartier entre 23 heures et 7 heures...

Entre-temps, les autorités municipales organisent une manœuvre grossière pour se débarrasser des représentant-e-s du comité des citoyen-ne-s dans le PAQ phase 2 en préparation. Ils exigent que des élections se tiennent pour déterminer qui représentera les résident-e-s au sein de ce deuxième comité technique. À sa propre surprise, l'ACCENTS fait élire quatre de ses membres.

Avril 77, dans le but de faire avancer les choses, le comité des citoyen-ne-s organise une vaste assemblée populaire pour réitérer publiquement ses demandes. 200 familles y participent. En même temps, l'ACCENTS signe un protocole avec deux coopératives qui s'engagent à acheter et à rénover des logements dans le secteur pour permettre aux gens de demeurer dans leur quartier.

Coup de théâtre le 1er août. Le conseil de ville adopte le plan définitif du PAQ phase 1 sur la recommandation de la moitié seulement des membres du comité technique, les 3 échevins évidemment. À part la protection du parc Dufresne, la sauvegarde de 7 maisons vouées à la démolition et la construction de projets plus petits de HLM, aucune autre des revendications essentielles de l'ACCENTS n'est retenue. Le coup fait très mal et en déçoit plusieurs. Trois mois plus tard, les quatre délégué-es au comité technique de la phase 2 démissionnent en déclarant être privés d'informations et refusant de cautionner les démolitions qui s'en viennent sur la rue Galt et le mauvais aménagement du parc Racine. Le comité des citoyen-ne-s a les mains plus libres mais les gens du quartier sortent amèrement déçus de l'expérience.

Le bilan de la participation et des limites locales

En 1978, l'ACCENTS se joint à 16 autres comités de citoyen-ne-s à travers le Québec qui ont entrepris une démarche de réflexion sur les effets des PAQ et qui doit conduire à un colloque populaire à l'automne. Ces rencontres sont une bonne occasion de faire le bilan collectif de la consultationparticipation. Qu'a donné la collaboration avec les villes dans des comités techniques ? Presque tous les groupes ont commencé par utiliser cette approche sauf que les résultats sont partout décevants.

Sur des questions secondaires comme les démolitions inutiles, l'aménagement des parcs ou la circulation, on obtient des victoires, mais sur des enjeux importants comme le contrôle des hausses des loyers, le gel de l'évaluation municipale ou le pouvoir décisionnel des résidant-e-s, on n'obtient rien.

Lesgroupessontpresqu'unanimes:«Cela oblige les citoyen-ne-s à mettre beaucoup d'énergies sur des questions de détails alors que les questions de fond sont toujours reportées. C'est un processus épuisant qui mène souvent à la démobilisation ».3 De plus, cela limite l'intervention des citoyenne-s aux seules questions qui relèvent de la juridiction de la municipalité. Les décisions importantes concernant les PAQ viennent des niveaux de gouvernements supérieurs. On ne peut y faire valoir des revendications globales comme faire augmenter les subventions ou encore obtenir un contrôle des loyers.

Conséquence pratique de cette réflexion, lors du Colloque populaire sur les PAQ, l'ACCENTS se prononce aux côtés d'autres groupes pour la création d'un regroupement national qui deviendra le Front d'action populaire en réaménagement urbain. En 1980, l'ACCENTS signe le cahier de revendications du FRAPRU et participe à la campagne provinciale « Des quartiers où nous pourrons rester ».

Les effets pervers des PAQ

C'est seulement en 1981 que l'ACCENTS va être en mesure de réaliser pleinement combien ses appréhensions étaient fondées. Les augmentations de loyer des logements restaurés auront été de 54 % et 41 % des locataires auront dû quitter.4

De 1978 à 1980, le comité des citoyen-nes a bien tenté très activement déformer des coopératives d'habitation pour permettre aux gens de demeurer chez eux dans des logements rénovés. 32 % des logements rénovés dans le secteur des PAQ l'ont été grâce aux coopératives sauf que 49 logements c'est trop peu pour être vraiment efficace car les rénovés qu'ils soient privés ou publics, ont un désagréable effet d'entraînement autour d'eux.

Tel que planifié par le maire O'Bready, une nouvelle population fait son apparition. Indice sûr de cette arrivée, la rue Alexandre, principale artère commerciale du quartier, est méconnaissable tellement elle s'est bien adaptée à la « nouvelle culture » des nouvelles couches moyennes intellectuelles. Même le bel édifice neuf du CLSC vient involontairement contribuer à ce mouvement. Entre 1971 et 1981, la petite bourgeoisie professionnelle va grossir de 24 % alors que le nombre d'ouvrier-ère-s va chuter de 41 %.5

Une expérience encore profitable aujourd'hui

Les bouleversements dans la structure du quartier et la déception de ceux et celles qui se sont pourtant bien battu vont porter un dur coup à l'ACCENTS. À bout de souffle, la mobilisation des résident-e-s se faisant de plus en plus difficilement, il va presque disparaître au début des années '80. Les groupes qui en étaient membres vont s'en détacher un à un pour devenir autonomes.

Comme toute bonne histoire, celle de l'ACCENTS a tout pour une fin heureuse. Animés d'un second souffle, les militants et les militantes formés à l'époque des PAQ luttent aujourd'hui pour les 1000 ménages en attente de HLM à Sherbrooke. 10 ans après, les victimes de la revitalisation du centreville peuvent à nouveau compter dans leur lutte sur le soutien de l'ACCENTS. Cette fois-ci par le biais de son comité-logement. Les militant-e-s n'ont pas lâché et ont beaucoup appris.

L'histoire devrait normalement s'arrêter là sauf qu'une question me travaille. Au-delà de l'éternelle controverse de la participation ou non aux consultations des villes, pourquoi un groupe aussi fort que l'ACCENTS n'a-t-il pas eu recours à des moyens de lutte politique plus directs? Ailleurs à la même époque, on n'hésitait pas à faire des manifestations de rues ou des occupations. Une stratégie dite de mobilisation n'aurait-elle pas été plus efficace qu'une approche « conscientisante » d'apprentissage du pouvoir ? Probablement que oui car cela aurait permis de créer un meilleur rapport de force et d'être pris plus au sérieux par la ville. Mais il faut se garder d'une réponse aussi simple à la question. Plusieurs de ceux et celles qui appelaient à la mobilisation dans les années '70 ne sont plus avec nous aujourd'hui pour mener la lutte alors que ceux et celles qui, peut-être à tort, craignaient d'aller trop loin, trop vite, sont encore avec nous et se sont passablement radicalises. À défaut de trancher, la solution se trouve peut-être à mi-chemin entre les deux. S'inspirer de l'une et l'autre stratégie est probablement un bon signe de l'expérience que nous avons collectivement acquise avec le temps.

P.S.:Cet article a notamment été réalisé à partir d'entrevues avec Ronald Duhaime et Jeanne Vallée, militant-e-s de l'ACCENTS et Denis Lamoureux, animateur à l'époque dans le quartier Saint-François.

SAINT-NORBERT, 13 ANS PLUS TARD : UNE RUE DÉMOLIE... UN PLATEAU À VENDRE

par Bernard Vallée

En 1989, le Comité logement Saint-Louis, de Montréal, fêtera son 15e anniversaire. À travers une de ses premières luttes qui mobilisa l'opinion publique, on se rappellera un enjeu majeur d'une période que l'on voudrait révolue, celle de la démolition massive du stock de logements.

La démolition de la rue Saint-Norbert

Début septembre 1975, les démolisseurs faisaient sauter les toits de 49 logements de la rue Saint-Norbert et en chassaient les derniers occupants. La Ville de Montréal mettait ainsi fin à 6 mois de lutte acharnée des locataires et du Comité logement SaintLouis pour sauvegarder ces logements.

Le but de la Ville était, selon monsieur Yvon Lamarre, qui agissait alors en tant que viceprésident du Comité exécutif, d'aménager d'urgence une cour de voirie qui regrouperait les opérations de plusieurs autres.

Treize ans plus tard, la cour de voirie brille toujours par son absence ; l'herbe à poux et un stationnement réservé aux policiers de la C.U.M. ont remplacé les 49 ménages à faibles revenus.

Ironie de la chose, au cours d'une série d'articles parus en mars 1975, La Presse avait établi que la Ville possédait déjà 43 terrains de stationnement dans le centre-ville et qu'on dénombrait, dans le même secteur, plus de 200 parkings

privés : des espaces tout à fait propres à accueillir les équipements d'entretien municipaux.

Pour le Comité logement Saint-Louis, l'affaire était claire : la Ville utilisait un prétexte, pour ajouter un autre terrain à ses secteurs déjà « nettoyés » !

Un scénario bien rodé

Suivant un scénario souvent utilisé par la Ville, la rue avait été homologuée dix ans plus tôt, c'est-à-dire mise en réserve, procédure empêchant toute rénovation majeure et condamnant les logements à la détérioration. En 1975, la Ville exproprie les maisons en prétextant cette même détérioration. Il fallait y penser. La procédure utilisée, soit une expropriation avec prise de possession préalable, éliminait toute possibilité de contestation si ce n'est sur les montants en cause. Quant aux locataires, l'indemnité qui leur était versée couvrait tout juste les frais de déménagement.

Une résistance acharnée

Lorsqu'à la fin du mois d'avril 1975, les résidents reçoivent leur avis d'éviction, ils demandent au Comité logement Saint-Louis d'intervenir.

Si cette organisation populaire n'en était qu'à sa deuxième année d'existence, elle possédait déjà une riche expérience de lutte dans ce quartier du Plateau MontRoyal, à la limite nord du centre-ville.

Attirés par les profits considérables que pouvait générer la proximité d'un centreville en expansion, les promoteurs immobiliers et de gros propriétaires se partageaient, avec la bénédiction de l'administration Drapeau, les dépouilles d'un quartier ouvrier que le départ des industries manufacturières condamnait.

Déjà à la fin des années '60, les organismes populaires du quartier s'étaient mobilisés pour sauver le secteur Milton-Parc des griffes de la Société Concordia : s'ils ne purent empêcher la construction de la première phase du complexe immobilier La Cité, les trois-quarts des mille logements voués à la démolition furent préservés, rénovés et la population résidente put s'y maintenir grâce à la propriété coopérative.

Le Comité logement Saint-Louis fut luimême créé en 1974 au cours d'une lutte qui permit d'empêcher la construction de tours de prestige près du carré Saint-Louis, projet qui souleva la colère de la population frustrée de se voir imposer un aménagement sans étude d'impact et sans consultation.

Pour les membres du comité, le travail n'allait pas manquer : de la confrontation avec des spéculateurs locaux comme Lessard de la rue Saint-André qui jouait et joue encore au Monopoly avec l'argent de la Caisse populaire Saint-Louis-de-France, jusqu'à la contestation des « bulldozages » aveugles de la ville en passant par les tragédies presque quotidiennes des incendies aux origines douteuses ou criminelles, ils devaient relever le défi de secouer le fatalisme d'une population conditionnée à supporter l'inacceptable et affronter des intérêts puissants, avec des moyens dérisoires.

Dans la bataille de la rue Saint-Norbert, les locataires et le Comité logement eurent recours à des moyens d'action très diversifiés.

Le 14 mai, les locataires organisent leur première conférence de presse. Le 24 mai, ils font une fête sur la rue. Le 5 juin, les protestataires marchent jusqu'à l'Hôtel-de-Ville. Le Comité logement fait effectuer par l'Université McGill une étude qui démontre que les logements sont rénovables à des coûts raisonnables.

Un comité de soutien est formé. Il compte des locataires, des membres du Comité logement, de Sauvons Montréal, du Conseil de développement social, du RCM et d'Espaces verts pour ne mentionner que ceux-là.

Le 30 juillet, une demande d'injonction est présentée en Cour supérieure. On invoque le fait que le Couvent Bon Pasteur situé juste en face des maisons, pouvait être classé monument historique. Une demande en ce sens avait été présentée au Ministère des affaires culturelles par les opposants à la démolition qui misaient sur le fait qu'une telle classification aurait pour effet de protéger la rue, les maisons étant situées dans un rayon de 500 pieds. Mais la demande d'injonction fut rejetée.

Le 1er août commence l'occupation des logements, action qui se poursuivra jusqu'au début de septembre, c'est-à-dire jusqu'à ce que les démolisseurs commencent leur ouvrage.

Manifeste des occupants de Saint-Norbert

« Nous occupons les maisons de la rue Saint-Norbert parce que la décision prise par la Ville reste injustifiée.

Nous occupons parce que nous savons qu'il existe d'autres solutions pour installer ailleurs une cour de voirie municipale.

Nous occupons parce que nous savons que la Ville préfère déporter les locataires plutôt que d'exproprier les terrains de stationnement d'ITT ou d'utiliser ses propres terrains du centre-ville.

Nous occupons parce que nous soupçonnons la Ville dedissimulersous cette concentration de cours de voirie sur la rue St-Norbert des opérations spéculatrices avec les terrains qu'elle va ainsi libérer.

Nous occupons parce que nous savons que les maisons de la rue St-Norbert sont rénovables.

Nous occupons parce que nous refusons que d'autres démolitions s'ajoutent aux 30 000 logementsabattusen 15 ans à Montréal et qui étaient pour la plupart des logements familiaux à prix abordables.

Nous occupons parce que pendant cette période, la Ville a construit à peine 5 000 logements publics pour reloger les locataires déplacés ou mal-logés, ce qui est ridicule face aux besoins.

Nous occupons parce que la crise du logement ainsi créée à Montréal par la spéculation de l'entreprise privée soutenue par la Ville, touche en priorité les citoyens les plus démunis et les travailleurs aux plus bas revenus.

Nous occupons parce que, compte tenu de la situation actuelle du logement à Montréal (hausses des loyers, taudis, feux, démolitions), la conservation et la rénovation de ces logements devient prioritaire et on doit y mettre le prix.

Nous occupons parce que cet ensemble d'habitation pourra représenter, après rénovation et réaménagement des alentours, un cadre de vie supérieur à tous les projets que sont capables de créer les services de la Ville et l'entreprise privée.

Nous occupons parce que la Ville est en train de commettre un crime social déguisé en progrès urbain.

Nous occupons parce que la Ville montre qu'elle est au service des développeurs et des puissances financières pour qui le logement n'est qu'une marchandise qu'on jette quand elle n'est plus rentable.

Nous occupons parce que face à l'incapacité de la Ville de répondre aux besoins prioritaires des citoyens, nous devons prendre nos responsabilités.

Nous occupons parce que nous refusons d'être déportés hors de nos quartiers.

Nous occupons parce que le logement est un droit et qu'il faut le prendre.

Nous occupons parce que ces maisons sont à nous, car nous en avons besoin. En venant s'ajouter à la lutte des expropriés des autres quartiers de Montréal, de Ste-Scholastique et de Forillon, de Québec et de Hull, aux luttes populaires desassistés sociaux, des garderies, des femmes, des étudiants et aux luttes ouvrières des travailleurs à travers le Québec, cette lutte n'est qu'une étape dans notre combat pour que les travailleurs contrôlent un jour leurs conditions de travail et leurs conditions de vie.

Les locataires de la rue Saint-Norbert et le Comité logement Saint-Louis. »

Durant l'occupation, on a tenu plusieurs conférences de presse et de nombreuses assemblées dans la rue. On a procédé à une rénovation symbolique des façades et à la plantation des carrés de verdure. Toutes sortes d'activités ont été organisées avec la participation de groupes populaires. Le groupe Le Monde à bicyclette y inaugure la première piste cyclable de l'île. Le RCM présente à l'Hôtel-de-Ville un avis de motion visant à rénover et transformer ces logements en logements publics à prix modiques. De nombreux groupes appuient les occupants dont les expropriés de SainteScholastique.

Le midi, les employés de bureaux viennent manger leur lunch avec les occupants et le dimanche, les Montréalais visitent la rue Saint-Norbert dont ils découvrent l'architecture attachante.

Rien n'y fait. La Ville tient dur comme fer à son argument de la cour de voirie. Elle refuse de rendre public un rapport du Service de l'urbanisme qui privilégiait un site voisin pour l'aménagement de la cour. Par ailleurs, les seuls documents rendus publics par l'administration sont dans l'ensemble datés du mois de juin 1975. Ce seul détail amène les occupants à mettre en doute leur valeur. « Les services municipaux ont-ils été contraints de pondre sur mesure l'argumentation de M. Lamarre?». Chose certaine: les documents antérieurs qui auraient dû exister, puisque la décision d'aménager une cour de voirie datait déjà de quelques années, semblaient tous avoir disparus. Bien qu'il l'ait promis, M. Lamarre refuse également d'organiser une rencontre entre les divers services concernés et les opposants au projet. Sur la rue, la Ville tente à deux reprises de fermer l'eau et l'électricité et la police arrête six occupants.

Un symbole dans la lutte pour le droit au logement

Dès que commence l'occupation des logements, l'opinion publique s'empare du débat.

L'occupation fait la une des quotidiens de Montréal (au total, 75 articles environ ont été publiés) ainsi que des bulletins de nouvelles. «Barbarie rue Saint-Norbert», «Un symbole», «Rue Saint-Norbert et ailleurs» : c'est dans ces termes que dans les journaux, les éditorialistes reprennent le conflit.

L'attitude de la Ville n'était pourtant pas nouvelle. De 1957 à 1974, à Montréal, plus de 28 000 logements ont été démolis. Une bonne partie pour des fins publiques :

boulevard Dorchester, autoroute VilleMarie, Place des Arts, Maison de RadioCanada, etc. Il faut aussi compter les démolitions occasionnées par les projets privés, les principaux étant ceux du complexe La Cité et de la Place Desjardins.

« Rue Saint-Norbert, la Ville se comporte comme les spéculateurs qu'elle feint de ne pouvoir civiliser » écrit alors Jean-Claude Leclerc, éditorialiste au Devoir.

C'est peut-être la goutte qui a fait déborder le vase. Quoiqu'il en soit, pour plusieurs raisons concurrentes, la rue Saint-Norbert devint effectivement un symbole de la lutte contre les démolitions massives de logements qui, pendant longtemps, ont pour des dizaines de milliers de résidents de Montréal symbolisé le « progrès ».

D'hier à demain

Les occupants de la rue Saint-Norbert avaient vu juste, cela ne fait plus maintenant aucun doute, même si comme à l'habitude personne ne leur en donnera le crédit.

La cour de voirie n'a pas et ne sera jamais aménagée. Les 49 logements auraient pu facilement être rénovés : à preuve les milliers de maisons qui par la suite l'ont été, grâce à la ténacité d'autres groupes de résidents ou à la soudaine découverte par certains du charme et du chic des habitats populaires des vieux quartiers.

Le couvent du Bon Pasteur, dont la classification avait été demandée en vain, est maintenant monument historique et a subi une restauration qui lui permet d'accueillir des logements à loyer modique pour les personnes âgées, le siège d'une administration publique, une salle de spectacle et des condos de prestige où réside d'ailleurs le maire actuel de Montréal.

Avant de perdre ses élections, l'ancienne administration municipale s'apprêtait à revendre le site « libéré » à des promoteurs privés ou à y construire elle-même des condominiums, site qu'elle avait, rappelons-le, déclaré impropre à l'habitation !

Il semble que l'actuelle administration confirme cette vocation.

Quel avenir pour les quartiers populaires?

Ce qui s'est passé rue Saint-Norbert marque sinon la fin, du moins un ralentissement considérable des démolitions massives de la période 65-75 à Montréal.

Il est certain que l'action collective des résidents et de leurs organisations a contribué à freiner le saccage systématique des quartiers populaires. Certaines publications destinées au milieu de la promotion immobilière mettent d'ailleurs en garde les spéculateurs contre les risques qu'ils prennent à affronter sans précaution une opi nion publique sensibilisée par des organismes de défense du cadre de vie et du droit au logement !

Mais un nouveau phénomène est apparu, tout aussi inquiétant pour les résidents des quartiers populaires qui entourent le centreville. À la grandeur de ces quartiers, on transforme le stock de grands logements familiaux en copropriétés ou en logements de luxe destinés à une population dont les revenus sont supérieurs à ceux de la population actuelle. Les logements neufs sont du même acabit. Et contrairement aux théories défendues par les responsables politiques, le déplacement ne profite pas aux couches les plus démunies : les logements neufs ou anciens de ces quartiers sont tous accaparés par une population nouvelle et beaucoup mieux nantie.

Le phénomène est d'autant plus inquiétant qu'on n'en parle pas ou trop peu, un peu comme autrefois les démolitions. Le phénomène est également beaucoup moins spectaculaire que l'étaient les démolitions même s'il se remarque plus dans certains quartiers que dans d'autres. Également, les responsables politiques tentent de le ramener à une question de choix individuels alors que c'est l'avenir d'une partie importante de notre collectivité qui est actuellement en jeu.

Depuis plusieurs années, tant bien que mal, avec des moyens extrêmement limités, des groupes de locataires, les voisins et les voisines d'une rue ou d'un pâté de maisons, des comités de citoyens ou des regroupements d'organismes populaires ont tenté avec plus ou moins de succès selon le cas de modifier le cours des choses. Le Comité logement Saint-Louis est de ceux-là.

Le Plateau des uns fait le bonheur des autres!

Depuis plus de dix ans, le Comité logement Saint-Louis se bat pied à pied, maison par maison pour éviter l'éviction des résidents à faibles ou moyens revenus.

En effet, le Plateau Mont-Royal est devenu un des quartiers les plus recherchés, depuis que la sélecte ville d'Outremont ne suffit plus pour accueillir les « branchés » de la métropole.

La proximité du centre-ville et de ses activités commerciales, administratives et culturelles, le charme d'un quartier dont le tissu urbain a été façonné par près d'un siècle d'histoire et des prix encore abordables, ont attiré une nouvelle classe de population aux revenus confortables.

Cet engouement pour la brique patinée, les balcons sculptés et les planchers de bois franc n'échappèrent pas aux spéculateurs: des conversions en copropriété jusqu'aux rénovations majeures qui empêchent les locataires de revenir dans leurs logements devenus trop chers, tous les moyens sont bons pour chasser les résidents et offrir le Plateau au nouveaux arrivants... sur un «plateau d'argent».

Loin de leur assurer de meilleures conditions de logement, les programmes gouvernementaux et municipaux d'aide à la restauration accélèrent cette hémorragie des populations implantées depuis longue date dans le quartier.

Des rues entières, comme Prince-Arthur et Duluth, sont converties en vastes brochetteries dont l'achalandage et les nuisances bouleversent la vie quotidienne des «autochtones».

Le Comité logement sera au cœur de nombreuses luttes, moins spectaculaires sans doute que celle de la rue Saint-Norbert, mais tout aussi importantes pour la sauvegarde et l'amélioration de milieux de vie de qualité.

À l'automne 1983, le comité participera à la création d'une Table de concertation sur l'aménagement urbain, aux côtés des Voisins des rues Duluth et De La Roche (une autre rue menacée par la profusion de restaurants), de Montreal City Mission, du YMCA International et du CLSC Saint-Louis du Parc. Il publiera aussi des recherches et des enquêtes qui montreront toute l'ampleur du phénomène du délogement dans le quartier. L'une d'entre elles, Le Plateau des uns fait le bonheur des autres, publiée en 1986, sonnera l'alarme: de 1981 à 1986, 13 000 logements locatifs ont été transformés en propriétés, et particulièrement en copropriétés, et 22 000 locataires ont dû quitter leurs logements... Pas étonnant que le comité s'implique à fond de train dans la lutte contre la conversion de logements locatifs en condos et intervienne à de multiples reprises dans le débat entourant la levée du moratoire supposé empêcher de telles transformations du stock de logements. Il sera un des groupes les plus actifs dans la coalition Sauvons nos logements.

Pendant ce temps, le Comité logement Saint-Louis défendra inlassablement des centaines de locataires dans leurs démarches juridiques contre les reprises de possession, les évictions pour rénovations majeures, les hausses de loyer, etc. Certains de ces cas seront portés sur la place publique démolition illégale en février 1986 de 4 bâtiments locatifs, sur la rue Mentana; démolition de maisons de chambres, sur les rues Saint-Hubert et SaintDenis, également en 1986 ; rénovation expulsant des locataires de la rue Chambord; expulsion des locataires de 16 logements de la rue Papineau en 1987; expulsion de chambreurs, toujours sur les rues SaintDenis et Saint-Hubert, en 1988...

Par ailleurs, le comité se donnera les moyens d'intervenir pour favoriser le logement social, en participant à la création en 1985 des Habitations communautaires Vie Urbaine, une société acheteuse visant à acquérir des logements pour les sortir du

marché spéculatif et permettre leur achat par des coopératives d'habitation. Des assemblées publiques, organisées en collaboration avec d'autres organisations comme la Table Justice et foi, permettront aussi de conscientiser la population du quartier. Le 30 mars 1987, une assemblée regroupera 300 personnes.

Un avenir incertain

La bataille de la rue Saint-Norbert, les autres luttes du Comité logement Saint-Louis et des autres groupes de citoyennes et de citoyens, ont démontré que les hommes et les femmes qui s'impliquent dans l'aménagement de leur quartier, de leur ville deviennent bien souvent les meilleurs experts de la question et finissent par avoir raison. Mais trop souvent aussi ils doivent se contenter de victoires morales. Et ce, au détriment de leurs conditions de vie.

Il sera trop tard dans dix ans pour avoir une nouvelle fois remporté une victoire morale. Les menaces qui pèsent actuellement sur la population des quartiers ouvriers et populaires tels Centre-Sud, le Plateau MontRoyal, Saint-Louis, Pointe Saint-Charles, Saint-Henri, la Petite-Bourgogne voire Hochelaga-Maisonneuve et Rosemont sont trop graves.

Les revendications et les propositions de tous ces citoyens et citoyennes constituent lorsqu'on les regroupe une véritable politique de logement et d'urbanisme qui ont le grand avantage de tenir compte des besoins et des aspirations du milieu à commencer le plus souvent par ceux des moins bien nantis.

OVERDALE L'HISTOIRE AU QUOTIDIEN

par François Saillant

II y a un an et demi à peine, j'ignorais jusqu'à l'existence d'Overdale, cet îlot de 107 logements et chambres du centre-ville de Montréal, coincé entre l'autoroute VilleMarie et le boulevard René-Lévesque, mais où s'était bâti un milieu de vie différent, bien étranger à la frénésie et à l'affairisme ambiants.

Pourtant, Overdale fait aujourd'hui partie de ma vie. J'ai participé à la multitude d'actions et de rencontres organisées pour sauver Overdale de la disparition. J'y ai été arrêté deux fois, courtoisie de la police de la Communauté urbaine de Montréal. J'y ai vu le paternalisme, l'arrogance, le mépris des simili-Drapeau qui siègent au Comité exécutif de la ville. Mais j'y aussi côtoyé des locataires admirables, des femmes en majorité, qui, ne disposant que de leur courage et de la solidarité de quelques-une-s, ont refusé de plier l'échiné devant le gigantisme d'un projet immobilier de 120 000 000 $, le harcèlement quotidien des promoteurs, les expulsions orchestrées par la ville, la répression policière...

Mais Overdale ne fait pas que partie de ma vie et de celle de quelques dizaines d'autres personnes, il fait aussi partie de l'histoire des résistances populaires dont il a écrit une des pages les plus riches. Et quoiqu'il advienne dans les semaines ou les mois à venir, il n'y a rien ni personne qui pourra jamais l'en effacer.

Une entente ou une lutte historique?

Le 2 juin 1987, le responsable de l'habitation au Comité exécutif de Montréal, John Gardiner, annonce fièrement «une entente sans précédent ». En échange de la démolition de l'îlot Overdale, les promoteurs Douglas Cohen et Robert Landau acceptent de construire 72 appartements et chambres de remplacement à proximité. Ce chiffre correspond au nombre de logements que la ville estime occupés dans l'îlot. Le tout permettrait la réalisation d'un projet futuriste, baptisé les Jardins Dorchester, comprenant 2 tours de 39 étages, 650 condominiums de luxe, des commerces, un jardin intérieur et un tunnel menant au Métro Lucien-L'Allier ! Pour l'administration du RCM, ce serait là la preuve qu'il est possible de réconcilier développement urbain et protection du stock de logements à bas loyer.

Gardiner ne tarde cependant pas à déchanter puisque c'est un refus net qu'il essuie de la part des locataires d'Overdale. Pourquoi ? D'abord parce qu'ils et elles n'ont jamais été consulté-e-s sur cette entente, alors même que le RCM s'est fait élire quelques mois plus tôt sous l'enseigne de a « démocratie municipale ». Ensuite parce que ces locataires à faible revenu sont incapables de se payer ces fameux logements de remplacement. S'il est vrai que les subventions offertes par la ville et le promoteur permettent des augmentations de loyer moins considérables au départ, ces hausses feront cruellement sentir leur effet par la suite, puisque les subventions vont diminuer annuellement jusqu'en 1994 où les loyers auront rattrapé ceux du marché. Pour un-e locataire d'un 3-1/2 qui payait en moyenne 167 $ par mois à Overdale, ça veut dire un loyer de 380 $ en 1990, de 477 $ en 1992 et de 598 $ en 1994! Étrange façon de protéger le stock de logements à bas loyer !

Et la dernière raison, qui s'affirme de plus en plus au fil de la bataille, est que les locataires entendent préserver la communauté et la qualité de vie qu'ils et elles se sont bâties à Overdale et qui ne pourront jamais être déménagées dans les logements de remplacement. Des logements qu'on baptise ironiquement « Underdale », parce qu'ils sont situés en bas de la côte, de l'autre côté de l'autoroute, loin des services et de ce qui faisait l'attrait de l'îlot voué à la démolition... Pour les locataires demeurant depuis de nombreuses années dans ce secteur, ce n'est pas une simple relocalisation qu'on leur propose, c'est une déportation !

Vers la consultation

Au cours de l'été '87, les locataires d'Overdale multiplient les pressions. Aucune rencontre du Conseil municipal ne se déroulera sans qu'une ligne de piquetage ne la précède devant l'Hôtel-de-ville. Les conférences de presse se succèdent. Les appuis commencent à se manifester, ceux d'individus d'abord comme Michael Fish qui mène depuis 20 ans bataille pour la préservation du patrimoine immobilier de Montréal, puis ceux de groupes comme Sauvons Montréal, Héritage Montréal, la Fédération des coopératives d'habitation de l'île de Montréal et le FRAPRU. C'est aussi le début d'une longue saga juridique. Les pressions sont telles qu'elles forcent la ville à préserver certaines maisons d'abord vouées au pic des démolisseurs dont l'ancienne demeure de Louis-Hippolyte Lafontaine. Et elles l'obligent surtout à aller en consultation publique en septembre, une consultation où tous les intervenants, sauf les promoteurs, se prononcent en faveur du maintien sur place des locataires d'Overdale ou dans la pire des éventualités, d'une amélioration de la formule des logements de remplacement.

La Commission Aménagement, habitation et travaux publics, présidée par un militant bien connu des comités-logement, le conseiller André Lavallée, reprend ce point de vue en proposant l'intégration des locataires désireux et désireuses de le faire aux Jardins Dorchester, et ce à un coût abordable. Tous les espoirs semblent alors permis et les locataires relâchent temporairement leur vigilance et leurs moyens de pression.

À tort... puisque le 29 septembre, le Conseil municipal décide d'enterrer le rapport de sa propre commission et d'adopter intégralement le projet de développement présenté par les promoteurs des Jardins Dorchester. Seuls sept conseillers du RCM se rangent du côté des locataires dont Marcel Sévigny, Arnold Bennett, Sam Boskey et Pierre Gohier qui se retrouvent à plusieurs reprises opposés à leur administration sur ce dossier. Quant à André Lavallée, il s'abstient sur le rapport qu'il a luimême pondu...

Une lutte qu'on prétendait morte!

Les locataires encaissent durement le coup et il s'en trouvera beaucoup pour prédire que la lutte tirait à sa fin. De septembre '87 à mars '88, c'est surtout sur le terrain juridique que la lutte continue, malgré quelques soubresauts comme une manifestation en novembre sur le plancher même du congrès du RCM. Les locataires doivent par ailleurs faire face au harcèlement de plus en plus pressant des promoteurs. Hazel Craig, une locataire de 77 ans, résidant depuis 48 ans à Overdale, est retrouvée sans vie dans son logement. Quelques jours plus tôt, elle avait déclaré en entrevue2 que le stress qu'on lui imposait était tel qu'elle n'arrivait plus à dormir et à manger!

Quelques locataires, surtout des chambreurs et chambreuses, déménagent à Underdale, mais la plupart de ceux et celles qui quittent le font pour s'en aller ailleurs. De juin '87 à juin '88, le nombre de locataires chute de 90 à 30.

Et pourtant Overdale n'est pas mort et le 15 mars la lutte rebondit dramatiquement dans l'actualité. Afin de contourner la nouvelle loi

87 interdisant la conversion de logements en condominiums sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal, les promoteurs décident de transformer les logements qu'il leur est interdit de démolir en bureau de ventes et en club privé avec salle de billard et de jeu! Même si ces transformations ne correspondent pas au plan d'ensemble soumis à la Ville, celle-ci émet des permis de modification et les employés des promoteurs s'apprêtent à entreprendre les travaux dans des logements devenus vacants lorsque les locataires s'interposent. 6 personnes sont arrêtées dont deux des porte-parole de l'Association des locataires d'Overdale, Lisa Jensen et Carol Burgess.

Gênées par la tournure des événements, les autorités municipales font interrompre les travaux pour une durée de 40 jours. Les locataires obtiennent au même moment une injonction interlocutoire.

Overdale est revenu à la surface et n'en disparaîtra pas de sitôt. Un comité de négociation est formé. Il regroupe à la fois des locataires et des ami-e-s d'Overdale dont des représentant-e-s du FRAPRU et de la FECHIM. Son but ? Négocier la transformation des logements d'Overdale en coopérative d'habitation. Cette solution apparaît comme la seule susceptible de régler le conflit, d'autant plus qu'elle ne compromet en rien le projet de condo, les promoteurs disposant déjà de 85 % de la surface nécessaire à sa réalisation. Les promoteurs Cohen et Landau refusent cavalièrement l'offre d'achat de 700 000 $ faite par les locataires. Il est hors de question qu'ils laissent des pauvres, contestataires de surplus, côtoyer les cossu-e-s qu'ils veulent attirer dans leurs condos.

Quoiqu'il en soit, l'Association des locataires d'Overdale est mise en sourdine et on ne parle plus désormais que de la Coopérative d'habitation Overdale. Ce changement de vocabulaire n'empêche cependant pas les piquetages de se poursuivre de plus belle aux réunions du Conseil municipal. Et maintenant on ne se contente plus de marcher à l'extérieur. On fait aussi entendre sa voix à l'intérieur, dans le hall de l'Hôtel-de-ville et même dans les galeries réservées au public. L'objectif est clair : obliger la ville à se mouiller en faveur de la coop. En juin '88, le comité de négociation rencontre le maire Jean Doré qui accepte d'appuyer le projet de coopérative auprès de la S.C.H.L

Quand parlent les matraques

L'illusion sera de courte durée. Quelques jours à peine plus tard, les autorités municipales, Jean Doré et John Gardiner en tête, invoquent un rapport du service des incendies pour faire évacuer la grande majorité des locataires. C'en est trop. Jugeant

les raisons de sécurité invoquées pour le moins contestables et estimant à raison que toute évacuation des locataires se solderait par leur départ définitif des lieux, les locataires et ami-e-s d'Overdale décident de résister et accusent la ville de faire la «sale job» des promoteurs. Le 23 juin, 7 personnes sont arrêtées alors qu'elles tentent pacifiquement d'empêcher l'éviction des locataires de la rue MacKay. Le 27, la police de la C.U.M. passe aux grands moyens. Les escouades tactique (SWAT) et anti-émeute interviennent manu militari pour expulser les locataires qui se sont barricadé-e-s dans leurs logements des rues Overdale et Kinkora. Un bélier mécanique défonce les portes, pendant qu'on bouscule et matraque ceux et celles qui s'objectent. Treize autres personnes sont mises sous les verrous et un rapport médical évaluera qu'une d'entre elles a été sérieusement battue lors de son arrestation.

Ce déploiement de force policière relance l'appui à la lutte d'Overdale. En quelques heures, le 28 juin, 33 groupes et organisations, dont la majorité des groupes-logement de Montréal, envoient des télégrammes et des lettres de protestation à Jean Doré. Le 6 juillet, 75 personnes participent à des lignes de piquetage devant la maison du promoteur, Robert Landau, à Westmount, puis à proximité du condominium de Jean Doré.

Et, dès le retour des vacances, le 22 août, 150 personnes dont 5 conseillers du RCM et le président du Conseil central de Montréal de la CSN, Pierre Paquette, participent à une manifestation devant l'Hôtel-de-Ville.

Ces gestes de solidarité ne sont pas sans inquiéter l'administration Doré dont l'image est ternie à jamais aux yeux de plusieurs. Mais loin de répondre favorablement aux groupes qui lui demandent d'intervenir avec les outils dont elle dispose pour obliger des promoteurs de plus en plus butés à négocier avec la coopérative Overdale, elle se contente de répéter ne plus pouvoir faire quoi que ce soit dans le dossier. Et elle se lance dans une campagne de dénigrement des locataires d'Overdale et de leurs appuis I

Face à cette attitude de la ville, mais aussi et surtout face aux travaux de démolition intérieure qui ont débuté dans des bâtiments où demeurent encore quelques locataires, on décide de repasser à l'action avec une grande première : l'occupation de l'Hôtelde-ville et ce-heureux hasardau moment même où se tient une rencontre du Comité exécutif. Ceux et celles qu'une journaliste a baptisé-e-s Groupe de résistance d'Overdale réclament et obtiennent une rencontre avec Jean Doré, rencontre qui s'avérera toutefois infructueuse.

Le 4 octobre, le ton monte à nouveau, lorsqu'une trentaine de locataires et de militant-e-s du FRAPRU tentent d'empêcher la démolition d'un des derniers bâtiments voués à la destruction, celui-là même qu'ils et elles avaient défendu si farouchement en juin, sur Kinkora et Overdale. Ce geste de résistance était d'autant plus justifié que quelques jours auparavant la Coopérative d'habitation et le FRAPRU avaient, preuves à l'appui, émis de sérieux doutes quant au respect par les promoteurs de l'engagement qu'ils avaient pris de construire du résidentiel sur le site. Les logements ne sont-ils pas démolis dans un seul but de spéculation sur un terrain valant une fortune en plein centre-ville de Montréal, ou encore pour faire place à un édifice à bureaux ?

Les efforts des locataires sont cependant vains, la police intervenant pour permettre cette démolition absurde et arrêter 6 autres personnes. Celles-ci auront droit au «traitement de faveur », la police les détenant pendant 35 heures avant qu'elles ne comparaissent devant un juge. Le matin de la comparution, des dizaines de manifestante-s mobilisé-e-s en quelques heures à peine marchent devant le Palais de justice.

Et maintenant?

Il est difficile d'écrire sur une lutte encore en cours, surtout quand elle a connu autant de rebondissements qu'Overdale. Je ne me risquerai sûrement pas à y aller de pronostics. Au moment où j'écris ces lignes au début novembre '88, une poignée de locataires vivent encore sur les lieux, désireux et désireuses d'y rester jusqu'au bout, dont Lisa Jensen et Mabel Clarke, une résidante d'Overdale depuis plus de quinze ans. Cependant, l'éloignement et l'éparpillement des locataires évincé-e-s en juin les rend difficilement mobilisables, de plus en plus sceptiques quant à une victoire possible et, pour une bonne part, désireux et désireuses de tourner la page.

Quant aux promoteurs, ils viennent de laisser entendre que leur projet pourrait bien ne jamais se réaliser, du moins tant que le RCM sera au pouvoir I Chantage face à la ville ou confirmation des doutes des locataires ? C'est à voir.

Les procès des accusé-e-s d'Overdale sont aussi sur le point de débuter, 22 personnes différentes devant faire face à un total de 32 chefs d'accusation. Parmi ces personnes, 11 étaient ou sont encore locataires d'Overdale et 8 militant-e-s du FRAPRU ou de l'un de ses groupes-membres...

Une seule chose demeure certaine et c'est qu'on n'a pas fini d'entendre parler d'Overdale et de tirer les leçons de cette lutte.

Pourquoi Overdale?

Les locataires d'Overdale se sont battu sur les objectifs mêmes que le mouvement de lutte pour le droit au logement défend depuis des années, soit la préservation du stock de logements à bas loyer, le droit des populations à faible revenu de pouvoir demeurer au centre-ville et la nécessité

pour ce faire du logement social, et particulièrement du logement coopératif. Mais qu'est-ce qui explique que la lutte ait eu une telle intensité, une telle durée et une telle violence, celle-ci n'ayant cependant jamais été le fait des locataires et ami-e-s d'Overdale ? Au moins 30 000 personnes ont été évincées dans les quartiers populaires de Montréal depuis le début des années '80, non sans bataille certes, mais sans qu'aucune n'aille aussi loin. Pourquoi donc Overdale ?

Contrairement à la situation vécue depuis plusieurs années dans les quartiers populaires alors que les locataires sont le plus souvent touché-e-s un, deux ou trois à la fois, logement par logement, par la conversion en condos ou la rénovation domiciliaire, à Overdale, c'est 90 locataires que les promoteurs Cohen et Landau ont tenté de chasser d'un coup, un peu à l'image de ce qui se faisait à l'époque des démolitions massives de logements ouvriers dans les années '60 et '70. Les locataires d'Overdale étaient de ce fait moins isolé-e-s, plus mobilisables dans la lutte contre la disparition de leurs logements.

De plus, en s'attaquant à Overdale, les promoteurs des Jardins Dorchester désormais rebaptisés Les Vergers Lafontaine s'en prenaient à une communauté solidement établie, où les résidant-e-s de vieille date s'étaient forgé des liens souvent étroits avec les locataires plus jeunes et souvent instruits : étudiant-e-s, artistes et artisan-es, assistées sociales, travailleurs et travailleuses précaires... Par sa situation géographique et la vie de quartier qui s'y était développée, Overdale était presque un village dans la ville. Voilà qui n'a pas été sans contribuer à la cohérence de la lutte.

La démocratie à la sauce Doré

Mais ces raisons ne peuvent à elles seules expliquer la lutte d'Overdale... pas plus d'ailleurs que le soutien apporté par des individus ou des groupes comme le FRAPRU. Tant pis pour ceux qui, à l'Hôtel-deville, ne peuvent s'expliquer Overdale que comme une suite de « mauvais conseils » ou de manipulations venues de l'extérieur. Non seulement ceux-là n'affichent-ils que leur condescendance envers les locataires, bien incapables à leurs yeux de prendre leur destinée en main, mais ils se privent d'une bonne réflexion sur les conséquences de leurs politiques.

Car une des explications d'Overdale ne réside-t-elle pas justement dans l'élection du Rassemblement des citoyens et des citoyennes de Montréal ? Le RCM s'est fait élire en promettant « le maintien sur place de la population résidente et la conservation des logements existants » et même un moratoire sur la démolition de logements3, mais surtout en s'engageant à permettre une « véritable démocratie municipale à Montréal ». Après 25 ans d'absolutisme monarchique du régime Drapeau, l'administration Doré a ouvert ou plutôt entrouvert la porte de la démocratie municipale. Mais ce fut pour l'encarcaner dans un arsenal de commissions, de comités et bientôt de conseils sans pouvoir, l'ensemble des décisions importantes demeurant entre les mains d'un Comité exécutif peu enclin à le partager... même avec les autres conseillers du RCM.

Plusieurs locataires d'Overdale ont cru qu'ils et elles auraient désormais leur mot à dire quant à l'avenir de leur communauté et de leur ville et ont milité pour l'élection du RCM en novembre '86. Leur désillusion fut à l'égal de leurs espoirs quand la ville a dévoilé l'entente à laquelle elle en était venue avec les promoteurs sans que les locataires n'aient été consulté-e-s ni même informé-e-s sur celle-ci... puis quand on les a embarqué-e-s dans une consultation bidon dont les résultats n'avaient aucune importance pour le Comité exécutif. Leur sort ne pesait, semble-t-il, pas très lourd face au développement économique du centre-ville et les 3 à 5 millions $ que les Jardins Dorchester apporteraient chaque année dans l'assiette fiscale de la ville.

Les locataires d'Overdale ont multiplié les actions face à la ville à la fois parce qu'ils et elles avaient toujours espoir que leurs pressions obligent l'administration Doré à changer son attitude dans le dossier espoir qui aurait été à peu près inexistant du temps de Drapeau -, mais aussi parce qu'ils et elles étaient chaque jour plus en colère face à l'intransigeance rencontrée à l'Hôtel-de-ville. Et l'enterrement de première classe réservé au rapport Lavallée les a tenu-e-s à l'écart des cadres étroits de démocratie fixés par l'administration Doré, contrairement à ce qui arrivait aux groupes plus structurés qu'on a réussi à embrigader dans un capharnaüm de consultations dont plusieurs commencent cependant à tirer un bilan négatif.

DERNIERE HEURE

Décembre 1988. Les 4 locataires demeurant à Overdale viennent d'apprendre qu'elles seront expulsées de leur logement, le 17 décembre. Et le 6 décembre, au terme d'un procès de plus d'une semaine, le jury a reconnu Lisa Jensen, James Ross Thompson et le poète et militant Norman Navroski coupables d'entraves au travail policier lors des événements du 15 mars. Le juge Fraser Martin leur a accordé une sentence suspendue mais à la condition qu'ils et elle ne participent à aucune manifestation publique d'aucune sorte dans un rayon de cinq milles d'Overdale... et ce pour les deux prochaines années (sic). La «justice» frappe dur quand vient le temps de réprimer les locataires qui osent défendre leurs droits!

Des moyens de luttes différents

Le radicalisme et la variété de moyens utilisés lors de cette lutte explique sûrement aussi qu'elle ait eu un tel impact et une telle durée. Les locataires d'Overdale ont utilisé le terrain légal, se livrant à une véritable guérilla juridique à la Régie du logement ou en Cour. Mais ils et elles ne se sont jamais repliés sur ce seul terrain, multipliant plutôt les conférences de presse, les lignes de piquetage et manifestations, les fêtes, mais aussi les actions directes, parfois très spectaculaires.

Mais plusieurs de ces actions ne se sontelles pas soldées par des arrestations et peut-être même par des condamnations ? Oui, mais c'est la police de la C.U.M. qui en a décidé ainsi, souvent d'ailleurs avec un zèle peu commun. Et si les locataires n'avaient pas utilisé ces moyens, leur lutte serait tombée dans l'oubli et il y aurait belle lurette que les promoteurs auraient pu en toute quiétude se débarrasser d'un des derniers stocks de logements à bas loyer du centre-ville de Montréal.

En acceptant les risques d'une lutte aussi radicale, les locataires d'Overdale n'ont pas que défendu leurs logements, ils et elles ont aussi mis sur la place publique, au cœur même de l'actualité, le problème de l'embourgeoisement des quartiers populaires, de l'expulsion des résidant-e-s à faible revenu des centres-villes... obtenant un impact et une visibilité que toutes les enquêtes, toutes les dénonciations, toutes les actions menées sur cet enjeu n'avaient jamais eus. Ces locataires se battaient aussi pour nous, pour nos logements, pour nos quartiers. C'est ce que certains groupes et militant-e-s ont compris en sautant dans la bataille. Nous vivions tous et toutes un peu à Overdale. Et sa victoire ou sa défaite sera aussi la nôtre.

1 Seule une partie infime des locataires (de 12 à 15) sont éligibles au programme de supplément au loyer qui permet de payer un loyer similaire à celui des HLM, soit parce qu'ils et elles sont trop jeunes ou ont des revenus à peine supérieurs au maximum admissible.

2 Cette entrevue peut être vue dans un vidéo d'une rare intensité réalisé par un locataire d'Overdale, Robert Craig. Ce vidéo est disponible en anglais seulement au FRAPRU, (514)522-1010.

3 Programme du RCM, édition 1986, pp. 50 et 51.

LA POINTE SAINT-CHARLES, UN QUARTIER AUX AGUETS

par Suzanne Laferrière

À l'aube des années 80, le quartier Pointe St-Charles (PSC) de Montréal présente le visage typique des quartiers populaires défavorisés. Son stock de logements, délabré, est soumis à l'exploitation du «absentee ownership ». Les incendies foisonnent, et bien que le quartier ait échappé au bulldozage à grande échelle des programmes de rénovation urbaine, de nombreuses démolitions balafrent le secteur. Le quartier perd son monde.

Les préoccupations des gens, à 90 % locataires, portent sur la salubrité des logements et leurs coûts. D'ailleurs, en réponse à ces préoccupations, la Pointe s'est dotée d'un réseau de groupes populaires aptes à défendre les droits des locataires: les Services juridiques communautaires, le Comité de logement issu de la Maison de quartier, et des organismes anglophones en lien avec le défunt Parallel Institute et le St. Columba House, menant des luttes ciblées contre des proprios particulièrement rapaces. Ajoutons à ceci des interventions réalisées par d'autres groupes, dont la Clinique communautaire.

Les années 70 laissent de grandes et de petites victoires populaires. La Pointe a su stopper, en 1973, grâce à une immense mobilisation, un projet d'accès à l'autoroute Ville-Marie qui aurait tronçonné le quartier.

Également, les batailles menées dans la Petite Bourgogne voisine, contre les démolitions massives, conjuguées aux pressions locales pour éviter la reprise du phénomène, ont fait qu'à la Pointe, les autorités municipales ont réalisé des programmes de HLM nombreux et surtout intégrés dans le quartier (essentiellement en rem plissant les emplacements incendiés).

Enfin, on assiste à la Pointe aux débuts des coops d'habitation : d'abord par le projet Loge-Peuple (1970) et plus tard par l'implantation d'un groupe de ressources techniques, le Service d'aide à la restauration de la Pointe (S.A.R.P.).

Années 80: la Ville arrive

En 1981, s'amorce un programme d'interventions municipales qui forcera éven tuellement le réseau communautaire de PSC à dépasser la stricte problématique des « locataires-exigeant-des-proprios-demeilleurs-logis ». Les Programmes d'interventions en quartiers anciens (PIQA) démarrent à la Pointe par l'installation de (célèbres) lampadaires et par une vague d'avis forçant les rénovations. La Ville vise à créer un effet d'entraînement, pour hausser la valeur foncière de secteurs faibles en entrées fiscales.

Les groupes communautaires, alertés, retrouvent un réflexe un peu émoussé par les tensions idéologiques des années précédentes et forment une coalition, «Action-Gardien/Action-Watchdog », pour surveiller le quartier.

On identifie rapidement les impacts des PIQA sur les petits propriétaires résidants (à faibles revenus) : panique et vente sont prévisibles. Les locataires les plus démunis vont aussi écoper, en se faisant refiler la facture des travaux. Premières revendications des groupes : on veut une hausse des subventions à la rénovation, assortie d'un contrôle des loyers. On demande aussi des consultations publiques sur les PIQA.

Plusieurs assemblées publiques confrontent les élus municipaux, et le contexte préélectoral (1982) permettra d'obtenir les subventions demandées. Sans contrôle des loyers... Les groupes communautaires font l'amère expérience des effets pervers de certaines victoires. Les subventions accrues séduisent les contracteurs et petits développeurs ; les loyers triplent. Les propriétaires résidants sont réfractaires aux subventions : ils n'ont pas les sous pour défrayer le reste des coûts (élevés). Quant aux locataires, certains s'insurgent contre ce « cadeau » aux proprios. Ils ne se sentent d'ailleurs que peu concernés, sûrs de se trouver d'autres logis dans le quartier. (Cette dernière attitude se modifiera à mesure que le stock de logements abordables rétréciera.)

Les groupes communautaires rallient toutefois tout le monde en demandant des consultations publiques.

Dès 1982, la Ville, constatant les résistances, et l'augmentation des coûts de son programme, ralentit l'implantation des PIQA.6 Victoire d'Action-Gardien, mais la Ville change bientôt de tactique. Elle intervient en construisant directement des bâtiments à « loyers modérés » (au double des loyers voisins), espérant encore l'effet d'entraînement.

Perplexité à la Pointe : on aime ces constructions neuves, mais pour qui sont ces loyers ? On comprend que la Ville veut attirer une nouvelle population plus rentable. C'est l'époque où l'administration Drapeau-Lamarre, par son « Opération 20 000 logements», parle du retour en ville des banlieusards.7 On retient que l'économie a besoin de ménages consommateurs et de relance de construction. La Pointe aussi ?

La demande venue du quartier

Vers 1983, dans un quartier encore peu touché somme toute (la récession ralentit maints projets), d'importants débats animent les réseaux communautaires. Le message du quartier est limpide : on veut de meilleurs logis. Rien de neuf là-dedans. Faut-il combattre les interventions municipales en démontrant leurs effets sur les plus démunis ? La réponse est OUI, en marchant sur des œufs : tout le monde veut

tellement améliorer le quartier, les chiâleux passent pour misérabilistes. Faudrait-il alors axer nos luttes vers Québec, laisser faire la Ville, et demander une protection juridique des locataires en cas de rénovations ? La démobilisation des mouvements sociaux fait hésiter: l'issue du rapport de force n'est pas évidente, d'autant plus que très peu de quartiers semblent s'organiser sur cette question précise. Par ailleurs, les complexités bureaucratiques d'un contrôle des loyers «post-rénovation» en effraient plus d'un. L'argument prépondérant demeure le temps: une lutte de longue haleine ne donne rien pour empêcher le déplacement des gens du quartier.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit:8 des études montrent que les pressions municipales ont porté fruit. Le mouvement de rénovations s'amorce, les loyers augmentent (même non-rénovés, espoirs de changement obligent), et bien que les nouveaux arrivants ne soient pas des yuppies (on parle plutôt de ménages très moyens, à deux revenus), ils n'en contribuent pas moins au bumping des plus pauvres.

Émerge alors du quartier un nouveau message : «on veut rester dans notre quartier ». Les réseaux communautaires constatent que les locataires, s'ils ne veulent pas se bagarrer pour «leur» médiocre logement, tiennent à ce quartier où ils ont parents, amis et services communautaires.

Un besoin d'espoir et de gains

Le logement social apparaît de plus en plus comme solution au problème double de l'état des logements et du déplacement. Un militant du quartier émet alors l'idée d'un méga-projet de rénovation/construction de 500 logements coopératifs, à réaliser d'ici 3 ans. Les organismes communautaires s'interrogent, et embarquent. Deux «fronts de lutte» s'organisent, complémentaires.

D'une part, la Coalition Action-Gardien continue de surveiller la Ville : on vise à ralentir les transformations. Des stratégies s'élaborent pour rendre visibles les problèmes causés. On demande toujours des consultations publiques.

D'autre part, le « projet St-Charles » se met en branle, par le travail des organisateurs de la Clinique communautaire et du Regroupement Information-Logement. Réunions de cuisine et soirées d'informations se succèdent, et en 84 est lancé un projet regroupant trois cents familles du quartier. Le support technique au Projet est assuré par le R.I.L9

Fin 84, un événement fouette les réseaux communautaires. L'administration Drapeau-Lamarre lance, sans en débattre au Conseil de Ville, un « Schéma d'aménagement pour Pointe St-Charles et le Canal Lachine » : les intentions y sont de rénover largement le quartier, et de transformer la zone du Canal Lachine en secteur de «condos» huppés, en misant sur la proximité du centre-ville et le cadre pittoresque du Canal pour lancer la gentrification du secteur.

Aux appréhensions, confirmées, des groupes s'ajoute la conscience nouvelle du rôle de l'emploi dans la détérioration du quartier. La récession économique de 198084 a vu plusieurs usines fermer leurs portes. Le pourcentage d'assistés sociaux est passé de 40 % à 55 %. Une manifestation en 1985, contre les condos « îlots Cantin » près du Canal protestait aussi contre la fermeture de l'usine Sherwin-Williams. Mais une période de relations difficiles et un long rodage de stratégies seront nécessaires avant qu'en 1985-86, les groupes impliqués dans l'habitation et ceux travaillant à la relance de l'emploi produisent un document d'urbanisme populaire, le « Schéma alternatif d'aménagement », où se réalise l'articulation des revendications des uns et des autres, et donne une plate-forme de revendications à la table d'Action-Gardien.

En 1986, les réseaux communautaires ont enrichi leur vocabulaire : déplacement de population, gentrification, désindustrialisation. Mais ils ont également mis en place une armature d'organisations qui répondent à ces problèmes de fond.

De nouvelles problématiques appellent des interventions du quartier. L'exemple de la transformation de la Sherwin-Williams en condos ouvre la voie à une action sur l'environnement (la question des sols contaminés) qui touche à la fois les fonctions résidentielles et industrielles, et relève d'une vision globale des besoins du quartier.

La formule de la Table de concertation des groupes apparaît importante. Plusieurs mémoires sont produits, par la Table, à cette époque, pour faire valoir les besoins de la Pointe : dans des enjeux de développement montréalais : Schéma de la communauté urbaine, audiences sur le VieuxPort, etc.

Parallèlement à ce travail de représentation, le travail de quartier continue. Le Projet St-Charles, se battant aux niveaux municipal, provincial et fédéral gagne lentement des unités coops.10

L'année 86 voit aussi les groupes intervenir dans la campagne électorale municipale, emportant du RCM des promesses quant à la sauvegarde du caractère industriel du Canal, et à l'aide du projet St-Charles. Depuis lors, les travaux des groupes s'orientent pour obtenir ou gérer la réalisation de ces promesses, auxquelles s'ajoute celle de consultations publiques sur le développement du quartier.

Que sera Pointe St-Charles dans dix ans ? Il est fort peu probable que de nouveaux enjeux de fond s'y développent : les prochaines années verront se perdre ou se gagner le rapport de force enclenché déjà d'un quartier à contre-courant des tendances dominantes du développement urbain.

CÔTE-NORD : LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE

par Robert Giguère

Pour bien des gens, la Côte-Nord c'est Natashquan, le pays de Vigneault, des barrages, des bouleaux, des sarcelles et ça s'arrête là.

La Côte, comme on dit ici, c'est 1300 km de littoral (dont 600 accessibles par bateau ou par avion uniquement), que peuplent plus de 110 000 personnes. C'est avant tout la chasse-gardée des multinationales qui, au gré de leurs besoins, édictent le développement de certaines villes, la stagnation d'autres, quand ce n'est pas la mort de celles-ci (Shefferville, Gagnon). Bassin de main-d'œuvre où le sous-développement se fait vite oublier grâce à l'éclat du discours des multinationales (largement repris par les politiciens locaux).

Loin des centres de décisions, la région souffre de la méconnaissance liée à l'éloignement. Les infrastructures routières, culturelles et sociales en témoignent. La situation du logement social n'est pas différente. Les premiers pas du logement social sont intimement liés à la problématique des régions éloignées.

Les premiers pas du logement social

II y eut en premier lieu l'apparition des H.L.M. qui ont été et sont toujours, du moins en région, octroyés pour payer des dettes politiques ou mousser le prestige de la petite élite locale. On ne peut parler d'un plan de développement du logement H.L.M., plan pourtant nécessaire pour répondre adéquatement aux besoins des populations les plus démunies.

Ici comme ailleurs, le développement d'outils pour répondre aux besoins des mal-logés ne passe pas par une concertation avec le milieu qui se traduirait par un développement plus harmonieux, plus apte à répondre aux besoins.

Cet état de fait entraîne des carences comme l'absence de logements sociaux dans certains villages aux besoins criants en même temps que la disponibilité de logements H.L.M. dans d'autres municipalités, causée soit par une typologie inadéquate (ex.: manque de logement pour familles), soit par un emplacement excentrique ou une surestimation du nombre de logements pour les besoins du milieu.

Les coops et OSBL: une lutte pour la reconnaissance

L'apparition d'un programme de logement pour les coopératives et les organismes sans but lucratif (O.S.B.L), ainsi que d'un programme de soutien aux groupes de ressources techniques (G.R.T.) a été le point de départ du logement autogéré dans la région.

Ce n'était pas tout d'implanter un G.R.T., il fallait que cet outil que l'on venait de créer puisse venir en aide aux gens et répondre à leurs besoins.

D'abord rattachés au bureau de la S.C.H.L. de Sept-lles pour études, les dossiers coops furent transférés au bureau de la S.C.H.L. de Québec. Coïncidence ?

Bien qu'avec un taux de vacance de 0,6 %, des prix de logement supérieurs à ceux des centres urbains, une liste d'attente de plus de cent cinquante noms pour des logements coops et aucune unité coop et OSBL à Baie-Comeau, la S.C.H.L. ne reconnaissait pas le besoin.

C'est alors que fut mise en branle une vaste campagne pour la reconnaissance de l'existence de la région et plus spécifiquement de Baie-Comeau. Une bataille en règle s'engagea.

Mobilisation, manifestation, campagne d'appuis publics, contact auprès de politiciens étaient à l'agenda quotidien.

Après plusieurs mois de pressions populaires, la S.C.H.L. reconnaissait le droit à la région d'avoir ses premières unités de logement coopératif.

Cette victoire cachait une autre réalité que l'on ne tarderait pas à découvrir, le manque d'unités...

Comme partout ailleurs au Québec, la question du petit nombre d'unités disponibles fut un obstacle majeur au développement du logement social.

La question des programmes de logement

Une autre question plus spécifique nous touche avec autant d'acuité, soit la performance des programmes de logement, incluant les programmes de logement social, dans une région comme la nôtre.

En ce qui a trait au programme fédéral des coopératives (mieux connu sous le nom de P.H.I.), il est difficilement applicable pour ne pas dire impossible à appliquer hors des agglomérations urbaines.

Ceci signifie, pour nous, l'application de ce programme dans un seul centre urbain, soit Baie-Comeau. Considérant que la situation du marché et de l'économie à Port-Cartier et Sept-lles, deux seuls autres centres urbains, est en régression constante depuis quatre ans, la S.C.H.L. refuse d'y intervenir.

En ce qui concerne le programme privé sans but lucratif du gouvernement provincial, le principal problème est sans doute la façon avec laquelle on attribue les unités de logements.

Depuis le début de ce programme (1986), la région ne s'est vu octroyer que 13 chambres à coucher pour personnes âgées, donc 13 unités sur les 24 possible. Ce qui prouve le peu d'intérêt que montre la S.H.Q. à s'impliquer chez nous. De plus, le processus de sélection des projets favorise davantage l'élément de performance économique des projets que les besoins.

Suite au peu de résultat obtenu malgré la demande (56 logements demandés en 3 ans), les pressions se sont faites plus fortes pour la reconnaissance des problèmes de logements sur la Côte-Nord. Encore une fois, pétitions, contacts avec les médias, occupation du bureau du député...

A tout cela s'ajoutent les budgets inadéquats pour assurer un développement de la formule de logement social partout sur le territoire.

Après 10 ans, le logement social sur la Côte-Nord se retrouve aujourd'hui à la case départ. Le nombre d'unités de logement, la façon d'attribuer ces unités, l'impossibilité d'accès à ces programmes pour une grande partie de la population, la non-reconnaissance des besoins de la région font toujours partie de notre réalité.

LES COOPS À LA CROISÉE DES CHEMINS

par Louise Constantin

Au Québec, on s'entend pour faire remonter à 1968, avec la fondation de la Fédération Coop-Habitat, l'origine de la formule coopérative locative à possession continue telle que nous la connaissons aujourd'hui.11 Toutefois, c'est à partir de 1977, alors qu'on recense trente-trois coops existantes selon cette formule, que la création du Programme Logipop de la Société d'Habitation du Québec (SHQ) donne son envol au développement des coops d'habitation.12 En 1988, on peut représenter le mouvement québécois des coopératives d'habitation comme suit :

  • près de 17 000 unités de logement pour un total de 1000 coops logeant 35 000 personnes;
  • fédérations régionales;
  • un regroupement provincial de coopératives, la Confédération québécoise des coopératives d'habitation (CQCH);
  • 35 groupes de ressources techniques (GRT), organismes voués au développement de nouvelles coops;
  • un regroupement provincial de GRT, la Coordination nationale des GRT (CNGRT);
  • 22 sociétés acheteuses au service du mouvement, dont 13 opérationnelles;13
  • un regroupement canadien de coops et de GRT, la Fondation de l'habitation coopérative du Canada (FHCC).

Les différentes composantes du mouvement coop s'inspirent, dans leur fonctionnement, des six principes suivants, adoptés en 1966 par l'Alliance coopérative internationale:

  • Adhésion libre et volontaire
  • Contrôle démocratique
  • Intérêt limité sur le capital
  • Ristourne aux membres
  • Éducation coopérative
  • Intercoopération

D'autre part, au Québec, le mouvement adhère à un Manifeste, adopté à Sherbrooke à la deuxième Assemblée générale provinciale des coops d'habitation en 1977 :

  • Une saine politique d'habitation doit reconnaître le droit de tous au logement et appliquer ce droit dans les faits pour satisfaire les besoins de tous en matière d'habitation plutôt qu'à favoriser du profit pour quelques personnes.
  • Pour répondre aux besoins des gens en matière de logement et favoriser des rapports humains et sociaux égalitaires tout en favorisant la prise en charge par chaque individu de son droit de se loger convenablement, nous préconisons le développement d'un authentique mouvement de coopération dans le secteur de l'habitation.
  • Un mouvement coopératif en habitation doit permettre à tous d'avoir accès à un logement convenable, un coût convenable. Un mouvement coopératif en habitation doit toujours reposer sur l'initiative des membres eux-mêmes, respecter et favoriser la participation active et le contrôle par les membres des projets particuliers et du mouvement dans son ensemble. Une habitation coopérative doit constituer et demeurer une propriété collective, qui ne cherche pas l'accumulation individuelle de capital, mais plutôt l'accumulation d'un capital collectif.
  • Le mouvement coopératif en habitation doit éduquer et former ses membres et élargir leurs horizons aux autres dimensions et problèmes de leur quartier et de la société.
  • La coopération dans le domaine de l'habitation n'a de sens et d'avenir que si les divers projets s'unissent au niveau régional et national, afin de permettre des échanges enrichissants entre les coopératives et de promouvoir et défendre les principes garantissant le développement harmonieux et authentiquement coopératif du mouvement.

Les membres des coops d'habitation

Mais qui dont sont les membres des coops à la base de ce vaste mouvement ? Pour justifier leurs réductions budgétaires aux programmes de développement des coops, les gouvernements prétendent souvent qu'ils ne s'adressent pas à la couche de population qui en a vraiment besoin. Ils laissent ainsi entendre qu'on trouve dans des coops des ménages de classe aisée, gagnant 35 000 $ et plus.

Pour faire échec à ces arguments et, par la même occasion, dresser un portrait global des membres des coops d'habitation, la Coordination nationale des GRT entreprend en 1987 une vaste étude statistique.14 Les données préliminaires de cette étude permettent d'établir les faits suivants.

Base de recrutement. Pour ce qui est de la nature des logements coopératifs, on retrouve la répartition suivante: 57,2% proviennent de projets d'achat-rénovation, 26,1% de construction neuve et 16,8% d'immeubles recyclés. Or, 44,2% des logements rénovés sont occupés par les locataires qui y vivaient avant que la coop n'en devienne propriétaire. «Si on tient compte à la fois de ce groupe et de ceux qui ont été recrutés dans le même quartier ou la même municipalité, on établit à 86,3% la proportion de membres recrutés sur une base locale. Ces résultats illustrent bien la capacité des coopératives d'habitation à maintenir dans les lieux les résidants d'un immeuble ou d'un quartier».15 (C'est nous qui soulignons.)

Composition des ménages. C'est principalement aux types de ménages qui ont le plus de difficultés à se loger que les coops donnent la priorité dans leur recrutement. Ainsi les couples avec enfants, les femmes seules et les familles monoparentales constituent 73,5 % de la population des coops d'habitation.

Niveau de revenu des ménages. Jusqu'à ces deux dernières années, où les gouvernements fédéral et provincial ont mis au point de nouveaux programmes de soutien au développement des coops, ces dernières appliquaient le principe de la mixité des revenus. Les coops évitent ainsi de devenir des ghettos, tout en favorisant les ménages à revenu modeste. Ces derniers se répartissent ainsi :

  • 86,2 % des ménages déclarent un revenu de 28 000 $ et moins ;
  • 65,5 % un revenu de 19 000 $ et moins ;
  • 50,6 % un revenu de 15 000 $ et moins ;
  • 40,5% un revenu de 13 000 $ et moins.

En outre, 42,6 % de ces ménages reçoivent un soutien financier sous forme d'aide de dernier recours (fédéral), de supplément au loyer ou de Logirente (provincial). Il s'agit à 64,4 % de familles monoparentales et à 55,8 % de femmes seules.

Comme on le voit, les coops ont gagné l'un des paris les plus difficiles de la problématique du logement, soit réussir à la fois à maintenir et à améliorer le stock immobilier existant dans les quartiers anciens en évitant d'en chasser la population traditionnelle et de constituer des ghettos.

Les grandes dates dans l'histoire du mouvement coopératif16

1941 : Formation de la première coop d'habitation, « La Coopérative d'habitation d'Asbestos», coop de construction de 15 maisons unifamiliales; la coop se dissout lorsque la maison est construite.

1948: Naissance de la «Fédération des coopératives d'habitation» qui donne des services aux 40 coops de construction formées.

1968: Transformation de la Fédération qui devient la «Fédération Coop-Habitat du Québec» et qui s'engage dans la construction de coops locatives à possession continue plutôt que de maisons unifamiliales.

1971: Faillite de Coop-Habitat avec un déficit de 4 millions $. Bilan : 13 ensembles domiciliaires regroupant 1432 logements valant 22 millions $.

1972: Divers comités de citoyen-ne-s commencent à considérer la formule coop comme une solution aux problèmes de logement.

1973: Amendement à la Loi nationale de l'habitation du Canada pour favoriser le financement d'organismes sans but lucratif et de coops dans le secteur de l'habitation.

1975:16 coops seulement se sont formées. Mise sur pied du premier programme fédéral d'aide au développement de coops d'habitation.

1976: Première Assemblée générale des coops d'habitation regroupant 7 ou 8 coops à St-Hyacinthe où l'on décide de se donner une organisation provinciale.

1977:33 coops existantes. Naissance de la première fédération régionale, la « Fédération des Cantons de l'Est des coopératives d'habitation (FRCECH) ». Adoption du Manifeste des coops d'habitation à la deuxième A.G. tenue à Sherbrooke. Résolution de préparer un projet de reconnaissance juridique pour une éventuelle Fédération des associations coopératives d'habitation du Québec (FACHQ). Création du Programme Logipop de la Société d'habitation du Québec (SHQ) qui accorde des subventions de démarrage et de capital aux coops et une subvention de fonctionnement de 50 000 $ aux GRT qui ont comme mandat d'offrir un soutien technique au développement de nouvelles coops.

1978: Coup d'envoi à la mise en place du « Regroupement des coopératives d'habitation du Québec ».

1979: 120 coops existantes. Mise en place d'un nouveau programme fédéral, le Programme 56.1. Opposition massive à ce nouveau programme avec la parution d'un mémoire du Regroupement des coops intitulé Pour une politique d'habitation coopérative au Québec ; la Fédération des Cantons de l'Est inscrit sa dissidence sur ce mémoire. Refus du ministère des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières d'accorder une reconnaissance juridique à la FACHQ. Décision de remettre à plus tard le projet de fédération provinciale et de s'orienter plutôt sur des organisations régionales légalement constituées prise à la quatrième A.G. des coops d'habitation. Décision de la Société de développement coopératif (SDC), organisme provincial, d'intervenir dans le domaine de l'habitation et création de la SDC-Habitation.

1980: 258 coops existantes. Scission du mouvement à la cinquième A.G. à Aylmer : 9 coops de l'Outaouais et des Cantons de l'Est décident de mettre sur pied une fédération provinciale, alors que 34 autres souhaitent s'en tenir à l'élaboration d'organisations régionales. Sommet sur la coopération organisé par le Gouvernement du Québec qui annonce la création d'une subvention d'aide à la rénovation (Loginove), et l'augmentation de la subvention de capital versée aux coops.

1981: Incorporation de la «Fédération régionale des coopératives d'habitation de Québec» (FRECHAQ). Parution du Manifeste des GRT de l'Est du Québec. Septième A.G. provinciale à Québec où l'on décide de mettre sur pied le Comité national de stratégie (CNS) formé de représentant-e-s de chaque regroupement ou fédération et chargé de donner des suites aux propositions de l'A.G.

1982:385 coops existantes. Campagne conjointe des coops et des GRT pour faire augmenter les budgets fédéraux destinés aux coops d'habitation. Parution de Pour une corvée coopérative en habitation, mémoire de l'Association des travailleurs et travailleuses des GRT de Montréal.

1983: 602 coops existantes. Incorporation de la «Fédération des coopératives d'habitation de l'île de Montréal» (FECHIM) et de la «Fédération des coopératives d'habitation montérégiennes» (FECHAM). Entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les coopératives (provinciale).

1984: 751 coops existantes. Mise en place du Programme intégré québécois (PIQ). Assemblée publique réunissant plusieurs centaines de coopérateurs-trices à Montréal en vue de protester contre les réductions budgétaires draconiennes apportées au programme 56.1 par le gouvernement fédéral. Dixième A.G. provinciale à Québec : résolution de former une Table de concertation avec les intervenants gouvernementaux québécois afin d'élaborer un nouveau programme de financement destiné aux coops d'habitation ; proposition d'acquisition de la SDC-Habitation par le mouvement. Fermeture de la SDC-H.

1985: 830 coops existantes. Incorporation de la « Fédération des coopératives d'habitation de l'Outaouais » (FECHO). Premières démarches de formation d'une Table de concertation avec le Ministère des Affaires municipales et de l'Habitation, le Ministère de l'Industrie et du Commerce et la SDC. Participation des GRT et de fédérations de coops au Front commun sur le logement social initié par le FRAPRU ; production de Pour un véritable développement des coopératives d'habitation. Fondation officielle du Conseil québécois d'habitation populaire CQCH par les cinq fédérations existantes.

1986: 961 coops existantes. Formation de la Coordination nationale des GRT (CNGRT) par les trois regroupements de GRT (île de Montréal, CORAH et Montérégie). Abolition du Programme 56.1 au profit d'une nouvelle formule, le Prêt hypothécaire indexé (PHI). Remplacement du Programme intégré québécois par un nouveau programme à deux volets catégorie I, destinée exclusivement aux ménages à faible revenu ; catégorie II, pour une clientèle mixte, abolie après un an d'existence.

1987: Dissolution du Conseil québécois d'habitation populaire et fondation officielle de la Confédération québécoise des coopératives d'habitation. Annonce par le ministre Bourbeau de l'abolition progressive de la subvention de 50 000 $ aux GRT.

1988: Campagne pour réclamer le soutien des GRT et un nouveau programme québécois organisée par la CNGRT ; 8000 cartes postales remises au Premier ministre Robert Bourassa. Douzième colloque provincial où les participant-e-s réaffirment leur adhésion au Manifeste de 1977; toutefois, la perspective de développement des coops à capitalisation fait aussi son chemin. Restructuration de la CNGRT et création d'un regroupement provincial formel de GRT. Proposition d'un nouveau programme québécois axé sur la rénovation et s'adressant aux ménages à revenu faible et modeste présentée au Gouvernement du Québec par la CQCH. Démarches de «fédéralisation» entamées par diverses régions : SaguenayLac-St-Jean, Bois-Francs, Laval, Basses-Laurentides, GaspésieIles-de-la-Madeleine.

Les coops d'habitation et les luttes urbaines

Comme on vient de le voir, l'histoire du mouvement coopératif se caractérise par de nombreuses et diverses expériences de structuration (la «structurée» !), mais aussi par de multiples campagnes de revendication. De façon générale, le développement des coops d'habitation a été lié de près aux luttes menées par les locataires et la population des quartiers populaires dans les années 70 et 80. Les premiers GRT, par exemple, sont pour la plupart issus de comités de citoyen-ne-s ou formés par des étudiant-e-s en architecture, en urbanisme ou en travail social engagé-e-s dans l'action communautaire.

Ces luttes ont porté sur plusieurs enjeux et se sont souvent soldées par des victoires. Retenons les plus mémorables :

Résistance à la démolition massive de logements dans les vieux quartiers

1975 à 1978, à Québec : Longue lutte victorieuse de la coopérative de la rue St-Gabriel, dans le quartier St-Jean-Baptiste, qui réussit à sauver les maisons du côté sud de cette rue et à maintenir la population en place et ce, dans des logements restaurés.

Résistance à l'expansion du centre-ville et à la transformation de quartiers populaires résidentiels en secteurs de commerces, de bureaux et de logements luxueux

1968-85, à Montréal : Lutte ardue du quartier Milton-Parc contre le méga-projet Concordia qui supposait la démolition de rues entières. Si une partie du projet Concordia La Cité a malgré tout été menée à terme, la mobilisation populaire a conduit à la réalisation du plus vaste complexe de rénovation coopératif et

sans but lucratif au Canada, comprenant une vingtaine d'organismes et 600 logements ou chambres répartis sur plusieurs rues.18

Depuis un an, des locataires d'un petit îlot oublié de Montréal, Overdale, vivent une situation semblable à celle de Milton-Parc. Ils et elles ont formé la Coop Overdale pour lutter contre la démolition de leurs maisons et l'implantation de logements et de bureaux de luxe par la Galleria Dorchester.

Lutte pour l'appropriation de terrains pour la construction de logements sociaux dans les quartiers populaires

1981 à 1986, à Montréal : lutte épique de la population du quartier Rosemont, à l'occasion de l'aménagement des immenses terrains des usines Angus, pour la construction de 2000 logements sociaux, dont un nombre important de coopératives d'habitation.19

Lutte contre l'embourgeoisement ou la « gentrification » des quartiers populaires

Depuis 1985, à Montréal, le Projet St-Charles revendique, dans le quartier du même nom, la production de 500 logements sociaux, dont des coops de rénovation, et lutte contre la spéculation immobilière et la transformation d'usines désaffectées en condominiums de luxe.

Les enjeux et les questionnements actuels

a) L'identité

Né des luttes populaires sur le front du logement, le mouvement coopératif se reconnaît-il toujours comme une forme de logement social ou ne manifeste-t-il pas plutôt une tendance croissante au « corporatisme » ? Certains indices nous incitent à pencher pour la seconde hypothèse, notamment l'absence de gestes de solidarité envers les luttes entourant les autres formes de logement social (mais l'inverse est également vrai), le remplacement progressif des « militant-e-s » par des « experte-s » parmi le personnel des GRT et des fédérations et même l'intégration des GRT effectuée par certaines fédérations, ce qui risque d'éliminer chez ces derniers la mission de groupes populaires voués à la réalisation de logements sociaux, peu en importe la forme. Notons toutefois que, depuis l'introduction du PHI qui officiellement ne fait plus partie des programmes sociaux, un nombre croissant de GRT se perçoivent davantage comme des organismes professionnels au service d'une formule de propriété particulière, soit la formule coopérative.

Ce clivage entre le logement social et le logement coopératif est une source de division à l'intérieur du mouvement qui, d'une part, limite sa force de pression sur l'État et, d'autre part, gêne sa croissance et son intégration.

b) Le développement

Le développement soulève la question du genre de coops dont le mouvement souhaite voir la réalisation. Avec l'implantation du PHI par le gouvernement fédéral et du Programme québécois, catégorie I, les coops réalisées depuis les deux dernières années rejoignent deux clientèles distinctes, soit la classe moyenne et la couche la plus démunie de la société, tout en laissant de côté la couche intermédiaire, à revenu modeste, qui formait traditionnellement la clientèle principale des coops.

Ce manque de contrôle du mouvement sur son propre développement entraîne les conséquences suivantes :

  • la relance de la revendication d'un programme québécois de coopératives d'habitation ;
  • la recherche de l'autonomie financière du mouvement, à partir de la capitalisation sur un actif de plusieurs dizaines de millions de dollars ;
  • la recherche de nouvelles formules de coops, dont celle de la coop à capitalisation individuelle.

Cette dernière formule, qui a donné lieu à une première expérimentation dans les Cantons de l'Est et qui semble susciter un grand intérêt dans le Mouvement Desjardins, provoque beaucoup de remous à l'intérieur du mouvement. Elle semble en effet aller à rencontre du Manifeste de 1977, qui affirme de façon

catégorique la priorité absolue de la capitalisation collective sur la capitalisation individuelle et ceci, en vue de faire échec à la spéculation immobilière et d'assurer le droit au logement des couches plus démunies de la société.20

À l'heure actuelle, la Confédération (CQCH) s'est engagée à réaliser une étude de faisabilité sur les coops à capitalisation. Ce sujet, qui est une source de différends idéologiques à l'intérieur du mouvement, pose la question plus fondamentale de son autonomie quant à son propre développement, son soutien financier, son indépendance, tout au moins partielle, des programmes gouvernementaux et son rôle d'agent économique intermédiaire dans la société.

c) L'éducation coopérative

Outre ces considérations politico-économiques, il importe de se rappeler que le fondement même de tout mouvement coopératif réside avant tout dans ses membres. C'est d'abord le vécu des membres dans leur coop individuelle qui détermine, en bonne partie, l'importance accordée au principe de Pinter coopération et, en conséquence, l'adhésion aux structures du mouvement comme les fédérations et l'implication humaine et financière sur laquelle se fondent ses grandes orientations et sa force de pression.

Et comme il est nécessaire, dans une coop, d'entretenir régulièrement ses immeubles, il importe tout autant d'assurer « l'entretien » de ses ressources humaines par une formation continue. C'est ainsi que, dès les débuts, les GRT et, par la suite, les fédérations se sont inspirées du cinquième principe international du coopératisme, celui de l'éducation, et de l'expérience d'éducation populaire acquise dans le milieu dont ils étaient issus pour offrir des activités de formation aux membres des coops.

L'éducation coopérative s'est attaqué principalement à deux défis. En premier lieu, il s'agissait de démontrer que, avec une formation appropriée, des personnes pour la plupart dépourvues d'une instruction poussée et d'une spécialisation professionnelle, pouvaient assumer la gestion d'ensembles immobilier. Après une douzaine d'années d'existence, la preuve est faite. Les membres des coops gèrent, de façon collective et décentralisée, un actif de plusieurs dizaines de millions de dollars, sans que se soient produits de problèmes majeurs liés à des faillites, des fraudes ou d'autres problèmes administratifs, comme c'est régulièrement le cas dans le secteur privé (exemple récent: le Groupe Paré).

Le second défi concerne l'apprentissage de la vie en commun. La coop d'habitation se présente en effet non seulement comme une association socio-économique, mais aussi comme un milieu de vie. Cette double caractéristique influe sur les rapports qu'entretiennent les membres entre eux et détermine ce qu'un chercheur a nommé un « réseau politico-affectif ».21 Aussi, à la demande croissante des coops d'habitation, les activités de formation mises au point dernièrement portent-elles de plus en plus sur l'intervention organisationnelle, la résolution de problème et la médiation des conflits.

En somme, les activités de formation menées dans le mouvement illustrent que les coops d'habitation ne sont pas que des structures ou des coquilles vides, mais d'abord et avant tout des institutions à l'échelle et au visage humains.

Conclusion

L'historique qui précède a voulu présenter un mouvement qui, issu des luttes sociales et du bouleversement des valeurs des années 60 et 70, a connu une croissance extrêmement rapide et démontré un dynamisme remarquable sur le plan de l'évolution structurelle et des activités réalisées. Enfin, il s'agit d'un mouvement en plein questionnement qui, tout en voulant conserver un visage humain et un mode de fonctionnement alternatif, cherche en même temps à faire sa place dans une société dominée par l'entrepreneurship et la loi de la concurrence.

LA DIFFICILE ORGANISATION DES LOCATAIRES DE HLM

par Denyse Lacelle

Une organisation des locataires de HLM... Le défi, de prime abord, est tentant. Tellement que les tentatives furent nombreuses... avec des niveaux de succès pour le moins variables.

Les quelques pages qui suivent ont pour objet de présenter rapidement quelques succès, ainsi que l'espoir jusqu'à maintenant fragile que représente l'Association provinciale des locataires de logements municipaux du Québec (APLLMQ) créée en 1979 et regroupant aujourd'hui une centaine d'associations locales.

Être locataire de HLM?

Avant de parler des organisations que se donnent les locataires de HLM, il convient peut-être de dresser un rapide tableau de qui sont ces locataires.

Être locataire de HLM, c'est faire partie d'un vaste groupe de plus de 100 000 personnes ayant en commun d'habiter les 54 000 logements à loyer modique gérés par près de 300 offices municipaux d'habitation selon des règles fixées à Québec. C'est aussi vivre avec de très modestes revenus (seulement 20 % des locataires de HLM ont un revenu de travail.

Beaucoup habitent en HLM depuis un bon 15-20 ans... et pas toujours parce qu'ils l'ont demandé (qu'on pense aux nombreuses victimes des opérations bulldozer...). Pour ceux et celles qui l'ont voulu, l'attente fut souvent très longue : 3-5-7 parfois même jusqu'à 10 ans... Heureux d'y être enfin, ils vivent dans la peur d'être expulsés.

Une peur entretenue par deux facteurs principaux : compte tenu des critères de sélection, les locataires de HLM sont parmi les plus mal-pris de la population ils sont donc particulièrement vulnérables... et les Offices municipaux en profitent : les cas d'intimidation, c'est pas rare! Ils vivent également dans le mépris. À chaque demande, à chaque revendication, ils courent le risque de se faire répondre une fois de plus que s'ils ne sont pas contents, ils peuvent toujours s'en aller...

Avec tout ça, ils ne vivent tout de même pas au paradis : les problèmes d'entretien et de réparations sont nombreux... et le loyer pas toujours si « modique ». Le fameux 25%, c'est le loyer de base, calculé sur le revenu brut - et auquel s'ajoute une série de charges supplémentaires. Mais c'est somme toute beaucoup mieux que le marché privé.

Des «ghettos d'inoccupés»

Les critères de sélection, on l'a dit, font en sorte que les locataires de HLM sont massivement des gens dépendants de l'État : ils attendent impatiemment, à chaque mois, leur chèque d'aide sociale ou de pension. Et ça ne changera pas : si les critères de sélection font en sorte d'éliminer les travailleur-euses à l'arrivée, le règlement sur la fixation du loyer, lui, décourage de se trouver du travail une fois entré : «À quoi ça sert de chercher à augmenter ses revenus, s'ils sont pour repartir en loyer ?».

On est donc là, sans travail. Un des premiers besoins ressentis, c'est donc de s'occuper à quelque chose d'où la prolifération des « comités de loisirs ».

Si la tentation peut être forte de les considérer d'un œil méprisant, il ne faut pas en négliger les aspects positifs. Les comités de loisirs, c'est tout de même des aires de liberté, des lieux de regroupement et de prise de parole, des lieux où se brise l'isolement.

Le besoin de parler à quelqu'un, le besoin de se livrer à une occupation valorisante, ce sont des besoins fondamentaux, et vécus quotidiennement. Et les comités de loisirs y répondent.

Ceci étant dit, ça n'empêche pas de voir que ces comités ne sont pas toujours des modèles de démocratie... et qu'ils servent parfois les grandes et petites envies de pouvoir de quelques-une-s...

Mais surtout, il ne faut pas oublier que c'est là le mode d'organisation des locataires privilégié par les Offices, au détriment de «vraies» associations de locataires...

Parce que des problèmes, y'en a!

Si on peut distinguer deux grandes tendances au niveau de la SHQ et des Offices, c'est bien, d'une part, de chercher à augmenter les loyers le plus possible et d'autre part de resserrer les contrôles sur les locataires autant que faire se peut.

Le récent mémoire produit par l'Office de Montréal est éloquent à ce niveau. À titre d'exemple, on y parle de charger du loyer pour toutes les personnes majeures (et certaines personnes mineures) indépendamment de leur revenu. On y parle également d'obtenir le pouvoir d'engager des poursuites judiciaires...

Depuis plusieurs années, les locataires de HLM ont fait face à une série de mesures allant en ce sens. Au niveau du coût du loyer, l'événement majeur fut sans nul doute le décret de '82, abolissant l'échelle progressive Rogers et mettant en place un nouveau calcul dont l'effet concret et immédiat fut une augmentation substantielle des loyers de la majorité des locataires. Une série d'autres charges et coupures font effet d'augmentations déguisées - dont les coupures au niveau des laveuses et sécheuses ou encore sur la peinture.

Les réductions de personnel entraînent une dégradation constante des services, principalement au niveau de l'entretien et des réparations. En parallèle de telles situations, les contrôles de la vie privée vont s'accroissant... et bon nombre d'associations de locataires végètent toujours se faisant refuser et reconnaissance et financement...

A tout ceci s'ajoutent les pratiques plus ou moins frauduleuses de certains Offices, telles la politique de l'Office de Montréal, qui ajoutait au revenu du chef de ménage une présumée pension, présumément payée par les enfants non-considérés comme indépendants. La détermination d'une locataire, Mme Parent, et le soutien actif du FRAPRU, auront permis une double victoire, à la Régie du logement et en Cour provinciale. Victoire qui se solda par le remboursement d'un million de dollars à un ensemble de 900 locataires qu'on avait ainsi illégalement augmentés.

Des problèmes, donc, y'en a ! Les réactions à ces coupures, décrets et contrôles démontrent clairement les grandeurs et misères de la mobilisation des locataires de HLM.

La lutte contre le décret

Sitôt annoncé, le décret de '82 a soulevé un tollé de protestations, d'un bout à l'autre de la province. L'aspect le plus particulièrement contesté de ce décret concernait l'inclusion du revenu des enfants dans le calcul du loyer. Cet ajout avait pour effet, argumentait-on, de chasser les enfants du foyer familial.

La défense de la famille devint donc le thème principal d'opposition au décret.

L'APLLMQ suivit ses troupes dans la bataille : lobbying auprès du gouvernement et de la SHQ, lettres dans les journaux... et même deux manifestations de quelques centaines de personnes... Le décret fut amendé à deux reprises et les clauses les plus choquantes furent retirées.

Comme la bataille n'avait porté que sur ces « clauses choquantes », il n'est pas étonnant que la ligne de fond n'ait pas été touchée : l'abolition de l'échelle progressive et du loyer-plafond ainsi que la modification des revenus considérés.

La tension était forte, cependant, tant sur la façon de mener la lutte que sur l'évaluation des gains : fallait-il ou non poursuivre la bataille après les amendements ? Ces tensions furent particulièrement vives entre la structure provinciale de l'Association et le comité régional de Montréal. Débat encore envenimé par le fait que le CR de Montréal n'était pas, en tant que comité, organiquement lié à l'APLLMQ.

Les interprétations courent toujours sur les responsabilités de chacune des parties dans cette affaire. Il n'en reste pas moins que le CR de Montréal (qui défendait une position peut-être juste, mais un peu au-delà de ses capacités réelles de mobilisation : la grève des loyers) se retrouva à fonctionner indépendamment de l'APLLMQ. Scission de la part de Montréal ou expulsion de la part du national, on peut toujours discuter...

Les difficultés d'une organisation... pourtant nécessaire

Le bilan de cette lutte n'a donc rien de glorieux. Un thème de revendication qui ne vise pas les éléments essentiels, une mobilisation hésitante en hauts et en bas, une fin de lutte en queue de poisson, sans bilan.

On retrouve un peu la même dynamique, souvent en pire, sur la majorité des thèmes abordés par l'APLLMQ, congrès après congrès. Si les résolutions de congrès sont souvent intéressantes, l'absence de travail entre les congrès fait en sorte que l'Association continue de vivoter. Faut avouer que dans la situation qui prévaut depuis sa fondation, rien n'est facile: l'Association regroupe, sans secrétariat permanent, quelque

150 comités de locataires locaux, lesquels fonctionnent tant bien que mal sans permanence non plus, et s'occupent principalement à organiser des activités de loisirs. L'APLLMQ n'a pas les moyens, à l'interne, ni de se développer, ni de soutenir le développement politique et organisationnel de ses membres.

Des ressources extérieures -organisateur-trice-s communautaires de CLSC, Ozanam, le FRAPRU -ont permis de combler les principales lacunes, de colmater les brèches... Mais personne n'est en mesure de faire de l'extérieur ce qui devrait être fait par en-dedans.

Le « pattern » qui se dessine est donc le suivant : si certaines mesures, locales ou nationales, provoquent une mobilisation, à la base, des comités de locataires, ceux-ci, dépourvus d'une certaine expérience politique, de ressources techniques et de soutien réel de leur association provinciale, ne peuvent que se lancer tête baissée dans une protestation qui s'essouffle rapidement.

Au niveau national, donc, rien de bien réjouissant en ce qui concerne l'organisation des locataires de HLM. Le potentiel est pourtant immense : il n'est pas vrai qu'il soit impossible de faire des choses. Et le dynamisme de certaines associations locales le prouve.

Quelques exemples

Berri-Lajeunesse

II a été question un peu plus haut des coupures au niveau des laveuses et sécheuses.

Si ces coupures ont été encaissées, avec ou sans protestation, par la majorité des locataires de HLM, il n'en a pas été ainsi au HLM Berri-Lajeunesse, à Montréal. L'Office de Montréal avait décidé, en 79, de couper de moitié le nombre de laveuses et sécheuses et de rendre ce service payant, dans ce HLM habité par des personnes âgées et des personnes handicapées. Les locataires ont immédiatement réagi : ils considéraient, avec raison, payer pour ce service à même leur loyer. Conférences de presse, piquetage devant l'Office et demande à la Régie du logement... L'Office préféra régler hors cour et le service complet et gratuit fut rétabli !

Place Normandie

Dès sa fondation, en 78, le comité des locataires de Place Normandie (HLM de 162 logements, principalement pour familles, à Montréal-Nord) se démarqua de beaucoup de comités de locataires. Sa priorité fut, non pas d'organiser des bingos ou des pique-niques, mais bien de s'attaquer de front aux problèmes vécus par leurs adolescent-e-s. Un projet d'intervention auprès de ces dernier-ère-s fut mis sur pied. L'objectif était de regrouper les jeunes et de favoriser la prise en charge autonome des activités leur convenant, dans le but de prévenir la délinquance. La réflexion nécessaire pour aboutir à de tels objectifs pour leurs jeunes amena une réflexion du même type pour le comité des locataires. C'est ainsi que le Comité sut toujours préserver son autonomie et son attention aux problèmes réels des locataires...

Les Habitations Jeanne-Mance

Les Habitations Jeanne-Mance sont, au Québec, un cas particulier. Complexe de 796 logements, au cœur du centre-ville de Montréal, ce HLM date de la fin des années 50. Il fut construit en fonction de la loi fédérale sur l'élimination des taudis, et ne relève pas de la SHQ.

C'est ainsi qu'une des premières batailles menées et gagnées par l'Association des locataires fut de revendiquer le même bail que tout le monde. Depuis treize ans qu'elle existe, l'Association des locataires s'est préoccupée -et activée -sur bon nombre de dossiers tant au niveau local que national : l'obtention d'un feu de circulation sur le boulevard de Maisonneuve, l'amélioration de la sécurité, le racolage sur la rue Boisbriand mobilisèrent les locataires autant que le décret de 82 ou que l'actuel projet de réforme de l'aide sociale.

La période de l'administration Lalonde fut, sans nul doute, une des plus sombres aux HJM. Cette administration, nommée par l'équipe Drapeau-Lamarre, fut à l'avant-garde des mesures d'intimidation, de harcèlement et de récupération des locataires. L'Association des locataires, niée, bafouée, discréditée, y survécut tout de même, grâce à sa proximité à sa base.

Forte d'avoir traversé ces épreuves, elle a su se faire reconnaître comme porte-parole des résident-e-s des Habitations Jeanne-Mance et comme interlocuteur privilégié. C'est ainsi qu'elle réussissait, l'an dernier, à négocier une politique de relogement (ou de transfert). Si le résultat final de cette négociation est une politique moins souple que, par exemple, celle de la ville de Québec, elle est, par ailleurs, beaucoup plus intéressante que celle en vigueur à l'Office de Montréal, sur lequel s'enligne généralement la Corporation des HJM.

Chose sûre, si l'Association a réussi à se mettre ainsi en position de négociation, c'est qu'elle a démontré au cours des années ses capacités réelles de mobilisation et son implantation véritable au sein de la population qu'elle représente.

En guise de conclusion...

Ces quelques exemples suffisent, me semble-t-il, à démontrer que les possibilités d'organiser et de mobiliser les locataires de HLM sont réelles...

Dans la mesure, cependant, où leurs organisations sont soutenues. Dans la mesure où se réalise du travail de formation. Dans la mesure où les mots d'ordre et les perspectives de lutte sont clairs.

Tel est actuellement le défi de l'APLLMQ.

Saura-t-elle, ou pas, se donner les moyens d'être active et agissante ? Saura-t-elle se donner les moyens de se développer ? Les priorités votées par le congrès (comme celles de plusieurs congrès !) sont très intéressantes. A quel suivi aurontelles droit? Là est la question !

GROUPES-MEMBRES DU FRAPRU

RÉGION DE MONTREAL
Association des locataires de Montréal-Nord
Association des locataires des Habitations Jeanne-Mance
Association des locataires Hochelaga-Maisonneuve
Centre d'information et d'animation au logement Ahunstic
Comité logement Rosemont
Comité logement Saint-Louis
Comité logement du Conseil communautaire
Notre-Dame-de-Grâce
Fédération des coopératives d'habitation de l'Ile de Montréal
Groupe de ressources techniques du Nord-Est de Montréal
Habitations communautaires Vie Urbaine
Inter-loge Centre-Sud
Montreal City Mission
Opération populaire d'aménagement Centre-Sud
Regroupement Information-logement Pointe Saint-Charles
Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal

St-Columba House

 

LAURENTIDES LANAUDIÈRE
Association coopérative d'économie familiale (ACEP) Laval Comité de requérant-e-s de HLM de Laval

Groupe d'aménagement du logement populaire (GALOP), Juliette

 

MONTÉRÉGIE
Centre d'information communautaire (CIC) Saint-Hyacinthe
Comité des citoyennes de Châteauguay
Comité pour le développement du logement social, Sorel-Tracy
Groupe alternative logement, Saint-Jean

Groupe d'animation populaire en habitation, Saint-Hyacinthe

OUTAOUAIS

Comité logemen' occupe, Hull
Info-logement Buckingham

Regroupement pour les droits sociaux, Mont-Laurier

CÔTE-NORD

Cité des bâtisseurs, Baie-Comeau

BAS SAINT-LAURENT GASPÉSIE

Habitations populaires de l'Est, Rimouski Regroupement des locataires de Matane

 

SAGUENAY LAC-SAINT-JEAN
Association des locataires de HLM, Roberval Maison de quartier, Jonquière

 

RÉGION DE QUÉBEC
Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur
Comité populaire Saint-Jean-Baptiste
L'Autre Ville
La Ruche Vanier, Ville-Vanier
Sessions populaires pour l'engagement social

 

MAURICIE BOIS-FRANCS
Association des citoyen-ne-s des Habitations Adélard-Dugré, Trois-Rivières
Institut d'éducation populaire des Bois-Francs,
Drummondville

Regroupement des droits sociaux Shawinigan

ESTRIE

Comité de logement social de l'ACCENTS, Sherbrooke

 

DEVENEZ MEMBRE DU FRAPRU,

En adhérant au FRAPRU, vous contribuez à renforcer le mouvement en faveur du droIt au |ogement à travers tout le Québec et vous donnez plus de force à vos propres luttes.

NOTES

1 Sherbrooke, 1978, p. 27.

2 Historique de l'ACCENTS, 1978.

3 Questionnaire sur les stratégies, Colloque PAQ, 1978, p. 19.

4 Réanimation urbaine et pouvoir local, Richard Morin, 1985, p. 90.

5 Idem.

6 Malgré un cadre juridique peu favorable, plusieurs propriétaires ont entrepris de négocier, contester, bref étirer les délais, aidés en cela par une campagne d'information menée par les groupes, les mettant en garde contre des ventes-panique ou des travaux injustifiés.

7 Les groupes prendront quelque temps à démêler le discours des 20 000 logements d'avec la réalité de leur quartier.

8 On identifie à ce moment des corridors de migration vers Verdun, LaSalle, donc de plus en plus loin du centre-ville.

9 Le Projet vise 500 logements (neufs ou rénovés) à des loyers de quartier (et non de marché), priorisant des familles de la Pointe.

10 Non sans heurts: les loyers «spéciaux» ne sont pas toujours accordés. Une coop, Bric-à-Brac, a même dû enterrer son projet, les loyers étant inabordables.

11 « Calendrier historique du mouvement des coopératives d'habitation du Québec », document produit et diffusé par le GRTHM; POULIN, André, sous la dir. de J.G. Desforges, G. Houle et M.C. Malo et avec la coll. de M. Bouchard (1988), Évolution du secteur coopératif de l'habitation au Québec (1973-1956), École des Hautes Études Commerciales, Centre de gestion des coopératives, Montréal.

12 « Calendrier... », op. cit. ; POULIN, op. cit.

13 POULIN, André, sous la dir. de M.C. Malo (1988), Les sociétés acheteuses et le développement du secteur coopératif d'habitation au Québec, École des Hautes Études Commerciales, Centre de gestion des coopératives, Montréal. Notons qu'il s'agit des seules sociétés acheteuses issues du mouvement des coops d'habitation ; en effet, le Mouvement Desjardins s'est lui aussi doté de sociétés acheteuses, au nombre de 47, afin d'intervenir dans le secteur de l'habitation (ibid.).

14 CHAMPAGNE, Christian (à paraître), Sondage sur la clientèle dans les coopératives d'habitation, Coordination nationale des GRT, données préliminaires.

15 Ibid., p. 2.

16 lbid., p. 3.

18 Un vidéo, intitulé « St-Gabriel de force », raconte cette lutte.

19 HELLMAN, Claire (1987), The Milton Parc Affair, Vehicule Press, Montréal.

20 Voir à ce sujet BOUCHARD, Marie (s.d.), « La coopérative d'habitation au Québec, une alternative ? », article inédit ; et FORTIN, Yvan R. (1985), Coopérative d'habitation avec capitalisation individuelle, Société d'habitation Desjardins, Lévis.

21 SAUCIER, Carol (1986), « Les coopératives d'habitation et le changement social », thèse de doctorat en sociologie présentée à la Faculté des Études supérieures de l'Université de Montréal.

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