LES TRAVAILLEURS FACE AU POUVOIR

Par LOUIS FAVREAU

sociologue et permanent au Centre de Formation Populaire 1972

CO-EDITEURS:

Le Centre de formation populaire et les éditions Québec-Presse

DISTRIBUTEUR: Diffusion-Québec IMPRIMEUR: Journal Offset Inc.

GRAPHISME: Michel Cartier (B.I.K.) et Pierre

Lagrenade SECRETARIAT: Michèle Bachand et Josée Verdant

COLLABORATION SPÉCIALE: Victor La- palme et Bernard Normand, permanents au Centre de formation populaire de même que Pierre Lagrenade ont collaboré de façon spéciale à ce livre par leurs commentaires et leurs critiques tout au long de la recherche et de la rédaction.

CONTRIBUTION: d'autres sont venus ap porter leur contribution d'une façon ou d'une autre. Ce sont J.M. Carie des Métallos (FTQ), A. Gravel du S.C.M. (CSN), Hélène David du département de sociologie de l'U niversité de Montréal et Pierre Richard du journal le Devoir.

Le C.F.P. encourage ceux qui le souhaiteraient à reproduire le présent livre dans l'une ou l'autre de ses parties. On demande seulement de mentionner la provenance du document. Les éditeurs se réservent cependant le droit de reproduire le livre en son entier.

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS

LA CONDITION DES TRAVAILLEURS SALARIÉS AU QUÉBEC

I LES CLASSES SOCIALES AU QUÉBEC

Il LES TRAVAILLEURS SALARIÉS SONT EXPLOITÉS À L'INTÉRIEUR DES ENTREPRISES

III LES TRAVAILLEURS SALARIÉS SONT EXPLOITÉS EN DEHORS DES ENTREPRISES

LE CAPITALISME D'AUJOURD'HUI AU QUÉBEC

I LA STRUCTURE ET LE CONTRÔLE DE L'ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE

Il LE CAPITALISME DES MONOPOLES AU QUÉBEC ET À L'ÉCHELLE MONDIALE

LA LUTTE DES TRAVAILLEURS SALARIÉS AU QUÉBEC

I LE MOUVEMENT SYNDICAL AU QUÉBEC

Il- LE MOUVEMENT COOPÉRATIF AU QUÉBEC.

III- LES MOUVEMENTS DE BASE.

IV- PROBLEMES ACTUELS DU MOUVEMENT OUVRIER QUÉBÉCOIS.

V- L'EXPÉRIENCE POLITIQUE DU MOUVEMENT OUVRIER CHILIEN.

ANNEXES

LE LIVRE COMME OUTIL DE FORMATION

GUIDE DE RÉFLEXION ET DE DISCUSSION

AVANT-PROPOS

Ce livre s'adresse d'abord et avant tout aux militants du mouvement ouvrier québécois. Il est un instrument de travail pour les militants préoccupés de relier les luttes immédiates qu'ils mènent à partir de leur syndicat, de leur coopérative, de leur comité de citoyens aux luttes à faire pour transformer en profondeur les structures économiques et politiques du Québec.

Cela suppose une connaissance plus poussée de ce qu'est le Québec. Ce livre de base sera donc une introduction générale apportant des éléments d'analyse économique et politique sur le Québec.

L'ensemble du texte s'articule autour de rois thèmes centraux qui en constituent la charpente:

  • la condition des travailleurs salariés au Québec;
  • le capitalisme d'aujourd'hui au Québec: les monopoles, l'Etat et les partis politiques;
  • la lutte des travailleurs salariés québécois: le mouvement ouvrier à l'étape actuelle.

Deux remarques s'imposent ici: la première c'est que nous voulons situer les choses, tenter de les décrire et de les expliquer, non pas d'en faire une critique systématique et élaborée. Il ne s'agit que d'un instrument de travail fournissant une information économique et politique de base sur le Québec. Cette information est nécessaire pour critiquer les événements et les structures d'une façon plus complète et pour déterminer des actions plus efficaces. La seconde remarque: ce petit manuel n'a pas la prétention d'être autre chose qu'un livre de base dégageant les grandes lignes, les faits les plus significatifs, les structures les plus importantes, les mouvements les plus marquants. Il ne cherche qu'à mettre en appétit. Ajoutons à cela que certaines hypothèses apparaîtront concluantes alors que d'autres ne seront que temporaires. Seule l'analyse plus serrée et l'action du mouvement ouvrier permettront d'apporter des modifications à ces hypothèses.

Je m'en voudrais de ne pas signaler l'origine de ce livre: il naît à une étape des luttes populaires menées à Montréal depuis quelques années et grâce à elles. Ces luttes ont créé le besoin d'une formation économique et politique de base que nombre de militants ont déjà exprimé. C'est à cause de ces militants que la rédaction de ce livre est devenue une priorité de travail du Centre de formation populaire. D'une façon plus précise, on peut dire que ce petit manuel est en bonne partie le fruit d'un travail collectif: avant sa publication le dossier initial est passé au crible de la critique de bon nombre d'animateurs et de militants à l'intérieur d'une douzaine d'ateliers de travail dans le cadre d'un cours d'éducation populaire -"Citoyens face au pouvoir" (Ces cours ont été donnés dans les quartiers de l'est de Montréal et dans Duvernay (Ville de Laval). Ils ont réuni quelque 250 personnes sur une période de 30 heures.) Cette critique collective a exigé des modifications importantes et m'a amené à faire une nouvelle rédaction à laquelle les principaux responsables du Centre de formation populaire ont apporté leur contribution.).

L'autre point à signaler, c'est que ce livre a été conçu comme instrument de formation pour des militants. Cette formation ne peut se concevoir sans travail en groupe, sans discussion des problèmes exposés. Il ne donnera pleinement son rendement qu'à la condition d'être utilisé de cette façon. Il doit également être considéré comme outil de synthèse: les coins sont donc mal arrondis et les nuances n'y sont pas. Il exigera des dossiers complémentaires que le C.F.P. a déjà commencé à mettre sur pied.

Par ailleurs, aucune étude de ce type ne peut se dispenser d'un cadre d'analyse scientifique, d'une grille de lecture de notre réalité. Le point de départ de cette analyse, c'est le milieu de travail et les problèmes sociaux qui s'y rattachent; problèmes sociaux qui sont vécus par des groupes en opposition avec d'autres.

En d'autres termes et d'une façon plus large, le développement de notre société s'est fait à partir de la production: des usines se sont installées. Puis, des hommes sont venus pour y travailler, ce qui a nécessité la construction de logements, l'ouverture de commerces... Bref, on a dû construire le nécessaire pour la consommation des travailleurs. Du même coup des administrations municipales et un gouvernement sont devenus indispensables (c'est l'aspect politique du développement) et par la suite on a dû créer des loisirs, de l'information. . .(c'est l'aspect culturel du développement).

Mais la base de tout ce développement, ce sur quoi il repose, c'est d'abord sur la production. Notre point de départ se résume donc ainsi: (voir schéma à droite):

Cependant, ce développement n'a pas été sans poser des problèmes sociaux importants (chômage, crise du logement. . .), point de départ à un affrontement entre groupes sociaux. Plus exactement la classe capitaliste, les couches intermédiaires (ingénieurs, enseignants. . .) et la classe ouvrière s'affrontent dans le cadre du développement de notre société en fonction d'intérêts collectifs ou privés qui leur sont propres.

L'analyse des problèmes sociaux se fera donc ici à partir de ces deux points de repère: le milieu de travail et les classes sociales qui y sont présentes. Au C.F.P., nous avons conçu ce livre afin de permettre à des groupes de travailleurs d'avoir un instrument de plus pour étudier leur milieu. Cet instrument peut aussi servir à revoir les luttes passées et à poser les choix qui s'imposent dans les luttes à venir.

  • quelles sont les classes sociales au Québec?
  • pourquoi y a-t-il 5 ou 10 travailleurs sur 100 en chômage?
  • pourquoi des bas salaires et des fermetures d'usines?
  • pourquoi s'endette-t-on et pourquoi les lo gements sont-ils si chers?

LA CONDITION DES TRAVAILLEURS SALARIÉS AU QUÉBEC

Le pourquoi et le comment de l'exploitation des travailleurs.

I LES CLASSES SOCIALESAU QUÉBEC

qu'y a-t-il de commun entre les travailleurs et en quoi sont-ils différents des capitalistes?

II LES TRAVAILLEURS SALARIÉSSONT EXPLOITÉS À L'INTÉRIEURDES ENTREPRISES

comment fonctionne l'entreprise capitaliste et comment le système capitaliste organise l'ex ploitation des travailleurs?

III LES TRAVAILLEURS SALARIÉS SONT EXPLOITÉS EN DEHORSDES ENTREPRISES

pourquoi les travailleurs s'endettent-ils? Pour quoi les logements sont si chers et si peu convenables?

I LES CLASSES SOCIALES AU QUÉBEC

A. qui sont les travailleurs salariés?

B. quelles sont les classes sociales auQuébec?

A. QUI SONT LES TRAVAILLEURS SALARIÉS?

En 1967, on pouvait chiffrer une population active de 2,080,000 de personnes au Québec parmi lesquelles se retrouvaient près de 1,800,000 salariés (par opposition avec ceux qui sont à leur compte, soit près de 300,000 personnes, dont 100,000 professionnels.). De qui s'agit-il lorsque nous parlons de cette majorité (plus de 85%) qui est à salaire? Une première idée nous en est données lorsque nous examinons où se répartit la main-d'oeuvre selon les secteurs d'activités de la production:

Main-d'oeuvre par secteurs d'emploi 1

1967

primaire

175,000

( 8.4%)

secondaire

630,000

(30.3%)

tertiaire

1,275,000

(61.3%)

effectifs totaux

2,080,000

Ce qu'on peut dégager de ce tableau: les travailleurs du secteur primaire (agriculture, pêche, forêts, mines) constituent une faible proportion (8.4%) comparativement au secteur secondaire (industrie et construction: 30.3%) et au secteur tertiaire (services publics, commerce, finances...) qui est devenu fort important (61.3%). Mentionnons, d'autre part, que près du tiers des travailleurs du tertiaire sont salariés de l'Etat (18% de la main-d'oeuvre totale du Québec). Par ailleurs, on évalue à plus de 30% la main-d'oeuvre féminine, ce qui fait des femmes une immense force de travail dont on oublie souvent toute l'importance.

En résumé, une population active de plus de 2 millions dont la majorité (85% au moins) est rémunérée sous la forme d'un salaire. Ce salaire est le prix payé pour leur force de travail par l'entreprise privée ou l'Etat.

Mais, il nous faut pousser plus loin. Qu'est-ce qui explique cette condition commune à tous les salariés?

C'est la place que les salariés occupent dans le milieu de travail, dans les entreprises (usines et bureaux) qui explique leur condition commune.

Plusieurs ont prétendu que cette majorité de salariés formait une vaste classe moyenne puisqu'ils ont de plus en plus de choses en commun: accès à l'éducation avec le développement d'écoles publiques au secondaire et au collégial, accès aux soins médicaux par le régime d'assurance-santé, statut politique et légal (tous citoyens d'un Etat), revenus de moins en moins différents d'un métier à l'autre (ex: un professeur et un électricien), loisirs semblables (ex: le cinéma et la télévision).

Une telle affirmation est une erreur car le revenu, les droits du citoyen, l'accès à l'éducation et aux soins médicaux... dépendent tous, au bout de la ligne, de ce qui se passe sur le plan économique. Ce qui nous permet d'expliquer la situation commune de cette majorité que constituent les salariés, c'est la place qu'ils occupent à l'intérieur du système de production. Du même coup, il est possible de savoir ce que font ceux qui sont à leur compte.

Les travailleurs salariés sont producteurs de marchandises - de biens et de services - dans des entreprises où les moyens de produire (Moyens de production: les usines avec leurs machines et les bâtiments.) sont la propriété privée des capitalistes.

Les entreprises avec leur capital-argent, les bâtiments, les machines, les terrains... sont en effet la propriété quasi-exclusive d'une minorité d'entrepreneurs capitalistes; une étude faite par un sociologue canadien-anglais, John Porter, révêlait que l'économie canadienne, en 1956, était extrêmement concentrée et que la plupart de ses secteurs étaient dominés par de grandes corporations géantes: 54 grandes corporations contrôlaient 44% de toute l'économie canadienne.2 Le phénomène n'a fait que s'amplifier depuis 15 ans. Parmi ces grandes corporations, près de la moitié était sous contrôle américain. A cette concentration par secteur économique correspond une concentration aussi poussée des décisions économiques. Porter a pu identifier 907 personnes qui détiennent ensemble 1,304 corporations dominantes au Canada. Le C.R.I.Q. a pu établir pour sa part une liste approximative de près de 400 personnes au Québec qui sont des hommes d'affaires susceptibles d'avoir une certaine importance. 3

Ces faits dégagent une réalité de première importance: une classe sociale minoritaire, la classe capitaliste, s'est accaparée l'ensemble des moyens de production à son profit. C'est à elle que revient dès lors l'ensemble des décisions économiques importantes du pays et, en premier lieu, c'est elle qui décide de l'utilisation du surplus produit par les travailleurs. C'est cette classe qui décide de notre avenir économique: des salaires, des prix, des profits, du développement d'une région, des licenciements... Les travailleurs salariés sont donc exclus ou absents de la propriété et du contrôle des moyens de production sur les lieux mêmes où ils travaillent. Et le fruit de leur travail - le profit - est utilisé par les capitalistes à leur gré.

Les travailleurs salariés sont également absents et exclus de la propriété et du contrôle des moyens d'échange (Moyens d'échange: c'est ce qui assure la circulation et la distribution des biens, c'est-à-dire les entreprises de transport et les commerces.): ils n'y sont que des consommateurs sans poids réel.

Pour écouler leurs marchandises sur le marché avec le maximum de profit possible pour eux, les capitalistes sont en voie d'accaparer, à leurs fins, l'ensemble du système de distribution et de vente. Pour ne citer qu'un exemple, celui de l'industrie alimentaire: au niveau de la distribution, les magasins à chaîne contrôlent déjà 34% de toute la distribution du Québec et plus de 50% de la distribution dans la région montréalaise. 4 En 1966, un comité parlementaire (à Ottawa) chargé d'enquêter sur le crédit à la consommation a mis à jour ce qu'était devenu l'empire Weston-Loblaw (Dont font partie quelques entreprises bien connues au Québec: Eddy Paper, Weston Bakeries Ltd., British Columbia Packers, la chaîne de super-marchés Dionne...): réunis sous la même direction, 1,800 supermarchés, 1,500 autres magasins de détail, 150 compagnies, 80 usines, plus de $3 milliards de ventes annuelles et $793 millions d'actif. On peut par ailleurs ajouter à cela qu'au niveau de la vente 90% du marché de l'alimentation est déjà contrôlé par des grandes chaînes (Steinberg, Dominion, Weston, IGA...), ce qui leur donne la possibilité permanente d'exercer un contrôle des prix, donc de lesfaire évoluer à leur guise.

Parce que les moyens d'échange sont la propriété des capitalistes, les travailleurs salariés sont en conséquence des consommateurs n'ayant aucun contrôle sur l'évolution du marché.

Les travailleurs salariés sont absents des centres de décision politiques: ils n'y ont qu'un droit de vote et de critique.

La possession par la classe capitaliste de l'ensemble du système de production et d'échange pèse évidemment d'une façon déterminante sur les centres de décision politiques et, en premier lieu, sur l'Etat. Une étude faite par le Service d'action politique de la CSN, étude présentée à leur congrès de 1968, a pu établir que l'assemblée nationale était composée à 83% - soit 90 députés sur 108 - de professionnels, de marchands et d'hommes d'affaires et qu'au conseil municipal de Montréal le même phénomène se reproduisait (87.7%) 5C'est un indice significatif des intérêts que ces centres de décision politiques ont à défendre. Nous verrons plus loin comment l'Etat est au service de l'entreprise privée et, d'une façon particulière, au service des monopoles (par exemple: le rôle du gouvernement québécois dans le développement de la Côte-Nord par l'International Téléphone and Telegraph (ITT).

A partir de ce rapide survol, on peut dégager la place que chacun occupe dans le système de production. D'un côté, les travailleurs salariés produisent des biens et des services; ils ne possèdent toutefois pas les moyens de production (bâtiments, machines, capital-argent). Ils ne les contrôlent pas non plus. Ils sont cependant la base principale de l'avenir économique de la société mais les décisions importantes ne leur reviennent pas. Pour leur travail, ils sont rémunérés sous la forme d'un salaire. Ce salaire est le prix qui leur est payé pour vendre leur force de travail. Ce salaire est le moyen de vivre des travailleurs salariés. De l'autre côté, des capitalistes sont devenus propriétaires des moyens de production. Parce qu'ils sont propriétaires, ils accaparent les profits des entreprises. Profits qui sont cependant produits et réalisés par les travailleurs. Ces profits sont un moyen pour les capitalistes d'accumuler, de posséder davantage. Et c'est la propriété privée qui est à l'origine de leur pouvoir; pouvoir qui leur donne la possibilité de décider de l'avenir de la société.

B. QUELLES SONT LES CLASSES SOCIALES AU QUÉBEC?

Les travailleurs salariés tendent tous à se rattacher à une même classe, la classe ouvrière. Il y a plusieurs raisons à cela: ils sont producteurs des biens et des services, ils ne sont pas les propriétaires des entreprises et les profits accumulés par les entreprises ne leur reviennent pas à eux collectivement. Les capitalistes forment eux aussi une classe: ils détiennent les moyens de produire et ils utilisent, à leurs fins, les surplus accumulés grâce au travail de leurs employés. C'est ce qui différencie les deux groupes et les oppose profondément.

Si on replace ce qui se passe dans les entreprises au niveau de la société, on peut tracer le portrait suivant des classes sociales dans la société québécoise.

Le premier groupe et le plus important est celui des travailleurs salariés. Ce groupe est composé de plusieurs parties: les travailleurs de la production qui forment, en gros, 35 à 40% de la main-d'oeuvre (Lorsque l'on parle de la classe ouvrière, au sens strict du terme, c'est de ce groupe de travailleurs qu'il s'agit.); les travailleurs commerciaux, employés de bureau et travailleurs des services forment un second noyau pour 30 à 35% de la population active. Les chômeurs se rattachent surtout à ces deux catégories de travailleurs. Ce sont des travailleurs qui ne peuvent vendre leur force de travail à cause de la détérioration de l'économie du Québec.

Par ailleurs, les capitalistes forment eux aussi une classe. Au Québec ils sont surtout canadiens-anglais ou américains. Ils ne forment pas un seul et même bloc: il y a des capitalistes financiers, d'autres qui sont des industriels, ou des propriétaires de grands commerces, ou des capitalistes fonciers. Ils possèdent de petites ou de moyennes entreprises ou sont à la tête de grandes sociétés multinationales (monopoles).

Mais il y a également un troisième groupe qui se situe entre ces deux grandes classes: les couches intermédiaires qui forment de 10 à 20% de la population active. Elles se composent des petits commerçants et des professionnels à leur compte mais aussi des nouveaux salariés qui ont des fonctions particulières dans la société. Ce sont, par exemple, les journalistes et les enseignants qui ont une fonction idéologique; les ingénieurs, les contremaîtres et les cadres inférieurs qui ont une fonction d'organisation et de surveillance dans les entreprises. Ces nouveaux salariés tendent souvent à se rapprocher des positions de la classe ouvrière en se syndiquant ou en appuyant un groupe de travailleurs lors d'un conflit.

Si la société se divise en classes à partir de la place que chaque groupe occupe dans le système de production, il faut également tenir compte de leur position sur le plan politique et culturel. La classe capitaliste mène sa lutte politique à l'aide de ses partis et impose sa culture en contrôlant les principaux média d'information (journaux, radio, T.V.) et en ayant une présence dominante dans les milieux de l'éducation (par exemple dans les conseils d'administration des universités, des CEGEP et des commissions scolaires). Cette situation dominante de la classe capitaliste, au plan politique et culturel, est devenue possible lorsqu'elle a pu entraîner avec elle une partie des couches intermédiaires; en particulier les petits commerçants, les hommes d'affaires et les professionnels à leur compte.

De la même façon, la classe ouvrière intervient pour faire valoir ses intérêts et découvre peu à peu sa véritable situation de classe en développant ses propres instruments: les travailleurs défendent leurs intérêts par le syndicalisme, les coopératives et les comités de citoyens. Elle doit aussi constituer ses propres moyens d'information (ex: Québec-Presse). C'est de cette façon qu'elle a entraîné avec elle une bonne partie des nouveaux salariés (ingénieurs et enseignants entre autres). Elle commence également depuis quelques années à prendre conscience de la dimension politique des conflits de travail et de l'importance de la lutte politique (ex: les comités d'action politique). Les luttes menées par le mouvement ouvrier à tous les plans (économique, politique, et culturel) et dans tous les secteurs de la société (à l'usine, au bureau, à l'école, dans le quartier...) sont donc capitales. Elles permettent à l'ensemble des travailleurs salariés de défendre leurs intérêts collectifs en s'attaquant aux racines des problèmes sociaux qu'ils vivent et de s'aligner peu à peu sur les positions de la classe ouvrière.

Plusieurs se diront: est-ce bien là ce qui se passe au Québec? C'est en étudiant point par point la situation des travailleurs salariés que nous verrons la justesse ou la fausseté de ces propositions.

Examinons d'abord ce qui se passe sur les lieux de travail.

Il LES TRAVAILLEURS SALARIÉS SONT EXPLOITÉS À L'INTÉRIEUR DES ENTREPRISES

A. le fonctionnement d'une entreprise

B. les principes de base de l'entreprise etde l'économie capitaliste

A la fin du siècle dernier, des femmes et des enfants en bas âge (9 et 10 ans) travaillaient plus de 10 heures par jour, 6 jours par semaine, dans des usines, à Montréal, pour un dollar ou deux par semaine; ils payaient des amendes au patron pour leurs erreurs, étaient licenciés quand ils avaient le malheur d'avoir un accident de travail et voyaient leur salaire diminué durant l'hiver 6. En 1907, le gouvernement québécois fit une législation sociale pour interdire le travail aux enfants de moins de 14 ans et cela plus de 15 ans après la création d'une commission royale d'enquête sur les relations entre le Capital et le Travail. La situation a certes changé depuis la fin du siècle dernier. Ce qu'il faut sans doute retenir ce sont les luttes ouvrières menées alors pour éliminer les aspects les plus scandaleux de la situation que vivaient les travailleurs à ce moment-là. Si les aspects les plus scandaleux - notamment le travail des enfants - ont disparu, la condition des travailleurs salariés aujourd'hui est demeurée la même: l'exploitation capitaliste est toujours présente, même si elle a changé de visage.

Les effets de cette exploitation peuvent se chiffrer beaucoup mieux qu'il y a 100 ans. A partir des rapports officiels, on peut dégager quelques grandes lignes 7:

  • Entre 1961 et 1967, l'écart s'est élargientre le revenu des salariés et celui(déclaré) des professionnels (médecins,dentistes, avocats...) Les médecins ontvu leurs revenus devenir de 4.12 à5.16 fois supérieurs à celui des salariés.
  • Entre 1961 et 1969, le pouvoir d'achatdes salariés à Montréal augmente, en moyenne, de 2.4% par année, alors que le taux moyen de profit net des entreprises - dans tous les secteurs d'acti-tivités et pour l'ensemble du Canada -augmente de 7 à 8%.
  • Entre 1966 et 1968, il se crée 66,000emplois pour 111,000 nouveaux travailleurs, donc 45,000 nouveaux chômeursviennent s'ajouter aux 100,000 déjàexistants au Québec.
  • Entre 1960 et 1970, le taux de chômagea été, en moyenne, de 7.7% (taux variantentre 4.7% en 1966 à 9.2% en 1961). Ils'agit d'ailleurs d'une constante en économie capitaliste: de 5 à 10 travailleurssur 100 sont en chômage.
  • Entre 1969 et 1971, il y a eu plus de30,000 mises à pied au Québec.

Pourquoi, au Québec, le chômage est-il permanent pour 5 à 10 travailleurs sur 100? Pourquoi a-t-on beaucoup d'usines dans lesquelles les salaires sont bas? Pourquoi les fermetures d'usine sont-elles si nombreuses? Pourquoi beaucoup de travailleurs sont-il obligés d'émigrer à Montréal, ne trouvant pas d'emploi dans leur région? Pourquoi tant de travailleurs sont-ils mis à pied? Pourquoi...?

Quelles sont les raisons profondes de cette situation imposée aux travailleurs salariés? Pourquoi ces inégalités existent-elles?

A vrai dire, c'est en étudiant le fonctionnement de l'économie capitaliste, la façon dont elle est organisée que nous parviendrons à trouver les véritables raisons de cette situation.

Une méthode facile pour étudier l'organisation économique d'une société consiste dans l'examen de ce qu'il faut à une entreprise pour fonctionner de façon efficace et dans l'analyse des principes-clés de son fonctionnement.

A. LE FONCTIONNEMENT D'UNE ENTREPRISE

• Que produit une entreprise?

Une entreprise peut produire quantité de choses différentes qui doivent être reliées plus ou moins à ce qui est demandé sur le marché. Elle produit en fonction de certains besoins qui s'expriment en biens et en services. On retrouve, en gros, trois sortes d'enteprises: certaines fabriquent des biens de consommation (un appareil électrique, une automobile...), d'autres des biens d'équipement (machines, par exemple) qui serviront à produire d'autres biens. Mais on peut également parler de services qui sont nécessaires pour permettre à la force de travail de se renouveler (les hôpitaux, les écoles et les universités sont de ce type car ces entreprises "fabriquent" de la santé ou de nouveaux travailleurs plus qualifiés). Ces distinctions peuvent paraître inutiles mais elles sont importantes car c'est de ces trois types d'entreprises qu'une économie a besoin pour fonctionner.

Il faut cependant se garder de les mettre toutes sur le même plan. Dans une société techniquement très développée, où le secteur des services occupe une place croissante (plus de 60% des travailleurs au Québec), ce sont néanmoins les entreprises de biens de consommation et de biens d'équipement qui demeurent les plus importantes. Regardons, par exemple, ce qui s'est passé dans la petite ville de Desbiens au lac Saint-Jean à la suite de plusieurs mises à pied à la principale usine de la place, la Saint-Raymond Paper. "Toutes les propriétés subirent une très forte dévaluation; les commerçants ne vendent plus leur marchandise; les garages ne réparent plus de voitures et de camions; les entreprises de camionnage n'ont plus rien à transporter; l'agent d'assurance perd ses clients..." 8Cette situation est provoquée par une baisse des travailleurs de la production. Bref, c'est la production qui est le secteur économique central (*) dont dépendent en bonne partie le commerce et les services.

* Les économistes ont également une autre façon de classer les entreprises: par la place qu'elles prennent dans le processus de mise en valeur des ressources naturelles. C'est ainsi qu'on parlera d'activité.s primaires pour la pêche et l'agriculture ou encore pour l'extraction de matières premières (le bois ou le pétrole, par exemple). Les activités de type secondaire (*) sont celles des industries de transformation (industrie manufacturière et industrie de la construction). Le tertiaire est relié aux services: services d'utilité privée comme la finance et le commerce ou d'utilité publique comme les maisons d'enseignement et les hôpitaux. Le transport, public ou privé, fait également partie de ce secteur.

* A l'intérieur du secondaire, on distingue l'industrie légère (textile, chaussure...) de l'industrie lourde (produits chimiques, machinerie...). Cette dernière fait appel à une main-d'oeuvre plus qualifiée à qui, généralement, on est obligé de payer de meilleurs salaires. L'industrie lourde a aussi plus d'effets d'entraînement car elle développe des industries connexes et exige plus de la recherche scientifique.

Qu'est-ce que les entreprises produisent au Québec?

On peut fournir une idée approximative à partir de la valeur des expéditions manufacturières d'une année courante comme l'indique le tableau suivant:

Expéditions manufacturières en millions de $ (1964) 9

1-

Industrie liée aux richesses naturelles:

(bois, papier, métaux)

Québec 24% 2,131

Ontario 20% 3,130

2-

Industrie légère:

(aliments et boissons, textile et vêtement)

45%

3,917

28%

4,414

3-

Industrie lourde:

(machinerie, produits chimiques, dérivés du pétrole, matériel de transport)

31%

2,716

52%

8,298

Ce que ce tableau illustre en premier lieu, c'est la faiblesse de l'industrie lourde (31% des expéditions manufacturières). Cette situation pèse lourdement sur la condition des travailleurs salariés québécois: dans l'industrie légère (45% des expéditions), les entreprises sont en effet soumises à une forte concurrence sur le plan international - les entreprises de la chaussure et du textile notamment. Ceci a pour effet d'exercer une forte pression sur les salaires ou encore entraîne des mises à pied et des fermetures d'usines. La comparaison avec l'Ontario illustre bien l'inégalité du développement d'une région à l'autre, d'une province à l'autre, d'un pays à l'autre. Qu'est-ce qui explique cette inégalité de développement? C'est une question sur laquelle il nous faudra revenir en replaçant l'économie du Québec dans le contexte du développement de l'économie américaine. Mais ce problème renvoie d'une façon certaine à la question suivante: qui choisit la production à entreprendre?

• Qui prend les décisions dans les entreprises?

Dans des sociétés comme le Québec, on l'aura vite deviné, ce sont les représentants du capital qui choisissent ce que les entreprises qu'ils détiennent vont fabriquer. Dans le cadre d'une petite entreprise, c'est l'entrepreneur lui-même ou le patron qui est le représentant du capital. Dans le cadre des grandes entreprises - qui assurent de façon de plus en plus nette l'essentiel du développement économique d'une région, d'un pays ou même d'un continent -, les représentants du capital sont les membres d'un conseil d'administration élus par les propriétaires du capital, appelés actionnaires. Ce conseil d'administration nomme un ou des directeurs (Même s'ils reçoivent souvent un salaire, ils ne sont pas véritablement des salariés: d'une part, ils sont au centre des décisions de l'entreprise, d'autre part, ils sont détenteurs d'une partie des actions de l'entreprise parce qu'ils y ont participé dès le lancement de l'entreprise ou parce qu'ils les ont obtenues comme rémunération de leur fonction.) à qui sont confiées les différentes tâches reliées à la production (politique des salaires, comptabilité des entreprises...). Et ce sont ces représentants du capital qui prendront les initiatives importantes de l'entreprise. La propriété d'un capital fait que c est à eux que reviennent les décisions: ce sont eux qui prennent la décision de rassembler des travailleurs pour produire; ce sont eux qui prennent la décision d'acheter les machines nécessaires à la fabrication; ce sont eux qui prennent la décision de se procurer les matières premières ou encore de faire appel à du capital supplémentaire. Les décisions commerciales et financières qui sont rattachées à cette production de l'entreprise leur reviennent également: plans de production, rythme et nature des investissements, niveaux des prix... Bref, c'est le détenteur du capital ou son représentant qui joue le rôle clé au niveau de la production à entreprendre. (Pourquoi eux plutôt que l'ensemble des travailleurs de ces entreprises? Les travailleurs de ces entreprisesne sont-ils pas ceux qui produisent les biens et services et n'est-ce pas grâce à eux qu'un surplus (les différents profits) est réalisé? C'est la question centrale qui est posée au mouvement ouvrier.)

Qui sont-ils au Québec? On peut en obtenir une idée en étudiant la valeur ajoutée (La valeur ajoutée: total des revenus de vente (expéditions), moins le coût des matières premières et du combustible (dépenses d'électricité...) Faire le calcul à partir de la valeur ajoutée fournit un indicateur exact du contrôle, par un groupe donné, d'une entreprise ou d'un secteur industriel.) de chaque secteur de l'industrie manufacturière comme l'indique le tableau qui suit.

Secteurs manufacturiers dont 50% de la valeur ajoutée et plus appartient à l'un ou à l'autre des groupes détenteurs de capitaux 10.

Groupe canadien-français:

bois cuir

83.9% 49.4%

Groupe canadien-anglais:

vêtement

88.6%

textile

68.3%

imprimerie

65.7%

boissons

64.9%

appareils électriques

58.0%

meuble

53.6%

pâte et papier

53.3%

bonneterie produits minéraux

53.2%

non-métalliques

51.2%

Groupe étranger:

(surtout américain)

pétrole

100%

métaux non ferreux

84.7%

équipement transport

79.2%

produits chimiques instruments de

77.1 %

précision

71.9%

tabac

67.9%

machinerie

64.7%

fer et acier

59.4%

caoutchouc

54.5%

Ce tableau est révélateur de deux faits principaux: une très forte présence américaine dans l'industrie lourde et celle des matières premières stratégiques comme le pétrole et la présence canadienne-anglaise dans l'industrie légère. Il s'agit de choix que ces groupes ont faits; ces choix sont reliés à la puissance économique que ces groupes ont sur le marché nord-américain.

• Avec quoi produit l'entreprise?

Une fois ce choix opéré - celui de la production à entreprendre - il nous faut cerner les éléments qui vont permettre que la production se réalise effectivement.

1 - l'entrepreneur a besoin de capital

Un premier problème se pose: où prendre, où aller chercher ce capital? Plusieurs possibilités s'offrent à lui et il les utilisera toutes, la plupart du temps. Comme il s'agit dans la majorité des cas de propriétaires qui ont déjà fait leurs preuves - c'est-à-dire qui bénéficient d'un pouvoir économique certain -, les difficultés à ce niveau seront vite surmontées.

L'entreprise étant presque toujours une société par actions, des actions seront mises en vente à la Bourse (*), ce qui permettra d'obtenir un certain capital. Par ailleurs, les institutions financières (*) (telles les banques et les compagnies d'assurances) peuvent consentir des prêts ou des crédits à l'entreprise ou encore investir elles-mêmes dans cette entreprise sous forme de capital-actions. Une troisième possibilité s'offre également à l'entreprise, c'est l'Etat (*): celui-ci peut financer l'entreprise directement par une ou des subventions ou indirectement par des exemptions fiscales ou la mise sur pied de l'infrastructure économique (réseau routier, réseau hydro-électrique. . .) Cet aide abaisse les coûts de production et diminue par le fait même la masse des capitaux nécessaires à l'entreprise pour assurer son départ.

La croissance de l'entreprise apportera une autre source de capitaux: une partie des profits de l'entreprise servira à de nouveaux développements. Ceci veut dire que l'entreprise pourra assez rapidement s'autofinancer pour une bonne part (en général, au moins la moitié, sinon les deux tiers des capitaux proviennent de cet autofinancement).

  • *La Bourse, c'est le baromètre de l'économie: elle illustre, par la valeur des actions qui y sont achetées ou vendues, les hauts et les bas des différents secteurs de l'économie.
  • *On remarquera, ici, que ces institutions financièresvont chercher la majorité de leurs capitaux dans l'épargne populaire. Dans une économie capitaliste, ces institutions ont cependant un caractère privé parce qu'ellessont contrôlés par des groupes financiers puissants. Parexemple, la Banque de Montréal.
  • *L'argent de l'Etat provient, pour 85% à 90% de sonbudget, des travailleurs salariés. L'on peut donc conclure ainsi: tout ce qui fait exister ou fonctionner une entreprise dépend du travail de la classe ouvrière.
    • L'entreprise a besoin de capitaux en provenance desinstitutions financières et de l'Etat, capitaux qui sontle fruit des impôts et de l'épargne populaire; en dernier ressort, ces impôts et cette épargne proviennent du travail de la classe ouvrière.
    • L'entreprise obtient des profits grâce à la vente demarchandises produites par des travailleurs.

Pour plus de précisions sur l'Etat et les institutions financières: voir le second chapitre. Sur les travailleurs comme producteurs du surplus: voir un peu plus loin.

2- l'entrepreneur a besoin d'équipement

Une fois le capital rassemblé, il faut a-cheter des machines et plus elles sont complexes, plus le coût en est élevé. Plus l'automation progresse, plus les machines deviennent compliquées et exigent pour les faire fonctionner une main d'oeuvre de plus en plus qualifiée. Ceci a pour effet d'accroître les coûts, donc d'exiger une masse de capitaux considérable. Il y a aussi les matières premières qui proviennent souvent de pays autres que celui où elles sont transformées: c'est le cas du Québec dont on extrait les ressources naturelles (fer et amiante, par exemple) pour les transformer aux Etats-Unis dans des usines appartenant souvent aux mêmes propriétaires; c'est là un exemple de la concentration très forte des capitaux et des moyens de production aujourd'hui.

3- l'entrepreneur a besoin d'un groupede travailleurs

C'est parce que les travailleurs sont là que la production île marchandises, de biens et de services, devient possible. L'extraction des matières premières, le transport de ces matières premières, la fabrication des machines et la fabrication de produits. . .tout cela dépend, au bout de la ligne, des travailleurs: ouvriers spécialisés et manoeuvres, ingénieurs et techniciens, chercheurs et employés de bureau, tous sont nécessaires à des degrés divers. Ils sont, au Québec, près de 2 millions.

Le fonctionnement d'une entreprise

Pour produire une entreprise a besoin de capital, d'équipement, de matières premières et d'un groupe de travailleurs

• Où va l'argent gagné avec ce que l'entreprise produit?

Une première partie de l'argent gagné servira à payer les coûts exigés par l'achat des matières premières, de même qu'à amortir les frais encourus par l'achat et l'usure de la machinerie et des bâtiments. Une deuxième partie revient aux travailleurs sous forme de salaires (*). Les salaires sont le prix payé aux travailleurs pour une partie seulement du travail qu'ils ont fourni dans leur journée ou leur année. Une autre partie de leur journée ou de leur année de travail revient aux propriétaires-actionnaires; on nomme cette seconde partie la plus-value ou la somme des profits obtenus par l'industriel et le commerçant.

C'est en bonne partie à ce niveau que se situe la lutte des travailleurs (*), principalement par l'action syndicale. Ce qui va en salaires et en augmentation de salaires, c'est une partie de l'argent gagné qui va en moins aux actionnaires - dividendes ou augmentation de la valeur de leurs actions due aux nouveaux investissements. Et inversement: les propriétaires et directeurs exercent une pression sur les salaires pour permettre à leur entreprise de faire davantage de profits, donc de meilleurs dividendes pour leurs actionnaires et plus de capitaux pour de nouveaux investissements (autofinancement). Mais souvent la lutte syndicale pousse plus loin et porte sur les conditions de travail: sécurité d'emploi, sécurité au travail (prévention des accidents, règles de sécurité, aménagement des horaires et des vacances...) Dans certains cas, la lutte syndicale avance des revendications qui contestent le droit patronal de direction de l'entreprise: politique des salaires, vérification de la comptabilité ou ouverture des livres de la compagnie. . .

  • *Le salaire représente sur le marché la valeur de la force de travail, le travail étant, dans une économie capitaliste, considéré comme une marchandise qu'on achète et qu'on vend. Pour le travailleur, le salaire est le moyen, pour lui et sa famille, de vivre.
  • *Il y a également une lutte au niveau politique, menée par le mouvement ouvrier, pour que les entreprises soient socialisées (sous forme de nationalisations, par exemple); cette lutte politique vise à empêcher que quelques groupes de capitalistes s'approprient à leur seul profit les fruits (surplus obtenu par l'entreprise) de l'effort collectif des travailleurs. A ce sujet, voir le 3e chapitre.

B. LES PRINCIPES DE BASE DE L'ENTREPRISE ET DE L'ÉCONOMIE CAPITALISTE

Après avoir examiné comment fonctionne l'entreprise capitaliste, il nous faut maintenant analyser les principes de base de cette entreprise.

• Comment fonctionne l'économie capitaliste?

Sans la possibilité de faire des profits, il n'y a aucune raison de rassembler, dans un même lieu, hommes et machines, de mettre en branle une production donnée. Les économistes traditionnels disent que l'on produit pour répondre à la demande. Mais pourquoi cherche-t-on à répondre à la demande? Par générosité ou à cause des profits que l'on peut y faire! Par ailleurs, la classe capitaliste ne recherche pas le profit pour pouvoir consommer plus. Le fait que la classe capitaliste a des revenus fort élevés n'est pas la raison majeure qui l'incite à rassembler hommes et machines. La raison majeure c'est la possibilité de faire des profits, d'accumuler du capital qui sera par la suite réinvesti. Car ce sont les profits qui leur donnent les moyens d'acquérir une puissance économique.

Et c'est par la concurrence que toute entreprise de ce type tente d'obtenir plus de profits "car c'est seulement à cette condition qu'elle peut constamment améliorer sa technologie, sa productivité du travail" 11. Cette concurrence permet alors, en augmentant la quantité des marchandises offertes, d'élargir le marché qui aujourd'hui est devenu mondial. Un des avantages du capitalisme, en augmentant la production a donc été d'éliminer les possibilités de pénurie, d'éliminer la rareté des produits. On verra, cependant, que cette économie crée l'inverse: des crises de surproduction.

C'est donc la recherche du profit maximum qui est le moteur de l'économie capitaliste et c'est la concurrence qui en est la règle majeure.

• Quelles sont les conséquences de la recherche du profit?

Si cette recherche du profit explique pourquoi des entrepreneurs rassemblent hommes et machines, elle explique également pourquoi ces mêmes entrepreneurs choisiront telle production plutôt qu'une autre, choisiront telle région plutôt qu'une autre. . .La production capitaliste est une production anarchique, non planifiée, non organisée (L'entreprise, elle-même, fonctionne d'une façon planifiée, organisée (rigueur de la comptabilité, division des tâches, hiérarchie des responsabilités. . .) C'est au niveau de la branche industrielle qu'il y a anarchie et au niveau de l'ensemble de l'économie d'une société.). Elle investit en fonction d'un profit qu'elle espère le plus élevé possible et elle produit ce qui peut le plus lui rapporter. Ce qui veut dire que l'équilibre économique est souvent rompu, qu'il y a sur-production dans certains secteurs et sous-production dans d'autres.

Prenons un exemple, celui de l'industrie de la carrosserie et la naissance de l'indus-trie automobile au début du 20ième siècle: avec l'apparition de l'industrie automobile, la demande sur le marché s'est déplacée de l'industrie du transport par attelage vers l'industrie de l'automobile. La production de carrosses a donc été à un moment donné supérieure aux besoins sociaux exprimés sur le marché, les éventuels acheteurs préférant désormais l'automobile. Dans le premier cas, l'offre est trop forte, les prix tombent mais malgré cela un stock de marchandises s'accumule et demeure invendable. Et, par conséquent du travail humain gaspillé, des baisses de salaires et finalement la fermeture de la majorité des entreprises de l'industrie de la carrosserie.

Dans le cas de l'industrie automobile, c'est le contraire qui se produit: sous-production car la demande est plus forte que l'offre, les prix sont alors à la hausse et les profits plus élevés.Les changements technologiques, dans le cadre d'une économie capitaliste, à cause de la concurrence, brisent l'équilibre économique et imposent aux travailleurs salariés les effets négatifs qui y sont provoqués. C'est le cas notamment de l'industrie du textile, avec l'apparition des produits synthétiques. Les changements techniques dus à l'automation causent les mêmes perturbations: mais ce ne sont pas les changements techniques comme tels qui causent cette situation; c'est le mode de production capitaliste qui fait peser les conséquences de ces progrès sur les travailleurs; c'est l'absence de production planifiée qui cause cette situation.

C'est parce qu'il y a production anarchique, non planifiée, non organisée que des travailleurs se voient mis à pied ou reçoivent des bas salaires.

C'est parce que le profit est le moteur de l'économie et non les besoins sociaux que certains besoins ne sont pas comblés: le cas du logement à prix modique est révélateur à ce sujet. L'industrie privée du bâtiment ne parvenant pas à faire du profit sur la construction de logements à prix modiques, c'est l'Etat qui doit prendre cette construction à sa charge. Dans le cadre d'une économie capitaliste, il existe des secteurs de production qui, parce qu'ils ne rapportent pas, sont négligés ou pris en charge par l'Etat.

C'est parce que le choix d'installer des entreprises dans telle ou telle région est laissé à l'entreprise privée que des travailleurs ne trouvent pas d'emploi là où ils résident et doivent émigrer vers les grands centres comme Montréal ou vers la Côte-Nord.

• Quelle est la caractéristique centrale de l'économie capitaliste?

L'économie capitaliste ne répond pas aux besoins sociaux mais à la loi du profit; c'est de là que découlent l'existence permanente du chômage, les fermetures d'usine et les mises à pied, l'émigration de travailleurs d'une région vers une autre, le développement inégal des différentes branches de l'industrie. Cette loi du profit comme moteur de l'économie est devenue effective, a été mise en pratique au moment de l'apparition de la propriété privée des moyens de production entre les mains d'une classe, la classe capitaliste et au moment de l'apparition d'une autre classe, la classe ouvrière; cette dernière se voit forcée de vendre sa force collective de travail pour pouvoir subsister, pour pouvoir vivre. C'est le régime de propriété privée qui est le fondement principal de la division de la société en classes sociales différentes et opposées.

La propriété privée des moyens d'échange

joue également son rôle: elle a permis un développement de la consommation de masse; ce développement s'est cependant fait au prix de la réduction des travailleurs salariés à un rôle de consommateurs sans poids réel sur l'évolution des marchés et des prix. On pourrait donc résumer la situation de la façon suivante comme l'illustre le présent graphique: (voir page 34):

• D'où vient le surplus des entreprises?

Mais quelle est l'origine des profits? Qui les produit et qui les utilise à ses propres fins? C'est là le noyau creux de l'exploitation permanente de la classe ouvrière dans une économie capitaliste (On parle souvent avec pudeur d'une économie de marché ou avec conviction d'une économie libre ou de libre entreprise.): l'origine du profit dévoile l'origine de l'exploitation.

Le surplus, c'est cette partie de la production des travailleurs abandonnée sans contrepartie au propriétaire des moyens de production. Comment cet abandon se produit-il?

C'est la recherche de profit qui est le moteur de l'économie capitaliste. Ce profit s'obtient sur l'acte de production: les travailleurs produisent plus que ce qu'ils reçoivent en échange de leur travail, c'est-à-dire les salaires. Il s'obtient aussi sur l'acte de vente: les consommateurs paient plus que ce que les marchandises coûtent réellement.

C'est à travers l'échange: "le capitaliste achète la force de travail de l'ouvrier, et en échange de ce salaire, il s'approprie tout le produit fabriqué par cet ouvrier, toute la valeur nouvellement produite..." 12. Et c'est la vente de ce produit qui permet de réaliser des profits.

Prenons l'exemple d'une usine de fabrication d'automobiles.

Supposons:

• 200 travailleurs produisant 12,000autos dans une année, lesquelles seront revendues, sur le marché, à$5,000 chacune:

12,000 autos X $5,000: Valeur de $6 millions.

• Etablissons des proportions qui sontvraisemblables sur la répartition decette valeur produite. Par hypothèse,on pourrait dire:

a) la valeur de 8,000 autos sert à payer les matières premières et l'amortissement (achat et usure)

de la machinerie et des bâtiments, soit, $4,000,000;

  • la valeur de 2,000 autos sert àpayer des salaires, soit, $1,000,000;
  • la valeur de 2,000 autos permet

d'obtenir un profit, soit, $1,000,000.

Qu'est-ce qui se dégage de cet exemple? Une première constatation: c'est le travailleur qui produit le surplus, c'est-à-dire l'ensemble des marchandises et les profits qu'on en obtiendra. Une valeur nouvelle a été produite qui équivaut à 4,000 autos; cette valeur nouvelle va en salaires et en profits. Cette valeur équivaut également à des heures de travail: une partie de ces heures sont payées et l'autre partie sont des heures de travail gratuites, du travail non payé. C'est cette partie non-payée qui forme les profits. Dans le cas qui nous occupe si les travailleurs ont des semaines de 42 heures, cela voudrait dire:

  • Amortissements 28 h.
  • Salaires 7 h.
  • Profits 7 h.

Une deuxième constatation: c'est le capitaliste qui s'approprie le surplus produit par les travailleurs. Ce surplus, devenu profit, est la condition nécessaire à l'accumulation du capital; ce capital permettra d'acquérir de nouveaux bâtiments, de nouvelles machines et des ouvriers supplémentaires. Il n'est donc pas exact de dire que ce sont les capitalistes qui créent des emplois; ce sont les travailleurs qui les créent, car les capitaux nécessaires à la mise sur pied d'entreprises ont été créés par eux.

Mais quelles preuves avons-nous que ce sont les travailleurs qui sont les producteurs de ce surplus, donc du capital servant au développement des entreprises?

Il y en a plusieurs, mais on peut, ici, en retenir deux. La première est une preuve pratique: lorsque des travailleurs se mettent en grève, qu'ils décrètent un arrêt de travail, plus rien ne fonctionne; l'entreprise est paralysée pendant un certain temps. Ce temps d'arrêt ne permettra aucun profit à l'entreprise. La seconde, apparaît en examinant tout ce qui est nécessaire à la production dans une entreprise: qui construit les bâtiments? qui extrait les matières premières? qui fabrique la machinerie? qui fabrique les marchandises disponibles sur le marché? Ce sont les travailleurs. Toute la production se ramène à du travail et seulement à du travail.

A partir de cette étude de l'entreprise - de son fonctionnement et de ses principes de base - on peut donc résumer l'origine de l'exploitation capitaliste de la façon suivante: les usines (bâtiments, matières premières, machines), les marchandises qui y sont produites et les profits qui y sont réalisés ne doivent leur existence qu'au travail collectif des salariés; mais ces usines, ces marchandises et ces profits sont appropriés, sous une forme privée, par les capitalistes. Le schéma suivant en dégage les différents éléments:

' L'origine de l'exploitation capitaliste c'est l'appropriation PRIVEEdu surplus qui provient d'un travail COLLECTIF. Ce qui est en causeici c'est le contrôle privé de ce surplus.

• Quelles sont les principales contradictions de l'économie capitaliste?

En analysant l'origine des profits, une contradiction importante s'est dégagée: les marchandises produites dans les entreprises sont le fruit du travail collectif des travailleurs salariés, mais les profits réalisés sur la vente de ces marchandises sont accaparés par une minorité, la classe des capitalistes. Travail collectif mais appropriation privée d'une partie importante de ce travail.

Le développement de ce mode de production a permis une interdépendance d'une région à une autre, d'un pays à un autre: l'économie - la vie économique - est devenue mondiale. Par la concurrence entre les entreprises d'une même branche, par la concurrence entre les régions et les pays, la vie économique en est venue à former un seul ensemble: le travail de chacun est devenu indispensable à la survie de tous, dans la mesure où chacun ne peut survivre que grâce au travail de milliers et de milliers d'autres hommes. Ce que l'on mange tous les jours l'illustre bien: boeuf de l'ouest, café brésilien, bananes sud-américaines...

Mais cette socialisation de la production n'est pas gérée selon un plan conscient où prévaudrait les besoins sociaux de l'ensemble de la population du globe. Cette production est réglée par des forces aveugles: les lois du marché et la recherche du profit. Ce ne sont pas les besoins les plus pressants qu'on cherche à satisfaire, ce sont les secteurs industriels où les profits sont les plus élevés qu'on cherche à développer.

Cette situation - socialisation de la production et appropriation privée des résultats de cette production - provoque l'anarchie, c'est-à-dire des crises de surproduction. Une partie de la production ne parvient pas à s'écouler sur le marché parce qu'elle ne trouve pas d'acheteurs. Pour employer une image, on peut dire que certains meurent de faim alors même qu'il y a trop de produits alimentaires.

Comment cela est-il possible? Reprenons notre exemple de l'industrie de la carrosserie et celle de l'automobile: la concurrence capitaliste joue en faveur des entreprises de pointe où des profits énormes peuvent se réaliser (cas de l'automobile, par rapport à la carrosserie) alors que d'autres ont une tendance à la baisse de leur taux moyen de profit. Les marchandises se vendant de moins en moins et les stocks s'accumulant, on se voit obligés de faire des mises à pied ou des fermetures. Gaspillage de travail humain et chômage tout à la fois. Et à côté de cela, d'autres secteurs ne sont pas développés parce qu'ils ne rapportent pas: cas de l'industrie de la construction pour les logements à prix modique.

• Quelles sont les nouvelles tendances du capitalisme?

Recherche du profit et concurrence provoquent donc une double situation: d'une part, le chômage, l'émigration et l'insatisfaction de certains besoins sociaux (tel le logement) pour une partie des travailleurs; d'autre part, une baisse du taux moyen de profit (Nous verrons plus loin comment cette baisse du taux moyen de profit est inévitable et en quoi elle est une tendance profonde de l'économie capitaliste.) pour certaines branches industrielles, pour certains groupes de capitalistes.

L'économie capitaliste est en quelque sorte prise à son propre jeu: la concurrence lui permet, pendant un certain temps, d'accumuler du capital, de lui faire faire des profits, mais sur de longues périodes ces profits ont tendance à diminuer. C'est que la lutte de concurrence est devenue, à un certain moment, trop dure. De nouvelles tendances sont alors apparues pour tenter de pallier à cette situation:

1- La tendance à la concentration et aux monopoles

La concurrence devenant trop dure, il fallait s'en prémunir: en premier lieu, la lutte entre capitalistes, au niveau des prix, conduit chaque entreprise à baisser ses prix: ceci a, du même coup, une influence directe sur les profits. Il y avait donc intérêt, pour eux, à se concerter afin d'éviter les effets négatifs de cette concurrence. Peu à peu des ententes apparaissent: ententes sur les prix mais aussi ententes sur le volume de production dans chaque entreprise, ententes sur le volume de publicité, ententes sur la répartition des marchés extérieurs.

Par ailleurs, le développement accéléré de la technologie, développement provoqué en grande partie par la concurrence, exige des investissements de plus en plus considérables et favorise une concentration accrue des capitaux qui jouera en faveur des grandes entreprises. La concentration et l'accroissement des moyens de production (nouvelle machinerie... ) conduisent, en fait, à ce qu'un groupe de capitalistes contrôle toute une branche de l'industrie dans un pays ou même à l'échelle mondiale: les grandes entreprises , s'emparent peu à peu d'une foule de petites entreprises qui n'arrivent plus à produire et à rapporter un profit suffisant.

Mais l'apparition des grandes sociétés par actions qui absorbent ou fusionnent les petites et moyennes entreprises de leur secteur, est également liée à l'apparition de groupes bancaires; ces groupes bancaires favoriseront encore plus les monopoles, c'est-à-dire le contrôle par une corporation ou quelques-unes d'un marché et la concentration du pouvoir économique dans les mains d'une poignée d'individus (cas de l'industrie du pétrole, cas de l'industrie de l'acier... ).

2- La tendance à l'accroissement du poids de l'Etat dans l'économie.

L'apparition d'une économie où les monopoles deviennent prédominants n'offre cependant pas une solution suffisante aux problèmes posés par la concurrence. Le recours à l'Etat s'impose.

D'une façon générale, l'Etat assume, aujourd'hui, 25 à 35% de l'activité économique globale 13: commandes publiques pour l'aménagement des voies de transport (voie maritime, chemins de fer, routes... ) et infrastructure industrielle (réseau hydroélectrique... ); injection de capital public d'une façon directe (subventions) ou indirecte (exemptions fiscales); politiques économiques en faveur des entreprises (pour le commerce extérieur en particulier); débouchés pour d'autres (l'industrie de l'armement); politique salariale, politique monétaire... Toutes ces mesures économiques et politiques de l'Etat conduisent à garantir les possibilités de profit des grandes entreprises.

3- La tendance à l'internationalisation

L'interdépendance d'une région à l'autre, d'un pays à l'autre, donne au Québec une place particulière dans l'économie mondiale et spécialement par rapport aux Etats-Unis. Amiante, énergie hydro-électrique, papier-journal, minerai de fer, cuivre et zinc sont des matières premières et des produits de grande importance au Québec. L'utilisation de ce potentiel se décide en fonction d'un marché mondial et les décisions concernant ce potentiel du Québec, se prennent en bonne partie en dehors de lui, aux Etats-Unis principalement. Le manifeste économique de la CSN 14 mentionne à juste titre que plus d'un million de travailleurs québécois sont susceptibles d'être touchés par des décisions qui ne sont pas prises au Québec. Une étude réalisée pour le compte de la Commission Laurendeau-Dunton par le professeur André Raynaud (La propriété des entreprises du Québec, 1968) établissait qu'au moins 50% de la main-d'oeuvre industrielle et commerciale du Québec travaille pour des entreprises multinationales.

La faiblesse de l'industrie lourde au Québec, un taux de chômage plus élevé que la moyenne canadienne, le drainage à l'extérieur de l'épargne populaire, les profits faits au Québec et réinvestis ailleurs sont tous des phénomènes liés à ces nouvelles tendances, et, principalement, à l'emprise des monopoles américains sur l'économie québécoise; cette emprise est d'ailleurs largement appuyée par l'Etat québécois. Les concessions minières et forestières (ITT sur la Côte-Nord... ) en fournissent des exemples probants. Ces nouvelles tendances seront l'objet d'une attention particulière au second chapitre.

III LES TRAVAILLEURS SALARIÉS SONT EXPLOITÉS EN DEHORS DES ENTREPRISES

A. le crédit à la consommation et la publicité

B. le logement

Après avoir examiné ce qui se passe dans les entreprises, étudions ce qui se passe dans la vie quotidienne: pourquoi les travailleurs salariés s'endettent-ils? Pourquoi n'y a-t-il pas plus de logements convenables et à des prix plus raisonnables? Pourquoi l'état de santé d'une partie des travailleurs et de leurs familles est-il si précaire?...

A. LE CRÉDIT À LA CONSOMMATION ET LA PUBLICITÉ

D'abord qui s'endette? Qui utilise le crédit à la consommation? La seule étude systématique sur ce sujet, en ce qui a trait au Québec, est celle de M. A. Tremblay et G. Fortin, "Les comportements économiques de la famille salariée au Québec" (1964). L'enquête dégage les constatations suivantes:

  • dans les années '60, 74% des familles interrogées ont déjà eu recoursau crédit, à un moment ou l'autre deleur vie;
  • de ces familles, celles dont le revenudisponible est faible et instable, enparticulier les manoeuvres et lestravailleurs qui subissent le plus lechômage, utilisent le crédit plus queles autres;
  • même si la majorité des travailleurssalariés ont déjà eu recours au crédit, la majorité (soit 72%) demeureformellement opposée à cette pratique. Ils le font à contre-coeur et parce qu'ils y sont forcés.

Mais à quoi servent ces emprunts? En majorité, (pour plus de 75%) ces emprunts serviraient à acheter des biens de nécessité (mobilier, soins médicaux, vêtements, automobile, maison...) ou pour se débarrasser des dettes antérieures. Où s'endette-t-on et à quelles conditions? De toutes les institutions de crédit (banques, caisses populaires, compagnies de finance), c'est auprès des compagnies de finance que la majorité cherchera à emprunter et cela pour trois raisons: facilité d'emprunt, rapidité avec laquelle l'argent est versé et, finalement, impossibilité d'emprunter ailleurs. En conséquence de quoi, c'est souvent aux pires conditions que se feront les emprunts; de toutes les institutions de crédit, ce sont les compagnies de finance qui chargent le taux d'intérêt le plus élevé, généralement le double (20% à 24%) de ce qui peut être obtenu dans les caisses d'épargne ou d'économie (10 à 12%).

• Quel est le but du crédit à la consommation?

Le capitalisme recherche constamment des moyens de contrecarrer les possibilités de crises de sur-production: le crédit à la consommation est un de ces moyens. Le rôle du crédit à la consommation est de permettre aux travailleurs d'augmenter artificiellement leur pouvoir d'achat et, par conséquent, de permettre d'écouler une plus grande partie de leurs marchandises.

Les entreprises ont, en effet, absolument besoin d'écouler l'ensemble de leurs marchandises, si elles veulent réaliser les profits escomptés. Mais cette recherche du maximum de profits amène les entreprises à entrer en contradiction avec elles-mêmes: d'une part, elles cherchent à développer une expansion illimitée de la production et d'autre part, elles ne créent pas un pouvoir d'achat réel qui soit proportionnel à ce qu'elles offrent. Autrement dit, les salaires de l'ensemble des travailleurs sont insuffisants pour permettre d'acheter, au comptant, l'ensemble des marchandises produites. Chaque entreprise voudrait que les autres entreprises augmentent les salaires de leurs travailleurs parce que les salaires de ces travailleurs, c'est un pouvoir d'achat pour ses marchandises mais, par ailleurs, elle n'admet pas que les salaires de ses propres travailleurs augmentent car cela réduirait son profit.

Comment se sortent-ils de cette contradiction, de ce cercle vicieux?

Pour réaliser le maximum de profits, les entreprises doivent réaliser trois objectifs(Il s'agit ici de leurs objectifs au niveau de la vente de leurs produits, au niveau de la circulation des marchandises. Au niveau de la production, elles en ont d'autres qui vont dans le même sens. En particulier, l'objectif d'abaisser leurs coûts de production: abaissement du coût de la machinerie et des matières premières, maintien du salaire le plus bas possible, augmentation de la productivité du travail (machines plus perfectionnées) et de l'intensité du travail (les cadences de travail plus rapides qu'on exige des travailleurs)): augmenter leurs prix, augmenter la quantité des marchandises à" vendre et permettre au plus grand nombre d'acheter le plus de biens possible. Ce troisième objectif est irréalisable puisque le salaire n'est toujours qu'un minimum pour vivre et que verser des meilleurs salaires, c'est diminuer d'autant son profit: il ne reste qu'une solution: mettre sur pied un système de crédit à la consommation qui soit accessible à tous et qui permette donc à la majorité de se procurer les biens nécessaires en hypothéquant un revenu futur, incertain et non garanti (En d'autres termes, ce sont les travailleurs qui, dès lors,prennent des risques). Tel est l'origine et le but du crédit à la consommation 15.

Quant aux résultats, ils sont significatifs: le crédit à la consommation rend un double service aux entreprises capitalistes. En premier lieu, il exempte les entreprises de l'obligation de verser des salaires proportionnels aux biens à écouler. D'autre part, ce système permet non seulement d'opérer un profit sur l'acte de production mais également sur l'acte de vente par la charge d'un taux d'intérêt sur le crédit accordé. L'aboutissement logique du système: un pouvoir d'achat fictif pour les travailleurs salariés et un sur-profit pour les entreprises.

C'est ce processus qui nous oblige tous et chacun à travailler demain (C'est de cette façon que les compagnies de financefonctionnent: elles font fructifier l'argent qu'elles détiennent en comptant sur le travail à venir des travailleurs. ), à s'obliger à travailler demain, quoiqu'il advienne, pour payer ce que l'on achète aujourd'hui, autrement dit, pour payer les dettes que nous accumulons.

• A quoi sert la publicité?

Si le système de crédit permet d'augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs, un autre élément intervient pour stimuler un gonflement de la demande: la publicité. Celle-ci contribue, en effet, à assurer la continuité de la demande par les moyens les plus subtils et les plus divers. Elle constitue ce que certains ont appelé une "persuasion clandestine" 16. Psychologues et sociologues sont engagés par les entreprises pour étudier l'ensemble du marché (ce qu'on nomme le "marketing") de même que les motivations conscientes et inconscientes des consommateurs; ils vont jusqu'à pratiquer une véritable psychanalyse du client: mobiles qui poussent à faire tel ou tel choix, aspirations cachées, attirances et impulsions profondes.

prix retire de la vente des produits ($)

La publicité n'est plus aujourd'hui laissée au hasard et à l'improvisation. Elle est devenue, dans plusieurs cas, une opération des entreprises, une stratégie qui accapare une partie de leur budget; le pourcentage du budget accaparé par la publicité, dans les entreprises de cosmétiques, de détergents et de produits pharmaceutiques est de l'ordre de 20%; il est de 10% dans l'industrie alimentaire.

Cet emploi massif de moyens de persuasion pour éviter ou prévenir les hésitations des consommateurs n'a en réalité qu'un seul objectif: assurer la réalisation des profits en stimulant un gonflement de la demande et en lui donnant une direction à prendre.

Le crédit est un des moyens pour les capitalistes d'écouler toutes leurs marchandises sans s'obliger à payer des salaires réels proportionnels aux biens à écouler. Certains d'entre eux font de plus un profit sur le crédit accordé.

B. LE LOGEMENT

Tout, dans le mode de production capitaliste, est une marchandise et en premier lieu, la force de travail: les travailleurs se sont vu obligés de vendre leur force de travail sur le marché, en échange d'un salaire qui leur fournit les moyens pour subsister, pour vivre. Mais les biens de nécessité -ce qu'il faut pour vivre - sont également des marchandises. C'est le cas du logement que nous analyserons ici. (On pourrait aussi bien prendre la santé ou l'éducation, car les mêmes mécanismes d'exploitation y sont mis en application (ex.: l'industrie privée des produits pharmaceutiques).)

• Quelle est la situation des locataires au Québec?

Le Québec est une province de locataires, particulièrement dans les centres urbains. Plus de la moitié des Québécois sont locataires et, à Montréal, quatre personnes sur cinq sont locataires (près de 80%).

Locataires et propriétaires: recensement 1961. 17

Propriétaires

%

locataires

%

Québec (province)

583,981

49.0

607,387

50.9

Montréal (île)

127,455

272

340,097

72.7

Montréal (ville)

66,683

20.2

263,257

79.7

Québec (ville)

10,450

24.8

31,672

75.1

Le tableau précédent indique à quel point la condition des logements et leur coût peuvent atteindre les travailleurs salariés québécois puisqu'ils sont en majorité des locataires.

C'est en examinant la quantité de logements disponibles, leur qualité et le coût de ces logements qu'il est possible de poser un diagnostic de crise dans le domaine du logement et de voir plus clair dans la condition des locataires; cette condition leur est imposée par la structure économique et politique du pays en matière de construction et d'habitation.

1. La quantité de logements disponibles: d'après la Société Centrale d'hypothèque et de logement (rapport de la SCHL, 1968), plus de 250,000 nouveaux logements seraient nécessaires pour éliminer le surpeuplement (Le surpeuplement se définit comme étant l'occupation d'un logement par plus d'âne personne par pièce. En 1961, au Québec, 260,000 logements (soit 22% du stock, à cette date) étaient effectivement surpeuplés.) et le recours à des logements inadéquats, au Canada. Si l'on fait le calcul en fonction de la population du Québec (29%), nous obtenons un chiffre de l'ordre de 72,500 logements. Le Québec aurait besoin de près de 75,000 logements par année pour combler le strict nécessaire. Or, l'entreprise privée ne construit en moyenne que 40,000 nouveaux logements par année (moyenne établie sur 5 ans: de 1964 à 1969) 18. D'une part, elle ne comble qu'une partie des besoins, soit un peu plus de 50%. D'autre part, elle ne satisfait que la demande la plus rentable: elle construit principalement des appartements de luxe et des maisons unifamiliales.

2. La qualité actuelle du stock de logements au Québec: en 1961, près de 240,000 logements (soit 20% du stock existant) étaient sans baignoire ou douche. Par ailleurs, quelques 360,000 logements (30% du stock) avaient été construits avant 1920. Si l'on fait intervenir d'autres normes de qualité, la situation s'avère plus grave encore: services publics adéquats, tranquillité et air salubre...

Le coût du logement au Québec: les travailleurs salariés paient très cher, au Québec, pour se loger; ils paient plus cher que dans la majorité des pays industriels, comme le démontre le tableau suivant:

Loyer en % des dépenses de consommation ( 1963)

Rang

%

Canada

1

16.4

Etats-Unis

2

13.3

Belgique

3

10.8

Royaume-Uni

4

9.9

Suède

5

9.3

France

11

7.2

A ce tableau, il faut ajouter deux remarques. La première: la comparaison avec la Suède est particulièrement significative puisque c'est un pays semblable au Canada en ce qui a trait au climat et au niveau de vie. La seconde: le logement représente, au Québec, en 1960, 18.8% du budget du travailleur salarié 19. Il est plus élevé qu'au Canada et le double de celui du salarié suédois. Ce qui aggrave davantage la situation, c'est que la hausse des salaires ne suit pas la hausse des loyers; à Montréal (ville), les loyers ont augmenté de 83.3%, de 1951 à 1961, alors que les salaires ne progressaient que de 66.9% pendant la même période. De deux choses l'une: ou les travailleurs salariés acceptent de se loger plus mal ou ils doivent affecter une plus grande part de leur revenu à cet item.

Il est donc tout à fait légitime de se demander pourquoi il n'existe pas plus de logements convenables, à des prix plus raisonnables.

• Pourquoi y a-t-il une crise du logement au Québec?

Le logement, comme tous les autres biens de nécessité, est soumis aux lois de l'économie capitaliste; il est une marchandise qui se vend et s'achète dans la mesure même où les possibilités de faire des profits existent. Et dans le domaine de l'habitation, il est possible de faire des profits à trois étapes différentes: le profit intervient dans l'achat et la vente d'un terrain; il intervient également au moment de la construction des logements et enfin lorsqu'une personne ou un groupe devient propriétaire de logements (Dans le premier cas, il s'agit de la rente foncière; dans le deuxième, de profit industriel et dans le troisième, de profit de location.). Un autre facteur, plus général, influence directement le marché du logement: ce marché est lié au développement des villes qui dépendent, en dernière analyse, du mouvement des capitaux, donc de l'industrialisation capitaliste et des déplacements de la main-d'oeuvre qu'elle provoque.

C'est l'examen, point par point, de ces différents facteurs qui permettra de cerner davantage la situation imposée aux locataires.

1- L'achat et la vente des terrains: aborder cette question, c'est poser de front le problème de la spéculation foncière qui repose sur la propriété privée du sol. "La spéculation commence avec tout terrain agricole sur lequel un développement urbain est jugé possible dans les 10 ou 15 ans à venir. La différence entre le prix du terrain agricole - l/2 ¢ le pied - et le prix du terrain de la place Ville-Marie - $100 le pied, soit 20,000 fois plus - illustre le vaste domaine de la spéculation foncière" 20. On a pu estimer que le coût moyen du terrain résidentiel s'est considérablement accru puisqu'il représente aujourd'hui plus de 500% de ce qu'il était, il y a 20 ans. Fait important à dégager: ce coût moyen existe pour tous les terrains qu'ils soient vacants ou occupés (coût en dollars constants).

La spéculation foncière, c'est l'achat et la vente de terrains à des prix qui vont d'une façon continue dans le sens de la hausse. La valeur du terrain augmente constamment, grâce au développement industriel (aménagement d'usines, commerces, sièges sociaux de compagnies. . .) et au développement urbain (logements, services publics) dans le secteur où est situé le terrain. La valeur augmente sans que le propriétaire n'ait besoin de faire quoi que ce soit. Il s'agit d'un marché purement spéculatif où les profits se font sans qu'aucun travail ne soit accompli, donc sans qu'aucune valeur nouvelle ne soit produite (Ce qui n'est pas le cas des biens produits par les entreprises qui sont des valeurs nouvelles obtenues par un travail.).

La propriété publique du sol urbain empêcherait toute spéculation; cette spéculation représente 10 à 20% du coût total (Coût total: prix de vente.) d'un logement, d'après l'estimé du comité du logement de la CSN. Et ces coûts sont, en dernière analyse, absorbés par les locataires. En résumé: la spéculation foncière permet à des capitalistes de faire des profits sur un marché spéculatif dont les locataires et l'ensemble de la collectivité font les frais.

2- L'industrie privée de la construction: c'est parce que le profit est le moteur de l'industrie du bâtiment, et non les besoins sociaux, que certains besoins ne sont pas comblés. Les faits sont révélateurs à ce sujet: l'industrie privée du bâtiment ne construit, en moyenne, que 40,000 nouveaux logements par année alors qu'il en faudrait au moins 75,000. Par ailleurs, ce qu'elle construit correspond à la demande rentable: l'appartement de luxe et la maison unifa-miliale. Le logement à prix modique (Il est possible d'évaluer si un logement est à prix modique ou pas, par la part qu'il représente dans le revenu d'une famille. Plusieurs estiment que 10 à 12% du revenu serait raisonnable.) ne peut évidemment pas faire partie du tableau, à moins d'une intervention de l'Etat. Des logements publics sont alors construits, comme c'est le cas dans le sud-ouest de Montréal (Habitations de la Petite-Bourgogne). On en confie alors la construction à l'entreprise privée mais l'Etat se porte garant des profits de celle-ci par l'intermédiaire de la Société Centrale d'hypothèque et de logement (SCHL).

3- La propriété privée d'un stock de logements: ce qui est certain, c'est que le profit, sur la location, demeure un facteur important de ce que nous payons pour le logement, vieux ou neuf. Si les petits propriétaires font assez peu d'argent avec des duplex et des triplex, les propriétaires d'appartements de luxe sont bien servis. Pour ce qui est des vieux logements, la rentabilité est variable. Tout dépend, en premier lieu, des conditions d'achat à l'origine. Les compagnies de fiducie (ou "trusts") y trouvent néanmoins leurs profits; elles contrôlent, à Montréal seulement, 33% du stock de ces logements.

4- Le régime fiscal en matière de logement: le logement est probablement le besoin fondamental le plus taxé. Taxes foncières (Ces taxes sont régressives contrairement à l'impôt sur le revenu. Elles frappent plus durement ceux qui doivent dépenser le plus pour le logement, c'est-à-dire les familles nombreuses.) et taxe d'eau sont toutes payées de fait par les locataires. Ces taxes indirectes, payées dans le loyer avec les frais généraux, représentent, généralement, environ 20% du montant du loyer. L'Etat, loin d'atténuer la crise, ne fait que l'amplifier.

5- L'impact de l'industrialisation capitaliste: la crise du logement ne se pose pas qu'en relation avec l'industrie privée de la construction, la propriété privée du sol urbain et la propriété privée d'un stock de logements; elle est aussi liée à la situation générale de l'économie et au mouvement des capitaux (investissements).

Environ 22% des logements, au Québec, soit 260,000, sont surpeuplés et nombre de quartiers ouvriers sont populeux. Ce surpeuplement et cette densité de population dans certains quartiers est le fait des centres urbains. Cet entassement des familles ouvrières dans des quartiers populeux et des logements trop petits trouve son explication dans le mouvement des capitaux. En effet, le mouvement des capitaux vers telle ou telle région est la source de nouveaux développements industriels et de nouvelles entreprises. Ces nouvelles entreprises provoquent un déplacement de la main-d'oeuvre attirée par de nouveaux emplois. A partir du 19e siècle, les campagnes québécoises se sont vidées de leur surplus de population: des milliers de jeunes quittent la terre pour venir s'établir en ville afin d'y trouver du travail. Au Québec, le mouvement des capitaux s'est concentré, dans une large mesure, à Montréal et dans ses environs. Près de 40% de la population du Québec se retrouve aujourd'hui dans la région montréalaise. Ce mouvement des capitaux donne donc naissance à des quartiers ouvriers fort populeux (Le quartier Maisonneuve, dans l'est de Montréal, a 82,000 de population. Seules quelques villes au Québec ont plus de 80,000 habitants.) où les logements disponibles sont souvent trop petits.

Jusqu'à maintenant, le point de départde notre étude a été d'explorer quelques problèmes sociaux, tels les bas salaires,la permanence du chômage, les fermetures d'usines, l'utilisation de la force de travail par l'entreprise privée, l'endettement des travailleurs salariés et la crise du logement au Québec. Nous avons commencé à examiner la chaîne des causes ou le pourquoi de l'existence de ces problèmes. Nous avons vu en quoi ils étaient reliés, à un niveau ou l'autre, à l'économie capitaliste, au système de production (les entreprises) et au système d'échange (le marché: la circulation ou la vente des produits).

Mais le capitalisme, après 100 ans, a fait naître de nouvelles tendances: laconcentration des capitaux et la constitutionde monopoles, l'apparition de sociétés multinationales et l'Etat comme garant des profits des grandes entreprises. Ces nouvelles tendances ont amplifié les problèmes existants; par exemple, le chômage n'est pas relié qu'à la vieille industrie secondaire (chaussure et textile) mais s'étenddans les branches industrielles avancées(aluminium, produits chimiques... ). Ellesont également créé de nouveaux problèmes;par exemple, la concentration des moyensd'information dans les mains d'un monopoleou, encore, le nouveau rôle qu'exercé l'Etatau moyen de la fiscalité (impôts).

Il nous faut donc plonger dans l'étudede ces nouveaux développements du capitalisme et répondre à certaines questionscapitales.

Quelles sont les causes et les conséquences des investissements américainsau Québec? Pourquoi les mass-media (l'information) ne nous aident-ils pas à comprendre les événements? L'Etat peut-il régler les problèmes sociaux dans le sens des intérêts des travailleurs salariés?...

  • qui contrôle notre économie?
  • l'impérialisme américain, c'est quoi?
  • quel rôle l'Etat joue-t-il?
  • quelle force politique les monopoles ont-ils au Québec?

LE CAPITALISME D'AUJOURD'HUI AU QUÉBEC

Les rouages de notre exploitation: les monopoles l'état les partis politiques

I LA STRUCTURE ET LE CONTROLEDE L'ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE

• quelle est la structure économique du Québec?Quels sont ces effets sur le développementdu Québec? Qui contrôle notre économie?Pourquoi les américains investissent ici?

II LE CAPITALISME DES MONOPOLESAU QUÉBEC ET À L'ÉCHELLE MONDIALE

• quelle est l'origine des monopoles? quelleest leur force dans le monde? Quelles ensont les conséquences? Quel rôle l'Etat joue-t-il? comment les monopoles imposent-ils leurs vues au Québec?

I LA STRUCTURE ET LE CONTRÔLE DE L'ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE

Quel portrait économique du Québec pouvons-nous tracer en 1971? Quel Québec économique le capitalisme industriel a-t-il forgé?

Dans le cadre de développement du capitalisme américain, à la suite de la dernière guerre mondiale (1940-1971), le Québec est devenu une source de matières premières stratégiques et un champ d'investissements particuliers pour les sociétés multinationales.

• Quelle est la structure de l'économie québécoise?

1- nos ressources naturelles

En ce qui a trait aux ressources naturelles, le Québec ne peut pas être considéré comme sous-développé. Bien au contraire, la richesse des matières premières y est très importante comme en témoigne le tableau suivant:

Ressources naturelles

% de la production canadienne en provenance du Québec 21

amiante

85% (58% de la production mondiale)

énergie hydro-électrique

48%

papier-journal

47%

minerai de fer

39%

pâte de bois

37%

cuivre

31%

zinc

28%

Et c'est de ces matières premières que l'Ontario et les Etats-Unis ont le plus grand besoin.

2- notre industrie

En 1961, plus de 41% de la production québécoise des industries liées aux ressources naturelles est exportée et ceci principalement aux Etats-Unis 22. La richesse des matières premières du Québec existe vraiment; le sous-développement ne se situe pas là mais bien au niveau de l'industrie de transformation. Le capital étranger dans sa stratégie d'investissements a préféré investir à l'extérieur du Québec, pour ce qui est de cette industrie, d'où la faiblesse de notre industrie lourde. Il ne s'agit pas là d'un fait négligeable mais bien d'un fait majeur qui a des conséquences considérables sur les revenus des travailleurs et sur les possibilités d'emploi; c'est en effet l'industrie lourde qui paie les salaires les plus élevés, qui fait appel à la main-d'oeuvre la plus qualifiée, qui se développe le plus rapidement, qui a le plus d'effets d'entraînement à cause des industries complémentaires que son développement exige et qui entraîne le plus de recherche scientifique (Contrairement à l'industrie légère (textile, chaussure...)). L'exemple le plus évident est celui de l'industrie automobile (Elle est inexistante au Québec: il n'existe que quelquesusines d'assemblage, mais la transformation du feren acier et la fabrication des différentes pièces se fonten Ontario et aux E.U.): l'automobile dévore de grandes quantités d'acier, de caoutchouc, de matière plastique, de verre; elle utilise aussi des accessoires complexes comme le poste de radio et le climatiseur. Elle est également l'objet d'achats toujours renouvelés. Principal consommateur d'acier, de caoutchouc et de pétrole, elle fait en bonne partie vivre la construction et le logement: autoroutes, rénovation urbaine dans les grands centres, développement des banlieues.

Il nous faut examiner de plus près cette situation en reprenant le tableau des expéditions manufacturières qui nous servira d'indicateur des forces et des faiblesses de l'industrie au Québec:

REPARTITION DES EXPEDITIONS MANUFACTURIÈRES23 1964 (en millions de dollars)

1 - Industries liées aux ressources naturelles:

QUEBEC

ONTARIO

bois, papier...

1,202

1171

métal primaire

671

1,498

minéraux non-métalliques

268

461

2,131 (24%)

3,130 (20%)

2- Industrie légère:

QUEBEC

ONTARIO

• aliments et boissons

1,629

2,543

• textile, vêtement...

1,652

959

• divers

636

912

3,917 (45%)

4,414 (28%)

3- Industrie lourde:

QUEBEC

ONTARIO

• produits chimiques

496

1,084

• produits métalliques

541

1,265

• dérivés du pétrole

400

487

• matériel de transport

377

2,616

• outillage électrique

421

1,201

• machinerie

185

788

• divers

296

854

2,716 (31%)

8,298 (52%)

Ce tableau dégage une première dominante: une spécialisation du Québec dans l'industrie légère (aliments et boissons, textile et vêtement). Il s'agit d'entreprises fabriquant des biens de consommation qui ont en grande partie leurs débouchés sur le marché local. Ce type d'industrie atteint vite son point de saturation: ne satisfaisant que des besoins élémentaires elle n'est liée qu'à l'augmentation de la population. Elle subit une concurrence très forte dans certains de ses secteurs tels le textile et la chaussure (La chaussure italienne ou le textile japonais, par exemple.). Elle fait appel à une main-d'oeuvre peu spécialisée qu'elle paie peu. Deux cas typiques en témoignent: le vêtement et la chaussure. Dans l'industrie du vêtement: 64,000 travailleurs dont 51,000 femmes; salaires annuels moyens: $3,000; 60% de la production canadienne et plus de 1,600 petites et moyennes entreprises fortement concurrentielles. Dans l'industrie de la chaussure: 10,000 travailleurs (20,000 il y a 25 ans), salaires moyens de $2.00 l'heure; 53% du marché canadien.24

Une deuxième dominante c'est la spécialisation du Québec dans l'extraction des matières premières et leur première transformation en vue d'une exportation vers l'Ontario et les Etats-Unis. L'exemple-clé est l'amiante, principale richesse naturelle du Québec (58% de la production mondiale); 95% de l'amiante québécois, soit environ 1 million de tonnes, sort du Québec à l'état brut pour être acheminé à l'extérieur et être transformé en produits finis. Résultat net: l'amiante fournit 6,500 emplois à des travailleurs au Québec mais la Johns-Manville emploie aux Etats-Unis où il n'y a pas d'amiante, plus de 20,000 personnes.

25C'est donc la base économique du développement qui fait défaut, c'est-à-dire l'industrie lourde. Essentielle à la fabrication des autres produits, l'industrie lourde fournit plus de valeur et d'emplois; mais cette industrie échappe au Québec parce que les capitalistes étrangers investissent peu ici dans ce secteur.

• Quelles sont les effets de la structure industrielle sur le développement du Québec?

A cause de ce mouvement des capitaux étrangers, le Québec est donc confronté à un sous-développement de son industrie de transformation; c'est là la cause première de l'anarchie qui règne entre les différentes branches de la production. Cette situation en amène une autre: le développement inégal des différentes régions et des villes.

Le mouvement des capitaux étrangers a forgé trois principales régions: en premier lieu, Montréal et ses environs qui constituent le point terminal de l'axe industriel du Canada, qui va de Windsor en Ontario jusqu'à Montréal, en suivant les rives des Grands Lacs et du St-Lau-rent. C'est la seule région qui au Québec compte un nombre important d'industries de transformation surtout à la périphérie du centre-ville. Le revenu per capita y est d'ailleurs supérieur à celui des autres régions.

En second lieu, la région sud du St-Laurent (Cantons de l'est et la Gaspésie) où l'économie s'est bâtie à partir de l'agriculture et de l'industrie légère tel le textile (Sherbrooke, Magog, Drummondville... ). Ces deux secteurs sont en déclin depuis plus de 30 ans et les travailleurs plus défavorisés qu'ailleurs.

La région nord du St-Laurent forme la troisième grande région économique; les richesses naturelles et les ressources hydro-électriques y ont été mis à profit: usines de pâtes et papiers de la Gatineau, de la Mauricie et du Lac St-Jean, mines de fer de la Côte-Nord, mines d'or de l'Abitibi, aluminium du Lac St-Jean. Les revenus y sont plus élevés (Exception faite de l'Abitibi dont le déclin date de plusieurs années.) qu'ailleurs mais depuis quelques années les sociétés multinationales font des mises à pied importantes (Alcan, Gulf Oil à Shawinigan...)

On peut certes invoquer plusieurs facteurs justifiant l'implantation des entreprises dans telle région plutôt que telle autre (par exemple les facilités de transport des marchandises ou l'accès aux matières premières... ) Mais au bout de la ligne ce qui dicte l'implantation se ramène à un seul et même objectif: la recherche du maximum de profits. Ce développement inégal entre les branches industrielles, entre les pays, entre les régions, est en réalité la condition de l'expansion capitaliste: c'est le déclin de l'agriculture, le déclin de certaines branches industrielles, le déclin de certaines régions qui "libèrent" une main-d'oeuvre et des capitaux vers d'autres secteurs et d'autres régions.

Le développement inégal des villes est tout aussi évident: Montréal regroupe 40% de la population totale du Québec, provoquant au fil des années un entassement des familles ouvrières et une crise permanente du logement. A l'exception de Québec qui a un peu plus de 350,000 habitants et d'une dizaine de villes rassemblant de 30,000 à 100,000 personnes chacune, on retrouve à l'autre extrémité plus de 1,500 municipalités disséminées à travers le Québec et qui ont 5,000 habitants et moins.26 Développement au petit bonheur et saupoudrage de municipalités sur le territoire. Les conséquences de ce développement a-narchique: dédoublement des services et des équipements, fardeau fiscal mal distribué, accroissement du coût des services...

Pourquoi le Québec a-t-il ce visage? Poser cette question nous amène à l'examen des causes de cette situation: qui décide et qui contrôle l'économie du Québec? Et par cette question, on est rapidement conduit à interroger l'état de la démocratie économique et politique.

• Qui contrôle l'économie québécoise?

Sur ce thème, très peu d'études sérieuses ont été faites, surtout pour le Québec, mais trois rapports fédéraux27 existent et seront utilisés directement ou indirectement dans ce qui va suivre. Concernant le Canada, le rapport "Watkins" mentionne qu'au chapitre de l'investissement étranger à long terme, les investissements directs ( Investissements directs: contrairement aux placements de portefeuille (comme les obligations), ils impliquent un contrôle de l'entreprise.) ont accusé une hausse importante. Ceux-ci sont passés de $2.7 milliards en 1945 à $15.9 milliards en 1964. De ces $15.9 milliards, les investissements directs américains comptent pour $12.9 milliards, soit plus de 80% . 28

L'ampleur de la pénétration du capitalisme américain au Canada et au Québec se mesure davantage encore par la répartition des investissements selon les différents secteurs de l'économie.

Pour ce qui touche le secteur manufacturier, le contrôle étranger s'est profondément implanté et, dans chaque cas la propriété est surtout américaine. Ainsi en 1963, le contrôle étranger embrassait 97% du capital employé dans l'industrie automobile, 97% dans la production du caoutchouc, 78% dans celle des produits chimiques et 77% dans le secteur des appareils électriques.29

Capital employé

(1963)

étranger

américain

industrie automobile

97%

97%

produits du caoutchouc

97%

90%

produits chimiques

78%

54%

appareils électriques

77%

66%

Et dans chaque cas, ces secteurs clés de l'industrie manufacturière sont de fait entre les mains des Américains. Pour l'ensemble de l'industrie au niveau de la transformation et des matières premières stratégiques, la situation est semblable.30

1963

propriété en % étranger USA

contrôle en % étranger USA

pétrole et gaz naturel

64

54

74

62

mines et affinage

62

54

59

52

fabrication

54

44

60

46

On peut ajouter à cela que le Canada dépend des Etats-Unis à raison de 52% pour ses exportations, à 68% pour ses importations et que les capitaux américains contrôlent globalement 60% de l'industrie canadienne. 31

Est-ce différent pour le Québec? En se basant sur les chiffres avancés dans le rapport "Raynauld" ça ne semble pas être le cas:

Secteurs manufacturiers dont 50% de la valeur ajoutée et plus appartient à l'un ou l'autre des groupes détenteurs de capitaux.32

GROUPE C.-A.

Vêtement 88.6%

Textiles 68.3%

Imprimerie 65.7%

Boissons 64.9%

Appareils électriques 58.0%

Meuble 53.6%

Pâte et papier 53.3%

Bonneterie 53.2%

Produits minéraux non métalliques

(amiante, ciment, verre...) 51.2%

GROUPE U.S.A.

Pétrole 100%

Métaux non ferreux (or,argent,bauxite) 84.7%

Equipement de transport 79.2%

Produits chimiques 77.1%

Instruments de précision 71.9%

Tabac 67.9%

Machinerie 64.7%

Fer et acier 59.4%

Caoutchouc 54.5%

Ces chiffres parlent d'eux-mêmes: l'économie du Québec (comme celle du Canada) est une économie contrôlée par l'extérieur et en premier lieu par les Etats-Unis. Et cela tant au niveau des matières premières stratégiques que de l'industrie manufacturière. C'est donc principalement la domination américaine sur notre économie qui explique son développement inégal et anarchique.

• Pourquoi les Américains investissent-ils au Québec?

Pour ces entreprises dont le but unique est la recherche du maximum de profits, les investissements à l'extérieur de leur propre pays sont d'une importance capitale sur le plan stratégique. S'assurer le contrôle du marché au Québec et au Canada leur permet d'éviter d'éventuels concurrents que seraient les capitalistes locaux. Par ailleurs, les coûts de production sont moindres parce qu'ils y obtiennent des matières premières pour presque rien - grâce par exemple aux concessions minières et forestières - et que la main-d'oeuvre est payée moins cher (Par exemple dans la métallurgie, en 1968, les métallos canadiens, tout en ayant une meilleure productivité (tonne d'acier à l'heure), ont en moyenne un salaire 25% moindre que les ouvriers métallurgistes américains. )33 Ajoutons à cela la nécessité de s'assurer le contrôle des ressources naturelles qui manquent ou qui pourraient éventuellement manquer aux Etats-Unis ou dans d'autres pays où ils ont la main mise. L'Iron Ore sur la Côte-Nord et l'implantation récente de l'ITT-Rayonier dans la même région sont deux cas particulièrement évidents de l'investissement stratégique d'entreprises américaines.

Précisons d'abord que ces investissements ne sont pas de simples entrées de fonds, des transferts de capitaux entre les Etats-Unis et le Québec qui permettent aux travailleurs de s'assurer des emplois nouveaux. Il y a en premier lieu une utilisation des épargnes populaires d'ici; en effet les Américains utilisent les institutions financières québécoises pour financer leurs projets. L'Etat québécois, à même les impôts des travailleurs, leur fournit également une aide importante, sans compter les profits qu'ils font ici à même le travail collectif de travailleurs québécois (En réalité seulement 10% de leurs investissements proviennent de leur propre pays d'après la revue "Can-adian Dimension" (d'avril 1971).). Mais il y a plus que cela: il y a fuite de capitaux car les profits faits au Canada et au Québec ne sont pas tous réinvestis ici. De 1960 à 1969, les Américains ont retiré du Canada $2.6 milliards de plus qu'ils n'avaient effectivement investis. De 1959 à 1965, ils ont retiré du Québec $350 millions de la même façon.34 De plus, nous déversons directement une partie de notre épargne dans des institutions financières dont ils ont le contrôle (les compagnies d'assurance entre autres): le Conseil d'Expansion économique mentionne que nous confions $350 millions de primes annuelles à des entreprises ontariennes et américaines; sur une période de 10 ans, nous perdons ainsi le contrôle de $3 milliards 500 millions.35

La propriété et le contrôle étrangers de l'économie du Québec ont des implications politiques et sociales de premier ordre. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'existe pas de coïncidence naturelle entre les intérêts des grandes firmes américaines et ceux du Québec. Les fruits de cette dictature économique, de cette dépendance vis-à-vis des entreprises américaines, sont la fuite des capitaux hors du Québec, l'utilisation de capitaux québécois aux fins des entreprises capitalistes américaines et non aux fins de l'ensemble de la collectivité du Québec et le développement anarchique des industries, des régions et des villes du Québec.

Les conséquences de cette domination: le développement anarchique de l'industrie et des villes, la fuite des capitaux et l'utilisation de nos capitaux à des fins américaines

Il LE CAPITALISME DES MONOPOLES AU QUÉBEC ET À L'ÉCHELLE MONDIALE

A. L'origine et la force des monopoles dansle monde

B. Le rôle de l'Etat capitaliste

C. La force politique des monopoles auQuébec

Cette emprise économique sur le Québec et sur le Canada ne peut évidemment être réalisée que par de grandes entreprises qu'il est convenu d'appeler sociétés multinationales. Ces sociétés multinationales américaines sont en fait des monopoles. L'économie capitaliste au fur et à mesure de son développement, a vu un nombre de plus en plus restreint de propriétaires capitalistes posséder de plus en plus de moyens de production. Comment expliquer ce développement?

A. L'ORIGINE ET LA FORCE DES MONOPOLES DANS LE MONDE

• Comment les monopoles ont-ils pris naissance?

Ce qui explique l'existence des monopoles, c'est la fusion du capital bancaire et du capital industriel. Plus la technologie se perfectionne, plus s'accroît la nécessité pour une entreprise donnée de renouveler ses machines afin d'offrir sur le marché plus de produits que ses concurrents et cela en moins de temps; ceci pour obtenir des profits plus élevés. Mais plus la technologie se perfectionne, plus les machines ont un coût élevé, ce qui suppose des réserves de fonds de plus en plus considérables. Bref, plus l'entrepreneur capitaliste a un gros capital, plus il pourra investir et plus il pourra investir, plus il lui sera possible d'utiliser le progrès technique.

L'utilisation de ce progrès technique lui permettra d'avoir une plus grosse part du marché. Ceci provoque du même coup l'élimination de petits entrepreneurs capitalistes qui se voient obliger de déclarer faillite ou d'accepter d'être absorbés par d'autres ou de devenir sous-traitants, ce qui est une autre forme de soumission. S'il y a ralentissement de la production dans les grandes entreprises, il y a alors ralentissement de la production dans ces entreprises sous-traitantes. C'est là le début de la concentration des capitaux et des moyens de production dans les mains d'un nombre de plus en plus restreint d'entrepreneurs.

Et si la libre concurrence produit la concentration, la concentration produit, elle, le contraire de la libre concurrence; elle produit le monopole: "là où il y a peu de producteurs, ceux-ci peuvent facilement se concerter aux frais des consommateurs en se mettant d'accord pour se répartir le marché, en se mettant d'accord pour arrêter toute baisse de prix" 36.

Cependant, ces monopoles n'auraient jamais pu se créer si des sommes énormes d'argent n'avaient pas été disponibles. Comme les entrepreneurs capitalistes ne possédaient pas les argents nécessaires pour assurer le renouvellement de leur équipement technologique, ils durent faire appel aux institutions financières.

En fait, le rôle des institutions financières est capital. Ces institutions drainent l'épargne des travailleurs salariés au bénéfice des grandes entreprises capitalistes américaines et canadiennes-anglaises qui viennent s'implanter au Québec.

La très grande partie de l'épargne est recueillie principalement par les banques et les compagnies d'assurance (surtout d'assurance-vie). On peut ajouter à cela les caisses populaires, les sociétés de fiducie (ou "trusts"), les sociétés de prêts (ou compagnies de finances), les fonds de pension et les fonds mutuels.

Mais que fait-on avec cet argent? Un capital-argent qui est en dehors du circuit commercial et industriel est improductif et dans le cadre d'une économie capitaliste cette situation est invraisemblable. Il faut le faire fructifier et c'est là qu'intervien-nent les institutions financières et en premier lieu les banques qui vont servir d'intermédiaires entre ceux qui possèdent de l'argent (Les fonds de salaires et d'accumulation des entreprisesde même que l'ensemble des épargnes populaires (dépôtset primes d'assurance).) et ceux qui cherchent à investir. Les institutions financières mobilisent et centralisent le capital. Et comme il s'agit de ne laisser aucune somme improductive elles avancent des fonds (Il existe deux marchés: le marché monétaire ou marchédu crédit à court terme pour des emprunts peu considérables (ex.: prêts personnels) et le marché financier ou marché du crédit à long terme ou marché du crédit d'investissement. C'est ce deuxième marché qui est de loin le plus important.) là où il y a les meilleures possibilités de réaliser des profits. Ceci se traduit en pratique par l'achat d'obligations et d'actions sur le marché boursier. En réalité leur rôle ira plus loin avec le temps. Ces achats d'actions, dans plusieurs cas, signifient que la banque prend le contrôle de l'entreprise et, par conséquent, nomme des représentants sur le conseil d'administration de cette entreprise. C'est ainsi que naissent des groupes financiers dont la fonction quasi exclusive est de financer l'industrie en s'en emparant, ce qui leur donne un pouvoir économique sans précédent.

Pour ce qui est du Québec, cela veut dire que les institutions financières d'ici financent en grande partie les monopoles américains à même l'argent des travailleurs salariés québécois. La commission "Porter" (Commission fédérale qui a soumis son rapport en 1963.) affirmait dans son rapport que de 1946 à 1961 les investissements totaux faits au Canada ont été financés à 91% par de l'épargne canadienne. On peut estimer que la même situation se reproduit au Québec pour 80% au moins des investissements.

Il n'est pas sans intérêt également d'insister sur le fait que la majorité du capital-argent des banques et des compagnies d'assurance provient des dépôts et des primes. Mais les propriétaires-actionnaires n'ont besoin que de 5 ou 10% du capital total de l'une ou l'autre de ces banques ou compagnies d'assurances, pour s'en assurer le contrôle.37

L'exemple de la Banque de Montréal est révélateur du rôle que jouent les institutions financières. Fondée en 1817, la Banque de Montréal regroupait, à l'époque, les marchands anglo-écossais, installés à Montréal qui devaient leur fortune au commerce des fourrures. Dans les années 1850-1860, au moment de la Confédération, elle donne son impulsion au "Canadian Pacific Railway" (C.P.R.) puis à la Dominion Textile en 1905, et à la "Price Bros" (pâtes et papiers). Aujourd'hui la Banque de Montréal possède 205 succursales, elle est également le principal actionnaire de "Royal Trust" et est associée avec "Ames and Co." qui vend les obligations du gouvernement du Québec sur le marché. A partir de ces dépôts bancaires, de ces primes d'assurances, de ces dépôts fiduciaires qui proviennent en majeure partie du Québec, elle finance l'implantation des monopoles étrangers ici: c'est le cas de l'Alcan (USA), de l'International Nickel (USA), de Brinco (bri tannique), de la C.I.L. (britannique), de Rothman's (Afrique du Sud), de Bell Téléphone (USA).

La banque de Montréal est un exemple de la fusion du capital bancaire et du capital industriel, fusion qui permet de créer des monopoles et de les consolider

• Comment les monopoles ont-ils étendu leur pouvoir partout à travers le monde

Ce qui explique l'origine des monopoles, c'est la fusion du capital bancaire et du capital industriel. Et c'est le capitalisme de monopoles qui permet la main-mise du petit nombre sur un nombre de plus en plus grand de moyens de production. Et ce qui explique la main-mise des monopoles américains sur le Québec, c'est la force qu'ils ont dans le monde entier c'est-à-dire l'impérialisme ( Main-mise supportée de fait, par l'Etat québécois. A ce sujet voir plus loin sur le rôle de l'Etat capitaliste.).

Plusieurs monopoles américains sont présents au Québec: c'est le cas de IBM (International Business Machine), c'est le cas de ITT (International Téléphone and Telegraph), c'est le cas de la CIP (Canadian International Paper), c'est le cas de l'Iron Ore et de plusieurs autres. 60% de l'industrie canadienne est contrôlée par des capitaux américains 38 et la situation au Québec , à peu de choses près, identique.

Pour connaître davantage ce qu'ils sont, quel est leur rôle et leur importance, il nous faut prendre un exemple et l'analyser en long et en large. Les monopoles américains sont en fait les véritables gouvernements, le gouvernement du capital.

1 - un cas de monopole: le pétrole

Le cas-type qui permettra d'illustrer leur rôle est celui de l'industrie pétrolière américaine et de sa principale compagnie la "Standard Oil of New Jersey" qui est liée à la "Chase Manhattan Bank" et à la "First National City Bank". Au Québec, comme au Canada, le pétrole est contrôlé à 100% par les capitaux américains. La "Standard Oil of New Jersey" opère ici par sa filiale "l'Impérial Oil". "L'Impérial Oil" est, selon le "Financial Post" de Toronto, au 5e rang pour l'actif et au 3e rang pour les profits parmi les 100 plus grosses compagnies du Canada.

Le pétrole c'est en quelque sorte le sang du monde industriel moderne. En premier lieu il fournit le carburant nécessaire aux avions, aux navires, aux camions et aux millions d'automobiles à travers le monde entier. D'autre part, il est à la source de quelques 300,000 produits dérivés de l'industrie pétrochimique. La peinture, le plastique, les produits synthétiques servant à la fabrication de vêtements sont des exemples de produits dérivés du pétrole. A lui seul le pétrole représente 60% de l'énergie mondiale, ce qui fait de cette industrie l'industrie numéro un.

L'industrie pétrolière américaine exerce une main-mise directe ou indirecte sur 80% du marché mondial du pétrole. Ce phénomène s'explique, d'une part, par l'importance de la production américaine concentrée principalement dans les Etats du Sud-Ouest (Texas, Louisiane, Californie, Kansas, Wyo-ming, New-Mexico); et d'autre part, par les positions de force acquises dans d'autres pays où elle est une matière première importante: Venezuela, Irak et Iran, Arabie Séoudite. . . Cette industrie du pétrole domine l'économie américaine depuis 40 ans et constitue un monopole-type: 22 compagnies seulement produisent 65% du pétrole brut et en raffinent 87%, laissant à 9,000 autres compagnies le soin de se partager le reste.

Les 10 premières entreprises mondiales de pétrole (1966) 39

sociétés

pays

chiffres d'affaires en millions de$

Standard Oil of New Jersey

U.S.A.

12,191

Royal Dutch Shell

G.-B. et Hollande

7,711

Mobil Oil

U.S.A.

5,253

Texaco

U.S.A.

4,427

GulfOil

U.S.A.

3,781

Shell Oil

U.S.A.

2,789

Standard Oil (of Indiana)

U.S.A.

2,708

Standard Oil (of California)

U.S.A.

2,698

B.P.

G.-B.

2,543

Continental Oil

U.S.A.

1,749

Une première dominante se dégage de ce tableau: l'importance de l'industrie améri- caine du pétrole dans le monde. On peut ajouter, en complément, que les investissements étrangers des compagnies de pétrole américaines représentaient en 1968 près de $30 milliards, soit en fait, près de 40% des investissements extérieurs américains. Il y a plus: les 4 plus grandes sociétés pétrolières américaines faisaient partie en 1966 des 10 premiers complexes industriels des Etats-Unis: la "Standard Oil of New Jersey" se classait 3e, après la General Motors et la Ford, la Mobil Oil 4e, la Texaco 7e et la Gulf Oil 10e, pour ce qui est de la main-d'oeuvre employée. Ces quatre sociétés engagent en fait 364,846 employés (Ces sociétés opèrent à tous les niveaux: extraction, transport, raffinage et vente au détail.). Pour ce qui est des bénéfices nets, elles cumulent plus de $2.6 milliards.

Une deuxième dominante: dans ce vaste complexe économique, la "Standard Oil of New Jersey" avec un chiffre d'affaires de plus de $12 milliards, contrôle à elle seule 20% du marché mondial. Ce chiffre dépasse de $3 milliards ce que le gouvernement canadien avait comme budget la même année. Les plus gros actionnaires de cette compagnie: la famille Rockfeller et leurs associés qui possèdent 40% des parts. Avec de telles dimensions, on peut imaginer la puissance économique déterminante que détient l'industrie pétrolière américaine avec à sa tête la "Standard OU", sur l'équilibre financier international. Cette puissance économique se double d'une capacité d'intervention politique auprès d'un certain nombre de gouvernements locaux comme au niveau de la politique étrangère et militaire américaine (L'industrie du pétrole est d'ailleurs aux Etats-Unis le principal soutien financier du parti républicain et d'une importante fraction du parti démocrate.).

2- le soutien militaire

L'industrie américaine de l'acier, l'industrie américaine de l'automobile, l'industrie américaine de l'informatique (en 1968 IBM accapare 80% du marché mondial des ordinateurs, a un chiffre d'affaires de $7 milliards, étend ses activités dans 87 pays et engage plus de 250,000 personnes) 40 sont toutes du même calibre. Acier, automobile, pétrole, informatique sont tous des secteurs-clés dans l'économie mondiale et, les Etats-Unis avec leurs entreprises multinationales dans ces secteurs, y figurent au premier plan. L'impérialisme américain, c'est cette dictature économique des monopoles à l'échelle internationale.

Cette puissance économique se double en fait d'une puissance militaire qu'on a peine à imaginer. Claude Moisy, journaliste à l'Agence France-Presse écrit dans son volume "L'Amérique sous les armes" 41 . . ."essayez d'imaginer ensemble tout le personnel de General Motors, de Chrysler, de General Electric, de la Standard Oil of New Jersey, de IBM et de U.S. Steel. Cela fait beaucoup de monde. Mais cela ne fait pas encore la moitié du personnel du département de la défense: 3,500,000 militaires et 1,200,000 employés civils (effectifs de 1968)". Le Pentagone est non seulement le plus gros employeur, mais aussi la plus riche entreprise avec $200 milliards d'actif sous forme de propriétés et d'équipement. Il possède aussi le plus grand réseau de radio et de télévision au monde avec 350 stations, dont 35 stations de télévision dans une trentaine de pays en dehors des Etats-Unis.

Cette puissance militaire est étroitement liée à la puissance économique par l'interpénétration des capitaux privés et des capitaux publics. Le budget militaire américain était de plus de $80 milliards en 1969 soit la moitié du budget du gouvernement américain cette année-là; de ce $80 milliards provenant en majeure partie des travailleurs salariés américains (sous forme d'impôts), $40 milliards vont en commandes aux industries d'armement et à la recherche technique.

• Quelles sont les conséquences de la domination économique des monopoles?

Rappelons que près de 50% de la main-d'oeuvre industrielle et commerciale du Québec travaille directement ou indirectement pour des sociétés multinationales. Autrement dit, lorsque la bourse de New York éternue, des milliers de travailleurs dans des dizaines de pays, en commençant par le Canada et le Québec, en subissent les conséquences. Le ralentissement de la production d'armes et de munitions destinées à la guerre au Vietnam et la crise monétaire internationale, ont provoqué des fermetures temporaires ou permanentes d'usines au Québec. C'est le cas de la Shawinigan Chemicals (Gulf Oil), Canadian Carborandum, Alcan, Mobilab, Domco, Canadair. . .42. A la base du diagnostic de crise économique posé par la CSN, il y a perte de vitesse non seulement dans les secteurs traditionnels tels le textile et le vêtement, mais aussi dans les secteurs les plus solides et les plus vitaux du Québec: pâtes et papiers, métallurgie, mines et produits chimiques.

En effet, le capitalisme, aujourd'hui comme hier, à la fois à cause de sa puissance et malgré elle, développe ses propres contradictions. Et ce sont les crises périodiques qui illustrent ce phénomène de la façon la plus nette: fermetures d'usine et chômage élevé, dévaluation de la monnaie dans tel ou tel pays (la livre anglaise en 1967, le franc en 1969), inflation très marquée dans les pays du Tiers Monde, crise monétaire internationale en 1971. Ces signes sont indicateurs d'une crise profonde qui rappelle à certains, la grande crise des années 30. L'histoire du capitalisme démontre bien qu'il évolue par bonds: à des taux de croissance élevés succèdent des taux de croissance plus bas. Sur de courtes périodes (5-10 ans), il y a des récessions (crises amorties par l'intervention de l'Etat); sur de longues périodes (30 ans), il y a des cycles de stagnation (1913-1940) et des cycles d'expansion (1940-1965).

• D'où viennent ces crises périodiques de l'économie capitaliste?

Ces crises et mini-crises renvoient toutes à une loi fondamentale du développement du capitalisme: la baisse tendancielle du taux moyen de profit. Tous les économistes s'accordent à constater l'existence d'une révolution technologique permanente ou la permanence de nouvelles techniques appliquées à la production. Dans un premier temps la concurrence sur le marché permet de faire des profits; elle joue en faveur des plus gros entrepreneurs à cause de leur capacité à renouveler plus rapidement leurs machines; d'où la constitution progressive d'une économie de monopoles. Dans un deuxième temps - c'est-à-dire sur une période plus longue - on remarque une tendance à la baisse du taux moyen de profit; cette tendance est due au développement continu du stock de machines dans les entreprises. Il n'y a aucune limite au renouvellement du stock de machines et donc à l'augmentation de la composition organique du capital (*). En effet, plus les machines sont complexes, plus le coût en est élevé; plus le renouvellement des machines doit se faire rapidement, plus l'amortissement de ces machines est rendu difficile; plus les machines sont complexes, plus elles exigent une main-d'oeuvre qualifiée. Ceci a pour effet d'accroître les coûts. Ces coûts pourraient théoriquement être absorbés entièrement par une hausse des prix mais à un certain moment, le pouvoir d'achat correspondant n'existe plus.

Prenons un exemple 43:

Supposons une valeur de production annuelle de:

$300 millions (C ou machinerie) + $100 millions (Vou salaires) + $100 millions (pl ouplus-value) = $500 millions;

Si par hypothèse, sur 10 ans, cette valeur passe à:

• $400 millions (C) + $100 millions (V) + $100millions (pl) = $600 millions;

L'augmentation de la composition organique ducapital de $300 à $400 millions entraine une diminution du taux de profit:de 100/400 = 25% à 100/500 = 20% (*)

* Le capital dont il est question ici n'est pas le capital-argent nécessaire à l'investissement mais le capital servant à faire fonctionner l'entreprise. Il se divise en deux:

a- le capital constant (c.c.) ou en "d'autres termes: les machines,

b- le capital variable (c.v.) ou en d'autres termes: la force de travail et ce qu'elle représente dans une entreprise capitaliste c'est-à-dire des salaires.

L'augmentation de la composition organique du capital est l'augmentation de la proportion de capital constant (machines) par rapport au nombre de travailleurs nouveaux qui viennent s'ajouter lorsqu'une entreprise décide d'agrandir et de se renouveler.

Il faut cependant se garder d'une interprétation trop simpliste: cette tendance à la baisse du taux de profit ne joue pas d'une façon uniforme d'année en année. Certains facteurs jouent dans le sens inverse: pression sur les travailleurs (augmentation des cadences de travail par exemple), achat des matières premières à un coût moindre (le contrôle des ressources naturelles dans les pays "sous-développés" permet cela). Ces facteurs ne jouent cependant pas d'une façon permanente car la résistance des travailleurs organisés ou encore la résistance des pays "sous-développés" à une exploitation de leurs matières premières à un coût si faible, contrecarrent ce mouvement. Les monopoles se voient donc à un moment ou l'autre, obligés de résoudre leurs problèmes d'une autre façon s'ils veulent éviter la crise.

* On remarquera que les salaires n'ont pas augmenté pendant 10 ans; on peut supposer que le renouvellement des machines a amené un renouvellement de la main-d'oeuvre dans le sens d'un maintien de la même somme globale de salaires sur 10 ans.

Si on désire calculer le taux de profit on applique la formule: pl/C + V.

B. LE RÔLE DE L'ÉTAT CAPITALISTE

Afin d'éviter la crise (baisse du taux de profit) en période de récession ou de stagnation de l'économie ou encore afin d'élever davantage leurs profits en période d'expansion (période de remontée des investissements), les monopoles doivent compte sur certains appuis financiers et économiques importants: ils auront recours à l'Etat. Voyons comment cela se passe au Québec.

• D'où viennent les fonds de l'Etat?

Les premières questions qui nous viennent à l'esprit lorsqu'il s'agit du gouvernement, ce sont évidemment celles qui concernent son budget: d'où vient le budget du gouvernement et que fait-il avec cet argent? Il s'agit d'abord de budgets imposants: pour les années qui viennent, le Québec aura un budget de près de $4 milliards et le Canada de près de $12 milliards. Ce budget ne cesse d'ailleurs d'augmenter. Par exemple le Québec, dans les 5 dernières années, a doublé son budget.

Où l'Etat trouve-t-il cet argent? C'est évidemment ici tout le système de taxation qui est en cause. Pour 15% environ de son budget, l'Etat retire aux corporations des impôts sur leurs profits: profits des entreprises manufacturières, profits d'exploitation minière et profits sur les opérations forestières. Le reste, soit 85% environ de son budget, provient de taxes directes ou indirectes imposées aux travailleurs salariés. Environ 35% du budget total est tiré d'impôts directs, ce qui représente à peu de choses près l'équivalent de un à deux mois de salaire pour chacun d'entre nous. Ces impôts directs se doublent de taxes indirectes telles la taxe de vente au détail et la taxe d'accise, dont la majeure partie provient des travailleurs 44.



Le budget de l'Etat provient des impôts et ces impôts proviennent pour 85 à 90% des travailleurs salariés.

Bref, le budget de l'Etat est en majeure partie assuré d'une façon directe ou indirecte par les salaires des travailleurs.

• Que fait l'Etat comme caissier central? Qu'advient-il de cet argent?

1- Il servira à assurer la disponibilité de la main-d'oeuvre: une partie de l'argent de l'Etat sera redistribué sous forme de services collectifs. Il s'agit en quelque sorte d'un salaire indirect déboursé pour l'ensemble des travailleurs salariés et leurs familles afin de répondre à certains besoins: l'éducation (le système d'enseignement, du primaire à l'universitaire), la santé et le bien-être (assurance-santé, allocations familiales, services de santé), les travaux publics (entretien des routes ou voirie...), l'assurance-chômage.

Tout en prenant une bonne partie du budget (Les services collectifs de ce type prennent environ 50 à 60% du budget total de l'Etat québécois. Pour ce qui est du Canada, ils entrent dans le budget pour 25à 30% environ.), ces services collectifs ne sont cependant qu'un minimum vital. Ce salaire indirect ne joue qu'un rôle d'appoint en assurant aux travailleurs salariés des biens de nécessité autres que le logement et la nourriture. Une qualification suffisante de la main-d'oeuvre de même que son renouvellement (nouvelle main-d'oeuvre sortant des CEGEPs en particulier), un état de santé suffisant... sont nécessaires pour que les travailleurs salariés soient en mesure de fournir un rendement "normal" dans les entreprises (c'est d'ailleurs dans ce sens qu'on peut comprendre la réforme du système d'enseignement au Québec: une main-d'oeuvre abondante mais peu ou pas qualifiée et des professionnels de professions traditionnelles (notaires, avocats... ) ne suffisaient plus. Il fallait davantage de techniciens, d'ingénieurs...).

2- Il servira à atténuer les crises économiques: une partie des services collectifs sont nécessaires pour que la main-d'oeuvre corresponde davantage aux besoins du marché. Une autre partie sert davantage à atténuer les crises: les régimes d'assurance-chômage, d'assurance-maladie, de sécurité sociale résultent d'abord des pressions du mouvement ouvrier face à l'insécurité permanente des travailleurs; ces assurances sociales ne sont cependant pas sans intérêt pour l'état général de l'économie. En effet, dans le cas du chômage par exemple, 10% de chômeurs dans un pays ne signifie plus comme dans les années 30 une chute de la demande globale de 10% mais seulement de 3 ou 4%. L'Etat, grâce à l'assurance-chômage et à l'ensemble des assurances sociales, évite une chute trop brutale dans la vente des biens de consommation; il évite une chute trop brutale dans le pouvoir d'achat (A la suite de la crise des années 29-36, Keynes, un économiste anglais, développa une théorie économique permettant au capitalisme de se sortir de ces crises périodiques en faisant intervenir l'Etat afin de régulariser la situation. C'est à cette théorie que renvoie la plupart des analyses des économistes bourgeois d'aujourd'hui.), car cette chute pourrait à la longue accroître le chômage et entraîner une baisse dans d'autres secteurs industriels et finalement une crise générale.

Mais le rôle économique de l'Etat n'en reste cependant pas là.

L'Etat est aussi un contremaître de l'économie pour les monopoles en se portant garant de leurs profits:

1- L'Etat servira à offrir des débouchés stables aux entreprises: si les assurances sociales évitent des chutes brutales dans l'industrie des biens de consommation, l'importance des budgets militaires évite des chutes dans l'industrie de fabrication de biens d'équipement. Rappelons à cet effet que 25% environ du budget canadien est affecté à la défense nationale et dans le cas des Etats-Unis, ce budget dépasse 50%. L'Etat devient ainsi le client majeur de certaines industries: aux Etats-Unis par exemple, 70% du chiffre d'affaires de l'industrie aérospatiale et 60% du chiffre d'affaires de l'industrie de l'électronique provient de commandes militaires du gouvernement fédéral américain 45.

L'Etat offre aussi aux entreprises des débouchés stables et permanents par ses commandes publiques de matériel nécessaire à son propre fonctionnement de même que par les travaux publics qu'il entreprend: réseau hydro-électrique, infrastructure routière, aménagement du transport (voie maritime, aérogares, chemins de fer... ), aménagement de zones industrielles... etc.

2- L'Etat servira à assurer les risques du capital privé 46: comme le progrès technique exige des mises de fonds initiales de plus en plus importantes avec de moins en moins de chances de rentabilité longue et pleine, l'Etat offre dans les circonstances une assurance-risque par toute une série de moyens.

Dans plusieurs cas, il offre des subsides directs ou indirects: exemptions fiscales ou subventions, concessions minières et forestières... De plus, l'Etat s'occupe de la formation de la main-d'oeuvre (système d'enseignement) quand il ne s'occupe pas de ramasser les pots cassés (le recyclage, par exemple).

Dans d'autres cas, il renfloue des entreprises capitalistes en difficulté (cas de Marine Industries qui appartenait aux frères Simard de Sorel et qui actuellement est contrôlé par la SGF).

L'Etat remet par ailleurs, entre les mains de "trusts", des travaux qui pourraient être accomplis et contrôlés par des entreprises publiques (cas de la Baie de James où Rexfor, Soquem et l'Hydro-Québec ne joueront qu'un rôle d'appoint là où les profits ne peuvent se faire).

Il peut également prendre en charge certains secteurs de base non rentables (cas de la mine de molybdène à La Corne, en Abitibi) et assurer ainsi des prix de revient plus bas à l'industrie privée de transformation.

Bref, l'Etat soutient les monopoles par le capital public qu'il rend disponible au capital privé; il leur permet de s'en sortir dans les phases creuses ou de faire des surprofits dans les phases d'expansion de l'économie. Schématiquement, on pourrait reproduire de la façon suivante les relations de l'Etat avec les grandes entreprises au niveau du cycle de rendement des capitaux:

Le capital public soutient le capital privé en se subordonnant à ses objectifs et à sa stratégie de rendement (recherche du profit)

PHASE I:

• Le capital privé s'assure le contrôle de l'opération avec une mise minimum de capitaux.

• Le capital privé s'assure un investissement massif de capital public étant donné que la phase de lancement n'est pas rentable

(S I D B E C, HYDRO-QUÉBEC...)

• Remarque: ici le capital public ne s'accumule pas puisqu'il n'est pas investi dans la production comme telle mais dans le lancement. Il ne crée pas de surplus. Le capital privé, surtout dans la phase II, s'accumule.

PHASE II:

PHASE III:

• Le monopole se retire, d'où l'intervention massive de l'Etat.

• En somme, dans cette phase,le capital privé refoule vers l'Etat ses propres contradictions. L'Etat ramasse les pots cassés en "nationalisant" les pertes (Ce schéma exprime une tendance générale qui prend des formes particulières dans chaque cas.).

Un cas précis: l'entente I.T.T. - Québec 47

L'ITT (International Téléphone and Telegraph) est, par son chiffre d'affaires, la llième compagnie en importance dans le monde capitaliste et la 8ième aux Etats-Unis. Son chiffre d'affaires était en 1970 de $6.4 milliards et ses profits la même année de $353.3 millions. Elle opère par l'intermédiaire de plus de 200 filiales dans 67 pays et emploie à travers le monde près de 400,000 travailleurs.

L'ITT opère au Québec par l'intermédiaire de l'ITT-Rayonier. Cette filiale vient de s'implanter sur la Côte-Nord, à Port-Cartier, dans le but de produire de la pâte dissolvante qui sert de produit de base dans la fabrication du textile synthétique (rayonne) et dans la fabrication de pellicule cellulose (genre cellophane).

Quelles sont les clauses de l'entente entre l'ITT et les gouvernements? De son côté, l'Etat (fédéral et provincial) s'engage à fournir $40 millions de subventions directes, ce qui représente 25% de l'investissement nécessaire à la construction de l'usine et des installations connexes. Le Québec accorde également une concession forestière en exclusivité pour l'ITT de quelque 52,000 milles carrés (plus de 2 fois le territoire du Nouveau-Brunswick). Cette concession est accordée pour 40 ans avec un droit de coupe établi à $0.50 la corde, ce qui est un rabais important si l'on considère que le gouvernement provincial exige $3.00 la corde à une autre compagnie (Kruger) pour 10 ans et $3.50 la corde après 10 ans. L'énergie électrique fournie par l'Hydro-Québec lui sera vendue au prix le plus bas sur le marché pendant 15 ans. Ajoutons à cela $55 millions en routes.

De son côté, l'ITT "offrira 4,000 emplois au Québec d'ici 1987 tout en créant 15,000 emplois en Europe. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour avoir une idée assez nette de ce que nous coûte l'ITT par rapport à ce qu'il rapporte aux travailleurs québécois.

• Le capitalisme monopoliste d'Etat

En bref, ce qui caractérise le capitalisme aujourd'hui, c'est l'emprise des monopoles sur l'économie mondiale. Emprise rendue possible grâce à l'interpénétration du capital bancaire et du capital industriel. Emprise des monopoles grâce également au soutien actif de l'Etat. C'est pourquoi on qualifie le capitalisme d'aujourd'hui de capitalisme monopoliste d'Etat.

Cette situation a pour résultat d'accroître les contradictions. D'un côté, nous avons un système de production où l'ensemble des marchandises produites sont plus que jamais le fruit d'un travail collectif: par le travail d'équipe avec de plus en plus de travailleurs rassemblés dans les grandes entreprises, par le drainage des épargnes populaires vers les entreprises, par l'adjonction de capital public que l'Etat fournit aux entreprises.

De l'autre côté, le système de production est plus que jamais l'appropriation privée du petit nombre par la concentration des capitaux, par la monopolisation dans les secteurs les plus importants (à l'échelle mondiale) et par l'utilisation privée du capital public.

Une des conséquences de cette situation, c'est que les travailleurs salariés forment une classe de plus en plus vaste tandis que la classe capitaliste est de plus en plus minoritaire. Les petits entrepreneurs capitalistes écrasés par la concurrence sont peu à peu dépossédés de leur capital. Dans le meilleur des cas, ils demeurent directeurs de leur entreprise ou sont ramenés au rôle de sous-traitants. Sinon, ils deviennent de petits gérants ou des techniciens. Si leur entreprise est trop petite, ils sont rapidement évacués du monde des affaires et peuvent devenir de simples employés. La même situation se reproduit pour les cultivateurs qui deviennent des travailleurs agricoles ou forestiers.

Au Québec, l'exploitation des travailleurs se traduit par l'emprise de l'empire américain sur notre économie; cette emprise empêche la mise sur pied d'une industrie lourde nécessaire au développement du Québec. En investissant ici, les Américains ont privilégié certains secteurs et en ont négligé d'autres. Ils s'assurent le contrôle de nos matières premières, profitent d'une main-d'oeuvre qui coûte moins cher que chez eux et empêchent la naissance d'entreprises québécoises qui pourraient leur faire concurrence.

L'emprise des monopoles sur l'économie leur permet aussi d'éviter la baisse des prix des produits. D'année en année, les prix demeurent stables ou évoluent dans le sens de la hausse. C'est ce qui crée une tendance à l'inflation permanente (*), à une augmentation continue des prix sans équivalent au niveau du pouvoir d'achat des travailleurs.

* On prétend souvent que l'inflation est causée par les syndicats. Le raisonnement est le suivant: les syndicats forcent les entreprises à augmenter les salaires de leurs employés, ce qui les oblige à augmenter leurs prix. Les syndicats sont un bouc émissaire parfait pour les politiciens et les groupes patronaux. En réalité, ce sont les monopoles qui causent l'inflation. Parce qu'ils contrôlent le marché, ils peuvent maintenir leurs prix ou les faire évoluer dans le sens de la hausse.

C. LA FORCE POLITIQUE DES MONOPOLES AU QUÉBEC

La classe capitaliste a un poids politique énorme par les instruments politiques et idéologiques qu'elle contrôle, c'est-à-dire le gouvernement et les partis politiques qui se succèdent au pouvoir de même que les média d'information.

Très souvent, les dirigeants des grandes firmes viendront réclamer au gouvernement l'un une subvention, l'autre une exemption fiscale, le troisième un prêt, le quatrième une commande supplémentaire, en disposant souvent de moyens de pression importants. Ainsi, au niveau local, la rumeur d'une fermeture d'usine peut servir de moyen de pression sur les élus de la région afin que soit concédée une exemption fiscale ou au­tre chose. A un niveau plus général, les grandes entreprises disposent de moyens plus raffinés. Faisons l'examen de quelques-uns de ces moyens en étudiant quatre situa­tions: le contrôle de l'information, la vente des obligations du gouvernement du Québec, la consultation économique du gouvernement du Québec, et le financement des partis politiques.

• L'information au Québec: le cas Power Corporation

Le Québec dispose aujourd'hui de moyens d'information qui sont énormes: 74 postes de radio, 17 postes de télévision, 14 quotidiens, 4 grands hebdos, 5 quotidiens du dimanche, 10 hebdos de variétés, 4 grands périodiques mensuels, une centaine d'hebdos régionaux ou de quartiers.

Mais cet ensemble de moyens d'information (presse, radio, T.V.) ne permet guère de comprendre les problèmes importants et de les solutionner.

D'abord ils sont entre les mains de propriétaires privés qui font fonctionner ces entreprises sur le même mode de fonctionnement que toutes les entreprises, c'est-à-dire sur la base du profit.

Ensuite, ils sont concentrés entre les mains de quelques-uns. Ce petit nombre de. "rois de la Presse" a également des intérêts importants dans de nombreuses entreprises.

Le cas de Power Corporation est éloquent à cet égard. Après 5 ans de transactions, entre 1963 et 1968, pour obtenir la réalisation d'un certain nombre de fusions, le groupe Desmarais-Power Corporation réussit finalement à s'accaparer une bonne partie du marché de l'information. Power Corporation possède 42.4% du marché québécois des quotidiens de langue française et 34.9% du marché québécois des hebdomadaires de langue française. A cela s'ajoute le contrôle d'un certain

nombre de postes de radio et de télévision.48

Bref, les principaux moyens d'information au Québec appartiennent à un seul et même groupe, le groupe Desmarais-Power Corporation. Ce groupe financier détient par ailleurs d'importants intérêts dans d'autres secteurs de la vie économique du pays: production du verre (Dominion Glass), pétrole et gaz naturel (Northern and Central Gas Corp.), pulpe et papier (Consolidated Bathurst), transport (Canada Steamship Lines), communications (télémédia Québec).

Les groupes financiers ont tout intérêt à exercer un contrôle sur les média d'information: les média permettent de façonner l'opinion publique, de lui imposer des limites précises (fédéralisme et capitalisme) et d'empêcher, par voie de conséquence, que les travailleurs comprennent davantage le pourquoi de leur situation (Un examen attentif de l'information du "Dimanche-Matin" et de "Québec-Presse", par exemple, permet de voir le décalage qui existe entre un journal contrôlé par le capital privé et un autre contrôlé par le mouvement ouvrier. Le morcellement de l'information est systématique dans le premier cas. Il brise ou empêche les possibilités d'une opinion publique critique.). De quelle nature est ce contrôle? En premier lieu, les propriétaires exercent un contrôle direct: les droits de gérance leur appartiennent presque en totalité. Ceci veut dire que la propriété d'une entreprise de presse confère aux administrateurs le plein droit d'embaucher, de congédier, de faire les nominations à leur gré, d'effectuer les transferts qu'ils veulent et de censurer le journal ou le poste de radio et de T.V. lorsque cela s'impose. Mais le véritable contrôle est plus indirect et a plus de portée: personne ne l'exerce en particulier mais tous y participent. Prenons un exemple: le journal "La Presse". "La Presse" est composée à 70% d'annonces, à 20% de nouvelles de pure consommation (sports, page féminine, tribunaux, faits divers) et à 10% de nouvelles politiques éparses portant autant sur le municipal, le provincial,

le fédéral que sur la politique internationale. C'est la publicité qui donne le ton sans pour autant nous indiquer quoi que ce soit sur la marchandise et sa qualité. Le reste nous est présenté comme un fouillis d'événements et de faits isolés les uns des autres de telle sorte que, loin de nous faire comprendre le monde dans lequel nous vivons, on nous en crée un de toutes pièces.49

• La consultation économique du gouvernement du Québec

Par un arrêté ministériel du mois de février 1969, le gouvernement de l'époque annonçait la fondation d'un Conseil Général de l'Industrie (CGI), organisme qui aurait pour fonction de jouer un rôle de consultation auprès du gouvernement et de compléter le travail de promotion industrielle du Ministère de l'industrie et du commerce. Bref, en ce qui a trait à notre avenir économique, c'est au CGI qu'on confie la tâche de conseiller le gouvernement.

Le Conseil Général de l'Industrie c'est quoi? Une soixantaine de personnes qui sont en quelque sorte les "boss" du Québec 50: trois des principaux "holdings" qui font des affaires au Québec, soit Power Corporation, Argus Corporation et CPR-Cominco, doublés des principales banques et institutions financières telles la Banque de Montréal et le Royal Trust. Du côté manufacturier, les principaux intérêts étrangers (Iron Ore, Texaco, Canadair, Alcan, Bell Canada, Chemcell...) y sont représentés par une vingtaine de personnes. On y retrouve également les principaux intérêts canadiens-anglais avec Dominion Textiles, Domtar, Price Paper, Steinberg's... et canadiens-français avec Bombardier, Rolland, Dupuis Frères...

Comme organisme consultatif, le CGI se trouve placé au centre des décisions du gouvernement en matière de développement économique et il entend bien exercer son influence sans hésiter.

En mai 1970, le Conseil Général de l'Industrie rendait public un document de près de 100 pages sur l'avenir économique du Québec et proposait de créer entre 1970 et 1976 au delà de 500,000 nouveaux emplois par le biais d'investissements qui totaliseraient $40 milliards. Le rôle de l'Etat dans tout cela: des stimuli fiscaux (subventions, exemptions... ). Quant à la planification et à l'élargissement du secteur public, ces questions ne sont pas abordées. Deux ans auparavant, Daniel Johnson avait d'ailleurs clarifié le point de vue du gouvernement en ces termes: "Si nous voulons recueillir les avantages que nous offre l'Amérique du Nord, nous devons respecter les règles du jeu (...). Le rôle de l'Etat n'est pas de se substituer à l'entreprise privée, mais de l'aider, de l'orienter, de la soutenir, de l'entourer d'un climat de confiance et de stabilité... 51."

Le Conseil, pour sa part, entend bien que ses recommandations soient acceptées: "Lorsque nous soumettons des recommandations au gouvernement", a confié à son

entourage un président de compagnie, membre du Conseil, "nous entendons bien qu'elles soient appliquées. Nous avons maintenant l'outil qu'il nous faut avec ce Conseil pour forcer le gouvernement à agir".52 Peut-on être plus clair sur le rôle du Conseil Général de l'Industrie? Il ne s'agit pas de simples individus sans pouvoir mais bien des principaux intérêts monopolistiques du Québec.

• La vente des obligations du gouvernement du Québec

Comme la majorité des travailleurs, l'Etat du Québec a besoin d'argent. Il a bien sûr des pouvoirs fiscaux qui lui permettent d'avoir un budget de près de $4 milliards. Mais le Québec doit aussi emprunter et depuis quelques années les emprunts sont de l'ordre du demi-milliard ($500,000) par année. Si, d'une certaine façon, nous avons le choix relatif d'emprunter où l'on veut (caisse populaire, caisse d'économie, banque ou compagnie de finance) à des taux d'intérêt variables selon l'institution financière, l'Etat, lui, n'a pas le choix.

Pour la majeure partie de ses emprunts, il doit se présenter sur le marché des capitaux. Et là, il a à négocier ces emprunts avec ce qu'on appelle des "syndicats financiers". Il s'agit, en fait, d'un bloc d'institutions financières reliées les unes aux autres dans un même organisme. Cet organisme ou "syndicat financier" regroupe, pour ce qui est du Québec, les principales maisons de courtage. Ces maisons de courtage s'occupent de la vente des obligations des gouvernements.

J. Parizeau, en février 70, rendit publique une lettre qui témoignait d'une entente du "syndicat" avec différentes maisons de courtage, invitant celles-ci à faire partie du "syndicat". Ce "syndicat" ou cartel comprend quatre banques à charte et huit maisons de courtage avec, à la tête du groupe, la Banque de Montréal (et la maison A.E. Ames) et la Banque Royale du Canada. Ce cartel, qui est double sur le plan technique, forme cependant une seule entité: il n'y a pas de concurrence: il y a entente et alternance d'une année à l'autre. En se relayant, les deux groupes rendent impossible la réduction des taux d'intérêt que la concurrence entre les deux permettrait.

Déjà en 1963, le gouvernement libéral avait tenté de briser le monopole existant à l'époque en affirmant qu'il aurait recours à un nouveau "syndicat" financier dans la vente des obligations de l'Hydro-Québec. Ce nouveau "syndicat", c'était la Banque Royale. Par la suite et après entente, ce dernier se mit à agir en alternance avec le premier, dirigé par la Banque de Montréal et la maison A.E. Ames. Le gouvernement d'alors réagit: ceci donne naissance en 1965 à la Régie des Rentes et à son corollaire, la Caisse de dépôts et placements. Depuis 1966, la Caisse de dépôts a couvert environ 20% des besoins financiers du Québec avec des achats de l'ordre de $125 millions d'obligations par année. Mais le "syndicat" joue encore pour 80% 53.

La force de ce "syndicat" lui permet même de se voir concéder par le gouvernement certaines anomalies sérieuses. Le "syndicat" reçoit une commission pour les obligations qu'achètent la Caisse de dépôts et la Fédération des caisses populaires sans qu'il ait un quelconque travail à faire. G. Godin fait remarquer dans Québec-Presse que cette commission qui varie entre 1/8 et 1/2 de 1% coûte finalement très cher: à $500 millions par année (montant annuel moyen des 4 dernières années), cela totalise entre $625,000 et $2,500,000 que le gouvernement donne pour se prêter à lui-même.

Le quasi-monopole de la vente des obligations du gouvernement du Québec par ce cartel financier lui confère un poids politique certain. Peu de données sont disponibles mais il semble difficile de figurer qu'il ne l'utilise pas lorsque ses intérêts sont mis en cause.

• Le financement des partis politiques

L'histoire politique du Québec depuis 1940 a été marquée principalement par deux partis qui ont alterné au pouvoir, soit l'Union Nationale et le Parti Libéral. La machine politique de ces partis a toujours nécessité des moyens financiers énormes. La commission Barbeau fit une étude sur les dépenses des partis politiques canadiens et estimait qu'ils étaient en majeure partie financés par l'entreprise privée: en 1953, on constatait que 50% du revenu du parti libéral à l'échelle nationale provenait d'entreprises industrielles ou commerciales, 40% d'hommes d'affaires liés à certaines compagnies et 10% seulement des particuliers... certains versant des montants atteignant $75,000 54. Depuis 20 ans, rien ne permet de croire qu'il y a eu un changement à ce niveau et que ce soit différent à l'échelle provinciale.

En résumé, les monopoles ont un poids politique certain. La prise en main du marché de l'information, le contrôle quasi-total du marché des obligations du Québec, leur rôle de conseiller du gouvernement en matière économique et le financement des partis politiques sont des indicateurs de l'ordre de grandeur dans laquelle se situe leur force.

Dans ce contexte, quel peut être le rôle politique de l'Etat, sinon de maintenir la situation en faveur de la classe capitaliste ou plus précisément de sa fraction la plus forte à savoir les monopoles é-trangers.

Face aux revendications des travailleurs, l'Etat, à court terme et sur des problèmes précis, est forcé de négocier des solutions temporaires. Mais sa tendance profonde le confirme dans son rôle d'être partie prenante en faveur des grandes entreprises. Les conquêtes réalisées par le mouvement ouvrier et les concessions qui lui sont faites sont toujours fragiles et susceptibles d'être remises en cause.


C'est le régime de propriété privée qui est la source principale du pouvoir de la classe capitaliste, de son contrôle sur l'ensemble des moyens de production, d'échange et d'information. L'Etat, par ses services, joue un rôle de support é-conomique et politique. Il est un instrument de la classe capitaliste.

Jusqu'ici nous avons dégagé certaines pistes quant aux causes et aux conséquences de l'exploitation capitaliste à partir de la pénétration des monopoles américains au Québec. Nous avons aussi pu voir com-ment l'Etat ne pouvait guère régler les problèmes en fonction des intérêts des travailleurs. Dans le cadre actuel, la condition ouvrière est faite d'insécurité permanente et le pouvoir de transformer en profondeur cette condition échappe aux travailleurs à tous les niveaux. Ce second chapitre nous éclaire également sur certains aspects de l'information de masse (radio, T.V., journaux) qui masque la compréhension du monde dans lequel nous vivons.

Quelle alternative reste-t-il aux travailleurs? Le capitalisme a entretenu une partie des travailleurs dans les illusions de la société d'abondance, de la société de bien-être, de la société de consommation. Certains ont même raffiné les choses au point de parler d'une civilisation du loisir en voie de naître. Ces illusions peuvent encore s'entretenir mais beaucoup moins qu'auparavant. Ainsi la crise monétaire internationale s'exprime au Québec par la surtaxe de 10% sur les produits québécois vendus aux Etats-Unis, ce qui peut causer plus de chômage encore. Le chômage et l'inflation vont dans la même direction: nous faire perdre nos illusions.

C'est ce chômage dans des industries solides (métallurgie et produits chimiques en particulier) qui a déclenché les interrogations de la CSN sur le système économique et qui l'a amené à sortir un manifeste économique qui est l'objet central de son congrès d'orientation en juin '72. Selon la CSN, il n'y a plus d'avenir pour les travailleurs dans le système économique actuel. Les travailleurs doivent posséder l'économie. Ce qui voudrait dire pour elle: propriété sociale, par l'intermédiaire de l'Etat, des moyens de production que sont les usines et les matières premières; participation des travailleurs à la gestion de l'économie; planification par l'Etat, à la suite d'une nationalisation calculée, des secteurs-clés de l'économie du Québec 55.

En d'autres termes, elle signifie qu'il n'y a plus de choix possible comme il n'y a pas de troisième voie.

Peut-il en effet y avoir un choix? Car, si l'on situe les problèmes dans la logique actuelle du système, on est rapidement renvoyé au seul moyen possible que le régime possède: augmenter d'une façon continue les investissements des monopoles, particulièrement par l'Etat, donc en dernière analyse augmenter leurs profits. Mais du même coup, cela veut dire que la redistribution du revenu national se fera aux dépens des salariés puisqu'il faudra injecter beaucoup de capitaux publics dans ces entreprises et faire pression sur les travailleurs (salaires, cadences). C'est le cercle vicieux.

Mais que signifie la volonté de se situer dans une autre logique, se situer dans la logique du socialisme?

Pour voir ce que cela signifie, il nous faut au préalable examiner où en sont rendues les luttes des mouvements populaires au Québec, l'étape actuelle du mouvement ouvrier. Plusieurs questions y sont impliquées: à quoi et à qui sert le syndicalisme? De quoi est-il porteur? Qu'apporte-t-il aux travailleurs? Les mêmes questions se posent pour le mouvement coopératif et pour les groupes populaires (comités de citoyens, comités ouvriers... ).

On est également appelé à s'interroger sur la lutte pour l'indépendance du Québec et sur les intérêts de classe qu'elle sert.

Et comme le capitalisme est international, cela conduit aussi à s'interroger sur les luttes du mouvement ouvrier dans d'autres pays et sur notre solidarité avec ces luttes.

Par ailleurs, le socialisme implique plusieurs choses. Pour rendre sa réalisation possible, il est nécessaire d'enlever à la classe capitaliste les leviers de commande qu'elle possède: le crédit (les institutions financières), les secteurs-clés de l'économie, le contrôle des média d'information. Pour rendre le socialisme valable et efficace, cela veut également dire; contrôle ouvrier sur la production. Ceci implique l'ouverture des livres de compte des entreprises pour pouvoir discuter en connaissance de cause des rapports à établir entre salaires, prix, profits et productivité; et par voie de conséquence, la suppression du secret bancaire et commercial.

Mais le socialisme ne devient possible que par la prise du pouvoir par les travailleurs à travers une organisation politique qui leur est propre. L'expérience du mouvement ouvrier ailleurs peut nous être utile: à ce titre, l'expérience chilienne apparaît pertinente.

Sans vouloir répondre à toutes les questions et à tous les points qui viennent d'être soulevés, le dernier chapitre tentera de cerner l'étape actuelle du mouvement ouvrier au Québec et dans un deuxième temps, nous ferons l'analyse de l'expérience politique du mouvement ouvrier chilien.

LA LUTTE DES TRAVAILLEURS SALARIÉS AU QUÉBEC

Le mouvement ouvrier à l'étape actuelle.

I LE MOUVEMENT SYNDICAL AUQUÉBEC

• quelles sont les origines et les structuresdu syndicalisme au Québec? quels sont lesdilemmes et les problèmes actuels du syndicalisme québécois?

II LE MOUVEMENT COOPÉRATIF AUQUÉBEC

• quel est le rôle, la structure et l'implantationdu mouvement coopératif au Québec? quelssont les dilemmes et les voies de développement du mouvement coopératif au Québec?

III LES MOUVEMENTS DE BASE

• quel est le rôle des mouvements de base?

IV PROBLÈMES ACTUELS DUMOUVEMENT OUVRIER AU QUÉBEC

• comment développer une lutte dans le sensdu socialisme au Québec?

V L'EXPÉRIENCE POLITIQUE DUMOUVEMENT OUVRIER CHILIEN

• en quoi l'expérience chilienne peut intéresserles travailleurs québécois? comment les travailleurs du Chili ont développé leur luttepour le socialisme?

Lorsqu'il est question du mouvement ouvrier on est parfois enclin aux identifications sommaires; on identifie le mouvement ouvrier au syndicalisme et le syndicalisme aux revendications immédiates dans l'entreprise, revendications portant sur les salaires et les conditions minimum de travail (sécurité d'emploi, sécurité au travail, vacances... ). Les visées du mouvement ouvrier dépassent largement celles de la revendication. "On peut les schématiser grossièrement en distinguant des objectifs de transformation radicale des structures; des objectifs de résistance au pouvoir établi de la classe dirigeante; et, enfin, des objectifs de satisfaction des besoins" 56.

Dans l'histoire du mouvement ouvrier, c'est à trois formes d'organisation que renvoient ces trois objectifs. Premièrement, une organisation de type politique qui tente de modifier d'une façon substantielle l'ensemble des structures économiques et sociales qui pèsent sur la classe ouvrière et sur l'ensemble des travailleurs salariés;

cette organisation politique des travailleurs a toujours eu comme pôle de référence le socialisme. En deuxième lieu, une organisation de type syndical qui, tout en opérant dans le cadre du système, résiste au capitalisme par sa lutte quotidienne; sa lutte quotidienne en est une de résistance à l'arbitraire patronal dans l'entreprise et de résistance à la classe économique dirigeante; elle concerne surtout les conditions de vie et de travail que la classe capitaliste tente d'imposer aux travailleurs dans les entreprises (Entreprise est pris ici dans un sens large: entreprise de production de marchandises (usine), entreprise commerciale (magasin), entreprise publique (hôpital ou école).). Enfin, une organisation de type coopératif qui, même si elle est en partie liée au système économique, tente de construire un autre modèle économique où les travailleurs salariés peuvent davantage satisfaire leurs besoins immédiats tout en ayant la possibilité de contrôler les grandes orientations de ce modèle; jusqu'à maintenant les coopératives ont évolué davantage au niveau du crédit et de l'échange (distribution et vente de biens de consommation) qu'au niveau de la production.

Le problème clé auquel fait face le mouvement ouvrier est "de poursuivre simultanément ce triple objectif essentiel et indispensable à sa force de bouleversement de la société capitaliste" 57. En effet, dans les luttes menées par ces organisations, se pose le problème de l'absence de liaison, de coordination entre des organisations de type différent. D'autre part, chaque organisation (syndicats, coopératives et groupes politiques) ne poursuit souvent, en pratique, qu'un seul objectif séparé des autres.

Au Québec, le mouvement ouvrier n'a pas encore su et pu se donner une expression politique qui lui soit propre. Il existe aussi une coupure assez marquée entre le mouvement syndical et le mouvement coopératif. Il y a donc là un urgent besoin d'élaborer de nouvelles formes de luttes et permettre aux "institutions" du mouvement ouvrier québécois de se renouveler de manière à surmonter ces ruptures.

Tout en gardant à l'esprit ce problème central, il nous faut examiner de plus près ces différentes organisations du mouvement ouvrier québécois à travers leur histoire et leur pratique sociale.

A quoi servent les syndicats? à quoi servent les coopératives? dans quelle direction le mouvement ouvrier québécois s'oriente-t-il? à quelle étape en est-il rendu aujourd'hui?

I LE MOUVEMENT SYNDICAL AU QUÉBEC

• Quel est l'origine du mouvement syndical en Amérique du Nord?

C'est dans les années 1870-1880 qu'on assiste à la montée du syndicalisme avec les Chevaliers du Travail. A la suite de la défaite de la Commune (* La Commune de Paris est un des faits politiques les plus marquants de l'histoire ouvrière française et internationale. Les travailleurs parisiens s'étaient emparés de la ville, en avaient pris possession, mais l'armée les y délogea brutalement: dans une sanglante répression, on fusilla 20,000 ouvriers parisiens et un nombre aussi considérable furent envoyés au bagne.) à Paris, en 1871, des Français émigrés aux Etats-Unis et aidés de quelques socialistes allemands et irlandais commencèrent à organiser la classe ouvrière américaine. Pour eux, il ne s'agissait pas tant d'organiser des unions de métier que de construire un ensemble de structures susceptibles de répondre aux besoins de la classe ouvrière. S'inspirant en partie de Marx, ils considéraient qu'il y a ceux qui produisent tout mais ne possèdent rien, et ceux qui possèdent tout et ne produisent rien. Mais plutôt que de se lancer à la conquête de l'Etat - qui leur aurait servi d'instrument pour abolir le capitalisme - ils misaient sur la création d'un autre système économique à côté du premier, qui éliminerait la propriété privée: coopératives de production, crédit à bon marché, ouvriers établis à leur compte... Cette façon de voir impliquait pour eux l'abolition du salariat, des banques et des grandes entreprises: la mise en place de ce nouveau système éliminerait l'autre en gagnant de ville en ville de plus en plus d'adhérents. Il leur apparaissait cependant important de faire de l'action politique afin de permettre à la classe ouvrière d'accéder à l'instruction par la gratuité et à certains droits sociaux (surveillance de la santé publique, impôt progressif sur le revenu... )

Les adhérents n'étaient donc pas divisés selon leur métier, mais par assemblées de district. Vers 1885, les Chevaliers recrutaient près d'un million et demi d'adhérents dans toute l'Amérique et constituaient de fait la première et la plus importante organisation créée par la classe ouvrière américaine. Son point culminant a été la bataille pour la journée de 8 heures qui fut lancée par les unions de métier, mais prise en charge par les Chevaliers. Le 1er mai 1886 fut la première tentative de grève générale à l'échelle nationale: 190,000 travailleurs furent en grève pendant les 15 premiers jours de mai. Son foyer principal était Chicago. Mais la répression ne se fit pas attendre: les principaux leaders furent arrêtés, condamnés à mort et pendus. C'est à partir de cet événement que le premier mai est devenu le jour de la fête des travailleurs à travers le monde.

L'ampleur du mouvement des Chevaliers du Travail fut telle qu'il fit bientôt son apparition au Canada et au Québec. L'organisation des Chevaliers s'introduit à Montréal en 1882 et réussit même à s'implanter sérieusement. (L'organisation ouvrière au Québec avait cependant débuté avant eux, vers les années 1840-1850 et s'était donné des porte-paroles importants dont Médéric Lanctôt. Lanctôt avait réussi à fédérer les ouvriers de métiers existants et les artisans de l'époque (cordonniers...); ceux-ci ont mené par la suite une lutte politique qui devait le mener au conseil municipal dans la division Est de Montréal, en 1866.). Une des conséquences de leur travail de politisation à Montréal fut l'entrée en politique du premier véritable député ouvrier au Québec: A.T. Lépine. Lépine se présenta pour la première fois dans le comté de Montréal-Est qui englobait à l'époque les quartiers de Ste-Marie, St-Jacques et St-Louis. Cette première tentative échoua mais, bénéficiant du travail des Chevaliers dont il était un militant actif, Lépine emporta l'élection partielle de 1888 au niveau fédéral. Son programme était celui des Chevaliers: "primauté des valeurs morales; une meilleure répartition des richesses; une égale protection juridique du Travail et du Capital; la surveillance de la santé publique; l'arbitrage obligatoire; un impôt sur le revenu; l'étatisation des services publics; l'expansion des coopératives; la journée de 8 heures... "58.

Bien qu'isolé en Chambre, il allait être efficace parce qu'il avait l'appui de l'ensemble des associations ouvrières de Montréal dont il se faisait le porte-parole. C'est à cette époque qu'on mit sur pied une Commission royale d'enquête sur les relations entre le Capital et le Travail (1886-1891) et que fut créée une législation sur la protection des ouvriers en matière de travail.

Suite à la répression de mai 1886 à Chicago, les Chevaliers du Travail voient leur résistance s'affaiblir: "Les Chevaliers auraient pu résister s'ils avaient été constitués sur des bases solides. Mais elles ne l'étaient pas. L'organisation avait grandi trop vite. Elle avait absorbé, sans réussir à les conserver longtemps, des travailleurs encore ignorants, instables, du fait même de leur non-qualification, et hétérogènes du fait de leurs races et de leurs langues différentes... Ils échouèrent sur un point décisif: ils ne réussirent pas à trouver une solution au problème des rapports entre ouvriers qualifiés et non qualifiés" 59.

Par ailleurs, l'utopie d'un système économique parallèle remplaçant peu à peu le système en place, empêchait le mouvement d'analyser d'une façon plus rigoureuse le système contre lequel il luttait, de déceler dans son évolution les failles principales et, enfin, de réviser sa stratégie initiale.

Un autre facteur contribua à son échec: la guerre ouverte que lui déclencha l'Ame-rican Federation of Labor (A.F.L.) dont Samuel Gompers était le président. C'est le début d'une autre période où l'organisation ouvrière se fait sur la base des métiers, bases plus solides et plus durables dans la mesure où elles s'appuient sur des conventions collectives qui commencent à se négocier à ce moment-là; bases plus solides qui impliquent cependant un refus: celui d'organiser les travailleurs non-qualifiés. C'est le début du syndicalisme "réaliste", du syndicalisme "pain et beurre". "Les unions sont les organisations d'affaires des salariés, qui s'occupent des affaires des salariés", disait Gompers en 1906. Et, du même coup, le capitalisme ne devenait plus l'adversaire mais l'élément essentiel pour l'obtention de meilleurs salaires. Le pendant de l'A.F.L. au Canada fut le Congrès des Métiers et du Travail du Canada qui, dès 1901, s'empressa d'exclure les Chevaliers de ses rangs.

Cependant, au cours des années 1910-1920, les International Workers of the World (I.W.W.) font leur apparition; plusieurs des principaux leaders de cette nouvelle organisation étaient des anciens Chevaliers. Pour eux, le capitalisme est à éliminer, non par l'action politique mais par la grève générale. Son pendant au Canada fut le One Big Union (OBU) qui eut du succès dans l'ouest canadien. Ses militants furent à l'origine de l'événement politique majeur que fut la grève générale de 1919 à Winnipeg 60. Mais, tout comme dans le cas des Chevaliers, la répression fut brutale et contribua à un déclin rapide. Répression des pouvoirs en place doublée d'une absence d'organisation permanente et du style improvisé des IWW dans leurs luttes (par exemple: leur refus de signer des contrats de travail).

• Quelle est l'histoire du syndicalisme au Québec

Parce qu'américaines, parce que protestantes ou neutres, parce qu'anglaises, les unions internationales virent apparaître un concurrent au Québec dans les années 1915-1920. Ce concurrent est la Confédération des Travailleurs Catholiques du Canada (Ce sont les débuts de la C.S.N.; on verra plus loin que ces débuts n'annonçaient pas ce qu'elle est devenue aujourd'hui) (CTCC) qui se définissait comme une organisation confessionnelle et "nationale". C'est en opposition aux unions internationales et par engouement pour le catholicisme social que se bâtit peu à peu la CTCC. Les premiers syndicats seront liés de près aux structures diocésaines. Ce n'est que durant les années 40-50, après avoir connu quelques grèves d'importance (chez les ouvriers du textile en 1937, dans la métallurgie la même année, à l'Alcan en 1941, à la Price en 1943 et à Asbestos en 1949) et après avoir renouvelé ses principaux militants et dirigeants qu'elle prendra un tournant dans le sens des luttes syndicales plutôt que de l'action catholique teintée de corporatisme et de bon ententisme ouvriers-patrons. Ce sont les années d'après-guerre qui constituent effectivement pour elle le véritable déblocage. Le militantisme syndical prend place et on éloigne peu à peu le clergé des responsabilités. On se réorganise et on crée une véritable centrale ouvrière où les syndicats ne fonctionnent plus de façon isolée.

Du côté américain, les années 29-30 avec la crise économique avaient considérablement perturbé les entreprises, le gouvernement et les syndicats. C'est l'époque du New Deal (1933) de Roosevelt à partir duquel le gouvernement allait désormais intervenir d'une façon importante dans l'économie: suspension de la loi antitrusts, stabilisation des prix et de la production par des ententes patronales que les pouvoirs publics favorisent. Par cette intervention de l'Etat, on espère un retour à la prospérité. Mais pour ce faire, on devait concéder aux syndicats certaines revendications: réduction des heures de travail afin de couper court au chômage, droit de s'organiser et droit de négocier librement (du moins selon la loi). Cette nouvelle législation rendit possible l'organisation des travailleurs de la grande industrie, non plus sur la base du métier mais sur celle de l'industrie. Cette nouvelle situation devait donner naissance au CIO (Congress of Industrial Organisations), nouvelle centrale issue d'une rupture avec l'A.F.L. en 1938. Dans la même ligne que les IWW, le CIO imposera son dynamisme, en particulier dans les grandes usines de l'automobile: les usines de la General Motors sont occupées en 1937, et, finalement, l'entreprise concède la reconnaissance syndicale. La combativité ouvrière est forte au cours de ces années-là (1935-1945), période où se développe d'une façon continue l'industrie de production de masse. En 1945, les travailleurs iront jusqu'à exiger que soit rendue publique la comptabilité de la G.M. afin de vérifier si la compagnie, comme elle le prétend, est incapable d'accéder aux demandes des travailleurs.

Aux prises avec la combativité ouvrière dans les domaines de l'automobile, de l'acier, des mines et des chemins de fer, les pouvoirs publics ne tardent pas à réagir: en 1947, la loi Taft-Hartley met les syndicats en tutelle. Ils sont obligés de fournir un grand nombre de renseignements sur leurs statuts, leur gestion financière... Ils sont passibles d'amendes si la législation du travail est violée et la force du droit de grève est réduite par l'obligation d'un préavis de 60 jours. On refuse aux syndicats le droit de représenter les travailleurs s'ils ne garantissent pas leur non-affiliation au parti communiste.

Du côté canadien, le mouvement syndical a la même combativité. Ceci donne naissance au Congrès Canadien du Travail et à une alliance avec un parti socialiste (le CCF devenu aujourd'hui le NPD).

Au Québec, la CTCC (aujourd'hui CSN) et les unions internationales sont également très combatives: grève des mineurs à Rouyn-Noranda en 1934, grèves dans l'industrie du vêtement à Montréal en 1934-1937-1940, grèves à l'Alcan en 1941 et dans les pâtes et papier en 1943, grève des "tramways" à Montréal en 1943... 61. On se souviendra que cette période politique est celle de l'Union Nationale et de son chef Duplessis, réputé pour son anti-syndicalisme notoire et sa lutte aux communistes (la loi du Cadenas en 1937). C'est aussi la période du Bloc Populaire, formation politique fondé en 1944, qui, tout en axant sa lutte sur le refus de la conscription, proposait une guerre à la dictature économique et l'adoption de lois ouvrières plus favorables aux travailleurs qu'aux entreprises.

Dans les années 50, quelques grands conflits ouvriers sont restés présents à la mémoire des travailleurs. Ils ont été les plus marquants de la montée du syndicalisme au Québec. Ces luttes ont été la plupart du temps nécessaires pour imposer aux capitalistes la reconnaissance du droit d'association.

La grève de l'amiante en 1949 (As-bestos) fut un tournant pour la CTCC qui la dirigea et pour l'ensemble de la société québécoise: dès le premier jour de la grève, les principales forces en présence (mouvement ouvrier, patronat anglo-saxon, pouvoir politique et Eglise) s'affrontèrent. Cette grève de 5,000 hommes qui a duré plus de 4 mois, éclata en février 1949 à Asbestos et Thetford. Principalement déclenchée contre la Johns-Manville elle allait forcément mettre à jour la complicité des pouvoirs publics: le lendemain de la décision de l'assemblée syndicale des mineurs d'Asbestos, une centaine de policiers de la police provinciale arrivaient à la demande de la compagnie. Duplessis qualifiait cette grève d'illégale et accusai les dirigeants de la CTCC de communisme et de socialisme. Les journaux s'emparèrent de l'événement, les évêques pressèrent Québec d'intervenir en faveur d'une reprise des négociations, le clergé et la ligue ouvrière catholique créèrent un fonds de secours, les étudiants de l'Université de Montréal et de Laval à Québec se rendirent sur place pour appuyer les grévistes et les bureaux d'une des usines furent temporairement occupés. La combativité des travailleurs et l'appui qu'ils reçurent firent même croire un moment aux patrons qu'une victoire syndicale impliquerait la co-propriété de l'entreprise.

L'ampleur de cette grève fut telle qu'on peut, sans guère se tromper, y rattacher les débuts de la "révolution tranquille"; cette grève stimula la CTCC et lui permit de se développer véritablement comme centrale syndicale. Elle amorça par ailleurs le renouvellement de la pensée sociale et politique. Rappelons à cet effet que l'existence de la classe ouvrière et d'une lutte ouverte contre le capitalisme était à toute fin pratique bannie de la pensée politique de l'époque. Les militants de la CTCC n'en étaient qu'à leur premier véritable affrontement avec le patronat et le gouvernement provincial. Mais d'autres conflits allaient survenir: à Louiseville en 1952 (grève du textile) et chez Dupuis Frères, à Montréal, la même année 62.

En 1957, la FTQ et en particulier les métallurgistes unis d'Amérique, affrontaient la "Noranda Copper Mines" à Mur-dochville, ville portant le nom du président de la Compagnie, le Torontois James Y. Murdoch. Le mouvement ouvrier en subit encore aujourd'hui les conséquences. La Cour suprême a en effet donné raison à la Compagnie en janvier 1970, en condamnant le syndicat à payer $2 millions et demi en dommages et intérêts pour une grève supposément illégale.

Ces luttes des travailleurs de la production pour la reconnaissance syndicale ont fait tache d'huile, dans les années 60, et ont amené d'autres catégories de travailleurs (chez les cadres et les travailleurs des services) à vouloir déboucher sur l'action collective. Le premier syndicat de "cadres" apparaît en 1959 avec la grève des réalisateurs de Radio-Canada. Aujourd'hui, plusieurs milliers d'ingénieurs, de cadres et d'enseignants se sont rapprochés du mouvement ouvrier en se syndiquant. Avec la prise du pouvoir par le parti libéral en 1960 et la refonte du Code du Travail, les travailleurs des services obtinrent le droit d'utiliser le syndicalisme comme instrument collectif de lutte; jusque là, la loi leur interdisait le droit de se syndiquer. C'est ainsi que les fonctionnaires provinciaux se sont syndiqués, ainsi que les travailleurs des hôpitaux et d'autres. Aujourd'hui, près de 250,000 travailleurs syndiqués font face à l'Etat comme unique employeur.

• Où et comment sont organisés les syndicats au Québec

Un peu plus de 700,000 travailleurs québécois sont aujourd'hui syndiqués, soit près de 35% de la main-d'oeuvre du Québec. Ces travailleurs sont principalement syndiqués à la FTQ et à la CSN, mais aussi à la CEQ et à l'UCC (65% des effectifs des unions internationales sont affiliés à la FTQ, soit environ 250,000. La CSN regroupe également environ 250,000 travailleurs, la CEQ 67,000 et l'UCC 30,000.)

1- l'implantation syndicale

L'implantation syndicale par secteurs et par "régions varie d'une organisation à une autre. La FTQ est principalement implantée chez les travailleurs de la production (secteur manufacturier), dans la grande entreprise anglo-canadienne et américaine et dans les métiers spécialisés (électriciens... ). Deux tiers de ces effectifs sont concentrés dans la région de Montréal. Quant à la CSN, les 2/3 de ses effectifs sont en dehors de Montréal et les travailleurs qui lui sont affiliés font davantage face à l'Etat québécois comme employeur (fonctionnaires, hôpitaux... ). Pour leur part la CEQ regroupe exclusivement des enseignants (ceux des écoles primaires et des écoles secondaires surtout) et l'UCC des cultivateurs 63.

2- les structures syndicales

Quant aux structures, chaque organisation syndicale a développé son propre modèle de fonctionnement. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici que la démocratie syndicale, contrairement à la "démocratie" parlementaire, fonctionne à l'année longue et constitue une démocratie permanente. Des centaines d'assemblées ont lieu chaque mois et les élus ont des mandats relativement courts (1 an ou 2 au plus) et définis par des assemblées locales ou régionales, par des congrès de fédérations ou des congrès nationaux. Mais voyons comment fonctionne cette démocratie.

A la CSN les structures de travail sont très centralisées: elles encadrent les adhérents à deux niveaux qui ont chacun des rôles précis. Cette double structure est composée de 12 fédérations professionnelles et de 21 conseils centraux. Les négociations relèvent de chaque fédération et du bureau confédéral (Ce bureau confédéral est composé des 5 membres del'exécutif, de 12 membres en provenance des fédérationset de 6 représentants des conseils centraux.). C'est à cette structure qu'on se réfère pour les questions professionnelles (fonds de grève... ) et les questions administratives. Quant au 2ième front, c'est-à-dire la consommation, l'éducation, l'action politique et les prises de position publiques du mouvement, il relève des conseils centraux et du conseil confédéral (Ce conseil confédéral rassemble environ 200 membresdont les 2/3 sont délégués par les conseils centrauxet l'autre tiers par les fédérations.).

A la FTQ, le modèle est très différent: les syndicats qui lui sont affiliés, sont des branches d'unions internationales ( Ou encore des syndicats canadiens, surtout dans lafonction publique.).

Ceci nous renvoie aux organisations de métiers de l'AFL et aux organisations industrielles du CIO. Chacune de ces u-nions qui s'étendent à travers l'Amérique du Nord est autonome en matière de négociation: elle dispose de son propre budget, d'un groupe de représentants et de certains services qui lui appartiennent en propre. Les sections québécoises de ces unions ne sont pas obligatoirement affiliées à la FTQ qui est, elle-même, une fédération provinciale du Congrès du Travail du Canada (CTC). Plus de 65% des effectifs du CTC au Québec lui sont cependant affiliés. Cette affiliation leur est utile en matière de représentation auprès des différentes instances du gouvernement québécois et au moment des conflits. La FTQ fournit également certains services (éducation et recherche) et fait de l'action politique par l'intermédiaire des conseils du travail.

La CEQ de son côté est bien plus un énorme syndicat organisé sur une base provinciale qu'une centrale. Elle a certes des sections régionales (comme l'Alliance des professeurs de Montréal), mais sa structure est une et centrée sur la négociation. Elle garde encore les traces de ses fonctions de corporation professionnelle et n'a pu développer de structures complémentaires tels les conseils centraux de la CSN et les conseils du travail de la FTQ. Elle tend cependant à se radicali-ser à cause du rôle de patron que joue l'Etat pour les enseignants.

• A quoi servent les syndicats?

D'une façon générale le mouvement ouvrier québécois s'est principalement exprimé par le syndicalisme. Sa combativité, son militantisme, sa force collective passent par l'organisation syndicale.

Le mouvement syndical a été et est au coeur de la lutte contre le capitalisme par sa résistance quotidienne.

C'est ce que révèlent son histoire, ses revendications et son mode d'organisation. Mais cette lutte est principalement une lutte de résistance; c'est une lutte défensive qui permet à des groupes de travailleurs de défendre leurs intérêts immédiats sur le terrain économique.

La lutte syndicale pose d'abord le problème de la répartition du surplus que les entreprises font. Les capitalistes cherchent à s'accaparer à leur seul profit le surplus obtenu par leurs entreprises (*) et les travailleurs par la lutte syndicale cherchent à obtenir une part plus grande de ce surplus. Ce qui va en salaires ne va pas en profits et dividendes (*). Mais la lutte syndicale est aussi une lutte de résistance à l'arbitraire patronal qui impose les conditions de travail dans l'entreprise: sécurité de l'emploi, sécurité au travail, cadences de production... Cette lutte débouche parfois sur une contestation des droits de gérance: droit de congédier ou d'engager du personnel... Dans certains cas la lutte syndicale porte sur la gestion des entreprises (politique de contrats d'une entreprise avec ses sous-traitants... ) allant quelquefois jusqu'à exiger l'ouverture des livres de compte.

Par ailleurs, le syndicalisme ne sert pas que les travailleurs syndiqués. Il a des effets bénéfiques pour des groupes de travailleurs qui ne sont pas syndiqués. C'est le cas notamment des entreprises syndiquées qui, par un effet d'entraînement indirect établiront souvent un "pattern" ou un modèle pour celles de la même branche industrielle qui ne sont pas syndiquées. Les entreprises non-syndiquées sont alors forcées d'augmenter les salaires de leurs employés si elles ne veulent pas avoir à faire face à un syndicat à plus ou moins brève échéance. Les décrets gouvernementaux s'inspirent également des conditions de travail des entreprises syndiquées. Ces décrets affectent en bonne partie des non-syndiqués. Par exemple, en 1966, ces décrets touchaient 270,000 travailleurs dont 60% n'étaient pas syndiqués, soit environ 150,000 64. Ils ont trait surtout aux salaires, à la durée de travail (40 heures) et aux avantages marginaux (vacances payées... ). A cela il faut ajouter la législation sociale (les accidents de travail, le régime des rentes, l'assurance-santé... ) sur laquelle les syndicats travaillent.

Ce qu'il faut voir principalement à travers les luttes syndicales des travailleurs salariés, c'est la nécessité pour eux de s'assurer un minimum vital dès maintenant. Tout en étant nécessaire, le tremplin syndical n'est cependant pas suffisant pour s'attaquer aux causes profondes, c'est-à-dire à l'exploitation capitaliste dans ses racines. Ses conquêtes sont bien fragiles; elles sont sans cesse remises en question si les luttes ne sont pas complétées par une organisation politique dont la base serait les travailleurs salariés eux-mêmes (Le dernier congrès de la Fédération des pâtes et papiers (CSN) se posa la question: mais à quoi sert l'action syndicale lorsque les usines ferment? Ils ne sont pas les seuls à se la poser.). Seule la lutte politique peut casser le cercle vicieux. Toutefois, les luttes économiques que les syndicats mènent, du fait de l'évolution actuelle du capitalisme, ont un caractère politique plus prononcé même s'il se dégage mal ou de façon confuse.

• Les syndicats et l'action politique?

Le caractère politique des luttes syndicales s'explique par le rôle de plus en plus net que joue l'Etat dans l'économie: L'Etat est d'abord le plus gros employeur au Québec avec 250,000 employés dans la fonction publique et para-publique. Sa politique salariale est une décision politique. Les revendications des travailleurs salariés syndiqués de la fonction publique posent d'emblée tout le problème du système de taxation; elles posent en même temps le problème du "pattern" en matière de salaires et de conditions de travail pour tous les travailleurs du secteur privé. L'interpénétration du capital public et du capital privé et le rôle de l'Etat comme contremaître de l'économie au service des monopoles amènent les syndicats à contester les politiques économiques du gouvernement; ils posent publiquement la question: au service de qui le gouvernement travaille-t-il? D'autre part, tous les syndicats font face à une législation du travail qui est loin de les servir. La politique du gouvernement en matière de relations du travail est répressive: le refus de débattre la politique salariale dans le secteur

public, les lois d'exception dans certains conflits (Bill 1 en 1967 pour les employés du transport public à Montréal, Bill 25 pour les enseignants en 1966, Bill 38 dans la construction en 1970), la conciliation obligatoire, la négociation sectorielle (*) avec monopole syndical par branche industrielle et la négociation au sommet qui forceraient les centrales syndicales à jouer un rôle de contremaître vis-à-vis des syndicats de base impliqués (Bill 290 dans la construction). Autant d'indices d'une législation du travail qui ne va pas dans le sens des intérêts des travailleurs salariés.

Si l'on examine les récents conflits de travail de l'automne 71, on s'en rend compte pratiquement. Dans chaque cas, c'est d'abord un problème immédiat et précis qui est posé: à la Presse, c'est la lutte des syndicats pour éviter que les effets du progrès technique retombent sur le dos des travailleurs par des mises à pied; à l'Université de Montréal, c'est un problème de bas salaires pour les employés; à la Consolidated Bathurst et à la Gulf de Sha-winigan, c'est le problème des mises à pied; chez les pompiers, c'est une question de parité de salaire avec Toronto... Mais, dans tous les cas, ces problèmes immédiats renvoient à un enjeu politique et à un mur politique: à la Presse, les questions soulevées sont la qualité de l'information, son contrôle par un groupe de capitalistes et la nécessité d'une presse populaire; à l'Université de Montréal, c'est la négociation dans le secteur public qui est en cause; et, cette négociation dans le secteur public, pose les problèmes du système de taxation et de la manière dont il est bâti (le gouvernement, en effet, risque de faire reposer les augmentations de salaire de ses 250,000 employés sur l'ensemble des travailleurs par des augmentations de taxes); chez les pompiers, la politique salariale de l'administration municipale et les priorités de son budget sont en cause (le budget favorisant les policiers); enfin, à la "Consol" et à la "Gulf, on se heurte aux décisions économiques des monopoles anglo-canadiens et américains ainsi qu'au laisser-faire du gouvernement face à ces décisions...

Et c'est dans la mesure où les enjeux politiques sont clairement dégagés par les syndicats impliqués que l'on prend conscience de la nécessité des fronts communs à la base comme au sommet et de la solidarité non seulement inter-syndicale mais entre tous les travailleurs. Et c'est dans la mesure où les enjeux politiques ressortent clairement que l'on prend conscience de l'insuffisance des luttes économiques qui ne peuvent régler les problèmes que partiellement et temporairement et donc de la nécessité d'une organisation politique autonome des travailleurs. Dans ce sens, les luttes économiques senties comme insuffisantes préparent le terrain à la lutte politique.

Confronté à la crise économique, au rôle de plus en plus important de l'Etat dans l'économie, au carcan de la législation actuelle du travail, à un système de taxation injuste, le mouvement syndical se rend peu à peu compte de son morcellement et de l'insuffisance des luttes économiques à court terme. En effet, le syndicalisme de participation conflictuelle est insuffisant pour répondre à l'ensemble des problèmes vécus par les travailleurs dans les entreprises. A quoi sert le syndicalisme d'affaires centré sur la négociation d'avantages économiques immédiats quand ceux-ci sont remis en cause à tout moment? Ce sont là des questions de départ qui permettent de faire éclater l'emprise qu'exercé l'idéologie dominante sur le syndicalisme.

• Une direction possible?

Sur la toile de fond de la crise économique et d'un rôle plus prononcé de l'Etat dans l'économie, il faut miser sur une traduction politique plus claire des enjeux existants dans les différents conflits de travail (l'emprise du pouvoir économique sur les gouvernements, la remise en cause du système de taxation, de la législation du travail...). Le militantisme plus agressif des nouvelles générations syndicales pour qui l'action de masse (A ce sujet le vote de principe, pris à l'automne 71, sur la grève générale, peut devenir important dans l'avenir) et les fronts communs deviennent des éléments indispensables, et le renforcement des conseils régionaux (conseils centraux et conseils du travail) font partie du renouvellement du syndicalisme. Le virage idéologique qui amène à analyser les conflits en termes de classes sociales et de pouvoir plutôt qu'en termes strictement d'injustices sociales à réparer, peut également contribuer à faire avancer le mouvement ouvrier 65.

Tous ces éléments sont importants pour préparer le terrain et fournir certaines conditions d'implantation du socialisme qui ne se fera que par l'intermédiaire d'une organisation politique de travailleurs; socialisme qui ne sera pas qu'une vue de l'esprit mais un point de référence dans les luttes quotidiennes (* Voir plus loin sur l'expérience politique du mouvement ouvrier chilien.).

Il- LE MOUVEMENT COOPÉRATIF AU QUÉBEC.

• D'où vient le mouvement coopératif?

Tout comme le syndicalisme, le mouvement coopératif tire ses origines de l'époque de la pire misère de la classe ouvrière et prend ses racines dans les associations ouvrières qui sont nées dans les années 1830-1850 en France et en Angleterre surtout. Ce mouvement, à ses débuts, s'inscrit pour une large part dans le courant socialiste de cette moitié du 19e siècle avec R. Owen en Angleterre et C. Fourier en France. Pour ces deux penseurs et militants d'un certain socialisme, l'idée directrice consiste à créer des communautés autonomes constituées de coopératives de consommation et de production dont les profits vont dans un fonds commun qui assure la stabilité de ces "villages d'harmonie" (C'est le nom qu'on donnait à ces premières colonies communautaires.). Ces colonies communautaires se chiffraient par centaines dans les années 1828-1834 mais elles disparurent peu à peu. Les causes principales de leur disparition semblent avoir été les déplacements massifs de la main-d'oeuvre non-qualifiée vers les villes et les manufactures de même que l'absence de préparation des principaux responsables.

Le point de référence pratique du mouvement coopératif est sans contredit le magasin alimentaire des "pionniers de Rochdale" qui fondèrent, en 1844, en Angleterre, l'embryon du mouvement coopératif actuel. Un groupe de 28 ouvriers ont mis sur pied, au coeur de la crise économique et sociale que vivait le pays à ce moment-là, un premier magasin coopératif où la farine, le beurre, le sucre et les chandelles constituaient l'essentiel du "stock" de marchandises.

Le modèle de Rochdale allait bientôt connaître des développements inespérés. Son influence allait bientôt s'exercer en France à partir de 1864 et dans tous les pays d'Europe. Les avantages économiques immédiats que les acheteurs y retrouvaient ainsi que l'espoir et la volonté d'établir les premiers jalons d'une démocratie économique, fondée sur les besoins de la classe ouvrière plutôt que sur la recherche du profit maximum, furent les deux moteurs à la base du développement de ce modèle et de son extension rapide.

Et c'est, en 1895, que naît l'Alliance Coopérative Internationale qui avait pour but de regrouper au-delà des frontières respectives de chaque pays, les fédérations coopératives existantes.

Aujourd'hui le mouvement coopératif compte des centaines de milliers de coopératives sur tous les continents et constitue dans certains pays un puissant contrepoids à l'entreprise privée, notamment dans les pays Scandinaves (Finlande, Suède, Norvège et Danemark) et en Suisse. Tout comme le syndicalisme, il s'est développé rapidement et est devenu un instrument de défense indispensable pour les salariés au plan de la consommation.

Au Québec, contrairement aux premiers développements en Europe où l'alimentation eut une place importante, le mouvement coopératif démarra d'abord dans le domaine de l'épargne et du crédit. C'est en 1900, à Lévis, que M. Alphonse Desjardins fonda la première coopérative d'épargne et de crédit qu'il appela "caisse populaire". Son but: "par la solidarité des petits, créer des leviers financiers forts pour la communauté et aider ceux qui sont les plus exploités par les abus du capitalisme."

De 1900 à 1935, des caisses populaires sont apparues partout dans les villes et les villages du Québec. Plus tard, le mouvement s'implantera dans la région de Montréal. Par ailleurs, à partir de 1920, la coopération s'établit chez les cultivateurs sous la forme de coopératives d'achat et de vente des produits agricoles. Après 1945, le mouvement s'oriente davantage vers les institutions financières: assurances, fiducie... Supportées par le mouvement syndical, les caisses d'économie font leur apparition vers les années 50 dans les entreprises (usines et bureaux).

• Où les Coopératives sont-elles implantées?

Le mouvement coopératif québécois est concentré presque exclusivement dans les institutions financières, à raison de 90%, si l'on prend l'actif du mouvement comme critère. On y retrouve 1,400 caisses populaires et 200 caisses d'économie.

Ces 1,600 caisses d'épargne et de crédit ont un actif global de $2.2 milliards, soit 18% de l'épargne du Québec. On retrouve également dans le cadre de ces mêmes activités cinq compagnies d'assurances ayant un actif de $223 millions et contrôlant 15% du marché québécois de l'assurance (Par extension on retrouve une société de fiducie administrant des biens fonciers et des successions avec des actifs de $64 millions.).

Par ailleurs, on compte plus de 200 coopératives dans le domaine alimentaire reliées au niveau de la distribution à la Fédération des magasins Coop du Québec qui dispose ainsi d'un actif de $70 millions. L'achat et la vente de produits agricoles, le secteur forestier, les pêcheries et l'habitation sont également des secteurs où des coopératives existent. C'est toutefois plus aux niveaux local et régional qu'elles se sont développées et n'ont donc pas dépassé un certain stade de développement.

Ajoutons à cet ensemble l'apport de la Fédération des associations coopératives d'économie familiale (ACEF) dont l'essentiel du travail consiste dans l'assistance juridique aux travailleurs endettés de même que dans l'information et l'éducation du consommateur par le biais de cours sur le budget familial et d'aide technique aux coopératives de base.

• Quel est le rôle économique des coopératives?

Que ce soit au niveau de l'épargne et du crédit, au niveau de la production ou au niveau de la consommation, le mouvement coopératif, dans la mesure où son expansion est systématique, peut jouer le rôle de frein face à l'emprise du capitalisme sur les travailleurs et particulièrement sur les consommateurs. Par sa présence, il neutralise certains effets du commerce privé et permet à une partie des consommateurs de ne plus se situer seuls à l'intérieur du marché mais intégrés à une organisation qui assure leur défense. Dans la mesure où sa force est suffisamment imposante, il oblige une partie du commerce privé à aligner ses prix sur ceux des coopératives qui, elles, s'efforcent de vendre systématiquement moins cher. Les coopératives offrent aussi une information critique et certains services à leurs membres tout en dénonçant certaines pratiques des "trusts". L'exemple des magasins Coop est intéressant à cet égard: leur implantation à Montréal a forcé les grands magasins alimentaires (Steinberg... ) à baisser leurs prix; l'an dernier, ils n'hésitaient pas à dénoncer devant le ministère de la consommation à Ottawa la tendance des trusts de l'alimentation à développer des ententes sur les prix.

NOTE: La fédération de Québec des caisses populaires Desjardins dispose à elle seule de 85% (épargne, assurances, fiducie) de l'actif global de l'ensemble du mouvement coopératif. 66

• Quelle différence y a-t-il entre une coopérative et une entreprise capitaliste?

Ce rôle de défense des consommateurs, le mouvement coopératif le joue pleinement dans la mesure où ses principes de base et son mode d'organisation sont mis en pratique; la ligne de démarcation entre une entreprise capitaliste et une entreprise coopérative est nette. Sur le plan des principes qui sous-tendent l'entreprise coopérative, on retrouve d'abord l'objectif d'une expansion fondée non sur la maximisation des profits mais sur les besoins des membres dans le cadre d'une organisation où les membres ont la possibilité d'en contrôler les orientations. Un homme, un vote; tous sur un même pied d'égalité, quelle que soit la contribution apportée, est un leitmotiv-clé. Dans l'entreprise capitaliste, au contraire, c'est le nombre d'actions détenues qui détermine le nombre de votes. D'où le contrôle facile par une minorité. La coopérative est propriété collective. Elle est gérée par un conseil d'administration qui doit rendre compte de son mandat à une assemblée souveraine. De façon générale, lorsque les unités coopératives sont petites, ces principes sont radicalement mis en application, étant donné le militantisme nécessaire pour assurer à celles-ci des départs définitifs. Lorsqu'elles prennent une expansion considérable, elles deviennent des institutions de la vie économique où les principes de base déjà mentionnés sont pratiqués d'une façon plus indirecte par le contrepoids qu'elles exercent vis-à-vis des entreprises capitalistes évoluant dans le même secteur.

• Quel diagnostic peut-on poser?

Pour poser un diagnostic sur le mouvement coopératif québécois, il faut se concentrer d'abord sur le mouvement Desjardins (caisses populaires) qui détient 85% de l'actif global du mouvement.

Le mouvement Desjardins, avec ses soixante-dix années de fonctionnement, s'est passablement assagi. Ayant pris racine dans les campagnes et dans un contexte de traditions (regroupement sur la base de la paroisse...), le contrôle du mouvement fut rapidement pris en main par les notables locaux et le clergé. De ce fait, il s'est longtemps tenu à l'écart de la classe ouvrière avec le résultat qu'aujourd'hui, il est sous l'emprise de la petite bourgeoisie partout. Une enquête menée dans les villes de Chicoutimi, Jonquière, Roberval, Alma, Arvida et St-Jérôme a révélé que les conseils d'administration des caisses étaient composés à 68.5% de professionnels, d'administrateurs et de commerçants locaux, alors que les membres sont majoritairement des travailleurs salariés. Dans plusieurs cas, les caisses populaires constituent l'assise économique et politique de cette petite bourgeoisie: elles sont en effet une source importante de crédit pour assurer le développement des commerces (épiceries, stations-services, tavernes et restaurants...) Et, dans un certain nombre de caisses, on retrouve les réseaux d'influence politique des vieux partis. A Montréal, ce fait est particulièrement évident dans le cas du Parti Civique.

Par ailleurs, les caisses populaires, à l'inverse des caisses d'économie, se sont développées en dehors de la classe ouvrière organisée. Elles ne favorisent pas de rapprochement avec le mouvement syndical et encore moins la syndicalisation de leurs employés (à peine 10% sur 9,000 employés au 31 déc. 70 67 ).

Les caisses populaires prêtent aussi flanc à la critique au niveau de la démocratie interne qui est sclérosée. Une enquête réalisée en 1967 68 auprès des membres d'une dizaine de caisses des quartiers Hochelaga et Maisonneuve révélait qu'en matière d'information et de participation, les canaux étaient bloqués:

Quoi qu'elles conservent un potentiel démocratique de par leurs principes de base et leur constitution - (qu'à certaines occasions des comités de citoyens ont utilisé pour faire avancer certaines revendications dans le cadre des assemblées générales) -, leur dynamisme coopératif et leur militantisme se sont estompés.

Le fait que la gestion et l'expansion du mouvement sous d'autres formes et dans d'autres secteurs (alimentation... ) n'intéressent pas les membres, s'explique par le blocage des canaux de décision et d'information du mouvement. Ce blocage est dû à l'emprise de l'idéologie dominante (conception de l'administration... ), à l'emprise de la petite bourgeoisie qui y fait prévaloir ses intérêts et à la bureaucratisation interne (* mentionnons cependant qu'une fraction du mouvement semble préoccupé depuis peu "d'investir" dans les coopératives de consommation: c'est lui qui facilite actuellement l'expansion des magasins Coop à Montréal.).

Mais si cette tendance est forte à l'intérieur du mouvement coopératif dans son ensemble, elle n'en est pas moins contrebalancée par l'action de minorités qui cherchent à infléchir le dynamisme coopératif dans une autre direction. Le rôle actuel des ACEF, d'un certain nombre de caisses d'économie et des magasins Coop, confirme cette avancée: mise en branle d'une éducation coopérative plus poussée, implantation dans d'autres secteurs que les institutions financières (secteur alimentaire et secteur de la production), collaboration plus étroite avec le mouvement syndical, revitalisation de la démocratie interne, contestation du système capitaliste comme système d'avenir pour les travailleurs salariés...

• Une direction possible?

Le contre-courant qui se dessine à l'intérieur du mouvement coopératif peut accentuer la reprise en charge ou le contrôle effectif de ce mouvement par les travailleurs salariés. Il peut forcer le mouvement à faire une analyse critique du capitalisme et une auto-critique de son intégration partielle à ce système. Le dernier congrès de l'ACEF en témoigne. Il peut fournir de nouvelles armes au mouvement ouvrier: une implantation coopérative dans le secteur de l'information (impression, diffusion et distribution... ) fournirait au mouvement ouvrier un instrument indispensable. Le "Quotidien populaire", malgré sa courte durée, et "Québec-Presse" nous en donnent la preuve.

III- LES MOUVEMENTS DE BASE.

Depuis quelques années (1960-1972), des dizaines de comités d'action ont surgi dans les quartiers ouvriers des grandes villes et dans certaines régions: comités de citoyens, comités de travailleurs, clubs coopératifs, comités d'action politique... sont les noms qu'ils se sont donnés.

L'expression "mouvements de base" prête à confusion et rend mal compte de la réalité: elle tend à opposer ces groupes au mouvement ouvrier organisé (mouvement syndical et mouvement coopératif). Même s'ils se sont constitués en dehors des grandes organisations ouvrières, ils ont effectivement suivi les mêmes trajectoires. Dans certains cas, ces groupes ont mis l'accent sur l'organisation coopérative (cliniques juridiques, cliniques de santé, comptoirs alimentaires, coopératives de production... ); dans d'autres cas, ils ont joué le rôle des syndicats (comité ouvrier à Bécancour, comité de travailleurs à St-Jérôme...); ou encore, ils ont fait de l'action politique au même niveau que les conseils syndicaux régionaux (conseils du travail et conseils centraux) soit sur le plan municipal. Chose certaine, c'est un moyen d'organisation pour les travailleurs qui ne sont pas syndiqués.

Par leur luttes, ces groupes jouent un rôle d'appoint et de stimulant pour le mouvement ouvrier organisé: dans certaines régions, ils ont pallié à l'absence de militantisme des organisations syndicales et coopératives; dans d'autres régions, ils ont fait front commun avec elles.

Par ailleurs, plusieurs de ces groupes mettent en lumière un des aspects de la lutte du mouvement ouvrier: le contrôle communautaire. La prise en charge de l'Etat par une organisation politique de travailleurs et la prise en charge des entreprises - de leur gestion - par les travailleurs dans le cadre d'une économie socialiste (propriété sociale des entreprises et participation), s'accommoderaient mal d'une absence de contrôle des services locaux et régionaux (écoles, services de santé, logements... ) par les travailleurs eux-mêmes.

IV- PROBLEMES ACTUELS DU MOUVEMENT OUVRIER QUÉBÉCOIS.

• La lutte pour le socialisme.

Une partie du mouvement ouvrier québécois a amorcé une prise de position en faveur de l'implantation du socialisme; cette prise de position est issue du diagnostic de crise que le mouvement a posé sur le système économique actuel.

Le principe de base de ce socialisme se résume ainsi: les travailleurs doivent contrôler et diriger la société. Ils sont la majorité et ils sont à la base de son développement de par leur position à l'intérieur du système de production. L'implantation du socialisme signifie "grosso modo" trois choses: conquête de l'Etat et contrôle ouvrier de l'Etat, contrôle ouvrier dans les entreprises, contrôle communautaire dans les collectivités locales et régionales. Ces trois dimensions du socialisme sont indissociables mais pour en assurer la progression, le mouvement ouvrier a des instruments indispensables à se donner. Deux de ces instruments sont actuellement absents: une presse populaire (Un journal du dimanche comme Québec-Presse ne suffit pas. 11 faut un quotidien, un poste de radio... et ce qui va avec ces outils: imprimerie, service de distribution...) et, à un autre niveau, une organisation politique qui lui soit propre.

D'une part, les média d'information sont largement contrôlés par des groupes capitalistes. Le mouvement ouvrier peut dans une certaine mesure les utiliser en misant sur leurs contradictions (concurrence entre journaux, entre postes de radio, entre postes de télévision). Les média n'en présentent pas moins un visage déformé de ses revendications, surtout en temps de crise. Ceci lui met à dos de larges secteurs de la population qui ne sont pas en mesure de comprendre quoi que ce soit parce que rien n'est véritablement expliqué.

D'autre part, une offensive politique qu'on veut mener à terme ne peut l'être que si elle est soutenue par une organisation politique. Seule une organisation de ce type est en mesure de traduire politiquement les luttes quotidiennes des travailleurs et les rendre à terme. Mais tout comme nous le verrons pour le Chili, le modèle classique d'organisation politique ne convient pas. Il ne suffit pas d'être organisés politiquement sur la base des comtés et de mener des campagnes électorales tous les 4 ans en ne faisant rien en dehors de celles-ci. Une organisation politique de travailleurs - si l'on se base sur les expériences politiques du mouvement ouvrier ailleurs - doit s'implanter partout: dans les quartiers, dans les écoles, dans les entreprises... Elle a à utiliser les campagnes électorales comme moyen de diffusion de ses idées, de son programme; elle a à utiliser les élections comme baromètre de son influence, et le parlement - lorsqu'elle a des représentants - comme tribune de débat politique. Mais elle a également à lutter côte à côte avec les travailleurs dans leurs luttes quotidiennes à l'usine, au bureau, dans le quartier...

• Les liens entre l'action défensive et l'action offensive

Le raccordement ou le lien entre la lutte défensive (syndicale et coopérative) et la lutte offensive, entre l'action à court terme et l'action à long terme demeure très difficile à réaliser dans la pratique quotidienne. Si on ne sait pas coordonner les deux, on ne tient pas le coup. Ne penser l'action que sur le long terme aboutit rapidement à tomber dans l'idéalisme ou dans l'impatience. Par contre, si on multiplie les actions sans avoir ni stratégie, ni point de référence commun à l'ensemble de ces actions, on tombe dans l'activisme. Les efforts brûlent les principaux militants qui finissent par laisser tomber.

Ce qu'il faut avoir en tête au départ, c'est que nous faisons face à une série de problèmes immédiats (Par exemple: l'absence d'hôpital dans le quartier.) que nous pouvons en partie régler dans l'immédiat, et à des problèmes plus larges - qui relèvent davantage des structures économiques et sociales (Par exemple: la dépendance économique vis-à-vis des Etats-Unis.) mais qui ne se règlent qu'au niveau politique. Si nous ne travaillons pas aux deux niveaux, nous tournons en rond et c'est l'éternel recommencement.

Si nous voulons que les luttes entreprises progressent, il faut savoir dans quelle direction elles vont. Et si nous jugeons qu'elles doivent se diriger dans le sens du socialisme, dans le sens d'un contrôle de la société et de l'économie par les travailleurs, il est important de voir clairement quelles sont les organisations de travailleurs dont nous disposons au Québec, quelles sont leurs forces et leurs limites et quelles sont celles qui nous manquent.

Le schéma d'analyse 69 qui suit offre quelques indications à ce sujet. Il part du point de vue suivant:

1. La progression du mouvement ouvrier s'évalue en termes d'organisation: l'organisation rejoint-elle et mobilise-t-elle des secteurs de plus en plus larges de la population? Augmente-t-elle son noyau de militants? Mène-t-elle des luttes où les problèmes posés dépassent le court terme?

2. La progression du mouvement ouvrier s'évalue par sa combativité:

3. Il y a des types d'organisation quiont des rôles particuliers et différents qu'il ne faut pas mêler: certaines organisations ont un caractère plus défensif (les syndicats etles coopératives). Caractère défensif en ce sens qu'elles résistentà l'emprise du capitalisme (résistance à l'arbitraire patronal, résistance à l'augmentation du coûtde la vie, résistance aux prix excessifs... résistance aux principauxeffets que le système inflige aux travailleurs). D'autres organisations ont un caractère plus offensif. Caractère plus offensif en ce sens qu'elles mettent de l'avant un programme (objectifs et stratégie) pour changer de façon substantielle la condition des travailleurs, non seulement en théorie mais surtout en pratique. Seule une organisation politique de travailleurs, un parti de travailleurs, peut offrir cela.

4. Il faut tenter comme militants du mouvement ouvrier de faire les liens entre les deux types d'organisation (syndicale et politique, défensive et offensive):

l'organisation politique qui ne traduit pas sur le plan politique les luttes sociales et économiquesimmédiates et qui ne les supportepas est une organisation politiquequi ne répond pas ou répond trèspartiellement aux besoins des travailleurs salariés;

l'organisation syndicale ou coo pérative qui ne dégage pas les enjeux politiques de ses luttes et qui ne prépare pas les conditions de création d'une organisation politique, est une organisation qui recommence éternellement les mêmes choses (ex: rattraper l'indice du coût de la vie). A partir de ce schéma, on peut revoir et ré-évaluer notre action à l'intérieur de l'ensemble du mouvement ouvrier: où en sommes-nous à l'usine ou au bureau sur le plan de l'action syndicale et de l'action politique? Quels instruments de formation et d'information avons-nous pour faire les liens entre les deux types de lutte? Et d'une façon plus générale, où en est le mouvement ouvrier québécois sur le plan de l'action syndicale et coopérative ainsi que sur le plan de l'action politique? Quels rapports existent-ils entre les deux types d'action et d'organisation?

Classe des travailleurs

• La question nationale

Nous avons jusqu'ici fait valoir qu'une transformation substantielle de la condition des travailleurs passe par la construction d'une organisation politique qui leur soit propre. Ce à quoi il faut travailler immédiatement. Le mouvement ouvrier québécois, dans ces récents développements, à d'ailleurs commencé à poser les premiers jalons dans cette direction. Il est cependant manifeste que cet instrument indispensable n'existe pas encore. Nous en sommes à une phase préliminaire, préparatoire.

Mais d'une façon non moins manifeste, la question nationale est posée directement au mouvement ouvrier. Si l'on prend pour acquis que l'indépendance doit se faire ( ce qui est effectivement un acquis pour de larges factions du mouvement ouvrier organisé: la position de la F.T.Q. à son dernier congrès est révélatrice à ce sujet.), le mouvement ouvrier doit s'engager dans cette lutte de libération nationale. La manière dont il s'y prend n'est pas indifférente.

Jusqu'à maintenant, c'est le Parti Québécois qui est le tremplin politique de la lutte pour l'indépendance. Sans vouloir et pouvoir analyser ici ce qu'est le P.Q. (sa base de classe, sa stratégie politique, son programme... ), personne ne contestera que le P.Q. ne tient pas ses origines des luttes du mouvement ouvrier ou qu'il en est l'instrument politique, et cela même si dans la situation présente, c'est le parti qui est le moins éloigné des intérêts des travailleurs.

Cette affirmation est capitale. Il en découle une conséquence importante: si le mouvement ouvrier doit s'inscrire dans la lutte de libération nationale, il doit le faire à partir de sa propre base d'organisation et à partir de ses propres objectifs; ce qui veut dire travailler à ce que la position de la classe ouvrière soit la plus forte possible dans cette lutte. Qu'il y ait alliance ou pas du mouvement ouvrier organisé avec le P.Q. - ce qui est une question importante à trancher dans la conjoncture politique actuelle -, le mouvement ouvrier québécois ne peut pas échapper à la nécessité de partir de sa propre base d'organisation. Il ne peut également éviter de clarifier ses propres

objectifs politiques dans cette lutte. Ces objectifs diffèrent de ceux des couches intermédiaires (Un exemple de point de vue qui diffère est le diagnosticposé dans le manifeste économique de la CSN sur la "révolution tranquille" et celui posé par le PQ dans son programme de 70. Pour la CSN, il s'agit d'un échec; pour leP.Q., il s'agit de continuer le travail amorcé par la révolution tranquille.) et sont par ailleurs carrément opposés à ceux de la classe capitaliste.

Ce pourrait être, par exemple en ce qui concerne les syndicats, s'inscrire dans la lutte pour l'indépendance à partir des conseils régionaux (conseils centraux et conseils du travail) qui ont une fonction politique et à partir de leurs comités d'action politique (à l'usine, au bureau ou à l'école) ( Un cas précis d'appui conditionnel est celui du Conseil Central de Montréal (CSN) qui, tout en mettant de l'avant la création d'un parti socialiste et indépendantiste commeobjectif à atteindre, a fourni un appui pratique à l'association P.Q, de Maisonneuve en soutenant la candidature de M. Burns lors de la campagne électorale d'avril 70, lequel relia la question de l'indépendance aux luttes ouvrières locales. Ce n'est là qu'une forme d'appui parmi d'autres. C'est la conjoncture du moment qui dicte les moyens à prendre pour appuyer la lutte nationale à partir de sa propre base. Ce qui suppose également que l'alliance ou la non-alliance avec le P.Q. a été clairement débattue au préalable. ).

Les travailleurs jouent un rôle de premier plan au niveau du développement économique par la place qu'ils occupent dans le système de production. Le même rôle doit leur revenir sur le plan politique. Le mouvement ouvrier organisé doit donc se donner les moyens de répondre à la question nationale à partir de sa propre base et de ses propres objectifs. Cette façon de faire est inévitable s'il veut être le plus près possible des intérêts de l'ensemble des travailleurs organisés et non organisés ( Nous sommes bien conscients du peu de développement accordé à cette question capitale à l'heure actuelle. Nous ne voulons ici que dégager la nécessité d'une autonomie relative de la classe ouvrière et des travailleurs en général dans cette lutte pour l'indépendance. Que permettra l'indépendance politique pour les travailleurs? Où va le P.Q.? De qui est-il composé?... Ce sont là des questions qui jusqu'ici ont été souvent mal posées. C'est l'absence d'une analyse serrée des classes sociales au Québec qui a empêché d'y voir plus clair. C'est aussi l'absence d'une analyse serrée de la situation économique du Québec qui l'empêche: structure de propriété, rapports entre les différentes fractions de la bourgeoisie (québécoise, canadienne et américaine)... Il faut bien voir, entre autres, que l'impérialisme au Québec ne crée pas les mêmes structures qu'en Amérique latine ou en Asie. A ce sujet, notre apport n'est qu'un début de déblayage.).

V- L'EXPÉRIENCE POLITIQUE DU MOUVEMENT OUVRIER CHILIEN.

Au Chili, en septembre 1970, un gouvernement socialiste a été élu. A sa base, six partis politiques regroupés sous l'étiquette de l'Unité Populaire s'étaient donnés un programme politique commun, un an auparavant. A sa tête, un médecin, Salvador Allende, militant du Parti socialiste (un des six partis de l'U.P.) depuis plus de 30 ans.

Dans la mesure où le mouvement ouvrier québécois cherche à se définir de nouvelles orientations et qu'il voit la nécessité de l'action politique pour les travailleurs salariés, la réflexion sur l'expérience chilienne peut être stimulante; en effet, l'expérience politique du mouvement ouvrier chilien fut et est encore continue, permanente et bien organisée.

Non pas qu'il s'agisse de calquer leur pratique politique, mais bien de stimuler notre réflexion. L'expérience d'un pays ne s'exporte pas mais rend possible une réflexion plus concrète sur notre propre situation.

Dans un premier temps, nous comparerons le Québec et le Chili à partir de quelques points de repère. Ensuite nous ferons l'examen des lignes directrices de leur expérience politique: l'histoire du mouvement socialiste chilien (1930-1970), son programme et son organisation politique et les dernières élections présidentielles.

• Le Chili par rapport au Québec.

Le Chili est un pays qui longe le littoral ouest de l'Amérique du Sud. Sa population est de plus de 9 millions d'habitants; plus de 60% de ses habitants vivent dans des villes (il y a 6 millions d'habitants au Québec et 80% de sa population vit dans les villes). Sa capitale, Santiago, est comparable à Montréal: près de 30% de la population du Chili s'y retrouve (3 millions d'habitants).

Le Chili est le premier producteur mondial de cuivre; le cuivre représente 60% de son commerce extérieur. La pénétration du capitalisme américain est prononcée dans les secteurs-clés: mines, industrie chimique, électricité et caoutchouc, pétrole et communications. Bien que le système de production soit moins développé qu'au Québec (Un indice est celui de la main-d'oeuvre: 22% dans l'industrie manufacturière, 23% dans l'agriculture, 24% dans les services 70.), le contrôle y est le même: les américains ont ou avaient la main haute sur les matières premières stratégiques et les débuts d'industrie lourde. Quant aux moyens d'information ils sont concentrés dans les mains de groupes capitalistes, et de façon particulière, entre les mains de la famille Edwards qui détient le principal quotidien du pays, le Mercurio.

Au plan des institutions politiques, le Chili a développé des habitudes et des traditions de démocratie parlementaire contrairement à beaucoup de pays d'Amérique latine où les coups d'Etat sont fréquents.

Il dispose également d'un appareil juridique semblable à ceux des états capitalistes modernes.

Bref, une économie sous-développée ou retardée, des institutions politiques et juridiques stables, une présence américaine forte (domination économique). Mais aussi une présence politique du mouvement ouvrier qui a une longue tradition (près de 50 ans d'action politique) et de multiples organisations politiques. Le parti communiste (fondé en 1922) et le parti socialiste (fondé en 1933) sont les deux partis de la classe ouvrière qui sont les plus implantés et les mieux organisés.

• L'histoire du mouvement socialiste chilien.

Dans les années 1920-1930, le mouvement ouvrier commence à s'organiser politiquement de façon autonome par rapport à la petite et à la grande bourgeoisie. Le parti communiste est fondé en 1922 et, dix ans plus tard, le parti socialiste sera fondé. C'est à eux que revient l'initiative d'avoir organisé les travailleurs chiliens sur une base syndicale dans les entreprises. Aujourd'hui, près de 20% des travailleurs chiliens sont syndiqués, principalement dans les mines et l'industrie manufacturière, et sont regroupés dans une centrale syndicale unique, la Confédération Générale des Travailleurs chiliens.

En 1936, ils s'allieront à la petite bourgeoisie et feront un Front populaire qui gagnera les élections de 1938. L'expérience du pouvoir durera 3 ans et permettra au mouvement ouvrier d'avoir une influence politique plus prononcée sans pour autant être prédominant à l'intérieur du Front Populaire. Par la suite, la droite s'empare du pouvoir et le mouvement ouvrier sera en difficulté jusqu'en 1958 (répression marquée des luttes syndicales et politiques du mouvement ouvrier... ). Le parti démocrate chrétien accède alors au pouvoir. Puis c'est l'Unité Populaire qui le remplacera en 1970. Salvador Allende est une figure connue du mouvement ouvrier et de la population en général. En devenant président du Chili en 1970 il n'arrive pas là "comme un cheveu sur la soupe". Il avait été le candidat du mouvement ouvrier aux élections présidentielles de 1958, de 1964 et finalement de 1970. Il a obtenu 28% des votes en 1958, 39% en 1964, 36% en 1970 mais ce 36% constituait cependant une majorité électorale.

Le mouvement ouvrier chilien a donc de longues traditions politiques: organisation des travailleurs dans les entreprises sur la base syndicale, participation aux élections municipales et nationales depuis plus de 30 ans, implantation de comités de base dans les usines, les écoles, les quartiers. Avant les élections de 1970, l'Unité Populaire est déjà organisée sur la base de 8,000 comités dans les quartiers, les entreprises et les écoles (ils seront 12,000 pendant la campagne électorale).

• Son programme et son organisation politique.

Les partis de l'Unité Populaire ont posé un diagnostic de crise et de stagnation économiques qui s'expriment par le chômage et l'inflation. Pour eux la cause de l'échec économique est le système qui permet que les Etats-Unis investissent plus de $7 milliards et demi en Amérique latine tout en y retirant $16 milliards 71. L'unique alternative est un gouvernement populaire issu de l'organisation des travailleurs. "Pour stimuler et orienter la mobilisation du peuple chilien en vue de conquérir le pouvoir, nous constituerons partout des comités sur la base de chaque usine, commune, bureau ou école... Les comités de l'Unité Populaire ne seront pas seulement des organismes électoraux. Ils seront les interprètes combatifs des revendications immédiates des masses et, surtout, ils se prépareront à exercer le pouvoir populaire" 72.

Leur programme de gouvernement: nationalisation du cuivre, nationalisation du système financier du pays, contrôle du commerce extérieur, nationalisation des monopoles industriels stratégiques (électricité, pétrole, sidérurgie... ). Programme économique allié à des mesures sociales sur le logement, les soins médicaux... ; programme que tous considéraient comme offrant la possibilité d'ouvrir la voie au socialisme.

• Quand un gouvernement populaire commence à s'attaquer aux vraies causes.

Elu en septembre 1970, les pouvoirs ne sont transmis qu'en novembre. Donc, deux mois d'intervalle entre l'élection et la remise des pouvoirs. Que se passe-t-il? La droite cherche à créer la panique au sein de la population: campagne de presse où il est dit que les gros actionnaires retirent leurs fonds des banques. Ceci provoque la peur chez des milliers de gens qui cherchent à retirer leurs épargnes. Attentats à la bombe par des groupes radicaux de droite contre des édifices gouvernementaux. Enlèvement d'un général de l'armée qui est tué mais le complot est découvert. Par son habileté et sa prudence, l'U.P. et son "leader", S. Allende, parviennent à rétablir un certain climat de confiance. Ce résultat n'a été rendu possible que grâce à la puissante organisation de masse dont ils disposaient (les 12,000 comités et les syndicats) de même que grâce à une contre-campagne d'information.

Finalement, les chambres (Les chambres sont composées de 200 députés, 80 del'U.P., 45 pour le parti national (droite) et 75 pour ladémocratie chrétienne.) sont convoquées. Les démocrates chrétiens après avoir obtenu certaines garanties constitutionnelles acceptent d'appuyer l'entrée de l'U.P. au pouvoir. Ceci permet à l'U.P. d'entreprendre les premières mesures: étatisation des banques privées (Cette mesure a un double avantage: elle enlève aux conseils d'administration des banques le pouvoir d'arbitrage en matière de prêts et de crédits. A long terme ellepermet d'enlever le contrôle des moyens de production et d'information à la classe capitaliste pour les remettreentre les mains de l'Etat), réévaluation des priorités dans les entreprises publiques existantes, ouverture des livres de comptes des compagnies produisant des biens de nécessité en autorisant un organisme d'Etat à les étudier, augmentation des salaires à travers le pays (l'inflation est très élevée au Chili) et blocage des prix (L'augmentation des salaires provoque une hausse de la demande et donc un accroissement de la production dans plusieurs secteurs.), présentation d'un projet de nationalisation des mines de cuivre doublé d'un programme de participation des travailleurs à la gestion des mines en collaboration avec l'Etat (représentation égale sur les conseils d'administration... ). En avril 71, l'U.P. participe aux élections municipales et remporte 50% du suffrage. Ce résultat confirmait que les premières mesures entreprises avaient obtenu l'accord d'une majorité.

La droite a perdu le pouvoir politique et l'U.P. tente de lui enlever le pouvoir économique en se servant de l'appareil d'Etat. Au pouvoir depuis un peu plus d'un an, l'U.P. est confrontée à des problèmes majeurs: les Etats-Unis bloquent les crédits dont le Chili a besoin, les démocrates-chrétiens ont légué au gouvernement une dette extérieure importante, le cuivre est une mono-industrie et, dans ce sens, l'industrie chilienne est largement dépendante du marché international, l'opposition (la droite et le centre) est bien organisée et dispose de moyens d'information plus puissants que ceux de la gauche. Jusqu'ici le gouvernement s'en est bien tiré et son enracinement lui a permis d'être dans un rapport de forces qui lui est favorable.

L'expérience du pouvoir est encore trop courte pour être vraiment significative. C'est l'expérience de lutte politique de 1930 à 1970 qui est pleinement significative pour le mouvement ouvrier québécois. Cette lutte met en lumière les conditions importantes pour que le mouvement ouvrier soit, de fait, la force politique capitale d'un pays: la nécessité d'une implantation massive partout (dans les écoles, les usines, les bureaux, les quartiers), la nécessité d'une organisation politique structurée, la néces sité des fronts communs, la nécessité d'une analyse systématique de la réalité de son pays (la recherche des causes profondes et des solutions correspondantes). Bref, la nécessité d'une base politique autonome pour la classe ouvrière. Sinon le mouvement ouvrier joue le rôle de second violon sur le plan social et politique alors qu'il est de fait le premier violon sur le plan économique par la place qu'il occupe dans le système de production.

La lutte pour le socialisme, c'est une lutte contre le système de propriété privée et pour

Créer une économie axée sur les besoins sociaux signifie d'abord un contrôle collectif du surplus des entreprises.

ANNEXES

LE LIVRE COMME OUTIL DE FORMATION

Plusieurs groupes de travailleurs, autant dans les syndicats que dans les coopératives et les comités de citoyens, s'interrogent actuellement sur leur action. On cherche à revenir sur les luttes qui ont été entreprises, on cherche à mieux cerner les nouveaux problèmes, à mieux identifier les causes profondes de ces problèmes qui s'accumulent et à voir plus clair dans le flot d'informations qui nous tombe dessus.

Peu d'instruments sont cependant à la portée de ces groupes pour leur permettre de pousser à fond leur recherche de nouvelles pistes. Les derniers manifestes - à la C.E.Q., à la C.S.N., à la F.T.Q. - ont ouvert la voie. Ces analyses permettront de voir plus clair, d'une façon plus juste et plus scientifique les problèmes sociaux et les nouvelles luttes à entreprendre.

Une des conditions cependant c'est qu'une formation socio-politique et économique vienne s'y greffer. La fragilité du militantisme de groupes de travailleurs à la base s'explique en bonne partie par l'absence de formation. Les militants se font "manger" par l'action, tombent dans l'activisme et finalement se retirent après quelque temps parce qu'ils sont à bout de souffle. L'absence de formation et l'improvisation empêchent du même coup leur participation à la mise en place d'une stratégie plus générale qui éviterait des luttes isolées et uniquement défensives.

Le C.F.P. a été conçu pour répondre à cette tâche urgente de formation. Ce livre a été bâti comme instrument de cette formation.

La formation ce n'est cependant pas n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment. C'est dans ce sens que nous voulons ici fournir quelques éléments de réponse à partir de la pratique que nous avons au C.F.P. depuis près d'un an.

Il convient de préciser un peu comment nous la concevons au C.F.P. Pour nous la formation a un triple volet: elle part des problèmes sociaux vécus, elle cherche à

remonter aux causes profondes de ces problèmes, elle cherche à éclairer les luttes tout en retirant le maximum d'enseignements de celles qui ont déjà été menées. Elle vise à une compréhension la plus scientifique possible de la situation de façon à ce que les luttes soient plus justes et plus efficaces. On ne peut lutter contre le capitalisme qu'après avoir dressé la carte des positions qu'il occupe, délimité ses points faibles, évalué les possibilités de succès qu'offre telle ou telle stratégie d'action.

En ce sens la condition qui est posée par toute démarche de formation, c'est de partir du terrain d'action des personnes impliquées et de retourner à ce terrain.

Il est relativement simple pour un groupe déjà un peu organisé de mettre sur pied une démarche de formation pour ses militants. Il y a par contre certaines exigences pratiques. Au départ le groupe doit être assez restreint (8 à 15 personnes environ), ce qui facilite des discussions et un débat qui vont plus en profondeur. Il est également important que le groupe soit suffisamment homogène c'est-à-dire que les membres du groupe aient des expériences de lutte communes. Cette situation commune au groupe facilite le développement d'un rythme de travail qui rejoint la majorité des personnes impliquées, permettant par la même occasion d'empêcher en bonne partie le divorce entre la théorie et la pratique.

Par ailleurs il est préférable que le groupe se désigne un ou des responsables dont le rôle sera de faire démarrer la discussion, d'en assurer la direction et de faire les synthèses qui s'imposent en cours de route. Le groupe peut aussi se nommer un secrétaire chargé de prendre note des questions laissées en suspens et auxquelles on voudrait apporter par la suite des éclaircissements.

Quant à l'utilisation du livre lui-même les suggestions pratiques que nous pouvons faire sont les suivantes: pour éviter une lecture abstraite où le lecteur se renferme dans la pensée et la réalité de l'auteur, il faut partir le plus possible de la situation locale ou régionale vécue par les membres du groupe. Par exemple, si le thème central de la rencontre est l'entreprise capitaliste, on peut partir d'une entreprise importante du quartier ou de la région et voir comment le système capitaliste fonctionne à travers l'étude de cette entreprise (son conseil d'administration, ses profits, les subventions qui lui ont été octroyées... ). La lecture devient alors une démarche continuelle d'interrogation sur sa propre réalité et permet de lier la démarche de formation à une pratique concrète. Par ailleurs la lecture peut se faire en ayant en tête le guide de réflexion et de discussion proposé ici. Ce guide permet davantage de faire ressortir les principaux éléments de chaque chapitre et facilite une discussion ordonnée.

GUIDE DE RÉFLEXION ET DE DISCUSSION

CHAPITRE I: LA CONDITION DES TRAVAILLEURS SALARIÉS AU QUÉBEC

Quelles en sont les conséquences pour les travailleurs?

CHAPITRE II: LE CAPITALISME D'AUJOURD'HUI AU QUÉBEC

1- Pourquoi a-t-on au Québec plusieurs industries dans les secteurs des mines, des richesses naturelles, du vêtement, de l'alimentation... et si peu d'industries de transformation (industries lourdes)? Ce phénomène se manifeste-t-il dans votre ville ou

dans votre région? Si oui, quelles en sont les conséquences pour les travailleurs dans votre ville et dans votre région?

CHAPITRE III: LA LUTTE DES TRAVAILLEURS SALARIÉS QUÉBÉCOIS

Pensez-vous que les institutions coopératives (toutes ou certaines d'entre elles) travaillent dans le sens des intérêts des travailleurs?

LISTE D'OUVRAGES UTILES À CONSULTER

Note: Ces ouvrages peuvent servir soit à approfondir tel ou tel point qui n'est pas suffisamment développé dans le manuel ou encore à nourrir certaines hypothèses de données significatives.

Cette liste est sélective; elle a été construite par thème selon trois critères:

1- l'ouvrage renvoie au même cadre d'ana lyse, à la même grille de lecture des faits que le nôtre.

2- l'ouvrage apporte une vérification pratique de nos hypothèses même si son cadre d'analyse est flou.

3- l'ouvrage peut être utile à des militants: son approche est simple et dépourvu d'un vocabulaire compliqué ou trop fermé.

OUVRAGES GÉNÉRAUX

1 - SUR LES CLASSES SOCIALES

• Bernard Normand, Le monde du travail et les classes sociales, nov. 71,Centre de Formation Populaire, 15 pages.

2- SUR LE FONCTIONNEMENT D'UNEENTREPRISE CAPITALISTE

• M. Rungis, Initiation aux problèmeséconomiques, 11, Cahiers du Centred'Etudes Socialistes, oct. 61, 65 pages.

3- SUR LA VALEUR DU TRAVAIL ETL'ORIGINE DE LA PLUS-VALUE

(surplus)

4- SUR LE COMMERCE, LE CRÉDIT ET LAMONNAIE

• E. Mandel, Traité d'économie marxiste, Tome II, 287 pages.

5- SUR LES LOIS GÉNÉRALES DEDÉVELOPPEMENT DU CAPITALISME

A. Capitalisme de monopoles et rôlede l'Etat

B. L'Impérialisme

• Pierre Jalée, L'impérialisme en1970, Maspero, 231 pages.

6-SUR LES LOIS PARTICULIÈRES DEDÉVELOPPEMENT DE L'ÉCONOMIECAPITALISTE

(cycles de l'économie capitaliste, tendance à l'inflation permanente, baisse du taux moyen de profit)

• E. Mandel, Traité d'économie marxiste, tome III, 288 pages.

7- SUR LE MOUVEMENT OUVRIER ET LE CAPITALISME

A. Syndicats et partis politiques

• Serge Mallet, Pouvoir ouvrier, An-thropos,p. 107 à 188.

B.Contrôle ouvrier et contrôle communautaire

8- SUR LE SOCIALISME ET LES EXPÉRIENCES SOCIALISTES

A. L'économie socialiste

• E. Mandel, Traité d'économie marxiste, Tome IV, 266 pages.

B. les expériences socialistes

• Gilles Martinet, Les cinq commu-nismes, Seuil, 1971, 251 pages.

Il s'agit d'une analyse critique de cinq socialismes: La Russie, la Chine, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et Cuba.

C. l'expérience chilienne

Note: E. Mandel est suggéré à plusieurs reprises particulièrement pour les thèmes no. 3-4-5-6-. E. Mandel est un économiste belge bien connu du mouvement ouvrier en Europe. Sa brochure (Initiation à la théorie économique) et son traité d'économie sont d'excellentes introductions à l'économie. Son traité n'est pas un manuel d'économie marxiste genre "petit catéchisme" avec questions et réponses. C'est un ouvrage qui se veut scientifique: il part des principaux travaux des sciences contemporaines (histoire, économie, sociologie, anthropologie... ) et tente de reconstituer l'ensemble du système économique avec le cadre d'analyse du marxisme. Il a l'immense avantage d'aborder les fondements du système économique et social dans un essai-synthèse .qui peut être compris, qui est dépourvu de l'appareil compliqué des sciences sociales. Il permet également de comprendre l'économie à partir des intérêts collectifs de la classe ouvrière et non à partir des intérêts des "managers" et de la classe capitaliste.

OUVRAGES PARTICULIERS

(études sur le Québec, le Canada ou les Etats-Unis)

1 - SUR LA CONDITION DES TRAVAILLEURS SALARIÉS AU QUÉBEC

Pour des données précises sur la condition des travailleurs salariés au Québec le dossier "Colloques régionaux 70" qui a servi de document de base aux rencontres intersyndicales de 1970 est une mine de renseignements:

CEQ-FTQ-CSN, Colloques régionaux 70, Montréal, 200 pages.

2- SUR LA STRUCTURE DE PROPRIÉTÉ AU QUÉBEC ET AU CANADA

• Sur le problème de la dépendanceéconomique vis-à-vis des Etats-Unis

les rapports fédéraux Gray et Watkins apportent des données significatives. Voir aussi le livre d'une économiste de McGill, Kari Levitt: Propriété étrangère et structure de l'industrie canadienne, Bureau du Conseil Privé, Ottawa, 1968, 444 pages; Ce que nous coûtent les investissements étrangers, rapport Gray, Le-méac/Le Devoir, 1971, 213 pages; K. Levitt, La Capitulation tranquille, Réédition-Québec, 1972, 220 pages.

• Sur le rôle de l'Etat (Québec commeOttawa), le manifeste de la F.T.Q. estexcellent (voir en particulier l'étudesur le Ministère de l'expansion régionale):

F.T.Q., L'Etat rouage de notre exploitation, déc. 71, 141 pages;

• Sur le rôle des institutions financières et des monopoles américains auQuébec (banques, compagnies d'assurances...):

C.S.N. Ne comptons que sur nos propres moyens, oct. 71, 108 pages.

3- SUR L'EMPIRE AMÉRICAIN

• Sur la puissance des monopoles américains:

E. Mandel et D. Guérin, La concentration économique aux Etats-Unis, Anthropos, 1970, 226 pages.

• Sur l'histoire de l'empire américainet sa puissance mondiale:

C. Julien, L'empire américain, Grasset, 1968,416 pages.

• Sur la puissance militaire américaine:C. Moisy, L'Amérique sous les armes,Seuil, 1971,275 pages.

4- SUR LES MÉDIA D'INFORMATION AU QUÉBEC

Québec occupé, Parti-Pris, 1971, article de B.R. journaliste, 35 pages.

5- SUR LA FORCE POLITIQUE DESMONOPOLES AU QUÉBEC

• le cas du Conseil Général de l'Industrie et celui du syndicat financier:

23 dossiers de Québec-Presse, réédition-Québec, 1971, 25 pages (p. 11 à 36).

6- SUR LE MOUVEMENT SYNDICAL

• en Amérique du Nord:

D. Guérin, Le mouvement ouvrier auxEtats-Unis 1867-1967, Maspero, 1970,174 pages.

• Au Québec:

Cahiers du Sainte-Marie, no 2, Le travailleur québécois et le syndicalisme, Montréal, 1967, 120 pages (sur la période 1867-1891).

E. Dumas, Dans le sommeil de nosos, Leméac, 1971, 170 pages (sur lapériode 1930-1945).

La grève de l'amiante, Ed. du jour, 1970, 430 pages (sur la grève d'As-bestos en 1949).

En grève, Ed. du Jour, 1963 (sur les grèves de la CSN de 1937 à 1959).

7- SUR L'ACTION POLITIQUE DES TRAVAILLEURS AU QUÉBEC

• le pourquoi de l'action politique destravailleurs québécois

C.A.P. Maisonneuve, La nécessité d'une organisation politique de travailleurs, décembre 1971.

• sur l'action politique municipaleC.E.Q.-F.T.Q.-C.S.N., Colloques régionaux 70.

A TOUS LES UTILISATEURS DE CE LIVRE

Le Centre de formation populaire a pour but de fournir aux militants des organisations populaires et du mouvement ouvrier en général (syndicats et coopératives) des instruments et des programmes de formation socio-politique et économique.

A ce titre nous avons organisé depuis septembre 1971 des écoles de militants de base dans plusieurs quartiers de Montréal.

Aujourd'hui nous produisons ce livre pour qu'il serve comme outil de formation. Il a été conçu comme outil pour des groupes de militants qui à l'intérieur de leur syndicat ou de leur association populaire,

veulent se donner des moyens de saisir davantage la réalité québécoise et situer les luttes que leur mouvement entreprend.

Pour toutes ces raisons nous sommes vivement intéressés à être informés de l'utilisation qui en est faite. Toutes les critiques portant sur son contenu ou sur ces possibilités comme outil de formation sont également les bienvenues.

Le Centre de formation est par ailleurs disponible, sur demande d'organisations ou de groupes, pour participer activement à la mise en place de programmes de formation ou encore pour participer à des sessions de formation et d'information.

Centre de formation populaire 1750 rue St-Denis, Montréal 129 842-2548

NOTES

1 Québec - Ministère de l'industrie et du commerce, chiffres de 1967.

2 John Porter, The Vertical Mosaic, Universityof Toronto Press, 1965 p. 234.

3 Centre de recherche et d'information Québec(C.R.I.Q.), Le gouvernement du capital, texte polycopié, 1970.

4 CEQ-FTQ-CSN, Colloques régionaux 70, Montréal, 1970, p.C5 et C14. Ce dossier, de quelques 200 pages, rédigé par un groupe d'universitaires a servi de document de base aux rencontres intersyndicales de 1970.

5 Ibidem, p. L29 et L30.

6 Cahiers du Ste-Marie, no. 2, Le travailleurquébécois et le syndicalisme, Montréal, 1967, p.92-93.

7 CEQ-FTQ-CSN, Colloques régionaux 70, p. B5.

8 CSN, Journal le Travail, juillet 71.

9 Québec - Ministère de l'industrie et du commerce, chiffres de 1964.

10 Economie Québécoise, P.U.Q., 1969, p. 244.

11 E. Mandel, Initiation à la théorie économiquemarxiste, Cahiers du Centre d'Etudes Socialistes.1964, p. 15.

12 Ibidem, p. 16.

13 Le Capitalisme monopoliste d'Etat tome 1, p. 46.

14 CSN, Il n'y a plus d'avenir pour le Québec dans système économique actuel, sept. 71, p. 19.

15 CEQ-FTQ-CSN, Colloques régionaux 70, p. 15.

16 Du titre d'un volume de Vance Packard, Lapersuasion clandestine, Calmann-Lévy, 1958. V. Packard est un sociologue américain spécialisé dansl'étude des problèmes de consommation des sociétésindustrielles capitalistes.

17 Recensement de 1961, B.F.S., Ottawa.

18 Secrétariat d'action Politique, Le logement auQuébec, CSN, 1970.

19 M.A. Tremblay et G. Fortin, Les comportements économiques de la famille salariée du Québec,p. 96, P.U.L., 1964.

20 Secrétariat d'action Politique, Le logement auQuébec, p. 50.

21 P.Q., La Souveraineté et l'Economie, Ed. jour,1970, p. 113.

22 Economie Québécoise, p. 226.

23 Québec - Ministère de l'industrie et du commerce, chiffres de 1964.

24 23 dossiers de Québec-Presse, réédition-Québec, Montréal, 1971, p. 86 et 98.

25 Ibidem, p. 241.

26 CEQ-FTQ-CSN, Colloques régionaux 70, p. L7.

27 II s'agit:

  • du rapport "Watkins" du nom de l'économistequi dirigeait le groupe d'études. Il fut publié enjanvier 1968 et préparé pour le Bureau du ConseilPrivé à Ottawa. Il s'intitule: Propriété étrangèreet structure de l'industrie canadienne;
  • du rapport "Raynauld". Il a été préparé pourla Commission royale d'enquête sur le bilinguismeet le biculturalisme. Il date de 1968 mais n'a jamais été rendu public. Il s'intitule: la propriété desentreprises du Québec;
  • du rapport "Gray". Il a été soumis au cabinetTrudeau en mai 71. Une fuite a permis au CanadianForum de Toronto de le rendre public. Il s'intitule:Ce que nous coûtent les investissements étrangers,Leméac/Le Devoir, 1971.

28 Propriété étrangère et structure de l'industriecanadienne, Bureau du Conseil Privé, Ottawa, 1968,p. 6

29 Ibidem, p. 11.

30 Ibidem, p. 439.

31 Claude Julien, L'empire américain, Grasset,1968, p. 234.

32 Economie Québécoise, p. 244. La source initialed'information: "La propriété des entreprises duQuébec", A. Raynauld.

33 Métallurgistes Unis d'Amérique, Les métalloscanadiens, brochure de 1968.

34 CSN, Ne comptons que sur nos propres moyens,octobre 1971, p. 17. Il s'agit ici de celui paru dans Québec-Presse.

35 23 dossiers de Québec-Presse, p. 220-

36 E. Mandel, Initiation à la théorie économiquemarxiste, p. 32.

37 G. Joron, La grosse peur, texte polycopié, 1970.

38 Claude Julien, L'empire américain, p. 234.

39 James Hepburn, L'Amérique brûle, NouvellesFrontières, 1968, p. 199.

40 William Rodgers, L'empire I.B.M., Laffont,Paris, 1969, p. 11-263-319.

41 Claude Moisy, L'Amérique sous les armes,Seuil, Paris 1971, p. 25.

42 CSN, II n'y a plus d'avenir pour le Québec dansle système économique actuel p. 6.

43 E. Mandel, Traité d'économie marxiste, collection 10-18, Tome 1, Paris 1962, p. 210.

44 A ce sujet vous pouvez prendre l'état desrevenus du Québec pour chaque année fiscale depuis5 ans. Vous aurez alors une moyenne générale qui s'établit de la façon suivante: de 10 à 15% du budget provient des corporations, le reste provient des travailleurs salariés québécois.

45 Le Capitalisme monopoliste d'Etat, Tome 1,p. 49.

46 F.T.Q., L'Etat, rouage de notre exploitation,1971, p. 21 à 86.

47 Voir à ce sujet une série d'articles parue dansQuébec-Presse en juillet 71 et F. Perroux, L'entreprise et l'économie du 20e siècle, P.U.F., 1967,tome 1, p. 312 à 324.

48 Jacques Guay, Revue "Socialisme", no. 17,juin 69, p. 69

49 Québec occupé, Parti-Pris, 1971, article deB.R. journaliste, p. 179 à 216.

50 23 dossiers de Québec-Presse, p. 16 à 19.

51 Le Devoir, 2 mai 1968.

52 La Presse, 13 mars 1969, article de ClaudeBeauchamp.

53 23 dossiers de Québec-Presse, p. 21 à 36.

54 Rapport de la Commission Barbeau, p. 254;extrait paru dans un dossier du Centre de rechercheet de documentation du M.S.A., 1968, p. P-c-13.

55 CSN, Ne comptons que sur nos propres moyens, p. 64 à 67.

56 Hélène David, Revue "Socialisme", no. 19, déc.1969, p. 21.

57 Ibidem, p. 21.

58 Cahiers du Ste-Marie, no. 2, Le travailleurquébécois et le syndicalisme, p. 55.

59 Daniel Guérin, Le mouvement ouvrier auxEtats-Unis 1867-1967, Maspero, Paris, 1970, p. 15.

60 Métallurgistes Unis d'Amérique, Revue "Information", vol. 17 no. 1, mai 69. La revue a consacré ce numéro à la grève générale de Winnipeg à l'occasion du 50ième anniversaire de cet événement

61 Pour un récit des grèves de cette période voirle livre de Evelyn Dumas, Dans le Sommeil de nosos, Leméac, 1971.

62 Pour un récit de ces grèves voir, En grève, Ed.Jour, 1963.

63 Information tirée.

du journal "Nouveau Pouvoir", journal de laFédération nationale des enseignants (CSN), oct. 71

du journal "Papetiers-Unis" (union affiliée à laF.T.Q.), janvier 1971.

64 Département des Relations Industrielles deLaval, Le syndicalisme canadien: une réévaluation,23e Congrès, P.U.L., 1968, p. 126.

65 A ce sujet voir les trois documents suivants:CSN, Ne comptons que sur nos propres moyens,1971; FTQ, L'Etat, rouage de notre exploitation, 1971; CEQ, Premier plan, 1971.

66 La Presse, 5 mars 1971; les chiffres sont de1969.

67 La revue Desjardins, volume 37, no. 2, 1971,p. 7.

68 Bernard Normand, Attitudes et comportementsdes membres de 2 caisses populaires de l'Est deMontréal, 1967.

69 schéma qui s'inspire d'un rapport de sessiond'un groupe d'animateurs de Montréal rédigé parBernard Normand, juin 71

70 Revue Maintenant, no 107, juin 71, p. 172.

71 Chili de l'Unité Populaire, Ed. Sociales, Paris,1971, p. 148.

72 Ibidem, p. 153.

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