Le pouvoir politique... une réalité quotidienne

 PUBLICATION DE

l'Association Féminine d'Éducation et d'Action Sociale

Rédigé par Claire Levasseur

Graphisme et montage La Voie de l'Image

Une subvention du Secrétariat d'État (fédéral), programme promotion de la femme, a rendu possible la réalisation de cette brochure.

Siège social de l'AFEAS 180 Dorchester est, suite 200 Montréal H2X 1N6 Tel: (514) 866-1813

Avril 1986

 améliorer leurs conditions de vie et de travail, les femmes en­treprennent, quotidiennement, des actions. Leur implication a des répercussions directes sur leur milieu de vie. Elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique.

La présente brochure vise à démystifier ce pouvoir politique. On y retrouve:

  • une définition du pouvoir politique;
  • des exemples concrets d'exercice du pouvoir politique;
  • un aperçu des qualités personnelles utiles à l'exercice du pou­ voir politique;
  • des moyens et procédés qui rendent le pouvoir politique abordable, visible et efficace.

Vous constaterez que les femmes exercent déjà leur pouvoir politique à plusieurs niveaux. L'avenir et l'essor de cette réalité, les espoirs que nous y mettons, appartiennent à chacune d'en­tre nous.

 

Nous parlons habituellement du pouvoir et de la politique en nous basant sur notre culture, nos perceptions, nos valeurs et sur une certaine somme d'expériences. La réputation du pou­voir et de la politique étant "douteuse", nous nous croyons justi­fiées de ne pas y regarder de plus près. Mais... n'y aurait-il pas plusieurs angles pour observer le pouvoir et la politique?

En psychologie, le pouvoir est associé à la liberté d'action.

On le définit aussi en termes de capacités, habiletés, facultés et moyens d'agir. Dans la vie de tous les jours, le pouvoir ne serait-il pas fait de nos motivations, de notre influence, de l'au­torité que nous manifestons? L'être humain, pour obtenir ce qu'il désire, doit prendre sa place dans la société en mobilisant son énergie et celle des autres. Avoir du pouvoir, c'est avoir la possibilité d'agir sur les gens et les choses. Ce potentiel, loin d'être fictif, existe en chacun de nous, prêt à servir.

La politique, c'est le pouvoir de gouverner. La politique res­semble à l'organisation et à l'exercice du pouvoir quand nous dirigeons un pays. À moins de bouleverser toute notre structure sociale, nous avons besoin de la politique. On peut cependant la critiquer et la modifier.

"Ah" me direz-vous! Si tout était si simple, nous n'éprouverions pas autant de méfiance et de malaise face au pouvoir politique! Il est évident que ces définitions ne règlent pas tout.

 Parler du pouvoir politique, c'est aussi réagir aux abus et à ce qui nous semble être des injustices. Nous ne pouvons faire abs­traction des valeurs en cause, ni des choix faits par les person­nes qui exercent le pouvoir. Nous gardons toutes en mémoire des exemples diversifiés de ce que sont le pouvoir et la politi­que en y associant une valeur précise. Tout sujet mérite d'être placé dans un contexte déterminé.

Le pouvoir politique n'est pas une arme absolue et il n'ap­partient pas seulement à ceux qui l'utilisent. Sa vigueur dépend de l'usage qu'on en fait. Il varie selon la valeur qu'on accorde à la source de pouvoir et l'importance de la relation entre ceux qui l'exercent et ceux qui le reçoivent.

Il est clair que nous n'avons rien à gagner à nous tenir loin du pouvoir politique. Il s'exerce tout de même, avec ou sans nous. Bien plus, notre silence ou manque d'intérêt nous ren­dent complices de l'établissement de politiques ne répondant pas aux besoins de femmes. Au fil des ans, nous nous sommes réappropriées tant de conditions de vie, pourquoi pas le pou­voir politique?

Déjà, on perçoit un intérêt plus soutenu des femmes. Les der­nières campagnes électorales (au scolaire, municipal, fédéral ou provincial) ont enthousiasmé des femmes, dont plusieurs membres AFEAS. Les femmes manifestent plus ouvertement leur goût de participer à la vie politique. Ce phénomène est au coeur de l'évolution même de la condition féminine.

 

Le pouvoir politique s'exerce dans différents endroits, selon les circonstances et la personnalité des gens. Le geste, l'énergie déployée, le travail qui concrétisent l'utilisation du pouvoir politi­que, c'est l'action politique. Nous voilà donc en terrain connu puisque l'action caractérise les membres AFEAS.

Voici des exemples de l'utilisation du pouvoir politique ou, l'ac­tion politique.

•  Dans la ville que j'habite j'identifie différents problèmes: signalisation routière inadéquate, affichage pornographique, etc.

Plutôt que de me limiter à constater la situation et à rouspéter... j'agis: lettres, téléphones, démarches auprès des commerçants ou élus... Je le fais seule ou j'y intéresse également ma famille, une association, un ou des élus municipaux.

•  Les journaux annoncent divers événements publics: consultations régionales sur la sécurité économique des québécoises, consultation sur la politique familiale, audience sur le transport en commun de ma région,...

J'ai une opinion sur le sujet. Je m'inscris et participe. Mes inter­ventions sont basées sur ma réflexion personnelle et les posi­tions d'autres femmes telles qu'exprimées lors des congrès AFEAS notamment.

• J'assiste à une réunion du conseil municipal. On s'apprête à voter une résolution qui ne tient pas compte des besoins des femmes.

Je le fais remarquer et dis spontanément comment je vois une solution à ce qui se discute.

 •         Dans fous les milieux, des personnes se font valoir par leurs actions et leurs prises de position. Les journaux les citent et nous commentons leurs faits et gestes.

Je peux décider, seule ou en groupe, de féliciter, de supporter lors d'un débat, d'aider l'individu qui s'occupe de faire une place aux revendications des femmes.

• L'exposé sur la santé des femmes, présenté au conseil d'administration du CLSC, ne me semble pas très nuancé et ne tient pas compte des statistiques que je connais.

Je mentionne mon point de vue et cite les données sur lesquel­les je me base pour intervenir.

• Nous vivons des problèmes de fonctionnement comme cer­ cle AFEAS ou conseil d'administration de région.

Toute tentative pour solutionner le problème et trouver une issue relève du pouvoir politique.

• Je décide de ne plus acheter certains produits ou de ne plus faire affaire avec des établissements.

Plusieurs raisons peuvent motiver ma décision: encouragement d'une grève sauvage, publicité de la compagnie, exploitation des femmes, déménagement d'un siège social en dehors de la région, chantage auprès de la population à cause du gouverne­ment qu'elle a démocratiquement élu, déclarations ridiculisant l'engagement des femmes...

 

Tout individu développe, au long de sa vie, des talents, des attitu­des et des comportements qui peuvent servir le pouvoir politi­que. Peu de gens naissent parfaitement armés pour le travail ou la cause qui les attend. Chacune d'entre nous peut renforcer et exploiter des aspects de sa personnalité en vue du but à attein­dre. Tout se cultive.

Par ailleurs, l'analyse et les bilans sont nécessaires. Ils nous renseignent sur nous-mêmes et sont au carrefour d'un choix que nous ferons, quel qu'il soit.

Voici un aperçu du matériel humain utile à l'exercice du pouvoir politique:

• Le souci de la collectivité.

Pouvoir penser aux autres, se mettre dans leur peau et oublier un peu la nôtre. Rechercher le mieux-être collectif (pour le plus grand nombre, pour la majorité) selon ses désirs et sa volonté.

Le sens de l'à-propos.

Est-ce le temps de foncer? Y aura-t-il une autre occasion aussi ou plus favorable? Trouver le moment et le ton convenable. Déterminer si l'occasion est unique et si elle mérite d'être saisie.

• La capacité d'établir des liens, des alliances.

// faut d'abord évaluer les gens et les organismes: ce qu'ils sont ou ne sont pas, leurs qualités et défauts politiques. Identifier ce qui peut être mis en commun: informations, compétences, res­sources financières, moyens techniques. Établir des rapports, une entente mutuelle sur un thème précis et les débouchés envisagés.

 • Le goût de l'engagement et du risque.

Oser investir du temps, des aptitudes personnelle sans être assurée à 100% du résultat. Il ne s'agit pas de foncer à l'aveu­glette, mais de s'engager après une évaluation honnête d'une situation dont l'issue demeure incertaine. Relever un défi tout en prévoyant la critique et les échecs aussi bien que les bons coups.

• La générosité

La politique est ingrate. Il faut être capable de donner sans trop attendre en retour. Sacrifier des intérêts personnels au profit des personnes qu'on représente.

Notre spécificité comme femme.

Nous sommes une entité distincte même si le pouvoir politique nous appartient comme groupe authentique au sein de la col­lectivité. Notre vision de l'art de gouverner et les gains à obtenir méritent que nous nous attaquions à la besogne tout en respec­tant ce que nous sommes véritablement. Il s'agit d'entrevoir des avenues nouvelles et pratiques pour qu'il existe des lieux qui soient politiques et féminins.

• La capacité d'adaptation.

Savoir reculer ou marquer le pas sur une idée. Choisir ses mots. Se fixer des étapes de réalisation. Entrevoir un but raisonnable et réalisable. Recommencer ou poursuivre en tenant compte de révolution des mentalités, du climat économique, des per­sonnes en cause. Progresser par compromis.

Cette liste est loin d'être complète. Révisez-la et ajoutez-y d'au­tres qualités que vous définirez: jugement, sens moral, person­nalité, etc.

 

Nous disposons de moyens et bons procédés qui rendent le pouvoir politique abordable, visible et efficace. Nous pouvons les utiliser dans différentes circonstances:

  • groupes de pression. L'AFEAS est un groupe de pression. Nous pouvons former des coalitions sur les pensions ou les allocations familiales ou nous joindre à des organismes nationaux pour réclamer une politique familiale.
  • organisme consultatif. On peut siéger sur des comités d'école, au Conseil du statut de la femme ou faire partie d'une association consultée par le gouvernement.
  • occupation de postes décisionnels (postes de commande). Dans les organismes où il y a un processus électoral pour combler un poste:

...conseils d'administration d'associations, de CLSC, de cen­tres hospitaliers, d'entreprises... ...commissions scolaires et municipalités ...gouvernements fédéral et provincial.

- usage d'influence, d'autorité, de contraintes, de connais­ sances et d'information que nous possédons.

Ces moyens et procédés sont à notre portée si nous sommes:

  • curieuses;
  • alertes;
  • prêtes à évaluer le pour et le contre;
  • capables d'extraire l'information qui peut servir;

- aptes à clarifier notre perception du sujet et de l'usage que nous en ferons.

 Parmi ces moyens et procédés, mentionnons:

•  La cueillette d'information.

Journaux, radio, télévision, revues spécialisées, livres, secréta­riats d'organismes, services de communications d'entreprises, bureaux des députés, partis politiques, centrales syndicales, secrétariat de l'AFEAS (régional et provincial)...

•  La construction de l'information.

Je choisis un sujet qui m'intéresse et je monte un dossier per­sonnel. J'amasse l'information recueillie peu importe la source. Je la classe selon le degré d'importance des faits et des don­nées. J'élabore des hypothèses en évaluant chaque point. J'ana­lyse le scénario qui a le plus de chance de se réaliser avec le plus de succès possible. J'établis quand et comment j'inter­viens pour la réalisation du scénario que j'ai retenu.

Pour une meilleure appropriation de chaque sujet (parce que je ne suis pas infaillible et géniale à tout coup), je discute en famille, avec des amis, des collègues, d'autres femmes. Je les consulte, j'interagis avec eux et je retiens l'essence de chaque point de vue.

•  La circulation de l'information.

Pour toutes les causes qui méritent une mobilisation: lettres aux journaux, candidats à des élections, organismes, entrepri­ses; tenue de réunions; interventions dans des assemblées publi­ques ou groupes de discussion. Partage de renseignements et de stratégies avec des interlocuteurs privilégiés, avec nos alliés face à une intervention plus importante.

•  Puis, il y a ce qu'on pourrait appeler les moyens ultimes, reconnus parce que nous sommes une société organisée et démocratique. Des moyens forts que nous utilisons encore trop peu par rapport à leur impact: le boycottage de produits et de services, les manifestations, le vote à chaque occasion où on peut l'exprimer...

D'instinct, nous utilisons volontiers ces moyens d'action. Cha­que élément possède sa propre force. C'est à nous de voir à ce que le résultat final nous ressemble en étant présentes et acti­ves. Se taire et ne rien faire sont les meilleurs moyens de ne pas être bien représenté.

 

Le pouvoir n'est pas uniquement un concept; c'est un fait vital pour l'être humain. De même la politique s'avère essentielle dans une société organisée et démocratique.

Le pouvoir politique doit être considéré pour ce qu'il est, un concept dynamique et subtil. Il fait partie de la réalité quoti­dienne. Les individus lui donnent un sens, une valeur, un visage. En soi, le pouvoir politique n'est ni bon, ni mauvais. C'est notre façon de l'exercer qui amène des répercussions positives ou négatives.

Sollicitées par les multiples aspects de la vie en société, le pou­voir politique demeure pour les femmes une question de choix. C'est cependant le type de choix susceptible de contribuer à l'amélioration de nos conditions de vie et de travail.

Le pouvoir et la politique nous concernent! N'hésitons pas à y investir temps et énergie pour nous-mêmes et l'ensemble des femmes.

 

BERGERONJ.L, LEGER-COTE N., Jacques J., BÉLANGER L, Les aspects humains de l'organisation, Gaétan Morin éditeur, Chicoutimi, 1979.

Cahiers de recherche éthique #6, L'engagement politique,

éditions F/des, 7978.

COHEN, Yolande (sous la direciton de), Femmes et politique, Le jour, éditeur Sogides, Collection Idéelles, Montréal, 1981.

GALBRAITH JOHN KENNETH, Anatomie du pouvoir éditions du Seuil, Paris, 1985.

TARDIF Evelyne, La politique: un monde d'hommes?, Cahiers du Québec, éditions Hurtubise HMH, Collection science politi­que, Montréal, 1982.